mardi 14 mai 2013

Sport et violence



A la suite des incidents spectaculaires qui ont terni la fête du PSG hier soir à Paris, les explications sont le plus souvent confuses, contradictoires et insatisfaisantes. La police, le ministre et les organisateurs sont remis en cause, comme s'ils étaient fautifs. Les véritables fautifs semblent indéfinissables : des hooligans d'extrême droite, généralement nationalistes et racistes, ou bien des jeunes délinquants venus de la banlieue ? Sauf que les premiers détestent les seconds et les cognent plus souvent qu'à leur tour. Il y a donc quelque chose qui ne va pas dans l'explication.

Des casseurs et des provocateurs profitant d'un rassemblement de foule ? Peut-être, mais toute manifestation ne produit pas ce genre d'incidents. Il y a même des regroupements de masse beaucoup plus impressionnants qui demeurent totalement pacifiques. A vrai dire, la question tabou, que personne n'ose poser tellement elle est aujourd'hui transgressive, presque sacrilège, c'est celle des rapports entre la violence et le sport, sur quoi j'aimerais réfléchir, avec l'idée que le sport est intrinsèquement violent et qu'une célébration sportive favorise aussi le culte de la violence. C'est une hypothèse parmi d'autres, qui vaut bien celle, l'officiel, qui privilégie les raisons techniques, qui ne satisfait pas comme on l'a vu, qu'on retient parce qu'elle évite d'interroger en profondeur l'idéologie que véhicule le sport et que j'aimerais, moi, remettre en question.

D'abord, le culte du sport est un phénomène récent. Sous l'Antiquité, il y a certes déjà les jeux olympiques, mais qui ne concernent qu'une élite. Alors, le sport n'est pas la valeur essentielle de la civilisation grecque ou romaine ; aujourd'hui, oui, en grande partie. Au Moyen Age, le sport tel qu'on le pratique de nos jours est absolument inconnu. Il faut attendre le XIXe siècle pour commencer à voir les activités sportives se répandre dans toute la société, devenir un phénomène universel de masse, une sorte de religion se substituant en quelque sorte aux cultes anciens. Désormais, le sport est partout, pour tous et suivi par beaucoup. Il occasionne de véritables messes, parfois des délires collectifs. Hier, on a choisi de dénoncer une minorité indéterminée, en faire un commode bouc émissaire. Mais c'est toute une ambiance faite d'exaltation qu'il faut incriminer : les marges n'existent que dans un ensemble lui aussi violent, mais moins spectaculairement.

Les racines de cette violence sont à chercher dans la nature du sport. Qu'on le prenne comme on voudra, le sport exalte la force physique. Je ne dis pas que l'esprit n'y a pas sa part, mais le corps passe avant. De la force à la violence, il n'y a qu'un pas, vite franchi. Le sport véhicule aussi des valeurs de compétition, d'affrontement, qui divisent le monde en vainqueurs et en vaincus. De ce point de vue, le sport remplace ce qu'était autrefois la guerre. Nous y gagnons certes en esprit pacifique, mais le nerf de la guerre, c'est-à-dire la violence, est toujours là et se manifeste comme hier et comme très souvent (il est révélateur de constater que les grands matchs de football sont les seules manifestations collectives qui nécessitent un déploiement aussi puissant de forces de l'ordre, comme si la force ne pouvait que répondre à la force).

Certains affirment au contraire que le sport est un apprentissage de la citoyenneté, une école de civilisation qui inculque les règles de vie, les normes collectives, notamment à destination des publics jeunes ou délinquants. Non, je n'en crois rien : au contraire, il y a quelque chose de violent (on n'en sort pas !) à vouloir administrer des principes d'existence, une forme d'éthique sur un terrain de foot ou un ring de boxe. Car on ne guérit pas la violence par la violence.

L'éducation est d'abord une affaire de famille, secondairement d'école, mais surtout pas de sport. L'éducation n'est efficace et supportable qu'au sein d'un milieu naturel comme l'est la famille. Déjà, à l'école, c'est un peu tard et insuffisant. Mais dans cet univers complètement artificiel qu'est le sport (taper dans un ballon ou enfiler des gants de boxe, ça ne va pas de soi, ce ne sont pas des gestes spontanés comme apprendre à marcher ou à parler). N'importe qui ayant fait du sport, et n'importe quel sport, comprend très vite que cette activité est violente. Qu'on ne s'étonne donc pas qu'elle produise de la violence. Le débordement est dans la nature du sport collectif. Le fait qu'il canalise la violence prouve que celle-ci existe en lui et qu'une canalisation, à un certain degré de tension, peut éclater, comme hier soir.

La solution par la dissuasion ou la répression policières n'y changera rien. Les clubs sportifs, qui ont un argent fou, peuvent se payer des services de sécurité qu'aucun service d'ordre d'un syndicat ou parti ne pourra égaler. Mais ça ne supprimera nullement la violence, parce qu'elle est dans la nature du sport, pas plus que les parapluies ne font cesser de pleuvoir. Le football est le sport qui génère le plus de violence pour une raison dont personne ne parle et qui me semble évidente : l'utilisation des mains y est proscrite !

Il se trouve que demain à Cambrai, je ferai une conférence sur le thème de la main et qu'en préparant mon intervention, je me suis rendu compte, y réfléchissant bien, à quel point la main était au fondement de la civilisation : la main qui bâtit, qui sculpte ou qui peint, qui ensevelit les morts, qui invente l'écriture. Une bête est devenue un homme en se relevant, en libérant ses pattes de devant pour les transformer en mains. En privilégiant le mouvement des pieds (bête comme ses pieds, dit-on) et de la tête, en coupant symboliquement les mains du joueur, le football rend le corps complètement fou, barbare, il le livre à la violence en le privant de son langage naturel, celui des mains. Imaginez un homme sans mains : c'est plus atroce encore qu'un homme amputé des pieds.

S'en prendre au sport n'est pas une tâche facile, tellement il est devenu un totem rassurant de la société moderne. Il le faut pourtant, si on veut comprendre quoi que ce soit à ce qu'on a vu hier, médusés, sur nos écrans de télévision (et qui n'est pas nouveau). Et il faut écarter, ou en tout cas minimiser, relativiser les explications techniques, policières ou politiques, qui ne disent rien du fond du problème, que j'ai essayé de soumettre à votre réflexion. Ce problème n'est pas d'ordre public, mais de civilisation. Nous avons trop donné au sport, et il nous le rend, avec le même excès.

8 commentaires:

Anonyme a dit…

St Quentin a reçu le prix de la ville la plus sportive de France en 2011.
Si on consulte les lauréats de ce titre qui est décerné depuis 1937 on constate que ces villes ne sont pas reconnues pour leur climat particulièrement violent, jamais d émeutes et de débordements significatif.
Il ne semble pas avoir de corrélation entre le sport et la violence.
je pense plutôt que les grandes manifestations sportives sont les alibi pour une minorité de créer l'émeute et l'anarchie. les fêtes occasionnent plus facilement les débordement que les activités sportives.
ce sont des non sportifs qui sont souvent les fauteurs de trouble.

Anonyme a dit…

le football existe depuis longtemps et -comme les autres sports - n'a pas toujours été prétexte à violence ; et en effet ce ne sont pas les sportifs eux mêmes qui sont violents (encore que ... le coup de boule de Zidane, etc ...). Socialement parlant, c'est tout de même une manière de créer de l'affrontement de manière pacifique, et donc de canaliser une énergie sociale qui autrement poserai problème. Mais allez jusqu'au bout : Puisque de nos jours, ce moyen de contrôle social sert au contraire d'occasion à une minorité qui n'a pas de limite, et que c'est connu et reconnu, le maintien de l'ordre, qui n'est pas une solution en effet, est quand même une nécessité, face à ce qu'on appelle des casseurs ! Il faut des flics autour des stades, ne faisons pas l'autruche !

Hubert a dit…

Certains fotballeurs vont même jusqu'à se défouler en s'engageant dans la politique !

Anonyme a dit…

Et les débordements lors des manifestations lycéennes, lors des technoparades, des concerts gratuits, des syndicalistes.
C'est de la faute de la musique, des lycéens...
Patrick Pelloux dénonce la situation de guerre civile aux urgences de l'APHP lors de manifestations de masse.
Les individus ne sont pas capables de s'auto-réguler et se servent de l'anonymat de la foule pour se laisser aller à leur plus bas instincts.

Thierry a dit…

Tout à fait d'accord avec cette analyse "iconoclaste".
Ce qui me désole, c'est qu'on considère encore que le sport est le moyen idéal pour créer du "lien social" et de la "discipline".

La démonstration du 1er commentaire est fausse. Certes, St Quentin a reçu le prix de la "ville la plus sportive" ; mais cela n'a rien à voir avec la ferveur de ses supporters.
A Marseille, ville de fervents supporters, l'insécurité est importante ; on a tout misé sur le foot et sacrifié ce qui aurait créé un vrai lien social pacifique : la culture.

Erwan Blesbois a dit…

Le sport a ses racines dans la civilisation grecque. Le sport est une école de rivalité. La rivalité est ce qui fonde la société. La relation sexuelle elle-même est une forme d’activité sportive. Je pense que le sport est une très bonne chose. C’est un entraînement qui prépare à la guerre : je parle évidemment de civilisation plus archaïques que la nôtre c’était le cas dans la Grèce antique, où le sport préparait à la guerre, et où la guerre n’était pas une si mauvaise chose, car la technologie n’était pas assez développée pour que la guerre soit vraiment une activité dangereuse pour l’ensemble de l’humanité. Au contraire elle permettait d’affirmer les caractères. Socrate n’était-il pas lui-même un excellent combattant ?
Pour ce qui est de notre civilisation : les dérives du sport très certainement dépassent ses bienfaits. Salaires exorbitants, dopage, violences des supporters, surmédiatisation : oui tout cela est insupportable, et aussi parce que l’on ne peut plus aujourd’hui cautionner la guerre. Du point de vue de l’imagination le sport peut toutefois avoir encore de grandes vertus : quoi de plus beau qu’un match de rugby ? Au niveau esthétique : ce rappel incessant de la vieille rivalité franco-anglaise. On voit un match de rugby et l’on se rappelle Duguesclin, Jeanne d’Arc, Surcouf. L’arrogance anglaise, la résistance bretonne, les Gascons, les trois mousquetaires.
Il faudrait juste réformer le sport ; mais à travers cette réforme c’est l’ensemble de nos conditions d’existence qu’il faudrait réformer.

Emmanuel Mousset a dit…

La sexualité comme sport, c'est une théorie audacieuse ...

Erwan Blesbois a dit…

Puisque le sport prépare à la guerre, et que la relation entre deux personnes de sexes opposés s’assimile à une guerre des sexes, qui peut déboucher sur l’amour. Alors on peut dire que la sexualité est une forme de sport comme rivalité entre hommes et femmes. C'est le seul sport mixte, et qui ne peut être que mixte : je parle bien sûr de la relation hétérosexuelle.