mardi 31 janvier 2012

St Quentin dans le texte.




Jeudi soir, la librairie Cognet organisera une rencontre-débat où je lirai des extraits des Saint-Quentinois sont formidables, en répondant à toutes les questions sur ce livre, ses intentions, sa méthode et le portrait qu'il dresse de notre ville, de ses personnages et habitants. J'en profiterai pour présenter quelques chapitres du prochain volume. La soirée sera filmée par SaintQuentin TV.

Coïncidence : le même jour, au lycée Henri-Martin, le philosophe atypique Jean-Christophe Bailly fera une intervention devant les classes préparatoires, à propos de son dernier ouvrage, Le dépaysement (Le Seuil, 2011). C'est un voyage à travers la France, dans un souci assez proche du mien : décrire dans le détail la vie ordinaire de nos villes moyennes, en faire un objet de réflexion (avec en plus chez moi une distance amusée sur les gens et les événements).

Mais le plus étonnant, c'est que Jean-Christophe Bailly est passé par notre Saint-Quentinois ! Page 328, il décrit la place de l'hôtel de ville. Voilà ce que ça donne :

"La grande place a été presque intégralement recouverte de sable et équipée de jeux pour enfants, il paraît qu'on le fait chaque année, c'est bien sûr un peu débile, mais en même temps proche d'un ton populaire qui évoque les gaufres et la foire, pour lors le sable, très fin, beaucoup plus fin que celui des vraies plages, se mouille inexorablement, dans un coin une figure sculptée dans le style des géants de carnaval est censée représenter Maurice Quentin de La Tour, enfant du pays, tel qu'on le voit sur son célèbre autoportrait avec son béret surdimensionné, sa peau luisante et ses yeux trop grands".

Vos trouverez aussi un chapitre entier, le 26, consacré à Origny-Sainte-Benoîte, principalement sa sucrerie, et un autre chapitre, le 27, sur Guise et le Familistère.

Puisque je vous parle de littérature et du Saint-Quentinois, Guise est également évoqué dans le livre à succès de Sylvain Tesson, Dans les forêts de Sibérie (Gallimard, 2011). Page 67, il est question d'un anniversaire "près de Guise", celui du père de l'auteur et journaliste bien connu Philippe Tesson (serait-il né là-bas ?) :

"Comme chaque année, la famille s'est retrouvée dans ces écuries du XVIIIème siècle transformées en restaurant (...) Les tables sont installées sous les râteliers où se gobergeaient les bêtes".

Est-ce que quelqu'un, à partir de ces maigres éléments, peut me dire où se trouve cet établissement ?

lundi 30 janvier 2012

François le Chinois.

Je ne parlerai pas ce soir de l'intervention télévisée de Nicolas Sarkozy. L'événement hier était ailleurs, du côté du XIIIème arrondissement de Paris, visité par François Hollande à l'occasion du nouvel an chinois. J'y suis particulièrement sensible parce qu'une amitié ancienne et étroite me relie à l'extrême orient : j'ai vécu dans le Chinatown parisien (rue du dessous des berges, je ne résiste pas à évoquer ce nom), j'ai étudié à la fac de Tolbiac, j'ai vécu avec une Asiatique, j'ai sur ma cheminée une petite statuette du Bouddha achetée dans le Chinatown new-yorkais, je m'intéresse depuis longtemps à la philosophie orientale. C'est sûr, il y a du Chinois en moi. Et maintenant en François !

Cette année est celle du dragon, qui chasse le malheur et attire la prospérité : comment ne pas rapprocher cette symbolique de la situation politique ! Notre nouveau dragon en rouge et or, c'est François Hollande. Il avait fière allure, à la tête d'un défilé de dizaines de milliers d'Asiatiques. C'était aussi une façon de conjurer la peur du Chinois, qui a remplacé dans pas mal d'esprits la peur de l'Arabe, qui elle-même autrefois avait succédé à la peur du Polak et du Rital. La Chine c'est le monde de demain : dans un siècle ou deux, elle dominera le monde, comme aujourd'hui l'Amérique, comme autrefois l'empire romain. C'est ainsi : il y a toujours eu dans l'histoire une civilisation dominante.

Devant François, une danse du lion a ouvert la marche au milieu des lanternes et des pétards, pour faire fuir les mauvais esprits (de droite forcément, et même quelques-uns de gauche). Les dragons ont ondulé durant tout le parcours, en quête de graine de lotus à consommer, le symbole du renouveau, la nourriture divine qui donne de la force, comme notre chrétienne eucharistie. Que François Hollande puisse bénéficier lui aussi de la nourriture des dieux, afin de battre le grand dragon élyséen !

dimanche 29 janvier 2012

Nous sommes tous républicains.

La déclaration d'Henri Guaino vendredi soir à Tarbes aurait pu provoquer un immense scandale. Or elle a été peu commentée, même à gauche. Qu'a dit la plume de Nicolas Sarkozy, l'idéologue du régime ? Que "François Hollande n'est pas républicain", rien que ça ! Est-il donc vrai que les Français s'apprêtent à élire à la tête de la République un homme qui n'est pas républicain ? C'est énorme comme on dit aujourd'hui. Ne croyez pas qu'il s'agisse de la part de son auteur d'un effet de tribune : Guaino est un intellectuel qui sait maîtriser les mots et les idées. Il faut par conséquent prendre au sérieux ses propos, les comprendre et les réfuter, ce que je vais essayer de faire.

L'accusation sévère du conseiller spécial du chef de l'Etat repose sur la distinction entre démocrate et républicain : Hollande serait l'un mais pas l'autre, ce qui atténue la charge de la critique mais ne l'efface pas non plus. Ce que je conteste, c'est la pertinence d'une telle distinction, dialectique jusqu'au sophisme : à vrai dire et à penser juste, un démocrate ne peut qu'être républicain et un républicain démocrate. Les deux engagements sont indissociables, et je vous explique pourquoi :

Qu'est-ce que la république ? Étymologiquement c'est la chose publique, l'intérêt général. Qu'est-ce que la démocratie ? C'est le pouvoir du peuple. On voit bien, pris à leur racine, que les concepts ne se contredisent pas mais se complètent, s'imbriquent. L'intérêt général s'assimile à la volonté majoritaire du peuple, la volonté du peuple (que Jean-Jacques Rousseau appelle "volonté générale") exprime l'intérêt général. Un républicain qui n'est pas démocrate, c'est une absurdité, un non sens, une impossibilité ou bien un jeu de mots. Idem pour un démocrate pas républicain : François Hollande est donc autant l'un que l'autre, ni plus ni moins l'un que l'autre.

Henri Guaino étaie sa démonstration par quatre exemples concrets qui prouveraient selon lui que François Hollande n'est pas républicain. Je veux les reprendre et y répondre un par un :

1- Hollande n'a pas voté la loi interdisant la burka. Est-ce que les républicains d'autrefois ont interdit la soutane ou le voile pour les religieux catholiques ? Non, ce qui ne les empêchait pas d'être de scrupuleux républicains. Interdire ou ne pas interdire la burka n'est pas ce qui établit une séparation entre républicain et non républicain. Quand les cas sont peu nombreux, quand la persuasion est préférable à la sanction, quand il y a un risque de stigmatiser une communauté, on ne fait pas appel à la loi, ce n'est pas un comportement non républicain pour autant.

2- Hollande soutient "les pédagogistes de gauche qui ont détruit l'autorité du maître", dixit Guaino. Non, l'autorité du maître n'est pas "détruite" mais elle a changé parce que la société a changé, qu'on le regrette ou qu'on s'en réjouisse. Les pédagogues ("pédagogistes" est un terme polémique qui ne veut rien dire) essaient de repenser une autorité scolaire qui soit conforme aux besoins des élèves d'aujourd'hui. On peut être en désaccord avec cette perspective, on peut rêver à l'école de grand-papa, on ne peut pas sérieusement qualifier cette démarche de non républicaine.

3- Hollande s'est opposé à la suppression des IUFM, qui d'après Guaino n'était pas en accord avec la République. C'est vraiment pousser le bouchon très loin : les enseignants ont besoin de formation et de formateurs, qu'ils trouvaient dans les IUFM, peut-être mal, peut-être insuffisamment. Mais je ne vois pas en quoi leur absence, leur disparition sont particulièrement républicaines !

4- Hollande est favorable à la charte des langues vivantes et minoritaires. Et c'est cette position qui mettrait la République en danger ? Bien sûr que celle-ci est une et indivisible, bien sûr que la langue française est le ciment de la communauté nationale. Mais il n'y a pas péril en la demeure à favoriser l'expression et l'éducation des langues régionales !

Henri Guaino oppose une gauche républicaine (Chevènement, Mélenchon) à une gauche qui ne le serait pas parce que communautariste et soixante-huitarde. Le raisonnement ne tient pas : Jean-Luc Mélenchon est tout autant soixante-huitard que républicain et François Hollande n'est pas communautariste parce qu'il défend par exemple, en accord avec toute la gauche, le droit de vote pour les immigrés aux élections locales.

Et puis une gauche non républicaine serait par la force des choses une gauche anti-républicaine : on peut sans doute faire des reproches au candidat socialiste, pas celui d'être hostile à la République ! De droite ou de gauche, chacun selon sa sensibilité est républicain, François Hollande y compris, et c'est très heureux ainsi. Il n'y a qu'une triste exception : le Front national, dont les idées, les références et l'histoire ne sont pas en phase avec les traditions républicaines.

samedi 28 janvier 2012

L'homme de fer.

En regardant François Hollande jeudi soir à la télévision, j'ai pensé à Lionel Jospin. Non pas parce qu'ils se ressemblent : au contraire, ces deux candidats socialistes à la présidentielle sont opposés. Mais parce que j'ai compris pourquoi l'un avait perdu en 2002 et pourquoi l'autre pouvait gagner en 2012. Le déclic est venu d'une petite phrase, d'une image : à la question de savoir si Hollande avait l'impression de fendre l'armure comme Jospin dix ans auparavant, il a répondu que non, qu'il n'avait pas fendu mais revêtu l'armure. C'est là où j'ai tout compris.

En politique, il ne faut pas fendre l'armure. D'abord une armure ça ne se fend pas, ce n'est pas le bois qu'abattent les bûcherons, c'est du métal. Et puis une armure c'est un vêtement de guerre, une protection contre les coups durs : la politique en a l'utilité, elle ne peut pas s'en priver. Le jour où Lionel Jospin a déclaré avoir fendu l'armure, il a sans doute complu à la psychologie qui nous demande de nous livrer, mais sûrement pas à la politique qui exige de se dissimuler (François Mitterrand le savait et le faisait très bien). L'animal politique est une bête à carapace. Le roi n'est jamais nu, sinon il devient vulnérable. Jospin en 2002 a cédé à tous ceux qui le présentaient idiotement comme un psycho-rigide. Il est mort au moment même où il a renoncé à l'armure.

François Hollande a en tête cette défaite-là, comme il a en tête la victoire de François Mitterrand en 1981. On le présentait comme mou, indécis, arrangeant ? Son physique de petit gros jovial renforçait cette fausse opinion ? Il s'est transformé en homme de fer, en homme de guerre, il a enfilé l'armure comme d'autres rechargent leur fusil ou montent sur leur cheval. Hollande sait que le combat sera rude, il se doit d'être chevalier à fléau et bouclier.

Comme au Moyen Age, il a situé l'affrontement au niveau de l'honneur, celui qu'aurait Nicolas Sarkozy à ne pas vouloir perdre et le sien sans doute à vouloir gagner. Il se sent porté, c'est certain, et nous le sentons aussi avec lui depuis quelques jours : François Hollande a désormais la possibilité de devenir président de la République. Mais rien n'est fait, tout peut encore basculer dans les prochaines semaines. La droite lui reproche son arrogance. Elle a tout faux, elle confond arrogance et assurance, prétention et fierté.

L'armure de François Hollande, c'est aussi ce corps qu'il a libéré des mauvaises graisses, qu'il a forgé par la volonté, qu'il a en quelque sorte sculpté pour la bataille médiatique. Nombre de Français(e)s se reconnaîtront dans cet effort-là, à l'heure des régimes alimentaires et sportifs qui eux aussi sont de fer. Ridicule ou secondaire ? Non, la politique exige de se durcir de corps et d'esprit. Pour lutter contre l'adversaire et le vaincre, il faut commencer par se vaincre et se dominer. Être soi-même, comme nous y invite la psychologie moderne, ça ne veut rien dire : on n'est jamais soi-même quand les autres sont là, devant nous, contre nous. Même devant le miroir, on n'est pas vraiment soi-même. Rien ne vaut décidément une bonne vieille armure pour face face à la vie et aux échéances politiques, sans oublier une lance et une épée à ses côtés.

Aux arbres Saint-Quentinois !

Un lancement de campagne, c'est un moment important et même solennel dans la vie d'un parti politique. Un style, un ton, une ambiance s'installent à partir de là. C'était le cas ce matin pour les socialistes saint-quentinois, réunis dans leur local rue de Théligny pour la présentation des voeux et le début de la campagne législative d'Anne Ferreira. Les trois secrétaires de section, Jean-Luc Letombe, Jacques Héry et Jean-Pierre Lançon ont surtout dénoncé dans leurs interventions respectives la politique de Nicolas Sarkozy et de Xavier Bertrand. Jean-Luc a fait une étude fouillée de la présence de l'UMP sur l'internet, Jacques a notamment mis l'accent sur le danger de l'extrême droite.

La prise de parole la plus originale et sans doute la plus marquante de la cérémonie a été celle de Jean-Pierre Lançon. D'abord parce qu'elle a fait monter de plusieurs décibels le volume sonore des discours. Ensuite parce qu'elle a démarré par un petit jeu, cassant le déroulé habituel d'une présentation des voeux : il fallait deviner trois voeux, les gagnants repartaient avec le badge de campagne de François Hollande. J'ai deviné les deux premiers (victoire de François Hollande, victoire d'Anne Ferreira) mais pas le troisième (je ne me souviens d'ailleurs plus de la réponse).

Mais l'originalité ne s'est pas arrêtée là puisque Jean-Pierre, comme Yannick Noah au Bourget, a entonné quelques paroles de la chanson "Aux arbres citoyens", invitant le public à reprendre avec lui, se déplaçant dans la salle en une sorte de danse, à la façon d'un showman. Joignant le geste à la parole, il a effectué avec les bras mis à l'horizontal et en parallèle deux signes qui paraît-il symbolisent l'égalité (les bras ne bougent pas) et le changement (les bras remuent, toujours en position horizontale et parallèle). L'ampleur des gestes et la puissance de l'organe vocal ont fait pendant quelques secondes reculer Anne Ferreira, peut-être elle-aussi surprise par la démonstration. J'avoue que je ne connaissais pas cette sémiotique. Peut-être que dans les prochaines semaines les Saint-Quentinois se reconnaîtront dans les rues par cette petite chorégraphie politique qui célèbre avec bonheur l'égalité et le changement.

Quand la parole a été donnée à Anne, il était difficile de faire mieux en termes d'accroche du public. La voix douce a immédiatement tranché sur la virulence précédente. La cérémonie a pris un tour plus classique, Anne Ferreira rappelant combien elle pouvait compter sur nous tous pour la conduire à la victoire, en signalant la présence à ses côtés de Nora Ahmed-Ali, conseillère municipale d'opposition EELV. La chanson de Noah a dû aller droit au coeur de l'écologiste. "Aux arbres Saint-Quentinois", c'est peut-être le slogan de demain.

vendredi 27 janvier 2012

La mutation Hollande.

L'émission d'hier, Des paroles et des actes avec François Hollande, m'a totalement satisfait : un parfait social-démocrate, réaliste, sans surenchère ni démagogie, chiffrant rigoureusement son programme. Une seule toute petite critique : un langage parfois trop techno, pas assez peuple. Mais je veux aborder cette intervention télévisée sous un autre angle auquel on ne pense pas : la mutation de la culture de gauche qu'elle provoque. Sur trois points fondamentaux, il y a rupture avec les habitudes socialistes :

1- Le je au lieu de nous : la culture de gauche est fortement collective, elle se méfie autant de l'individualisme que de la personnalisation, elle a parfois du mal avec les notions de chef ou de leader (je parle ici de la culture socialiste de base). Je me souviens, il y a dix ans, d'une réunion de section où je posais la question (récurrente à Saint-Quentin) du leader. A quoi mes camarades ont répondu que chacun militant à son niveau était leader du socialisme, que nous n'avions pas besoin de patron, notion de droite. François Hollande rompt avec ce tropisme égalitariste, dit je, se met en scène, personnalise, assume une certaine solitude d'autant plus facilement qu'il n'a jamais été le représentant d'un courant au sein du parti.

2- Le pour au lieu du contre : la culture de gauche est spontanément anti, critique, protestataire, ce qui a son charme et son utilité mais aussi ses limites. On a vu en 2007 combien l'antisarkozysme était une impasse. François Hollande rompt spectaculairement avec cette posture qui est aussi une facilité. Il va jusqu'à refuser de prononcer le nom de son adversaire, ne s'adressant qu'aux Français, se concentrant sur son projet. Le socialisme traditionnel se définit essentiellement contre, la social-démocratie de François Hollande se prononce pour. C'est culturellement assez nouveau à gauche.

3- Le dirigeant au lieu de l'opposant : ce qui m'a beaucoup marqué dans l'émission d'hier soir, c'est que François Hollande se comportait comme s'il avait déjà gagné, comme s'il était dès maintenant président de la République. C'était impressionnant. Alain Juppé a parlé d' "arrogance". Mais non, Hollande n'a rien d'une personnalité arrogante ! Se mettre en situation, faire comme si on exerçait le pouvoir, penser et agir en conséquence, ce n'est pas de l'arrogance, c'est de la bonne méthode, de la pédagogie politique. On ne gagne que si on a un moral et un comportement de gagnant ! Ce n'est pas de l'anticipation (impossible) mais une utile disposition d'esprit. La victoire précède le combat alors qu'on croit faussement qu'elle en est la conséquence. François Hollande nous apprend ça : en politique il ne faut pas réfléchir et réagir en opposant mais en dirigeant, surtout quand on est dans l'opposition.

Cette mutation historique dans la culture de gauche aura des retombées dans tout le parti, y compris j'espère dans la gauche saint-quentinoise : que ses représentants assument pleinement leur rôle de leaders, énergiques et mobilisateurs, sans craindre la personnalisation et la médiatisation ; qu'ils cessent de se définir en opposition à Pierre André et Xavier Bertrand mais parlent d'eux-mêmes, de leurs actions, de leur projets ; qu'ils se comportent en futurs dirigeants, qu'ils fassent sentir que dans leurs rangs se trouvent le futur député et maire de Saint-Quentin, les adjoints et conseillers généraux de demain. Ne reste-t-il pas encore quatre jours pour présenter ses voeux ?

jeudi 26 janvier 2012

Faites-moi un signe.

A la suite de l'accident provoqué par un motard escortant Nadine Morano et François Fillon, la responsable de la Ligue contre la violence routière a utilisé l'étrange expression de "signes extérieurs de puissance" pour qualifier le cortège ministériel, sa grande vitesse et ses sirènes hurlantes. Je connaissais les signes extérieurs de richesse, mais pas de puissance. Du coup, quelques réflexions me sont venues à l'esprit à propos de cette formule inédite.

La richesse laisse facilement voir des signes extérieurs puisqu'elle se traduit matériellement par des biens. En revanche, la puissance est un concept abstrait qui ne renvoie à aucun signe particulier qui soit flagrant, sauf en monarchie la couronne, le sceptre et le trône. Mais en démocratie ? Comment montrer à l'autre qu'on détient le pouvoir ? Remarquez bien que la responsable de la Ligue contre la violence routière a dénoncé des signes extérieurs de puissance, pas des signes extérieurs de pouvoir. La puissance c'est le pouvoir qui s'exhibe, ostentatoire.

Mon expérience me fait penser que tout individu qui dispose d'une part de pouvoir veut le faire savoir et qu'il existe quelques signes extérieurs à cet effet. Dans l'activité professionnelle, nul besoin de signes : le métier se suffit à lui-même sans nécessité à l'extérioriser. Mais le pouvoir est une réalité tellement diffuse et contestable que des signes doivent lui donner vie et réalité. Je repère cinq signes extérieurs de pouvoir (et donc de puissance), présents à n'importe quel niveau, quelle que soit l'importance du pouvoir :

1- Le titre : grâce à lui, l'homme de pouvoir se distingue de la masse, des anonymes, de ceux qui n'ont pas le pouvoir. Une carte de visite chargée de titres en impose. Leur signification n'a strictement aucun importance. Ce n'est pas la fonction qui compte, c'est l'étiquette. Les noms sont souvent aussi ronflants qu'un titre nobiliaire ou qu'un haut grade maçonnique. L'essentiel est qu'ils impressionnent.

2- La cravate : même si la mode est moins impériale que naguère, le costume-cravate continue de figurer l'homme de pouvoir, indécrottablement endimanché. Un bout de tissu qui pend sur la bedaine et un quidam devient un autre homme. Sa flèche dirige vers le sexe (je laisse les psy faire sur ce point leur travail) mais c'est la tête qu'elle rehausse. En costume-cravate, un homme est plus grand qu'en jean et col roulé.

3- La place : l'homme de pouvoir, dans une réunion publique, a sa chaise réservée, aussi dure à ses fesses que n'importe quelle chaise, mais réservée et devant de la scène, en tête de l'assistance, avec parfois son nom ou son titre accrochés au dossier, ce qui change tout. Pas question que la puissance se dilue en allant s'asseoir n'importe où, au milieu de n'importe qui.

4- Le bureau avec secrétaire : à ce stade, nous entrons dans le coeur de la puissance. A défaut de palais, un bureau lui suffira et un fauteuil en cuir tout confort, pivotant, fera office de moderne trône. L'homme de pouvoir a besoin d'exercer son pouvoir sur quelqu'un : la secrétaire est là pour ça, payée pour ça. Elle lui est aussi précieuse que son téléphone mobile multi-fonctions.

5- La voiture avec chauffeur : c'est le must, le signe extérieur de puissance qui fascine et irrite le plus le pékin. La puissance n'est pas statique mais dynamique, énergique : elle doit bouger, circuler. Les chaises à porteurs et ses laquais, les carrosses et ses cochers n'existent plus mais les voitures de fonction avec chauffeur ont pour tâche de donner à la puissance son lustre. Le pékin conduit lui-même son engin, l'homme de pouvoir ne touche pas le volant, se fait transporter.

Il doit bien s'ajouter à ces signes extérieurs de puissance quelques autres. En tout cas, le pouvoir est chose trop fragile, trop ingrate, parfois trop pauvre pour que les hommes puissent se passer de ces signes qui les identifient. Sinon le roi ou nos roitelets seraient à poil. Nous devons nous en amuser et peut-être avoir pitié.

mercredi 25 janvier 2012

Voeux de gauche.

La gauche saint-quentinoise ne s'est pas donnée le mot mais ses voeux se concentrent ces jours-ci. Ce soir c'était le Front de gauche, vendredi la section (rebelle) du PCF, samedi le parti socialiste : à chaque fois ce sera l'occasion pour les partis de gauche de présenter leurs candidats aux élections législatives. A quoi il faut ajouter le lancement de la campagne présidentielle des socialistes axonais demain à Festieux, en présence de Stéphane Le Foll, bras droit de François Hollande.

Le Front de gauche à Saint-Quentin c'est nouveau et c'est un espoir pour ceux qui aspirent à une gauche normale, qui ne soit plus sous l'influence de l'extrême gauche, qui soit beaucoup plus en phase avec la ligne nationale de ses partis respectifs. La section communiste de Saint-Quentin est beaucoup plus proche du NPA que de Jean-Luc Mélenchon (pour lequel elle ne fait d'ailleurs pas campagne). C'est pourquoi la candidature Front de gauche de Guy Fontaine est la bienvenue. Son résultat électoral peut ouvrir un espace politique intéressant en vue des prochaines élections municipales.

Ce soir, il y avait beaucoup de monde lors de l'inauguration du local de campagne, 114 rue d'Isle. Clin d'oeil amusant : l'adresse est située juste en face du même local électoral qu'occupait Odette Grzegrzulka aux législatives de 1997 ! Dans l'assistance, on reconnaissait plusieurs figures du syndicalisme saint-quentinois, essentiellement CGT, FSU et SNES et des représentants du monde associatif. Gérard Brunel, premier secrétaire fédéral, et Alix Suchecki, ancienne maire-adjointe puis conseillère municipale d'opposition étaient bien sûr présents. La suppléante de Guy est Laurianne Alluchon, de la Gauche unitaire, une tendance du NPA qui a voulu rompre avec l'isolement et qui a préféré rejoindre le Front de gauche.

Dans ce genre de réunion, les discours ne sont pas ce qui retiennent d'abord mon attention (j'ai l'habitude, je connais d'avance la tonalité, rien de nouveau sous le soleil). En revanche, les discussions qui suivent, autour du buffet, sont les plus enrichissantes. C'est vraiment là qu'on mesure une ambiance, un climat, qu'on recueille éventuellement quelques informations. C'est à brûle-pourpoint, dans les conversations à bâtons rompus qu'on apprend beaucoup. J'en livre ce qui est politiquement utile aux idées que je défends, ce qui conforte les analyses qui sont les miennes, ce qui peut contribuer à la réflexion collective, si possible à une prise de conscience.

Ainsi j'ai noté que la montée du Front national préoccupait, surtout ici à Saint-Quentin, dans une sociologie de gauche qui a du mal à trouver politiquement ses marques. C'est mon point d'accord avec Jean-Luc Mélenchon : il faut reconquérir le terrain laissé à l'extrême droite, s'en prendre directement à Marine Le Pen avec toute la virulence nécessaire. De ce point de vue, l'offensive du Front de gauche va dans la bonne direction.

Autre souci : la division de la gauche saint-quentinoise, dont personne ne se réjouit. Deux candidatures communistes ça la fiche mal tout de même ! Et puis, en tant que socialiste, je me dis aussi que la candidature de Guy Fontaine, qui est un bon profil pour le PCF, mordra sans doute sur l'électorat d'Anne Ferreira. Si nous étions capables d'arriver au second tour, cette compétition serait électoralement profitable. Mais le doute subsiste tant la droite est puissante et l'extrême droite menaçante. J'espère que les uns et les autres prendront la mesure de leurs responsabilités, Corinne Bécourt et Olivier Tournay en présentant leurs voeux vendredi soir, Anne Ferreira et Guy Fontaine en se croisant lors d'une soirée privée samedi soir. Envisager le compromis est toujours préférable à la tentation du rapport de forces interne à la gauche.

mardi 24 janvier 2012

Tintin, identité et morale.

Quelques réflexions sur l'oeuvre d'Hergé, Les aventures de Tintin et Milou, à la suite de ma conférence de samedi dernier à la bibliothèque de Saint-Quentin, où j'ai soumis notre jeune héros et ses amis à une lecture philosophique :

Une constante dans les vingt-deux albums : les thèmes récurrents de la moralité et de l'identité. Tintin c'est le triomphe du bien. Il ne fait rien de mal, ne pense jamais à mal. Franchise, courage et amitié sont ses vertus majeures. La ligne claire inventée par Hergé n'est pas seulement un style graphique, c'est une clarté morale.

Que fait Tintin ? Le bien. Mais qui est Tintin ? Là c'est la ligne floue, et même le virage dangereux. Une identité personnelle se décline en quelques critères. Tintin ne souscrit à aucun, ou alors faiblement. Il n'a pas de famille, pas vraiment de métier (vaguement reporter au début), pas de maison à lui (il loge souvent à Moulinsart), sans âge précis (jeune garçon ou adulte ?), assez peu sexué (un côté androgyne), sans visage typé (rond, simple, lisse, avec pour seule originalité une houppe un peu ridicule), sans forte personnalité (il est gentillet, rien d'autres). Son nom dit tout, en l'occurrence rien : Tin-tin, la répétition stupide d'une syllabe. Personne ne s'appelle comme ça. A la limite, Tintin n'existe pas. Il incarne le bien dans toute sa transparence, c'est-à-dire sans incarnation humaine.

Ses amis sont autant de doubles obscurs de Tintin, sa face cachée, ses désirs inavouables, son refoulé assez violent. Il y a d'abord le grand copain, Haddock, dont la moralité est très discutable, à la différence de Tintin : grossier, alcoolique, violent, parfois méchant. Mais l'identité, chez lui, est très marquée : marin de profession (il le porte sur lui et dans son nom), doté d'une prestigieuse généalogie, habitant un ancestral château, d'un âge mûr et d'une virilité ostentatoire.

Tournesol lui non plus ne laisse aucun doute sur son identité, quoiqu'elle soit contradictoire, éclatée : ce scientifique est un occultiste (il se balade avec un pendule "toujours plus à l'ouest"), facilement irascible jusqu'à verser dans la folie. Sa surdité provoque des quiproquos, des malentendus, des incompréhensions. Ce professeur inventeur est l'homme du lapsus permanent. Son chapeau est rond, son pendule tourne rond, son nom évoque une plante qui tourne avec le Soleil mais lui, Tournesol, ne tourne vraiment pas rond !

Les Dupondt ont une moralité aussi douteuse qu'Haddock et Tournesol : des policiers méchants, des justiciers ridicules. Quant à leur identité, elle est problématique : ces jumeaux ne se distinguent que par la dernière lettre de leur nom et des "Je dirais même plus". Ces deux-là vivent dans le mimétisme et la surenchère. Ce sont des doubles en quête de minuscules différenciations. Lorsqu'ils veulent passer inaperçus dans un pays étranger, se fondre dans la population, ils revêtent des costumes si folkloriques que tout le monde les remarque et en rit.

Bianca Castafiore, la rare identité féminine qui apparaisse dans les récits d'Hergé : mais est-elle femme ... ou homme ? Elle est corpulente, parle fort, fait vibrer les vitres et casser les verres. "Ciel mes bijoux !" s'écrie-t-elle. A quels bijoux de famille pense-t-elle, cette créature castratrice ? "Ah je ris de me voir si belle en ce miroir", hurle-t-elle : de ce côté-là, pas de problème d'identité, c'est le miroir (déformant) qui a le dernier mot.

Séraphin Lampion c'est le plouc hilare, le représentant de commerce intarissable, la trivialité exacerbée, la normalité insupportable, le Français (ou le Belge ?) moyen dans ce qu'il a de plus moyen, aussi ordinaire et populaire qu'un lampion de fête ou de 14 juillet. Tous les personnages de Tintin ont des problèmes d'identité, tous hormis Tintin ont une moralité contestable. Milou n'y échappe pas : il est régulièrement partagé entre bien et mal, petit chien certes mais mi-loup aussi, cabotin, sale et querelleur.

Trois albums de la série cernent parfaitement les deux questions philosophiques, identitaires et morales, à l'oeuvre dans Les aventures de Tintin et Milou. Dans L'île noire et Tintin au Tibet, deux monstres se révèlent finalement être des créatures bienfaisantes. Dans L'oreille cassée, une statuette est contrefaite. Seul un bout d'oreille distingue l'original et la copie. Pour conclure : la moralité n'est pas ce qu'on croit, l'identité est fragile. Relisez Tintin.

lundi 23 janvier 2012

Un ego est (enfin) né.

Tous les commentateurs, même à droite, s'accordent à reconnaître la bonne entrée en campagne de François Hollande hier à son grand meeting du Bourget. Que s'est-il donc exactement passé ? Non pas la présentation de son projet (c'est pour jeudi prochain) mais la naissance d'un ego. Mais oui ! Jusqu'à présent, Hollande passait pour un candidat normal, un Français moyen, presque un citoyen lambda, sympathique et intéressant, pas très charismatique (voir mon billet de ce dimanche). Il en faut évidemment plus pour faire un président : avoir un tempérament, un style, une épaisseur, bref un ego. Depuis hier, depuis le Bourget, c'est fait ! (je le savais depuis longtemps mais cette vérité ne se voyait pas).

Pourtant, il est de mode depuis quelques années de dénoncer le bal des egos, de se plaindre des egos surdimensionnés. Ce sont des balivernes : la politique exige d'avoir une forte personnalité, une ambition énorme, une volonté démesurée. Qui croirait qu'on puisse réussir quand on est l'ombre de son ombre, discret, craintif, doux, pas sûr de soi et dépourvu de toute ambition ? Il y a même en politique une part d'agressivité qui est requise, sans laquelle on n'est pas crédible. François Hollande s'est enfin hissé à cette hauteur, il a tissé en lui cet ego sans lequel aucune victoire n'est possible. Laissons la dénonciation de l'ego aux moralistes et aux prêtres ; en politique ça n'a pas sa place.

Qu'est-ce qui me faire dire qu'un ego hier est né ? D'abord la mise en scène de la solitude du candidat pendant son discours : pas de brochettes d'élus ou de responsables derrière lui, comme on en voit trop souvent dans les meetings politiques (le plus drôle c'est lorsqu'il s'agit de brochettes de carpes, muets mais simplement là pour montrer qu'ils sont là !). Le grand politique n'a aucunement besoin d'être entouré. Au contraire, il se méfie des entourages qui souvent enferment pendant qu'ils soutiennent. Un possible vainqueur est un homme seul, qui ne recherche pas par anticipation la fraternité consolatrice et larmoyante des vaincus.

Ensuite l'ego se manifeste dans le discours de François Hollande par l'emploi fréquent du je. Un homme politique qui dit nous a déjà perdu. Il n'assume pas sa responsabilité, il prévoit déjà de la diluer, de partager avec d'autres les raisons de sa défaite. Malheur à qui ne veut pas assumer en politique ! Il est fichu, la population sent qu'il n'ira pas loin. Hollande assume, il parle à la première personne parce qu'il est la première personne. Cette personnalisation est renforcée par les références à son enfance, à sa vie privée dont on se fout pourtant royalement. Mais quand on veut devenir le roi, on ne peut pas s'en ficher, il faut la mentionner, montrer que tout en soi, y compris l'existence personnelle, est au service de l'ambition publique.

Enfin il y a le discours en lui-même : non pas une série barbante de mesures prononcées sur un ton monocorde mais des mots qui claquent comme un drapeau, des formules en guise de coup de fouet, tout un style qui fait l'homme, l'ego. J'ai beaucoup aimé, il y avait du souffle, de l'allure (Laurent Fabius cette fois n'a pas pu s'endormir !). Jamais le nom de l'adversaire n'a été prononcé, quoique sa politique ait été sans cesse critiquée. C'est du grand art, à quoi on reconnaît les meilleurs.

Je m'amuse parfois à voir dans certains mauvais discours (qui sont tout aussi instructifs à entendre que les bons) le nom et les idées de l'adversaire repris plus souvent que le nom et les idées de celui qui s'exprime : c'est tout de même fabuleux de faire ainsi la promotion de la personne qu'on veut abattre ! Hollande est très loin de cette stupidité, il côtoie les cimes. Qu'il continue ainsi, avec cet ego forcément surdimensionné qui mène le bal de la présidentielle : à force il finira par devenir président de la République.

dimanche 22 janvier 2012

Que vous dit cette tête ?




On aura beau faire et beau dire, s'en plaindre ou le regretter : la politique c'est d'abord une personne, donc un visage (pas seulement bien sûr). La tête passe avant ce qu'il y a dedans, les idées. Celle de François Hollande, sur l'affiche qui annonce son premier grand meeting présidentiel aujourd'hui au Bourget, que vous inspire-t-elle ? Le philosophe Emmanuel Lévinas développe toute une théorie du visage comme signe d'humanité, découverte et compréhension d'autrui. Que vous apprend la tête de François Hollande ? C'est important une tête en politique : c'est un chef, aux deux sens du terme. Et quand on veut être efficace, pas une seule doit dépasser sauf celle-là.

L'affiche est sobre, comme l'homme : costume sombre sur fond blanc. Pas de fioritures, même pas de slogan : ecce homo, voici l'homme, c'est tout. L'homme de la situation ? Ce n'est pas les socialistes qui en décideront mais le peuple français. Pas de sourire non plus, dans une époque où il est de bon ton de montrer ses dents jusqu'aux oreilles : l'homme ne cherche pas à plaire, à séduire. Il est là, tout simplement, prêt, disponible.

Cette tête porte des lunettes, ce qui est rare en politique (on se souvient des grosses montures de Chirac et Mitterrand, mais il faut remonter aux années 70-80). Aujourd'hui, la coquetterie a gagné même les hommes, qui ont recours aux lentilles. Pas Hollande, qui n'a rien à cacher : pourtant, ses lunettes sont discrètes, presque fondues dans son visage. Elles sont faites pour voir mais on les voit à peine.

Derrière les verres, le regard est doux, pas insistant. Au dessus, le front est large, les cheveux perdent du terrain. C'est une tête toute en hauteur. Un petit tiers du visage est dans une légère pénombre. Ce n'est pas à proprement parler une bonne tête (sa tête joufflue d'avant, oui) mais une tête tranquille (prélude à la force tranquille mitterrandienne ?), une tête paisible. D'elle se dégage immédiatement une impression de sérieux. Ce visage est commun, ordinaire : c'est votre conseiller financier, votre chef de service, le voisin du pavillon d'à côté, un cadre moyen, le cousin qui a réussi et qu'on invite de temps à temps à dîner. On confierait volontiers à cette tête-là son argent, ses enfants et les clés de l'appartement.

A-t-il la tête de l'emploi (présidentiel) ? Ce sont les Français qui le diront dans trois mois. La démocratie serait tellement plus simple, et bien peu démocratique, si seuls les militants choisissaient ! En tout cas, François Hollande ne sera élu que si la majorité des électeurs éprouvent un puissant désir de normalité, de social-démocratie rassurante, après cinq années de rupture et de transgression. En poussant un peu (mais quand même un peu trop), je me demande si l'alternative ne se fera pas paradoxalement entre un conservateur de gauche qui rassure (en protégeant les acquis sociaux) et un réformateur de droite qui inquiète (en voulant adapter la société au monde tel qu'il est). Le désir de socialisme n'est sans doute pas à l'ordre du jour (hélas) mais le désir de normalité oui. "Candidat normal", c'est ainsi que se présentait François il y a quelques mois.

Avant ce visage, il y a eu d'autres visages de camarades qui m'ont marqué, avec à chaque élection présidentielle une particularité, un trait qui se détachait : le sourire éclatant et permanent de Ségolène, jusque dans la défaite ; les yeux légèrement globuleux, le regard très clair, quasiment transparent de Lionel Jospin qui venait vous chercher quand vous le regardiez. Nicolas Sarkozy, ce n'était pas un visage qu'on retenait mais un corps en mouvement, la tête donnant l'impression de suivre les jambes. Chez François Hollande, rien de tout ça, rien qui ne surgisse : seulement un visage qui se donne à voir, aucune originalité, pas de signe distinctif qui viendrait perturber sa normalité. Hollande, ça pourrait être chacun d'entre nous, Français moyens.

On le compare souvent à l'autre François, Mitterrand, et paraît-il qu'il en joue. Je ne crois pas qu'un homme aussi sérieux soit très joueur. Si ressemblance il y a, elle est fortuite ou d'apparence. Dans la gestuelle peut-être ... Le verbe est parfois amusant, mais dépourvu de cette cruauté mitterrandienne qui en faisait son charme vénéneux. Surtout, le visage est trop lisse, trop fin. Chez Mitterrand, il exhibait les stigmates de l'âge, des épreuves et des défaites comme autant de blessures de guerre.

L'homme du 10 mai 1981 avait la face tragique ; Hollande non. Sa tête n'est pas assez creusée, ridée, crispée, typée. Par dessus tout, il lui manque ce port altier, ce cou souverain, ce front de majesté qui faisaient de François Mitterrand un roi et puis un "Dieu". Tout le visage du président socialiste, de la prunelle des yeux à la commissure des lèvres, exprimait une ironie retenue devant cette comédie humaine qu'est la politique. François Hollande n'est pas comme ça : sérieux certes mais sympa, une tête pas sévère, pas méchante.

En matière de visage, il ne faut pas se fier aux apparences. Cette tête que vous voyez là, en vignette, a été travaillée plus que n'importe quelle autre tête politique. Mitterrand s'était fait limer les dents, une broutille. Hollande a fait beaucoup plus et beaucoup mieux : il s'est refait une tête, amincie, rajeunie, posée, maîtrisée. Un peu comme les empereurs autrefois se faisaient sculpter un buste à leur avantage. Sauf que celui de François est taillé dans la chair, pas dans la pierre. Une tête de président ?

samedi 21 janvier 2012

L'anti-système.

On parle beaucoup en ce moment, à trois mois de l'élection présidentielle, des candidats "anti-système" : Marine Le Pen, François Bayrou et Jean-Luc Mélenchon. L'anti-système, ce serait l'idéologie à la mode, les partis qui ont électoralement le vent en poupe. Mais qu'est-ce que ce système auquel ils s'opposent ? Pour Le Pen c'est la République, pour Bayrou c'est le bipartisme, pour Mélenchon c'est le marché. Ce n'est donc pas, pour chacun, le même système.

En vérité, la notion de système ne veut pas dire politiquement grand-chose, me semble d'un usage fantasmatique et donc dangereux. Je connais le système nerveux, le système scolaire ou le système métrique mais LE système en général ça n'a pas de sens. N'étant hostile ni à la République, ni au bipartisme, ni au marché, je ne me reconnais donc pas dans leurs contempteurs.

Je ne vois qu'une seule pertinence à l'expression anti-système : c'est au sein du courant révolutionnaire, à l'extrême gauche, qui non seulement dénonce la société (le système) mais veut changer radicalement de société. C'est l'objectif du NPA, de LO et du POI mais pas de Marine Le Pen, François Bayrou et Jean-Luc Mélenchon. Or l'extrême gauche ne décolle pas dans les sondages alors que la crise financière pourrait la favoriser. Mon explication : la gauche protestataire, radicale prospère quand la social-démocratie est au pouvoir, en opposition à celle-ci (d'où les forts scores de l'extrême gauche en 2002).

Paradoxalement, les trois candidats anti-système sont plus des produits du système que des adversaires : Le Pen est une créature du système médiatique, Bayrou a longtemps été une personnalité du système politique de droite et Mélenchon du système politique de gauche (tous les deux ont été ministres et l'autre est députée européenne). Pourquoi les électeurs se laissent-ils tenter par des candidatures aussi ambiguës (surtout Le Pen et Bayrou) ? Ce n'est pas tant un vote anti-système qu'un vote anti. Anti quoi ? Anti n'importe quoi, anti tout : un désir de changer pour changer, sans espoir particulier. C'est évidemment inquiétant. Le changement n'a pas de sens en soi mais en vue d'un projet.

L'anti-système est en réalité un terme polémique, comme dans les années 30 Charles Maurras parlait de l'anti-France, en désignant ainsi les protestants, juifs, maçons et communistes. La formule était alors dépréciative, très négative, injurieuse même alors que l'anti-système passe pour valorisant, assumé, proclamé. Dans les deux cas, ce ne sont pas des expressions pertinentes et objectives.

Je ne veux pas terminer ce billet en laissant croire que je confondrais les trois candidats anti-système. L'un, Le Pen, n'est pas républicain alors que Bayrou et Mélenchon le sont. Mais celui-ci est de gauche et celui-là centriste : c'est pourquoi je souhaite personnellement à Jean-Luc Mélenchon le plus fort score possible, à François Bayrou le plus faible score possible et à Marine Le Pen de ne pas obtenir ses 500 signatures afin qu'elle soit évincée de la compétition présidentielle. Elle est contre le système ? Qu'elle en soit donc exclue !

vendredi 20 janvier 2012

Quand la politique endort.

A deux reprises ces derniers jours, Laurent Fabius s'est endormi en public pendant quelques minutes, lors des voeux de Martine Aubry et au conseil politique de François Hollande. Évidemment, cet incident minuscule fait parler et se moquer. Je veux prendre la défense de mon camarade injustement brocardé. Sa faiblesse d'un instant est parfaitement justifiée. On évoque parfois le sommeil du juste ; je parlerais plutôt ici du sommeil du sage. Oui il peut être bon et raisonnable de s'assoupir en politique.

Moi même j'ai quelquefois succombé à cette tentation : je me souviens d'une réunion avec DSK à Paris il y a quelques années où je n'ai pas pu résisté alors que je me trouvais pourtant dans les premiers rangs, très visible (on n'a souvent pas le choix de sa place, on rêve d'un fond de salle dans la pénombre). Oscar Wilde disait qu'on résiste à tout sauf à la tentation. C'est faux : on résiste à tout sauf au sommeil. Lutter contre lui ne fait que renforcer son emprise. A tout prendre, mieux vaut lâcher prise quelques minutes puis remonter à la surface, la conscience enfin éveillée.

Piquer du nez c'est atroce, c'est comme un avion qui s'écrase ou un bateau qui sombre : on n'y peut rien, on se laisse doucement aller, il n'y a qu'un sursaut qui nous sauve, mais provisoirement, car la tête s'alourdit à nouveau, les paupières pourtant si légères pèsent des tonnes. Dans ce genre de situation, il faut se garder du pire, éviter les ronflements qui trahissent un sommeil discret, prévenir le voisin qu'un coup de coude sera le bienvenu si besoin est.

Pourquoi y a-t-il donc en politique un sommeil du sage ? D'abord parce qu'un discours politique est généralement une répétition d'un discours entendu mille fois auparavant. S'endormir ne fait rien perdre de ce qu'on sait déjà, qu'on connaît par coeur, qu'on n'a pas besoin de réentendre. Ensuite la politique contemporaine, à la différence d'autrefois, a gommé tout lyrisme. Les discours sont influencés par le langage télévisuel, lisse, inodore, incolore, sans saveur. Tout ce qui pourrait éveiller les sens est mis sous le boisseau. L'ennui est plus souvent au rendez-vous que la passion.

On croit souvent que la politique est une activité de grands fauves qui s'entredéchirent. J'aimerais tellement, j'en rêve tout éveillé ! La vérité c'est que souvent on s'y emmerde, surtout dans les réunions à huit clos d'où l'on ne peut pas sortir, où il faut se farcir des interventions aussi longues qu'inintéressantes. Georges Brassens affirmait dans l'une de ses chansons que "quatre-vingt-quinze fois sur cent la femme s'emmerde en baisant" : je crois que la statistique de ceux qui s'ennuient à écouter des discours politiques n'est pas si éloignée. Que Laurent Fabius ne se sente donc pas isolé ! Les grands orateurs de jadis n'endormaient pas, c'était impossible. Aujourd'hui les prises de parole sont truffées de chiffres et de termes technocratiques prompts à relâcher l'attention et à faire glisser dans les bras de Morphée.

Ne croyez pas que mon analyse dévalorise les hommes ou les femmes politiques actuels. Ma critique n'est qu'apparente. En réalité, je ne serais pas loin de les en féliciter, tout endormant qu'ils sont souvent. Car quelle est la finalité de la politique ? Exercer le pouvoir en dominant un public de militants, d'électeurs ou de citoyens. On peut exercer cette emprise de multiples façons, par exemple en suscitant l'exaltation d'une salle, en déchaînant les passions. La société contemporaine ne favorise plus trop ce genre de domination. En revanche, le discours soporifique qui anesthésie l'assistance est d'une redoutable efficacité. J'ai souvent remarqué qu'une parole trop vive déclenchait des réactions hostiles alors qu'un ton ouaté filait très bien, laissait passer beaucoup de choses, provoquait l'adhésion sans la forcer. Quand on est dans le coton, on ne trouve rien à redire, on ne peut qu'approuver.

Et puis, le sommeil du politique n'est pas nécessairement à imputer à l'orateur, du moins pas complètement : il résulte de la fatigue. La politique est une activité harassante qui laisse peu de temps au repos. Les occasions de dormir sont rares, tout comme les occasions de rigoler. Quand l'une se présente, il faut la saisir. Être assis en train d'écouter quelqu'un, c'est ne rien faire. Autant rentabiliser ces temps morts, en profiter pour sommeiller un peu. Qu'on n'y voit pas une faiblesse mais une ruse : l'homme politique est comme l'eau qui dort, il faut s'en méfier. A vrai dire, il a du chat, il ne dort que d'un oeil. Qu'on cesse donc d'ironiser sur les assoupissements de Laurent Fabius. Que l'homme politique qui ne s'est pas déjà endormi en public lui jette le premier polochon.

jeudi 19 janvier 2012

Le coup du protocole.

Il y a le coup de la panne, agréable, le coup du lapin, douloureux. Avec Michel Aurigny et le parti ouvrier indépendant, il y a le coup du protocole. C'est reparti comme en 40, c'est à dire comme en 2008 ! Vous vous souvenez ? Le groupuscule d'extrême gauche réussissait le tour de force de faire signer au chef de file des socialistes un "protocole d'accord" municipal dont la ligne politique était très éloignée pour ne pas dire opposée à celle du PS.

Un cas d'école, unique en France, une triste particularité saint-quentinoise ! La section avait majoritairement dit non mais l'accord avait été imposé malgré tout. Il permettait aux lambertistes de nous verrouiller dans leurs orientations tout en gardant leur liberté de vote au sein du conseil municipal (ce qui donne à l'opposition cette bigarrure dans ses expressions municipales).

Et comme en 40, ça s'est déterminé par une défaite ! Depuis lors, je ne cesse de dénoncer ce marché de dupes qui a permis à l'extrême gauche de devenir plus importante que les socialistes au sein de l'opposition locale, d'imprégner de sa radicalité l'opposition de gauche. Le terrible échec des candidats socialistes aux élections cantonales a prouvé que cette stratégie opportuniste et cette ligne politique de reniement de nos convictions étaient suicidaires. On ne gagne jamais à ne plus être soi-même, en politique comme dans la vie.

Mais ce qui a été profitable au POI en 2008, pourquoi ne le serait-il pas en 2012 (en attendait de pouvoir faire rebelote en 2014) ? Voilà donc Michel Aurigny, dans les colonnes de L'Aisne Nouvelle parue aujourd'hui, nous refaire le coup du protocole, avec un petit chantage à la clé : la signature des socialistes contre un retrait ou un désistement (je n'ai pas bien compris, ce n'est pas clairement dit) aux élections législatives. Tout ce micmac n'est évidemment pas conforme à la tradition républicaine de gauche, qui veut qu'on se désiste pour le candidat arrivé au premier tour en tête, sans je ne sais quel compromis préalable ou "protocole d'accord".

Le PS est donc invité à s'asseoir une fois de plus sur ses idées. J'espère que notre candidate Anne Ferreira répondra fermement non à cette ineptie politique, les alliances avec l'extrême gauche, qui nous coûtent tant depuis quatre ans. L'an prochain, les socialistes saint-quentinois auront à se donner un nouveau chef de file, une nouveau projet et une nouvelle ligne politique. Ce sera l'occasion de mettre fin à une funeste aventure qui nous marginalise et nous décrédibilise. La vérité peut être refoulée un certain temps, pas tout le temps. Il arrive toujours un moment où les écailles tombent des yeux, où la lumière se fait même quand on a du mal à la regarder en face. C'est pour bientôt.

mercredi 18 janvier 2012

Notre pire ennemi.

C'est bien connu : les socialistes n'ont pas pire ennemi qu'eux-mêmes. S'ils ne commettent pas d'erreur, s'ils ne se divisent pas, la victoire est quasiment acquise aux élections présidentielles. Mais il faut pour cela un minimum de discipline. Un candidat a été désigné, c'est lui et lui seul qui doit fixer le cap. Sinon on n'en finit pas, les discussions sont incessantes et rien n'est jamais tranché. Il ne faut évidemment pas entrer dans cette machine à perdre alors qu'il est possible de gagner.

C'est pourquoi l'initiative de l'aile gauche du parti est fâcheuse : prétendre que les 60000 emplois promis par François Hollande dans l'Education nationale seront de pures et simples créations de postes supplémentaires ne tient pas, n'est pas crédible, au regard des difficultés financières que traverse le pays. Vincent Peillon a heureusement clarifié la proposition : les emplois se feront par remplacement des départs en retraite et redéploiement au sein de la fonction publique d'Etat.

Le pire qui puisse arriver à la gauche, jusqu'à compromettre sa victoire, c'est la remise en cause de sa compétence, de sa capacité à gérer le pays, qui ne sont pourtant pas incompatibles avec la générosité sociale et la volonté de changement. Benoît Hamon ne peut pas être porte-parole du parti et porte-parole d'un courant. L'aile gauche joue contre son camp en radicalisant inutilement le programme du candidat. Elle n'ignore pas pourtant que François Hollande est de sensibilité social-démocrate, qu'il ne s'alignera donc pas sur ses positions.

Jean-Luc Mélenchon a compris la situation et le parti qu'il pouvait en tirer, en appelant l'aile gauche du PS à voter pour lui. On aurait tort de prendre au comique cet appel : Mélenchon est un ancien membre de cette aile gauche, son représentant autrefois, il n'y a pas si longtemps, le plus cohérent, le plus conséquent. Encore aujourd'hui, bien des camarades de l'aile gauche sont culturellement plus proches de lui que de François Hollande, même s'ils restent au sein du parti, mais pour d'autres raisons.

Je souhaite que lors de son premier grand meeting dimanche au Bourget François Hollande fasse taire ces dissensions, trace son chemin et ouvre l'espérance.

mardi 17 janvier 2012

500 paires de claques.

Un sondage m'apprend que 55% des Français souhaitent que Marine Le Pen obtienne ses 500 signatures pour concourir à l'élection présidentielle (les sondeurs n'ont-ils pas plus important et plus intelligent à demander ?). Je fais partie des 45% qui ne le souhaitent pas. Ma joie serait grande de ne plus voir la virago du Front national polluer mon écran de télévision. Après chacune de ses apparitions, je me sens presque obligé de passer le torchon. La démocratie ne perdrait rien à la disparition de sa bobine et de ses "idées" (qui sont plutôt des éructations). A la voir et à l'entendre, on a vraiment envie de dégobiller.

Je veux donc que les 500 signatures lui passent sous le nez. J'appelle les maires des petites communes, de droite, de gauche et de nulle part, qu'elle drague lourdement, à congédier la mégère de l'extrême droite. Mais la démocratie ? me direz-vous. La mère Le Pen se fout de la démocratie, donc je me fous de la mère Le Pen. C'est ma logique à moi.

Soyons sérieux : la démocratie c'est le respect de la loi. La loi c'est qu'il faut 500 signatures pour se présenter à la magistrature suprême de la République. Cette règle est sage (elle écarte les farfelus) et n'a jamais empêché personne d'être candidat (Lutte ouvrière par exemple a toujours eu ses signatures, sans difficultés). Que la rombière du FN peine à la tâche c'est son problème, pas celui de la République. Si les élus ne veulent pas la parrainer, c'est qu'elle est à juste titre infréquentable.

Mon rêve c'est une France propre, sans FN. Un lecteur m'a rapporté que les fachos avaient distribué samedi matin sur le marché de Saint-Quentin. Si vous les croisez au même endroit la prochaine fois, dites-leur avec moi, puisque le slogan est à la mode : dégage ! Un marché est un lieu de paix et de convivialité ; ces tristes guignols n'ont rien à faire là. Quant à leur patronne, je lui donnerai volontiers les seules signatures qu'elle mérite : 500 paires de claques. Elle a la tête à ça.

lundi 16 janvier 2012

Sagesse et folie.

Je suis allé ce dimanche à Paris, dans une réunion de philosophes, pour me changer les idées. J'ai cru me retrouver dans une réunion de section de n'importe quel parti politique quand il rencontre des problèmes : querelles de personnes, foire d'empoigne, mauvaise foi. Les plus sages eux aussi peuvent devenir les plus fous. La politique débouche rarement sur la philosophie mais la philosophie peut basculer dans la politique. Pour mon changement d'idées c'était raté !

Qu'est-ce qui pourrit la politique autant que la philosophie ? Trois constantes :

- L'absence de leader : chacun se sent des ailes pour le devenir puisqu'il n'y en a pas. Le plus difficile en politique c'est l'autorité, la légitimité, bref le leadership. Quand une communauté dispose d'une référence, d'un repère, d'un modèle, tout va, quelqu'un peut rassembler et trancher en cas de conflit. A défaut, tout explose.

- Le rapport de forces : c'est l'abdication de l'intelligence, de la confrontation d'idées, du débat fraternel. Chacun cherche à regrouper les siens, à réagir en clan : avoir du monde derrière soi devient la seule préoccupation, avoir raison est relégué au second plan. A la limite, le mensonge est préférable tant qu'il rapporte, tant qu'il permet d'établir un rapport de forces favorable. C'est détestable.

- La recherche du pouvoir : imposer son point de vue, dominer les autres, être mu par la seule volonté de puissance, aspirer à la reconnaissance, c'est le nerf d'une certaine pratique politique, hélas répandue. Mes philosophes s'y adonnent autant que mes politiques. Serait-ce dans la nature humaine ? Peut-être mais on peut s'en extraire, y échapper. Si une partie de la gauche prône la politique autrement depuis longtemps, c'est pour cette raison-là.

Mes philosophes vont se calmer, j'en suis certain. La réflexion apaise, la sagesse finit par l'emporter. Avec mes politiques c'est plus délicat, plus difficile : rapport de forces et recherche du pouvoir sont leur culture, leur habitude, une seconde nature en quelque sorte. Il n'y a que la présence d'un leader qui peut réguler, élever, donner un sens, imposer une certaine sagesse. Sinon c'est le caca.

dimanche 15 janvier 2012

Des voeux plein les yeux.

La cérémonie des voeux est un genre à part entière dont la France est championne du monde. Jusqu'à la fin janvier, les agendas sont en surchauffe : tout ce que le pays compte de gens plus ou moins importants se sent le devoir de présenter solennellement ses voeux comme on lance des fleurs au public. Et celui-ci généralement aime ça puisque les salles sont garnies, amuse-gueule et champagne aidant à faire passer les discours. Cette présence est méritante : on n'apprend rien ou pas grand-chose, parfois même on s'ennuie mais il faut en être, c'est l'essentiel.

La presse locale rapporte ce qui se passe dans ces assemblées où il ne se passe rien. Villes, villages, établissements, associations c'est la totale ... et c'est passionnant. Mine de rien, on peut tirer pas mal de choses de ce néant plein de politesses et de conventions. Ainsi j'ai pu remarquer cinq figures de style dans le déroulement des voeux, cinq choix qui ne sont pas anodins :

1- Précoce ou tardif : c'est la question du bon moment, de l'instant opportun, avec ses deux écoles, ceux qui pensent qu'il faut devancer tout le monde, être parmi les premiers, début janvier, ceux au contraire qui estiment qu'il faut laisser passer la déferlante et se concentrer sur la fin de mois. Xavier Bertrand est de la première école, il opte pour le premier vendredi du mois ; les socialistes saint-quentinois appartiennent à la seconde école, présentant leurs bons voeux le 28 janvier. Qui a raison, qui a tort ? Qui est efficace, qui ne l'est pas ? Cette querelle tacticienne n'est pas close. Le Parti radical de gauche dans l'Aisne a une position originale et forcément radicale : il organise sa cérémonie en début ... février. Et s'il me venait à l'esprit, pour mes voeux associatifs, de faire ça à la mi-août ?

2- Court ou long : les voeux de Pierre André étaient relativement brefs ; ceux de Xavier Bertrand sont un peu plus longs. Là aussi le choix se discute, deux paramètres sont à prendre en compte : les oreilles qui se sont déplacées exprès doivent en avoir pour leurs frais mais les jambes qui font le pied de grue méritent la pitié ... et la concision. Jean-Jacques Thomas est dans la durée ce que les radicaux de gauche axonais sont dans la date : un original, un provocateur puisque le maire d'Hirson tient en haleine son public entre trois et quatre heures, avec un hausse tendancielle du temps de discours d'année en année. Les adversaires et les moqueurs le comparent volontiers à Fidel Castro en prolixité. Peut-être le prend t-il pour un compliment ?

3- Debout ou assis : c'est le dilemme entre liturgie orthodoxe (les fidèles sont debout dans l'église) et messe catholique (il y a des rangées de chaises). Certes la présence de sièges est rassurante pour les jambes mais inquiétante pour les têtes : c'est le signe que le discours va être long. Je crois remarquer, en observant les photos des journaux, que la position debout est la plus répandue. Mais il en va comme des positions amoureuses : c'est la diversité qui compte et le plaisir doit être grand puisque ses adeptes sont nombreux au rendez-vous.

4- Seul ou à plusieurs (là je ne me permettrai pas de faire un parallèle avec l'ébat intime) : normalement les voeux du maire ne sont prononcés que par le maire, avec un fond d'élus, en brochette ou en demi-lune. A Saint-Quentin, Xavier Bertrand fait carrément monter toute son équipe, et même un peu plus, sur scène. Mais pas question que les figurants parlent : le pouvoir ne se partage pas, l'allocution des voeux encore moins. Le premier magistrat de la commune doit tenir son rang, rester le premier et l'unique, en toute souveraineté. Mais certains maires se laissent aller à des pulsions démocratiques. Ainsi Danielle Lanco, à Flavy-le-Martel, a été suivie dans ses voeux par cinq autres personnalités, forcément toutes aussi importantes les unes que les autres : le vice-président du conseil général de l'Aisne Roland Renard, la vice-présidente du conseil régional de Picardie Anne Ferreira, le sénateur Yves Daudigny, la députée Pascale Gruny et le sous-préfet Jacques Destouches, rien que ça ! Mais comment fait Danielle Lanco pour attirer tant de beau monde ? Résultat des courses (car nous sommes dans un marathon) : une heure de discours et Jean-Jacques Thomas, à un contre six, toujours pas battu !

5- Consensuel ou polémique : normalement, quand on se souhaite une bonne année et plein de choses qui vont avec, l'harmonie devrait l'emporter, la paix, l'amitié, la joie. Mais non, cette chienne de politique reprend vite ses droits : sous-entendus, bisbilles, incidents ne sont pas à exclure, d'autant que la période est propice : "Touche de nouveauté cette année, jamais on n'a vu autant de politiques à toutes ces cérémonies. Ah oui, est-on naïf, 2012 sera marqué par des élections", remarque Cyril Raineau dans le Courrier Picard de ce matin. A Jussy, il y a eu une embrouille et à l'hôpital de Saint-Quentin Xavier Bertrand aurait visé Anne Ferreira en disant : "Une élue m'a reproché que le ministre de la Santé avantageait Saint-Quentin" (rapporté par L'Aisne Nouvelle de ce week-end). Ces deux-là, qui vont s'affronter aux élections législatives, se marquent de plus en plus à la culotte, jouent au chat et à la souris. Pour l'instant, c'est XB qui donne des coups de patte. Mais tout est provisoire en politique : une souris ça mord aussi.

Je me moque gentiment, je m'amuse parce que c'est de mon âge, la cinquantaine, mais soyons honnête : moi aussi j'ai succombé à la cérémonie des voeux, j'ai présenté comme chaque année les miens aux salariés de la Ligue de l'enseignement de l'Aisne (la FOL) dont je suis président depuis huit ans. J'ai donc dû à mon tour faire des choix entre les figures de style : je m'y suis pris très tôt (le 3 janvier), j'ai fait court (cinq bonnes minutes), les salariés étaient debout, j'ai donné la parole à deux élus et à notre directeur, l'ambiance était sympathique, pas conflictuelle. Voilà c'est dit, bonne année et tenez bon jusqu'au 31 janvier !

samedi 14 janvier 2012

Naufrages.

Y a-t-il une mystérieuse loi des correspondances ? Faut-il voir des signes éloquents dans l'actualité ? Je n'y crois pas trop mais certaines coïncidences sont troublantes et signifiantes. Voyez ce drame du Costa Concordia, l'évocation à son propos du Titanic et la perte du triple A. Rien à voir ? En effet, aucun rapport mais quand même, dans la singularité de ces trois événements, trois formes de naufrages qui entraient, hier, en corrélation.

Le jour où l'économie française se voit dégradée, un bateau de croisière s'échoue, bascule dans la mer, provoque des scènes de panique que les témoins assimilent à celles du film de James Cameron. Pourtant, les deux naufrages sont incomparables : le Titanic s'est fracassé contre un iceberg, a plongé dans les eaux froides de l'océan, a fait plus d'un millier de victimes. C'est l'écart entre le drame et la tragédie.

Je persiste néanmoins à chercher des enseignements dans la métaphore. Ces bateaux gigantesques, Costa Concordia et Titanic, nous fascinent parce qu'ils symbolisent nos sociétés, en sont des reproductions à petite échelle. Quand on y réfléchit, on repère les différences et les similitudes. Le Titanic représente un monde aristocratique de luxe et d'élégance qui domine le haut du navire, le bas étant occupé par le peuple, essentiellement des immigrants pour le Nouveau Monde (Cameron le montre bien). C'est une société de classes très tranchées, séparées.

Le Costa Concordia est massivement emprunté par les classes moyennes, non plus dans une traversée de prestige ou de nécessité comme les passagers du Titanic mais de repos et de distraction, à l'image de la société des loisirs : ce sont des touristes, ce que n'étaient pas les pauvres ni les riches du Titanic.

Les deux catastrophes en disent long sur leur époque et aussi sur le malheur qui va les frapper. La perte du A français ne va pas empêcher notre société de vivre : le crédit en sera inquiété mais les consommateurs n'en seront pas fondamentalement affectés. Le naufrage du paquebot italien a fait des victimes mais n'a pas englouti toute une population, à la différence du Titanic. Comment ne pas songer que la disparition de celui-ci, en 1912, annonçait à sa façon, entrait là aussi mystérieusement en correspondance avec un événement qui allait sacrifier des millions d'individus et détruire la vieille civilisation aristocratique dominant l'Europe depuis plusieurs siècles, la première guerre mondiale.

Je ne suis évidemment pas superstitieux, je ne force pas la concordance des événements. Je pense simplement par associations d'idées, qui m'apprennent quelque chose sur ce que nous sommes et devenons. Une société est sans cesse confrontée à son propre naufrage qui entre en phase avec les catastrophes maritimes. L'économie contemporaine s'enlise, comme le Costa Concordia, dans les sables mouvants de ses propres contradictions, mais je ne la crois pas en voie d'effondrement, de décadence, d'anéantissement, comme le monde que transportait le Titanic.

Bravo JJT !

C'est ce matin le gros titre de L'Aisne Nouvelle : Jean-Jacques Thomas n'ira pas, ne sera pas candidat aux prochaines législatives ! Une surprise et pour moi un soulagement. Une fois de plus, toutes les personnes prétendument bien informées se sont plantées : elles annonçaient que le premier vice-président du conseil général de l'Aisne ne pensait qu'à ça, ne voulait que ça, la députation. La preuve que non !

Pourquoi je suis soulagé ? Parce que je voyais d'un mauvais oeil l'affrontement Bricout, maire de Bohain, et Thomas, maire d'Hirson. Le rapport de forces entre camarades, c'est la pire chose qui puisse arriver à des socialistes (à Saint-Quentin, nous en savons quelque chose !). Il en reste toujours des traces, la division à l'issue de l'épreuve et le risque de défaite face à la droite. Jean-Jacques a été sage, bravo !

Et ce n'est pas rien de le dire : mon camarade avait des chances réelles de devenir député, il en avait parfaitement la légitimé et l'envergure. Renoncer à une telle possibilité n'est pas une décision facile. C'est pourquoi mon bravo est à la mesure du sacrifice (le mot n'est pas excessif). J'en vois tant qui se présentent à n'importe quoi pour récolter quelques misérables voix qu'ils pourront monnayer d'une façon ou d'une autre par la suite ... J'ai toujours pensé que le rapport de forces (entre socialistes bien sûr, pas à l'égard de la droite) était l'ultime recours des faibles.

Thomas contre Bricout c'était jouer perdant-perdant : soit Bricout l'emportait et les socialistes auraient eu bonne mine de voir leur premier secrétaire fédéral désavoué ; soit Thomas gagnait et c'est Balligand qui était touché, son successeur désigné étant récusé. D'autant que Frédéric Meura, un bon candidat pour la droite, est une sérieuse menace. Entre socialistes, l'unanimité de candidature est toujours la meilleure solution, sauf quand des divergences fortes sur la ligne politique obligent à des candidatures séparées (mais c'est plutôt rare).

Qu'est-ce qui a poussé Jean-Jacques Thomas à faire ce choix ? Je ne sais pas, je ne suis pas dans la confidence des dieux, ne croyant pas en leur existence, même si l'idolâtrie est fréquente en politique. Peu m'importe d'ailleurs les pensées ou les arrière-pensées : c'est le résultat qui compte. Thomas a été intelligent en préférant sa ville et son département à un siège au palais Bourbon. L'enracinement local doit prévaloir en politique, sauf à prendre le risque de tout perdre à force de vouloir tout gagner. Chapeau Jean-Jacques ! Que d'autres veuillent bien s'en inspirer ...

Rue des Patriotes.

Il y a des semaines qui finissent mal. Hier soir, je vous racontais cet échange aigre-doux avec un camarade, à la suite d'une remarque déplacée de sa part. Ce matin, comme un fait exprès, je me retrouve confronté au même problème, dans un tout autre contexte. En remontant la rue des Patriotes à Saint-Quentin, j'aperçois au loin, vers 11h45, deux personnes qui se déplacent d'une façon caractéristique qui ne trompe pas, que j'identifie immédiatement : ce sont des militants ! Ils ont des papiers, tracts ou prospectus entre les mains, ils discutent avec un inconnu, ça se voit, ça se sent, même de loin. J'ai l'oeil et le pif exercés, je reconnais très vite.

Qui sont-ils ? D'où je suis, à quelques dizaines de mètres, je parierais que ce sont des UMP : jeunes, le look sage, le vêtement classique. A la limite, ce pourrait être des Témoins de Jéhova ou des évangélistes (pas Mormons, je ne vois pas la chemise blanche éclatante et le petit rectangle noir au veston). Je m'approche comme si de rien n'était, et plus je m'approche plus je me dis que ce sont peut-être ... des socialistes du MJS (dont les visages me sont inconnus). Qu'est-ce qui me fait penser ça ? Je ne sais pas, leurs têtes sans doute, cheveux épais, barbes légères, habits simples, allure sympa. C'est très subjectif, évidemment.

J'arrive à leur hauteur, et tout près d'eux je jette un coup d'oeil sur leurs brochures pendant qu'ils continuent à parler au quidam. Alors tout s'écroule, je reçois une grosse baffe (ne venant pas d'eux, puisqu'ils ne me regardent pas passer, mais au fond de moi) : ce sont des mecs du FN, j'identifie très clairement leurs saloperies sur leurs papelards. Il y a quelques jours, leur chef Yannick Lejeune annonçait dans la presse locale la création d'une section du Front national de la Jeunesse. Je n'y croyais pas, je pensais que c'était du flan. En période préélectorale, ce genre d'annonce fait bien. Mais là, ça me fait mal parce que manifestement c'est vrai. Et c'est grave.

La rue saint-quentinoise a longtemps été réservée à la gauche. Le porte à porte, ce n'était pas trop dans la culture de l'extrême droite. D'ailleurs, ses militants étaient largement absents du terrain, y compris au moment des élections. Je crains que nous n'en soyons plus là. Le FN s'installe dans notre ville. Ses victoires, notamment aux dernières cantonales, lui donnent manifestement de l'assurance et des ambitions. C'est logique, ça ne pouvait que finir comme ça. Et encore n'avons-nous peut-être pas tout vu : le pire pourrait bien être à venir, si nous n'y prenons pas garde, si nous ne réagissons pas.

Pas facile : les jeunes que j'ai aperçus ce matin n'ont pas du tout des têtes de facho. Il faudra mener un vrai combat politique pour les chasser des rues et des esprits. Sinon ça va faire mal, très mal. Et quand je pense que j'ai rencontré ces types rue des Patriotes ! Comme si le destin ou le hasard me faisaient un sale clin d'oeil. Patriotes tu parles ! Le FN n'a rien renié de son pétainisme fondamental. Jeunes ou vieux c'est pour moi de la graine de facho, des jeunes pousses qu'il faut éradiquer (pacifiquement et démocratiquement bien sûr, car la violence idéologique est de leur côté, pas du nôtre).

vendredi 13 janvier 2012

Le ver est dans la rose.




"Marine Le Pen ne dit pas que des choses fausses". Je suis tombé sur le cul, excusez-moi de l'expression, quand j'ai entendu un camarade me dire ça ce matin. Je sais bien que nous sommes un vendredi 13, mais il paraît que ce n'est pas nécessairement un signe de malheur. La preuve que oui ! Ce camarade est socialiste certifié, je n'en doute pas. Et pourtant cette petite phrase jetée négligemment, au détour d'une conversation, à la façon d'une évidence, presque d'une banalité, m'a fait froid dans le dos. Ce pourrait-il que lui, dans le secret de l'isoloir, le rideau tiré, personne ne pouvant le voir ... Mais non, je n'arrive pas à le croire, j'écarte de ma pensée l'horrible hypothèse.

J'en fais peut-être trop, j'exagère, je m'inquiète pour rien, je dramatise inutilement : après tout, sa formule n'est pas si terrible que ça, quand on y réfléchit bien. Oui mais voilà : en politique, il ne faut pas trop réfléchir, tout est question d'instinct, de sensibilité. Oui c'est vrai, en cherchant bien on peut affirmer sans se tromper que "Marine Le Pen ne dit pas que des choses fausses". D'ailleurs mon camarade reconnaît implicitement, dans son propos, que la candidate du Front national "dit des choses fausses", ce qui est rassurant de lucidité. C'est sa réserve qui m'embête : car qu'est-ce que Marine Le Pen pourrait-elle dire de vrai, selon lui ?

Et puis, pourquoi faire cette précision, qui vaut pour n'importe qui, pour n'importe quel autre leader politique ? Sarkozy lui aussi ne dit pas "que des choses fausses". Mais le camarade s'est fixé sur Le Pen : c'est elle qui l'intéresse, manifestement. D'autre part, le problème n'est pas tant de savoir si Marine Le Pen dit "des choses fausse" ou pas mais des choses bonnes ou dégueulasses. Or, quand on est de gauche (et même de droite), on ne doit pas hésiter : la pensée du Front national, son programme, ses slogans méritent d'être immédiatement disqualifiés, condamnés. Mon camarade n'en est plus là, et c'est effrayant. Je sens que la petite porte s'est ouverte, que le ver s'est tranquillement installé dans la rose. Je t'en ficherai, moi, des "Marine Le Pen ne dit pas que des choses fausses" !

Amis de gauche et de droite, républicains de diverses sensibilités, je vous le dis tout haut : j'ai très peur, je sens le poison de l'extrême droite se diffuser dans toute la société française, y compris jusqu'aux milieux progressistes, où l'on devrait normalement n'avoir pas la moindre indulgence avec la fille Le Pen et ne jamais prononcer cette phrase ambiguë, vicieuse, douteuse, "Marine Le Pen ne dit pas que des choses fausses". Le père avait une tête et des mots de facho, ce qui faisait barrage à la séduction, quoique très relativement. Mais la belle petite gueule de la blondinette, son honorable métier d'avocat, son discours moderniste de plus en plus emprunté à la gauche, toute cette image risque de faire des ravages dans les milieux populaires, dans l'électorat progressiste.

Décomplexé, dédiabolisé, banalisé, reconnu et désormais respectable, voilà hélas ce qu'est devenu le FN aux yeux de nombreux électeurs au départ hostiles, maintenant attentifs, pourquoi pas compréhensifs à son message. C'est ainsi qu'on en vient à déclarer, sans prendre conscience de l'énormité, que "Marine Le Pen ne dit pas que des choses fausses". Et demain que dira-t-on ? Que "Marine Le Pen dit pas mal de choses vraies". Et après-demain ? Qu'on songe à voter pour elle, lâchement, sans rien dire à personne. On va où, jusqu'où comme ça ? J'ai peur. Une odeur de fosse septique monte des tréfonds de la société française. J'ai trop été traumatisé par le 21 avril 2002, dix ans déjà, je ne veux pas revoir le même scénario en pire. Je dédie cette affiche du dernier numéro de l'excellent Charlie hebdo, en vignette, à ce camarade qui m'a tant fait peur aujourd'hui. A son tour d'être traumatisé, s'il a encore une conscience de gauche !

jeudi 12 janvier 2012

Osons être de gauche !

C'aurait pu être le premier vrai débat politique de la campagne des présidentielles. Il s'est misérablement achevé en polémique. Le porte-parole de François Hollande a proposé la suppression du quotient familial et son remplacement par un crédit d'impôt. La droite a vivement réagi, parlant de "folie", de "danger", de "guerre". Le candidat a précisé ses intentions : il ne s'agit que d'une proposition, qui ne vise pas à la suppression mais à la modulation du quotient familial. Fin de la polémique, pas de débat.

Je le regrette. La suppression du quotient familial, je suis pour. C'est une mesure forte comme la gauche en a besoin. Il faut frapper l'opinion, mobiliser notre électorat, mener la bataille idéologique, à la façon de Nicolas Sarkozy en 2007. Osons être de gauche comme il a alors osé être de droite ! Le quotient familial c'est quoi ? Un dispositif fiscal qui devient techniquement compliqué quand vous entrez dans les détails et les cas particuliers. C'est pourquoi il ne faut jamais aller sur ce terrain-là, trop facile à l'adversaire. Ce qui compte, c'est seulement la signification politique, et celle-là tout le monde la comprend.

Le quotient familial repose sur un principe très simple : plus vous avez d'enfants, moins vous payez d'impôts. La raison ? Il faut les élever, les allocations familiales n'y suffisent pas. Sauf que la moitié des Français ne paient pas d'impôts parce qu'ils ne gagnent pas suffisamment d'argent pour en payer. Eux ne bénéficient donc pas du fameux quotient, alors qu'ils ont beaucoup plus de difficultés que les autres à élever leurs enfants. Plus vous êtes riches, plus vous avez d'enfants, plus on vous soulage fiscalement. Le quotient familial est donc injuste, il faut le supprimer.

Pourquoi la droite y tient-elle ? Parce que c'est dans ses gènes, comme dirait Xavier Bertrand (à propos d'autre chose). Idéologiquement, elle idéalise la famille, en fait la base de la société. La norme c'est papa maman et enfants. Un monde de célibataires, de concubins ou de couples sans progéniture n'entre pas vraiment dans sa vision. Moi ça ne me dérange pas. A mes yeux, mariage et procréation ne sont pas en soi des valeurs supérieures que le fisc devrait récompenser et encourager.

Du point de vue de la société, n'est-il pas cependant logique d'encourager la natalité ? Oui éventuellement. Mais pas fondamentalement par des avantages fiscaux. C'est plutôt par l'emploi, les bonnes conditions de travail, les salaires corrects, l'avenir assuré des enfants que des hommes et des femmes, s'ils le souhaitent, s'engagent à fonder une famille. Surtout, il faut encourager la natalité dans la justice : d'où l'idée du crédit d'impôt pour tous en remplacement du quotient familial réservé à certains.

Cette réforme aurait un impact considérable. La mécanique de la redistribution, chère aux socialistes, serait ainsi puissamment réactivée, par un vaste transfert financier des catégories aisées aux catégories populaires. Les premières seraient perdantes ? Si vous voulez, mais je crois qu'au niveau confortable qui est le leur on n'est jamais vraiment perdant, on a suffisamment de marge pour voir venir. Et puis la politique consiste à faire des choix et non pas à faire plaisir à tout le monde. Si les catégories supérieures doivent y perdre, je ne dis pas tant mieux (je ne suis pas un révolutionnaire qui cherche à les spolier) mais tant pis !

Pourquoi mes camarades, qui savent tout ça et qui pensent comme moi, hésitent-ils à revendiquer fièrement la suppression du quotient familial ? Parce qu'ils partagent une religion aujourd'hui très répandue et que je ne cesse de dénoncer, la religion des classes moyennes. Comme Dieu, elles sont partout, presque tout le monde semble en faire partie, les discours politiques s'y réfèrent comme une litanie, personne n'ose s'élever contre elles (les riches sont décriés, les pauvres sont méprisés, les moyens sont vénérés), chacun est fier d'en être (j'en suis !), on ne sait pas à vrai dire ce qu'elles sont exactement tellement elles regroupent de catégories différentes, on croit volontiers qu'elles seront la clé du prochain scrutin présidentiel (encore aujourd'hui Christophe Tézier dans son éditorial de L'Aisne Nouvelle).

Cette religion des classes moyennes est en réalité une superstition, une baudruche si grosse qu'il est facile de la faire éclater. Pour la gauche, ce ne sont pas les illusoires classes moyennes qu'il vaut viser, mais les classes populaires. Ce sont elles, et elles seules, qui décideront du résultat. Si nous parvenons à les arracher à l'extrême droite et à les mobiliser autour d'un programme de gauche, ce sera gagné. La suppression du quotient familial n'aura d'effet positif qu'en direction des classes populaires. Les classes moyennes dans leur majorité n'y perdront rien (mais n'y gagneront rien non plus, c'est un fait). Là encore, il faut savoir ce qu'on veut, quels choix on fait. La petite bourgeoisie est fort estimable, ce sont mes amis. Mais un socialiste doit d'abord penser aux classes populaires (ce sont mes origines).

La classe moyenne c'est comme la génoise : le corps du gâteau est fait de biscuit sec avec une couche de chocolat ou de confiture au milieu. Le biscuit c'est le gros de la classe moyenne ; le nappage c'est la classe moyenne supérieure, c'est à dire les gens aisés qui refusent de se dire riches. Vous avez compris : ce n'est pas la cerise (trop voyante) sur le gâteau, c'est la fève (assez volumineuse) dans la galette. Ne cherchez pas le peuple : il est du côté de la brioche !

Je termine par où j'avais commencé : les attaques de la droite contre François Hollande. Quelques camarades se scandalisent. Moi je me réjouis : en politique les critiques, les agressions, les injures sont des brevets, des décorations, des médailles. Le pire est de susciter l'indifférence. Hollande fou dangereux ? Traduction : c'est un excellent candidat pour la gauche, c'est un sérieux danger pour la droite. Vivement les prochaines attaques ! Et à bas le quotient familial ! Politiquement, la mesure ne va pas de soi. Elle ne peut être défendue que par tout un travail de pédagogie qui désarme les préjugés (destruction de la famille, atteinte aux classes moyennes, etc). Mais je viens de dire que la politique était un combat ...

mercredi 11 janvier 2012

Le cadeau de Coco.

Vous vous souvenez que dans mon billet du 29 décembre j'offrais des étrennes aux politiques saint-quentinois, dont la communiste orthodoxe Corinne Bécourt, à laquelle j'avais réservé un superbe portrait de Georges Marchais, pour qui elle a beaucoup de nostalgie. Coco (c'est ainsi que je l'appelle dans l'intimité, et elle Moumousse) n'est pas ingrate, elle m'a offert à son tour un cadeau, annoncé dans L'Aisne Nouvelle d'hier. Merci Coco.

C'est un cadeau singulier, puisqu'il n'est pas adressé exclusivement à moi. Je dois le partager avec ... Xavier Bertrand. Avouez que c'est embêtant. Je ne sais pas trop comment je vais m'y prendre, et quand vous saurez de quoi il s'agit vous comprendrez mon embarras. Car le cadeau a une moustache et des lunettes. Non, ce n'est pas une sorte de baigneur ou de Ken, c'est carrément un être humain vivant ! Corinne a toutes les audaces. L'homme porte un nom, comme tout le monde : il s'appelle Guy Fontaine (candidat communiste officiel aux prochaines législatives, contre Corinne Bécourt, candidate communiste dissidente).

C'est écrit dans le journal, je cite : "Les électeurs ne veulent pas d'un accord à la mords-moi-le-noeud. La candidature de Guy Fontaine c'est un magnifique cadeau au ministre et au PS". Vous voyez, je n'invente rien. L'accord "à la mords-moi-le-noeud", je ne sais pas trop de quoi il s'agit. Je suppose que ça doit faire très mal. Les alliances de la gauche avec l'extrême gauche par exemple sont vraiment "à la mords-moi-le-noeud", parce qu'elles sont politiquement et électoralement très douloureuses, très coûteuses surtout quand on est socialiste. Mais je ne pense pas que Corinne songe à ça.

J'irai chercher mon cadeau demain à 18h30, dans la salle Europe, rue Henri Barbusse à Saint-Quentin, où le Front de Gauche, qui présente la candidature de Guy Fontaine, tiendra une assemblée citoyenne. Je crois finalement que je vais garder le cadeau pour moi tout seul. Tant pis pour Xavier Bertrand ! Encore merci Coco.

mardi 10 janvier 2012

Hier la fin du monde.

Vous avez sans doute entendu dire que la fin du monde c'était pour cette année, notamment selon le calendrier des Mayas (que je ne connais pas). Mais saviez-vous que la fin du monde avait eu lieu hier ? Ce matin pourtant, en ouvrant mes volets, je n'ai rien remarqué : le monde semblait toujours debout. C'est en allumant la radio et en écoutant les journaux que j'ai compris : la fin du monde avait eu lieu la veille, en fin d'après-midi.

L'endroit ? Un tunnel de RER, un bon endroit pour voir finir le monde : sous terre, plus rien n'existe de la surface. Quelques centaines de personnes, voyageurs de la rame, ont été les témoins de l'événement (ce qui explique qu'on ne l'ait pas su immédiatement). Je ne galèje pas : "apocalypse" et "enfer" ont été les termes les plus fréquemment employés par les témoins et les journalistes pour décrire ce qui s'est passé. Il ne manquait que la formule "fin du monde", mais les commentaires la suggéraient implicitement.

Les faits ? Un train de RER tombe en panne entre Etoile et La Défense, à l'heure de pointe, dans la foule des bourgeois et hommes d'affaires qui fréquentent ces quartiers. La fin de monde s'en prenait donc à la tête de la civilisation, comme si on menaçait de décapiter un canard. Il leur a fallu attendre trois heures, l'évacuation se faisant progressivement. Une fin du monde un peu particulière : pas de mort, pas de blessé, pas de destruction mais pire que tout ça, une peur, une angoisse, une frousse de fin du monde !

D'abord l'obscurité, le conducteur ayant dû par sécurité couper le courant : malgré les veilleuses, la pénombre est anxiogène, elle annonce la mort. Les confortables wagons s'étaient brusquement transformés en possibles cercueils. Et puis il y a la séparation d'avec le reste de l'humanité : impossible de communiquer avec l'extérieur, pas de réseau, le téléphone mobile inutilisable ! Vous imaginez le drame pour un cadre supérieur ou tout autre individu ... C'est comme si notre identité nous était arrachée. C'est ce que promet la fin du monde, qui est surtout la fin de chacun d'entre nous.

Le conducteur a demandé aux passagers d'attendre sagement que les secours les délivrent, ce qui prend inévitablement un certain temps. Mais qui accepte aujourd'hui, dans la société de l'immédiat et de l'urgence, d'attendre trois heures ? Plus personne. Trois minutes c'est déjà de trop ("Une minute", dit-on généralement à quelqu'un d'impatient). Trois heures c'est inconcevable, infernal, dantesque, "mortel" comme disent les jeunes ; nous avons complètement perdu l'habitude, nous n'acceptons plus. La fin du monde c'est ici le dérèglement du temps.

Que s'est-il alors passé ? Ce qui devait se passer en période de fin du monde : énervement, affolement, débordement, les voyageurs ont perdu la tête, ouvert les portes au détriment de leur sécurité, tenté de rejoindre une station en s'éclairant à la lueur de leur téléphone mobile (il fallait bien que le talisman de la société moderne serve à quelque chose). Pris de folie, ces zombies errant dans les couloirs ont craint que des rats ne les attaquent (je vous jure que je l'ai entendu ce matin à la radio !). La faim, la soif, le désespoir conduisent à ce genre de délire.

A 20h30, tout était rentré dans l'ordre : un banal accident, sans danger ni tragédie, comme il en existera toujours dans les sociétés les plus évoluées technologiquement. La fin du monde était terminée, mais elle a révélé ce que nous sommes devenus, des êtres facilement apeurés, très impatients, complètement dépendants des autres, de la technique, de la société, ne supportant plus l'inconfort même provisoire. Moi aussi je suis impatient : j'attends la prochaine fin du monde.

lundi 9 janvier 2012

Le danger des extrêmes.

La campagne des législatives a reçu un petit coup de pouce ce week-end dans la deuxième circonscription de l'Aisne, avec deux nouvelles candidatures, l'annonce d'une visite nationale et un incident local.

On s'en doutait mais c'est quasiment fait : Yannick Lejeune sera le candidat du Front national. Ce qui surprend dans ses propos à L'Aisne Nouvelle, c'est qu'il vise beaucoup plus la droite que la gauche (dont il ne parle pratiquement pas) : "On fera tout pour faire battre Xavier Bertrand". Notez bien : il ne dit pas "battre" mais "faire battre", comme s'il ne croyait pas pouvoir y parvenir lui-même.

Dans la foulée, le frontiste annonce la venue de Bruno Gollnisch à Vendeuil le 4 février, pour une galette des rois (sic !). Et Marine Le Pen "peut-être entre les deux tours", "pourquoi pas à Fervaques". Si un pareil malheur advenait, j'espère que la gauche saurait susciter une manifestation de protestation ...

Quoi qu'il en soit, cette candidature est périlleuse pour la gauche, qui a déjà été éliminée par l'extrême droite aux dernières élections cantonales. Non seulement le danger n'est pas écarté (pourquoi le serait-il ?) mais il est accru : les cantonales ont une forte tonalité locale, avec laquelle le FN n'est pas très à l'aise, étant donné sa faible implantation et son absence sur le terrain (du moins sur le terrain le plus visible). Une élection législative a une dimension nationale qui favorise beaucoup plus les "petits" partis. Pour le PS, le FN continue donc de représenter un danger de mort, c'est à dire d'exclusion au premier tour.

A l'autre extrême, c'est le POI (parti ouvrier indépendant) qui présente son candidat, là aussi sans grande surprise : Michel Aurigny. Et là aussi, là encore, il y a péril en la demeure. Le canton nord, de l'avis de tous les observateurs, était gagnable en mars 2011 pour les socialistes. J'avais même écrit à l'époque, présentant ma candidature à la candidature, qu'on n'avait pas le droit de le perdre, tellement les circonstances d'alors étaient exceptionnellement favorables à une victoire. Certes, quand on perd, en politique comme dans la vie, il faut d'abord s'en prendre à soi-même. Mais comment ne pas constater aussi que le score du POI, déjà représenté par Michel Aurigny, nous a pris les quelques pourcentages de voix qui auraient permis au PS de figurer au second tour et peut-être de l'emporter ?

Si le POI n'était pas notre alliée au conseil municipal, je n'aurai rien à en redire : chaque force politique est libre de présenter des candidats, surtout lorsque sa ligne politique diffère considérablement de celle du PS (le POI trotskiste n'a évidemment rien à voir avec le parti socialiste en matière de programme). Mais voilà : les lambertistes prennent nos voix et nous leur donnons nos places ! C'est un vrai scandale, que je ne cesserai de dénoncer.

Michel Aurigny s'est fait un nom, une image par ses interventions sérieuses et argumentées en conseil municipal (le rapporteur critique, si j'ose dire, du dernier budget de la Ville, c'était lui). Comment ne pourrait-il pas en engranger électoralement des bénéfices ? Lorsqu'on sait que dans la circonscription le combat contre Xavier Bertrand sera extrêmement difficile pour la gauche, c'est je le redis un scandale de voir un allié (dont je n'ai pas voulu mais que je suis bien obligé d'accepter) menacer les chances d'Anne Ferreira.

Je connais la réponse de Michel Aurigny, elle est dans le journal d'aujourd'hui : au premier tour on choisit, au deuxième on élimine. Merci bien pour cette mansuétude du révolutionnaire envers la social-démocratie, mais quelle est la réalité saint-quentinoise ? Municipales 2001 le PS éliminé au premier tour ; législatives 2007 le PS éliminé au premier tour ; municipales 2008 le PS éliminé au premier tour ; cantonales 2011 le PS éliminé au premier tour. Moi aussi, je sais rappeler des chiffres, très élémentaires, quand il le faut. Vous m'avez compris : à Saint-Quentin on choisit et en même temps on élimine, sans attendre un second tour. Est-ce que ça ne devrait pas faire réfléchir ?

Pour terminer, comment ne pas évoquer le curieux "incident" (c'est ainsi que L'Aisne Nouvelle le qualifie) qui est advenu à Jussy vendredi soir, entre son maire Richard Trépant et Anne Ferreira ? Une cérémonie des voeux est généralement un moment de concorde et de convivialité puisqu'on se souhaite mutuellement une bonne année. Or le Courrier Picard, sous la plume de son correspondant Sylvain Duquenne, brossait hier une scène de "tensions politiques", une "friction" entre le premier magistrat de la commune et la vice-présidente du conseil régional, celle-ci ayant été "éconduite". Explication du journal : le maire n'aurait pas apprécié cette présence inhabituelle, le faisant savoir en feignant de ne pas reconnaître l'élue, en ne lui donnant pas la parole au moment des allocutions.

Anne rectifie ce matin, dans le même Courrier, auprès de Nicolas Totet, le déroulement des faits : la méconnaissance du maire n'était pas jouée mais authentique, il y a eu "quiproquo", "malentendu" mais pas "clash politique". Pour preuve : Richard Trépant a donné la parole, après coup, à Anne Ferreira, qui n'a pas souhaité intervenir. L'Aisne Nouvelle reprend cette version, avec un élément supplémentaire : Anne Ferreira soupçonne Xavier Bertrand d'avoir "instrumentalisé" ce "non événement" lors de la cérémonie des voeux à Séraucourt-le-Grand.

J'avoue ne pas savoir trop quoi penser de ce qui apparaît comme une anecdote tournant en polémique. J'ai souvenir qu'Odette Grzegrzulka nous gratifiait souvent il y a dix ans de ce type d'incidents dans les villages, entorses au protocole, gerbes non livrées, propos vachards d'élus. J'avais alors l'impression d'une campagne réac encerclant la grande ville de gauche. Mon jugement était sommaire, mais j'étais quand même dubitatif. Aujourd'hui, ma seule certitude c'est que la politique ce n'est pas ça, c'est le débat d'idées, y compris très vif, dans le respect des personnes. C'est ce que je souhaite à tous les candidats pour cette élection législative qui donne le sentiment d'avoir débuté ce week-end dans le Saint-Quentinois.

dimanche 8 janvier 2012

Le travail en souffrance.

Le café philo d'hier après-midi dans la bibliothèque de Saint-Quentin a attiré autant de monde que d'habitude, mais la nouveauté c'est que des lecteurs, venus simplement pour emprunter des ouvrages, ont eu la curiosité de s'arrêter et d'assister à notre débat. C'est sans doute le sujet qui prédisposait à cet intérêt : Le travail peut-il échapper à la souffrance ? L'idée m'est venue en constatant qu'une expression nouvelle avait fait son apparition dans notre vocabulaire depuis quelques années : le travail en souffrance. Formule étrange : naguère, on parlait de souffrance au travail. Mais là, c'est comme si le travail en tant que tel était devenu une activité douloureuse.

C'est d'autant plus problématique que le travail, par définition, est une activité pénible puisqu'elle réclame des efforts. Se plaindre qu'on en souffre est donc, a priori, incongru. Je souhaitais depuis longtemps une réflexion collective là-dessus, c'est ce qui s'est passé hier. Je n'ai pas été déçu, même si j'ai regretté, par moments, que l'indignation (une valeur montante depuis le livre à succès de Stéphane Hessel !) ou les clichés l'emportent sur la pensée et les idées. Mais j'ai remarqué, c'est là aussi une surprise qui rend perplexe, que le thème du travail était aujourd'hui beaucoup plus délicat, polémique, passionné que d'autres pourtant chargés d'émotions, la mort, la justice ou la religion.

Le travail en souffrance s'illustre par de multiples phénomènes, tous contemporains, qu'on finit par accepter sans trop y réfléchir. Ainsi la notion de stress au travail, qui fait désormais problème, alors qu'on pourrait se demander au contraire si le stress n'est pas un élément constitutif de tout travail dans lequel on s'implique vraiment, jusqu'à devenir un indispensable stimulant, du moins à un degré raisonnable.

Le harcèlement moral c'est autre chose, mais peut-être très ancien : le fait que le travail est rarement indépendant, qu'il soumet l'individu à une hiérarchie, qu'on y reçoit des ordres parfois insistants et désagréables. Je le dirais de façon triviale : travailler c'est se faire engueuler, jusqu'à ce que le travail soit bien fait. Là aussi il y a des limites dans l'exercice de l'autorité. N'assistons-nous pas à un déni du travail, comme il y a un déni de l'autorité dans la société contemporaine ? Ce dont on peut par ailleurs se réjouir ou bien au contraire se désoler.

Le burn out, connaissez-vous ? C'est une notion en vogue, qui désigne l'épuisement au travail, en particulier chez les enseignants. Comme si le travail nous mettait à bout, littéralement hors de nous. La conséquence tragique, qui a frappé dans certaines corporations, c'est le suicide : travailler jusqu'à en mourir ! Mais dans quelle société vivons-nous ? Pourtant les conditions de travail se sont considérablement améliorées si on les compare aux siècles passés : on peut parler, en général, d'un travail confortable et mieux rémunéré qu'autrefois. Il n'empêche qu'un formidable besoin de reconnaissance agite et parfois traumatise le monde du travail.

La notion de pénibilité, dans le débat sur la réforme des retraites, est elle aussi très problématique puisqu'on y retrouve ce sophisme : tout travail n'est-il pas par nature pénible ? Vouloir en mesurer le degré et l'importance n'est-il pas un objectif impossible, contradictoire en soi ? D'autant que la pénibilité est une notion très subjective : j'ai été durant sept ans gardien de nuit, boulot qui me semblait épouvantable avant de devoir m'y plier (la nuit est faite pour dormir, pas pour travailler) ; en réalité, j'ai passé sept années agréables, où je me suis senti libre et heureux, quoique chichement rétribué.

La liberté, venons-y : autrefois le travail était contraint, quasiment héréditaire, les fonctions se transmettaient de père en fils. Aujourd'hui le choix s'est répandu, l'école consacre du temps à l'orientation, une préoccupation inconcevable il n'y a pas si longtemps. La technologie a puissamment soulagé nos efforts au travail, en supprimant les tâches physiquement les plus dures. La figure presque humiliante du manoeuvre, que j'ai connue dans mon enfance, a disparu. La scolarisation massive, l'acquisition de diplômes et de qualifications ont donné au travail un cachet, une valeur dont il était jadis dépourvu, à tel point que les classes dirigeantes, les aristocrates, trouvaient infamant de travailler, réservant cette malédiction biblique au peuple. Dans la critique contemporaine du travail, n'y aurait-il pas un retour, mais démocratisé, du vieux ressentiment aristocratique ?

J'en veux pour preuve le souci de rendre ludique le travail. Nous sommes là encore dans le lapsus, le refoulé : travailler n'est pas jouer ! Le travail est un plaisir quand on en a fini, fier du travail bien fait. Mais le processus du travail ne sera jamais étranger à l'effort. De même, on s'inquiète de l'ennui des élèves à l'école. Mais tant qu'il y aura des enfant qui iront à l'école, ils résisteront, refuseront et l'exprimeront par l'ennui, et pour les plus mauvais élèves par la paresse.

La polémique autour des travailleurs pauvres s'inscrit dans la désaffection à l'égard du travail, dans l'expression même, puisque le travail a longtemps été vécu comme une protection contre la pauvreté (le pauvre extrême est sans emploi, sans rémunération, sans domicile). Ce qui a frappé, choqué l'opinion, c'est l'image pourtant très marginale du salarié couchant dans sa voiture, son tout dernier bien ! Il s'ensuit une incroyable peur du déclassement (autre terme en vogue) qui gagne des catégories pourtant bien intégrées dans la société.

Dans ce grave débat sur le travail en souffrance se glisse une suggestion amusante, presque surréaliste et pourtant fort sérieuse : l'introduction de la sieste, comme dans les écoles maternelles ! Après le jeu, il n'y a pas plus opposé au travail que le repos. Mais là, dormir a pour finalité de mieux travailler ! J'ai fait hier un aveu difficile au café philo : ayant la chance d'avoir un emploi du temps à trous et d'habiter tout près de mon lycée, il m'arrive de rentrer et de dormir une demi-heure ou plus entre deux cours (au passage, c'est le secret qui me permet de faire beaucoup de choses sans faiblir !).

Je repère quatre grandes séries de questions, philosophiques et politiques, pour terminer provisoirement cette réflexion sur le travail :

1- Travailler comment ? faut-il travailler plus, travailler moins ou travailler autrement ?

2- Travailler pour quoi ? Le travail ne manque pas, les besoins sont immenses mais quels objectifs faut-il affecter au travail ? L'industrie, les services ? Le travail implique aussi un choix de société, un modèle économique.

3- Notre société vit depuis trente ans dans le chômage de masse. Ce n'est plus un accident, une transition, une crise passagère mais une réalité structurelle. Comment organiser notre société en prenant acte de cette situation ? Si le travail est en souffrance, c'est d'abord sous l'effet du manque : entre le désir des individus et les besoins de la société, la jointure ne se produit pas.

4- Vous faites quoi ? C'est la question spontanée qu'on pose à des inconnus, pour faire connaissance. Nous réduisons dramatiquement la personne à son travail. Chacun en aura fait l'expérience. Il m'arrive parfois, parmi des gens qui ne savent pas qui je suis, de ne pas décliner mon activité professionnelle, parce que je ne veux pas qu'on réduise mon identité à celle-ci, pourtant, dans mon cas, perçue très positivement. Le travail serait probablement moins en souffrance si nous savions nous en détacher, raisonner en d'autres termes, avec d'autres critères que celui-là.