jeudi 16 mai 2013

Savoir arrêter



En rangeant ce matin mes papiers, je suis tombé sur un article de presse de L'Union, daté du 26 mars dernier, sur Dominique Jourdain, ex-maire de Château-Thierry, absent lors des cinq derniers conseils municipaux de sa ville. Dominique, je me suis toujours senti proche de lui, culturellement disons. Et dans sa section, j'ai toujours été très bien accueilli. Aujourd'hui, il prétend être "complètement heureux" : je n'en crois rien, je pense qu'il est au contraire très triste. Comment faire autrement, quand on a été 19 ans maire et qu'on ne l'est plus, qu'on a été socialiste et qu'on a quitté le parti ? Dominique devrait arrêter la politique, il ne le peut pas, n'y arrive pas, c'est son drame, et ça me rend triste aussi.

"Je ne peux pas abandonner", dit-il. Mais si, on peut toujours, quand on est un homme libre ! Tourner la page n'est pas abandonner : c'est passer à autre chose. Il n'y a pas de renoncement là-dedans, mais de la sagesse et de la lucidité. "J'ai pris un peu de recul", dit-il aussi dans l'article. Quel euphémisme ! Neuf mois d'absence, dans une activité, la politique, où il faut être constamment présent, sinon on vous oublie très vite ... Dominique s'explique, se confie : "Je veux rompre avec cette triste histoire de combat des chefs. Je suis un homme de conviction, je n'aime pas le conflit." Vraiment, Dominique ? La politique, c'est la guerre, qui n'exclut pas les convictions. Château, depuis la nuit des temps ou presque, c'est la lutte à mort entre Jourdain et Krabal : l'un des deux devait forcément mourir. Je ne peux pas croire que Dominique n'y ait pas pris du plaisir, même si c'est lui, aujourd'hui, la victime.

Mais Dominique s'accroche, compte jouer un rôle en vue des prochaines municipales, se dit "très occupé", peut compter sur le soutien de Danielle Bouvier, fidèle d'entre les fidèles, alors que l'ami de toujours, Jean-Marie Turpin, a rallié Jacques Krabal. "On ne meurt jamais en politique" ? Non, c'est faux, c'est une légende, une forme de consolation, un reste d'espoir quand tout est finit : la politique a dans ses placards pleins de cadavres qui ne sont jamais revenus à la vie. Qu'est-ce que Dominique va grenouiller avec EELV ? Il n'en tirera rien ...

Si je suis triste pour lui, c'est que je le comprends : la politique, c'est une drogue ; même au plus bas, on n'arrive pas à arrêter, on repart à la première petite dose qu'on sniffe. Le mot de sevrage est horrible, mais il faudrait en arriver là : arrêter la politique comme on arrête de boire ou de fumer. Il y a un modèle à suivre dans l'Aisne, c'est Jean-Pierre Balligand, qui a le même âge que Dominique Jourdain, mais qui a su arrêter et, comme au théâtre, préparer sa sortie. Certes, les circonstances ne sont pas les mêmes, Jean-Pierre n'a pas été affecté par une défaite, il n'a aucun honneur à défendre, aucune revanche à prendre. Mais le résultat est identique : il y a un moment, quelles que soient les raisons, où il faut tourner la page, partir. Balligand a très bien réussi.

J'ai dit, au début de ce billet, que de tous les socialistes importants que j'ai pu connaître dans l'Aisne, Jourdain était celui dont je me sentais culturellement le plus proche. Quand il m'arrive de relire le journal intime de l'écrivain Gabriel Matzneff, je vois à certains pages le nom de l'avocat Dominique Jourdain apparaître. Il a connu, il y a trente ans de cela, des milieux qui valent autant, sinon mieux, que les cercles écolo, socialo ou castrothéodoriciens. Pourquoi ne se met-il pas à lire, voyager, penser, rencontrer, écrire ? Peut-être que là, sans mentir, Dominique Jourdain pourrait se dire "complètement heureux". C'est ce qu'amicalement je lui souhaite.

2 commentaires:

Erwan Blesbois a dit…

Mais qui est Gabriel Matzneff? Décidément, Emmanuel, tu as une fascination pour les pervers. Il n'y a pas que les pervers qui ont du talent malgré leur grand pouvoir de séduction. J'ai l'impression que tu tombes dans tous les panneaux : DSK, Polanski, Cahuzac et maintenant Matzneff. J'ai l'impression que tu aimes l'odeur de la merde. Ceci dit j'adore le cinéma de Polanski. Cependant leur talent ou même leur génie excuse-t-il toutes leurs frasques ? En fait je n'ai aucune leçon à donner, juste de te méfier de ton goût prononcé non pour la perversion, mais pour les pervers. Ah, ils sont beaux, oui ils sont très beaux, mais essaies donc de les suivre pour voir, ils t'entraîneront dans leur abîme. Ils n'auront aucune pitié pour toi, aucun pardon. Ce pardon, cette excuse que tu leur accordes si complaisamment : je dirais que c'est ton plus grand point faible. Va donc voir un film comme Salo et les 120 jours de Sodome de Pasolini et tu comprendras que le monde actuel est malade de la perversion. Lis Pasolini et essaies de comprendre tout le mal qu’a fait Mai 68, sur une génération. Si un jour tu comprends fais moi signe ! (Gérard Dépardieu, grand acteur, assassin de son fils : emblématique de la génération de 68, châtiment ? Non pas de châtiment pour la génération de 68, mais décadence pour les générations futures, car aucune création. Les pervers ne protègent pas ils détruisent)

Emmanuel Mousset a dit…

Ca fait trente ans que je lis et que j'apprécie Matzneff, que j'ai croisé il n'y a pas si longtemps dans un endroit parfaitement honorable. Alors, je ne vais pas maintenant m'excuser ! Et puis, sache bien qu'aucun artiste n'est pervers : l'art, c'est la liberté, pas la perversité.