vendredi 31 mai 2013

On ne meurt qu'une fois



Le plus célèbre médecin urgentiste de France était hier soir à Merlieux, à l'invitation de Dominique Lestrat et de la Bibliothèque sociale, afin de présenter son dernier ouvrage, On ne meurt qu'une fois et c'est pour si longtemps (éditions Robert Laffont), consacré aux derniers jours des grands hommes. C'est un ouvrage formidable, que je recommande à votre lecture.

Patrick Pelloux, (vignette 1, pendant sa conférence), décrit, avec le réalisme du médecin, le dernier souffle de ceux qui n'en manquaient pas de leur vivant, de Danton à Jean Moulin, de Marie Curie à Zola, des soldats de Waterloo jusqu'à Laurel et Hardy. Cette diversité est en soi intéressante. On y apprend que les rois de France ne vivaient pas comme des rois et que leur mort était souvent atroce. Mon chapitre préféré : le dernier, où il est question de Saturnin le canard et de tous les animaux sacrifiés pour le tournage des séries télévisées.

La deuxième partie de la soirée a porté sur l'hôpital public (Pelloux, dans l'après-midi, est venu soutenir les manifestants de Prémontré). Là, je n'étais plus trop d'accord avec lui, surtout lorsqu'il s'en est pris à Marisol Touraine. Sinon, c'est un type très sympa, assez marrant, qui a beaucoup de choses à nous dire et à nous apprendre (en vignette 2, lors du pot qui a suivi, avec Valérie). Son bouquin fait vraiment réfléchir. Lisez-le, vous ne perdrez pas votre temps !

jeudi 30 mai 2013

On est les champions !



Depuis quelques temps déjà, j'avais en tête de faire quelque chose à Saint-Quentin autour du sport, en compagnie de Jean-Pierre Prault, le journaliste sportif. Par le passé, il nous est arrivé d'organiser des manifestations ensemble. Une nouvelle occasion s'est présentée, une idée de Michèle Zann, la directrice du cinéma : la sortie du film de Laurent Tuel, La grande Boucle, avec le très populaire Clovis Cornillac (voir vignette).

Nous sommes à quelques semaines du départ du Tour de France, pourquoi ne pas en profiter ? Mais une projection, même en avant-première, ne suffit pas : il faut l'accompagner d'un événement. Euréka j'ai trouvé ! Une rencontre avec nos trois champions locaux : Martial Gayant et José Catieau, tous les deux anciens maillot jaune, et Francis Moreau, champion olympique de poursuite par équipe. Pour ne rien gâcher, Francis viendra avec son fils Yoann, qui vient d'être sacré champion de Picardie juniors. Ce ciné-rencontre aura lieu dimanche prochain, à partir de 16h00, aux tarifs habituels. Pas de doute, on-est, on-est, on-est-les-champions !

mercredi 29 mai 2013

Atelier philo



Atelier philo hier matin à Guise, au centre social (vignette 1, mais ne vous fiez pas à la pendule !). La discussion a porté sur la générosité, à partir de ce problème initial : un homme juste et bon n'est pas forcément généreux, alors qu'un salaud peut parfaitement l'être, surtout à l'égard de ses proches amis. Alors, la générosité est-elle vraiment une vertu ?

Une participante a eu cette jolie formule : la générosité, c'est le plaisir de faire plaisir. Nous avons également disserté sur la poitrine généreuse, très emblématique de ce sentiment : la générosité va de pair avec le volume, elle consiste autant à donner qu'à se donner, elle est nourricière (c'est le lait des nourrices). Et puis, le seul acte de pure générosité (du verbe générer), n'est-ce pas la création du monde par Dieu ?

Cet après-midi, dernière séance d'un autre atelier philo, celui de Cambrai, au sein de l'université du temps libre (UTL), qui a consisté en une lecture philosophique du roman de Victor Hugo, Notre-Dame de Paris (vignette 2). L'histoire d'Esmeralda et de Quasimodo donne l'occasion d'une réflexion sur l'amour et la haine, le poids de la fatalité et la signification de l'art (chapitre V, partie 2).

Hugo explique que l'architecture est la plus ancienne écriture, que l'art gothique a consacré le pouvoir de l'artiste et du peuple sur la religion et le clergé, que l'invention de l'imprimerie a détrôné l'architecture : grâce à elle, la pensée humaine s'exprime sur le papier, non plus dans la pierre. Le protestantisme confirme cette évolution : la foi se recentre sur la Bible et l'architecture des temples devient sommaire. Victor Hugo, dans cette nouvelle époque, se conçoit comme un architecte des lettres rédigeant des livres-cathédrales, dont Notre-Dame de Paris est un exemple.

mardi 28 mai 2013

Le libertin et les gens normaux



Il y a eu ce week-end, sur nos écrans de télévision, deux images qui ont fait choc, qui se sont entrechoquées : les marches de Cannes et la marche des Invalides, la montée de DSK et le soulèvement des anti-mariage pour tous.

Strauss, d'abord : il m'a bluffé, vous aussi je parie ! Détendu, souriant, radieux, une jolie jeune femme à son bras, posant comme une star, semblant dire au monde entier "je fais ce que je veux et je vous emmerde", quelle audace, quelle classe ! Il fallait oser, j'y croyais à peine, on aurait pu confondre avec une pub pour le prochain film d'Abel Ferrara. L'homme détesté de tous, le pervers planétaire, faisait la nique à ses détracteurs, qui sont légion. Au XVIIe siècle, le libertin n'était pas seulement le dépravé, condamné comme tel par les bien-pensants, mais l'homme philosophiquement libre.

En le regardant sur le tapis rouge, je me disais que Strauss n'était pas au tapis, mais bel et bien encore debout, sans besoin de se reconstruire, comme on dit aujourd'hui, puisque l'homme n'est nullement défait, refusant de jouer la comédie contemporaine de la victimisation. Ce palais, ces marches, ce tapis rouge, ces photographes, bon sang mais c'est bien sûr, l'Elysée et la petite revanche médiatique de DSK sur les médias ! Sacré Strauss ...

Paris ensuite, la manif pour tous (voir mon billet de dimanche) : l'image qui m'a frappé, ce sont les poussettes, des centaines de poussettes, présence inhabituelle et imprudente dans un rassemblement de masse (mais ces manifestants n'étaient pas des habitués). Cette singulière procession m'a fait penser au défilé des fiers tracteurs dans mon Berry natal, lors des foires et cavalcades. Car aujourd'hui, les poussettes d'enfants sont massives, robustes, dominatrices sur les trottoirs, obligeant les simples piétons à s'effacer devant leur avancée. Dimanche, elles étaient en force, c'était leur démonstration de force, avant celle des femmes et des hommes. De vraies petites machines de guerre. On ne discute pas avec une poussette, on ne peut que se soumettre.

Que nous disaient-elles, ces centaines de poussettes, conscientes de leur puissance, sûres d'elles-mêmes, progressant tout droit, certaines d'être dans la marche de l'Histoire, aux avant-postes de la civilisation à défendre ? Elles clamaient leur immense besoin de normalité dans un monde en plein bouleversement, avec ce principe sous-jacent : ce qui est normal est moral, ce qui est moral est normal. Et quelle est l'ultime norme à laquelle se raccrocher lorsqu'on se croit en plein naufrage ? La norme biologique : un mâle, une femelle, un petit, c'est-à-dire un papa, une maman, un enfant. Voilà ce qui reste quand on a perdu tout le reste. Ces poussettes, c'étaient autant d'ogives lancées contre l'impudent débauché sur son tapis de stupre, sa catin à ses côtés, l'anormal et l'amoral libertin qui voulait devenir président et qui, le bougre, n'a peut-être pas complètement renoncé à tout rôle public.

Dans cette affaire, François Hollande est victime de lui-même, par un effet boomerang : il ne s'est pas fait élire parce qu'il était de gauche (la France n'a jamais été, depuis quelques années, autant à droite) mais parce qu'il était normal, sa géniale et électorale marque de fabrique. A l'inverse, Nicolas Sarkozy n'a pas été battu parce qu'il était trop à droite, mais trop anormal (surtout aux yeux de la droite traditionnelle). Notre société, de tout côté, aspire à la normalité. Je crains qu'elle ne finisse par en crever, car rien de grand ne se fait jamais dans le respect des normes, mais au contraire dans leur transgression, en créant de nouvelles normes. Le phénomène se vérifie, historiquement, dans l'art, la science, la philosophie et aussi la politique, jusque dans la religion : le christianisme a dépassé les normes du judaïsme, comme le bouddhisme celles de l'hindouisme. Gens normaux, soyez un peu plus libres, pas forcément avec votre sexe, mais dans votre tête.

lundi 27 mai 2013

Internel



On croit souvent, c'est un lieu commun, que l'internet représente le triomphe de l'éphémère sur la longue durée, du court instant sur la mémoire. Nous serions entrés, avec lui, grâce à lui, dans l'ère de l'immédiateté. Exemple, ce blog : je le rédige chaque jour et je passe très vite à un autre jour, car rien n'est plus rapide qu'une journée qui passe. Mais je n'adhère pas du tout à cette façon de voir, qui aboutit généralement à critiquer l'internet, qui nous aurait soi-disant fait perdre le sens de la distance. Au contraire, avec l'internet, nous renouons avec une forme d'éternité (je vais jusque-là !).

D'abord, le vrai triomphe du net, c'est celui de l'écriture sur la parole. Or, rien n'est plus fugace, oublieux, éphémère que la parole, qui s'envole alors que les écrits restent, comme le dit la fameuse formule. Ensuite, l'écriture électronique demeure à jamais, tandis que le papier est voué à disparaître. En quelque sorte, le billet que je suis en ce moment en train de rédiger l'est pour l'éternité. Dans la blogosphère, rien ne s'efface, sauf par autodestruction (je n'en suis pas là !). Ce blog pourra être consulté bien longtemps après ma mort, et même quand j'aurai cessé de le remplir, même quand je m'en serai désintéressé (en supposant que cela puisse un jour arriver), ce blog continuera à vivre en dehors de moi.

Imaginez un peu l'incroyable mémoire que constitue un blog après sept ans d'existence, la multitude d'informations qu'il contient sur la vie politique saint-quentinoise et qu'on ne trouve nulle part ailleurs, même dans la presse locale ! C'est une mine qui sera exploitée plus tard, une sorte d'archivage que nulle méthode d'archive traditionnelle ne peut vraiment stocker. Si je n'avais réussi politiquement qu'une seule chose, ce serait encore celle-là, qui bien sûr ne me suffit pas, mais qui est déjà beaucoup quand tant d'autres ne font rien.

Si cette réflexion m'est venue aujourd'hui à l'esprit, c'est que les circonstances récentes m'y ont conduit. Sylvain Logerot m'a informé qu'une référence à mon ancien blog Prof Story avait été faite sur le site bien connu Rue89, dans un billet d'Emmanuelle Bonneau, daté de vendredi dernier, "Notation des profs : l'obscur critère du rayonnement", à la suite du rapport de la Cour des comptes sur le métier d'enseignant. Le 4 février 2009, je faisais une critique de la notation administrative des professeurs, à partir de mon cas personnel. Quatre ans plus tard, mon analyse resurgit, ailleurs !

Coïncidence, je reçois hier un courriel d'une ancienne élève, Lisa-May Polino, très heureuse de retrouver un billet dans lequel je parlais d'elle et de son militantisme lycéen, dans un billet de Prof Story du 20 décembre 2008 ! Evidemment, j'avais oublié tout ça. L'internet n'est pas seulement une mémoire collective, pour les autres, c'est aussi une mémoire personnelle, pour soi-même. Quand je replonge dans des billets d'il y a quelques années (ça m'arrive rarement, car le présent et l'avenir me préoccupent plus que le passé), je vous jure que c'est impressionnant, et je vous invite, s'il vous plaît, à en faire la petite expérience. C'est fou tout ce qu'on peut oublier ! L'internet, c'est l'indispensable mémoire. Sur quel autre support pourrait s'inscrire les micro-événements de la vie locale ? Et pour penser et préparer le futur, il ne faut pas effacer le passé.

Puisque je parle d'avenir, j'ai une autre information récente à vous confier, en rapport avec notre sujet : la revue Philosophie magazine, ayant repéré mon blog pour les billets que j'ai consacrés à certains de ses numéros, m'a proposé un partenariat qui consistera à faire, une fois par mois, une lecture critique du numéro de Philosophie magazine en cours. Je n'ai pas pour habitude de faire de la pub pour qui que ce soit, mais là, la proposition est honnête et la cause est juste. J'ai donc dit oui. Si l'internet n'existait pas, jamais le magazine ne serait remonté jusqu'à moi.

Mon assiduité à rédiger ce blog, depuis de nombreux années, avec seulement quelques rares et courts moments d'infidélité, laisse croire à beaucoup de gens que je suis un internaute fervent. Pas du tout ! Je surfe assez rarement sur le net, j'ignore complètement le monde de Facebook : je préfère la lecture des bouquins et la conversation en vrai, pas en ligne (je ne condamne pas, je dis simplement que ce n'est pas mon truc). Ma vie, ce n'est pas l'écran. Je noircis beaucoup plus de papiers que de billets, et sur des sujets qui n'ont rien à voir avec la politique, dont peut-être un jour je parlerai (mais je ne crois pas !). Il n'en reste pas moins que le phénomène du blog, les réactions passionnées qu'il suscite, les coups de folie que parfois il occasionne, m'impressionnent. La raison profonde est celle que je viens d'exposer : l'internet, c'est l'internel, la forme contemporaine que se donne l'éternité, qui a toujours quelque chose de fascinant et d'un peu effrayant.

dimanche 26 mai 2013

La manif pour personne



A l'heure où j'écris, la manif pour tous n'est pas terminée, les craintes de dérapages ne sont pas confirmées, mais le succès est au rendez-vous, au vu du nombre de participants. La question mérite d'autant plus d'être posée : une manif pour quoi, pour qui, puisque la loi est promulguée ? Les commentateurs parlent d'un baroud d'honneur, notion militaro-aristocratique qui n'a pas de sens en politique : j'ai souvent manifesté, mais jamais pour l'honneur ni sous forme de baroud. Alors, pour qui, pour quoi est cette manif ?

- Pas pour son égérie, son organisatrice, Frigide Barjot, qui n'en était pas, ce qui est assez surréaliste. Imaginez un défilé de la CGT sans Bernard Thibault ! Doublement surréaliste quand on sait la raison : des menaces sur sa personne, venant non pas des partisans du mariage homo, mais de ses adversaires ! Mais Barjot elle-même est surréaliste : une quinqua qui s'habille en ado, dont la création artistique la plus connue est la chanson "Fais-moi l'amour avec deux doigts", et qui devient l'emblème du peuple catho et des bourgeois UMP !

- Pas pour les républicains, qui savent qu'une loi promulguée devient la règle de la République. Certes, aucune loi n'est éternelle, mais en démocratie, ce qu'une élection a fait, seule une élection peut le défaire, pas une manifestation. Ce qui ne signifie pas non plus que cette manif est de trop : en République, aucune manifestation légale n'est de trop. A chaque fois que j'assiste à un rassemblement de rue, quel qu'il soit, même un défilé de clowns, je me réjouis : c'est ça la démocratie ! Manif de trop, non, sûrement pas, mais manif inutile, oui, c'est probable.

- Pas pour la droite, à laquelle la manif pour tous tend un terrible piège, celui de passer pour des radicaux. Ses éléments les plus modérés et les plus raisonnables, Alain Juppé et François Fillon en tête, l'ont compris et ont refusé de participer, sans rien renier de leurs convictions. J'avoue avoir été surpris que Xavier Bertrand ne se retrouve pas sur cette ligne, lui qui veut représenter une droite gaulliste, sociale, populaire, se démarquant de la droite purement réac. Mais je ne suis pas le mieux placé pour juger de ce qui se passe dans le camp d'en face.

- Pas pour l'extrême droite, même pas pour elle, qui dès le départ a été distante à l'égard pourtant d'un mouvement de masse qui rejoint certaines de ses valeurs. Une fois de plus, Marine Le Pen ne participe pas et le FN assure le service minimum. Comme si l'extrême droite sentait que son électorat n'en a rien à fiche du mariage homo ou pas, son obsession, sa peur étant ailleurs : l'immigré et l'insécurité.

- Pas pour les chrétiens, pas pour eux non plus. Cette manif d'aujourd'hui est la plus politisée de toutes, l'UMP a appelé à défiler contre la politique générale du gouvernement, pas spécifiquement contre le mariage homosexuel. Le suicide de Dominique Venner devant l'autel de Notre-Dame, pour tragiquement anecdotique qu'il soit, est cependant révélateur : cet historien flirtait avec le fascisme, était anti-chrétien et a fait de son sacrifice un sacrilège, le suicide étant pour l'Eglise un geste condamnable, et dans un lieu de culte une véritable profanation. A travers ce geste, c'est une culture de la haine et de la mort qui monte, pas celle de l'amour et de la vie véhiculée par le christianisme.

Alors, pour qui donc est cette manif pour tous qui a réuni tant de monde ? Paradoxalement, elle n'est pour personne, sauf peut-être pour une seule personne, Henri Guaino,qui s'est dit prêt à manifester "indéfiniment", comme la Lune tourne indéfiniment autour de la Terre et la Terre indéfiniment autour du Soleil, comme ces soldats japonais ont continué à se battre sur des îles désertes, plusieurs années après la reddition de leur empereur.

Les premiers mariages homosexuels seront célébrés dans quelques jours. Je souhaite qu'ils se fassent dans la discrétion qui convient à des cérémonies privées, sans exubérance ni triomphalisme, dans l'intimité qui sied à l'amour et à la famille. L'adoption de la loi dite mariage pour tous n'est pas la victoire de la gauche sur la droite, surtout pas d'une France contre une autre France. Je respecte et je comprends ceux qui ont aujourd'hui, et avant, manifesté, mais je ne partage pas leurs craintes et je n'adhère pas à leur rejet de la loi. Je compte beaucoup sur le temps, non pas pour effacer les convictions, qui demeureront, mais pour relativiser les points de vue.

Enfin, et c'est pour moi, laïque et républicain, le plus important : je tiens à rappeler que l'Etat n'est pas là pour imposer des normes morales qui relèvent de choix strictement personnels, pas plus le mariage homo qu'aucun autre type de mode de vie. On peut très bien vivre aussi sans conjoint, sans enfant et même sans sexualité. L'Etat est simplement là pour garantir des droits à tous, dans le cadre de la légalité et des valeurs républicaines. Alors, laissons maintenant les homos se marier s'ils en ont envie, et tous les autres faire selon ce que leur dictent leur conviction, leur nature et leur désir, mais passons vite, très vite, à autre chose, car la France a des sujets d'inquiétudes autrement plus préoccupants.

samedi 25 mai 2013

A nos amours



Ma semaine qui s'achève s'est déroulée sous le signe de l'amour. D'abord, mardi après-midi, à l'IUTA de Laon, devant environ 80 étudiants, j'ai donné une conférence intitulée "Parlez-moi d'amour", où nous avons abordé le sujet sous toutes ses formes, de l'amour passion à l'amour mystique en passant par l'amour des bêtes.

Jeudi soir, c'est le lycée professionnel Jean-Monnet à La Fère qui m'a proposé d'animer, pour les internes, un café philo sur l'amour. La philo n'est pas au programme des établissements professionnels, mais Marie-Neige Garcia, conseillère principale d'éducation (vignette 4), a eu la bonne idée de la faire venir par le biais du café philo. Je suis de ceux qui pensent qu'aucun niveau ou type de scolarité ne devraient exclure la philo.

La séance a été très animée ... sans que j'ai trop besoin de l'animer (vignette 1, la mise en place ; vignette 2, en cours de débat). Il faut dire que l'amour ne laisse jamais personne indifférent ! A mes côtés (vignette 3), Vanessa Jadas, assistante d'éducation. C'est la deuxième fois que je me rends à La Fère ; une initiative à renouveler.

La semaine prochaine, ce n'est plus l'amour qui fera mon actualité, mais la générosité, avec l'atelier philo du Centre social de Guise, mardi à 10h00 (ouvert à tout public), autour de la question : la générosité a-t-elle des limites ?

vendredi 24 mai 2013

Le discours de Leipzig



Un homme d'Etat dessine son projet politique au fil de ses discours. François Mitterrand savait très bien faire ça. L'action gouvernementale ne prend tout son sens que lorsqu'elle est mise en perspective. Sinon, les mesures succèdent aux mesures et l'ensemble manque de lisibilité. Ce sont par ses références historiques qu'un discours devient clair, qu'un projet est compris. De ce point de vue, le discours de François Hollande à Leipzig, à l'occasion des 150 ans du SPD (voir mon billet d'hier), fera date.

Le président de la République a fait l'éloge des réformes menées il y a dix ans par Gerhard Schröder et a clairement inscrit la politique du gouvernement français dans cette filiation. Les objectifs sont les mêmes : diminuer le chômage et rétablir l'équilibre des comptes sociaux. Les sociaux-démocrates y sont parvenus spectaculairement : le chômage a massivement baissé, les caisses de santé et des retraites sont désormais excédentaires. Au prix de sacrifices ? Oui, et alors ? Vous connaissez une politique qui réussit sans peine, sans choix, sans sacrifice ? Moi pas. La seule question, c'est de savoir ce qu'on veut, et le dire.

Par certains côtés, le discours de Leipzig, c'est l'anti-discours du Bourget, pendant la campagne de 2012. Mais comparaison n'est pas raison : au Bourget, le discours était électoral, avec ses figures de style imposées ; à Leipzig, le discours est gouvernemental, avec ses responsabilités à assumer. Rien à voir.

Il ne faut pas croire non plus que François Hollande est à la traîne des Allemands. Son discours de Leipzig n'est pas un point de départ mais un point d'arrivée. Pas la peine d'aller chercher maintenant outre-Rhin ce que le gouvernement français a mis en place dès les premiers mois de son mandat : le pacte de compétitivité et la réforme du marché du travail. A vrai dire, il ne s'est rien passé de surprenant et d'innovant à Leipzig. Mais la gauche française n'en finit pas de découvrir, admirative ou inquiète, qu'elle n'est plus ce qu'elle était, qu'elle est devenue ce qu'auparavant elle enviait ou détestait : social-démocrate. L'adversaire de droite, lui, est bien embarrassé : pour reconquérir ou conserver le pouvoir, c'est d'une gauche radicale, d'une gauche repoussoir dont il a besoin et dont il est actuellement privé.

jeudi 23 mai 2013

150 ans de social-démocratie



Le SPD, parti social-démocrate allemand, fête aujourd'hui ses 150 ans. 150 ans ! A côté, le PS français est un jeunot : 42 ans seulement ! Et c'est un problème politique pour les socialistes, et presque une énigme : dans un vieux pays de luttes sociales comme la France, la tradition socialiste n'a qu'une quarantaine d'années. On oublie trop souvent que le parti socialiste chez nous est une création récente, en 1971. La faible implantation, la sociologie réduite s'expliquent aussi par cette relative jeunesse.

Bien sûr, il y a eu auparavant la SFIO, créée au début du XXe siècle. Mais François Mitterrand, au congrès d'Epinay, a inauguré un nouveau parti socialiste en rupture avec l'ancien, jugé opportuniste. En Allemagne, le SPD maintient depuis un siècle et demi une ligne de continuité, il cultive une mémoire vivante qui n'a pas son équivalent en France.

Et puis, il y a le contenu idéologique, puissant et homogène en Allemagne (la social-démocratie), hésitant et hétérogène en France. Le nouveau PS n'a pas produit d'idéologie propre, il s'est laissé influencer par le parti communiste alors dominant, qui constituera un surmoi longtemps présent (Hollande au Bourget : "mon ennemi, c'est la finance !").

La social-démocratie allemande a quatre grandes caractéristiques, dont le socialisme français pourrait s'inspirer :

1- La cogestion, qui privilégie la négociation à la lutte de classes.

2- L'économie considérée comme condition du progrès social et non pas comme facteur d'exploitation, ce qui explique en partie les performances de l'Allemagne.

3- Les rémunérations ouvrières beaucoup plus élevées qu'en France, des conditions de travail globalement meilleures, un système de formation professionnelle plus efficace.

4- Un parti social-démocrate qui articule son action sur des syndicats puissants, un véritable "mouvement ouvrier" comptant des millions de salariés organisés. En France, les notions de "mouvement ouvrier" ou de "mouvement social" sont des slogans creux qui ne renvoient à rien de concret, seulement des incantations.

Le PS qui naît dans les années 70 s'ouvre à une nouvelle petite bourgeoisie, aux revenus modestes mais qui connaît à l'époque une ascension sociale (les enseignants, par exemple), et qui se sent aujourd'hui très largement déclassée. Elle forme les cadres et les élus du PS, elle a son langage à elle, assez éloigné de la culture populaire. Le gros problème du PS, constant, c'est qu'il s'est construit, à la différence du SPD, à côté mais en dehors de la classe ouvrière, laissant au PCF le soin de la représenter et de la défendre. C'est pourquoi je me sens parfois plus proche sociologiquement du PCF que du PS, tout en étant paradoxalement social-démocrate !

Lors de sa dernière conférence de presse, François Holande, à la question de savoir s'il était social-démocrate, n'a pas retenu ce terme. En un sens, il a raison : le PS est socialiste, pourquoi renoncer à ce mot ? D'autant qu'en Europe, socialiste et social-démocrate sont quasiment des expressions synonymes. Mais je vois aussi dans l'hésitation du président de la République une forme de lapsus : ne pas dire vraiment ce qu'on est vraiment, comme si le surmoi radical l'en empêchait.

Je le comprends : il y a en France des sociaux-démocrates (Mendès, Rocard, Delors, DSK) mais pas de social-démocratie constituée et assumée. C'est pourtant, depuis un an, ce que tente de faire au gouvernement François Hollande et Jean-Marc Ayrault, la première politique social-démocrate de notre histoire. Ca vaut bien quelques lapsus !

Bon anniversaire à nos camarades du SPD ! Longue vie à la social-démocratie !

mercredi 22 mai 2013

Prendre l'armure



Le Courrier picard d'avant-hier nous informait que les candidatures socialistes pour la tête de liste aux prochaines élections municipales à Saint-Quentin (et à Laon) pourront se faire connaître entre le 10 et le 25 juin. Le calendrier a été ainsi avancé dans les deux villes du département où aucun leader ne se dégage avec évidence (à Saint-Quentin, il y a peut-être trop et à Laon pas assez !). La date précise du vote n'est pas encore fixée, mais ce sera en septembre. Partout en France, les désignations se feront en octobre, l'écart n'est donc pas énorme, mais la grosse différence, c'est le délai de trois mois, tout à fait inhabituel, entre le dépôt des candidatures et le vote pour la tête de liste.

Généralement, le délai n'est que de quelques jours, deux semaines tout au plus. Trois mois, ça fait énorme ! Les vacances d'été séparent complètement les deux temps du scrutin, qui normalement sont proches. Mais il doit y avoir des raisons à ça, que je ne connais pas (et qui ne m'apparaissent pas clairement, même en y réfléchissant). Une fois les candidatures connues et donc dévoilées publiquement, un no man's land, une suspension du temps de trois mois d'attente vont donc nous être imposés. Trois mois de campagne pour convaincre les camarades que chaque candidat est le meilleur ? C'est peut-être l'explication, mais elle ne me convainc pas totalement.

En tout cas, je suis satisfait qu'une première étape de clarification ait lieu en juin : mieux vaut tôt que plus tard ! Dans l'idéal, j'aurais préféré que notre leader pour les municipales soit adoubé avant les grandes vacances, afin de lancer très vite la campagne. Car, mine de rien, en septembre, le calendrier va s'accélérer : après la tête, c'est le projet et la liste qu'il faudra constituer, en accord avec nos partenaires. Et ce ne sera pas une mince affaire ! Mais rien n'est parfait et il ne faut pas trop en demander ...

En revanche, là où je continue à être insatisfait et même profondément mécontent, c'est dans le mode de désignation de la tête de liste : la procédure des primaires est cette fois-ci officiellement enterrée, alors qu'elle était à mes yeux indispensable pour mobiliser notre électorat, se donner un leader incontesté et préparer la victoire. Mais c'est ainsi : un choix politique a été fait, contraire au mien, chacun en assumera les conséquences, et j'espère de tout coeur me tromper dans mon analyse.

Lors des dernières élections municipales, durant la période de pré-campagne (c'était en septembre 2007), j'avais proposé, dans un cadre de désignation identique (ce sont les seuls adhérents qui choisissent), que les candidats potentiels se concertent au préalable pour faire le point, échanger sur nos intentions (j'étais alors candidat à la candidature) et voir s'il n'était pas possible de s'entendre sur une candidature unanime, avant de procéder au vote. Pourquoi cette proposition ? Parce que j'ai toujours répugné aux rapports de forces entre nous, entre socialistes : c'est contre la droite qu'il faut se battre, pas entre camarades ! Je sais parfaitement, pour l'avoir vécu, qu'une lutte interne laisse des traces, déstabilise la section et donne un résultat qui se compte parfois à peu de voix, qui affaiblit d'emblée celui qui a été choisi.

Mon appel avait été reçu positivement par Michel Garand et Stéphane Andurand, alors candidats déclarés, comme moi. Mais Jean-Pierre Lançon a refusé cette concertation, ne dévoilant sa candidature que quelques jours avant le vote. C'était bien sûr son droit, je pense même que ce choix correspond à sa culture politique, mais je suis aussi en droit de dire que ce n'est pas la mienne, et que dans pareille situation, il ne faut avoir qu'une chose en tête : l'unité de la section, et pas chercher à se compter, comme on dit. Je crois pouvoir dire que la suite des événements m'a malheureusement donné raison. Aujourd'hui, six ans après, est-ce que la concertation se fera ? Je le souhaite toujours, mais je ne sais pas, et je me fais moins d'illusions sur ce point.

Qui sont aujourd'hui les candidats potentiels ? Je l'ai déjà dit, je n'en vois que trois, Anne Ferreira, Michel Garand et moi. Pourquoi ces trois-là et pas d'autres ? Parce que Anne avait dit à la presse, il y a quelques années, qu'elle y songeait, parce que Michel, depuis quelques mois, se montre dans des manifestations où avant il n'allait pas (en politique, c'est un signe), parce qu'en ce qui me concerne j'ai annoncé en décembre dernier que je serai candidat. Mes deux camarades ont exprimé, d'une façon ou d'une autre, des velléités, j'ai posé une volonté et tracer une ligne politique.

A part nous trois, aucun autre socialiste n'a affiché durablement une sérieuse ambition (Jacques Héry a fait une petite déclaration, mais une seule fois : la politique, c'est comme l'amour, il faut répéter plusieurs fois à quelqu'un qu'on l'aime si on veut être crédible ; Stéphane Andurand, lui, a renoncé au profit d'Anne Ferreira, et Jean-Pierre Lançon ne rempile pas). Bien sûr, comme dans ces émissions télévisés où il y a un invité surprise à la fin, nous pourrons toujours découvrir le 25 juin un candidat surprise, le lapin qui sort du chapeau à la dernière minute, la seule qui compte en politique. J'ai toujours pensé que ça ne faisait pas très sérieux, mais après tout, Jean-Pierre Lançon a réussi en son temps à s'imposer, seul contre tous, de cette façon-là. Nous verrons bien.

En septembre, qui sera finalement choisi ? Ma question est présomptueuse (ou tout simplement tueuse, si vous me permettez de jouer avec les mots !). Ma réponse, c'est que le meilleur candidat sera celui qui saura prendre l'armure. Qu'est-ce que j'entends par là ? Vous vous souvenez de la formule de Lionel Jospin aux élections présidentielles de 2002 : fendre l'armure. Ce fut son erreur psychologique : en politique, il ne faut pas chercher à être soi-même, il faut revêtir une carapace, il faut prendre l'armure. Et puis, la politique n'est pas un concours de beauté : c'est un combat, où il vaut mieux être outillé. En 2014, contre Xavier Bertrand, ce sera un hyper-combat, parce que l'homme n'est pas comme les autres : c'est une bête politique, qui peut vous écraser d'un simple coup de patte. L'armure est donc le vêtement recommandé.

Attention : je ne conçois pas l'affrontement politique comme un choc de brutes sauvages, mais plutôt comme un tournoi de chevaliers, dans un esprit de courage, d'audace, de vaillance ! Et qui sait si une dame, au cas où j'en serai, ne viendra pas nouer son écharpe de soie au bout de ma lance, pour me porter chance ? (j'ai aussi le droit de rêver !). Oui, une conception chevaleresque de la politique, c'est ce qui me plaît, c'est ce qui rend l'exercice intéressant, pour ses protagonistes et pour les spectateurs.

Prendre l'armure, c'est aussi, pour chaque candidat, l'occasion de se dépasser, ne renoncer à une partie de lui-même pour endosser un autre personnage. Anne Ferreira ne pourra pas se contenter d'être une élu d'importance ou la chef d'un courant : il lui faudra bien prendre l'armure d'une rassembleuse partant à l'assaut de la droite. Michel Garand, de même, ne pourra pas rester dans le complet veston de l'aimable et consensuel notable ; il lui faudra bien devenir militant, affronter les yeux dans les yeux Xavier Bertrand. Et moi itou : je ne serai plus l'animateur de débats et le blogueur compulsif que je suis. Certains prétendent qu'il n'y aurait pas d'armure à ma taille. Il faut voir : les preux chevaliers d'autrefois n'étaient pas forcément des géants, et le grand Don Quichotte, qui rêvait plus qu'il ne combattait, a fini par s'affronter à des moulins à vent. A Saint-Quentin, Bertrand n'est pas un moulin et je ne suis pas Quichotte de la Mancha.

mardi 21 mai 2013

L'image d'une ville



La réunion organisée par Xavier Bertrand vendredi soir dans le buffet de la gare a rassemblé une centaine de personnes, ce qui est beaucoup pour un projet, le réaménagement du parvis de la gare, dont les grandes lignes et même les détails sont connus. Mais des questions ont été posées et des suggestions ont été faites. Cet intérêt pour un sujet d'embellissement de la ville me conduit à réfléchir sur le prochain débat (déjà commencé !) des élections municipales. Bien sûr il sera question d'emploi, d'impôts, de stationnement, de sécurité, que d'aucuns appellent les "vrais" sujets. Mais il sera aussi débattu de l'image de notre ville.

La préoccupation peut sembler superficielle, gratuite, secondaire : qu'est-ce que la beauté d'un parvis de gare à côté des souffrances quotidiennes, le chômage, le logement, la santé, l'éducation des enfants ? Et pourtant, je pense qu'il ne faut pas les opposer. L'homme ne vit pas que de pain. Surtout, les Saint-Quentinois savent bien que les questions économiques et sociales ne dépendent pas exclusivement de décisions locales mais de la politique nationale. En revanche, la réussite en matière d'aménagement (que je préfère appeler embellissement) de la ville relève entièrement de l'équipe municipale.

On aurait tort, à gauche, durant cette campagne municipale, d'ignorer ou de sous-estimer cette donnée : une ville a une identité aussi forte qu'un pays, à laquelle ses habitants sont attachés, pour laquelle ils éprouvent une sorte de fierté. Cette identité est visible par la beauté de la ville, par l'image qu'elle donne d'elle-même, à l'intérieur comme à l'extérieur. Ne croyons pas qu'il s'agisse d'un décor artificiel chargé de faire oublier tout le reste : non, une ville est aussi un miroir collectif dans lequel chacun aime à se regarder. L'une des raisons, depuis 18 ans, du succès de la droite à Saint-Quentin est qu'elle a compris et intégré ce facteur-là, que la gauche a minimisé et parfois moqué.

Quand je suis arrivé la première fois à Saint-Quentin, valises en mains, c'était au mois de juin 1994. En débarquant dans la gare, en jetant un coup d'oeil à l'extérieur, ma première impression a été la grisaille (le ciel n'a pas dû aider !) et je me suis dit alors (je m'en souviens comme si c'était hier) : on dirait une ville des années 50. Dans mon esprit, ce n'était pas forcément péjoratif, mais ça faisait vieux, un peu triste, sans couleurs. A l'approche de l'an 2000, la ville ne faisait pas très moderne. En discutant avec mes collègues de travail, quelques semaines plus tard, j'ai appris qu'il y avait, à une quarantaine de kilomètres, une ville très coquette où les Saint-Quentinois aimaient à se rendre les week-end, une ville en plus dont le nom m'était familier, alors que Saint-Quentin ne me disait rien du tout : Cambrai.

Vingt ans plus tard, l'Aisne a perdu pour moi bien de ses mystères, Saint-Quentin aussi, et je me rends régulièrement à Cambrai pour des conférences. Eh bien savez-vous ? Maintenant, ce sont les Cambrésiens qui viennent se divertir, s'instruire ou se promener dans Saint-Quentin. L'image que donne une ville, c'est très important, même si en finir avec l'installation du tout-à-l'égout est très important aussi. Mais l'une est visible de tous et l'autre ne réjouit que quelques-uns. Durant la campagne des municipales, il faudra débattre, comme vendredi au buffet de la gare, de ce qui peut rendre belle notre ville, de ce qui peut la rendre encore plus agréable à vivre. Il faudra, dans la sensibilité qui est la mienne, que la gauche explique quelles couleurs elle veut donner à Saint-Quentin.

lundi 20 mai 2013

Appelez-moi Maurice




Vous vous souvenez du slogan des manifestants, en mai 1968, à propos de Daniel Cohn-Bendit : "Nous sommes tous des juifs allemands !" Samedi soir, au musée Antoine-Lécuyer, dans le cadre de la Nuit des musées, je croyais entendre une formule approchante : "Nous sommes tous des Maurice-Quentin de La Tour !" A mon arrivée, j'ai été croqué par quatre petits Maurice, ou plutôt par Maurice et ses Mauricette : Anthony, Chloé, Mélodie et Deborah (vignette 1, de gauche à droite), qui sont par ailleurs mes élèves au lycée Henri-Martin. Vous pouvez apprécier le résultat en vignette 2 (j'ai retenu les dessins d'Anthony et Chloé ; Deborah, elle, m'a transformé en manga, surprenant et déconcertant !). J'espère que ces portraits vous semblent honorer dignement le pastelliste saint-quentinois mondialement connu.

A l'intérieur, nous étions attendus par le maître en personne, ou plutôt sa réincarnation contemporaine, en la personne de Maurice Cabezas de La Tour (vignette 3). Vous l'aurez bien sûr reconnu : il s'agit de Monsieur le Conservateur du musée et sa parisian touch, facétieuse, volubile et diserte. Ce n'était pas le célèbre masque de fer mais de carton, avec les yeux pas tout à fait en face des trous. Ses déplacements de salle en salle, puis de tableau en tableau, avaient des grâces de libellule et un visage qui tournait à l'écrevisse, tant il faisait chaud sous le masque. Devant chaque portrait, Hervé Cabezas est intarissable, plus savant que Maurice lui-même : il donne l'impression de tout savoir, de commenter chaque grain de l'oeuvre, de la rapporter à la vie et à l'époque de l'artiste, comme si de La Tour était son cousin ou son voisin.

Monsieur le Conservateur ? Hervé Cabezas porte bien mal son titre professionnel. J'ai cité Daniel Cohn-Bendit en commençant ce billet : Cabezas, lui non plus, n'a rien d'un conservateur, mais tout d'un révolutionnaire ! Je n'exagère nullement. Savez-vous ce qu'il a fait de la fameuse rotonde de son musée, en cette nuit qui ressemblait à celle du 4 août, tant les privilèges traditionnels de la culture ont été bousculés ? Voyez plutôt, en vignette 4, de quoi il s'agit : où suis-je ? Dans le musée Antoine-Lécuyer ou dans un bar de nuit à l'ambiance tamisée ? A moins qu'il s'agisse du coin canapé d'une discothèque au bleu psychédélique ? Non, je me trouve bel et bien sous la rotonde du musée, méconnaissable, avec des casques et des coussins moelleux traînant par terre, et plusieurs corps allongés, qui ressemblaient à des dormeurs ou à des débauchés.

Qu'est-ce donc que tout cela, me direz-vous ? Comment Hervé Cabezas a-t-il pu autoriser une telle chienlit sous son toit ? Mais non, l'art n'a pas perdu ses droits le temps d'une nuit ! Dans le temple du portrait, ce sont toujours des portraits qu'il nous était donné non à voir, pour une fois, mais à entendre : des audio-portraits, très exactement, de la ville de Saint-Quentin, réalisés par la classe préparatoire option musique du lycée Henri-Martin. J'ai particulièrement apprécié Stunde Null, un bouquet de sons exprimant le visage meurtri de notre ville par la guerre. Très réussi ! Pour la prochaine édition de la Nuit des musées, que nous réserveront Hervé Cabezas et son équipe, qui d'année en année vont de surprise en surprise ? Réponse sur ce blog dans 365 jours.

dimanche 19 mai 2013

Les vivants chez les morts



A Saint-Quentin, la Nuit des musées a commencé en plein jour et dans un cimetière, celui de Saint-Jean, en visite guidée, sous la houlette de Maryse Trannois, présidente de la Société académique, et de Jacques Landouzy, marbrier, qui connaît l'endroit comme sa poche, un vrai livre d'Histoire à lui tout seul, truffé d'anecdotes (vignette 1, au départ de la promenade).

Le portail d'entrée a perdu son crucifix, depuis la loi de 1905 qui sépare l'Eglise et l'Etat. Mais la croix prend sa revanche partout ailleurs. La première partie, c'est le carré protestant, où le symbole chrétien est souvent remplacé par une colonne brisée, signe des réformés. Beaucoup de patronymes alsaciens et quelques noms fameux : la famille Malfuson, le pasteur Monnier et une célébrité, William Cliff, qui a introduit en France le métier à tisser, l'une des techniques de pointe de la Révolution industrielle au XIXe siècle.

Grands patrons du commerce et du textile, hommes politiques, maires, députés et conseillers généraux sont les figures imposées : la famille Hachet, dans l'une des plus hautes tombes, à qui l'on doit notamment l'hôtel des Canonniers, Romain Tricoteaux, le maire qui a reconstruit Saint-Quentin après la Grande Guerre, Raffard de Brienne, journaliste et écrivain, l'une des plus belles chapelles, Charles Picard, ancien maire de la ville, Gomart, dont l'histoire de Saint-Quentin en plusieurs volumes est incontournable, Antoine Lécuyer, pas du tout artiste malgré son nom donné au musée, mais politique et industriel, Calixte Souplet et tant d'autres ...

Ce qui impressionne, ce sont ces chapelles qui s'efforcent d'être plus grandes, plus splendides les unes que les autres, comme pour perpétuer après la mort les supériorités dont on a joui de son vivant. Quand tout est fini, les inégalités continuent, elles s'inscrivent dans la pierre. Aujourd'hui, la mode est au granit, qui dure plus longtemps : mourir est une chose, devenir éternel en est une autre.

De tous ces noms qui s'affichent fièrement, combien ne nous disent plus rien du tout ? On ne sait plus pourquoi ces gens-là, un jour, pendant longtemps, ont été importants. Que la mémoire collective est faible et ingrate ... Heureusement que Maryse et Jacques sont là pour les ressusciter ! Mais c'est la revanche de la mort sur la vie : dans la tombe, nous sommes tous égaux, tous vite oubliés, sauf par les historiens et les membres de la Société académique.

Sur les tombes des plus modestes, que j'observe avec autant d'attention que celles des notables et des notoriétés, on découvre souvent des objets insolites, mièvres, d'un mauvais goût attendrissant, tels que cette plaque anonyme "Souvenir des voisins" ou bien ce perroquet en plâtre dont on se demande ce qu'il fait là. A part la croix qui domine, les symboles religieux sont moins présents que l'expression des sentiments personnels. "Nous ne t'oublierons pas", lis-je sur une tombe à l'abandon, plus visitée par les herbes que par les humains. Sur une autre : "Regrets éternels", comme si les vivants voulaient partager l'éternité des morts, alors qu'ils ont bien d'autres choses à faire ...

Dans un cimetière, même si on ne croit pas aux fantômes, on rencontre des légendes, qu'il faut éventer. Par exemple, celle de la mariée qui aurait mis fin à ses jours le jour de ses noces, d'où la langueur et la tristesse de la sculpture logée dans la sépulture de Massy (vignette 2, la chapelle ; vignette 3, la sculpture). Non, ce n'est pas ça du tout mais, tenez-vous bien, une allégorie de l'industrie de la betterave (dixit Landouzy) ! Evidemment, la métaphore est moins romantique. Au pied (vignette 3), vous remarquez des échelles allongées : c'est l'entrée de la crypte, que certains courageux, qui ne craignent ni la chute ni les revenants, sont allés explorer.

Autre descente aux enfers : le caveau de la famille Dufour-Denelle, véritable petite catacombe dans laquelle je me suis risqué, quelques mètres sous terre, où figure un autel de messe (vignette 4, sous l'éclairage de maître Jacques). Avec un peu d'imagination, on se croirait dans une cave, mais inutile de chercher les bonnes bouteilles. Certaines sépultures sont si vastes qu'elles peuvent accueillir jusqu'à cinquante corps. Peut-être de quoi se sentir moins seul, mais le nombre ne fait rien à l'affaire : quand on est mort, on est mort.

En 1914, pour se protéger des pillages de l'ennemi, certains vivants ont cru bon cacher leurs biens dans le caveau familial, par exemple de la quincaillerie de grande valeur. Je me prends à rêver que des trésors subsistent peut-être encore ... Mais il n'y a vraiment qu'une seule chose qu'on emporte dans le cercueil, qui ne nous quittera jamais, qui n'appartiendra à personne qu'à nous : c'est le secret que chacun représente pour lui-même et au regard des autres.

Nous sommes passés par le carré militaire, mais nous n'avons pas pu tout voir. Ce sera pour une prochaine visite. Ce qui est bien avec les cimetières, c'est que ses occupants ont le temps, qu'ils sont d'une infinie patience, qu'ils attendent sans inquiétude notre visite puisqu'ils savent qu'un jour ou l'autre, fatalement, nous les rejoindrons. Landouzy a fait remarquer les impacts d'obus sur certains tombes. La guerre ne laisse personne tranquille, même pas les morts. A l'horizon du cimetière Saint-Jean, deux énormes tours de château d'eau écrasent les tombes. Elles ont l'air surdimensionnées, comme parfois la Lune au loin nous semble gigantesque et toute proche. C'est une toile de fond étrange dans une atmosphère étrange.

Maryse Trannois a conclu la visite de plus de deux heures en qualifiant le cimetière Saint-Jean de "petit Père Lachaise", à cette différence qu'on n'y trouve pas de paisibles et verdoyantes allées plantées, qui auraient le mérite de le faire ressembler à un parc ou à un jardin, à la façon de son homologue parisien (dans lequel Jacques Landouzy a travaillé dix ans). Je suis un peu expert en cimetières, j'organise des promenades commentées dans trois grandes nécropoles parisiennes, Montparnasse, Montmartre et le Père-Lachaise : non, Maryse n'a pas tort, les tombes, les chapelles, les personnages, l'époque, beaucoup d'éléments rappellent l'immense cimetière parisien.

Au moment de nous quitter, quelques larmes coulaient sur nos joues. L'émotion du lieu ? Le souvenir de nos défunts ? La tristesse à l'idée de devoir à notre tour un jour disparaître ? Non, rien de tout cela, seulement les premières gouttes de pluie du week-end. En sortant nos parapluies, nous avions retrouvé des préoccupations de vivants. Pourvu que ça dure très longtemps ...

samedi 18 mai 2013

Matélé à moi



J'étais bien sûr hier devant ma télé pour le lancement de Matélé, la chaîne saint-quentinoise. Une télé à soi, de chez soi, c'est chouette ! Il y a une magie de l'image, j'ai toujours aimé la télé. Mais quand on y voit des paysages familiers, la magie est redoublée. Après, évidemment, je prends du recul, je réfléchis, je m'interroge : est-ce bien utile ? Combien ça coûte ? Quels seront les programmes ? Bref, je fais mon travail de citoyen, je deviens politique ...

Le coût ? J'écarte tout de suite l'objection, c'est le plus mauvais argument contre Matélé. Dès que vous faites quelque chose d'un peu ambitieux, il faut sortir des sous, et souvent beaucoup. Sinon, ne rien faire du tout, ou alors avec des bouts de ficelles. Le prix est relativement élevé, ça ne me gêne pas. Le problème n'est pas l'argent, mais ce qu'on fait de l'argent. Trop cher ? Ok, tout est toujours trop cher, mais avec cette somme, on fait quoi d'autre, et de mieux, de plus utile ? Tant qu'on ne répond pas, c'est un coup d'épée dans l'eau.

Olivier Tournay, conseiller municipal d'opposition (PCF), affirme, dans le Courrier picard d'aujourd'hui, que c'est "la télé du maire". Non, je n'ai aucune crainte de ce côté-là. D'abord parce que des assurances déontologiques ont été données, dont je n'ai pas a priori à douter. Ensuite parce que Xavier Bertrand est suffisamment intelligent pour ne pas faire de cette télévision un instrument de propagande, un journal militant qui se retournerait très vite contre lui. Et puis, franchement, les prochaines élections municipales se gagneront sur le terrain, pas devant un écran. Enfin, je fais pleinement confiance à Bertrand Samimi, le rédacteur en chef, un collègue que je connais bien, dont le professionnalisme et l'honnêteté sont indiscutables. Pas d'inquiétude là-dessus.

Mes réserves, mes doutes, mes critiques vont ailleurs : c'est plutôt le contenu, le format, le style qui m'interrogent. Une heure de création locale par jour, rediffusée cinq fois, ce n'est pas énorme, mais pourquoi pas, c'est un début. Là où j'ai un désaccord avec Xavier Bertrand, c'est quand il dit que les élus et la politique n'auront pas accès à Matélé : ça devrait rassurer Olivier Tournay, mais moi au contraire ça me préoccupe et je n'approuve pas ! Je comprends la prudence du maire, qui ne veut risquer aucun soupçon de partialité (peine perdue, Olivier n'est pas convaincu). Mais le risque beaucoup plus grand, c'est de faire une télé qui perdrait en vie en cherchant à tout prix à positiver (en dépolitisant), en écartant les sujets qui font mal (et je ne pense pas qu'à la politique, mais aussi aux conflits sociaux, aux activités syndicales, aux problèmes d'associations, aux faits divers et, en général, à toutes les difficultés de la vie quotidienne des Saint-Quentinois).

Jean-Luc Nelle, le président, annonce la ligne éditoriale : "parler des trains qui arrivent à l'heure". Mais le journalisme ne s'intéresse qu'aux trains qui arrivent en retard, et il a raison, c'est sa fonction démocratique. On ne s'intéresse à un média, quel qu'il soit, que parce qu'il parle de ce qui ne va pas. Ce qui va, personne n'a besoin d'en parler. Croyez-vous que mon blog serait autant consulté s'il se contentait de dire que tout va bien, que tout le monde il est beau tout le monde il est gentil chez les socialistes ? Si Matélé n'est qu'un simple support, en quelque sorte publicitaire, des activités locales, je crois qu'elle n'intéressera pas plus que ça. La question, c'est : avons-nous affaire à du journalisme ou pas ? Si c'est non, ça n'ira pas très loin, pas plus loin que la lecture épisodique d'un bulletin municipal.

En revanche, si Matélé s'ouvre à la vie, traite aussi des problèmes, des conflits, des débats, alors là oui, l'expérience peut être intéressante. La vie, c'est la tension et la confrontation. TéléBisounours, ça ne marchera pas. Bien sûr, je n'ignore pas les difficultés d'une télé locale faisant un vrai travail de journalisme : elle devra rester strictement indépendante, ne pas prendre partie, mais cependant s'ouvrir à tous les sujets et donner la parole à tous les protagonistes des événements locaux, heureux ou malheureux. Même Xavier Bertrand pourra s'exprimer sur Matélé telle que je la souhaite ! Alors, pourquoi pas ?

vendredi 17 mai 2013

L'inflexible



Rien de bien nouveau lors de la conférence de presse de François Hollande, et je m'en réjouis ! Nicolas Sarkozy nous avait habitués à une stratégie de communication où chacune de ses interventions était marquée par une annonce, qui avait pour but de créer un effet sans suite. L'actuel président renoue avec la constance en politique, la sagesse et l'efficacité de la durée, et c'est tant mieux.

Je me réjouis également qu'au fil de ses discours, François Hollande dessine et précise les contours de sa ligne politique social-démocrate, qui est inédite en France (les fureurs de la gauche radicale le prouvent, s'il le fallait). J'ai retenu hier trois points principaux :

1- L'Etat ne peut pas tout. On se souvient, en 2002, combien cette idée a été chèrement payée par Lionel Jospin. François Hollande la reprend et l'assume : c'est bien du marché, du secteur privé que viendra la reprise économique. L'Etat est certes là pour la favoriser, l'encourager mais pas pour la créer. De ce point de vue, les mesures qui orientent l'épargne vers l'investissement sont une bonne chose.

2- La question des retraites est primordiale, il faut sauver notre modèle social, la droite en dix ans de pouvoir n'a pas réglé le problème. Hollande a rétabli, comme promis, l'âge légal de départ à la retraite à 60 ans, mesure de justice sociale pour ceux qui ont commencé à travailler très jeunes. Mais il a hier prononcé une phrase qui fera date et qui est politiquement très courageuse : nous vivons plus longtemps, il faudra travailler plus longtemps. Mine de rien, au sein de la culture de gauche, c'est une vraie révolution des mentalités.

3- La France n'échappera à ses difficultés que par l'Europe, par plus d'Europe et non pas par moins d'Europe. François Hollande a proposé, et c'est la seule nouveauté, un gouvernement économique de la zone euro. Cette idée, contenue dans le Traité constitutionnel européen de 2005, avait reçu alors le soutien de toutes les forces social-démocrates d'Europe et avait été torpillée par la gauche radicale et l'extrême droite. C'est très bien que le président reprenne ce projet.

François Hollande est inflexible, étranger aux humeurs du moment et aux courbes sinueuses de la popularité. C'est parfait. Dans quatre ans, chacun pourra juger. En ce qui me concerne, je suis enthousiaste et confiant.

jeudi 16 mai 2013

Savoir arrêter



En rangeant ce matin mes papiers, je suis tombé sur un article de presse de L'Union, daté du 26 mars dernier, sur Dominique Jourdain, ex-maire de Château-Thierry, absent lors des cinq derniers conseils municipaux de sa ville. Dominique, je me suis toujours senti proche de lui, culturellement disons. Et dans sa section, j'ai toujours été très bien accueilli. Aujourd'hui, il prétend être "complètement heureux" : je n'en crois rien, je pense qu'il est au contraire très triste. Comment faire autrement, quand on a été 19 ans maire et qu'on ne l'est plus, qu'on a été socialiste et qu'on a quitté le parti ? Dominique devrait arrêter la politique, il ne le peut pas, n'y arrive pas, c'est son drame, et ça me rend triste aussi.

"Je ne peux pas abandonner", dit-il. Mais si, on peut toujours, quand on est un homme libre ! Tourner la page n'est pas abandonner : c'est passer à autre chose. Il n'y a pas de renoncement là-dedans, mais de la sagesse et de la lucidité. "J'ai pris un peu de recul", dit-il aussi dans l'article. Quel euphémisme ! Neuf mois d'absence, dans une activité, la politique, où il faut être constamment présent, sinon on vous oublie très vite ... Dominique s'explique, se confie : "Je veux rompre avec cette triste histoire de combat des chefs. Je suis un homme de conviction, je n'aime pas le conflit." Vraiment, Dominique ? La politique, c'est la guerre, qui n'exclut pas les convictions. Château, depuis la nuit des temps ou presque, c'est la lutte à mort entre Jourdain et Krabal : l'un des deux devait forcément mourir. Je ne peux pas croire que Dominique n'y ait pas pris du plaisir, même si c'est lui, aujourd'hui, la victime.

Mais Dominique s'accroche, compte jouer un rôle en vue des prochaines municipales, se dit "très occupé", peut compter sur le soutien de Danielle Bouvier, fidèle d'entre les fidèles, alors que l'ami de toujours, Jean-Marie Turpin, a rallié Jacques Krabal. "On ne meurt jamais en politique" ? Non, c'est faux, c'est une légende, une forme de consolation, un reste d'espoir quand tout est finit : la politique a dans ses placards pleins de cadavres qui ne sont jamais revenus à la vie. Qu'est-ce que Dominique va grenouiller avec EELV ? Il n'en tirera rien ...

Si je suis triste pour lui, c'est que je le comprends : la politique, c'est une drogue ; même au plus bas, on n'arrive pas à arrêter, on repart à la première petite dose qu'on sniffe. Le mot de sevrage est horrible, mais il faudrait en arriver là : arrêter la politique comme on arrête de boire ou de fumer. Il y a un modèle à suivre dans l'Aisne, c'est Jean-Pierre Balligand, qui a le même âge que Dominique Jourdain, mais qui a su arrêter et, comme au théâtre, préparer sa sortie. Certes, les circonstances ne sont pas les mêmes, Jean-Pierre n'a pas été affecté par une défaite, il n'a aucun honneur à défendre, aucune revanche à prendre. Mais le résultat est identique : il y a un moment, quelles que soient les raisons, où il faut tourner la page, partir. Balligand a très bien réussi.

J'ai dit, au début de ce billet, que de tous les socialistes importants que j'ai pu connaître dans l'Aisne, Jourdain était celui dont je me sentais culturellement le plus proche. Quand il m'arrive de relire le journal intime de l'écrivain Gabriel Matzneff, je vois à certains pages le nom de l'avocat Dominique Jourdain apparaître. Il a connu, il y a trente ans de cela, des milieux qui valent autant, sinon mieux, que les cercles écolo, socialo ou castrothéodoriciens. Pourquoi ne se met-il pas à lire, voyager, penser, rencontrer, écrire ? Peut-être que là, sans mentir, Dominique Jourdain pourrait se dire "complètement heureux". C'est ce qu'amicalement je lui souhaite.

mercredi 15 mai 2013

Le combat de l'intelligence



Hier soir, chez mes amis protestants, où je vais de temps en temps à l'invitation du pasteur, Marie-Pierre Van Den Bosshe, nous avons discuté du thème de la puissance, sous forme de café philo (mon lancement de débat en vignette 1). Qu'il s'agisse de la puissance de l'argent, de la puissance de feu ou de la superpuissance américaine, c'est une notion qui inquiète. Il y a même une puissance de la nature ! (volcan, tornade, tempête). Mais la puissance incontestable de la pensée ou de l'amour nous réconcilient avec ce concept, auquel Dieu n'échappe pas, puisqu'il est qualifié dans la Bible de Tout-Puissant. Quoique la puissance est peut-être une illusion, qui cache une fragilité : nous sommes comme nous sommes, à quoi bon vouloir être puissants ?

Cet après-midi, à Cambrai, j'ai retrouvé les étudiants de l'Université du Temps Libre, trois jours après notre sortie à Paris (voir billet de dimanche). Le sujet de ma conférence : la main (la trame de mon intervention en vignette 2), un peu évoqué dans mon billet d'hier. La démarche est intéressante : partir de quelque chose de non philosophique et en faire l'objet d'une réflexion philosophique, auquel chacun peut participer, qu'il peut enrichir de ses propres idées (précédemment, j'avais tenté l'expérience avec l'arbre et le feu, qui ont bien marché).

Dans un premier temps, j'ai fait ressortir les qualités d'intelligence de la main, qui est à la fois signe, langage et symbole. Puis, dans un deuxième temps, c'est la main contestable que j'ai abordée, celle de l'obscène, de l'illusionniste et du pick-pocket. Les mains propres sont une image de la moralité, que Charles Péguy condamne chez Kant lorsqu'il dit de celui-ci qu'il n'a pas de mains, ou bien Jean-Paul Sartre dans "Les mains sales", car pour s'engager, il faut, c'est bien connu, mettre les mains dans le cambouis. Les occurrences n'ont pas manqué, et les interventions ont été nombreuses, souvent passionnées ...

Demain soir, c'est à l'EPIDE de Saint-Quentin que j'interviendrai, à partir de la question : faut-il croire au hasard ? Chrétiens réformés, étudiants seniors, jeunes stagiaires "seconde chance", des publics très différents, un même combat, celui de l'intelligence : leur montrer qu'ensemble la réflexion peut nous faire progresser, en dépit des forces d'abêtissement, de démagogie et de vulgarité qui travaillent notre société. Franchement, je crois que, tous, ils en redemandent ... Un homme et une femme qui s'adonnent à la pensée, il n'y a rien de plus beau.

mardi 14 mai 2013

Sport et violence



A la suite des incidents spectaculaires qui ont terni la fête du PSG hier soir à Paris, les explications sont le plus souvent confuses, contradictoires et insatisfaisantes. La police, le ministre et les organisateurs sont remis en cause, comme s'ils étaient fautifs. Les véritables fautifs semblent indéfinissables : des hooligans d'extrême droite, généralement nationalistes et racistes, ou bien des jeunes délinquants venus de la banlieue ? Sauf que les premiers détestent les seconds et les cognent plus souvent qu'à leur tour. Il y a donc quelque chose qui ne va pas dans l'explication.

Des casseurs et des provocateurs profitant d'un rassemblement de foule ? Peut-être, mais toute manifestation ne produit pas ce genre d'incidents. Il y a même des regroupements de masse beaucoup plus impressionnants qui demeurent totalement pacifiques. A vrai dire, la question tabou, que personne n'ose poser tellement elle est aujourd'hui transgressive, presque sacrilège, c'est celle des rapports entre la violence et le sport, sur quoi j'aimerais réfléchir, avec l'idée que le sport est intrinsèquement violent et qu'une célébration sportive favorise aussi le culte de la violence. C'est une hypothèse parmi d'autres, qui vaut bien celle, l'officiel, qui privilégie les raisons techniques, qui ne satisfait pas comme on l'a vu, qu'on retient parce qu'elle évite d'interroger en profondeur l'idéologie que véhicule le sport et que j'aimerais, moi, remettre en question.

D'abord, le culte du sport est un phénomène récent. Sous l'Antiquité, il y a certes déjà les jeux olympiques, mais qui ne concernent qu'une élite. Alors, le sport n'est pas la valeur essentielle de la civilisation grecque ou romaine ; aujourd'hui, oui, en grande partie. Au Moyen Age, le sport tel qu'on le pratique de nos jours est absolument inconnu. Il faut attendre le XIXe siècle pour commencer à voir les activités sportives se répandre dans toute la société, devenir un phénomène universel de masse, une sorte de religion se substituant en quelque sorte aux cultes anciens. Désormais, le sport est partout, pour tous et suivi par beaucoup. Il occasionne de véritables messes, parfois des délires collectifs. Hier, on a choisi de dénoncer une minorité indéterminée, en faire un commode bouc émissaire. Mais c'est toute une ambiance faite d'exaltation qu'il faut incriminer : les marges n'existent que dans un ensemble lui aussi violent, mais moins spectaculairement.

Les racines de cette violence sont à chercher dans la nature du sport. Qu'on le prenne comme on voudra, le sport exalte la force physique. Je ne dis pas que l'esprit n'y a pas sa part, mais le corps passe avant. De la force à la violence, il n'y a qu'un pas, vite franchi. Le sport véhicule aussi des valeurs de compétition, d'affrontement, qui divisent le monde en vainqueurs et en vaincus. De ce point de vue, le sport remplace ce qu'était autrefois la guerre. Nous y gagnons certes en esprit pacifique, mais le nerf de la guerre, c'est-à-dire la violence, est toujours là et se manifeste comme hier et comme très souvent (il est révélateur de constater que les grands matchs de football sont les seules manifestations collectives qui nécessitent un déploiement aussi puissant de forces de l'ordre, comme si la force ne pouvait que répondre à la force).

Certains affirment au contraire que le sport est un apprentissage de la citoyenneté, une école de civilisation qui inculque les règles de vie, les normes collectives, notamment à destination des publics jeunes ou délinquants. Non, je n'en crois rien : au contraire, il y a quelque chose de violent (on n'en sort pas !) à vouloir administrer des principes d'existence, une forme d'éthique sur un terrain de foot ou un ring de boxe. Car on ne guérit pas la violence par la violence.

L'éducation est d'abord une affaire de famille, secondairement d'école, mais surtout pas de sport. L'éducation n'est efficace et supportable qu'au sein d'un milieu naturel comme l'est la famille. Déjà, à l'école, c'est un peu tard et insuffisant. Mais dans cet univers complètement artificiel qu'est le sport (taper dans un ballon ou enfiler des gants de boxe, ça ne va pas de soi, ce ne sont pas des gestes spontanés comme apprendre à marcher ou à parler). N'importe qui ayant fait du sport, et n'importe quel sport, comprend très vite que cette activité est violente. Qu'on ne s'étonne donc pas qu'elle produise de la violence. Le débordement est dans la nature du sport collectif. Le fait qu'il canalise la violence prouve que celle-ci existe en lui et qu'une canalisation, à un certain degré de tension, peut éclater, comme hier soir.

La solution par la dissuasion ou la répression policières n'y changera rien. Les clubs sportifs, qui ont un argent fou, peuvent se payer des services de sécurité qu'aucun service d'ordre d'un syndicat ou parti ne pourra égaler. Mais ça ne supprimera nullement la violence, parce qu'elle est dans la nature du sport, pas plus que les parapluies ne font cesser de pleuvoir. Le football est le sport qui génère le plus de violence pour une raison dont personne ne parle et qui me semble évidente : l'utilisation des mains y est proscrite !

Il se trouve que demain à Cambrai, je ferai une conférence sur le thème de la main et qu'en préparant mon intervention, je me suis rendu compte, y réfléchissant bien, à quel point la main était au fondement de la civilisation : la main qui bâtit, qui sculpte ou qui peint, qui ensevelit les morts, qui invente l'écriture. Une bête est devenue un homme en se relevant, en libérant ses pattes de devant pour les transformer en mains. En privilégiant le mouvement des pieds (bête comme ses pieds, dit-on) et de la tête, en coupant symboliquement les mains du joueur, le football rend le corps complètement fou, barbare, il le livre à la violence en le privant de son langage naturel, celui des mains. Imaginez un homme sans mains : c'est plus atroce encore qu'un homme amputé des pieds.

S'en prendre au sport n'est pas une tâche facile, tellement il est devenu un totem rassurant de la société moderne. Il le faut pourtant, si on veut comprendre quoi que ce soit à ce qu'on a vu hier, médusés, sur nos écrans de télévision (et qui n'est pas nouveau). Et il faut écarter, ou en tout cas minimiser, relativiser les explications techniques, policières ou politiques, qui ne disent rien du fond du problème, que j'ai essayé de soumettre à votre réflexion. Ce problème n'est pas d'ordre public, mais de civilisation. Nous avons trop donné au sport, et il nous le rend, avec le même excès.

lundi 13 mai 2013

Charles et Michel



Les socialistes de l'Aisne sont en deuil. En l'espace de quelques jours, nous avons perdu deux des nôtres, Charles Wattelle, conseiller général du canton de Wassigny, et Michel Boudsocq, maire de Ohis et vice-président de la communauté de communes des Trois-Rivières. L'un et l'autre n'étaient pas pour moi des amis, encore moins des copains (mot que je déteste), mais des camarades, terme vrai, juste et qui se suffit à lui-même : un camarade, c'est quelqu'un avec lequel on partage les mêmes idées au point d'appartenir à la même organisation, et qu'on rencontre de temps en temps. Ainsi étaient mes relations avec Charles et Michel, tout en connaissant mieux le premier que le second.

Charles Wattelle m'a toujours intrigué : comment peut-on être thiérachien, socialiste et yogi ? Au parti socialiste, on trouve de tout, mais surtout des enseignants. Professeur de yoga, c'est rare. Cette discipline orientale, faite de sagesse, de relaxation et de maîtrise de soi, n'est pas forcément compatible avec la politique, univers un peu fou, très passionné et passablement énervé. Charles avait réussi la synthèse, comme on dit chez nous. J'imaginais volontiers, dans ma fantaisie, la section dont il était secrétaire, à Wassigny, se mettre en position du lotus, contrôler sa respiration avant d'engager les débats. Et lui, Charles, je le voyais trônant au milieu, à la façon du mage dans le sketch de Pierre Dac et de Francis Blanche.

Mais là où Charles m'a vraiment bluffé, c'est en 2003, alors qu'il souhaitait se présenter aux élections régionales (il a obtenu son premier mandat assez tard, devenant conseiller général à 54 ans, en 2001). Nous étions de la même motion, majoritaire. Comme souvent en politique (pour ne pas dire toujours), il y avait une place pour deux postulants, Maurice Vatin et lui. Maurice était le candidat de Dosière et Charles celui de Balligand. En ce temps-là, je m'occupais du courant et je me demandais comment le problème allait se dénouer. Nous avons tenu réunion et, à ma grande surprise, habitué à l'ambiance saint-quentinoise faite le plus souvent de cris et d'agitation, tout s'est déroulé tranquillement, sans un mot plus haut que l'autre entre Jean-Pierre et René, avec au final la victoire de Charles, je ne sais plus trop comment.

Mais ce qui m'a frappé à ce moment-là, et qui est resté pour moi une grande leçon politique, c'est qu'à aucun moment de la réunion Charles n'a pris la parole : il est entré simple candidat, il en est ressorti, sans rien dire, conseiller régional, puisque la place était quasi éligible. Dans ma naïveté d'alors, je croyais que la politique permettait de l'emporter à coups de discours brillants et de charismatiques séductions. Mais non, au contraire : c'est le sage retrait, la bienveillante neutralité, le silence d'or qui assurent le succès, lorsqu'on est assuré du soutien de plus fort que soi. Et c'est là où je me dis que le lien, d'apparence improbable, entre le yoga et la politique, ne l'est pas tant que ça.

Si le terme existait, on aurait pu dire que Charles Wattelle était balligandiste, fidèle du député-maire de Vervins. Un signe qui ne trompe pas : il avait comme lui la même façon de porter la cravate, le noeud non pas serré mais légèrement relâché sur un col de chemise un peu ouvert, qui donne un air de décontraction (à la façon de Frédéric Taddéï le vendredi soir sur France 2, mais l'animateur va plus loin dans le relâchement). Vous ne verrez jamais Yves Daudigny ou Jean-Jacques Thomas ainsi : leur cravate est impeccablement nouée, à la classique, fermant le col et pressant le cou. Allez savoir si Balligand et Wattelle, par ce détail vestimentaire, ne manifestaient pas une certaine distance à l'égard de la politique (qui a amené Jean-Pierre à se démettre de ses mandats les plus importants alors qu'il n'a que la soixantaine).

Charles Wattelle a participé je crois une fois à l'un de mes cafés philo, mais c'est surtout son fils Jérôme qui était intéressé par la formule, puisqu'il avait créé son propre café philo à Wassigny, me demandant régulièrement de venir animer. En même temps qu'à Charles, c'est à Jérôme que je pense ce soir.

Michel Boudsocq, je connaissais un peu moins. Mais il faisait partie de ces camarades qui sont toujours présents dans les réunions fédérales, qu'on rencontre régulièrement, avec qui on discute sans les connaître intimement (mais a-t-on besoin ?). C'est surtout en tant que secrétaire de section d'Hirson que j'étais en rapport avec lui, quand il fallait aller défendre là-bas la motion majoritaire (Jean-Jacques Thomas étant au NPA).

J'ai un souvenir très personnel, un peu bête mais qui me touche beaucoup : je devais tenir à Hirson, en 2005, une réunion en faveur du Traité constitutionnel européen, que la section, NPA, ne défendait pas. Michel m'avait pourtant trouvé une salle, sans chercher à me créer des difficultés ou à jouer l'indifférent. Au dernier moment, à cause d'un empêchement, je n'ai pas pu m'y rendre : Michel Boudsocq a alors averti, par une affiche, de l'annulation de la réunion. Anecdote dérisoire et insignifiante ? Non, le geste d'un honnête homme, qui ne va pas de soi en politique quand on n'est pas tout à fait sur la même ligne (j'ai eu, depuis, la confirmation de la rareté de ce geste).

Michel, c'est le genre de militant comme on en rêve, un bon gars à qui on ne peut rien reprocher, avec qui on ne peut jamais s'engueuler. Mais il faut de tout pour faire un monde et un parti politique ... Sa valeur politique, c'est à la tête de la commune d'Ohis que Michel Boudsocq l'aura manifestée, en apportant les transformations nécessaires, en prouvant sa capacité à gérer les affaires publiques. A ce titre, il faisait partie de ces camarades modestes mais efficaces, qui ne brillent pas par le discours mais qui font mille fois mieux : ils apportent quelque chose, beaucoup de choses à leurs concitoyens. Quand la politique n'est pas ça, c'est une rhétorique narcissique, vaine et dérisoire, qui ne laisse pas plus de traces que le vent qui passe. Charles Wattelle et Michel Boudsocq auront fait des choses, l'un pour son canton, l'autre pour sa commune : quand on se fait, non sans raison, une triste image de la politique, il faudrait penser à ces deux-là, qui lui ont redonné toute sa valeur, toute son utilité et même, sans exagération, toute sa grandeur.

Les obsèques de Michel Boudsocq auront lieu le mardi 14 mai, à 14h30, en l'église Notre-Dame de Lourdes, à Hirson. Les obsèques de Charles Wattelle auront lieu le mercredi 15 mai, à 14h30, en l'église de Wassigny.

dimanche 12 mai 2013

De Rousseau à Camus



Ce dimanche à Paris, avec l'UTL de Cambrai, sous le signe de Jean-Jacques Rousseau : le matin, je leur fais visiter le Jardin des Plantes, agrémenté de huit lectures extraites des Rêveries du promeneur solitaire. Dans l'ancien muséum (fermé au public) se trouve l'herbier de Rousseau.

Pour le déjeuner, chouette restau rue Mouffetard, L'Assiette aux fromages (vignette 2). L'après-midi, visite du Panthéon, où je leur parle histoire, archi, religion, politique, sculpture, symbole, etc. Dans la crypte, nous nous recueillons bien sûr devant la sépulture de Jean-Jacques. Photo sur les marches (vignette 1) puis visite de l'église Saint-Etienne-du-Mont, où reposent les dépouilles de Pascal et Racine.

Au retour, dans le car, j'avais préparé un petit questionnaire sur mes interventions de la journée, avec un cadeau à la clé pour le gagnant (Guy, en vignette 3) : j'ai choisi le hors-série de Philosophie Magazine, sur Albert Camus. Non seulement parce que c'est le centenaire de sa naissance, mais parce qu'il a failli entrer au Panthéon, sur proposition de Nicolas Sarkozy. Sauf que son fils a refusé, estimant que le papa était trop libertaire pour être honoré par la République.

samedi 11 mai 2013

Rapports de force



J'ai reçu, au courrier d'aujourd'hui, le texte socialiste sur l'Europe (en vignette) qui a provoqué une polémique avec l'Allemagne, il y a quelques jours (avant modification). Il est désormais soumis au débat des adhérents et à leur vote, le 6 juin. La section de Saint-Quentin organisera donc une réunion qui sera, à n'en pas douter, passionnante. Pourtant, ce sont plutôt les conventions (comme on les appelle) sur les questions intérieures, économiques et sociales, qui mobilisent les socialistes. Mais là, c'est différent.

Il y a d'abord le contexte politique : les socialistes sont au pouvoir, la question européenne est au coeur du débat sur l'austérité. Pas question de rester indifférent. Je n'ai pas aimé les propos germanophobes de certains camarades. Heureusement, Hollande, Ayrault et Fabius ont corrigé le tir (mais c'est fâcheux d'être obligé d'en arriver là). Il n'y a pas à imputer à l'Allemagne des difficultés économiques qui ne sont, pour l'essentiel, que nationales. Et puis, pour les européens que nous sommes, le couple franco-allemand, comme on dit, est précieux, fondamental. Pas question d'introduire une faille.

En fait, avec ce débat sur l'Europe, nous allons retrouver le clivage entre majorité social-démocrate du parti, pro-européenne, et l'aile gauche, hostile à l'Europe actuelle. Mon opposition à cette aile gauche vient surtout de là, et précisément de l'année 2005, où je l'ai vu bafouer le choix majoritaire des adhérents en faveur du projet historique et grandiose de Constitution européenne, qu'elle a réussi à faire échouer en s'alliant avec des forces politiques qui nous sont, sur la question européenne, étrangères. A côté, nos différences sur la politique économique et sociale me semblent secondaires. Mais sur l'Europe, ça ne passe pas, je ne l'ai jamais accepté !

Au delà du fond (sur lequel je reviendrai dans un prochain billet), les résultats du vote du 6 juin seront intéressant à analyser au plan local. En effet, Anne Ferreira présente, en compagnie notamment de Marie-Noël Lienemann, Emmanuel Maurel et Gérard Filoche, quatre amendements (les n°4, 8, 10 et 13 très précisément) sur lesquels les adhérents auront à se prononcer. A quelques semaines (ou mois ?) de la désignation de la tête de liste pour les élections municipales, ce sera une précieuse indication sur l'état des rapports de force dans la section. En tout cas, j'invite tous les socialistes à lire ce texte (pas très long, huit pages) et à le comparer avec les amendements qui sont proposés : il y a de quoi débattre !

vendredi 10 mai 2013

Couac il arrive



La politique est une activité bizarre : quelques mots, pas nouveaux, auront suffi à occuper les deux jours de congés. Le 8 mai, on aurait cru à la fin de l'armistice, entre Copé et Fillon. Le 9 mai, c'était l'Ascension, de l'ancien Premier ministre au ciel des primaires. Et tout ce foin à cause d'un lapsus, d'une ambiguïté, d'un quiproquo, tout de même incroyable en si peu de mots, et venant d'un haut personnage de l'Etat, forcément sérieux et maître de sa parole : Fillon parlait primaires et tout le monde pensait présidentielles.

Mais il y a franchement plus polémique, que personne pourtant n'a signalé : normalement, un homme politique français n'aborde pas la politique intérieure de son pays quand il est à l'étranger. François Fillon, qui n'est pas le seul, n'a pas respecté cette tradition, dans l'un des pays les plus traditionalistes au monde, le Japon.

Pour appuyer sa déclaration, pour la terminer et la ponctuer, il a employé une expression qui a fait réagir : "quoi qu'il arrive". C'est afficher ainsi une mâle détermination, une assurance sans faille, qui donnent au candidat une allure très volontaire, mais aussi fanatique. "Quoi qu'il arrive", c'est une formule d'extrémiste, de jusqu'au-boutiste, d'aveugle motivation qui jurent avec le sage profil de François Fillon. Allez savoir si son bref séjour au pays du soleil levant, sa décoration des mains mêmes de l'empereur ne l'ont pas transformé en audacieux samouraï ou en téméraire kamikaze. Il y a des distinctions honorifiques qui finissent par monter à la tête.

Postuler aux primaires de 2016 "quoi qu'il arrive" ? Franchement, c'est stupide. Dans la vie, il peut arriver tant de choses, généralement imprévues, parfois graves, qu'il est impossible de dire "quoi qu'il arrive". La vie privée est si vulnérable, si incertaine : il est présomptueux de mépriser ce qui peut nous "arriver". La vie politique elle-même est pleine de caprices : c'est le jeu des circonstances qui souvent détermine les choix, les rend pertinents. Le temps est variable, incontrôlable : François Fillon sait-il ce que sera la situation dans trois ou quatre ans ? Evidemment non. Alors, le "quoi qu'il arrive" est imprudent et idiot.

J'applique la remarque à mon propre engagement : j'ai la vive intention, depuis longtemps, de me présenter à la candidature pour la tête de liste socialiste à Saint-Quentin. C'est une décision qui correspond à une cohérence de plusieurs années, six ans exactement, durant lesquels j'ai défendu une ligne politique très différente de celle suivie depuis la même date par la section et ses élus. Mais faudrait-il être borné pour prétendre que je me présenterai "quoi qu'il arrive" ? Dans les circonstances actuelles, étant donnés les candidats potentiels, j'ai la certitude d'être le meilleur. Mais la situation peut changer, rien ne l'interdit, à part peut-être une atonie de la gauche locale. Surtout, les conditions requises pour la victoire, que j'ai réclamées et qui ont été refusées (l'organisation de primaires et l'élection d'un nouveau secrétaire de section), font réfléchir et n'incitent pas franchement à se présenter, la défaite devenant plus probable que la victoire. En tous les cas, pas de quoi s'enfermer dans un "quoi qu'il arrive" obtus.

Bien sûr, Fillon n'est pas un homme insensé. Il sait parfaitement ce qu'il dit. Son "quoi qu'il arrive" est plutôt un "qui" : il ne songe pas aux événements, qui nous échappent, mais à un homme, Nicolas Sarkozy, qui pourrait être tenté par un retour. "Quoi que que fasse Sarkozy", voilà ce que Fillon avait probablement à l'esprit, que son surmoi lui interdit d'énoncer clairement. A moins que la virile proclamation ne soit que pour son propre usage : hésitant, il a besoin de surjouer le volontarisme, sinon on ne le croirait pas. Il y a ainsi des comédiens qui haussent la voix pour être dans le bon ton. Cette exagération cache, comme souvent, une faiblesse. Le "quoi qu'il arrive" sonne faux, est de trop, en fait trop pour être crédible : l'homme fort, sûr de son fait, n'a pas besoin de cette queue de phrase en forme de cocorico.

Dans cette affaire Fillon, il y a une hypothèse à laquelle personne n'a songé : le soir même, France 3 diffusait un documentaire dans lequel l'ancien Premier ministre s'en prenait vertement à l'ancien président de la République (voir mon billet d'hier), ce que Xavier Bertrand a vite fait de lui reprocher. Et si sa sortie japonaise n'était pas destinée à effacer ses propos imprudents ? Un couac peut en cacher volontairement un autre ...

jeudi 9 mai 2013

Ma soirée avec Sarkozy



J'ai passé ma soirée d'hier avec Nicolas Sarkozy. Non, ce n'est pas une blague : France 3 lui consacrait deux excellents documentaires, près de trois heures d'émission. Oh, rien de nouveau, mais d'utiles rappels, des mises en perspective sur un quinquennat et un personnage hors-normes.

Le premier documentaire fait un bilan. Ce que j'en retiens, ce qui explique selon moi l'échec final, ce n'est pas que Sarkozy ait appliqué une politique "trop" à droite : chacun de nous fait ce pour quoi il est fait, un homme de droite pour appliquer une politique de droite (de ce point de vue, sa campagne de 2007 était très droitière et l'a rendu très populaire !). L'échec vient de ne pas s'être attaqué tout de suite à la dette publique, d'avoir ignoré ce problème que François Hollande prend aujourd'hui à bras le corps (et sur lequel Bayrou était l'un des rares à avoir insisté en 2007).

A revoir les images du début de sa présidence, on demeure stupéfait par les deux énormes erreurs de communication de cet hyper-communicant : le Fouquet's et le yacht de Bolloré. En revanche, l'ouverture à gauche me semble être, de sa part, une bonne idée : quand on est élu à 53% des voix, on ne gouverne pas qu'avec son propre camp, on élargit son assise (là, j'aimerais qu'Hollande s'en inspire et fasse appel au centre lors d'un prochain remaniement).

La droitisation de sa campagne en 2012, qu'on critique beaucoup, est pourtant dans l'ordre des choses : je crois franchement qu'il ne pouvait pas faire autrement, qu'il lui fallait coûte que coûte rallier les voix de l'extrême droite en lui donnant des gages de sympathie. Après tout, 47%, sa situation étant ce qu'elle était, ce n'est pas si mal. Sarkozy n'aurait pas fait mieux en recentrant sa ligne politique (et peut-être moins bien).

Ceci dit, je n'aime toujours pas le personnage et l'image qu'il renvoie de l'action politique. Cette espèce de pile Duracell sur pattes, incapable de maîtrise de soi, obsédé par l'argent, président français méprisant la langue française, compulsif, affectif, exhibant sa vie privée, cocu plaintif puis ado amoureux, non merci, mon modèle d'admiration restera toujours le sphinx Mitterrand (à qui j'ai pourtant certains reproches à adresser).

Un homme public ne doit pas confier ses souffrances et ses bonheurs, quand tant de gens souffrent aussi et désespèrent de pouvoir être heureux. Au contraire, l'homme politique est celui qui, sacrifiant sa vie privée, ne pensent et ne parlent que des souffrances et des bonheurs d'autrui. Si Nicolas Sarkozy a perdu, ce n'est pas tant à cause de sa politique (bien que très à droite, elle avait en 2007 suscité l'enthousiasme jusque dans l'électorat de gauche) que de son personnage, pas à la hauteur de la fonction présidentielle.

Le deuxième documentaire de la soirée défendait une thèse intéressante et originale : Sarkozy a toujours combattu son propre camp, qui en retour lui a fait perdre la dernière présidentielle ! C'est évidemment audacieux, un peu excessif mais assez pertinent. Sarko entre en 1983 dans la carrière en dézinguant un ponte du gaullisme, Charles Pasqua, à qui il pique la mairie de Neuilly. En 1995, il flingue son mentor, Jacques Chirac, en ralliant Balladur. Mais la balle se retourne contre lui : longtemps l'UMP s'en souviendra (jusqu'à aujourd'hui ?). Dans les années 2000, devenu ministre, il n'aura aucun égard envers le chef de l'Etat, dont il vise la place. Bref, Nicolas Sarkozy est un homme de droite en perpétuel affrontement avec son parti et la droite.

Et puis, entre la droite et lui, il y a sa psychologie qui ne passe pas : la droite est conservatrice, Sarkozy veut la rupture ; la droite tient aux convenances, il est transgressif ; la droite est pudique avec le fric, il en parle sans retenue ; la droite est bon chic bon genre, il fait parvenu et vulgaire. La droite le soutient en 2007 parce qu'elle a besoin de lui, parce qu'elle sent qu'il peut la faire gagner (en politique, l'amitié est proportionnelle à la capacité de vaincre). En 2012, elle est sceptique, elle observe son champion sans y croire, sa partie la plus modérée va même voter pour le candidat le plus modéré, le social-démocrate Hollande. Au fond, nous dit ce documentaire, Nicolas Sarkozy n'aura jamais cessé d'être un homme seul, combattu par les siens et les combattant plus qu'à son tour.

J'ai vraiment passé une bonne soirée avec Nicolas Sarkozy, parce que l'homme est fascinant jusque dans ses médiocrités, ses bassesses, parce qu'il marquera la France beaucoup plus que d'autres présidents. Pourtant, à voir cette vie consacrée à la politique, je me dis aussi que ce n'est pas une vie ! Que d'efforts pour si peu de réussites et tant d'échecs, que de pauvreté d'esprit, de haine du coeur, de frustration, d'impuissance, de fausse autorité, d'absence de liberté (un homme politique, c'est quelqu'un qui n'a pas le choix, qui est esclave des circonstances), de vanité parfois ridicule (on a l'impression à certains moments que Sarko se parodie lui-même, dans un mauvais sketch).

Le mérite involontaire de Nicolas Sarkozy, c'est qu'il nous montre la politique dans ce qu'elle a de plus gris, et qui bien sûr n'appartient pas qu'à lui : à gauche aussi, on trouve cette couleur, qui m'inspire une immense tristesse à propos d'une activité, la politique, qu'on pourrait espérer plus noble. Mais elle est comme l'héroïne : quand on cesse d'en consommer, quand on prend ses distances et qu'on observe ses effets, on prend froid, on devient triste, on s'en dégoûte, on tremble de partout, c'est terrible. Et quand on y revient, qu'on se pique, ça repart, on s'excite, on exulte, on plane, on tremble de partout et c'est terrible aussi. Alors, comment faire ?