samedi 15 février 2020

L'homme qui croit aux signes



En novembre dernier, la nouvelle a surpris tout Saint-Amand : "Thierry" ne se représente pas ! L'homme qui a été réélu en 2014 au premier tour, que tout le monde salue lorsqu'on le croise en ville, qui pouvait compter l'emporter pour un troisième mandat, cet homme-là arrête la vie politique. C'est un mystère : pourquoi s'en aller alors que la victoire est à portée de main et qu'on reste très populaire ?

La surprise n'aurait pas dû : Thierry Vinçon avait prévenu il y a six ans qu'il n'irait pas au-delà d'un second mandat. Mais qui croit encore les hommes politiques ? Autre surprise : quand un élu quitte la place, il prépare rarement un successeur, pour bien faire comprendre qu'il est unique, indispensable, irremplaçable. Thierry Vinçon ne part pas en faisant le vide : Marie Blasquez est la candidate chargée d'assurer la continuité. Pour la première fois de son histoire, Saint-Amand peut se donner une femme comme maire !

Tant de surprises ne doivent pas étonner : Thierry Vinçon n'est pas un politique, contrairement à Serge, le frère aîné, tant aimé, tôt disparu. Il n'est ni diplomate, ni séducteur : "Je n'ai jamais cherché à être aimé", avoue-t-il. Et cela lui a plutôt bien réussi auprès des Saint-Amandois(e)s. L'homme a, de formation et de métier, l'esprit militaire et gestionnaire : les joutes électorales, la conquête du pouvoir, ce n'est pas son truc. Son rapport au temps n'est pas celui du politique, qui consiste à durer. Thierry Vinçon vise plus haut, plus loin : l'éternité, puisque c'est le dernier mot qu'il a prononcé dans ses ultimes voeux à ses concitoyens.

Ah ! ce discours du 31 janvier, c'est un peu son testament, mais pas celui qu'on croit : derrière le bilan politique, les réalisations, les statistiques, il y a toute une philosophie. S'exprimer de la salle Aurore (titre d'un fameux ouvrage de Nietzsche), c'est dire aussi qu'on n'est pas au crépuscule, comme aurait pu le laisser penser ce passage de relais. Car Thierry Vinçon est l'homme qui croit aux signes. Qui fait signe autour de nous et à travers l'Histoire ? Le prophète qui décrypte l'avenir, le maçon qui s'initie à la symbolique, le maître zen avec son haïku et son koan. A la suite, dès ses premiers mots, le ton est donné : "Ce soir, c'est la fin d'une époque, mais c'est le début d'une ère nouvelle …"

La fin ne se comprend que par le début : le premier signe est terrible, il est envoyé par le destin, c'est la disparition de Serge en 2007, qui a plongé Saint-Amand dans la stupeur. Mais Thierry le sait et le rappelle aujourd'hui : "La vie ne fait de cadeau à personne. Elle n'en a pas fait à mes grands-parents, ni à mes parents". Le signe est un appel : "Je suis revenu à Saint-Amand parce qu'on me l'a demandé, j'ai choisi de revenir pour terminer l'œuvre de modernisation de la ville". Et puis ceci : "J'ai été la main de Serge après son décès". Les signes sont aussi une mystique, et monsieur le maire se réfère volontiers à Jean Giraudoux et à André Malraux.

Serge a quitté ce monde à 57 ans, Thierry quitte la politique à cet âge, pour emprunter le même chemin qu'aurait suivi l'aîné, car il y a une vie après la politique : les voyages, l'écriture, l'amitié. Et puis l'amour de Saint-Amand, filial, charnel, presque christique : "Les Vinçon ont aimé Saint-Amand-Montrond plus que tout, jusqu'à en donner leur vie. Il n'y a pas de plus belle preuve d'amour !" Les signes sont toujours plus ou moins en rapport avec l'au-delà : "Saint-Amand-Montrond est notre berceau, elle sera notre caveau. C'est ça la vie. Et Dieu seul sera notre juge !" Connaissez-vous en France un autre homme politique que Thierry Vinçon qui fasse appel, dans une déclaration publique, à l'Eternel ? Ah ! si, peut-être, François Mitterrand pour ses adieux, lui aussi, le 31 décembre 1994, plus sibyllin : "Je crois aux forces de l'esprit et je ne vous quitterai pas".

Rien de morbide dans ces allusions inhabituelles. Au contraire, un élan, une énergie : "Atteindre et dépasser l'impossible ! Tout est réalisable, il suffit d'en rêver et de le faire". De la Pyramide de l'Or, Thierry Vinçon nous ramène aux bâtisseurs des cathédrales. Pendant ses deux mandats, il aura envoyé de nombreux signes à ses administrés. Chacun retiendra le sien : tout signe est affaire d'interprétation. Pour moi, ce sera l'inauguration de la stèle et de l'esplanade en honneur aux Justes parmi les nations, le 5 mai 2010, pour que notre ville n'assume pas un passé dans lequel un homme, maire avant les Vinçon, s'est fourvoyé. Là, c'est aussi un signe que Thierry adresse à Serge, trois ans après son départ.

Dans quelques semaines, monsieur le maire sera redevenu un citoyen (presque) comme les autres. Il pourra prendre son temps, se promener dans cette ville, sa ville où les gens se disent bonjour, selon la définition qu'en donne Jean Giraudoux. Si vous le rencontrez au hasard des rues, vous n'aurez bien sûr plus aucune doléance à lui adresser. Faites-lui seulement un signe ; je crois qu'il sera content.


Ce billet reprend des citations de Thierry Vinçon tirées de son discours des vœux le 31 janvier 2020 et de son entretien à L'Echo du Berry du 21 novembre 2019.
Sur ce blog, les deux premiers billets consacrés au maire de Saint-Amand-Montrond sont datés du 6 mars 2015 ("Serviteur et frondeur") et du 23 juillet 2016 ("Thierry Vinçon zen").