mardi 31 janvier 2017

La troisième mort du PS



La désignation de Benoit Hamon comme candidat à la prochaine élection présidentielle ne signe pas la mort du Parti socialiste. Depuis sa création, la mort du PS a été régulièrement annoncée, jamais confirmée : depuis un siècle, le Parti socialiste est toujours vivant, et bien vivant. La démocratie ne peut que s'en réjouir. La disparition de l'une de ses composantes lui serait forcément préjudiciable. Dimanche soir, le PS n'est pas mort, mais un PS est mort, celui qui a été fondé à Epinay en 1971.

C'est d'ailleurs sans gravité : la vie, y compris politique, est faite de vie et de mort, de déclin et de renaissance. Pourquoi le PS échapperait-il à la règle ? L'histoire nous enseigne : le Parti socialiste est né en 1905, sous le nom de SFIO. Il meurt une première fois au congrès de Tours en 1920, quand sa majorité communiste le quitte pour créer le PCF. Il meurt une deuxième fois en 1969, quand la SFIO se saborde pour devenir Parti socialiste. La troisième mort, c'était avant hier, avec l'élection de Benoit Hamon.

Qu'est-ce qui est mort dimanche soir ? Une méthode qui agonisait depuis des années : la synthèse, en vertu de laquelle des personnes à peu près d'accord sur rien peuvent malgré tout se mettre d'accord en vue de conquérir le pouvoir, au prix de se diviser lorsqu'il s'agit de l'exercer. Le charisme de François Mitterrand et l'habileté de François Hollande ont permis à la synthèse de vivre de beaux jours. Maintenant, c'est terminé, c'est mort, comme disent les jeunes.

Déjà, par le passé, Jean-Pierre Chevènement et Jean-Luc Mélenchon l'avaient compris : la synthèse est impossible, fallacieuse et, au final, désespérante. Ces représentants de l'aile gauche ont quitté le Parti. En 2005, les partisans et les opposants à l'Europe sont restés ensemble, tout en faisant des campagnes opposées : le ver était dans le fruit. Oui, Manuel Valls avait raison : il y a deux gauches "irréconciliables", ce n'est pas un drame, chacune est respectable, mais le citoyen doit savoir pour quoi il vote, dans la clarté. Le moment est arrivé, comme en 1920, comme en 1969.

Benoit Hamon prétend rassembler, et ses adversaires au sein du PS le lui demandent : c'est un jeu de dupes. Hamon ne rassemblera pas et aucun social-démocrate, excepté les opportunistes sans convictions, ne se rassemblera derrière lui. Et c'est normal : quand on a fait campagne en critiquant sévèrement le bilan de François Hollande, comment peut-on prétendre rassembler les soutiens à la politique gouvernementale, qui sont quand même nombreux au Parti socialiste ?

Au soir de sa victoire, Benoit Hamon a dit qu'il contacterait, très vite, Yannick Jadot et Jean-Luc Mélenchon pour constituer avec eux une majorité présidentielle ? Et Macron, il ne sent pas bon ? Il ne représente pas, à sa façon, une composante des progressistes ? Oui, puisque je m'y reconnais, et que je reste de gauche, socialiste. Mélenchon ? Il a répété cent fois qu'il veut bien prendre un café avec les socialos, mais que jamais il ne fera alliance avec eux, et on comprend facilement pourquoi, quand on voit ses prises de position. Hamon est sourdingue ou quoi ? Soit il est de mauvaise foi, soit il n'est pas sérieux.

On va donc vers quoi ? Une recomposition de la gauche, qui suit toujours un drame politique : en 1920, la rupture avec les socialistes ralliant le régime soviétique ; en 1969, la défaite des socialistes à la présidentielle (5% !). Les socialistes se regrouperont en deux pôles, réformiste social-démocrate et gauche traditionnelle de rupture, Macron et Valls d'un côté, Hamon et Montebourg de l'autre. Voilà la grande clarification qui germait depuis des années, qui a éclaté au grand jour pendant les primaires, qui est devenue inévitable avec la désignation de Benoit Hamon, que beaucoup ne suivront pas parce qu'ils ne le peuvent pas, moi le premier. Mais il n'empêche que le camp du progrès, les partisans du mouvement, les militants du socialisme démocratique sont plus vivants que jamais, cette fois à travers deux sensibilités bien distinctes, auxquelles il appartient désormais de s'organiser. Pour reprendre la formule de l'ancienne monarchie : le Parti socialiste est mort ! Vive le Parti socialiste !

dimanche 29 janvier 2017

C'est dur, la culture ?



C'est dur, la culture ? Normalement non, mais en ce moment, et depuis pas mal de temps, oui. Dans les débats politiques, le sujet n'est plus guère abordé. A gauche pourtant, pendant longtemps, la culture a été un identifiant politique. Il semble que ce camp soit orphelin de Jack Lang, comme la droite d'André Malraux.

La culture est niée par le haut : soupçonnée d'élitisme, accusée de luxe inutile en temps de crise économique grave et prolongée. Elle est mise aussi en cause par le bas : dissoute dans l'animation et le divertissement, peu payante, croit-on, électoralement. Que serait cependant la France sans sa culture ? Plus rien, un territoire vide. On s'angoisse devant les déserts médicaux, mais on ne dénonce pas les déserts culturels.

La vérité, c'est que la culture a toujours été partie prenante de toute grande politique, en République comme sous la monarchie. Son effacement actuel du débat public est donc préoccupant. Emmanuel Macron a tenté d'y remédier, avant-hier, en participant à la matinale de France Culture, pendant deux longues heures, dont je retiens, parmi beaucoup d'autres, deux propositions :

1- Un pass culture pour tout jeune, dans l'année de ses 18 ans, crédité de 500 euros, avec lesquels il pourra fréquenter théâtre, musée, livre et concert. L'année où l'on vote, où l'on devient citoyen, où l'on quitte l'école avant d'entrer souvent dans des études supérieures, c'est aussi l'année qui doit ouvrir à la culture choisie.

2- L'ouverture des bibliothèques municipales et universitaires le soir et le dimanche. La proposition me tient à cœur, puisque je l'avais suggérée pour Saint-Quentin, lors de la dernière pré-campagne des élections municipales, qui m'avait opposé à Michel Garand. Certains établissements fonctionnent déjà ainsi, mais ils sont très minoritaires : leur fréquentation est souvent plus importante que les bibliothèques qui ouvrent aux horaires de bureau, peu pratiques pour les usagers.


En vignette : hier soir, au Splendid, les iNOUïS du Printemps de Bourges, le célèbre festival de la chanson, qui sélectionne ses découvertes pour les scènes ouvertes, hors programmation officielle. Ici, Edgär, qui tient à son tréma comme à la prunelle de ses yeux : ce groupe d'électro pop nous vient d'Amiens. De la Picardie au Berry, c'est un clin d'œil !

samedi 28 janvier 2017

Le socialisme de Benoit Hamon



Au soir du premier tour de la primaire, au milieu de la foule, des micros et des caméras, dans l'euphorie de son résultat, Benoit Hamon a spontanément lâché une phrase, passée inaperçue, qui mérite pourtant réflexion : "le vieux socialisme, c'est terminé". Dans sa bouche, on ne s'y attend pas. Valls ou Macron, oui ; mais la condamnation d'un "vieux" socialisme n'est pas dans la culture de l'aile gauche du PS, qui au contraire revendique cet héritage, le défend. On se souvient de Michel Rocard, en une formule devenue canonique, fustigeant le socialisme "archaïque" de François Mitterrand. La référence implicite à la modernité peut surprendre de la part du candidat.

Quel est donc le nouveau socialisme que nous propose Benoit Hamon ? Il ne faut pas oublier non plus que sa filiation avec l'aile gauche du Parti est toute relative. Les historiques, Lienemann et Filoche, lui ont d'abord préféré Montebourg. La trajectoire politique d'Hamon commence chez les rocardiens, il a travaillé auprès d'Aubry, a participé à l'aventure du NPS, s'est illustré à la tête du MJS, est très marqué par la vie associative, l'éducation populaire. C'est donc un profil à la fois identifiable sur certains points et indéterminé sur d'autres. Peut-on extraire de ses multiples propositions un projet global, un socialisme repérable ?

Il me semble que son nouveau socialisme rompt nettement avec l'ancien dans la conception, sous-jacente ou explicite, qu'il se fait du travail. Alors que le socialisme traditionnel croyait fortement au travail, au développement industriel, le nouveau n'en fait plus le cœur de sa philosophie. Bien sûr, Hamon ne renonce pas à lutter contre le chômage. Mais le travail n'a plus chez lui la place centrale qu'il avait dans le socialisme ancien. Quatre de ses mesures vont dans ce sens :

1- Le revenu universel d'existence : il a fait beaucoup parler de lui, on lui a reproché d'être insuffisant, non financé, etc. L'essentiel est ailleurs, et aussi le reproche qu'on peut lui faire : il détache la rémunération (de base) du travail. On ne travaille plus pour gagner sa vie, selon la définition classique, mais on gagne sa vie pour travailler. C'est une inversion des valeurs. Le travail n'est pas nié, mais il n'est plus premier.

2- Les 32 heures : on ne sait pas très bien à quel niveau Benoit Hamon envisage de les rémunérer. Mais là encore, l'essentiel est ailleurs : c'est le principe d'une existence qui est moins vouée au travail qu'au loisir (pas au sens du vulgaire divertissement, encore moins de la fainéantise, mais d'une activité autre que salariée). Pourquoi pas, mais souvenons-nous ce qu'ont été les réactions aux 35 heures il y a une quinzaine d'années, quand Jospin les a mises en place (et je ne parle pas de la droite, mais de la gauche, des syndicats) : très hostiles, et mêmes violentes. Une partie des classes moyennes y trouvaient leur compte, mais pas les classes populaires. Dans une période où le travail se fait rare, le réduire est perçu comme une provocation, même si l'intention est bonne (le partager pour que d'autres en profitent, ce qui n'a pas fait disparaître le chômage de masse).

3- Le burn out : Hamon veut en faire une maladie du travail, reconnue, traitée et couverte comme telle. Ce symptôme nous vient d'Amérique, il est très à la mode, sa fausse évidence dissuade de le critiquer. Et pourtant il le faut, puisque cette maladie n'a aucune base scientifique sérieuse. Elle prend part à la psychologisation générale de nos existences. Que nous dit-elle ? Que le travail est pathogène, potentiellement anxiogène. Ce syndrome d'épuisement aurait fait sourire nos grands-parents, qui savaient pertinemment que tout travail fatigue, que c'est sa marque de fabrique, que le stress est stimulant, pas déprimant (j'entretiens une tension en classe, avec mes élèves, qui ne s'en plaignent pas). La dénonciation universelle du burn out, c'est une vision idéale d'un travail qui serait agréable, libre et épanouissant, tout le contraire de ce qu'il est réellement, depuis toujours. Le mieux est l'ennemi du bien : chez Hamon, le travail rêvé est l'ennemi du travail réel.

4- La taxation des robots : la proposition peut sembler baroque. Jusqu'à présent, on taxait les hommes, les terres, les murs et les produits. Taxer les robots signifie quoi ? Que ceux-ci prennent notre travail, que l'homme est progressivement remplacé par la machine, qui doit payer pour cela, qui doit en quelque sorte nous indemniser. Là aussi, pourquoi pas, mais l'idéologie implicite, c'est que le travail est de plus en plus assuré par la technologie, qu'il est de moins en moins une affaire d'êtres humains. On pourrait au contraire penser que les progrès de la technique fournissent en abondance des emplois nouveaux, que le travail humain se trouve ainsi relancé (économiquement, je ne sais pas quelle est la bonne réponse, l'économie n'étant pas plus une science que la philosophie).

Vous l'avez compris et vous le savez depuis longtemps, je ne me reconnais pas du tout dans le socialisme de Benoit Hamon, notamment dans sa vision du travail. Pourtant, c'est ce projet-là qui demain va gagner. Pourquoi ? Parce qu'il est en phase avec une bonne partie de notre société : des millions de chômeurs qui n'espèrent plus trouver ou retrouver un travail, des millions de retraités qui vivent correctement et longtemps d'une existence très active en dehors du travail, des millions de membres des classes moyennes pour lesquels le travail n'est plus la contrainte laborieuse et pécuniaire d'autrefois, mais le libre épanouissement de l'individu (selon moi illusoire). Lénine disait que son projet, c'était le socialisme plus l'électricité ; celui de Benoit Hamon, c'est le socialisme sans le travail.

vendredi 27 janvier 2017

Affaire Fillon : délit ou déni ?



Je parle de l'affaire parce que tout le monde en parle et pour ne plus avoir à en parler. Dans les médias, elle a éclipsé le débat de qualité entre Valls et Hamon, d'un intérêt politique pourtant supérieur, puisqu'il y va de l'avenir de la gauche. Mais non : la polémique l'a très largement emporté. De quoi s'agit-il exactement ? D'un délit ou d'un déni ? Contre l'avis de beaucoup, je penche pour la deuxième explication, et quelques arguments à vous proposer :

1- Déni de vérité : on confond celle-ci avec l'information. Pour le moment, que savons-nous de l'affaire : peu de choses, des témoignages fragiles, subjectifs, des réactions partisanes. A-t-on vu madame Fillon travailler ? Les uns assurent que oui, d'autres que non. La vérité, c'est qu'on n'en sait rien à l'heure qu'il est, que le silence serait plus sage et prudent.

2- Déni de légalité : on laisse entendre qu'employer des membres de sa famille serait suspect, sinon délictueux. Pourquoi ça ? Depuis quand ? Si oui, qu'on fasse une loi. Pourquoi personne ne l'a proposée avant ? Pour ma part, ça ne me dérange pas. Et s'il y a incompétence, c'est le député employeur qui sera sanctionné. Et puis, dans un pays qui est le roi du piston, le reproche est osé.

3- Déni de justice : on confond de plus en plus les plateaux (de télévision) avec les tribunaux. Tout un tas de gens jouent les juges, les procureurs et les justiciers. Non, laissons la seule vraie justice faire son travail, dans la durée qui est la sienne, selon les principes qui la constituent. Tout le reste n'est qu'une parodie, très expéditive.

4- Déni de politique : l'affaire a beau toucher un homme public de plus haut niveau, elle demeure une affaire privée, qui n'a pas sa place dans le débat politique. Celui-ci repose sur des convictions et des projets, pas sur des comportements ou des soupçons.

5- Déni de démocratie : l'incroyable rumeur, qui signale bien que nous sommes en plein délire collectif, voudrait que Fillon laisse sa place pour la présidentielle, alors qu'il a été désigné comme candidat de la droite et du centre. Que fait-on du respect du scrutin et des électeurs ?

6- Déni d'intelligence : la toile est le réceptacle de la bêtise universelle. Les mêmes propos y sont dupliqués à l'infini, sans recul, distance, questionnement et réflexion. Les réseaux sociaux, c'est le règne du ressentiment. L'affaire Fillon est aussi le produit de toute cette crasse numérique.

7- Déni de morale : la réputation d'une femme est livrée aux chiens, comme aurait dit Mitterrand. Bien qu'épouse d'un homme public, elle n'est pas elle-même un personnage public, n'est pas exactement en situation de se défendre. Mais qu'est-ce que les chiens en ont à faire ? Ils aboient après elle, demain après quelqu'un d'autre, au nom de la transparence, dans une parfaite hypocrisie morale. L'essentiel est de faire du spectacle.

Je souhaite la défaite de François Fillon à l'élection présidentielle. Mais j'aurais honte d'utiliser la présente affaire en guise de faux débat. Il y a suffisamment de reproches politiques à faire au candidat de la droite, sans avoir à s'abaisser à cette polémique, qui ne profite qu'à l'extrême droite, pourtant peu exemplaire en la matière.

jeudi 26 janvier 2017

Aile gauche et modernisme



A mon sens, Benoît Hamon a remporté hier soir le débat qui l'a opposé à Manuel Valls. Sauf grosse surprise, jamais totalement à exclure en politique, il sera le candidat socialiste à l'élection présidentielle. Que s'est-il passé hier ? Hamon était plus à l'aise, plus convaincant (même si, personnellement, je n'ai pas du tout été convaincu). Il dominait le débat. Valls n'était pas mal non plus, mais il ne dominait pas.

A l'évidence, Hamon est entré dans son personnage de candidat à la présidentielle. Bien meilleur que d'habitude, il bénéficie de cette grâce qui élève quand on est porté par une dynamique. Et puis, Valls se définissait trop par rapport à Hamon, à ses propositions, leur rendant ainsi une sorte d'hommage involontaire alors qu'il était au contraire censé les démonter. La preuve : Valls ne cessait de regarder Hamon, tandis que l'inverse était moins vrai.

D'où vient le succès incontestable de Benoît Hamon ? C'est qu'il incarne à la fois l'aile gauche du PS et un certain modernisme. L'aile gauche parce que son programme s'ancre de ce côté-là, mais pas l'aile gauche historique et farouche, les Filoche et Lienemann, qui ont rallié Arnaud Montebourg. Le modernisme parce que Hamon colle aux préoccupations actuelles à travers de nombreux points de son programme (je pense à la lutte contre le burn out, les perturbateurs endocriniens, les particules fines, tout ce fatras langagier qui charrie les fantasmes de notre époque et qui marche très fort auprès du public). Arnaud Montebourg, qui militait sur le même créneau de gauche, n'a pas mobilisé les foule avec son patriotisme économique un peu vieillot.

Bien sûr, Hamon ne sera jamais président de la République : son propos est d'un honnête niveau de secrétaire d'Etat compétent, mais ne va pas au-delà. Cependant, il marquera des points et surtout prendra la direction du Parti, réalisant ainsi une performance historique : pour la première fois, le Parti socialiste sera représenté et dirigé par l'aile gauche rassemblée. Mais sera-ce encore le Parti socialiste ? Sûrement pas ! Est-ce que j'irai pour autant voter Valls dimanche prochain ? Evidemment non. Pour le moment, je ne vote pas, je marche. Comme François Hollande et quelques autres, je resterai chez moi.

mercredi 25 janvier 2017

Appelez-moi "Maître"



Hier soir, à Fervaques, c'était un ballet de robes noires. Les avocats de Saint-Quentin invitaient à la rentrée solennelle du Barreau, avec présentation des vœux. La salle était pleine de la crème, du gratin, le haut du panier, celles et ceux que le Bâtonnier, Maître Philippe Vignon, appelle "les hautes personnalités", comme on parle des hauts grades maçonniques : les autorités civiles et militaires de notre ville (il ne manquait que le clergé, mais nous sommes en République). Il est heureux d'être une "personnalité", et beaucoup en rêvent. Mais être une "haute personnalité" est un plaisir rare, un privilège remarquable : c'est qu'on est homme de pouvoir et d'influence.

Maître Anne-Sophie Baert, qui termine son mandat de Bâtonnier, a fait son bilan sur un ton enjoué, un peu décalé, amusant, fidèle à sa réputation de femme imprévisible. Mais derrière l'humour, on sent une grande détermination. Maitre Vignon, dans un style plus classique, a dressé les évolutions de la profession : numérisation, justice prédictive, ubérisation du droit (mais si !), en prévenant des dérives et des dangers. Il a interpellé par deux fois une "haute personnalité" présente, le député Julien Dive, contre la création d'un tribunal départemental et contre l'inflation des lois. Maître Vignon s'est également inquiété de la prolongation de l'état d'urgence (plus long que sous la guerre d'Algérie), alors que le terrorisme ne cesse pas. Il s'est présenté, en tant qu'avocat, comme "le chevalier du droit et de la justice" (joli !), le défenseur des "pauvres" et des "plus démunis" (bravo !).

Chaque année, l'Ordre des Avocats reçoit un invité. Cette fois, c'était Alain Bauer, le criminologue qui passe souvent à la télé. Il a parlé pendant plus d'une heure sur le terrorisme. Là aussi, le ton était à l'humour, souvent acide, et même à l'anticonformisme. Bauer a le sens de la formule, et son propos se laisse écouter, agréablement, sans peine. Mais il ne ferait pas un bon avocat, tout juriste qu'il est (en droit constitutionnel) : le débit est trop rapide, le contenu très dense, on s'y perd parfois, il manque une organisation des idées. Ce qui n'a pas empêché les "hautes personnalités" de l'applaudir chaleureusement, avec raison.

La séance a été clôturée par celui que Maître Vignon a qualifié de " Bâtonnier des Bâtonniers", Yves Mahiu, qui s'est montré très critique envers la loi contre le terrorisme et la grande criminalité, ainsi qu'avec l'actuel projet en discussion, la loi sur la sécurité. Sa dernière phrase a été surprenante : "Il faut se demander si le terroriste n'est pas un résistant, à qui on fait une guerre injuste". Ainsi le veut le métier d'avocat : la défense du présumé innocent, y compris de celui qui semble indéfendable. Nous avons terminé la soirée au champagne, tandis qu'Alain Bauer dédicaçait son dernier ouvrage, "Comment vivre au temps du terrorisme", qui vient juste de sortir.

lundi 23 janvier 2017

Les leçons du premier tour



J'ai la faiblesse de croire que la politique obéit à des lois, quasiment physiques, qui se confirment à chaque scrutin. Le premier tour de la primaire du PS et de ses partenaires vérifie quelques règles simples :

1- Rester soi-même. Le lieu commun consiste à penser que l'homme politique joue un rôle, qu'il lui faut composer, qu'on ne gagne que dans la duplicité. Non, c'est au contraire le naturel qui prime. Le grand perdant de la primaire, c'est Arnaud Montebourg, parce qu'il n'a pas été lui-même. Voulant rassembler et se présidentialiser, il a atténué sa flamboyance, qui faisait toute sa force et son charme. Du coup, la gauche du Parti est allé voir ailleurs, ne se reconnaissant plus en lui.

2- L'original est préféré à la copie. Dans ce scrutin, Manuel Valls représentait le socialisme réformiste, la social-démocratie, la gauche de gouvernement, le modernisme progressiste. Mais le candidat qui désormais incarne cette sensibilité est en dehors de la primaire et même du PS : c'est Emmanuel Macron. Beaucoup de ceux qui hier auraient pu voter Valls, comme moi, sont restés chez eux, parce qu'ils ont rejoint, depuis déjà longtemps, En Marche !

3- Savoir où on habite. On ne peut réussir en politique qu'en bénéficiant d'une identité forte, qui rend repérable le candidat. Le mauvais score de Vincent Peillon, qui était prévisible, confirme ce principe. Peillon a été absent pendant deux ans de la scène nationale. Il vient de partout et de nulle part, et il y retourne maintenant. Impossible de le classer dans les sensibilités qui constituent l'histoire du Parti. Lui-même a adopté une improbable position centrale, qui est un non lieu, suscitant diverses interprétations ou soupçons. Le pompon et la confirmation, c'est la non prise de position de Vincent Peillon hier soir, après les résultats. La responsabilité politique élémentaire, c'est de prendre parti, de faire des choix, d'indiquer une perspective, pas de s'abstenir.

4- Les idées prévalent. Pas mal de gens croient, à tort et hélas, que la politique est une question de tactique, de stratégie et de posture. Non, c'est d'abord une question d'idées. Benoît Hamon est arrivé le premier parce qu'il est apparu comme le seul à avoir des idées, à les imposer dans le débat. Et une véritable idée est une idée neuve. Quand vos concurrents se définissent par rapport à vous, c'est gagné. Et Hamon a gagné ! Valls a porté le bilan, Montebourg a défendu son made in France, qui n'est pas nouveau. Macron gagnera peut-être la présidentielle comme Hamon gagnera sans doute la primaire : parce que tous les deux ont des idées, qui sont nouvelles.

5- L'électeur est roi. Le préjugé veut que l'opinion soit influencée par les médias et par les sondages. Non, les citoyens sont maîtres de leur bulletin de vote. Hamon, possible candidat socialiste à la présidentielle, nul n'y aurait cru il y a quelques semaines, alors que nous n'en sommes plus très loin. Il est heureux que la démocratie atteste ainsi de cette liberté, que la République fonctionne à plein. Et quand les électeurs sont moins nombreux que prévus et surtout qu'espérés, comme hier, c'est pour eux une façon d'exprimer leur insatisfaction. C'est pourquoi tout scrutin, y compris celui d'hier, est toujours un grand moment pour qui aime la politique.

dimanche 22 janvier 2017

Trois points c'est tout



En intitulant ma conférence "La franc-maçonnerie est-elle une philosophie ?", je savais que j'allais attirer du monde. C'est donc devant une centaine de personnes, mercredi après-midi, à l'IUTA de Laon, que j'ai exposé mes idées. Le problème, c'est que le sujet prête à polémique. Mon objectif : dégager la maçonnerie des scandales et des préjugés, la prendre au sérieux et comprendre sa philosophie sous-jacente.

J'ai commencé par la question du secret, pour montrer qu'il n'en est pas un, ou bien intérieur, et propre à toute existence humaine. J'ai continué sur le pouvoir, qui fait tant fantasmer. Pourtant, on n'a jamais vu un maçon en tant que tel gagner une élection, et beaucoup en perdent, jusqu'à se demander si, à l'inverse, la réputation sulfureuse ne leur est pas préjudiciable.

Le plus étonnant et le plus intéressant, c'est que la franc-maçonnerie a toutes les apparences d'une religion (temples, rites et références bibliques) sans en être une, puisqu'elle n'a ni prêtres, ni prières, ni sacrifices (à part celui, tout symbolique, d'Hiram). Peut-on parler, avec le philosophe André Comte-Sponville, de "spiritualité laïque" ? Peut-être ...

Pour moi, la maçonnerie est surtout convaincante par ses valeurs éthiques : la tolérance, l'humanisme et la discrétion (dont nous avons bien besoin dans un monde de surexposition médiatique). Son point fort : elle n'a jamais persécuté et a toujours été persécutée. Mais une bonne conférence doit aussi marquer les limites de son sujet, en faire la critique (qui reste personnelle, bien sûr). Le reproche qu'on peut faire est d'abord de méthode : le symbolisme, auquel la philosophie préfère le concept, tant les signes peuvent donner lieu aux plus contestables interprétations. Ensuite, sa finalité, toute individuelle : pas de dogmes, pas de vérités absolues, un total relativisme seulement encadré par les valeurs susnommées. Mais on va où comme ça ? Enfin, le parcours initiatique, l'ésotérisme : ouvert à tous, certes, mais qui débouche quand même sur une forme d'élitisme, d'entre-soi (tout le monde peut participer à la messe et même communier, n'importe qui n'est pas admis à une tenue maçonnique).

Précisément, que peut-on penser du rapport entre maçonnerie et religion ? Les loges ont été fondées historiquement par des protestants. C'est avec les catholiques qu'il y a un blème : la pluralité des opinions et l'existence du secret (que les papistes réservent à la confession). Dès le début, très vite, le Vatican a condamné. Un franc-maçon peut être catholique, comme il peut être n'importe quoi d'autres, puisque tout signe chez lui peut faire sens, vidé de sa substance originelle. Mais un catholique ne peut pas décemment être franc-maçon, sauf à se contredire (ce qui ne gêne pas forcément un être humain).

Il y a des millions de livres et d'articles sur la franc-maçonnerie. Un seul mérite le coup d'œil : le texte fondateur, la Constitution de James Anderson, en 1723, disponible sur internet. Quand on veut comprendre le fleuve, surtout tumultueux, il faut remonter à la source.

samedi 21 janvier 2017

En Marche ! fait son marché



En Marche ! fonctionne beaucoup aux réseaux sociaux, sans pour autant délaisser le militantisme classique. Le numérique, c'est bien joli, mais rien ne remplace le bon vieux contact direct, sur le marché. C'est meilleur qu'un sondage ! On rencontre des centaines de personnes, de toutes opinions, on perçoit les réactions, on discute, on informe, on répond aux questions. Ce matin, de 10h00 à 12h00, quatre Marcheurs se sont postés à l'endroit le plus stratégique du marché de centre ville, le passage entre le Golden Pub et l'Hôtel de Ville. Qui tient le coin contrôle le marché.

Je m'étais préparé, en me faisant une tête de macronien (ou de macroniste, comme vous voudrez) : sourire, bienveillance, politesse, empathie, optimisme. Pas d'arrogance, pas d'agressivité. Ca s'est très bien passé. Nous avons distribué un prospectus et surtout échangé. Les gens sont plutôt réceptifs, curieux et même favorables (je n'en déduis rien, le résultat d'une élection est toujours un mystère). Il y a quelques comportements d'indifférence, mais aucune hostilité.

Le plus rigolo, ce sont les quelques passants qui me demandent où il faut aller voter demain pour les primaires du PS ! Bon prince, je leur indique la salle Vermand-Fayet, que la plupart ne connaissent pas, ce qui m'oblige à leur expliquer le quartier, qui n'est pas facile non plus à trouver, très excentré. Quelle idée d'avoir installé les bureaux de vote là-bas ! En tout cas, les socialistes pourront me remercier : j'aurai aussi été ce matin leur agent d'accueil ... Finalement, c'est ça, un macronien, et même tout simplement un honnête républicain. Et je crois que nos concitoyens sont en demande de cette nouvelle culture politique, si différente du militantisme sectaire ou cynique d'autrefois et d'il n'y a pas si longtemps.


En vignette : pause-café au Carillon, avant de reprendre la marche et le marché.

vendredi 20 janvier 2017

Macron les rend fous



Vous connaissez la formule d'Astérix : "Ils sont fous, ces Romains !" J'ai l'impression que c'est ce qui se passe en ce moment chez les socialistes, à l'évocation du nom de Macron. Hier soir, lors du dernier débat de la primaire, la question a été bizarrement tirée au sort entre les journalistes, comme s'ils redoutaient quelque chose. Ils n'ont pas eu tort : Emmanuel Macron affole les candidats, c'est certain. La plupart ont répondu dans l'irritation, avec ironie, qui sont des marques de faiblesse. Il parait que "plus on est de fous, plus on rit" : hier soir, c'était des ricanements ou des sourires en coin. Surtout, les candidats à la primaire se sont contredits : d'un côté, ils critiquent le leader d'En Marche ! (c'est leur droit), de l'autre, ils souhaitent le voir se rassembler auprès d'eux (c'est incohérent).

Vincent Peillon a été le plus venimeux et le plus contradictoire, moquant à la fois Macron et souhaitant son retour dans la "grande famille". Même pas peur de lui, puisque Peillon ne craint pas non plus Trump ou Poutine, établissant une drôle d'égalité entre les trois personnalités, en une sorte d'hommage involontaire à Macron, élevé ainsi dans la cour des grands.

Arnaud Montebourg n'a pas été en reste dans la hargne et le ressentiment. Il a d'abord reproché à Emmanuel Macron d'être "flou". Quand on veut tuer son chien, on dit qu'il a la rage ; quand on veut discréditer un homme politique, on dit qu'il n'a pas de programme, ce qui fait l'économie d'un débat sérieux avec lui. Pourtant, d'autres candidats à la primaire ne se sont pas privés de critiquer certains propositions de Macron, preuve qu'il en a.

Benoit Hamon a été le plus drôle dans sa réplique. Il trouve Macron "pas inintéressant, mais vieux" (!). Il faudrait savoir : ce qui est intéressant, ce sont les idées neuves ; si Macron en a, ce que semble dire Hamon puisqu'il le trouve "pas inintéressant", c'est qu'il n'est pas "vieux". Et puis, vieux ou pas, peu importe : c'est la pertinence qui compte. Ne dit-on pas que "c'est dans les vieux pots qu'on fait les meilleures soupes" ? Bref, Benoit Hamon s'emberlificote.

Manuel Valls, dont on pouvait espérer que le sérieux le préserve de la folie, a été encore plus fou que tous les autres, en sortant carrément la théorie du complot : "Il y a des forces politiques, des forces de presse qui veulent empêcher cette primaire de se passer dans de bonnes conditions". Comprenez : si dimanche la participation est faible, si le gagnant part ainsi battu d'avance, ce sera la faute à Macron ! Valls valide avant l'heure sa défaite et désigne dès maintenant le bouc émissaire. Le pompon, c'est qu'il fait du Macron dans le texte, en souhaitant "rassembler la gauche et les Français mais pas avec des accords d'appareil". Ce sont exactement les propos d'Emmanuel Macron quelques heures auparavant (voir billet d'hier).

Sylvia Pinel, sur un mode plus adouci, a reproché à Macron de ne pas participer à la primaire, oubliant qu'elle aussi, Montebourg de même, avaient hésité à s'y engager. Ce n'est sans doute pas sans raisons. Et si finalement c'était Macron qui avait fait le choix le plus judicieux ? Et puis, c'est son droit le plus strict, commun avec Mélenchon, de ne pas vouloir s'associer à un processus de désignation qui ne leur convient pas.

François de Rugy aura été le plus honnête à l'égard d'Emmanuel Macron, le plus maître de lui dans son jugement, sans ironie, sans acrimonie, reconnaissant objectivement que la tentation de voter pour le candidat d'En Marche ! existe dans l'électorat, qu'elle correspond à un besoin de renouvellement, qu'il faut le prendre en compte, y réfléchir et ne pas le tourner en dérision. A la question de savoir si de Rugy pourrait se désister en faveur de Macron, il n'a pas voulu répondre. Il y a des silences qui sont plus éloquents qu'une parole.

"Quand c'est flou, c'est qu'il y a un loup". Arnaud Montebourg a étrangement repris cette formule d'Aubry contre Hollande ... pour la retourner contre Macron. Je dirais plutôt : "Quand c'est fou, c'est qu'il y a un loup". Celui-ci, c'est Macron dans la bergerie socialiste, qui n'est pourtant pas un grand méchant. Heureusement, la folie se soigne et même se guérit. En démocratie, le remède est radical : c'est le verdict des électeurs.

jeudi 19 janvier 2017

Des citoyens et des convictions



La conférence de presse d'Emmanuel Macron, ce matin, a quelque chose d'historique dans notre culture politique. Oui, le candidat antisystème, c'est bien lui. Car que se passait-il, depuis des décennies, dans notre vie publique ? Les partis se retrouvaient autour d'une table, discutaient, négociaient ... quoi donc ? des places ! Alors, les convictions étaient secondaires, parfois inopérantes. Ce qui comptait, c'était d'arriver à un accord en vue de conquérir le pouvoir. Encore aujourd'hui, à gauche et droite, le système fonctionne comme ça. Les idées, quand il y en a, ne sont plus que des prétextes. Macron renverse la table : il n'y aura pas d'accord électoral avec aucun parti politique pour les prochaines élections législatives. C'est clair, net et sans bavure, et ça fait du bien à entendre.

Vous pourriez objecter qu'il n'y a rien de déshonorant, ni de compromettant à se rapprocher, se rassembler et s'unir. Sans doute, mais il faut le faire dans la clarté, sans renoncer à ses idées. Or, nous savons bien que c'est, à chaque fois, exactement le contraire qui se produit. Nous aboutissons à des marchandages où les adversaires d'hier deviennent les copains d'aujourd'hui, en attendant de s'affronter à nouveau demain. Surtout, ces arrangements ont lieu sur le dos des citoyens. En démocratie, c'est à eux seuls que le choix revient, pas à des combinaisons entre partis. Si encore ces partis politiques étaient représentatifs et populaires ... Mais ce n'est pas le cas.

C'est bien joli, me direz-vous, mais est-ce que Emmanuel Macron va pouvoir gagner en adoptant cette stratégie-là ? Oui, je le crois. C'est aux électeurs que revient l'élection, ce sont les citoyens qui font le résultat, pas les alliances partisanes, motivées la plupart du temps par l'intérêt, non par le projet. Il y va de l'image, de la popularité et du succès d'Emmanuel Macron de ne pas participer à ce jeu-là, qui le ternirait, le discréditerait. Bien sûr, cette stratégie inédite n'est possible que parce que En Marche ! n'est pas un mouvement politique comme les autres, qu'il est complètement ouvert : des adhérents de toutes les autres organisations pourront se présenter sous l'étiquette d'En Marche !, pourvu qu'ils en partagent les valeurs et les idées.

Et puis, même si Macron échoue, même s'il ne parvient pas à avoir beaucoup d'élus, à se constituer une majorité parlementaire, quelle importance ? C'est le choix du peuple qui compte en République, pas l'ambition des hommes à occuper des places. Il n'y a pas de déshonneur à se voir battu sur ses idées, mais il y a de la honte à l'emporter sur une ambiguïté, un compromis boiteux qui entraîneront par la suite une déception. Dans notre vie politique nationale, nous avons trop connu ça. Mais je reste persuadé qu'une victoire d'Emmanuel Macron à l'élection présidentielle déclenchera une vague parlementaire en sa faveur. En tout cas, si Marcheur vous êtes et que l'élection législative vous inspire, vous pouvez dès aujourd'hui candidater, sur le site du mouvement.

mercredi 18 janvier 2017

La gifle



Un homme politique qui se fait gifler en public, c'est toujours impressionnant. Notre époque, très sensible, le ressent comme une humiliation. Mais non, la chose autrefois existait déjà, François Mitterrand explique, dans ses écrits personnels, les péripéties de l'homme public. Les risques du métier, en quelque sorte ! Pas de quoi s'alarmer, ni d'y voir péril en la démocratie. Je suis même surpris que ce genre d'incident, arrivé hier à Manuel Valls en Bretagne, ne se produise pas plus souvent, tellement l'homme politique est confronté à n'importe quelle sorte de population. Et puis, aujourd'hui, il y a les médias, qui rapportent tout. Jadis, on ne l'aurait pas su ou pas vu, l'impact aurait été moindre, sinon nul.

On oublie aussi que la violence politique était, il n'y a pas si longtemps, beaucoup plus grande qu'aujourd'hui, verbale et physique. De nos jours, un geste inapproprié, un mot contrariant peuvent vous conduire devant les tribunaux. Quand Bernard Cazeneuve prend un air sombre et grave pour condamner l'acte, il a raison, il est plein de bonnes intentions, mais c'est exagéré, inutilement dramatisé : l'auteur du méfait est sans doute une moitié de barjot et une moitié de facho, un type qui veut jouer au héros et qui n'est qu'un minable. Alors, n'en rajoutons pas.

L'Etat n'a pas été hier offensé. C'est un candidat en campagne qui s'est heurté à un opposant pas finaud. La démocratie est à ce prix. Mais sa gifle a foiré : il l'a administrée du bout des doigts. C'est une petite claque, une tape, une calotte, rien de plus. Ah ! nous aurions aimé le soufflet d'Ancien Régime, la gifle aristocratique, l'honneur bafoué, le défi relevé, le duel sur le pré. Qu'importe : le gagnant d'hier à Lamballe, c'est bien sûr Manuel Valls. Il a saisi la malheureuse occasion pour se valoriser, montrer son sang froid, son indifférence à l'événement, il a posé en homme courageux, imbattable, en cible qui prouve son importance et en victime innocente. C'est tout bénéfice pour lui.

mardi 17 janvier 2017

Les ralliés marchent aussi



Depuis quelques jours, il est beaucoup question des ralliements à Emmanuel Macron. La "bulle" fait manifestement des petits ! Pour le PS, elle peut se transformer en "boulet" et l'entraîner par le fond. Ce n'est pas à souhaiter : chacun doit rester lui-même, et la démocratie gagne à la diversité. Il y a les ralliés déclarés, les ralliés supposés, les ralliés possibles, les ralliés célèbres, les ralliés anonymes et, peut-être les plus nombreux, tous ceux qui sont en attente de ralliement, observant prudemment comment la situation va évoluer, surtout le résultat de la primaire, participation et gagnant. Ces ralliés viennent de droite, du centre, de la société civile, d'ailleurs ou de nulle part, mais d'abord du Parti socialiste. 

Cette question des ralliements n'est pas exceptionnelle ou anecdotique : elle est inhérente à notre vie politique, depuis très longtemps. En 1789, une partie de l'aristocratie a fini par se rallier à la Révolution. A la fin du XIXème siècle, l'Eglise catholique s'est ralliée à la République. Après la Seconde guerre mondiale, le Centre national des indépendants et paysans a assuré le ralliement d'ex-pétainistes à la droite conservatrice. Le SAC, Service d'action civique, a permis à des anciens OAS de rallier les rangs gaullistes. La politique est moins une activité d'alliés (de partenaires concluant des alliances en bonne et due forme) que de ralliés : la pente naturelle est d'aller vers le vainqueur, même hypothétique. C'est une loi quasiment naturelle. Ce n'est pas tant l'adage trotskiste, "la force va à la force", qui soit vrai, mais plutôt celui-ci : "la faiblesse va à la force".

En Marche ! doit-il s'inquiéter de sa puissance d'attraction ? Non, il faut se réjouir qu'Emmanuel Macron séduise, s'impose, rassemble. C'est la confirmation de la loi physique et de la tendance historique décrites plus haut. En même temps, ce n'est pas sans danger : combien d'opportunistes parmi les ralliés ? Mais il y a pire : voir le mouvement des Marcheurs altérer son image, par des ralliements insincères, intéressés. Le risque, c'est de perdre une forme de fraîcheur et de jeunesse, par le retour de vieilles barbes et de fins renards. En même temps, ce n'est pas sans solution : tant que ces adhésions demeurent individuelles, se contentent d'être des soutiens sans conditions, il n'y a pas de problème.

Je ne crains rien pour la présidentielle : c'est la rencontre d'un homme et d'un peuple, sans intermédiaires. Mais les législatives et ses investitures seront une épreuve, surmontable elle aussi : il y a les macronistes historiques, de convictions, et il y a les ouvriers de la dernière heure. La distinction est facile. Ceci dit, En Marche ! doit rester ouvert, notamment pour accueillir et intégrer les socialistes que le dénouement de la primaire aura déçu, peut-être même catastrophé. Quand on tient ferme, qu'on reste soi-même, qu'on refuse les compromis d'appareil, on ne risque rien, on peut aller très loin. Jusqu'à l'Elysée et le Palais-Bourbon, par exemple.

lundi 16 janvier 2017

Le bon sens est-il de droite ou de gauche ?



"Bon sens et préjugé" : c'était le thème de ma conférence, mercredi dernier, devant l'Université du Temps Libre de Cambrai, au lycée Fénelon. Le bon sens, on accuse souvent le personnel politique d'en manquer, alors que les idées, au contraire, ne font pas défaut. Mais cette invocation me parait suspecte. Je crains l'effet de rhétorique. Parce que c'est quoi, au fond, que le bon sens ? J'ai tout de suite à l'esprit le slogan du Crédit agricole : "Le bon sens près de chez vous". Cette proximité, c'est le primat de l'expérience, un savoir qui se veut sagesse, une pratique qui prétend se passer de théorie. Le bon sens est rural, paysan, terrien. Les pieds sur terre ou terre à terre ? Son réalisme ne confine-t-il pas au conformisme ? Nous ne sommes pas très loin de "la terre ne ment pas" du maréchal Pétain.

Du coup, le bon sens nous semble conservateur, sinon réactionnaire. Je me souviens d'un petit parti politique, de droite, dans les années 70, qui s'appelait "Union des Français de bon sens". Ca me faisait rigoler. Dans le bon sens, il n'y a pas vraiment de recul, de question, de réflexion : c'est plus un sentiment qu'un raisonnement. Son monde, c'est celui du cliché, du lieu commun, de l'idée reçue. Flaubert nous explique que le bon sens est foncièrement bourgeois. Devant et avec mon public, j'ai taquiné quelques figures classiques du préjugé : pas de fumée sans feu, quand on veut on peut, la vie est courte.

J'essaie, comme à chaque fois, de faire le tour du problème. Dans le cas présent, je me suis rendu compte que le bon sens nait à droite, mais peut finir aussi à gauche. Tout un courant social et libertaire s'en réclame : Georges Orwell, Christopher Lasch, aujourd'hui Jean-Claude Michéa. Son idée, c'est qu'il réside, au fond du peuple, un sens inné de la justice, de la solidarité et de la décence.  On a pu parler d'un anarchisme conservateur, proudhonien, d'un socialisme des gens ordinaires, très hostile à la gauche des Lumières, rationaliste, bourgeoise et progressiste. Bon, je ne suis pas très convaincu et le sujet ne sera pas débattu à la primaire du PS. Mais c'est intéressant.


Merci à Jocelyne pour la photo

dimanche 15 janvier 2017

Reconquérir les classes populaires



Si l'on suit bien le périple d'Emmanuel Macron durant la semaine écoulée, de Nevers à Lille hier, on constate un même fil directeur : l'appel aux classes populaires dans des terres historiquement de gauche, villes moyennes de province ou grand centre urbain. A chaque fois, les salles sont pleines, une partie du public ne peut pas entrer, les meetings sont très présidentiels, l'ambiance est à la ferveur. A gauche, on n'a pas connu ça depuis longtemps. Il faut sans doute remonter aux meetings de François Mitterrand.

Les classes populaires ! Elles ont été délaissées depuis quelques décennies par les partis de gouvernement, y compris le PS. La rhétorique politique le prouve amplement : la référence constante, parfois unique, va aux classes moyennes. Bien sûr, un candidat à la présidentielle pense à tous, a en vue le bien commun, travaille à l'intérêt général, prend en compte l'ensemble des Français. Mais justement ! Il y a aujourd'hui des oubliés, ce sont les classes populaires. C'est à elles qu'Emmanuel Macron s'est adressé, toute cette semaine.

A Nevers, il a traité du problème crucial de la santé, en rappelant qu'il s'opposait à tout déremboursement de médicament. Mais il est allé beaucoup plus loin, là où jamais aucun autre candidat n'est allé : proposer le remboursement à 100% des soins optiques, auditifs et dentaires, qui sont les plus préoccupants pour les classes populaires.

A Clermont-Ferrand, c'est l'emploi qu'Emmanuel Macron est venu défendre en priorité. A la liste des nombreuses mesures qu'il a déjà préconisées s'en est ajoutée une nouvelle : pour toute création d'emploi au niveau du Smic, baisse de 10 points des charges patronales. Mais les classes populaires sont aussi les premières frappées par l'insécurité, dont l'extrême droite fait une exploitation éhontée : la bonne réponse est toute simple, évidente, dans le recrutement de policiers, que Macron chiffre à 10 000.

Dans le nord, à Hénin-Beaumont, la visite d'Emmanuel Macron était hautement symbolique : un pays ouvrier, cruellement meurtri par la crise économique, des élus corrompus, un électorat populaire désemparé, désespéré, qui s'est livré, faute de mieux, à l'extrême droite. Hénin-Beaumont, c'est l'expression du drame contemporain de la gauche. Même Jean-Luc Mélenchon, quand il s'est porté candidat dans la circonscription, n'a pas su y répondre, n'a pas convaincu. Emmanuel Macron a décidé de relever le défi, de parler à ces populations perdues de la gauche, de les écouter, tout en rappelant son opposition absolue au Front national.

Enfin, hier, à Lille, comme un point d'orgue à toute cette semaine passée, Emmanuel Macron a mis en avant le seul espoir des classes populaires de voir leur condition changer, à travers leurs enfants : l'école. Comme pour la police, ce candidat qu'on accuse curieusement d'ultralibéralisme propose des ouvertures de postes de fonctionnaires, 12 000 dans le primaire, en vue de dédoubler les classes de CP et CE1. En préambule, Macron a rendu hommage à la mémoire de Pierre Mauroy et salué Martine Aubry, en faisant l'éloge du passé ouvrier et socialiste.

La polémique qui a suivi cette présence d'Emmanuel Macron est intéressante et révélatrice. D'abord, l'homme ne laisse jamais indifférent. Il fait réagir adversaires et concurrents, ce qui est un bon signe. Hier, la querelle a porté sur sa dénonciation de l'alcoolisme, dont tous les rapports sanitaires montrent qu'il fait des ravages dans notre région, qu'il provoque de la violence, qu'il détruit le tissu social, familial et humain. Macron a repris l'ancien combat de la gauche originelle contre l'alcoolisme (bien décrit dans les romans de Zola). La gauche contemporaine n'ose plus nommer la misère sociale, se réfugie dans le déni, s'est laissée gagner par la bien-pensance petite-bourgeoise, n'avance donc plus aucune solution à des problèmes qu'elle ne reconnaît pas, qu'il est devenu malséant d'évoquer. Qui dénonce aujourd'hui le scandale d'une surmortalité dans les milieux populaires ?

Nous avons donc assisté hier à cette chose inouïe : le FN et le PCF s'en prendre violemment à Emmanuel Macron, parce qu'il a eu le courage de pointer du doigt un fléau social devenu tabou, au même titre que l'illettrisme il y a quelques mois. Pourquoi ? Parce que le PCF a perdu cet électorat populaire et oublié ses origines (sinon, il serait le premier à lutter contre l'alcoolisme et l'illettrisme), parce que le FN s'est approprié cet électorat et qu'il compte bien jalousement le garder, en cultivant exclusivement la xénophobie, en masquant les problèmes sociaux. 

Emmanuel Macron est parti à la reconquête des classes populaires, qui se réfugient massivement dans l'abstention ou bien dans l'extrémisme. Saint-Quentin, ville pauvre où le Front national est la première force d'opposition, doit aussi être une terre de reconquête pour En Marche ! en 2017 et dans les années à venir.


En vignette : hier, à Lille, au Zénith, en attendant l'arrivée d'Emmanuel Macron. Merci à Norbert pour la photo.

samedi 14 janvier 2017

Alerte blanche



A l'heure où j'écris, le ciel est bleu au-dessus de Saint-Quentin, il y a un joli soleil et il ne fait pas si froid que ça pour un mois de janvier. Dehors, j'ai fait quelques pas : il ne glisse pas. Je n'ai pas ressenti le besoin de me déguiser en esquimau ou en cosaque. Alors, j'aimerais savoir pourquoi la météo me dit exactement le contraire depuis quelques jours ? Les deux week-end précédents, c'était le même cinéma : on me promettait du sang, de la sueur et des larmes, c'est-à-dire du vent, de la neige et du verglas. Résultat : rien de tout ça, un temps plutôt agréable, favorable à la promenade. Mais, autour de moi, des gens fréquemment inquiets, parfois affolés par ce qu'ils ont vu à la télé, entendu à la radio : l'apocalypse blanche qui approche.

Je ne sais même pas s'il faut accuser cette noble science prévisionnelle qu'est la météorologie, qui s'appuie tout de même sur des calculs, des expériences, des faits observables. Non, je mets plutôt en cause les animateurs et les présentateurs des journaux radio-télévisés, les commentaires et interprétations qu'ils font de données probablement scientifiques. Nous sommes au spectacle, toute une dramaturgie est déployée. Le film de la semaine, c'est le terrible week-end qui s'annonce dans l'enfer du froid. Même le vocabulaire employé grelotte, surtout les adjectifs : glacial, polaire, sibérien, comme si c'était à qui ira le plus loin, dans la surenchère du froid. J'ai même entendu parler d'un Moscou-Paris, qui ne qualifie pas un train transeuropéen, mais un vent. J'ai justement envie de répliquer : tout ça, c'est du vent, et des gens qui ne manquent pas d'air !

Et puis, il y a les pics (de froid) et les chutes (de température), qui donnent le vertige : on se croirait sur les montagnes russes. A moins que nous ne soyons en plein océan, avec la vague (de froid), image d'un tsunami qui emporte tout au milieu des terres. Tout ça n'est même pas exagéré, mais carrément inventé : la météo dans les médias est devenue un nouveau genre littéraire, avec son langage, ses coups de théâtre, son large public. Mais tout est faux, fictif. Bien sûr, la neige, c'est comme notre propre mort : on y pense, on en parle mais elle ne vient pas, sauf qu'un jour, elle sera là. De même, il va bien finir par neiger, venter, geler, glisser, mais pour le moment, non, rien de tout ça, ou dans d'insignifiants microclimats.

On crée la panique avec des alertes orange. Mais ça veut dire quoi, cette couleur ? Comme aux feux dans la rue : qu'il faut faire attention. C'est au rouge qu'il y a vraiment danger. Je n'entends parler que d'orange, rarement de rouge. Sauf jeudi soir, quelques heures, où le vent soufflait fort. Hier, je ne suis pas allé travailler, mon lycée était fermé. Il est vrai que le temps, magnifique, incitait à la promenade. Mais je n'ai toujours pas compris pourquoi les établissements scolaires n'ont pas ouvert. Ou alors si : pas à cause des intempéries, mais de la peur qu'éprouvent désormais les autorités administratives et politiques à ce qu'on leur reproche quoi que ce soit. Ce n'est même pas la peur de la prise de risque, puisqu'il n'y en avait aucun hier. Et comme dans les tragédies antiques où l'on sur-joue le malheur, la grippe s'est rajoutée au froid pour faire trembler dans les chaumières, avec un déballage de vocabulaire à peu près similaire.

J'ai connu l'heureux temps où l'humanité ne craignait ni le froid, ni la neige, ni même la grippe, où l'on en parlait à peine, où seuls se préoccupaient les vieux et les malades. Que se passe-t-il donc aujourd'hui ? Serions-nous tous devenus, dans nos têtes, vieux et malades ? La neige, c'est notre cocaïne, stupéfiante, excitante, déprimante, morbide. D'ailleurs, les trafiquants l'appellent la poudre, la blanche, la neige. Devant les écrans qui peuplent désormais nos existences, nous sommes hypnotisés par les images et les propos d'une soi-disant météo. Elle est notre drogue dure dans une société hyper-sécurisée, sans aventure, sans grand danger, comparé aux siècles passés. Nous vivons par procuration, à travers la télévision et les réseaux sociaux, des sentiments d'exaltation, de péril. La météo, c'est un peu notre jeu vidéo, notre reality show, mais nous nous interdisons de penser qu'il n'est pas vrai.

Autrefois, on se plaignait : la météo se trompe ! Ne vaudrait-il pas mieux dire, maintenant : la météo nous trompe ? Je rêve d'un monde où tous ces écrans, d'ordinateur et de télévision, s'arrêtent, tombent en panne. Comme on disait à l'époque où les téléviseurs étaient en noir et blanc, il y a de la neige à l'écran, avec ces petits points blancs, ces flocons qui dansaient sur fond sombre, qui indiquaient une interruption de l'image. Mais cette neige-là, pas plus que l'autre, que celle qui vient du ciel l'hiver, nous ne la supporterions pas.

vendredi 13 janvier 2017

Bennahmias chez les Men in black



Le premier débat des primaires du PS promettait d'être violent. Il a été plutôt gnangnan, surtout dans sa première moitié. Bien malin pourrait dire qui en est sorti vainqueur. Visuellement, les candidats donnaient l'impression de porter tous le même costume. Et puis, le niveau n'était pas vraiment présidentiel : sérieux, oui, presque trop ; technique assurément et hélas, car un président de la République n'est pas un technicien. Les complets sombres étaient loin des habits élyséens d'or et d'argent.

Nous avions affaire à un débat de ministres, et ils étaient plusieurs anciens parmi eux ; parfois de directeurs de cabinet ou de conseillers. Mais on ne sentait pas vibrer les hommes d'Etat, sauf chez Manuel Valls, lorsqu'il a été question de politique extérieure et de terrorisme. Il manquait le lyrisme, la vision indispensables à la fonction. Même Arnaud Montebourg, d'habitude dans le genre inspiré, a été hier soir en retrait, moins éloquent. Parfois, les interventions étaient compliquées. Je n'ai pas été convaincu par l'argumentation de Benoît Hamon sur son revenu minimum d'existence. Le moment où l'opposition entre les débatteurs a été la plus forte, c'est sur la loi Travail. Mais comme je la soutiens ...

Une surprise ? Oui, Vincent Peillon. Je ne dirais pas que c'était une révélation, mais il a été bon, dans la forme, supplantant souvent ses concurrents. En revanche, sur le fond, pas question pour moi de le suivre ! Il s'adresse aux militants et aux cadres socialistes, pas aux Français, c'est flagrant. Il flatte la base, tient le discours du Parti. Je crois bien qu'il est déjà dans le coup d'après. Il met la balle au centre, pour être sûr de la ramasser, quand la primaire et la présidentielle seront passées. "Ni gauche sectaire, ni gauche brutale" : à bon entendeur, salut ! Est-ce que ça marchera ? Je n'en sais rien, je ne crois pas. Peillon m'a également surpris par ses pointes de virulence contre le gouvernement, le président. A certains moments, il ménage la chèvre et le chou, à d'autres, il lâche les chiens.

Mais la vie politique est comme la vie : pas que grave et grise, ton sur ton. Elle révèle toujours une touche de couleur et de fantaisie, un moment de détente, où l'on s'amuse intérieurement, où l'on a envie de sourire. Un show man sort de sous la table, un type too much, borderline, dénote, détonne et étonne . A la primaire de la droite, c'était Jean-François Copé ; à celle de la gauche, c'est Jean-Luc Bennahmias. Son nom est autant difficile à écrire que son propos est difficile à suivre. Il s'embrouille et nous embrouille, a des trous de mémoire, mange certains mots, s'agite à son pupitre alors que tous les autres sont des statues cravatées, il semble perdu au milieu de ces Men in black.

Lorsque les journalistes citent son programme, il dit que ce n'est pas son programme. Il rit plus volontiers que les autres et nous fait rire. On se demande ce qu'il fait là, d'où il vient, ce qu'il représente, quoi il défend. Son visage est bizarre, à la fois tristounet et rieur. On dirait une tête de piaf ou de mouette. Il ressemble à André Bourvil et à Dany Boon. C'est un extraterrestre. A moins que ce ne soit les autres qui descendent de leur soucoupe volante. Car Jean-Luc Bennahmias est le plus humain d'entre tous : il se trompe, s'emporte, rigole, il est comme nous. Dans la vie, il est sûrement comme à la télévision, au naturel. Si je croyais à cette primaire, si j'y participais, allez savoir si je ne voterais pas pour lui ... Bon, la suite dimanche prochain.

jeudi 12 janvier 2017

Nous sommes des souverainistes européens



Le discours d'Emmanuel Macron à Berlin représente une étape importante dans l'annonce progressive de son projet. Il a défendu l'Europe, avec panache, comme il sait si bien le faire. Mais a-t-on bien entendu son message, ce qu'il a d'original ? Défendre l'Europe, ce n'est plus trop à la mode. Le conformisme ambiant, déjà ancien, pousse plutôt à la dénigrer, quand ce n'est pas à la rejeter. Le concept saillant dans l'intervention de Macron, c'est celui de "souveraineté européenne".

Quel mot magnifique que celui de "souveraineté" ! Il renvoie à la République, à la Révolution française : la souveraineté populaire, qui a remplacé le souverain couronné, de chair et d'os. Mais le mot a été sali, et même trahi : qui sont aujourd'hui les "souverainistes" ? Quand un néologisme apparaît, il faut toujours s'inquiéter et s'interroger. Ceux qui s'affublent de ce nom sont en réalité des "nationalistes" : ils viennent ou se rapprochent de l'extrême droite. Comme nous sommes loin de la Révolution et de la République !

Le génie politique d'Emmanuel Macron est d'avoir repris et relevé, à Berlin, le drapeau de la "souveraineté", à terre ou bafoué. En le brandissant, il lui a donné un sens nouveau, actuel, moderne, progressiste : la "souveraineté européenne". Car ce qui manque à l'Europe, ce qui alimente les doutes et les craintes, c'est bien ça : l'Europe n'est pas assez "souveraine" (elle l'est même très peu). Dans cette perspective, Macron propose de renforcer son "bouclier militaire", de renforcer le contrôle aux frontières (ce sont là, en effet, les prérogatives de la souveraineté, qui bien sûr ne se limite pas à ça).

Pour l'instant, dans le débat des présidentielles qui ne fait que commencer, Emmanuel Macron est le plus européen des candidats. Un signe qui ne trompe pas : les drapeaux européens, dans ses meetings, font jeu égal avec les drapeaux tricolores. Quel autre candidat oserait ? Macron nous sort enfin des sophismes et oxymores qui troublent le discours européen. Quand Arnaud Montebourg dit qu'il veut plus de nation et plus d'Europe, ça ne veut rien dire, c'est contradictoire. Même un grand Européen que j'admire beaucoup, Jacques Delors, a été maladroit quand il a parlé, autrefois, d'une "Europe fédérale des Etats-nations".

Je pense que le concept de "fédéralisme" est dépassé, inapproprié. Il n'aurait jamais dû être employé, tant il se rapporte à d'autres réalités géopolitiques, telles que les Etats-Unis d'Amérique. Non, c'est la souveraineté pleine et entière qui importe et qui est à construire. A En Marche ! nous pouvons le proclamer fièrement : nous sommes des souverainistes, oui, mais des souverainistes européens. Il faut reprendre à l'adversaire ses termes, et les élever, leur donner un sens noble, en faire quelque chose de défendable.

mercredi 11 janvier 2017

Revenu minimum universel



Le débat de la primaire socialiste a jusqu'à présent accouché d'une idée, à l'initiative de Benoit Hamon, qui fait réagir, que les autres candidats ne partagent pas. Mais c'est un peu étrange. D'abord, l'idée n'est pas nouvelle : elle date au moins d'une bonne vingtaine d'années. Ensuite, elle est étrangère à la tradition du socialisme réformiste, qui ne s'en est jamais emparé, qui ne l'a pas revendiquée. En effet, c'est un projet issu de la gauche alternative, radicale, antilibérale, pas de la social-démocratie (pas non plus de l'extrême gauche, qui ne l'a jamais portée).

Surtout, ce projet me semble indéfendable. Je passe sur son financement, astronomique, qu'aucun budget ne pourra supporter. C'est le principe que je conteste : verser environ 800 euros à tout le monde, pour leur assurer d'un minimum en quelque sorte vital, c'est privilégier une sotte égalité au détriment de la juste équité. Des millions de personnes dans notre société n'ont que faire de cette somme, soit parce qu'elles ont une vie correcte, soit parce qu'elles gagnent beaucoup d'argent. Leur en donner encore plus, c'est un singulier scandale, qui creuse encore plus les inégalités !

Au moins les pauvres, les gens modestes en tireront-ils quelque bénéfice ? Même pas ! Les très pauvres, oui, assurément, mais ils disposent aussi actuellement des minimas sociaux. Pour les autres, croit-on que vivre avec 800 euros par mois assure une vie décente, ouverte sur l'avenir ? Je ne crois vraiment pas. Les premiers concernés ne seront pas satisfaits, le reste de la population restera indifférente, ne se sentant pas concerné. Et puis, sait-on que ce revenu minimum universel, souvent défendu par la gauche antilibérale, convient parfaitement à la pensée libérale ? C'est la vieille idée d'un filet de sécurité pour les plus démunis, au-delà duquel la loi du marché et sa concurrence individuelle continuent à s'exercer de plus belle.

Cependant, je ne partage pas la critique de Manuel Valls, qui accuse cette proposition d'encourager "l'assistanat" et le "farniente" (sic). Voilà un argument bien droitier pour un candidat qui s'efforce de gauchir son image. Non, en socialiste, c'est l'emploi que je privilégie, et l'amélioration du pouvoir d'achat : pas ce revenu minimum universel, qui ne règle pas nos plus douloureux problèmes. Ceci dit, Benoît Hamon a le mérite de l'idée, on ne peut pas lui enlever cela. Nous verrons, dans le premier débat des primaires demain soir ce qu'il en fera, quels arguments il avancera, comment les autres candidats répondront. Après tout, je ne demande qu'à être convaincu. Mais ce ne sera pas facile. 

mardi 10 janvier 2017

577 candidats



La nouvelle est venue de Berlin, où se trouve aujourd'hui Emmanuel Macron. Elle ne surprend pas, mais c'est une utile confirmation : En Marche ! aura, aux prochaines élections législatives, des candidats dans toutes les circonscriptions, avec de bonnes chances pour nombre d'entre eux de devenir députés, si Emmanuel Macron est élu président de la République, dans la vague qui inévitablement suivra.

Les investitures seront originales, et même probablement jamais vues sous la Vème République, puisque la double appartenance sera autorisée. Nous aurons ainsi des candidats d'En Marche ! qui viendront du PS, de l'UDI ou de LR : une révolution dans nos traditions électorales ! Mais il y aura aussi tous ceux qui viendront de la société civile, les nouveaux venus dans la vie politique. Important pour le renouvellement, tant attendu par les Français !

Les candidats seront désignés par la direction du mouvement. C'est là aussi une bonne chose. Elle met fin à l'hypocrisie du vote par la base, qui se joue dans un mouchoir de poche, entre quelques-uns, souvent décidé à l'avance, sans considération pour le travail, la compétence ou l'influence. Les seuls électeurs, ce sont les citoyens appelés aux urnes lors du scrutin législatif. Ce qui précède n'est que cuisine d'appareil.

Emmanuel Macron a parfaitement conscience que cette étape des investitures sera cruciale pour En Marche ! Ce sera surtout un test pour sa maturité politique et sa capacité à renouveler la classe politique, sans tomber dans les disputes et les divisions. Psychologiquement, Macron prévoit des "frustrations", inévitables dans ce genre de situation, et parfois dangereuses de rancune, sinon de vengeance. Il faudra gérer ! La solution de Macron est simple : la "transparence" dans les critères de désignation, parce qu'il devra forcément y en avoir. C'est ce que j'ai toujours souhaité : une désignation qui ne se joue pas à pile ou face, dans des arrangements de dernière minute, où les rapports de force l'emportent sur les choix de bonne intelligence.

Dans la circonscription de Saint-Quentin, ce choix sera spécialement important, parce que le candidat d'Emmanuel Macron arrivera sans doute en tête des progressistes, le Parti socialiste n'ayant trouvé personne issu de ses rangs pour se présenter. Il serait même souhaitable, dans de telles conditions, que le PS soutienne dès le premier tour le candidat d'En Marche ! Si la gauche se sentait libre dans sa tête, cette possibilité serait à envisager, du moins à discuter. L'important en politique n'est pas de participer, mais de gagner.

lundi 9 janvier 2017

Tout est bon pour Macron



Ces derniers jours, tout est bon pour Macron. Il y a ce sondage qui le met en n°2 de l'élection présidentielle. Plus aucun doute : le meilleur pour battre Le Pen, c'est lui. Fini le troisième homme, ni même le deuxième, puisque le premier à gauche, c'est Emmanuel Macron. Autre bonne nouvelle : Arnaud Montebourg sortirait vainqueur de la primaire. Alors là, mes amis, c'est le boulevard, la voie royale : Hollande et une bonne partie du PS se rallieront à Emmanuel Macron, et je ne sais pas ce que deviendra le Parti socialiste.

Les critiques envers le candidat deviennent des titres de gloire, tant elles passent à côté de leur cible. Avez-vous vu jeudi soir "Complément d'enquête", sur France 2 ? C'était drôle de mauvaise foi. On gratte, on gratte, mais on ne trouve rien. Ah ! si : le fric et la com. Macron va à New-York récolter de l'argent, ne livre pas le nom des donateurs. Quelle histoire ! En Marche ! n'a pas d'élus, pas de subventions, pas de cotisants : le mouvement va chercher de l'argent auprès de ses soutiens, dont la participation veut rester d'ordre privé. Emmanuel Macron fera un prêt personnel. Quoi de mal, quoi d'anormal ? Rien, absolument rien.

Et la com ? Macron est dans les magazines, à la radio, dans les télés, et les jaloux dont on ne parle pas le jalousent. Macron fait ce que tout le monde fait en politique : il communique. En quoi est-ce répréhensible ? La différence, c'est que lui a réalisé en 6 mois ce que certains ont mis 20 ans à réussir. Il est candidat, veut se faire connaître, y réussit très bien : c'est le but de tout homme public, non ? Macron people ? Qu'est-ce que ça peut faire ? L'homme ne se réduit pas à ça, loin de là. Les gens sont curieux de la vie de leurs personnalités, y compris politiques : pourquoi serait-ce condamnable ?

Et puis, il y a les reproches voilés de Bernard Cazeneuve lors d'un éloge à François Mitterrand. Est-ce bien le rôle d'un Premier ministre de se perdre dans des sous-entendus pernicieux ? Il rappelle que Mitterrand ne croyait pas à l'effacement du clivage gauche-droite. Mais Emmanuel Macron n'a jamais dit que cette distinction n'existait plus : simplement qu'elle s'est relativisée, que plusieurs grands thèmes lui échappent, qu'elle n'a plus la pertinence d'autrefois, car Mitterrand c'était quand même il y a 30 ou 40 ans. Même lui, avec sa "France unie" de 1988, remettait en cause ce clivage.

Cazeneuve tire sur le centrisme, jugé opportuniste et inexistant. Mais jamais Macron ne s'est situé au centre. Il s'est toujours défini personnellement comme un homme de gauche. Le clivage qu'il ne cesse de prôner, c'est celui entre progressistes et conservateurs ; pas un positionnement au centre.

Puisque nous parlons de François Mitterrand, comment ne pas saluer la performance d'Emmanuel Macron sur ses terres, à Nevers, où il a mobilisé un millier de personnes. Je connais la ville, en bordure du Berry. Attirer autant de monde, il faut le faire ! Pas si loin, à Clermont-Ferrand, Macron a défendu l'ENA, et c'est bien à entendre, parce que j'en ai assez de tous ces démagogues et populistes qui prétendent vouloir supprimer une école remarquable, prestigieuse, qui est l'honneur de la France dans le monde. Et par quoi veulent-ils la remplacer ? Cette haine de soi, ce rejet de nos élites sont particulièrement inquiétants. Non pas que Macron ne veuille pas réformer cette institution : au contraire, il propose d'élargir son recrutement, de revoir les règles de son concours. Mais la détruire, non ! Les conformistes ne viennent pas majoritairement de là, et Emmanuel Macron en est la preuve.

dimanche 8 janvier 2017

Mario Soares



Mario Soares nous a quittés hier. C'était une grande figure politique, un modèle de socialisme réformiste et européen, dans la lignée d'Olof Palme et de Salvador Allende. Dans les années 70, au Portugal, il aura relevé avec succès trois défis :

1- Tenir tête au parti communiste le plus stalinien d'Europe, qui pouvait entraîner le pays dans la révolution violente et le totalitarisme.

2- Réaliser une transition pacifique de la dictature à la démocratie, ce qui est historiquement un tour de force, quelque chose d'exceptionnel.

3- S'appuyer sur l'armée, ce qui est inhabituel pour la gauche socialiste, tout en ne débouchant pas sur un régime militaire, contrairement là aussi à ce qui se passe bien souvent hélas dans l'Histoire.

Mario Soares est venu à Saint-Quentin, en début 2004, à quelques jours du premier tour des élections cantonales, où j'étais candidat dans le canton nord, et Anne Ferreira, conseillère générale sortante et députée européenne, dans le canton centre. Une grande réunion publique a eu lieue dans la salle du café des Champs-Elysées, archi-comble, en présence de Jean-Jacques Thomas, premier secrétaire du PS de l'Aisne.

Le déjeuner, en présence de nombreux invités, s'est tenu au restaurant rue de la Sous-Préfecture. Je me souviens d'un Mario Soares déjà âgé, parfois un peu assoupi ou en donnant l'apparence, puis s'éveillant à sa prise de parole, redevenant ainsi le tribun qu'il n'avait jamais cessé d'être . D'ailleurs, deux ans après cette rencontre, il se présentait aux élections présidentielles dans son pays, à 80 ans !

Rappelons que les Portugais forment la communauté d'origine étrangère la plus importante de Saint-Quentin, qu'ils disposent entre autres d'un café associatif boulevard Henri-Martin et d'une épicerie de produits locaux rue Pontoile.

samedi 7 janvier 2017

Emporté par la foule



Les vœux de la Municipalité : bon, je crois que je l'écris chaque année, c'est l'événement à ne pas manquer. Pourtant, c'est à chaque fois la même chose. Mais il y a aussi un goût particulier. Madame le maire avait choisi de mettre la fameuse petite robe noire, qui plait tant aux femmes dans les soirées. Elle aurait pu chanter, pendant son discours, comme Edith Piaf, la vie en rose, non je ne regrette rien ou l'hymne à l'amour (de Saint-Quentin).

Frédérique Macarez était bien entourée : à sa gauche Freddy Grzeziczak, à sa droite Thomas Dudebout, qui étaient si près d'elle qu'on aurait dit des gardes du corps. Ils sont tous les deux grands, fringués, ils ont l'allure. Sur les écrans de retransmission, ils bordaient parfaitement l'image, on les voyait très bien, comme si c'était fait exprès, calculé. Auraient-ils des idées en tête pour l'avenir ? "Plus près de toi, mon Dieu", chantait un ancien cantique catholique ... Le pouvoir, c'est aussi une question de millimètres.

A l'inverse, deux autres, et non des moindres, avaient choisi d'être hors-cadre, aux bouts de la scène, et sans cravate, col ouvert : Jérôme Lavrilleux et Xavier Bertrand. Les plus connus sont ceux qui ont le moins besoin de se faire connaître. Ont-ils même encore des rêves de pouvoir ? A moins que leur éloignement l'un de l'autre signifie une prise de distance, un désir de ne pas se rencontrer ni se saluer. Mais non : quand on est fâché en politique, on fait semblant de ne surtout pas l'être ...

Et moi dans tout ça ? Eh bien, je ressens la même impression, légèrement oppressante, qu'en janvier 1999, où j'ai assisté pour la première fois à cette spectaculaire cérémonie, qui fait courir tout le département. A l'époque, les socialistes avait un chef, mais pas d'élus ; maintenant, ils ont quelques malheureux élus, mais pas de chef : ça revient un peu au même. Surtout, c'est le seul moment de l'année, et le seul endroit où je sens physiquement le pouvoir et la puissance de la droite locale. Je suis peut-être le seul, parmi des milliers, à éprouver ce fort et écrasant sentiment pour un socialiste qui a envie de victoires : depuis 18 ans, l'incarnation douloureuse de l'échec et de l'absence de la gauche, sans même qu'un tout petit espoir de l'emporter nous soit donné. Certaines mélopées du BRB n'arrangent pas ma mélancolie.

Alors, je fais quoi, dans cet instant d'accablement ? La seule chose qui reste à faire ici et maintenant, que tout le monde fait : manger et boire (le champagne est servi à volonté). Et puis, il y a l'ivresse des rencontres. Je suis resté hier soir près de trois heures à circuler dans le palais de Fervaques, un peu comme un politique au salon de l'agriculture, mais sans les cochons ni les vaches. Il y a des tas de gens qu'on ne voit pas dans l'année, qui habitent pourtant tout près (Saint-Quentin n'est pas grand), qu'on néglige de contacter : c'est l'occasion de renouer, de prendre des nouvelles ... en attendant l'an prochain. Parce que je serai encore là, et les élus de droite aussi. Je devrais m'en lasser, mais non. Est-ce que je vais terminer ma vie comme ça ?

vendredi 6 janvier 2017

Valls, tenue correcte exigée



J'ai regardé Manuel Valls hier soir, à "L'Emission politique", en me posant cette question : pourquoi l'aimais-je avant, et plus trop maintenant ? Evidemment, c'est la découverte d'Emmanuel Macron qui a tout changé, qui a ringardisé, à mes yeux (qui ne sont pas les seuls), la candidature de Valls. Mais il faut rester honnête : je continue à partager, en gros, sa ligne économique et sociale, qui n'est pas si différente que ça de celle de Macron.

Et puis, il y a chez lui, l'ex-Premier ministre, ce ton toujours sérieux, et même grave, très déterminé, que j'apprécie beaucoup. Mais voilà : cet air sombre, trop ténébreux, a été éclipsé par le soleil, le visage lumineux et souriant de Macron. Ce ne sont pas des annotations superficielles : la politique est aussi une question d'incarnation, de représentation et donc de tête. Les sourires, surtout américains, pourtant m'agacent. Mais celui de Macron est porteur d'optimisme et d'espoir, que je ne sens pas chez Valls. Sa crispation anxiogène n'est pas de bon aloi.

Sur le fond, je ne partage pas sa position qui consiste à dire : "J'ai changé". Certes, Manuel Valls est cohérent, mais il n'est pas constant. On ne reconnaît plus, dans le candidat à la primaire d'aujourd'hui, celui qu'il était à la primaire de 2011, un social-libéral "assumé" (pourtant, combien de fois n'a-t-il pas prononcé hier cet adjectif, comme pour démentir la réalité !). Sur le 49-3, sur l'ISF, sur les 35 heures, sur les gauches "irréconciliables", Valls a changé, et je crois qu'il ne le faut pas, en politique, sauf à la marge, par ajustement. Changer et le cacher passe encore ; mais s'en vanter, en faire un argument de campagne, non !

Si j'ai été globalement d'accord avec ce qu'a dit Manuel Valls dans "L'Emission politique", il y a un moment, un point sur lequel mon désaccord avec lui est absolu. C'est lorsqu'il a dialogué avec une jeune femme portant un voile. Je me range complètement de l'avis de celle-ci : nous sommes en République, chacun est libre de ses choix, en premier lieu de se vêtir comme il veut. Par rapport à ça, la position de Valls a été embrouillée. Il invoque le respect, la liberté, la laïcité, ne condamne pas le couvre-chef de la personne qu'il a devant lui, mais persiste à assimiler le port du voile à l'asservissement de la femme.

Non, en tant que laïque, républicain, responsable politique et homme d'Etat, Valls n'a pas à sur-interpréter un vêtement, n'a pas à en faire une exégèse religieuse, à la façon d'un théologien. Il doit garder de la distance, conserver une neutralité, qui sont les garants de la liberté en République. L'Etat n'a pas à dire comment on doit s'habiller, quelle est la tenue correcte exigée. Manuel Valls s'est demandé, devant la jeune femme, pourquoi les cheveux devaient être cachés, en quoi était-il impudique de les montrer.

Mais de quoi se mêle-t-il ? A chacun sa morale, son mode de vie, ses valeurs personnelles, sa perception de l'existence ! Les autorités publiques n'ont pas à s'en mêler, à imposer je ne sais quel ordre moral. Valls a même eu ce propos consternant : les seins nus ne lui semblent pas répréhensibles, parce que symboles d'émancipation, alors que la chevelure sous un tissu est condamnable, parce que symbole de servitude.

C'est quoi, ce délire ? comme disent nos jeunes et mes élèves. On pourrait tout aussi bien renverser l'argumentation, et soutenir que l'exhibition de la poitrine féminine, dans la publicité par exemple, est une exploitation machiste du corps de la femme. Mais je ne le dirais pas non plus, parce que je ne veux pas entrer dans le jeu infini et toujours contestable des interprétations. Mon seul souci, c'est la liberté individuelle. Là-dessus, à propos du voile, Manuel Valls est obscur et inquiétant.

jeudi 5 janvier 2017

Tuer pour ne pas mourir



800 000 canards vont être abattus. C'est un chiffre affolant. Je n'éprouve pas de tendresse particulière envers ces volatiles palmés, mais l'holocauste est si gigantesque qu'il pousse à réfléchir. C'est d'autant plus délirant que la plupart des bêtes ne sont pas malades, pas touchées par le virus de la grippe aviaire. Mais comme celui-ci est redoutable, qu'il a déjà lourdement frappé, qu'il a provoqué par le passé une véritable hécatombe, les autorités sanitaires préfèrent prévenir que ne pas pouvoir guérir. C'est la logique de la prévention, le principe de précaution.

Est-ce sage ? Oui, sans doute, d'une sagesse folle, qui prouve que notre société vit dans la peur, refuse de prendre tout risque, redoute par dessus tout la mort. Il y a quelque chose d'autodestructeur dans ce massacre de canards. C'est la politique de la terre brûlée : mieux vaut mourir maintenant et nombreux que plus tard et encore plus nombreux. Tout un secteur d'activité est contraint à se suicider. On croyait la notion de "sacrifice" disparue du monde moderne, parce que archaïque, religieuse. La revoilà, dans le contexte de notre époque, la civilisation scientifique : pour conjurer notre peur, pour écarter le danger, nous dressons d'immenses bûchers, sans bois ni flammes, mais le résultat est le même. Le bouc émissaire, dont le mécanisme a été analysé par René Girard, s'est transformé en canard émissaire. Quand on l'aura sacrifié, les dieux seront rassasiés, nous serons tranquilles pendant un certain temps, avant de devoir recommencer.

A 13h00, sur RTL, une auditrice a appelé pour dénoncer le scandale et prendre la défense des "pauvres canards". Elle a fait remarquer que les agriculteurs, comme d'autres professions, étaient atteints par une vague de suicides, que le carnage des canards justifiait que certains agriculteurs mettent fin à leur tour à leurs jours (elle ne l'a pas dit exactement comme ça, mais l'idée était bien celle-là). Il n'y a pas que la grippe aviaire qui soit un virus : la folie aussi. L'obsession de la mort provoque l'obsession de la mort. Nous sommes entrés dans la danse infernale et morbide des canards.

mercredi 4 janvier 2017

Qui est l'héritier de Hollande ?



Il parait qu'il y a comme un froid entre François Hollande et Manuel Valls. C'est le Canard enchaîné, journal satirique mais néanmoins informé et sérieux, qui le prétend ce matin. Les deux hommes ne se parleraient plus. Quand on pense qu'il y a quelques semaines, pas si longtemps, ils avaient partagé ensemble un repas de clarification, qui m'avait valu un billet d'explication gastronomique ! Ils n'ont qu'à recommencer.

Mais cette fâcherie est-elle vraie ? Manuel Valls répond que non, que c'est une "plaisanterie". Il ne faut pas rire avec ces choses-là. L'ancien Premier ministre apporte une preuve : il a souhaité la bonne année au président de la République, il lui a donc adressé la parole. Et comme nous sommes le 4 janvier, la prise de langues est toute récente. Mais attention : en politique, quatre jours, c'est une éternité. Il peut s'en passer, dans cette durée, des choses, qui bouleversent une situation du tout au tout.

Ce que j'en pense ? Que tout ça n'a aucune importance. La vie politique est faite de disputes et de rabibochages. On change de trottoir quand on se voit, puis on se jette au cou quand on se retrouve. La vie est une comédie, la politique est une hyper-comédie. Et puis, en supposant que Valls et Hollande se soient causés en se souhaitant une bonne année, qu'est-ce que ça prouverait ? On s'embrasse et on n'en pense pas moins. La politique est pleine de baisers mouillés au poison.

Pourtant, cette anecdote a une part de vérité. Elle amène à se poser une question politique sérieuse : qui est l'héritier de François Hollande ? Certes, en politique, on n'est jamais si bien servi que par soi-même. Mais, à défaut, qui prend le relais ? Pour le moment, c'est Manuel Valls, en apparence. Mais assume-t-il vraiment l'héritage ? Oui et non, puisqu'il revendique un "droit à l'inventivité", curieuse formule, sous forme de lapsus, puisqu'elle nous fait penser au "droit d'inventaire" que proclamait Lionel Jospin en 1995, pour se distinguer de François Mitterrand.

Et puis, nous avons le sentiment qu'ils sont deux à pouvoir se réclamer du père : Valls et Peillon, ce qui fait un de trop, évidemment. Surtout, c'est au roi de désigner son dauphin. Et là, François Hollande se tait, ne fait pas le moindre signe, même symbolique. Mon avis, c'est qu'il ne dira rien avant le résultat de la primaire, qu'il ne s'engagera pas, que la plupart de ses ministres ne soutiendront aucun candidat : la sortie de l'Elysée ce matin en a été l'illustration. Le gouvernement a la tête ailleurs, et il a raison : c'est le sort de la France qui le préoccupe, pas celui du Parti socialiste, qui se soucie fort bien tout seul de lui-même (ou très mal, selon les points de vue). Hollande ne pense qu'à un chose : soigner sa propre sortie, pas favoriser l'entrée d'un autre.

Il y a encore un argument plus fort : comme nous tous, François Hollande ne sait pas qui va sortir du chapeau des primaires, ni surtout dans quel état. Il fait donc la seule chose à faire, qui est parfois la sagesse suprême en politique : il attend, et il soutiendra le moment venu et voulu, car l'indifférence absolue en de telles circonstances serait inconcevable, celui qui sera le mieux ou le moins mal placé pour l'emporter à l'élection présidentielle, en tout cas celui qui aura une chance, petite ou grande, d'être sélectionné pour le second tour.

Et celui-là, dont nous ne connaissons pour l'instant ni le nom ni le visage, ce pourrait bien être Emmanuel Macron, si les sondages persistent à le mettre en tête. J'ai posé, dans ce billet, la question politique fondamentale : qui est l'héritier de François Hollande ? Je n'ai pas voulu apporter tout de suite la réponse, préférant d'abord les considérations tactiques. Mais sur le fond idéologique, Macron est celui qui a le plus de proximité avec François Hollande. C'est bien lui qui, dès le début du quinquennat, a influencé la politique choisie.

Et si le ministre de l'Economie a fini par quitter le gouvernement, ce n'est pas parce qu'il prônait un changement de politique, à la différence de Montebourg et Hamon : c'est au contraire parce qu'il pensait que cette politique n'allait pas assez loin, qu'il y avait des atermoiements, des timidités, des hésitations. Il y a des départs qui sont motivés par la fidélité. En tout cas, Emmanuel Macron n'a jamais critiqué publiquement François Hollande, l'a toujours assuré de son affection. Ces choses-là comptent. Oui, Macron, à sa façon, est l'héritier de François Hollande. Reste maintenant à ce qu'il devienne son successeur.

mardi 3 janvier 2017

Primaires : prêts ? Partez !



Les primaires de la gauche commencent vraiment aujourd'hui. Je n'y participerai pas, puisque je soutiens Emmanuel Macron. Mais je m'y intéresserai et suivrai leurs débats. Les candidats ne me soucient pas. Je crois qu'aucun d'entre eux ne va se dégager, ni endosser les habits présidentiels. Je pense même qu'ils vont se neutraliser les uns les autres, que cette primaire ne mobilisera pas et, au final, affaiblira la gauche.

La procédure est trop courte : ce n'est pas en trois semaines et trois débats qui tiendront dans un mouchoir de poche de quelques jours qu'une véritable campagne peut se tenir. Et pour cause : sa raison initiale était de valider, par formalité, la candidature de François Hollande. Son format était présidentiel. Mais livré à de simples postulants, son cadre devient beaucoup trop restreint.

Si je vais malgré tout suivre ce qui se passera, c'est d'abord parce que j'aime la politique, ensuite parce que l'inattendu n'est jamais exclu, enfin et surtout parce que le débat d'idées est toujours nécessaire à la démocratie. Dommage que les dés soient pipés. Montebourg et Hamon sont proches, se partagent l'aile gauche : pourquoi cette division ? Peillon et Valls sont deux sociaux- démocrates : pourquoi se présentent-ils l'un contre l'autre ? Les autres sont des inconnus : quelle est leur utilité ?

Tout va se décider à la radio et surtout à la télévision : est-ce bien normal en démocratie, qui ne peut pas se satisfaire d'une mise en scène médiatique ? Le pire, c'est quand les primaires seront terminées : nous savons bien que les principaux candidats ont trop de différences entre eux pour rassembler et soutenir le gagnant. Il n'est même pas impossible que de multiples contentieux ternissent le résultat, puisque les primaires vont être organisées par un appareil considérablement affaibli, réduit à l'esprit procédurier. Ces primaires sont parties, oui, mais on ne sait où.

lundi 2 janvier 2017

François Chérèque



La disparition de François Chérèque est un choc : si inattendue, jeune encore, et en ce début d'année ... L'heure est aux hommages, et c'est normal, de tradition. Mais il ne faut pas oublier non plus que Chérèque aura été souvent détesté, insulté par la persistance à gauche, en politique et dans le syndicalisme, d'un courant radical, âprement lutte de classes, stalinien. Nos adversaires nous apprennent autant sur nous-mêmes que nos amis.

François Chérèque était aimé des uns et haï des autres parce que c'était un syndicaliste réformiste, avec tout ce que cet engagement implique : le refus de l'opposition systématique, la pratique du compromis, le sens de l'intérêt général. Il rejetait à la fois le corporatisme professionnel, à l'ancienne, et le syndicalisme révolutionnaire, politique.

Chérèque était une pure figure de la CFDT, comme son père, Jacques. Il a dirigé ce syndicat pendant 10 ans, de 2002 à 2012, entre la sévère défaite de Lionel Jospin et la prometteuse victoire de François Hollande. Il aura donc été syndicaliste sous des gouvernements de droite. On lui en a beaucoup voulu de soutenir la réforme des retraites en 2003, mais c'était dans la logique de son réformisme, qui estime qu'à vouloir ne rien changer, on finit par tout perdre.

François Chérèque était aussi un intellectuel social-démocrate, acceptant de prendre la présidence du très moderniste et très contesté groupe de pensée Terra Nova. C'était enfin un homme de pouvoir, mais sans jamais confondre mandat syndical et responsabilité politique. Dans ces deux registres, c'est toujours la cause sociale qui le motivait, à la tête de l'Agence du service civique ou comme haut fonctionnaire chargé de la lutte contre la grande pauvreté. François Chérèque inscrit désormais son nom dans la lignée du syndicalisme réformiste : Edmond Maire, Jean Kaspar, Nicole Notat et aujourd'hui Laurent Berger.

dimanche 1 janvier 2017

Adieu François



J'ai regardé, bien sûr, hier soir, les vœux du président de la République, les derniers de François Hollande. Je n'ai pas retrouvé François Mitterrand : ses vœux étaient mes préférés, surtout les ultimes, "je crois aux forces de l'esprit, là où je serai je ne vous oublierai pas". Autre style, autre époque. Mitterrand faisait face au tragique de l'existence, à la durée, à l'échec, à la mort, à tout ce que notre société aujourd'hui déteste et rejette. Hollande, c'est l'homme normal, l'homme contemporain, jusqu'au bout, jusqu'à hier soir.

Je l'attendais en chef de guerre contre Daech, je savais qu'il ne le serait pas, parce qu'il n'a jamais voulu l'être. Notre époque ne veut ni de chef, ni de guerre. François Hollande s'est présenté comme le protecteur des victimes, il a compati à leurs souffrances, il s'est adressé à chacun d'entre nous, un peu victime, un peu souffrant et tellement fatigué, épuisé, choqué par cette Histoire qui ne daigne pas s'arrêter. Normal, Hollande l'est aussi en renonçant au pouvoir, en renonçant à se battre pour le pouvoir, pour le conserver. Pourtant, le bilan de son quinquennat n'est pas si mal, à l'écouter. Pourtant, sans lui, il nous l'a dit hier soir, la droite est menaçante, l'extrême droite est périlleuse et la gauche est divisée jusqu'à risquer de s'éliminer.

A l'heure de son départ, je ne peux pas m'empêcher de penser au soir de son arrivée, au deuxième tour de la présidentielle de 2012. En Corrèze, à Paris, la foule était énorme autour de lui. L'enthousiasme était disproportionné. Tout cela ne pouvait que mal se terminer, je l'ai senti dès cet instant-là. Hier soir, nous sommes restés sur notre faim : Hollande a seulement était bien, alors que nous l'aurions voulu bon. Il a été égal à lui-même, alors que nous aurions souhaité qu'il se dépasse. François Hollande a voulu être un homme de son temps, mais les temps sont ingrats. Hier, nous étions dans le bilan, le constat et la crainte. Nous aurions tellement aimé être dans l'espoir, la mobilisation, la conquête ! C'est à un autre que reviendra cette tâche. Bonne année à toutes et à tous !