mercredi 30 novembre 2011

Le succès d'une mobilisation.




Il y avait moins de monde que pour Henri Guaino au théâtre Jean-Vilar mais ce n'était pas mal non plus : 200 personnes hier soir dans l'Espace Matisse à Saint-Quentin, pour assister à la soirée contre les violences faites aux femmes (voir photo). Je sais combien, dans notre ville, il est difficile de mobiliser, surtout sans l'appui de la municipalité. Du coup, devant ce succès, je me suis interrogé sur les conditions d'une bonne mobilisation. Et j'en vois trois :

1- D'abord un partenariat entre associations, en l'occurrence l'Aster-International présidée par Marie-Lise Semblat, le CIDFF (centre d'information sur le droit des femmes et des familles), l'ASTI (association de solidarité avec les travailleurs immigrés) présidée par Jocelyne Nardi et Rencontre Citoy'Aisne.

2- Ensuite ce que j'appelle les grandes additions des petits nombres : un gros public ne peut plus aujourd'hui être homogène, ni venir spontanément à la suite d'une annonce dans la presse ou d'une information par prospectus. Il faut au préalable labourer le terrain en contactant les structures de base susceptibles de faire venir des personnes. Chacune ne déplace qu'un petit groupe mais l'addition de toutes aboutit à une foule importante.

3- Enfin l'événement est le résultat d'un travail dans la durée, bien en amont, avant même qu'il n'ait été envisagé et conçu : c'est un travail de contact de plusieurs années, dans les centres sociaux, les établissements scolaires, le monde associatif.

Une rencontre de ce genre n'a de sens que si elle mobilise du monde. Autant rester chez soi ou se réunir dans sa cuisine si les activités sont confidentielles, en nombre restreint de participants, de nature quasiment privée. Une activité publique doit rassembler du public sinon arrêter. Je remarque aussi que le succès pardonne tout : il y avait hier soir mille petits défauts techniques qui m'ont mécontenté, mais le public, lui, était content. En définitive, c'est son seul jugement qui compte, et sa présence est déjà un indice.

Je suis de plus en plus porté à vouloir organiser de "gros" (tout est relatif) événements, du moins en ville. Dans le milieu rural, je reste très attaché aux activités de type café philo, plus modestes d'apparence mais très demandées et véritablement utiles à ces collectivités qui se sentent parfois isolées, qui voudraient bien elle aussi profiter des lumières de la ville.

Signe des temps : à la fin, les gens ne rangent plus spontanément leur chaise, comme c'était encore le cas il y a quelques années. J'avais noté, au meeting de Lutte ouvrière, que les sièges étaient rangés par les militants, pas par l'assistance. Désormais, il faut veiller à la qualité de nos activités, aux exigences de la population et à l'évolution de la société vers plus de confort : si les gens font l'effort de venir, ce n'est pas après pour se coltiner les chaises à ranger ! Il n'y a pas à s'en désoler. Les choses sont maintenant ainsi. Organisation, communication, imagination ce sont les défis à relever pour les associations, si elles veulent connaître le succès dans leur mobilisation.

mardi 29 novembre 2011

Comme un enfant.




Depuis cinq ou six ans, je me rends environ une fois par mois au centre social de Guise, pour animer un café philo comme les autres et pourtant pas tout à fait comme les autres : je me retrouve parmi les stagiaires de l'atelier d'insertion, des hommes et des femmes qui n'ont pas d'emploi et qui ont de grosses difficultés pour en trouver.

Qu'est-ce que je fais là ? Ils veulent du boulot pas de la philo, un peu d'argent et pas de blabla. Je sais, mais je crois aussi que je leur apporte quelque chose (et qu'ils m'apportent quelque chose, sinon je ne viendrais pas) : sortir de leurs préoccupations ordinaires, montrer qu'on a beau être exclus ou en marge ça n'empêche pas de penser, d'avoir des idées. C'est une façon de retrouver l'estime de soi. Prendre la parole, réfléchir ensemble c'est aussi se former, s'outiller pour la vie. Ça ne donne hélas pas un emploi mais ça peut indirectement y aider. Et puis, qu'est-ce que j'ai d'autres à leur proposer ?

Ce matin, nous avons débattu d'un très beau sujet : L'homme doit-il oublier qu'il a été enfant ? Je veux vous livrer l'état de nos réflexions. A chacun d'entre nous, que reste-t-il de notre enfance ? Des photos dans un tiroir, qu'on regarde de temps en temps, qui ne servent plus à grand-chose mais que pour rien au monde nous ne voudrions jeter. Pourquoi ne les met-on pas sur le buffet ou la cheminée, à côté des autres photos, celles d'aujourd'hui ? Parce que le passé fait un peu peur, rend nostalgique, produit la mélancolie du temps qui file et qu'on ne reverra plus.

Au grenier, ce sont d'autres survivants de l'enfance qui se cachent : les jouets, peluche, poupée, kiki ou bien les cahiers d'école. Et dans notre tête, jusqu'où notre mémoire remonte-t-elle quand elle explore l'enfance ? Des premières années, il surgit quelques flashes et images : moi c'est ma voiture verte à pédales et mon petit vélo rouge à roulettes. Nous étions aussi des enfants de la télé, pas seulement de nos parents. Et nous regardons encore avec plaisir les émissions et séries qui enchantaient notre enfance.

Malgré tout, aimerions-nous oublier certains éléments de notre enfance ? Oh oui ! L'une dira que c'est le martinet, l'autre les médicaments à ingurgiter. D'ailleurs, étions-nous heureux enfants ? Sans doute, puisque nous étions pour la plupart aimés et insouciants. Mais nous ne voudrions pas non plus régresser, retomber en enfance car le présent a du bon, l'âge adulte est appréciable.

L'enfant que nous avons été est-il complètement mort en nous ? Oh non ! Certains continuent à rire, à jouer ... avec leurs enfants, comme s'ils étaient des enfants. Et moi ? Il m'arrive parfois, dans des rues pas très fréquentées de Saint-Quentin, quand il fait nuit et que personne ne me voit, de faire ce que seuls font les enfants : mettre un pas devant l'autre en sautillant. Les adultes sont devenus trop lourds pour ça et j'ai un peu de peine, je m'essouffle vite. Mais pendant quelques secondes de ces sauts de moineau, je redeviens dans mon corps et dans ma tête un enfant.

En vignette : ce matin, à Guise, avec les stagiaires de l'atelier d'insertion.

lundi 28 novembre 2011

Génération bénévolat.

Vendredi dernier, Jean-Louis Gasdon, de l'ASCyclo Montescourt, m'a invité à animer un apéro philo dans sa ville sur le thème du bénévolat, dans le cadre de l'anniversaire du club. Le débat était ouvert à toutes les associations du canton. Parmi les personnalités présentes, j'ai eu le plaisir d'accueillir Roland Renard, maire, Bernard Brochain, conseiller régional, Philippe Courtin, président du CDOS (comité départemental olympique et sportif), Jean-Pierre Fontaine, président de l'UFOLEP et Jérôme Vasseur, secrétaire général de la JPA. L'ASCyclo est affiliée à l'UFOLEP qui est affiliée à la Ligue de l'enseignement, que je préside. Et voilà comment on se retrouvent tous autour d'un apéro philo !

En préambule, j'ai pointé les différents problèmes, questions, paradoxes et contradictions qui se posent aujourd'hui au monde associatif et à ses bénévoles, que j'ai ramassés en sept points :

1- Depuis un demi-siècle, le nombre d'associations s'est envolé et pourtant nous avons de plus en plus de mal à trouver des bénévoles, qu'il s'agisse des activités de base ou des fonctions dirigeantes. D'où le cumul des mandats, qui n'est pas le privilège du monde politique ...

2- La définition du bénévolat c'est la gratuité du travail. Or, nous vivons dans une société qui a fait de l'argent son étalon principal. A la limite, la qualité du travail bénévole est remise en cause parce que l'argent ne vient pas la valider.

3- La notion d'engagement est au coeur du bénévolat. Or, les moeurs contemporaines favorise la participation instantanée, ponctuelle et provisoire. L'engagement dans la durée n'est plus de mode. Pourtant, nos activités régulières l'exigent.

4- Je ne crois guère au désintéressement, sauf peut-être dans les monastères, et encore ... Un individu qui s'active quelque part, c'est qu'il attend quelque chose, sauf exception. Je prends l'exemple de la Ligue de l'enseignement, anciennement FOL : il y a trente ou quarante ans, son président était un monsieur, un notable, avec cravate et entrées directes auprès de l'inspecteur d'académie. Aujourd'hui, je suis en jean, polaire et j'anime un apéro philo, ce qui aurait été inconcevable autrefois comme me l'a fait remarquer Philippe Courtin, où un président de la Ligue tenait à son rang, bref avait quelque chose de bourgeois, tout progressiste qu'il était. Cette demande de reconnaissance sociale est présente à tous les niveaux du monde associatif. Mais comment la satisfaire ? (personnellement je m'en passe puisque je garde jean, polaire et job d'animateur, mais mon cas n'est pas une généralité : pour beaucoup de gens, l'habit continue à faire le moine).

5- Dans une société de plus en plus complexe en matière de droit, de comptabilité, de gestion et de technologie, le bénévole peut facilement passer pour un aimable amateur. Sa spécialisation est désormais nécessaire, sa formation inévitable.

6- Il y a une génération bénévolat, celle des années 1960-1970, quand les associations ont pris leur fulgurant essor. Ses représentants sont aujourd'hui des seniors pour la plupart. Qu'en est-il des nouvelles générations ? Comment faire émerger de nouvelles pratiques de bénévolat ?

7- Malgré ses limites, ses contradictions et ses problèmes, le monde associatif demeure une école de la démocratie, comme l'a fait souligné Bernard Bronchain. La preuve de son importance, c'est que le monde politique s'y intéresse, cherche à capter son influence, lorsqu'il songe à faire de ses membres dirigeants des candidats aux élections.

dimanche 27 novembre 2011

Au plaisir des socialistes.

Chez les socialistes de l'Aisne, il y a un rendez-vous traditionnel que j'honore depuis treize ans et que nous appelons, dans notre jargon, la journée de rentrée fédérale. Rentrée est un terme un peu abusif et fédérale est l'ancien nom pour départementale. Ailleurs, la rencontre annuelle des camarades prend la forme d'une fête de la rose ; ici, c'est tout un dimanche qui mêle débat politique, buffet convivial et visite culturelle. Cette année, la ville d'accueil était Villers-Cotterêts, conquise lors des dernières élections municipales.

On a beau être militant, partir de Saint-Quentin à l'heure des croissants pour traverser toute l'Aisne dans le brouillard, il faut aimer, il faut être motivé. Au bout de la route, rien à gagner, aucune place à prendre : seulement le plaisir de se retrouver entre socialistes. Dès notre arrivée à Villers, l'effort est récompensé : une grosse rose au poing balise le chemin. Nous sommes chez nous, en pays PS ! Ça fait du bien : à Saint-Quentin, c'est le visage de Nicolas Sarkozy qui me sourit sur chaque panneau d'affichage.

La matinée est baptisée réunion de travail. Pas de repos dominical pour la gauche ! Que de chemin parcouru par mon parti en quelques années ! En matière d'organisation, de gestion et de comptabilité des sections, nous avons considérablement évolué, et dans le bon sens. J'étais secrétaire de section il y a dix ans, je mesure la différence. Et je ne parle même pas des primaires, cette incroyable innovation qui modifie complètement les mentalités et les manières de militer, même si ce changement n'a pas encore donné tous ses effets.

La journée de rentrée fédérale, c'est l'occasion de se retrouver, après parfois une année s'en s'être rencontrés. L'internet ne remplace pas le contact direct. Il y a les discours officiels des principaux élus, et puis il y a les conversations de couloir : chacun évoque sa section, sa circonscription, ses difficultés et ses espoirs. Ça permet de relativiser pas mal de choses et d'en comprendre une essentielle : la politique c'est très, très, très compliqué ! Et quand on est dans une année électorale, avec une présidentielle et des législatives, nous en avons, des choses à nous dire ...

Pour moi, cette journée me rappelle aussi combien j'aime la politique. J'aurai pu ne pas aller à Villers-Cotterêts, j'ai plein d'autres activités et du boulot à la maison (je n'ai d'ailleurs pas pu cette année rester jusqu'à la fin). Mais c'est plus fort que moi, je m'en voudrais d'être absent. C'est ainsi qu'on mesure la force d'un désir.

Je ne sais pas du tout où me conduira la politique, peut-être nulle part, mais je m'en moque : je l'aime comme on aime une femme fatale qui dédaigne vos avances. Elle ne remplit pas ma vie, j'ai d'autres maîtresses qui se partagent mon coeur (la philosophie, l'écriture, l'action associative ...). Mais celle-ci est la plus ancienne. A force de la fréquenter, finirons-nous un jour par nous marier ? C'est ce que je me suis demandé en quittant, ragaillardi et guilleret, Villers-Cotterêts.

samedi 26 novembre 2011

Salut les artistes !



Vernissage ce soir d'une fort belle exposition des aquarelles d'Annie Lalonde, sur un thème qui m'est cher, l'arbre, objet d'un de mes ateliers philo à Cambrai il y a un mois. C'est en salle du Nain d'Alsace à Saint-Quentin, jusqu'à demain : n'hésitez pas. Annie était entourée de ses deux filles, élégantes hôtesses tout au long de la réception.

Stéphane Lepoudère, maire-adjoint à la culture, marquait par sa présence le soutien de la municipalité. Le petit monde saint-quentinois des arts était généreusement représenté, notamment par Sandrine Dhirson, présidente de Prisme Création, Sarah Louette, photographe, l'incontournable et sympathique Jean-Claude Langlet, le couple mythique Pomme et Luc Legrand, avec lesquels j'ai engagé une conversation sur Le Caravage (je ne comprends pas pourquoi le peintre a mis au centre de sa Conversion de saint Paul le cheval du converti, accentué par l'éclairage cru sur la croupe blanche de l'animal. Si un lecteur peut m'expliquer ...).

Deux personnages aussi pittoresques que redoutables obligeaient à s'esquiver sur leur passage : Gérard Bourcier et Daniel Wargnier. Celui-ci m'a annoncé une riposte dans L'Aisne Nouvelle après la publication du passage non retenu de mon livre, consacré au poète engagé. Nous n'en sommes pas au rendez-vous matinal sur le pré avec témoins, mais pas loin. Si cela devait, je lui laisserai le choix des armes. Je vise mal mais blesse en profondeur. Daniel n'a pas pu s'empêcher de compléter l'allocution de l'adjoint par quelques vers inaudibles de Charles Baudelaire. Serait-il devenu le barde officiel de la mairie, Assurancetourix de Saint-Quentin ?

Un vernissage, c'est aussi l'occasion d'utiles retrouvailles. Avec Jean Bernard, nous en avons profité pour peaufiner le café philo maçonnique sur la laïcité, prévu à Vervins le 8 décembre. Avec Sarah Louette, c'est pour ses élèves du collège de Bohain que j'envisage une rencontre sur la notion de célébrité, qu'elle travaille en ce moment avec ses classes. Et puis bien sûr notre reine de la soirée, Annie, à qui j'ai proposé une conférence-expo, je ne sais encore trop où en ville, pour échanger sur le symbole si fécond de l'arbre.

En vignette, de gauche à droite : Jean-Claude Langlet, Daniel Wargnier, Marie-Claude Détrivière, présidente de l'ARENA (association des résidents et amis du Nain d'Alsace), Annie Lalonde et Stéphane Lepoudère. Je n'oublie pas Erika Jambor, hors photo, grâce à laquelle cette exposition a pu avoir lieu.

vendredi 25 novembre 2011

Une vie de conflits.

Si une bonne quarantaine de personnes ont participé au café philo d'il y a quinze jours à la bibliothèque municipale, c'est la preuve que le sujet intéressait, et on comprend bien pourquoi : Le conflit est-il à la base des relations humaines ? Je veux y revenir, tellement le phénomène du conflit est partout présent dans notre vie, politique, sociale, associative, nationale ou internationale, jusqu'au sein du couple et de la famille, entre amis, en parole ou en acte, grave ou anodin, durable ou ponctuel. Il arrive même qu'on soit pris ou entraîné dans un conflit sans le vouloir. C'est à se demander si l'être humain n'aime pas ça, le conflit ! Et pourtant, nous rêvons tous d'un monde et d'une société sans conflit ...

Nous constatons aussi (ce qui renforce l'hypothèse d'un plaisir du conflit) que celui-ci peut être joué, devenir théâtral, offrir l'occasion d'une posture qui illustre un positionnement, comme on le voit souvent en politique. Le conflit alors oscille entre la tragédie et la comédie. Peut-être est-il au fond les deux à la fois ? Et puis, il y a les spectateurs du conflit, car ses acteurs apprécient qu'on les regarde. J'ai remarqué, dans ma vie associative et politique, que les salles se remplissent quand on sait ou qu'on sent que ça va se fritter. Il n'y a pas que les requins qui sont attirés par l'odeur du sang. Le conflit excite, stimule, mobilise.

Je rencontre régulièrement trois figures emblématiques de rapport au conflit. D'abord le fouteur de merde ou gueulard, assez rare mais tonitruant (et parfois carrément truand) : c'est celui qui a toujours quelque chose à dire, un problème à évoquer et jamais de solution à proposer. Il pense peu et parle fort. Je le fuis comme la peste, car il est capable de casser une assemblée de gens pourtant raisonnables et calmes. Rien n'est plus facile que de remuer la boue, il suffit d'ouvrir la bouche.

Ensuite, et à l'opposé, il y a celui qui n'aime pas le conflit, en a une sainte horreur, préfère se taire ou partir quand le ton monte, ou bien se range à l'avis du dernier qui a parlé, pour clore au plus vite le conflit. Celui-là, même si je lui porte une plus grande estime qu'au fouteur de merde, je ne l'aime pas trop non plus car son abstention est aussi une forme de pusillanimité. Il faut aussi parfois oser entrer en conflit, quand c'est nécessaire.

Enfin, mon préféré, celui que j'essaie d'être : celui qui règle les conflits, sait les débrouiller, avance des solutions. C'est un art difficile. J'ai moi aussi horreur du conflit mais je sais qu'il faut l'affronter, pas le nier. En politique ou dans la vie associative, je ne connais rien de plus beau que de parvenir à mettre fin à un conflit. La pire des attitudes, c'est de laisser un conflit pourrir, comme de mettre la poussière sous le tapis, ou de prétendre qu'il n'y a pas de conflit alors que celui-ci est larvé, souterrain mais bien présent. A tout prendre, je préfère qu'un conflit éclate au lieu d'être refoulé.

Notre société contemporaine a un comportement très ambivalent à l'égard du conflit : d'un côté elle le déteste, n'admettant pas les éclats de voix, les confrontations un peu rudes, qu'elle assimile volontiers à de la violence ; d'un autre côté elle met fréquemment en scène à la télévision des conflits de toute sorte, au sein des familles, entre voisins, ... Les jeunes parlent avec gourmandise d'embrouille, qui est leur conflit à eux. Dans l'actualité, tout ou presque tout semble sujet à polémique.

C'est assez étrange : on dirait que notre société produit du conflit en vue de le régler. Car la finalité est bien celle-ci : y mettre un terme. Nous ne vivons plus, comme il y a quelques siècles, dans un univers tragique où les conflits étaient extrêmement brutaux. L'invention et la prolifération de la figure du médiateur prouvent bien que le conflit a aujourd'hui mauvaise presse. Il faut être cool, zen, relax : la mentalité conflictuelle n'est pas très bien perçue, sinon sous forme de personnage folklorique.

Je pourrais me réjouir de cet incontestable progrès. Quelque chose pourtant m'inquiète : la résolution du conflit, évidemment bonne en soi, passe par un tiers, le fameux médiateur, quand ce n'est pas en soumettant le conflit au jugement des tribunaux. Comme si les êtres humains ne savaient plus se parler en direct, dans le face à face, l'explication franche et raisonnée. C'est la preuve qu'une forme de civilité se dégrade lorsque le conflit a besoin d'un spécialiste, avocat, psychologue ou animateur-télé pour être traité et réglé.

Je voudrais terminer cette réflexion, qui m'a été inspirée par les échanges du dernier café philo, en citant le seul conflit qui me paraisse éminemment positif : le débat contradictoire en démocratie. Je suis toujours ulcéré de m'entendre dire que les conflits entre la droite et la gauche devraient cesser, que la société irait tellement mieux si tout le monde s'unissait. Non, c'est une illusion : une scène politique sans conflit est un rêve impossible et dangereux. Le seul conflit qu'il faut proscrire absolument de la vie politique, c'est le conflit personnel, hélas trop fréquent.

Mais le pire des conflit n'est encore pas celui-là. C'est le conflit intime, le conflit avec soi-même, les propres contradictions d'un individu. C'est un conflit que j'ignore totalement, qui m'est étranger : je vis dans une relative cohérence et harmonie avec moi-même, du moins au plan intellectuel. J'ai remarqué que le fouteur de merde (ou le fauteur de trouble, si on veut être poli) est souvent celui qui projette à l'extérieur, dans son environnement, parmi les autres, les conflits intérieurs qui le minent. Ce qui me conduit à penser qu'un travail sur soi augmente considérablement les chances de résoudre un conflit.

jeudi 24 novembre 2011

Ali et Boubou voteront.

En politique les opinions évoluent, fluctuent et c'est normal. Moi-même qui suis pourtant assez constant dans mes convictions, j'ai changé, je ne pense pas exactement comme il y a plusieurs années. Mais il y a un point sur lequel je n'ai jamais varié depuis que je m'intéresse à la politique, c'est à dire il y a très, très longtemps : il serait légitime, juste et utile que les immigrés aient dans notre pays le droit de voter aux élections municipales. Quelqu'un qui travaille en France depuis plusieurs décennies, qui cotise et paie ses impôts, bref qui vit en citoyen devrait bénéficier du premier droit de tous les citoyens : le vote. Chez nous, il est en réalité chez lui, et c'est très bien ainsi.

Disant cela, je n'efface pas la différence entre citoyenneté et nationalité, puisque je propose le droit de vote seulement local aux citoyens d'origine étrangère, continuant à réserver les votes nationaux pour ceux qui ont choisi la nationalité française. Mais je n'exacerbe pas non plus cette différence qui est très théorique : ce qui compte c'est ce qu'on fait pour la France, c'est ce qu'on lui apporte, pas une situation administrative sur un bout de papier. Et puis, les immigrés tiennent à rester fidèles à leur pays natal, ce que je comprends parfaitement. Voilà pourquoi ils ne demandent pas nécessairement la nationalité. Mais ce choix ne doit pas nous conduire à leur refuser la citoyenneté pleine et entière, avec le droit de vote aux élections locales.

Nicolas Sarkozy, qui était pour, est maintenant contre et on voit bien pourquoi : le deuxième tour de la présidentielle se jouera pour lui sur sa capacité à récupérer l'électorat frontiste, qui rejette évidemment cette extension du droit de vote. Le président de la République craint que ce débat ne divise les Français. Mais non, justement ! Le meilleur moyen d'intégrer les populations immigrés, de leur donner un poids électoral qui les fera prendre en considération par les pouvoirs publics, c'est le droit de vote, la seule arme pacifique dont on dispose en démocratie. De plus, est-il normal et juste que les ressortissants européens jouissent de ce droit et pas les autres ? La logique pousse à sa généralisation.

Quant à ceux qui affirment que défendre le droit de vote des immigrés favorise le Front national, leur "argument" est d'une connerie confondante. Dans la cohérence tordue et vicieuse qui est la leur, on ne combat bien l'extrême droite qu'en ne s'opposant pas à elle ! Allons plus loin encore dans ce faux raisonnement : pourquoi ne pas reprendre les thèses de l'extrême droite pour mieux la contrecarrer ? On voit l'absurdité et le danger ... Non, l'extrême droite ne prospère pas parce qu'on l'attaque et qu'on soutient des idées qu'elle condamne : le FN se développe sur son propre tas de fumier. A quoi je réponds qu'Ali et Boubou finiront un jour ou l'autre par avoir le droit de voter.

mercredi 23 novembre 2011

Les écolos nous emmerdent !

"Sans le latin, la messe nous emmerde" chantait Georges Brassens. Avec Eva Joly, les écolos nous emmerdent, parole de socialiste, et sans le chanter ! Ce matin, Apathie lui demande si elle votera Hollande, question basique quand on fait de la politique. Eva ne sait pas. Alors qu'elle est candidate d'un parti qui a signé un accord électoral avec le PS il y a quelques jours seulement ! De qui se moque-t-elle ? La veille, elle qualifiait les socialistes de "marionnettes" et d' "archaïques".

Qu'on critique mon parti, même durement, ça ne me gêne pas, c'est le prix de la démocratie. Mais qu'on ne morde pas la main qui vous donne à manger ! Sans le PS, EELV ne serait électoralement rien. Nous leur offrons des circonscriptions en or, où il n'y a même pas besoin de militer pour gagner, et voilà comment nous sommes remerciés. Si Eva Joly n'est pas d'accord avec les socialistes (je le conçois aisément), qu'elle demande à son parti de ne plus s'allier avec eux.

Mais non, elle fait le contraire : intransigeante chez Apathie, Eva Joly devient toute coulante trois heures plus tard, en annonçant par communiqué qu'elle voterait finalement François Hollande. Franchement, vous trouvez ça sérieux ? Même pas capable d'assumer jusqu'au bout sa divergence avec nous ! C'est pitoyable, comme l'étaient sa dérobade, son effacement après la signature de l'accord PS-EELV, pourtant largement approuvé par les instances écologistes.

La vérité, dont j'ai parlé depuis longtemps sur ce blog, c'est qu'Eva Joly est une mauvaise candidate, assez peu politique et pas du tout taillée pour la présidentielle. C'est à l'issue d'une folie collective (le sacrifice du meilleur candidat, Nicolas Hulot) qu'Eva Joly a réussi à s'imposer, de façon tout à fait énigmatique pour moi. Depuis, cette vérité s'est confirmée : Joly incarne une forme de moralisme, de puritanisme qui me fait horreur et qui m'afflige, alors que les questions écologiques n'ont jamais été aussi importantes pour notre société. Quel gâchis !

Prenez ce slogan stupide, la "sortie du nucléaire", qui ne veut strictement rien dire. Car c'est quoi "sortir du nucléaire" ? On ne "sort" pas du nucléaire comme on "sort" de chez soi. Pourquoi ne pas utiliser un terme beaucoup plus clair, "rompre" par exemple ? Parce que c'est impossible. "Sortir", c'est plus doux, ça passe mieux mais ça ne tient toujours pas : la France est une puissance nucléaire qui ne va pas cesser de l'être du jour au lendemain.

L'évidence, c'est qu'il faut diversifier nos sources d'énergie et réduire progressivement la part du nucléaire dans notre approvisionnement énergétique. Cet objectif se discute, se négocie et se programme dans la durée. C'est cela que le dogmatisme d'Eva Joly ne supporte pas. C'est son droit, mais des réformistes ne peuvent pas se compromettre avec ceux qui ne pratiquent pas le compromis.

Dans les rangs écologistes, on a compris que Joly mettait le feu à la baraque : son porte-parole a eu la sagesse de démissionner. Dans la foulée, qu'on nous rende Hulot ! Imaginez un peu Joly au gouvernement : combien de temps faudra-t-il pour que le premier clash arrive ? La droite évidemment rigole. Pas bon pour la gauche tout ça. Je ne doute pas que ça va s'arranger, qu'Eva Joly va se normaliser. La fameuse formule de Jean-Pierre Chevènement, "Un ministre, ça ferme sa gueule ou ça démissionne", vaut pour tous les élus, candidats et responsables politiques : le minimum de solidarité collective.

Il n'y a que les simples militants, dont je suis, qui ont le droit et même le devoir de gueuler quand ils ne sont pas d'accord ou pas contents, car aucun mandat, aucune fonction ne les tient. Je ne me prive pas de ce luxe politique, mais dans les limites du raisonnable. Nous sommes le poivre du parti, comme les chrétiens sont le sel de la terre.

Et à Saint-Quentin, est-ce que les écolos nous emmerdent ? Non, pas pour le moment : pourvu que ça dure ! Car ils ont une place à prendre, la suppléance d'Anne Ferreira aux législatives. Et j'espère que ça va bien se passer.

mardi 22 novembre 2011

Le mystère du mal.

Faut-il transformer un fait divers, aussi tragique soit-il, en affaire nationale, en question politique, en sujet gouvernemental ? Est-il normal qu'un journal télévisé y consacre quinze minutes ? Je ne sais pas, je m'interroge. Ne faudrait-il pas laisser la police faire son enquête, la justice faire son travail et la famille faire son deuil ? A quoi sert tout ce bruit ? Mais les faits sont là : l'opinion est traumatisée, elle cherche à comprendre et ne comprend pas.

Je crois que l'impact de ce drame, qui dépasse donc le simple fait divers, vient largement de son cadre : Chambon-sur-Lignon est une bourgade tranquille, avec son établissement scolaire aisé, dans un environnement bourgeois, sécurisé. Ce qui choque, c'est que la pire violence surgisse là où l'on ne s'attend pas à la voir, entre des jeunes culturellement proches l'un de l'autre. Le même événement dans une banlieue sordide, impliquant des paumés, aurait tout autant horrifié mais moins traumatisé.

Il y a une cause plus profonde à notre stupéfaction : la société moderne ne sait plus ce qu'est le mal, elle pense par moments l'avoir éradiqué, elle ne supporte plus sa présence, la trouve anormale. Autrefois, la religion nous parlait du mal, nous apportait ses explications, auxquelles on pouvait ne pas croire mais qui existaient. Aujourd'hui, les explications sociologiques n'arrivent plus à convaincre, et la psychologie a atteint ses limites. Que reste-t-il pour expliquer le mal ? Plus rien, sinon la fatalité ou le hasard.

Alors, nous recherchons des boucs émissaires : les services sociaux défaillants, la justice laxiste, la police inefficace, l'éducation nationale pas assez vigilante, les politiques pas assez impliqués et tout autre espèce de "dysfonctionnements". C'est évidemment un tort, une facilité : le mal ne se réduit pas à ça, c'est une réalité plus profonde, insaisissable, mystérieuse contre laquelle il faut lutter mais dont il ne faut pas s'étonner. Il est inutile de rajouter la souffrance à la souffrance.

Dans cette lutte contre le mal, nous avions jadis des rites, qui servaient à conjurer le malheur, à dépasser la tragédie en lui donnant un sens. Aujourd'hui, en l'absence des rites anciens, notre société est en quête de rites nouveaux, spontanés, qui ne se rattachent à aucune spiritualité : ce sont les "marches blanches". La rupture avec le passé est impressionnante : le deuil se parait de noir, il choisit maintenant le blanc. Le silence a remplacé les chants et les prières. La cérémonie n'est plus immobile sous un toit mais mouvante dans la rue. Le rite, hier comme aujourd'hui, c'est la réponse immédiate à l'incompréhension du mal, à son insupportable mystère.

lundi 21 novembre 2011

Les indignés de Paris.




Hier après-midi, sur le parvis de la Défense à Paris, je suis allé à la rencontre des indignés, qui tenaient une assemblée générale dans une ambiance très soixante-huitarde (photo ci-dessus). Le contraste avec les tours d'affaires était saisissant : la contestation du capitalisme au milieu des symboles du capitalisme ! Autre contraste : le marché de Noël, repérable aux toits de ses yourtes, que chaque ville et même village de France souhaitent désormais voir installé sur sa place, même ici. Indignez-vous, la société de consommation fera le reste !

samedi 19 novembre 2011

La main de Nora.

La photo ce matin à la page onze de L'Aisne Nouvelle, édition de Saint-Quentin, vaut toutes les analyses politiques : Nora Ahmed-Ali, élue municipale et chef de file de EELV sur la ville, est debout devant la mairie, avec un homme à ses côtés qui n'est pas cité, seulement elle. Et pourtant, celui-ci était il n'y a pas si longtemps maire de Château-Thierry, socialiste influent dans l'Aisne : Dominique Jourdain ! C'est à ces détails qu'on mesure en politique si on a la main ou si on l'a perdue.

Les Verts de Saint-Quentin, leur destin va être scellé aujourd'hui à Paris. Mais Nora donne la tendance : jusqu'à présent, ils présentaient un candidat à chaque élection législative. En 2012, il se pourrait que non. Facile à comprendre : leurs chances de réaliser un bon score sont limitées. Mieux vaut pour eux se replier vers la candidature PS. Mais pas à n'importe quelles conditions (il n'y a jamais rien de gratuit en politique) : un soutien ne se paie pas de rien. Le prix, tout le monde le comprend aussi : ce sera la suppléance, c'est à dire partager le ticket avec Anne Ferreira.

Bonne idée ? Pour les écologistes oui. Mais pour les socialistes ? J'ai déjà défendu sur ce blog l'idée que le suppléant d'un socialiste ne devait pas être socialiste, parce que l'élection dans cette circonscription sera pour la gauche extrêmement difficile, que chaque voix comptera et que le risque de se faire éliminer dès le premier tour, par l'UMP ou le FN, est très sérieux : dans ces circonstances, il faut rassembler dès le premier et le traduire dans le choix du suppléant, en allant le chercher parmi nos partenaires. Le PCF a ses candidats, le PRG n'est pas présent, le MRC est dans une autre logique : il ne reste plus que les Verts.

Mais quel suppléant écologiste ? Le choix est limité (mais c'est souvent le cas en politique, sauf à mettre n'importe qui) : Frank Delattre non, il est sur Soissons. Michèle Cahu ? Elle n'a pas une très grande surface médiatique sur Saint-Quentin. Et puis deux élues du conseil régional de Picardie sur un même ticket, ça ne le fait pas. Il n'y a que Nora Ahmed-Ali qui tienne la rampe.

Nora, quelle histoire ! J'ai compris il y a dix ans qu'elle aurait un avenir politique, quand elle a su tenir tête à la députée socialiste Odette Gzregrzulka, en la forçant à lui attribuer une meilleure place sur la liste municipale d'alors. Et quand au bout de dix ans vous êtes toujours là, c'est que vous êtes politiquement indéracinable. Nora Ahmed-Ali a réussi à s'imposer chef des Verts, sans que personne ne lui prenne la place. Fortiche !

Imaginez un peu : Anne Ferreira se fait élire députée en juin prochain dans la foulée d'une vague rose. En 2014, tête de liste aux municipales, elle gagne. En vertu du non cumul des mandats chez les socialistes, elle renonce à son mandat de parlementaire et c'est Nora Ahmed-Ali qui lui succède et devient à son tour députée ! Bon, ma démonstration est pleine de conditionnels. Mais il vaut jouer gagnant en politique, et par méthode faire comme si.

Certes, le ticket Ferreira-Ahmed-Ali n'est pas celui de mes rêves (j'aurais par exemple préféré un suppléant issu d'une commune rurale). Mais on ne fait pas de politique avec des rêves, seulement avec des réalités. A Anne et à Nora, si ces choix bien sûr sont prochainement confirmés, je souhaite beaucoup, beaucoup, beaucoup d'énergie parce qu'il leur en faudra dans le dur combat qui les attend.

vendredi 18 novembre 2011

Guaino en ville.

Coup de fil hier matin de Guillaume Carré, du Courrier Picard, qui me demande si je compte aller écouter Henri Guaino ce soir au théâtre Jean-Vilar à Saint-Quentin. La question d'abord me surprend : un socialiste ne se rend généralement pas dans une réunion UMP, pas plus qu'un militant UMP ne fréquente les meetings socialistes. Mais ce n'est pas aussi simple que ça, et la question du journaliste est pertinente pour trois raisons :

- La réunion est publique, ouverte à tous et se tient dans un lieu dédié à la culture plutôt qu'à la politique. Elle ressemble donc plus à une conférence-débat qu'au meeting d'un parti.

- Qui sont les organisateurs ? N'ayant pas reçu d'invitation personnelle, je ne sais pas, et la presse ne l'indique pas. Dans L'Aisne Nouvelle d'hier (qui s'est rendue directement dans les bureaux de l'Elysée !), Eric Leskiw consacre un long article à Henri Guaino mais ne mentionne pas l'UMP.

- Surtout, il y a la personnalité d'Henri Guaino : ni ministre, ni élu, ni dirigeant du parti présidentiel, c'est la plume et la tête du chef de l'Etat, un intellectuel et écrivain, l'équivalent de Jacques Attali auprès de François Mitterrand. A ce titre, c'est quelqu'un d'intéressant, avec lequel il y a plaisir et intérêt à discuter.

Je suis curieux de tout, très ouvert et pas sectaire pour un sou. Tout ce qui est républicain mérite l'attention. Je ne m'interdis qu'une seule fréquentation, celle de l'extrême droite. Mais voilà : si la réunion de ce soir est en soutien à la politique gouvernementale, je ne peux pas décemment m'y rendre puisque je n'adhère pas à cette politique. Ou alors, il faudrait remettre au goût du jour une vieille tradition républicaine tombée complètement en désuétude : aller porter la contradiction en territoire adverse, chez l'opposant politique.

Là oui, interpeller Henri Guaino sur certaines idées qu'il défend et que je conteste, j'aimerais bien ! Pas pour embêter ou pour provoquer gratuitement, mais pour qu'il y ait du débat et un peu d'animation. Car les réunions politiques où l'on se congratule et remercie, entre soi, répétant ce qu'on sait déjà à un public entièrement acquis d'avance, c'est la barbe.

De toute façon, ce soir, je ne pourrai pas aller à Jean-Vilar, étant pris, comme souvent en soirée, par une animation philosophique, invité par le café philo de Tergnier, sur le thème "Qu'est-ce que je fais là ?" En l'occurrence, ça ne s'invente pas, et je vous promets que je ne l'ai pas fait exprès !

Du point du vue de l'UMP, faire venir Henri Guaino est une bonne initiative. Il faudrait que la gauche s'y mette, qu'elle aussi fasse venir ses intellectuels (elle n'en manque pas !) à Saint-Quentin. Remettre en perspective l'action politique dans une réflexion plus globale que les prises de position au jour le jour, c'est nécessaire, c'est revigorant pour les militants.

Il y a longtemps qu'un leader socialiste n'est pas venu à Saint-Quentin. Mais attention : la plus mauvaise période pour ce genre de rencontre, c'est la campagne électorale (nous en avons fait il y a dix ans la malheureuse expérience). Les gens ont alors l'impression qu'on vient les voir seulement pour leurs bulletins de vote et l'effet escompté ne se produit pas, peut même déclencher une réaction inverse. Le rôle d'un parti politique devrait aussi être d'éducation populaire, mouvement d'idées, promoteur d'une réflexion collective autre que les positionnements internes souvent artificiels des périodes de congrès.

jeudi 17 novembre 2011

Débat sur le débat.

Le dernier conseil municipal à Saint-Quentin a décidé de laisser plus de place au débat : le maire l'a voulu, l'opposition en rêvait. A première vue, il n'y a rien à redire : le débat n'est-il pas l'essence de la démocratie ? Pourtant, je n'y crois pas, je pense que c'est un leurre, une illusion, même si l'intention, de part et d'autre, est bonne. Depuis treize ans que j'assiste régulièrement aux conseils municipaux, je n'ai jamais vu, quels qu'en soient les protagonistes, de véritables débats.

C'est d'ailleurs tout à fait normal, ça n'a rien de choquant : un conseil municipal n'est pas un lieu de débat. D'abord, dans un débat, les parties en présence sont à égalité. Ce n'est pas le cas dans une municipalité : la majorité a tout le pouvoir, l'opposition n'a aucun pouvoir. Celle-ci a beau parler, celle-là n'en fera qu'à sa tête. Les décisions sont prises et immuables, le "débat" ne change rien, est inutile.

Ensuite, un débat est une confrontation de convictions, qui réclame sincérité et bonne foi chez les débatteurs. Qui a assisté à une séance d'un conseil municipal constate d'évidence que ce n'est pas le cas : défense acharné d'un bilan d'un côté, critique systématique de l'autre, positionnements tactiques, malentendus feints ou involontaires, polémiques spontanées ou artificielles, c'est le lot commun des séances, qui ne méritent donc pas le nom de "débats". En revanche, les faux débats y sont monnaie courante.

Un conseil municipal n'est pas l'assemblée nationale : les parlementaires sont détenteurs de la souveraineté populaire, l'expression du suffrage universel. C'est pourquoi, au niveau national, entre députés de gauche et de droite, le débat est concevable. Mais un élu local, issu d'une liste, n'est pas dans cette situation-là. L'analogie n'est pas pertinente, le débat est impossible ou tronqué. C'est pourquoi les échanges sont répétitifs et finalement ennuyeux pour celui qui, ce n'est pas mon cas, ne s'y passionne pas.

Mon point de vue exprimé ici pourrait laisser croire que les séances publiques du conseil municipal sont à mes yeux sans intérêt et qu'on pourrait aussi bien les supprimer ! Pas du tout. Au contraire, elles sont un élément important de la démocratie municipale, à condition de ne pas se tromper sur leur compte, de ne pas les prendre pour ce qu'elles ne sont pas, des débats. Pour moi, l'utilité d'un conseil municipal est d'offrir régulièrement une tribune à l'opposition (je me situe de ce côté-là puisqu'à Saint-Quentin c'est ma place), où elle peut exposer ses analyses et ses propositions, reprises dans la presse du lendemain. Ni plus ni moins. Le reste c'est pipeau.

C'est pourquoi il est vain de questionner ou contester Xavier Bertrand en croyant pouvoir le faire trébucher ou le confronter à ses contradictions : il restera toujours droit dans ses bottes, agrippé à son pupitre de président de séance. Vouloir débattre avec le maire, c'est se transformer en faire valoir de sa politique. En revanche, se saisir du conseil municipal pour exposer point par point, sur les grands dossiers, une alternative politique, voilà une stratégie payante et gagnante.

Le fond de ma pensée, c'est qu'on ne s'oppose bien qu'en proposant. Et les occasions ne manquent pas ! Par exemple, l'opposition a violemment critiqué la journée de la propreté (voir mes précédents billets sur le sujet). Pourquoi alors ne pas demander sa suppression pure et simple et son remplacement par une action d'un autre type, pédagogiquement plus probante ? Ce n'est pas si difficile ... Exemple aussi, le marché de Noël, dont certains accessoires (les sapins enneigés) ont des coûts très élevés : il ne suffit pas de le faire remarquer, il faut proposer des mesures d'économie, expliquer ce qu'on envisage de moins onéreux à la place.

Dernier exemple : la plage d'été du centre ville, symbole de l'ascension politique de Xavier Bertrand. Pourquoi ne pas songer à sa remise en question ? Pas pour laisser un grand vide, auquel cas personne ne suivra la gauche ; mais en présentant un nouveau projet. A gauche, normalement, l'imagination est au pouvoir, idées et projets fusent. A Saint-Quentin, il faut aussi en arriver là. Xavier Bertrand, lundi soir, avait raison sur un point au moins : en politique, on ne gagne que sur les idées qu'on met en place ou qu'on propose à l'attention des électeurs.

mercredi 16 novembre 2011

Une chaise pour deux.

A l'issue des accords pour les prochaines législatives entre le parti socialiste, les Verts et les radicaux de gauche hier soir, nous apprenons qu'aucune circonscription dans l'Aisne n'a été réservée à un écologiste mais que la cinquième ira à un candidat du PRG, le maire de Château-Thierry et conseiller général Jacques Krabal. Ce n'est pas surprenant : le pouvoir sourit toujours aux vainqueurs, rarement à ceux qui sont battus. Krabal s'est emparé de la mairie de Château aux dernières municipales, alors qu'il pouvait rester tranquillement le premier magistrat de Brasles. Mais voilà : entre Dominique Jourdain, l'ancien maire, et lui, c'est une lutte à mort qui n'en finit pas.

M'installant dans l'Aisne il y a treize ans, j'avais été prévenu de leur rivalité. Ça n'a pas changé. A l'époque, ils étaient pourtant l'un et l'autre socialistes. Aujourd'hui, ils ne le sont plus ni l'un ni l'autre, mais leur lutte continue, entre d'un côté le radical de gauche Krabal et de l'autre l'écolo Jourdain. Politiquement, rien ne les distingue. En tout cas je ne vois pas quoi. Même leurs personnalités ne les opposent pas : dynamiques et ouverts, c'est ce que je retiens après les avoir pratiqués. Honnêtement, j'ai autant d'estime pour Jacques que pour Dominique. Serions-nous dans un conflit irrationnel ? Non, même pas : ce sont des êtres de raison, maîtres d'eux. Cependant, un fossé les sépare, depuis manifestement toujours : le pouvoir.

C'est le drame de la politique : autant les affrontements idéologiques, parfois terribles, ont néanmoins leur légitimité et leur noblesse, autant les conflits de personnes d'une même sensibilité pour s'emparer du pouvoir sont désolants et désastreux. Pour comprendre ce qui se passe à Château-Thierry, je ne vois que cette explication-là. Dès qu'une chaise est libre quelque part, dans la ville, le canton, le département, la région, Krabal et Jourdain veulent de concert s'asseoir dessus, et l'un des deux se casse inévitablement la gueule ...

Je sais bien que l'adage affirme que "le pouvoir ne se partage pas", confirmé par le scandale français du cumul des mandats. Mais ce n'est pas ma conception de la politique : quand on est républicain et de gauche, on soutient au contraire que le pouvoir se partage. Montesquieu en a fait très tôt la théorie, celle de la "séparation des pouvoirs", contre l'absolutisme monarchique. Il n'y a que la décision politique, c'est-à-dire la responsabilité, qui ne souffre aucun partage.

A Château-Thierry comme partout ailleurs, les places pourraient être distribuées entre les postulants les plus crédibles, qui ne sont pas si nombreux que ça. Pourquoi Jourdain et Krabal ne se sont-ils pas entendus, depuis longtemps, sur les rôles respectifs à jouer, comme maire, député, conseiller général ou régional ? En quoi la concertation argumentée tranchée par la délibération collective n'aurait-elle pas sa place en politique ?

Bien sûr, je fais fi de cette dimension psychologique, la soif de pouvoir, qui fait qu'on n'en a jamais assez, qu'on en veut toujours plus, qu'on ne sait pas s'arrêter à temps, qu'on va souvent beaucoup trop loin. J'aimerais qu'on pense un peu aux électeurs et aux militants, le secrétaire de section Sylvain Logerot et nos amis de Château. Ils devront maintenant soutenir quelqu'un qu'ils ont combattu et qui a fait tomber leur leader d'alors. Pas facile comme situation. Le grand perdant, finalement, ce sont les militants socialistes.

On brocarde parfois, dans l'Aisne, les socialistes saint-quentinois et leurs querelles de gaulois. Mais au moins nos conflits ne sont pas personnels : deux lignes politiques s'affrontent, respectables l'une comme l'autre, la social-démocratie et la gauche plus radicale, l'union de la gauche classique et les alliances avec l'extrême gauche. Et puis on ne peut pas nous soupçonner, les uns et les autres, de nous battre pour des chaises ou des fauteuils : ils sont tous pris à Saint-Quentin par la droite !

mardi 15 novembre 2011

Figures de style.

Un conseil municipal ce n'est pas seulement des échanges sérieux, politiques, approfondis, ce sont aussi des saillies, des drôleries, des lapsus, des anecdotes, des figures de style. Hier soir à Saint-Quentin, j'en ai repérées au moins neuf :

1- Le style sonore : alors que Carole Berlemont fait une intervention, Jean-Pierre Lançon croit détecter une petite ruse de Xavier Bertrand, un méchant bruit parasite, une enveloppe ouverte par le maire devant son micro, au bruitage malséant. Le premier magistrat s'en défend, justifiant d'un courrier pour le conseil municipal. On ne saura jamais la vérité.

2- Le style décalé : Nora Ahmed-Ali demande à Christian Huguet ce qu'il pense des OGM. Il lui répond en énumérant ses nombreux voyages à travers la planète. Commentaire de Xavier Bertrand : attention au bilan carbone !

3- Le style lapidaire : à une question d'Olivier Tournay sur les visites du patrimoine confiées à une association, Alexis Grandin explique que c'est une "régularisation". A une question du même sur la nécessité d'une salle de musique amplifiée, Stéphane Lepoudère répond qu'il y a "mise à disposition". Là où il y a un problème, il n'y a pas de problème.

4- Le style daté : Xavier Bertrand compare Michel Aurigny, à cause de ses démonstrations savamment chiffrées, à Gérard Majax, un magicien populaire à la télévision dans les années 80. Il aurait pu songer à David Copperfield, mais on a échappé à José Garcimore !

5- Le style codé : Carole Berlemont termine son unique intervention par le mot de "torpeur", en forçant sur la prononciation, ce qui ne colle pas vraiment avec le propos et la situation. Mais si ! à condition de décrypter : il s'agit d'une référence à juste titre traumatisante au Courrier Picard d'il y a quelques mois, traitant de "torpeur" l'opposition municipale, à la suite d'un entretien avec Jean-Pierre Lançon. Hier c'était une façon de démentir, par un private joke ou une revanche de l'inconscient.

Autre intervention codée, Michel Aurigny s'élevant violemment contre l'opération "La propreté c'est l'affaire de tous" (des enfants de l'école primaire ramassent des déchets dans des lieux publics), qu'on ne comprend pas si on n'a pas les clés : Aurigny est aussi syndicaliste enseignant à Force ouvrière, dont la philosophie de l'école consiste à se concentrer sur les fondamentaux et à dénoncer toutes les activités extra-scolaires, du type "La propreté c'est l'affaire de tous", assimilées à une perte de temps et à un dévoiement de l'Education nationale (qu'on voudrait à FO instruction publique). Autant vous dire que tous les syndicats enseignants, en premier lieu le Se-Unsa, ne sont pas sur cette ligne-là ! (private joke à mon tour)

6- Le style poétique : Xavier Bertrand aime désormais à constituer des "binômes", pour ne pas dire des couples. Hier c'était Lançon-Dhirson ; la dernière fois, Aurigny-Bry. Vous avez remarqué ? La rime est respectée. Quel poète !

7- Le style cultivé : Jean-Pierre Lançon illustre l'une de ses interventions par un "Anne ma soeur Anne", qu'on utilise généralement pour désigner une attente qui n'est pas comblée. Mais qui sait que la citation provient d'une chanson de Louis Chedid, qui a remporté un beau succès à l'époque où Gérard Majax faisait fureur à la télévision ? Xavier Bertrand, qui a le sens de la répartie, a rétorqué que c'est sans doute à Anne ... Ferreira qu'il pensait. Qui a dit qu'on ne rigolait pas en politique ?

8- Le style pédagogue : pour démontrer que l'opération "La propreté c'est l'affaire de tous" est une bonne chose, Karim Saïdi évoque la joie des enfants à se retrouver dans le camion de la voirie. Pour démontrer le contraire, Jean-Pierre Lançon rappelle que lorsque des enfants cassent un verre, les parents leur demandent de ne pas y toucher. Bon sens contre bon sens, qui a gagné ?

9- Le style tacticien : pour justifier certains silences des élus d'opposition en commission des finances, leur chef de file avance une raison tactique, ne pas donner du grain à moudre à la majorité, attendre la réunion du conseil municipal pour s'exprimer. Il fallait y penser ! Du coup, je me demande si Xavier Bertrand, en voulant développer en séance les débats, n'a pas lui aussi une arrière-pensée tactique : faire parler son opposition, la questionner comme il le fait souvent, chercher les contradictions, tenter de la piéger.

Quand j'étais enfant, j'allais beaucoup à la pêche : il fallait appâter, taquiner le goujon, à la dandinette, laisser avaler l'amorce, prendre son temps et ferrer au bon moment. En politique comme au bord d'une rivière, il faut toujours se méfier de ceux qui vous tendent la perche. Mais peut-être que je me fais des idées, que j'exagère, que j'ai mauvais esprit. Que voulez-vous ! j'ai repéré neuf figures de style au conseil municipal de Saint-Quentin : la dixième c'est la mienne !

lundi 14 novembre 2011

La règle, le budget, la propreté.

De la séance du conseil municipal ce soir à Saint-Quentin, j'ai retenu principalement trois débats : sur la modification du règlement intérieur, sur les orientations budgétaires, sur l'opération "La propreté c'est l'affaire de tous".

La modification du règlement proposée par Xavier Bertrand consiste à ne plus lire les rapports, fastidieux et techniques, mais à favoriser et à dynamiser le débat. Carole Berlemont (PS) avance trois arguments pour refuser cette modification : sur la forme rien ne change, l'ancien règlement permettait le résumé succinct des rapports municipaux. Sur le fond, la suppression de leur lecture prive le public de cette information. La solution revient aux élus dans leurs interventions, qui devraient s'efforcer de capter l'auditoire.

Le débat budgétaire a fait dire à Xavier Bertrand que les finances de la ville étaient gérées comme le ferait "un chef de famille" ou "un entrepreneur". L'objectif c'est de ne pas augmenter les impôts. Certes ils sont à Saint-Quentin historiquement élevés, mais la faute en revient à une base d'imposition restreinte, le passif de la municipalité de 1989 à 1995 et les hausses fiscales du conseil régional et du conseil général, qualifiées de "folles" et "honteuses" par le maire.

Jean-Pierre Lançon (PS) a rappelé que l'augmentation de la taxe foncière par le conseil général de l'Aisne était compensée par la baisse de la taxe d'habitation et que les impôts strictement locaux avaient progressé, notamment avec la fiscalité additionnelle de la communauté d'agglomération, à la suite de la suppression de la taxe professionnelle. Michel Aurigny (POI) s'est réservé l'analyse détaillée du budget, dont il déplore la chute des investissements, et établit un lien avec la politique gouvernementale. Anne Zanditenas (LO) souligne le problème de l'emploi à Saint-Quentin.

Xavier Bertrand balaie toutes ces objections en qualifiant l'opposition de "pas sérieuse" et Michel Aurigny de "Gérard Majax du conseil municipal". Pour lui "c'est dans l'ADN de la gauche d'augmenter les impôts" pour les ajuster aux dépenses d'abord engagées.

Jusque là, la confrontation était plutôt classique. C'est sur l'opération "La propreté c'est l'affaire de tous" qu'une polémique inattendue a surgi, venue une fois de plus de Michel Aurigny, de sa voix douce et tranquille qui tranche avec les interjections de Jean-Pierre Lançon. Le lambertiste se dit "choqué", "révulsé" de voir des enfants des écoles nettoyer le parc des Champs-Elysées. le ramassage des déchets est dangereux pour eux, ce travail devrait être confié à des agents municipaux. Xavier Bertrand se félicite au contraire que les enfants soient sensibilisés à la propreté. Il en profite pour annoncer un renforcement de la lutte contre les déjections canines, par la verbalisation des propriétaires.

Quelques autres points ont suscité des échanges contradictoires entre opposition et majorité : les modalités d'application de l'agenda 21, qui ont conduit Nora Ahmed-Ali (EELV) à demander à aller plus loin en matière d'écologie ; le nouveau logiciel des centres sociaux, qui a amené Olivier Tournay (PCF) à s'inquiéter pour les libertés individuelles ; les visites du patrimoine confiées à l'association des amis de la basilique, qui font s'interroger l'élu communiste sur les limites de la délégation municipale.

Le conseil municipal s'est terminé sur la suggestion du maire de remplacer les envois papier par l'internet, y compris les invitations, selon le souhait de Nora Ahmed-Ali.

dimanche 13 novembre 2011

Les gentils, les méchants.

C'est aujourd'hui la journée (mondiale !) de la gentillesse. C'est nouveau, c'est récent, mais quelle drôle d'idée ! Une société qui fête la gentillesse, c'est suspect. Car ce n'est tout de même pas une vertu capitale, une qualité majeure, un trait admirable que d'être gentil ... D'ailleurs, ce sentiment un peu faible fait douter de lui lorsqu'on reproche à quelqu'un d'être "trop gentil" : normalement, l'abondance d'un bien ne nuit pas. Pour la gentillesse, manifestement oui. Et puis, il y a moralement plus important que la gentillesse : l'honnêteté par exemple. Mais demandez-vous pourquoi notre société, qui célèbre à tout va, n'a pas réservé la moindre petite journée à l'honnêteté ?

D'abord, c'est quoi être gentil ? Pas facile à définir ... Première caractéristique du gentil : il n'est pas méchant. Bon, on n'avance pas beaucoup dans la définition, mais il y a des réalités tellement indéterminées qu'on les désigne surtout par leur contraire. Ça ne suffit pas, bien sûr. Deuxième caractéristique : le gentil est celui qui ne ferait pas peur à une mouche. Bref, c'est l'ami des mouches. Dernière caractéristique : quand le gentil montre les dents, c'est uniquement pour sourire, tout le temps et à tout le monde.

Pour mieux comprendre la gentillesse, passons à quelques exemples. A Saint-Quentin, parmi nos politiques, qui est gentil, qui est méchant ? Question plus compliquée qu'il n'y paraît, car il faut distinguer entre vrais et faux gentils, vrais et faux méchants. Mais comme nous sommes dans la journée de la gentillesse, je vais essayer, en respectant la parité droite-gauche :

Parmi les vrais gentils, je mettrais deux gentilles, Colette Blériot et Anne Ferreira. Demandez à n'importe quel Saint-Quentinois leur avis sur ces deux-là, il vous répondra : "Elles sont gentilles", pas méchantes, pas menaçantes, très souriantes. Colette grogne un peu au conseil général de l'Aisne, mais c'est parce qu'elle est poussée par son groupe UMP. Elle grogne mais ne mord pas. Les vrais gentils sont plutôt rares. C'est pourquoi ces deux élus en n'ont que plus de mérite.

En revanche, les faux gentils sont nombreux. Je le sais, je les connais bien, j'en fais partie. L'apparence est douce mais le fond est violent. Esprit ouvert, tolérant, compréhensif mais la méchanceté est dans les tripes. On se laisse facilement prendre et on comprend vite. Je mettrais aussi Alexis Grandin dans cette catégorie : un air à ne pas y toucher qui invite à se méfier. Attention : il ne suffit pas d'être un faux gentil pour devenir un vrai méchant. Entre les deux, il y a de la marge. Je parle en tout cas pour moi.

Les faux méchants, eux aussi, sont assez répandus. Ils jouent au méchant mais ne le sont pas foncièrement. Pierre André est de ceux-là : méchant avec son opposition comme doit l'être tout chef d'une majorité, l'ancien maire de Saint-Quentin redevient gentil au naturel, dans le privé. Or, la vraie méchanceté est continue : elle colle à l'individu comme la boue aux bottes. Jean-Pierre Lançon, lui aussi, est un faux méchant : la voix gronde, la parole se veut offensive, mais c'est surjoué, on n'y croit pas, on ne craint rien, on sourit. Ses réparties rigolotes le protègent de la pure méchanceté. Le vrai méchant a certes de l'humour mais c'est celle, glacé, de l'ironie.

Et les vrais méchants ? Il y en a quelques-uns à Saint-Quentin, des artistes dans le genre, mais une petite minorité : être vraiment méchant, c'est aussi difficile qu'être vraiment gentil. Je vous laisse deviner dans quelle catégorie il faut se situer pour réussir en politique ... Et comme c'est le dimanche de la gentillesse, je serai, pour une fois, authentiquement gentil en ne citant aucun nom de vrai méchant.

Deux références pour terminer mon propos : la chanson de Michel Fugain, à qui j'ai emprunté le titre de ce billet, "Les gentils, les méchants", pas tendre avec les gentils, si vous écoutez bien les paroles ; le film de Jean Yanne et son générique, "Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil".

samedi 12 novembre 2011

Histoires de sexe.

DSK barbu, blanchi, seul dit-on dans son appartement des Vosges, sa femme au Maroc, lâché par ses amis : triste fin ? Je ne sais pas, la politique est sans fin, on se refait vite. Mitterrand après l'Observatoire était mort ; il songeait même au suicide. DSK n'en est pas là, je ne crois pas. Et puis il y a cette histoire de SMS, assez dérisoire, peut-être une manip', allez savoir : la bête est blessée, à terre, il est tentant de l'achever. Pas de quartier, pas de demi-mesure. Mais qui ? D'où ? Personne en particulier, tout le monde, l'opinion. DSK a été aimé, il est maintenant haï. Mitterrand aussi, en son temps, a connu ça.

Drôle d'histoire tout de même, en trois phases : d'abord mai-juin, l'arrestation et la cage dorée, les Français interloqués, stupéfaits, traumatisés, ne comprenant pas, subodorant le complot, vexés de voir un des leurs humilié par une justice étrangère. Ensuite juillet-août, la réhabilitation, DSK innocenté et libéré, son accusatrice à son tour accusée, son retour dans la course présidentielle follement envisagé. Enfin septembre-octobre, l'incroyable paradoxe : alors que l'affaire Banon tombe elle-aussi, alors que DSK fait brillement à la télévision la démonstration de son innocence et de sa force retrouvée, patatras, l'opinion l'abandonne, se retourne, ne veut plus de lui !

J'ai déjà expliqué, dans un précédent billet, les raisons de cette apparente contradiction : l'opinion voulait une victime couverte de cendres, défaite, s'excusant, attirant sur elle la compassion ; elle a retrouvé un homme fier et souriant, sûr de lui et combatif, ne renonçant à rien pour l'avenir : faute de goût, d'après les canons moraux d'aujourd'hui, où il faut jouer l'humilité pour être bien considéré. Bravo Strauss de n'avoir pas cédé à l'air du temps !

Cette drôle d'histoire, qui montre combien l'opinion est versatile et influençable, est aussi une histoire de sexe, qui apprend beaucoup sur le rapport de notre société à la sexualité. Dans les années 1950-1960, le sexe dont on parle en fin de repas relevait de la gaudriole, qui faisait pouffer ou rougir. C'était la sexualité de boulevard, bourgeoise voltairienne, égrillarde, avec l'emblématique figure de l'amant dans le placard. L'époque des maisons closes n'était pas si éloignée, les prostituées s'appelaient encore filles de joie ou, charmante expression, femmes de petite vertu. Jusque dans les années 70, Serge Lama, qui ne songeait pas alors à maigrir ni à rajeunir, pouvait chanter et célébrer sans problème Les p'tites femmes de Pigalle.

Dans les années 1970-1980 s'ouvre une nouvelle période de la sexualité, libérée, émancipatrice, populaire, à la suite de Mai 68, de Sylvia Kristel et du porno dans les cinémas familiaux. On ne rit plus, les putes protestent contre l'exploitation, l'individu ordinaire veut jouir sans entrave. C'est le sexe pour tous, branché, moderne ! Les homos sont de la partie, et quelques autres. Le sida, la crise, le retour de la morale vont refroidir tout ça.

Dans les années 1990-2000, où nous sommes encore, un néo-puritanisme d'origine américaine s'est installé. La sexualité doit être clean. Le crade est réservé au net. La valeur du respect est désormais hégémonique. Plus question de rigoler ! DSK tranche avec ça : c'est le sexe à l'ancienne, léger (1950-1960) et libéré (1970-1980). Aujourd'hui, ça ne marche plus, c'est mal vu. Autre facteur : la valorisation des sentiments, partout présents, qui rend difficilement acceptable une sexualité vécue seulement pour elle-même.

Drôle d'époque quand même : le viagra se vend par tonnes sur internet et les sex toys font l'objet de démonstration à domicile ! Les hommes ont besoin de pilules pour bander et les femmes de petits canards pour jouir. Et si DSK était le chien pelé, la brebis galeuse, le bouc émissaire qu'on dénonce pour mieux racheter nos turpitudes et nos contradictions en matière de sexe ?

vendredi 11 novembre 2011

Débat entre camarades.

Mon billet d'avant-hier portait sur les candidatures à la candidature des communistes saint-quentinois Corinne Bécourt et Guy Fontaine en vue des élections législatives de 2012. J'y réfléchissais à la recomposition de la gauche locale. L'Aisne Nouvelle parue hier a également perçu l'importance de l'événement, auquel elle consacre une page, interrogeant les deux postulants.

Je trouve Guy un peu timoré, en retrait, pas assez offensif. Corinne, en revanche, est égale à elle-même, un peu comme moi mais pas du tout avec les mêmes idées ! C'est pourquoi elle me plaît et m'irrite à la fois. Elle m'amuse aussi, quand elle vante le rassemblement ... à condition qu'il se fasse au profit de ses amis politiques. Dans l'hypothèse où c'est Guy Fontaine qu'il faudrait soutenir, elle se montre beaucoup plus réservée. Mais je ne lui reproche pas : tout ça est de bonne guerre.

Je souhaite bien sûr que Guy aille jusqu'au bout de sa candidature et qu'il fasse le meilleur score possible. Je souhaite surtout que cette démarche parmi les communistes, comme la mienne parmi les socialistes, aboutisse à une prise de conscience, une réflexion collective : pourquoi la gauche saint-quentinoise a-t-elle perdu les trois dernières élections municipales ? Pourquoi, dans certains scrutins, est-elle éliminée dès le premier tour au profit de la droite ? Pourquoi est-elle même parfois battue par l'extrême droite ? Ce sont des questions lourdes, qu'il faudrait examiner avec sérieux, en s'efforçant d'apporter des solutions et remèdes.

Ce débat, que nos amis écologistes, chevènementistes et radicaux de gauche doivent aussi porter dans leurs propres organisations, aura inévitablement lieu, mais trois règles sont selon moi requises pour qu'il se fasse dans de bonnes conditions, pour qu'il soit fructueux :

1- Ce débat doit être public, ouvert à tous. Contrairement à l'adage, il ne faut surtout pas laver notre linge sale en famille. D'abord parce que ce n'est pas du linge sale, ce sont des analyses divergentes et des choix différents, que nous n'avons pas à cacher ou en avoir honte. Ensuite parce qu'un parti ce n'est pas une famille, avec ses secrets et ses haines consanguines : nous sommes dans une communauté rationnelle de militants portés par des convictions et dont la raison d'être est la confrontation d'idées. De plus, la politique c'est se mettre au service de tous, ce n'est pas se réunir en cercles fermés qui finissent immanquablement par sentir le renfermé.

2- Ce débat doit être exclusivement politique, il n'implique aucun jugement sur les personnes, leur histoire, leur mentalité ou leur compétence. J'aime beaucoup Corinne Bécourt, j'ai de la sympathie pour Olivier Tournay, j'apprécie Jean-Pierre Lançon et je respecte Anne Ferreira. Mais voilà : je suis en désaccord politique avec eux et je ne suis pas le seul ! Ce n'est pas grave, n'en faisons pas un drame, ne créons pas de tensions inutiles avec ça, donnons simplement à ce désaccord un nom : le débat démocratique, argumenté et tranché par le vote des militants.

Soyons à la fois décrispés et décomplexés : la gauche locale a tout à y gagner. Ce n'est pas en refoulant nos désaccords, en jouant l'air du tout va très bien madame la marquise que nous nous en sortirons. Dans le monde d'aujourd'hui, tout se sait en quelques heures à la terrasse du Carillon et le lendemain dans la presse locale. Arrêtons avec cette sorte de pudibonderie, osons discuter franchement, en plein jour et cartes sur table.

Et ne me dites pas que ce débat entre camarades va faire le "jeu de la droite" ! Cete chanson-là, je la connais depuis longtemps, il vaudrait mieux l'appeler un chantage et pas une chanson. Ce qui fait le "jeu de la droite", c'est de perdre une à une les élections locales depuis maintenant treize ans. Moi je veux faire le "jeu de la gauche", en la sortant de son bocal.

3- Ce débat, quand il concerne des désignations aux élections, doit déboucher autant que possible sur le modèle des primaires citoyennes qui ont fait le succès du parti socialiste il y a quelques semaines. Quand c'est le peuple de gauche qui décide, il n'y a plus après de contestations concevables. Mais quand le choix se fait au sein de micro-appareils, c'est là où les rancoeurs, les rancunes et les divisions prospèrent.

Le titre de L'Aisne Nouvelle, à propos du choix entre Corinne Bécourt et Guy Fontaine, est inexact : ce ne sont pas des primaires, seuls les adhérents communistes votent. Et pourtant, la démocratie et l'efficacité exigeraient que la consultation soit élargie à tous. Chez les communistes comme chez les socialistes, je veux des primaires partout ! Corinne Bécourt convient elle-même, en réponse à la dernière question de Jérôme Poinsu, que "la démocratie, ce n'est pas plus mal". Allez Coco, encore un effort pour être complètement démocrate !

jeudi 10 novembre 2011

Savelli's Day.




Sur le carton, les puissances invitantes sont la région de Picardie, la municipalité de Saint-Quentin et le lycée Henri Martin. La présence du sous-préfet officialise et solennise le rassemblement. Mais le maître de cérémonie, le deus ex machina, l'instigateur de la manifestation n'apparaît pas : pourtant c'est bien lui, Vincent Savelli, éducateur et politique, historien de formation, élu de la République. Cette cérémonie, c'est SA cérémonie : il en orchestre le protocole, le déroulement, les prises de paroles, il n'oublie rien ni personne, il ouvre et conclut.

Tout commence par un manuscrit trouvé dans ses archives personnelles, qu'il classe parce qu'il fera valoir à la fin de l'année scolaire ses droits à la retraite et quittera le lycée qui le loge depuis une éternité, CPE qu'il est : l'état-major britannique s'est installé dans les murs, peut-être même dans l'appartement de Savelli, durant deux jours, en août 1914. Historien rentré, élu rebelle, politique peut-être frustré, le vice-président de la communauté d'agglomération se saisit de l'événement, le célèbre, convoque les enseignants, les élèves, les anciens combattants, l'Etat et les représentations étrangères. La rencontre est à hauteur de l'Histoire.

Il fait froid mais il y a du monde. Monique Ryo porte la parole du maire. Deux rangées de drapeaux tricolores donnent de l'éclat et presque de la chaleur. On ne les sort que pour les grandes occasions et celle-ci, pour Vincent Savelli, l'est amplement, coincée entre l'anniversaire hier de la disparition du général de Gaulle et la commémoration demain de l'armistice de 1918. Rien n'est laissé au hasard.

Les imperfections sont minimes : le tissu qui recouvre la plaque résiste un peu au moment suprême du dévoilement, la Marseillaise interprétée par les lycéens est un peu faible et les paroles légèrement en avance sur la musique, le journaliste de L'Aisne Nouvelle s'est fait piéger par les drapeaux s'abaissant autour de lui. La présence de Daniel Wargnier, personnage local, inquiète quand les hymnes nationaux sont entonnés, par crainte d'entendre sa voix de stentor l'emporter sur les jeunes organes. Mais non, le poète tonitruant se tait, se contente à son habitude de bougonner.

Vincent Savelli est au goût du jour et le fait savoir par sa cravate, qui exhibe le drapeau du Royaume-Uni. Mieux : après un discours éloquent, il s'adresse à ses invités anglais en risquant une intervention dans la langue de Shakespeare, presque parfaite. Des collégiens se succèdent au micro pour rappeler la mémoire des soldats morts au combat. Après la minute de silence et le dépôt de gerbe devant le monument dédié aux anciens élèves tombés au champ d'honneur, c'est le verre de l'amitié qui rompt les rangs, mêle tout le monde et surtout réchauffe.

Pour Vincent Savelli, le compte à rebours de son départ d'Henri Martin a commencé, malgré lui, peut-être contre lui. En a-t-il vraiment envie ? Je ne l'imagine pas en retraité allant à la pêche ou promenant ses petits-enfants. Cet homme est un militant qui se rêve en leader, ce n'est pas un grand-père. La retraite évoque sans doute pour lui la défaite, le repli, le renoncement. Et ça, le gaulliste qu'il est le refuse.

La cérémonie tricolore d'aujourd'hui, je l'interprète comme une façon de conjurer l'oubli, de marquer la mémoire, de laisser une trace. Au milieu des drapeaux nationaux qui se lèvent à son ordre, parmi les uniformes militaires, devant des hommes et des femmes plus titrés que lui, Vincent Savelli, tendu et ému, au centre de tous les regards, reçoit en quelque sorte son bâton de maréchal, moralement bien sûr. Il est alors chef d'armée, en quelque sorte, maréchal Joffre d'aujourd'hui, une heure durant.

Pourtant, Vincent Savelli a bien peu à craindre. De l'équipe municipale, il est l'un des plus connus, depuis longtemps, vedette de la presse, et pas seulement pour ses cravates symboliques ! Il est incontournable, comme on dit en politique. Irritant pour ses compagnons, irrévérencieux à l'égard des patrons locaux de la droite, il sera tout de même présent sur la liste de la majorité municipale en 2014, largement renouvelée, je le prédis. Si Pierre André et Xavier Bertrand voulaient le flinguer, ce serait déjà fait. Si la gauche ne s'est pas refaite d'ici là, Vincent Savelli retrouvera une place honorable, à la Ville ou à l'Agglo. Qu'il ne redoute pas le temps qui passe mais qui ne l'oubliera pas.

Une tragédie ordinaire.

Je connaissais à peine Vincent Gressier, un collègue de travail parmi d'autres dans un gros établissement qui est à la fois collège et lycée : bonjour, bonsoir, un sourire, un geste de la main, quelques mots parfois en salle des profs, pas plus. Et puis j'apprends aujourd'hui que cet homme ordinaire, discret et gentil, a basculé dans la tragédie : il a mis fin à ses jours, de la façon la plus atroce, l'immolation.

Personne, c'est normal, ne comprend. Faut-il d'ailleurs chercher ? Mais on ne peut pas s'empêcher : la nature humaine a besoin d'explication. Peut-être aussi parce qu'on se sent un peu responsable, parce qu'on se dit qu'on aurait pu être plus attentif. Mais comment serait-ce possible ? Chacun est pris par sa propre vie, confronté à ses problèmes dont nous n'arrivons pas toujours à nous défaire ...

Il y a un mystère de la personne, de sa souffrance, qu'il est vain de vouloir percer. Cependant, je ne peux pas m'empêcher de constater que les suicides d'enseignants ont augmenté ces dernières années, que cette mort par le feu a eu des précédents. D'autres corps de métier, que rien ne prédispose à de telles tragédies, sont frappés par des suicides. Que se passe-t-il donc dans notre société pour que des individus ordinaires soient ainsi poussés à commettre l'acte fatal ?

Notre monde va mal, très mal, sans qu'on sache très bien pourquoi. Il y a une sorte de malaise dans la civilisation, pour reprendre le titre d'un ouvrage de Freud. La politique ne parvient pas à le traduire, la psychologie ne suffit pas à le régler. Mais quoi ? C'est un mal invisible, indicible, rampant, qui touche à mon avis les conséquences des valeurs contemporaines que sont l'individualisme, l'esprit d'initiative et la bonne santé.

Que nous demande aujourd'hui notre société ? D'assumer notre liberté, d'exercer notre autonomie, de prendre nos responsabilités, à tout niveau de l'existence humaine, dans le couple, au travail et dans la vie sociale. Elle nous impose le devoir d'être heureux, en bonne santé, et par dessus tout performant dans nos activités, argent, amour, sexualité. Nous sommes sommés de réussir dans ce que nous entreprenons, d'être sinon les premiers du moins les meilleurs.

Cet idéal est impossible à réaliser, sauf chez quelques individualités qui adhèrent à cette morale et que la société érige en modèles inaccessibles. Par exemple, on célèbre la valeur travail alors que celui-ci se fait plus rare et précaire. Autre exemple : la valeur autonomie est enseignée partout alors que la technologie et nos modes de consommation nous rendent de moins en moins indépendants. Je pourrais continuer la liste ...

Notre société se targue d'être moderne, éclairée, libérée. En réalité, elle génère du mal être, de la souffrance, de la désespérance qui peuvent conduire jusqu'à la mort silencieuse, comme si la dernière et l'unique façon de se révolter était celle-là. La vie sociale est pleine de névroses, de pathologies, de refoulements qui s'expriment parfois dans la violence, y compris contre soi-même. Plus rien n'est à disposition pour sublimer notre malaise, proposer des réponses. Sous le règne de l'individualisme, l'individu est ramené à lui-même. Quand le miroir ne reflète plus rien ou seulement l'image négative de soi, la mort n'est hélas pas très loin.

Autrefois, ce n'était sans doute guère mieux, mais le tragique de l'existence était reconnu ; la collectivité, l'idéologie, la religion essayaient de lui apporter des solutions. Aujourd'hui, au nom de l'optimisme dominant, il y a une négation du tragique, un déni de la réalité. Les souffrances désormais sont solitaires bien que les psychologues n'ont jamais autant prospéré. C'est que vraiment quelque chose ne va pas dans notre société, pour que nous soyons confrontés régulièrement, à travers l'actualité, à tant de tragédies ordinaires.

mercredi 9 novembre 2011

Union de la gauche.

Je suis très attentivement la vie politique saint-quentinoise, un peu à la façon d'un sismographe, en quête de fractures, dénivellements, secousses. Les plus petits signes me mettent en alerte. Je sais qu'il faut anticiper, essayer en tout cas. Je m'intéresse surtout, mais pas seulement, à ma famille politique, la gauche. Je suis curieux de tout. Ainsi, quand j'apprends que Corinne Bécourt et Olivier Tournay sont "candidats à la candidature" pour les élections législatives de 2012, je réagis. Et quand un autre candidat se présente aussi, Guy Fontaine, mais pour le Front de Gauche, je me dis qu'il se passe quelque chose.

Corinne a des fonctions nationales au PCF, membre de son Conseil national. Olivier est présenté sur le blog de la section comme "le fer de lance de l'opposition saint-quentinoise" (et les conseillers municipaux socialistes c'est quoi ? des couteaux sans lame ?). Guy est responsable de la CGT, une figure familière pour les Saint-Quentinois. Alix est une ancienne maire adjointe aux finances. Deux couples, deux sensibilités très repérables : un communisme dur, proche de l'extrême gauche, un communisme ouvert, favorable à l'union de la gauche.

Toute chose égale par ailleurs, il s'installe dans la section communiste un clivage comparable à celui de la section socialiste : les radicaux contre les modérés. La situation personnelle de Guy Fontaine est très proche de la mienne : adhérant à la ligne majoritaire nationale de nos partis respectifs, lui le Front de Gauche, moi la social-démocratie, nous nous retrouvons minoritaires dans nos sections locales. Et les lignes dures font jonction au conseil municipal, en compagnie des trotskistes.

Le choix des communistes saint-quentinois ne fait aucun doute : ce sera Bécourt-Tournay qui l'emportera sur Fontaine-Suchecki. Et je m'en désole, en même temps que je me mets à espérer. Ce léger tremblement de terre chez nos camarades en vue des prochaines législatives signale une résistance, qui pourrait s'amplifier au moment des municipales de 2014, si les socialistes réformistes savent eux aussi s'organiser et proposer une alternative. Alors une recomposition de la gauche locale, souhaitée par moi depuis plusieurs années, serait envisageable. Il faut que socialistes et communistes fidèles à l'union de la gauche et hostiles aux alliances avec l'extrême gauche se retrouvent : c'est par là que l'espoir renaîtra.

Interdit au + 67 ans.

Arnaud Montebourg est comme ça : intelligent, séducteur, rénovateur mais il a un défaut (qui n'en a pas ?), il en fait trop, en l'occurrence il le fait mal. Sa proposition de priver de candidature aux élections législatives les plus de 67 ans est idiote. Elle provoque plus de questions qu'elle n'apporte de solutions. Mais dans cette période de haute démagogie contre la classe politique, l'idée peut prendre, il faut donc la démonter.

D'abord pourquoi 67 ans ? Pourquoi pas 70 ans, pourquoi pas plus, pourquoi pas moins ? A toute mesure il faut sa logique, sa justification. Là je ne la vois pas. La seule rationalité admissible serait d'aligner cet âge sur celui du départ légal à la retraite de l'ensemble des Français. Mais de nouveau c'est très discutable : le projet reviendrait à assimiler la politique à une activité professionnelle comme une autre, ce qui n'est absolument pas le cas. Un parlementaire n'est pas assimilable à un cadre ou à un fonctionnaire. Un mandat n'est pas un métier.

Ensuite, pourquoi réserver ce couperet des 67 ans aux députés seulement ? La cohérence voudrait qu'on l'élargisse à l'ensemble des élus, surtout ceux qui sont à la tête d'un exécutif. Mais alors c'est toute la classe politique française qu'on va décapiter ! Enfin, les députés socialistes visés par la proposition de Montebourg ne sont pas très nombreux : le renouvellement espéré serait donc très limité.

Sur le fond de l'affaire, nous serons tous d'accord pour dire (sauf Arnaud ?) que l'âge importe peu mais l'énergie, la compétence, la jeunesse d'esprit et pas nécessairement de corps. Je connais des cervelles jeunes qui fonctionnent comme des petits vieux, et inversement. Laissons donc tomber cet aspect-là.

Il y a quand même plus grave : nos sociétés contemporaines ont instauré le culte de la jeunesse, parce que nous voulons tous rester beaux, forts et sexuellement performants. Nous assistons à un retournement de civilisation, une rupture avec les millénaires passés : désormais, ce ne sont plus les jeunes qui admirent les vieux, ce sont les vieux qui sont fascinés par les jeunes.

Dans mes débats publics, je remarque souvent que l'absence des jeunes est regrettée vivement et que leur présence attire immédiatement l'intérêt et la sympathie. Comme si être jeune était un gage de vérité, d'intelligence, de fraîcheur alors que rien n'est souvent plus conformiste qu'un jeune homme ou qu'une jeune fille. Arnaud Montebourg réactive à sa façon ce jeunisme détestable.

L'ordre naturel des choses serait de s'extasier, de se féliciter lorsqu'un vieillard participe à une activité. C'est que l'avenir est du côté des vieux, de ceux qui ont longtemps vécu, qui ont beaucoup appris et qui approchent de cette épreuve qui incite à la sagesse, la mort. Toute l'histoire de l'humanité prouve que la confiance a été accordée aux barbes blanches plutôt qu'aux peaux de bébé.

Bien sûr, je ne vais pas commettre l'erreur inverse en portant au pinacle les vieux, dont je sais parfaitement qu'ils peuvent être séniles, vicieux et très cons. Mais je veux rééquilibrer, puisque l'excès n'est certainement pas dans le vieillisme ! Arnaud a raison de vouloir rénover et renouveler la classe politique, mais il y a tellement d'autres moyens ! Le non cumul des mandats, leur limitation dans la durée, l'exigence de parité, la promotion des catégories les moins représentées, ... L'âge, lui, ne doit pas entrer dans ces critères. C'est un jeune de 51 ans qui vous le dit !

mardi 8 novembre 2011

Ticket gagnant.

La campagne des élections législatives a-t-elle commencé dans la deuxième circonscription de l'Aisne ? A voir la présence de Xavier Bertrand et Pascale Gruny dans de multiples manifestations ces derniers temps, il semble que oui. Mais n'est-il pas vrai qu'une campagne ne s'arrête jamais et qu'une élection en cache une autre ? Pour la gauche saint-quentinoise, ce scrutin législatif sera difficile, la situation locale étant ce qu'elle est. Même une victoire de François Hollande ne serait pas un élément décisif : les vagues roses se transforment chez nous en vaguelettes. C'est pourquoi la gauche ne devra négliger aucun détail, mettre toutes les chances de son côté si elle veut l'emporter.

Parmi ces détails, il y a celui du choix du suppléant de la candidate socialiste (ce sera obligatoirement un homme puisque la circonscription est réservée par les socialistes à une femme). Si l'électorat retient le candidat en titre, il n'empêche que le suppléant forme avec lui une sorte de ticket, que la désignation de celui-ci n'est pas anodine ou secondaire, qu'il faut lui donner un sens politique. Dans ces conditions, quel serait à Saint-Quentin le ticket gagnant, à gauche, en juin prochain ?

Instruisons-nous de ce qui s'est fait par le passé. Le meilleur ticket, c'était celui des législatives de 1997 : Odette Grzegrzulka, socialiste, avait pris pour suppléant Roland Renard, élu, ancien communiste, disposant d'une forte notoriété. En 2007, Odette avait choisi David Piette, un jeune, un nom connu dans le quartier populaire d'Europe. A droite, même souci de donner un sens politique à la suppléante de Xavier Bertrand : Pascale Gruny est une élue, conseillère municipale, native du village d'Estrées, bien implantée dans la circonscription.

Pour la candidate socialiste, je vois trois critères dans le choix du suppléant idéal : un non socialiste, un non saint-quentinois, une personnalité locale (élu ou pas). Non socialiste parce que le PS, s'il veut gagner, doit impérativement s'ouvrir. Jospin en son temps a fendu l'armure, nous devons briser le cercle, élargir notre audience, ne pas rester entre nous. Un ticket socialo-socialiste ne serait pas bon du tout. La candidate est socialiste, le suppléant doit être bien évidemment de gauche mais non socialiste, éventuellement d'un autre parti partenaire (pas l'extrême gauche, bien sûr ! Je parle des partenaires au niveau national). Au lieu de disperser les voix avec une candidature écologiste, il serait préférable de prendre un suppléant Vert.

Le suppléant ne doit pas par ailleurs être Saint-Quentinois, puisque la candidate l'est. Même si notre ville a un poids très important dans la circonscription, il y a toute la campagne environnante. C'est d'elle que le suppléant devra être issu, pour que l'ensemble des citoyens puissent se reconnaître géographiquement dans le ticket socialiste.

Enfin, le suppléant doit être quelqu'un de connu, que les électeurs puissent identifier. La stratégie des "nouvelles têtes", qui consiste à présenter des inconnus pour les faire connaître, relève sûrement de la bonne intention et même de l'intelligence apparente, mais les dernières élections cantonales nous ont montré à quel point sur Saint-Quentin elle pouvait être désastreuse, puisque les socialistes ont été battus dès le premier tour par l'extrême droite. Quelqu'un d'engagé dans le monde associatif ou syndical ferait une excellente tête d'affiche.

L'enjeu est énorme : il faudra d'abord éviter d'être disqualifié par le Front national, puis s'assurer d'être présent au second tour, afin de gagner face à Xavier Bertrand au second. Dur, dur. C'est pourquoi les socialistes ne pourront pas cette fois se payer le luxe de la division, le petit jeu mortifère du rapport de forces interne, la logique du gagnant-perdant. C'est possible si nous le voulons. Pourquoi ne le voudrions-nous pas ?

lundi 7 novembre 2011

Bienvenue au club.

A chaque fois qu'un nouveau blog politique d'un Saint-Quentinois voit le jour, je me suis donné pour règle de courtoisie de le saluer et de lui souhaiter longue vie, quelles que soient les opinions émises (seule exception : l'extrême droite). Car durer, durer, durer, c'est la grande leçon de la politique, avant même de gagner. L'un d'ailleurs entraîne l'autre, mais la victoire ne dépend que du peuple, alors que la constance dépend du rédacteur du blog. Je salue donc bien bas le blog de Stéphane Monnoyer, à l'adresse suivante : http://StephMonnoyer2014.over-blog.fr

Stéphane, ex-MPF, ex-UMP, ex-MoDem et futur je ne sais quoi (en politique, on ne peut pas rester longtemps célibataire), annonce carrément la couleur dans le nom de son blog : 2014, il vise explicitement les élections municipales, il affirme qu'il sera candidat. Nous verrons bien. Durer, durer, durer, j'en reste là. Ce premier billet s'intitule "Narcisse". Stéphane ne pense pas à lui en évoquant ce personnage de la mythologie, mais à Xavier Bertrand, dont Monnoyer est vraiment décidé à être l'opposant numéro un ! Attendons la suite.

Un nouveau blog politique, c'est toujours une bonne nouvelle pour la démocratie locale. Nous sommes désormais cinq à nous partager le marché saint-quentinois.

- Les viocs : Jean-Claude Le Garrec et moi, qui avons débuté nos blogs respectifs en fin 2006, qui sommes encore là, cinq ans plus tard, et quasi quotidiennement. Autre point commun (mais après ça s'arrête là !) : nous sommes tous les deux orphelins, lui de Ségolène, moi de DSK.

- Les jeunots : Arthur Nouaillat et Simon Dubois-Yassa, qui ont commencé il y a deux ans et qui ont depuis arrêté. Je leur avais pourtant dit, à l'époque : il faudra durer, durer, durer. Mais les jeunots n'écoutent plus les viocs ! En même temps, je les comprends : quand on a vingt ans, on a bien autre chose en tête que la rédaction d'un blog politique, on pense à l'amour, à l'aventure, aux études, et c'est très bien comme ça.

- Les bleus : Anne Ferreira, qui a ouvert son blog personnel il y a quelques semaines, et donc Stéphane Monnoyer il y a quelques jours. Auront-ils l'un et l'autre la durée de vie des viocs ou celle des jeunots ? C'est l'avenir qui le dira, si les petits cochons ne les ont pas mangés d'ici là (quoique en politique l'image du jeune loup est plus fréquente ...).

- L'inclassable : je ne l'oublie pas, il m'en voudrait à mort, Antonio Ribeiro et son blog de la Gauche moderne, dont la plume fait les délices de la presse locale. Antonio est à mi-chemin des viocs et des bleus : il a débuté en janvier 2009. Inclassable aussi parce qu'il s'est fâché avec la gauche et qu'il est maintenant en froid avec son adjointe de tutelle, Françoise Jacob. Mais comme la politique est faite de chaud et de froid ...

Cinq blogs politiques personnels à Saint-Quentin, vous me direz peut-être que ce n'est pas énorme. On remarque sans doute plus sur la toile les absents que les présents : pourquoi Pierre André et surtout Xavier Bertrand, féru de nouvelles technologies et de communication, n'ont-ils pas leurs blogs, dont on imaginerait facilement le succès ? Mon explication, c'est que leur activité politique tout entière est un immense blog vivant, sur le terrain, dans la presse, à la radio et à la télévision pour Xavier Bertrand, ce qui les dispense de l'affichage électronique.

Il faut être lucide, ne pas se faire d'illusion : on rédige un blog lorsqu'on ne peut pas se faire entendre autrement. Si j'étais élu, si j'exerçais une responsabilité politique, si j'étais entendu et compris, je ne sentirai pas le besoin quotidien d'écrire des billets, j'exercerai mon influence d'une autre façon. Finalement, et paradoxalement, mon voeu le plus cher serait que ce blog cesse : ce serait le signe de ma réussite politique ! Un jour peut-être ... En attendant, je suis condamné à écrire et vous n'avez le choix que de me lire. On connaît tout de même pire dans la vie ...

dimanche 6 novembre 2011

L'art de la table.




Et si on faisait une table ? Non, non, je n'ai pas eu ce week-end une envie de menuiserie. Je veux parler de la table qu'on organise entre amis lors d'une soirée. Généralement, je n'aime pas trop : la table réservée, ça fait cercle par définition fermée, petit clan. Rester entre soi c'est bourgeois, même quand on ne l'est pas ou pas beaucoup. Je préfère le mélange, les rencontres, la découverte. C'est mieux, ça donne une meilleure image de soi, aller à la première table venue, s'installer sans façon, discuter sans prévention ; je pense même que l'essence de la politique c'est ça.

Alors pourquoi, pour la traditionnelle soirée africaine de l'ASTI (association de solidarité avec les travailleurs immigrés), je me suis dit : et si on faisait une table ? puisque ça me ressemble si peu, puisque les autres années je ne le fais pas ? Je ne sais pas : une envie, ça ne s'explique pas.

Et puis, la création de la table, c'est la naissance de la civilisation : tant que les hommes ont eu le cul par terre autour d'un feu, c'était la tribu, la sauvagerie, l'époque primitive. A partir du moment où une table a été installée, avec tous les ustensiles qui l'accompagnent, la dignité l'a emporté, et avec elle le raffinement, la politesse, la culture. Enfin, comment ne pas se souvenir que l'art de la table est spécifiquement français ?

La soirée, hier, n'a pas très bien commencé : en entrant dans le quartier du Vermandois où elle se déroulait, j'ai été accueilli par Nicolas Sarkozy, en affiches, plein le panneau du début de la rue Jean Zay. A part ça, j'ai passé un très bon moment. Je n'étais pas le seul à avoir ma table. En tout et pour tout, j'ai repéré six tables parmi les 150 participants :

- la table des organisateurs, avec Claudette Lemire, Jocelyne et Joseph Nardi, Marcel Ouillon, Maurice Gomis, Henri Bailleul, tous responsables de l'ASTI saint-quentinoise.

- la table des sportifs, autour de Roger Dehame, cyclotouriste bien connu dans le Saint-Quentinois.

- la table de l'association Autrement dire, autour de Viviane Caron.

- la table du centre social du Vermandois, venus en voisin, avec Françoise et Christian Vilport, Antonio Tejado, Patricia Puchacz.

- la table des politiques, d'Anne Ferreira.

- last but not least, la table des présidents d'associations, Marie-Lise Semblat (Aster international) et son célèbre conteur picard de mari, Joselyne Drécourt (Isis), Jacqueline Hargous ( les Amis de l'école publique), Anna Osman (ex Objectif cinéma) et myself (Rencontre citoy'Aisne).

Tout ça faisait une intéressante géographie, doublée d'une petite sociologie restées sans doute inaperçues aux yeux de la plupart des convives. Dans l'idéal, nous pourrions rêver d'une immense table ronde où tout le monde se retrouverait et se mélangerait. Mais les êtres humains ne fonctionnent hélas pas comme ça.

Faire sa table ne suffit pas, il faut aussi l'organiser, savoir qui va présider (c'est un grand mot, mais il y a un peu de ça). Une table n'est pas spontanément démocratique et égalitaire. Il y a un chef de table comme dans les grands restaurants un chef de rang. Le chef est bien sûr celui qui est à l'initiative de la table, qui parfois invite, régale, paie les bouteilles (en sus) et lance les toasts.

Surtout, on le reconnaît à la place qu'il occupe autour de la table. Mais là, il y a deux écoles : les partisans du bout de table, qui permet au chef d'être immédiatement vu, identifié (l'inconvénient, c'est qu'il aura du mal, tout au bout, à discuter avec ceux de l'autre bout ; or, le chef est aussi l'animateur de la table); les partisans du milieu de table, qui permet d'être au centre, ce qui est quand même indispensable pour un chef (l'inconvénient, c'est le risque d'être fondu dans le groupe).

Pour remédier au défaut clanique que recèle toute réservation de table, il y a une solution, qui elle aussi relève de l'art : se lever, quitter un instant sa propre table pour faire le tour des autres tables, la tournée des popotes en quelque sorte. Pas facile, c'est un métier, à quoi les politique sont exercés. La technique de base est de repérer les gens qu'on connaît et, partant d'eux, de saluer toute la table. Malheur à celui qui ne distingue aucun visage familier, ou très peu : ses yeux vont tourner comme des toupies, désemparé, ridicule, vaincu. Il ne faut surtout pas forcer, chercher, implorer un regard ami : mieux vaut se replier, retourner à sa place, en échec, discrètement humilié mais pas déshonoré. L'art du tour de table doit se faire en souplesse, avec naturel, dans un savant négligé. Sinon, laissez tomber.

Il y en a trois, hier soir, qui n'ont pas eu à se forcer, tellement ils semblaient dans leur milieu : Jimmy Fakourou, qui glisse sa haute stature de table en table, qu'on voit tout de suite et qui vous voit immédiatement ; Josette Mendy, qui sourit à tous sans discrimination ; Jacqueline Debadier, qui n'est plus conseillère municipale mais se comporte comme telle, puisque c'est le privilège et le devoir des élus que de s'adonner à cet étrange ballet. C'est que Jacqueline se sent à l'aise, chez elle parmi ce public pourtant plutôt porté à gauche.

Mais ce n'est pas tout : l'art de la table vire à la corvée au fil de la soirée, quand les sujets de conversation s'épuisent et que l'alcool échauffe. C'est pourquoi l'ASTI a prévu pour nous distraire le tirage d'une tombola. J'ai acheté cinq enveloppes à un euro, voilà mes lots remportés : une grande boîte de raviolis, deux paquets de gâteaux Vandamme, une boîte de céréales et un paquet de café. C'est merveilleux, on vient pour un repas, on repart avec un autre repas.

Il y avait tout de même un bug dans la soirée : l'absence du groupe africain qui devait nous faire danser. Dommage, j'avais prévu un corps à corps endiablé avec ma camarade Anne. Je dis endiablé puisque avant le repas de l'ASTI j'étais à Guise pour animer un café philo sur le mal, en compagnie de Paul Braem, le prêtre exorciste officiel du diocèse, qui m'a assuré que je n'avais rien à craindre en matière d'envoûtement ...

Cet après-midi, je suis retourné dans la salle de quartier du Vermandois pour saluer et remercier les organisateurs. Drôle d'ambiance quand il n'y a plus d'ambiance : les tables sont seules, perdues au milieu du vide, jonchées d'assiettes sales et de cadavres de bouteille. La civilisation est partie, l'art de la table est mort, les chefs de table sont inutiles, il ne reste que la forte odeur du repas africain et le souvenir de la soirée. L'an prochain, je serai de nouveau là. Amis lecteurs, vous viendrez à ma table ?