mardi 28 mai 2013

Le libertin et les gens normaux



Il y a eu ce week-end, sur nos écrans de télévision, deux images qui ont fait choc, qui se sont entrechoquées : les marches de Cannes et la marche des Invalides, la montée de DSK et le soulèvement des anti-mariage pour tous.

Strauss, d'abord : il m'a bluffé, vous aussi je parie ! Détendu, souriant, radieux, une jolie jeune femme à son bras, posant comme une star, semblant dire au monde entier "je fais ce que je veux et je vous emmerde", quelle audace, quelle classe ! Il fallait oser, j'y croyais à peine, on aurait pu confondre avec une pub pour le prochain film d'Abel Ferrara. L'homme détesté de tous, le pervers planétaire, faisait la nique à ses détracteurs, qui sont légion. Au XVIIe siècle, le libertin n'était pas seulement le dépravé, condamné comme tel par les bien-pensants, mais l'homme philosophiquement libre.

En le regardant sur le tapis rouge, je me disais que Strauss n'était pas au tapis, mais bel et bien encore debout, sans besoin de se reconstruire, comme on dit aujourd'hui, puisque l'homme n'est nullement défait, refusant de jouer la comédie contemporaine de la victimisation. Ce palais, ces marches, ce tapis rouge, ces photographes, bon sang mais c'est bien sûr, l'Elysée et la petite revanche médiatique de DSK sur les médias ! Sacré Strauss ...

Paris ensuite, la manif pour tous (voir mon billet de dimanche) : l'image qui m'a frappé, ce sont les poussettes, des centaines de poussettes, présence inhabituelle et imprudente dans un rassemblement de masse (mais ces manifestants n'étaient pas des habitués). Cette singulière procession m'a fait penser au défilé des fiers tracteurs dans mon Berry natal, lors des foires et cavalcades. Car aujourd'hui, les poussettes d'enfants sont massives, robustes, dominatrices sur les trottoirs, obligeant les simples piétons à s'effacer devant leur avancée. Dimanche, elles étaient en force, c'était leur démonstration de force, avant celle des femmes et des hommes. De vraies petites machines de guerre. On ne discute pas avec une poussette, on ne peut que se soumettre.

Que nous disaient-elles, ces centaines de poussettes, conscientes de leur puissance, sûres d'elles-mêmes, progressant tout droit, certaines d'être dans la marche de l'Histoire, aux avant-postes de la civilisation à défendre ? Elles clamaient leur immense besoin de normalité dans un monde en plein bouleversement, avec ce principe sous-jacent : ce qui est normal est moral, ce qui est moral est normal. Et quelle est l'ultime norme à laquelle se raccrocher lorsqu'on se croit en plein naufrage ? La norme biologique : un mâle, une femelle, un petit, c'est-à-dire un papa, une maman, un enfant. Voilà ce qui reste quand on a perdu tout le reste. Ces poussettes, c'étaient autant d'ogives lancées contre l'impudent débauché sur son tapis de stupre, sa catin à ses côtés, l'anormal et l'amoral libertin qui voulait devenir président et qui, le bougre, n'a peut-être pas complètement renoncé à tout rôle public.

Dans cette affaire, François Hollande est victime de lui-même, par un effet boomerang : il ne s'est pas fait élire parce qu'il était de gauche (la France n'a jamais été, depuis quelques années, autant à droite) mais parce qu'il était normal, sa géniale et électorale marque de fabrique. A l'inverse, Nicolas Sarkozy n'a pas été battu parce qu'il était trop à droite, mais trop anormal (surtout aux yeux de la droite traditionnelle). Notre société, de tout côté, aspire à la normalité. Je crains qu'elle ne finisse par en crever, car rien de grand ne se fait jamais dans le respect des normes, mais au contraire dans leur transgression, en créant de nouvelles normes. Le phénomène se vérifie, historiquement, dans l'art, la science, la philosophie et aussi la politique, jusque dans la religion : le christianisme a dépassé les normes du judaïsme, comme le bouddhisme celles de l'hindouisme. Gens normaux, soyez un peu plus libres, pas forcément avec votre sexe, mais dans votre tête.

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