mardi 1 novembre 2011

Pétain mon amour.

J'aime beaucoup les documentaires historiques. Histoire, politique et philosophie sont liées. J'ai été gâté ces derniers jours : Apocalypse Hitler il y a une semaine et Pétain, ce héros si populaire hier soir, formidables l'un et l'autre, avec en fond cette question, politiquement essentielle : qu'est-ce qui fait qu'un homme devient populaire, est porté et soutenu au pouvoir ? Pétain, quelques mois seulement avant la Libération, mobilise les foules sur son passage, est aimé par la masse du peuple. Pourquoi ?

Vous vous souvenez du sujet que j'ai traité ce dimanche à Paris : admirer, est-ce juste ? C'est fascinant et terrible : qu'est-ce qui fait que la population peut s'attacher librement à des personnages peu recommandables, très contestables et sûrement pas admirables ? Pétain était de ceux-là. S'il y a un homme politique, en France, au XXème siècle, particulièrement détestable, je n'hésite pas, je crache ce nom-là, Philippe Pétain. Rejeté par moi, adulé par tant d'autres (encore aujourd'hui ?). Comment expliquer ça ?

Je déteste l'ambiguïté du personnage : longtemps baiseur et père la pudeur une fois arrivé au pouvoir, pétitionnant contre l'antisémitisme allemand en 1938 et le pratiquant deux ans plus tard à Vichy, officier républicain jusqu'à ce qu'il enterre la République, non cet individu louche ne peut que susciter ma répulsion. La vertu politique, c'est la constance et la clarté. En l'absence, aucune confiance ne doit être accordée. Un homme même de gauche, surtout de gauche qui louvoie, je le lâche.

Pétain est d'autant plus détestable qu'il n'a rien de génial, pas d'envergure : jusqu'à 62 ans, il ne fait pas parler de lui. Pendant la première guerre mondiale, ce n'est pas un grand stratège : il se contente de soutenir la position défensive. Seul point positif, mais pas exceptionnel : il économise la vie humaine, ce qui le fait passer pour humaniste. Pétain est surtout un général frimeur, paradant sur son cheval blanc, aux anges quand il obtient son bâton de maréchal. On les aura, disait-il alors des Allemands. Ce sont eux qui l'ont eu, et nous avec, vingt ans plus tard.

La suite de sa vie, c'est quoi ? Un type qui fait croire qu'une paisible retraite seule l'intéresse, alors qu'il a une fringale de pouvoir, ce qui est affligeant pour un vieillard : ambassadeur en Espagne, ministre puis chef d'Etat ! Tout ça pour finir dans le lit des Allemands ... Je ne suis pas lacanien mais parfois je le deviens : Pétain, putain, c'est du pareil au même. Sauf qu'une prostituée mérite le respect et Pétain une balle dans la peau. Honte aux Français, hélas nombreux, qui l'ont acclamé ! L'absence de courage est pardonnable, je ne demande pas à chacun de devenir résistant. Mais l'enthousiasme déplacé, non c'est détestable.

D'où vient donc le mal ? Qu'est-ce qui fait qu'on est à ce point aveuglé ? La réponse est dans cette définition atroce qu'un bon camarade m'a un jour donné de la politique : suivre quelqu'un. Suivre quelqu'un ! Quoi qu'il soit, quoi qu'il fasse ... Le chef, la tête, le leader, qui peut être un minable élu comme Pétain était un minable maréchal, mais qu'on va suivre quand même, parce qu'il est le chef. C'est le pouvoir qui veut ça, et c'est terrible, même à un petit niveau sans graves conséquences.

Suivre quelqu'un ? Moi jamais, et mes camarades le savent. Mais suivre des idées, une ligne, oui mille fois oui, dans la constance, la cohérence (je n'ai pas une tête d'électron libre, ni même d'électron tout court !). Il n'y a pas de politique sérieuse et honorable en dehors de ça. A mes camarades je dis : ne me suivez pas, surtout pas ! mais suivez mes idées, si vous les approuvez (elles sont simples à comprendre, ce n'est pas de l'intellectualisme). Et si vous voulez des places (pourquoi pas), suivez ceux qui ont le pouvoir : c'est la loi de la politique, impitoyable et pitoyable à la fois.

Pétain, pourquoi les Français l'ont-ils suivi ? Peut-être un mélange de trouille, de lâcheté et d'admiration. Admiration de quoi, puisque Pétain n'avait rien d'objectivement admirable ? L'amour en politique tient à peu de choses : une belle moustache blanche, des yeux bleus qui fixent et impressionnent, une voix chevrotante qui prêche constamment, un port de tête rehaussé d'un képi, une allure de vénérable vieillard, et puis ses discours qui remuent les tripes, qui caressent les couilles, qui font fléchir les jambes, qui embrument la tête, qui apeurent et excitent, ça colle à des millions de Français comme une sale glu. Voilà ce qui arrive quand on suit quelqu'un sans faire gaffe.

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