mardi 25 octobre 2011

Les sentiments malins.

Je suis allé voir dimanche matin Polisse, film de Maïwenn, primé à Cannes, avec Joey Starr parmi les comédiens. Ce n'est pas un mauvais film puisqu'on ne s'ennuie pas une seconde, qu'on est pris de bout en bout par cette chronique rondement mené de la BPM, brigade de protection des mineurs. Mais ce n'est pas non plus un bon film.

Le terme le plus juste, le plus précis : c'est un film malin, à l'image de notre époque, un film qui reflète parfaitement les obsessions et les tares de la société d'aujourd'hui. C'est pourquoi ce film plaira : il ressemble trop à ce que nous sommes devenus, il nous tend un miroir dans lequel il est toujours agréable de se regarder, même lorsqu'il montre des choses désagréables.

Dès le générique, on sent l'entourloupe : passe la chanson du générique de l'émission "L'île aux enfants", ce qui amuse les trentenaires, ne rajeunit pas tous les autres, mais comme les vieux barbons jouent aux trentenaires tout le monde est content. L'effet aurait pu être décalé, jouer sur l'ironie : non, c'est purement gratuit, un simple effet de mode. Mal parti pour un film à peine commencé ...

Après, il y a les thèmes, les tics, le réchauffé de l'actualité, nos phobies sociales contemporaines : la peur de la pédophilie, l'omniprésence des problèmes personnels (avez-vous remarqué que nous vivons dans une société où tout le monde a des problèmes personnels ? Ici, les flics en ont autant que les délinquants et les victimes), les histoires de cul et par dessus tout la présence, la prédominance, l'exacerbation des sentiments : comme nous tous désormais, les flics carburent aux sentiments, bons ou mauvais, de colère ou de joie, d'amour ou de haine, peu importe pourvu que ce soit du sentiment.

Il n'y a pas si longtemps, l'éthique du professionnalisme (chez les flics, les profs ou autres métiers) consistait à faire abstraction de ses sentiments, ne jamais se laisser guider par eux ni les mettre en avant, cultiver une distance de bon aloi, garder la tête froide surtout dans les circonstances délicates. Époque révolue : libéralisme, socialisme, la place maintenant est au sentimentalisme.

Du même tonneau est le mélange de la vie privée et de la vie professionnelle, qui est la trame de Polisse, dans un constant va et vient qui donne par moments le tournis. Malin, très malin : ce film nous conforte dans nos clichés, nos préjugés, nos conformismes. Il ne nous fait pas réfléchir sur l'existence du mal qui frappe l'innocent par excellence, l'enfant. Il ne nous émeut même pas à force de vouloir nous émouvoir à tout prix par de gros effets à la limite du comique.

La fin est surchargée, mal fichue, "trop" comme disent les jeunes : le suicide de la fliquette anoxérique dans son commissariat. La boucle est bouclée, reniflez bien fort, mouchez-vous, frottez vos yeux mouillés, ce n'est pas grave, dans quelques heures vous aurez tout oublié. Polisse est dans la lignée des Petits mouchoirs (celui-ci était quand même pire) : un cinéma sentimentaliste, comme il y a aujourd'hui une politique sentimentaliste, tout aussi malin l'un que l'autre.

Allez, je vais me venger en allant voir un film pas malin du tout, sans l'ombre d'un sentiment, The Thing, de Matthijs van Heijningen Jr, le remake du Carpenter qui m'avait tellement emballé il y a trente ans, un temps où nous étions moins sentimentaux et moins malins.

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