mercredi 29 février 2012

Le racisme de la bonne conscience.

Avez-vous remarqué ? Quand viennent les vacances, on ne vous demande plus ce que vous faites mais où vous allez, en tout cas dans le milieu qui est le mien, comme s'il était désormais normal de partir. Or je quitte rarement Saint-Quentin pendant mes congés, je n'en vois pas l'intérêt, je n'en ressens pas le besoin, je n'éprouve pas la nécessité de me changer les idées. Ce point de vue paraît aujourd'hui presque bizarre tellement les vacances sont devenus pour beaucoup synonymes de départ, de séjour, de voyage.

Je m'autorise simplement une journée à Paris. C'était ce mercredi ! Arrivé gare du nord, devinez sur qui je suis tombé ? Pierre Moscovici ! Quelques minutes plus tôt ou plus tard, j'aurai pu croiser François Hollande qui prenait le train pour Londres. Ceci dit, j'étais dans la capitale pour visite une exposition, au musée du quai Branly, "L'invention du sauvage", que je vous recommande fortement (vous avez jusqu'à début juin).

Il s'agit de la rétrospective d'un fait oublié : l'existence de zoos humains, dans toute l'Europe dite civilisée, du début du XIXè siècle aux années 1930. A côté des girafes et des singes, des indigènes de peuples étrangers, souvent africains, étaient exhibés à la curiosité du public, très nombreux pour assister au spectacle. Ces démonstrations se sont faites aussi itinérantes, dans des cirques ou des ménageries. L'idée nous semble aujourd'hui choquante et même scandaleuse mais la pratique a existé sans soulever pendant longtemps la moindre protestation.

Quand on parle de racisme, on pense immédiatement aux nazis, aux fascistes, à l'extrême droite, bref aux salauds. On évoque rarement le racisme de la bonne conscience sans lequel les salauds n'auraient jamais pu prospérer. Les zoos humains étaient en effet motivés par de louables intentions, généralement scientifiques, à visée pédagogique : faire connaître la diversité du genre humain. L'objectif était également humaniste : amener les peuples dits arriérés, sauvages, primitifs sur la voie du progrès, de la prétendue civilisation (le républicain Jules Ferry, cher au coeur des laïques, sera un fervent défenseur du colonialisme).

Enfin, et nous sommes en plein dans la société moderne, les zoos humains répondaient à la volonté de divertir les peuples en mettant en scène des représentants d'autres peuples, passant pour exotiques. D'ailleurs, qui mettra fin à ces spectacles dégradants ? Non pas la prise de conscience des droits de l'homme ou une réaction morale mais l'apparition d'un divertissement bien supérieur à celui des zoos humains : le cinéma ! Bref, voilà une expo qui fait bigrement réfléchir ...

Son parcours se termine par un éloge très contemporain du droit à la différence dans l'égalité, où homo, nain, trans, musulmane, obèse, handicapé et quelques autres "différents" s'expriment, assument ce qu'ils sont et en appellent au respect. J'adhère bien sûr à ce message mais je me dis qu'il sera sans doute regardé dans quelques siècles comme aussi étrange que la bonne conscience qui défendait les zoos humains. L'idéologie actuelle consiste à soutenir que chacun est à lui-même sa propre norme, qu'il ne saurait imposer à autrui. C'est ce qu'on peut appeler un individualisme éclairé, qui n'est pas sans poser de problèmes philosophiques (mais dès qu'on se met à penser, on tombe sur des problèmes !).

Jamais l'humanité jusqu'à ce jour n'a fondé ses normes de vie sur des réalités et des choix strictement individuels (et pour cause : la notion d'individu est relativement récente). Que peut donner une société dans laquelle les normes universelles ont cessé d'exister, où toutes les grandes questions sont ramenées à des choix personnels ? (comme disent en substance mes élèves : chacun pense et fait ce qu'il veut pourvu qu'il n'embête pas les autres). On voit bien les difficultés que pose dans l'action publique et politique l'individualisme le plus trivial, le plus viscéral. Pensons-y en ne nous croyant pas, comme les sociétés qui ont permis les zoos humains, une civilisation supérieure parvenue au sommet du progrès.

mardi 28 février 2012

Sarko facho ?

Dans l'édition du mardi de L'Aisne Nouvelle, je commence ma lecture par la rubrique Le petit carillonneur, pleines d'anecdotes amusantes et révélatrices. Aujourd'hui, la photo est choc : une affiche du régime de Vichy en faveur du travail en l'Allemagne nazie, gros obus avec croix gammée et ce slogan "Pour une France plus forte". Le journal a fait cette découverte sur Facebook. Quel rapport avec la situation politique actuelle ? Le slogan justement, qui rappelle celui de l'affiche présidentielle de Nicolas Sarkozy. Le commentaire posté dénonce ainsi les "relents pétainistes" de celle-ci.

Je suis un adversaire de Nicolas Sarkozy, je n'approuve pas sa politique, je la trouve très à droite mais jamais il ne me viendrait à l'esprit de rapprocher le président de la République du pétainisme, du fascisme ou du nazisme, comme le laisse entendre cette comparaison avec l'affiche de l'Etat français. D'abord parce que c'est idiot : "La France forte" est une formule banale reprise par bien des hommes politiques, de droite ou de gauche. Ensuite parce que c'est faux : Sarkozy est un conservateur, réactionnaire par certains côtés ; on ne peut cependant pas l'assimiler à l'extrême droite nationaliste et antirépublicaine.

Bien sûr, on peut mettre ce collage grossier et déplacé sur le compte de la franche rigolade, de la caricature pamphlétaire, de l'outrance propre au combat politique. Mais ce n'est pas non plus une raison valable. Je ne suis pas convaincu par la conception guignolesque de l'action publique, qui exige tout de même un minimum de sérieux si on veut être crédible. Je crains surtout l'effet contre-productif de ce genre de dérive auprès de l'électorat. Certains croient qu'en politique "plus c'est gros mieux ça passe" : non c'est l'inverse, plus c'est gros moins ça passe, mais ça vous explose au nez comme un pétard mouillé.

Sarko facho ? Je me souviens que dans les années 70 on taxait vite de fasciste toute personnalité de droite qui ne plaisait pas. Michel Sardou par exemple a longtemps subi l'injure parce qu'il avait chanté la peine de mort, les colonies, les Ricains et le machisme. Personne aujourd'hui n'oserait reprendre cette polémique. L'étiquette infamante est sans doute encore utilisée par la gauche ultra, anarchisante, pour disqualifier l'adversaire. Mais rares sont ceux qui succombent maintenant à cette tentation de l'invective qui appartient à une autre époque.

Ce qui est exemplaire dans la campagne de François Hollande, c'est qu'elle tourne le dos à toute forme d'agressivité ou d'outrance. Il n'y a nul besoin de rapprocher Nicolas Sarkozy du fascisme pour le combattre. Au contraire, le rapprochement prouverait qu'on serait à court d'argument. Le candidat socialiste ne se positionne pas par rapport aux autres mais par rapport à lui. Il ne ressent pas la nécessité d'être très à gauche ; il lui suffit d'être bien à gauche. C'est un socialiste modéré, au bon sens du terme, sans aucune nuance de faiblesse, de mollesse ou d'incertitude. C'est dans cette gauche-là que je me reconnais.

lundi 27 février 2012

Une histoire suisse.

Ce message en fin de matinée sur mon répondeur téléphonique : un certain Stéphane Délétroz, journaliste à la RTS (Radio Télévision Suisse), souhaite m'interviewer à propos de la démission d'un ministre suisse victime d'un scandale. C'est arrivé ce matin, je dois le recontacter au plus vite, en début d'après-midi. Qu'est-ce que j'ai à voir avec tout ça ? Pourquoi moi ?

J'appelle et le journaliste m'explique : il est tombé sur un de mes billets, déjà ancien, au moment de la démission de Michèle Alliot-Marie, il a trouvé intéressante ma réflexion sur l'usage de la démission en politique, il souhaite recueillir mes réactions sur l'affaire suisse, qui manifestement secoue le pays depuis quelques heures.

J'avoue ne rien savoir de cette actualité, mais l'internet est là pour combler nos défaillances : le "ministre" (le titre exact là-bas est conseiller d'Etat) est genevois, il s'appelle Mark Muller, membre du parti libéral-radical, embarqué dans une sale histoire pas très nette. Il aurait frappé un barman dans une discothèque à l'occasion d'une relation extra-conjuguale, quelques autres affaires lui traîneraient aux fesses, il a choisi de démissionner ce matin. C'est un peu, de très loin, un DSK suisse. Stéphane Délétroz souhaite enregistrer mon avis "en tant que professeur de philosophie", ce que je fais bien volontiers, sans me prononcer évidemment sur le contexte politique, que je ne connais pas suffisamment :

D'abord, appeler à la démission à la moindre polémique est une facilité qui heurte un principe démocratique, celui de la durée du mandat pour laquelle l'élu ou le responsable sont investis. Si un acte est délictueux, c'est à la justice de trancher, l'homme politique étant un citoyen comme un autre. Mais ce n'est pas à l'opinion publique, aux médias ou aux adversaires de faire pression pour demander sa démission, de se transformer en juge.

Quant à la question morale, elle est délicate. En République, et la Suisse autant que la France sont des Républiques, il y a une distinction stricte entre la vie privée et la vie publique. C'est un principe de laïcité. Si les vices intimes (nous en avons tous !) ne contrarient pas la bonne marche des affaires de l'Etat, il n'y a pas lieu d'exiger ou d'encourager une démission.

Un ministre ne doit-il pas être exemplaire ? Je me méfie beaucoup de l'intrusion de la vertu en politique, qui peut aboutir au puritanisme, à l'hypocrisie, parfois à la Terreur. On ne doit pas évaluer nos hommes politiques sur leurs moeurs. Quand la loi est bafouée, quand l'argent public est détourné, c'est autre chose, c'est encore une fois à la justice de se prononcer et à l'homme public et à son parti d'en tirer les conséquences. Mais attention aux amalgames !

Notre société est de plus en plus prompte à se scandaliser à la moindre occasion. Ne jouons pas les Robespierre en complet-veston, ne nous laissons pas aller à une américanisation de mauvais aloi qui ne retient vraiment pas le meilleur de l'Amérique ! Si l'on devait, de l'histoire de l'humanité, disqualifier et retrancher tous les grands hommes aux comportements personnels contestables, il ne resterait plus grand monde.

Voilà ce que j'ai dit à nos amis suisses, en guise de réflexion, sous forme de questions, pour ne pas trop céder au conformisme ambiant qui fait qu'on utilise aujourd'hui la démission comme autrefois l'Eglise maniait l'excommunication. Tout de même, savoir que la Suisse va m'entendre disserter quelques minutes sur ce sujet, ça me fait un drôle d'effet !

dimanche 26 février 2012

La Maison de Boston.

Tous les Saint-Quentinois connaissent la Maison de la Presse, place de l'Hôtel de Ville, même ceux qui ne s'intéressent pas à la presse : son auvent permet de s'abriter les jours de pluie, ce qui est pratique à Saint-Quentin. C'est un lieu facilement repérable pour se donner rendez-vous. Non loin de la vitrine, les militants de Lutte ouvrière y vendent depuis des années leur journal chaque samedi, jour de marché (du moins jusqu'à présent puisque le conseiller municipal Ribeiro, très porté sur le règlement applicable aux autres, veut les en virer). Sur le bitume, devant la Maison de la Presse, parfois à plusieurs mètres de l'entrée, vous pouvez tomber sur des jouets alors qu'aucun enfant ne se signale à votre attention : ce sont les amusements de la vedette de l'endroit, bien connue des clients et des passants, Boston.

Qui est Boston ? Il est tout blanc, le poil long, une grande gueule et un foulard rouge de cow-boy autour du cou. C'est le chien du patron, Monsieur Tison. Je n'aime pas trop les chiens, ils me font peur, j'ai toujours l'impression qu'ils vont me mordre. Pas Boston : c'est un bon gros chien pas méchant qui me fait penser à Belle et Sébastien. Il a une qualité que j'apprécie beaucoup chez les chiens et qui est assez rare : il n'aboie pas, même quand l'un de ses congénères pénètre dans le magasin. La plupart du temps, Boston garde la porte d'entrée. Les clients le saluent d'un "bonjour Boston!", parfois le caressent. Il est ici chez lui, c'est sa maison.

Hier après-midi, j'étais dans la Maison de Boston, pendant trois heures, pour dédicacer mon ouvrage "Les Saint-Quentinois sont formidables". Les ventes ? Ça marche bien, merci. Mais un auteur en veut toujours plus et a envie de faire partager son travail. Voilà pourquoi je m'astreins à une petite promo qui fait selon moi partie du métier. Je remarque que le commerce ne va pas nécessairement de pair avec la notoriété : beaucoup de gens viennent me saluer, discuter, me connaissent alors que je ne les connais pas forcément. Ce n'est pas pour autant qu'ils vont acheter. On dit qu'il faut être dur en affaires, mais ce sont les affaires qui sont dures.

Certains visiteurs me demandent si l'ouvrage est politique. Comme quoi la notoriété a aussi des revers ! Mon étiquette de socialiste est indécollable. Ça ne me dérange pas, je suis libre et fier de mes opinions, nous vivons en République. Mais il ne faut pas tout confondre et mon identité ne se résume pas à mon engagement : non ce livre n'est pas politique, encore moins socialiste. Monsieur Tison croyait même que j'étais élu municipal. Désolé, je ne suis que moi dans cet ouvrage, au service des autres. C'est amusant de voir à quoi vous réduit l'opinion : socialiste ou prof de philo en ce qui me concerne. Comme si on ne pouvait pas m'imaginer autrement ...

La Maison de la Presse, c'est un bon observatoire de la vie saint-quentinoise, une idée de chapitre pour un prochain volume. Les commerçants se plaignent souvent d'un manque de clientèle : chez Monsieur Tison, la boutique n'est jamais vide, jamais calme, les aller et venue sont permanentes, la caisse ne désemplit pas. On vient surtout acheter la presse locale et le journal L'Equipe. Les gens sont polis, disent bonjour, et pas seulement à Boston. C'est finalement un lieu de convivialité : des personnes discutent avec les caissières de tout autre chose que de presse ou de librairie.

Pas d'incident, même minime, en trois heures de temps, dans un lieu public de passage permanent : le fait est rare. Pourtant si, un seul petit incident, plutôt amusant : une dame âgée entre et le portail sonne comme pour un voleur ! Elle n'a rien pu voler puisqu'elle vient d'entrer, mais elle veut savoir. L'employée lui explique que c'est une étiquette avec pastille électronique qui déclenche le boucan accusateur. La dame enlève son manteau et le passe devant la machine : aucun bruit. Puis son foulard : rien. Son gilet : non plus. Elle ose se déchausser : les souliers restent muets. Elle arrête là son strip-tease inopiné en disant en riant que c'est peut-être dans sa culotte que se trouve la clé du mystère ! Ça se passe comme ça à la Maison de la Presse : Boston se tait mais il arrive que la porte crie sans raison ...

samedi 25 février 2012

Championnes et citoyennes.

Quelle est la plus ancienne association de Saint-Quentin ? La Société académique ? Non, la Vaillante gymnastique ! C'était hier son assemblée générale, à laquelle j'étais convié en tant que président de la Ligue de l'enseignement de l'Aisne, qui affilie le club via l'Ufolep. A la tribune, que des dames ! C'est rare ... Généralement, la simple parité a du mal à s'imposer. Christelle Lefèvre, la présidente, terminait ses trois ans de mandat, laissant la place.

Mes rapports avec la Vaillante sont aussi plus personnels : j'y retrouve mes collègues Sylvie et Stéphanie, mes élèves Valentine et Camille. Avec un salarié à sa charge, l'association se porte financièrement bien, bénéficiaire en 2011. Pour son fonctionnement, elle recevait l'an passé 14 000 euros de la Ville de Saint-Quentin.

Ce que j'apprécie chez la Vaillante, c'est qu'elle associe à l'esprit de compétition la mission d'éducation, la promotion des valeurs, bien-être, solidarité, respect des règles. Elle forme des championnes qui se hissent jusqu'au niveau national mais aussi, en quelque sorte, des citoyennes. C'est pourquoi la structure est affiliée aux deux fédérations, la FFG plus élitiste et l'Ufolep plus démocratique.

Que des femmes à la tribune, y compris la représentante de la municipalité, Colette Blériot, qui a fait applaudir les responsables de l'association (elle sait faire, elle a du métier). Dans une courte intervention, avant de se rendre à un match de boxe au palais des sports (la politique c'est du sport !), elle s'est lancée dans un éloge du bénévolat, insistant sur sa propre disponibilité, prête à donner des coupes et des lots. Simplicité, efficacité et succès garanti : un métier, je vous dis.

Même Xavier Bertrand, qui n'était pas là, était quand même présent ! Je ne sais pas pour vous mais pour moi il y a des jours où je le vois partout : le matin à la radio, l'après-midi dans Saint-Quentin, le soir à la télévision. Il m'arrive même de le rencontrer par hasard dans des magasins en ville ! Pourtant le maire de Saint-Quentin ne me suit pas. Si je venais à le trouver attablé dans ma cuisine, je n'en serais pas plus étonné que ça ... J'ai presque l'impression parfois de vivre avec.

Hier soir, c'est sa présence lors de la fête de Noël du club qui a retenu l'attention : il a rebaptisé le jeu "Coca/Fanta" en "Perrier/Vittel", le ministre de la Santé de la République française qu'il est ne pouvant faire autrement. Et puis il a dansé avec tous les membres la chorégraphie du club, à la grande satisfaction de l'assistance. La politique, de grandes idées ? Non, de petites attentions, sans façons. Colette Blériot le sait, elle a appris auprès de son maître en la matière. Longue vie à la Vaillante gymnastique !

vendredi 24 février 2012

Le Pen à la petite cuillère.

L'émission "Des paroles et des actes", hier soir sur France 2, est sûrement un tournant dans la campagne présidentielle, et même dans la vie politique de ces dix dernières années : pour la première fois à ma connaissance, le leader de l'extrême droite est allé au tapis, a mordu la poussière tout en restant sur son siège. A plusieurs reprises, Marine Le Pen a été déstabilisée par les questions qu'on lui posait, se scandalisant qu'on puisse l'interroger, comme si un candidat n'était pas là pour ça.

Le père nous avait habitués à sa forte présence, son charisme délétère, son verbe puissant, ses propos haut en couleur : la fille partage les mêmes pensées infectes mais elle fait à côté pâle figure, la voix hésite, le regard cherche ses notes, les hésitations sont fréquentes, le discours est plat. C'est une mauvaise candidate, qui ne mérite pas d'avoir ses signatures pour concourir. Elle rabaisse le niveau, cette femme ne devrait pas politiquement exister.

Le premier zéro pointé, c'est face au journaliste économique, qui lui demande des précisions sur son programme, qu'elle est incapable de lui donner, se contentant de généralités et de banalités creuses comme un radis. Après, Marine Le Pen butte sur les questions de politique étrangère, où elle rivalise d'incompétence. Ce qu'on retient surtout, c'est qu'elle ne condamne pas le régime syrien : normal, l'extrême droite a toujours apprécié les dictatures.

Et puis, il y a eu le coup de grâce, le "débat" avec Jean-Luc Mélenchon, du jamais vu dans l'histoire de la télévision ! Les politiques qui renoncent à un débat, on connaît. Les politiques qui partent au milieu d'un débat, on connaît aussi. Mais quelqu'un qui reste et ne débat pas, c'est une première. Marine Le Pen ne voulait pas de Mélenchon ni céder le terrain : du coup, elle s'est mise dans une situation de bécasse, fuyant les regards de son adversaire, baissant les yeux sur des dossiers qu'elle faisait semblant de lire, tournant la tête à droite et à gauche comme une toupie, s'agitant sur son siège, ne sachant où poser son corps, s'occupant avec n'importe quoi, buvant plus que de nature en levant son auriculaire à la façon de la fausse bourgeoise qu'elle est. Le Pen c'était alors la peur devant un homme politique qui a décidé de ne pas jouer avec elle mais de lui entrer dedans. Cette femme n'est pas du marbre dont on fait les statues mais de la paille dont on bourre les épouvantails. Hier, elle était lamentable, à ramasser à la petite cuillère. Pour la poubelle.

jeudi 23 février 2012

Télé-vérité.

Ce que j'ai retenu de l'intervention télévisée de Nicolas Sarkozy hier soir sur France 2, ce ne sont pas les nouvelles promesses ou les anciennes critiques mais son revirement à propos de sa nuit au Fouquet's. Lui d'une élocution habituellement si claire et si vive, il est devenu à ce moment-là balbutiant, hésitant, emprunté, comme si l'aveu lui coûtait, comme si les mots avaient du mal à sortir de sa gorge. Et je le comprends ! Se sentir forcé à se renier devant des millions de personnes, c'est humiliant. A sa place, je ne l'aurais pas fait, j'aurais assumé. Après tout, il n'a pas commis un crime en fêtant sa victoire dans un hôtel de luxe avec ses amis fortunés, à peine une faute symbolique, tout juste une erreur d'appréciation.

Au contraire, en ce montrant tel qu'il est, avec les connivences sociales qui sont les siennes, il faisait preuve d'une grande sincérité, écartant toute l'hypocrisie attachée à la vieille droite et à la bourgeoisie traditionnelle : le Fouquet's, c'était proclamer haut et fort d'où l'on vient, de qui on se sent proche, par qui on est soutenu. C'était une forte leçon de pédagogie, beaucoup plus efficace que n'importe quel discours de gauche dénonçant la droite et les riches. Là, même plus besoin de dénoncer, simplement ouvrir les yeux, regarder et comprendre. C'était aussi placer tous les électeurs de Nicolas Sarkozy, en particulier ceux issus des milieu populaires, devant la responsabilité de leur vote : le soir même, ils pouvaient en apprécier les conséquences.

Certains amis de gauche me critiquent la télévision, en des termes souvent très durs, l'accusant de mensonge et de manipulation, quand ce n'est pas de collusion avec le pouvoir en place. Moi la télé j'adore et je la crois beaucoup plus libre qu'on ne pense. Surtout, je vois en elle, dans ses émissions, une salutaire épreuve de vérité, comme hier soir les balbutiements du chef de l'Etat lorsqu'il a dû ravaler l'épisode du Fouquet's. Il n'y a que la télévision qui permette ça, qui saisisse le moindre geste, le trait le plus insignifiant, le tout petit lapsus, en gros plan. Sur l'écran, tout se voit, aucun mensonge n'est plus possible. J'ai en mémoire deux autres grands moments de télévision, où quelques secondes suffisent à dévoiler une vérité éternelle, comme hier soir :

A la fin des années 70, quand on demande à Georges Marchais si son allié François Mitterrand est loyal, le leader du PCF met plusieurs secondes avant de répondre, un silence qui n'en finit pas, très éloquent, après quoi plus rien d'autre n'est nécessaire, tout le monde a compris (je ne me souviens d'ailleurs pas de ce qui a suivi). En 1998, à la question de savoir s'il se représente à la présidence de la République, François Mitterrand prononce un oui fluet, faiblard, un simple souffle qui le fragilise mais qui en même temps l'humanise, faisant de celui qu'on surnommait ridiculement Dieu ou Tonton une personne comme une autre. Pour nos hommes politiques, un plateau de télévision est devenu un confessionnal ouvert sur le monde entier, auquel ils peuvent confier leurs espoirs secrets, leurs remords tardifs, leurs sentiments cachés. Amis de gauche, regardez un peu plus souvent la télé !

mercredi 22 février 2012

Le jour où.

Jacky, Pascal, Jean-Marc, Joël, Morgane, Sabrina sont des chômeurs, ouvriers, employés, artisans, en situation précaire, vivant mal. Ils ne parlent pas de pouvoir d'achat, d'augmentation de salaire mais de travail, qu'ils n'ont pas, qu'ils ont perdu, qu'ils n'arrivent pas à retrouver. Ce sont des Saint-Quentinois, que le Journal du Dimanche dans sa dernière édition est allé interroger à Pôle emploi. Dans la ville du ministre du Travail, le reportage est tentant. Les réactions sont édifiantes et préoccupantes.

Il y a d'abord la défiance envers la politique, la tentation de l'abstention : "La politique ? Une grosse tartine de merde que l'on bouffe tous les jours", "Hollande-Sarko, la différence ? Je n'en sais rien", "Faut que ça pète pour que ça change, ça se passera dans la rue plutôt que dans les urnes", "Aujourd'hui, il y a une élection, et les politiques sauvent les usines, c'est bizarre, non ?". On ressent une forme de radicalité, mais qui ne profite pas aux radicaux (l'extrême gauche, pas citée).

Ensuite, et encore plus troublant, il y a ces réflexions qui sans le dire (sans le savoir ?) ramènent à des opinions d'extrême droite : "La gauche ne parle pas assez d'immigration", "On se fait bouffer, il n'y a pas de travail pour tout le monde", "Il y a des gens qui font des enfants juste pour avoir de l'argent", il faut fermer les frontières et limiter les aides.

Ce que je perçois ? Doute, hésitation, incertitude, rejet, tentation, désespoir ... J'ai beau chercher, je ne vois pas une trace d'espérance, d'enthousiasme, de désir. Normal, me direz-vous, quand on est au chômage ? Non, au contraire même : c'est dans la difficulté qu'on peut se prendre à espérer quelque chose de quelqu'un. Dans une vie confortable, on n'a pas besoin. Les classes populaires, dans leur histoire, au plus fort de l'exploitation et de la misère, parfois beaucoup plus grandes qu'aujourd'hui, ont su réagir, se révolter, espérer. Ce qui est inquiétant, c'est cette sorte de déprime qui frappe les plus démunis, ne croyant désormais plus en rien ni en personne.

A Saint-Quentin, dans l'un des bassins d'emploi les plus touchés par la crise économique, et depuis déjà longtemps, dans une population qui connaît 15% de chômeurs, la gauche devrait avoir un impact beaucoup plus grand qu'elle n'a. Il y a là presque un mystère. L'antisarkozysme est certes présent, mais aussi la tentation xénophobe et nationaliste, plus encore le rejet du système, le refuge dans l'abstention.

Il faut sans doute que la gauche se mette au diapason des classes populaires, qu'elle ne soit plus seulement sensible aux classes moyennes et aux fonctionnaires. Je me souviens de François Mitterrand disant que le jour où Angers, ville longtemps symbolique de la droite conservatrice (j'y ai vécu un an), voterait à gauche, toute la France voterait à gauche. C'est maintenant à Saint-Quentin que je pense : le jour où la ville votera à gauche, toute la France votera à gauche.

mardi 21 février 2012

Le roi du rire.



J'ai participé à des réunions politiques tumultueuses, j'ai fait des conférences devant plusieurs centaines de personnes, j'ai rencontré des personnages importants et impressionnants mais jamais je n'ai eu autant d'appréhension que ce dernier dimanche, où j'étais invité par Jean Triboulloy à une séance de rigolothérapie, dans le restaurant Les Agapes, boulevard Gambetta à Saint-Quentin. Triboulloy s'est donné comme mission et comme métier de faire rire autrui afin de le soulager des maux de la vie. Je ne suis pas spécialement malheureux ni non plus très porté sur le rire, mais une invitation à parler de mon ouvrage "Les Saint-Quentinois sont formidables" (dans lequel j'évoque Jean Triboulloy) ne se refuse pas. Je m'y suis donc rendu, ne sachant pas trop ce qui m'attendait et ce qui allait m'arriver.

J'avoue que je n'ai eu ni déception, ni regret, j'ai vraiment passé un très bon après-midi. Jean Triboulloy pratique l'humour gentil et un tantinet coquin au fil des courts sketches qu'il interprète avec les comédiens de la compagnie "Les Tréteaux errants". Car on ne peut comprendre Jean que si l'on sait qu'il est fondamentalement un homme de théâtre. C'est un rire sans prétention, de bonne humeur, de joie de vivre auquel il nous convie. Les invités sont ravis, participent, Triboulloy manifestement a trouvé son public constitué de fidèles. Chansons, devinettes, petits jeux égaient la rencontre, où l'on gagne même des stylos et des sacs "offerts par Xavier Bertrand" (c'est la municipalité qui fournit les lots).

L'ambiance de la rigolothérapie est difficile à décrire, il faut en être pour apprécier. Je peux malgré tout vous donner un échantillon de blague : un monsieur , amateur de thé mais plus particulièrement de thé russe, spécimen très rare, entre dans un salon et demande à la serveuse : vous n'avez pas du thé russe ? (j'espère que vous avez tous ri, car le comique de situation passe moins bien à l'écrit). Jean Triboulloy est un mélange de Philippe Bouvard et de Raymond Devos.

Le clou du spectacle, c'est la "galette des reines" (la date est passée et les rois sont détrônés mais l'humour de Jean est comme ça), avec une petite tricherie : la fève est dans la part réservée aux dames, qui sont très majoritaires dans l'assistance (huit hommes seulement !). Quand trois d'entre elles sont couronnées, Jean Triboulloy leur masque d'un foulard les yeux et demande aux hommes de venir leur susurrer un mot à l'oreille. J'étais un peu gêné, je ne suis pas très fort dans l'improvisation, j'ai quand même trouvé une formule, identique pour chaque oreille : "Vous êtes la plus belle des reines" (ce n'est pas très original mais c'est normalement un truc qui marche). Une fois les confidences terminées, les dames toujours aveugles se lèvent et cherchent des mains le corps qui appartient à la voix qu'elles ont préférée. Voilà comment la reine trouve son roi ! C'est tout de même plus rigolo que le couronnement traditionnel.

Ce que j'ai surtout aimé, c'est de voir Jean Triboulloy presque pleurer de rire à ses propres plaisanteries. Cet homme a décidé il y a quelques années de fonder à Saint-Quentin l'association SOS rigolothérapie à la suite d'une grave maladie, d'un séjour à l'hôpital qui lui ont fait comprendre que la vie ne devait pas succomber au malheur et à la tristesse, que le rire était la seule issue possible. C'est une philosophie qui en vaut bien une autre. Je crois qu'elle aide pas mal de gens à traverser l'existence : quand celle-ci ne vous sourit plus, autant s'en amuser. Je me demande si moi-même, tellement pris dans des activités fort sérieuses et parfois dérisoires, je ne devrais pas me prescrire quelques cures de rigolothérapie, sous la direction de Jean Triboulloy bien sûr ...

http://sosrigolotherapie.e-monsite.com/

lundi 20 février 2012

Le dur et le doux.

Dans son premier grand meeting de campagne, hier à Marseille, Nicolas Sarkozy a de nouveau été très dur envers son adversaire principal, François Hollande. Dur ou offensif, comme vous voudrez, ça revient au même. Après l'avoir traité de menteur la semaine dernière, c'est une accusation encore plus grave qu'il a lancée contre lui : ne pas aimer la France ! De son côté, le candidat socialiste ne s'est pas départi de sa tranquillité : ne pas entrer dans ce jeu de rôles, ne pas répondre aux attaques, rester au dessus de la mêlée, cultiver le calme et la sérénité.

En ce vrai début de campagne, deux stratégies, deux images, deux personnages s'installent : le dur Sarkozy et le doux Hollande. Ils le portent d'ailleurs sur leur corps et leur visage : traits crispés, regard inquiet, gestes brusques, verbe énergique, démarche vive chez l'un, face ronde, regard apaisé, parole lyrique mais retenue, pas plus lent chez l'autre. Nicolas Sarkozy veut nous faire comprendre combien la situation est grave et combien il est le seul à pouvoir l'affronter, François Hollande suggère qu'il est temps de changer, qu'il faut rassembler et qu'il est le mieux placé.

Je ne suis pas sûr que ces lignes politiques soient complètement délibérées. C'est aussi une affaire de tempérament, un moment de vérité personnelle pour ces deux hommes qui ont toujours été, de caractère, ce qu'ils sont en train de nous montrer. Ce n'est donc pas une vulgaire mise en scène. Quand j'ai accueilli en tant que secrétaire de section François Hollande à Saint-Quentin en 1999, quand je l'ai revu par la suite dans les réunions de courant, pour le oui au traité constitutionnel européen, il était déjà ce qu'il est aujourd'hui, consensuel et sympathique. Je suppose qu'il en va de même avec Nicolas Sarkozy, un homme qui à l'instar de Staline a toujours pensé que "la meilleure défense c'est l'attaque".

Et puis, ont-ils vraiment l'un et l'autre le choix de leur stratégie ? Donné perdant dans les sondages, Sarkozy doit rattraper son retard. Pour ça, une seule solution : donner du canon, bombarder celui qui s'échappe en tête. Hollande est pour l'instant et depuis quelque temps le premier : il doit garder cette position, ne rien faire qui puisse entraîner une chute, conserver son avance, consolider l'acquis de popularité. Surtout, les deux n'ont pas intérêt à ce qu'il y a de pire en politique : changer au milieu du gué, rompre leur stratégie, altérer leur image. Ils sont condamnés à rester ce qu'ils sont, à demeurer fidèles à eux-mêmes.

Qui a raison, qui a tort, le dur ou le doux ? Qui va passer aux yeux de l'opinion pour le bon et pour le méchant ? Qui va gagner, qui va perdre ? La politique est une science tellement imparfaite, pleine de surprises et de contradictions qu'il est impossible dès maintenant de trancher. La dureté peut plaire, les Français peuvent aspirer à se donner encore un chef parce que ce monde est dur. La douceur peut séduire, les Français préférant un rassembleur parce qu'il est inutile de rajouter de la dureté à la dureté. J'ai bien sûr fait mon choix personnel puisque je vote socialiste depuis que je suis bébé, mais je suis incapable de prévoir ce que les autres vont faire. Nous n'aurons pas longtemps à attendre ; d'ici quelques semaines, une tendance va se confirmer, qu'il sera ensuite difficile de corriger.

dimanche 19 février 2012

Discussion avec le Front de gauche.

Discussion hier avec une militante du Front de gauche, qui est contente d'avoir entendu François Hollande dans son discours du Bourget être "contre la finance". Je suis toujours content quand quelqu'un est content de ce que dit François. Mais je crains comme le feu l'illusion en politique, qui va de pair avec la déception. A cette militante qui souhaite "rompre avec le capitalisme", je précise que notre candidat n'est pas vraiment sur cette ligne-là, qu'une fois parvenu au pouvoir il ne sera pas "contre la finance" mais qu'il lui faudra composer avec elle, imposer des règles, prendre des mesures sociales sans pour autant "rompre avec le capitalisme".

Je lui rappelle aussi qu'un homme politique ne se juge pas à un slogan mais à un programme, qu'il faut s'intéresser beaucoup plus aux actes qu'aux paroles, qu'en la matière François Hollande est un parfait social-démocrate, que tout son parcours politique l'atteste. Je préfère la lucidité à l'illusion. Après, chacun se fait son opinion et choisit. Mais il ne faut pas qu'il y ait tromperie sur la marchandise, comme il a pu se produire quelquefois dans l'histoire de la gauche.

Ma militante Front de gauche me rétorque que Mélenchon faisant un bon score, le PS sera obligé de s'aligner sur une ligne plus radicale pour gagner au deuxième tour. Je souris de cette naïveté. Hollande l'a pourtant dit : dans une présidentielle, pas de négo entre les deux tours, chaque force politique se détermine par rapport aux candidats en lice. L'histoire récente du PCF prouve s'il le fallait que ce parti n'a jamais pu infléchir la ligne du PS plus à gauche.

Je connais mes socialistes : discours à gauche et politique social-démocrate. Pourquoi pas, l'habileté est aussi une vertu en politique, mais je préfère qu'on accorde les mots et les actes. Même en interne, dans le jeu des courants, le PS ne s'est jamais radicalisé. C'est pourquoi Chevènement est parti, c'est pourquoi Mélenchon est parti, c'est pourquoi Montebourg, malgré son score aux primaires, n'a pas pesé sur la ligne social-démocrate actuelle. L'aile gauche n'a d'influence qu'à l'extérieur, pas sur l'appareil (à l'exception des investitures aux élections, mais nous ne sommes plus alors dans le débat idéologique).

La militante du Front de gauche avec laquelle je discute en convient finalement : Hollande n'a-t-il pas dit cette semaine qu'il était "libéral" et qu'il n'y avait plus de communistes en France ? ce qui la rend évidemment furax. Je suis obligé de préciser, une fois de plus : oui, au sens anglo-saxon du terme (Hollande s'adressait à un journal anglais), il est "libéral" c'est-à-dire partisan de l'économie de marché, et pas favorable à sa collectivisation. Nicolas Sarkozy a joué là-dessus en laissant croire à une contradiction et à un mensonge. Mais non : le marché et le socialisme ne sont pas contradictoires (Rocard le disait déjà dans les années 70). Simplement, il faut bien s'entendre sur les mots et leur définition. Lucidité et clarté, sinon on dit ou on en pense n'importe quoi, n'importe comment.

Quant à la disparition des communistes français, soyons cette fois précis : à l'évidence il y a un parti et un électorat communistes, François Hollande ne le nie évidemment pas ! Mais il n'y a plus aujourd'hui, à l'élection présidentielle, de candidat précisément communiste, puisque Jean-Luc Mélenchon est un ex-socialiste à la tête d'une coalition. C'est un constat, ce n'est pas un jugement, encore moins une critique envers le PCF.

Je termine ma discussion avec la militante du Front de gauche en lui disant que la discipline républicaine nous conduira à nous rassembler, toutes familles de la gauche, au second tour des présidentielles et des législatives, qu'en attendant chacun doit choisir et agir dans la lucidité, la clarté et la précision, sans illusion, sans confusion, sans soupçon. Si nous tenons sur cette ligne, nous pourrons aller très loin. Sinon, ce sera la déception, la rancoeur et l'échec.

samedi 18 février 2012

L'ordre et le mérite.

Ce matin, dans la salle des mariages de l'hôtel de ville à Saint-Quentin, Stéphane Lepoudère, maire-adjoint chargé de la culture depuis 1995, est devenu chevalier dans l'ordre national du mérite. Je me suis rendu à son aimable invitation parce que c'est un ancien collègue, professeur agrégé d'économie au lycée Henri-Martin, aussi parce qu'il honore régulièrement de sa présence mes activités associatives. Bref, il fait son boulot d'élu.

Certes, nous n'avons pas les mêmes idées politiques. Mais je privilégie la courtoisie républicaine. Et puis, Lepoudère ne pourrait-il pas faire partie d'une équipe de gauche ? Il est membre du parti radical, ami de Borloo, admirateur de Mendès-France. C'est une sensibilité de centre droit qui n'est pas très éloignée du centre gauche social-démocrate. C'est en tout cas le sentiment que j'ai toujours eu en discutant avec Stéphane.

Une bonne partie du monde politique et associatif était présent, des personnalités souvent proches de la majorité municipale mais aussi de gauche (Michel Garand, Didier Perrier, Robert Lefèvre ...). Au côté de Stéphane Lepoudère, le colonel Dutel bien sûr, maître de cérémonie en sa qualité de Grand-Croix, Jacques Destouches en représentant de l'Etat, la députée Pascale Gruny et deux sénateurs, Pierre André et Antoine Lefebvre (pour la petite histoire, le maire de Laon et la députée de la circonscription fêtaient aujourd'hui leur anniversaire !). Xavier Bertrand s'était fait excuser. Peut-être était-il à l'inauguration de la permanence de Nicolas Sarkozy à Paris ?

Le colonel nous a gratifiés d'un discours pédagogique que je connais presque par coeur. Je suis incollable sur la distinction entre décoration et admission, diplôme et brevet : l'entrée dans l'ordre national du mérite se classe dans la seconde catégorie, je vous l'explique quand vous voulez !

Pierre André s'est chargé de présenter le nouveau chevalier, avec quelques saillies politiques dont il a le secret. En faisant appel au radical-valoisien Lepoudère en 1995, il pratiquait selon lui "l'ouverture" avant l'heure. Et pourquoi le mettre à la culture ? Parce qu' "il n'était pas fait pour ça" ! L'économie et la culture ne vont en effet pas trop ensemble. Mais justement : Mitterrand aussi agissait ainsi, utiliser les hommes à contre-emploi. N'est-il pas vrai par exemple que la guerre est une chose trop sérieuse pour la confier à des militaires ?

Au passage, Pierre André a rappelé sa conception de la culture, en égratignant l'ancienne municipalité de gauche : pour une culture du divertissement ouverte à tous, contre la culture de bobos qui n'attire que quelques personnes. Voilà un beau sujet de débat pour les prochaines assises que doit organiser Xavier Bertrand !

A la fin de la cérémonie, Stéphane Lepoudère était un autre homme puisque chevalier. A bien observer sa tête bouclée, il est un peu entre Jack Lang et Alain Souchon, ce qui est heureux pour un adjoint à la culture. Le sous-préfet est venu vers moi pour deviser sur la rencontre, me demandant si j'avais les palmes académiques, comme s'il s'agissait d'une évidence. Franchement, est-ce que j'ai la tête à avoir des palmes ?

vendredi 17 février 2012

Le Carillon vote à gauche.

L'Aisne Nouvelle, dans sa dernière édition, est allé à Saint-Quentin dans le café Le Carillon pour prendre la température politique à l'approche des élections présidentielles : un petit sondage qui vaut bien les grands, même si le panel se limite à six personnes. Les réactions sont intéressantes, parfois surprenantes, toujours instructives. Je commente bien sûr ce qui a retenu mon attention.

Ainsi, Evelyne Durant avoue sans détour sa préférence pour Jean-Luc Mélenchon. Mais pour des raisons qui me laissent songeur : "Il pourra remettre les francs" (je crois qu'elle confond avec un autre candidat) et puis "avant d'aider les autres, il faut aider la France". Comme quoi on peut être attiré par un candidat sans en partager nécessairement toutes les idées !

Romain Leneutre ne votera pas puisqu'il n'a pas l'âge, encore lycéen. La politique semble le préoccuper mais pas au point de se déplacer dans une réunion. Sa préférence ? "Un panachage des idées de chaque candidat serait bien". Et dans l'isoloir, comment se débrouiller avec ça ? Si le psychanalyste Jacques Lacan était de ce monde, il dirait sûrement que le psychisme de Romain est surdéterminé par son nom ...

Anna Osman, cinéphile bien connu du monde saint-quentinois, sait pour qui elle va voter, à gauche si l'on en croit ses propos. Et qui aimerait-elle rencontrer à Saint-Quentin ? Jean-Luc Mélenchon ! C'est Guy Fontaine, le candidat local du Front de Gauche, qui va être content ... Stéphane, lui, penche nettement pour François Hollande. Ce fonctionnaire de police a préféré rester anonyme, puisque même son prénom n'est pas le bon. Je crois quand même l'avoir reconnu !

Boris Faity est un trentenaire plutôt désabusé : "Que ce soit à droite, le PS, Bayrou, je pense pas qu'ils aient les cartes en main pour changer quelque chose". Il n'ira pas dans les meetings, ne se sent pas vraiment concerné par la politique mais votera quand même et se décidera "au dernier moment". Faites le bon choix, Boris ! Quant à Vincent Vanrullen, jeune lui aussi, son jugement est plus tranché : "Depuis cinq ans, tout va mal". C'est son premier vote présidentiel et il sait à qui ira son suffrage. Avec cependant ce bémol pas très engageant : "Le gagnant sera celui qui sortira le plus d'affaires pourries sur les autres".

Résultat des courses : sur nos six Saint-Quentinois, quatre penchent à gauche, dont deux vers Mélenchon et un pour Hollande. Parmi les deux derniers, l'un est indécis et l'autre sceptique. Bref, au Carillon, on vote majoritairement à gauche et personne ne soutient explicitement Nicolas Sarkozy. Qui l'eut cru ? Ce n'est pas le café le plus ouvrier de Saint-Quentin, Xavier Bertrand y a ses habitudes le samedi matin, et pourtant ... Le Carillon est-il une préfiguration des tendances nationales ? Cela reste tout de même à confirmer.

jeudi 16 février 2012

Présent, pouvoir, ... problème.

Le Courrier Picard dans son édition d'hier revient sur le délire mensonger et diffamatoire d'Antonio Ribeiro lors du dernier Conseil municipal de Saint-Quentin, pour s'intéresser en particulier aux absences de Céline Sené, conseillère municipale d'opposition (PS). La présence d'un élu est une forme de devoir qui fait partie de la fonction. Être détenteur d'un mandat du peuple oblige. On ne peut pas le prendre à la légère, en faire n'importe quoi (en la matière, Ribeiro est le pire exemple qui soit de malhonnêteté politique).

Mais les absences de Céline ? Si un Conseil municipal commence par un appel nominatif et solennel du président de séance, c'est pour marquer l'importance de la présence, même muette. Présent ou pouvoir, ce sont les deux réponses qui se font alors entendre, l'absent ayant la possibilité d'exercer son mandat, en l'occurrence son vote, par l'intermédiaire d'un élu présent. Car certaines absences sont inévitables. Mais une absence prolongée pose problème.

Il ne faut cependant pas incriminer Céline Sené. Comme à mon habitude, j'aimerais faire un peu d'histoire récente et rappeler que ce problème n'est pas nouveau. Lorsque je me suis installé à Saint-Quentin en 1998, une de mes premières préoccupations a été d'assister du balcon aux réunions du Conseil municipal, réaction normale quand on veut en savoir plus sur la vie politique locale (j'étais loin de me douter que quatorze ans plus tard j'en serai au même point, au même endroit, mais ceci est une autre histoire !). A l'époque, de mémoire, il devait y avoir une douzaine de conseillers municipaux d'opposition. Or, deux seuls siégeaient et intervenaient régulièrement, Yves Mennesson et Jean-Pierre Lançon. Tous les autres participaient très épisodiquement et la plupart jamais.

Le même problème s'est posé lors de la mandature suivante (2001-2008), où l'opposition était réduite à cinq élus, dont un a cessé d'être présent au bout d'environ un an, Régis Chevalier (PS), directeur de cabinet à la mairie de Gauchy. Régis avait sûrement en tête que nous allions gagner en 2001, qu'il deviendrait naturellement adjoint. Simple élu d'opposition, ça change tout. Et puis la double casquette passait mal. Mais son absence a créé un problème politique, qu'il est bon de rappeler aujourd'hui, si l'on veut que le passé instruise le présent et prépare l'avenir :

Freddy Grzeziczak (MRC) était dans l'ordre de la liste derrière Régis Chevalier. Si celui-ci avait démissionné (comme il aurait dû normalement faire), celui-là devenait conseiller municipal. Le PS y perdait un siège au profit d'un petit concurrent déjà très médiatisé. La protestation légitime de Freddy a duré plusieurs années, sans effet, et son ralliement à Pierre André s'explique aussi par ce conflit. En politique, il ne faut jamais rien négliger mais tout prévoir : même une absence que personne ne remarque peut avoir de lointaines et fâcheuses conséquences.

Céline Sené n'est donc pas à accabler. C'est une tendance générale et ancienne qui est à déplorer, propre sans doute à toute opposition en situation de faiblesse. Il faut vraiment avoir un moral d'acier pour aller se battre contre Xavier Bertrand sans espoir de vaincre. Il n'y a que des inconvénients à en retirer. L'ingratitude de la tâche porte facilement à la lassitude. Y a-t-il des désaccords politiques ? Je n'en sais rien. N'oublions pas non plus les problèmes personnels que peut rencontrer une personne dans sa vie, ce qui devrait nous abstenir de porter tout jugement sur elle.

Il n'empêche que le problème politique, aussi mineur qu'il paraisse, est là, comme autrefois. Comment peut-il se régler ? Difficilement. La démission dans ce cas est attendue mais insatisfaisante, car on retombe dans le schéma de Freddy dix ans auparavant, en pire. Céline Sené partant, le PS se retrouverait encore plus minoritaire qu'il n'est actuellement au sein de l'opposition municipale. L'équilibre entre gauche et extrême gauche serait rompu, l'extrême gauche deviendrait majoritaire : nous passerions d'un rapport de forces 4/4 ( 3 PS + 1 Vert/1 PCF + 1 NPA + 1 LO + 1 POI) à 3/5.

En effet, la démission de Céline Sené ouvrirait la voie sur la liste municipale à Néné Mendy, étiqueté "Société civile", en position de remplacement. Mais c'est une sympathisant communiste puisqu'elle faisait partie du comité de soutien à Jean-Luc Tournay, candidat du PCF aux élections législatives de 2007. D'ailleurs, en septembre 2008, lorsque Antonio Ribeiro a rejoint la droite municipale, la section du PCF a lancé une pétition pour qu'il démissionne, bien certain qu'elle bénéficierait alors de l'élection d'une proche.

Il n'est même pas certain que Néné Mendy, qui n'est pas une militante politique, accepte d'aller au casse-pipe. Après elle, le suivant est ... Jean-Luc Tournay, un grognard du communisme qui lui n'hésitera pas. Mais la représentation du PS s'en retrouverait considérablement affaiblie. La meilleure solution est comme souvent en politique la pire : geler le siège pour conserver un pouvoir, à la façon de Chevalier contre Grzeziczak.

Cette malheureuse histoire doit nous inspirer quelques enseignements pour les prochaines élections municipales, que je résumerai à quatre :

1- Constituer au premier tour une liste socialiste autonome, maître de son destin, pesant de tout son poids pour exercer un véritable leadership par la suite. C'est ce que j'avais proposé en 2007, dans les conditions et avec le résultat qu'on sait.

2- Inciter tout postulant pour une liste à assister aux débats du Conseil municipal. Je suis toujours surpris de voir des candidats n'ayant aucune idée concrète de ce qui se passe dans une instance où ils aspirent pourtant à siéger. Pas étonnant qu'après il y ait des déconvenues !

3- Spécifier à chaque candidat qu'il a autant de chance d'être élu d'opposition que de la majorité, que la politique est faite autant de gloire que d'ingratitude.

4- Engager chacun à respecter les termes du mandat que lui a confié l'électorat, c'est-à-dire être présent autant que possible en séance du Conseil municipal.


PS : A la suite d'un précédent billet intitulé "Plus jamais ça", un lecteur me fait savoir en commentaire qu'Antonio Ribeiro n'a pas directement suppléé à l'absence de Freddy Grzeziczak sur la liste municipale de 2008. Initialement, c'est son frère José qui avait été désigné à l'unanimité par le MRC départemental (si j'en crois mon correspondant). José Ribeiro étant confronté à des problèmes familiaux, c'est Antonio qui l'a remplacé. Dont acte. Mais cette remarque ne fait que redoubler ma critique : la préférence familiale n'est pas une bonne chose en politique. Le sang n'égale pas les convictions, comme j'ai souvent eu l'occasion de le dire.

mercredi 15 février 2012

Rien que de l'énergie.

J'ai bien sûr ce soir regardé la déclaration de candidature de Nicolas Sarkozy à la télévision. Tout ce qui est politique m'intéresse. J'en ai pensé quoi ? Rien de particulier. Mais a-t-on toujours besoin de penser quelque chose ? C'était plutôt classique, attendu, sans grand chose à en dire sur la forme ou le contenu. Les idées sont connues. A-t-il au moins réussi son entrée en campagne ? Je ne sais pas. Comme toujours en politique, ce sont les résultats qui jugent. Tout le monde se doutait qu'il serait à nouveau candidat ? Oui mais ça ne fait rien : quand on se marie, les invités savent pertinemment que les conjoints vont prononcer le mot qui va sceller leur union, la cérémonie n'en est pas moins belle.

J'ai retenu de l'intervention de Nicolas Sarkozy ce qui me fascine en politique et que je ne trouve pas vraiment ailleurs, en tout cas pas avec un tel degré d'intensité : l'énergie. Si les socialistes ont à craindre cet homme, ce n'est pas vraiment à cause de ses idées, qui ne sont pas forcément populaires, mais à cause de l'énergie qu'il brûle. Son visage, son corps, sa voix sont portés par cette énergie. C'est d'autant plus spectaculaire que les sondages le donnent battu, que François Hollande a pour l'instant la main.

C'est cela qui m'impressionne le plus en politique. Dans la vie ordinaire, n'importe qui d'un peu raisonnable laisserait tomber, en aurait pour son compte, ne chercherait pas à aller plus loin. Chez Mitterrand aussi, dans un tout autre genre, plus tranquille, plus contenu, il y avait cette énergie qui se déployait. Je ne sais pas d'ailleurs si c'est forcément une vertu. Mais il faut incontestablement être habité par quelque chose, une forme de rage, pour faire de la politique, y persévérer. Je crois que c'est la raison pour laquelle si peu de gens en font et aiment ça. Ce soir, un très beau combat vient d'être lancé, deux énergies vont s'affronter. C'est passionnant.

mardi 14 février 2012

Plus jamais ça.

Après la polémique et le scandale d'hier soir au Conseil municipal de Saint-Quentin (voir billet précédent), il faut en tirer les leçons politiques. Antonio Ribeiro n'est pas né dans les choux, il n'est pas sorti de la cuisse de Jupiter. Comme la créature dans le roman à succès de Marie Shelley "Frankenstein", il a été créé par la gauche avant qu'il ne s'en sépare pour finalement se retourner violemment contre elle. A deux ans d'une élection municipale où nous devrons constituer une nouvelle liste, il est bon d'y réfléchir pour que pareille chose ne se reproduise plus.

En 2008, Ribeiro est un parfait inconnu. Jamais je ne l'ai vu à aucune réunion, aucune manifestation de la gauche. Il se prétend alors membre du MRC (Mouvement républicain et citoyen) mais je ne l'ai jamais croisé parmi les chevènementistes de la ville. La vérité, c'est qu'il fallait à l'époque quelqu'un pour remplacer Freddy Grzeziczak, rallié à la droite, et qu'on a pris alors n'importe qui. Le parti socialiste était en pleine crise, divisé. Dans les armées en déroute, on prend vite du galon : Ribeiro s'est retrouvé propulsé en tête d'affiche, lui qui venait de nulle part et qui est sans doute condamné à y retourner.

Je n'en veux pas à l'homme, respectable comme tout homme, ni meilleur ni pire qu'un autre, que moi. Mais j'en veux au système qui l'a fait naître, qu'on pouvait parfaitement éviter et qu'il ne faudra pas reproduire en 2014. J'ai à ce propos trois observations et trois propositions à faire, qui n'étonneront pas ceux qui me lisent depuis plusieurs années :

1- La question de la compétence et de l'influence : à mon avis, n'importe qui ne peut pas figurer sur une liste municipale. Ce n'est pas être désobligeant envers quiconque que de le reconnaître. Représenter la gauche, assumer un mandat exigent tout de même quelques compétences, surtout quand on a le rôle ingrat et difficile de s'opposer à Xavier Bertrand. Il ne s'agit bien sûr pas de sélectionner sur diplôme ou sur examen mais de choisir collectivement les plus aptes à mener le combat, celles et ceux qui représentent un peu quelque chose sur la ville. A l'évidence Antonio Ribeiro n'en était pas. Il a tout de même été retenu. Imaginez un peu que la gauche l'ait emporté, qu'il soit devenu maire-adjoint ! C'est sans doute une des raisons, parmi beaucoup d'autres plus importantes, pour laquelle la gauche ne l'a pas emporté.

2- La question des alliances, des courants et des partis : tant que la gauche locale ne raisonnera pas en termes d'hommes et de femmes mais de courants et de partis, elle devra se coltiner des Antonio Ribeiro. Une liste construite sur des alliances qui laissent des places à chaque parti sans droit de regard sur leurs candidats conduit inévitablement à favoriser des inconnus ou des aventuriers. Bien sûr chaque parti de gauche doit être représenté, chaque courant aussi, mais pas à n'importe quelle condition : la tête de liste doit avoir un droit de veto. Chaque partenaire propose et c'est la tête de liste qui dispose. Sinon celui-ci ne fait plus figure de leader quand on lui impose des candidats dont il ne veut pas parce qu'ils ne sont pas bons.

3- La question du leadership socialiste : c'est le problème principal, tout le reste découle de là. Il faut un leadership socialiste fort, et même intransigeant, qui pèse de toute son autorité sur ses partenaires, lesquels sans le PS n'arriveraient jamais à avoir des élus. Dans une ville moyenne comme Saint-Quentin, le PS doit être influent, présent, énergique, au même niveau que l'adversaire, ambitieux comme lui. Je le pense depuis cinq ans, depuis que le départ d'Odette Grzegrzulka a inauguré une nouvelle période pour la gauche, qui jusqu'à présent ne me convient pas parce qu'elle tourne le dos aux trois principes que je viens d'émettre, parce qu'elle nous conduit hélas dans l'impasse. Puisse le malheureux incident d'hier faire prendre conscience de la situation et qu'on ne revive plus jamais ça.

lundi 13 février 2012

Un Conseil presque sans histoire.

Le Courrier Picard avait annoncé la présence de parents d'élèves en colère, mais nous étions au balcon entre habitués. L'Aisne Nouvelle avait prédit un Conseil municipal "relativement calme". C'est vrai que les deux interventions principales d'Olivier Tournay (opposition, PCF), sur la vidéo-surveillance et la carte scolaire, étaient des reprises sans surprise. Bref, un Conseil municipal à Saint-Quentin sans histoire ... s'il n'y avait eu la longue et stupéfiante déclaration préalable d'Antonio Ribeiro (majorité, Gauche moderne).

Il fera bientôt quinze ans que j'assiste régulièrement aux séances, c'est la première fois que je vois ça : presque une demi-heure de propos surréalistes et scandaleux, s'en prenant aux élus de l'opposition, à leur caractère, jouant de la dérision à travers une rhétorique souvent confuse. Ce n'était pas à l'honneur de son auteur ni de la démocratie locale que d'en arriver à une telle bassesse. Si ce n'était pas grave, je ferais le coup du mépris, comme Olivier Tournay. Mais ces paroles ne peuvent pas rester sans réaction. Je suis obligé de reprendre ce qui a été dit pour que chacun en mesure l'ignominie et parfois le ridicule.

Antonio Ribeiro a commencé par justifier son abstention (par pouvoir) lors du vote sur le budget en précisant que si c'était maintenant à refaire il voterait ... pour le budget, parce qu'il a eu depuis la réponse à la question qu'il se posait (on ne saura jamais laquelle, ça vaut d'ailleurs peut-être mieux). Burlesque, tout comme le principal reproche qu'il lance à l'opposition : ne pas poser les bonnes questions, ne pas être finalement une véritable opposition (hallucinant !). Pour un peu on aurait cru que l'opposition à la droite, que la gauche locale c'était lui et lui seul !

Ensuite a démarré une incroyable série d'attaques personnelles qui n'en finissaient pas, chaque élu d'opposition nommément cité en prenant pour son grade (sauf Carole Berlemont, on se demande bien pourquoi). Jean-Pierre Lançon ? "Il trompe son électorat", "n'est virulent que dans la voix". Frank Mousset ? "Doux, timide et muet". Michel Aurigny ? "Il parle pour ne rien dire", "n'est pas ouvrier" (référence à son appartenance au Parti ouvrier indépendant). Nora Ahmed-Ali (que Ribeiro appelle "Madame Nora" !) ? "Un papillon qui ne ferait pas de mal à une mouche", "une élue Verte qui a besoin de mûrir". Anne Zanditenas ? Ribeiro s'est moqué de son engagement auprès d'Arlette Laguiller. Olivier Tournay ? Il s'est vu accusé de connivence avec le Centre social Artois-Champagne où travaille sa camarade Corinne Bécourt. Céline Sené ? "La honte vivante de l'opposition saint-quentinoise" parce qu'"elle ne siège plus depuis trois ans" (ce qui est faux : elle est absente mais pas à ce point). Je passe sur les allusions obscures à la subvention sportive de Fresnoy-le-Grand pour laquelle Lançon et Tournay auraient selon le leader de la Gauche moderne des choses à se reprocher.

Ce discours était indigne, déplacé, inacceptable. Où est le respect ? Le plus stupéfiant c'est que l'opposition l'a écouté sans broncher, sans l'interrompre (trente minutes c'est long !) et une fois Ribeiro ayant évacué ses dernières gouttes de venin, elle n'a rien dit, rien rétorqué (sauf Anne Zanditenas, brièvement et sans l'indignation que méritait une telle intervention). J'en suis resté bouche bée. Tant de violence ... puis le silence, ce qui revient en politique à accepter. Non, chef de l'opposition, je n'aurais pas laisser passer.

D'abord, au bout de cinq minutes, je me serais levé en entraînant derrière moi tous les élus d'opposition, qui n'avaient pas à assister à leur propre humiliation. Ensuite, de retour, sans entrer dans le jeu vicieux d'Antonio Ribeiro, sans répondre à ses allégations qui n'appellent que l'indifférence, j'aurais rappelé à Monsieur le Maire, président de la séance, garant de la bonne tenue des débats, quelques principes sur lesquels tous les républicains peuvent s'accorder : pas d'attaques sur les personnes, pas de propos calomnieux, pas de sous-entendus litigieux.

On peut si l'on veut traiter l'incident de ce soir à la rigolade et Ribeiro de bouffon. Je ne le prends pas comme ça mais très au sérieux : nous avons assisté à une atteinte à la démocratie que tout le monde devrait condamner (je suis persuadé que bien des élus de la majorité, quoique ne portant pas l'opposition dans leur coeur, ont été ulcérés par ce qu'ils ont entendu). On peut penser ce qu'on veut des uns et des autres, donner son point de vue avec la passion qui est propre au combat politique, on n'a pas le droit de s'exprimer comme ça. J'espère vraiment que ça ne se reproduira pas.

dimanche 12 février 2012

Mélenchon, collector 70.

Il remplit les salles de ses meetings et frôle les 9% dans les sondages, c'est bien sûr Jean-Luc Mélenchon et c'est pas mal du tout. L'ex-socialiste s'est construit un personnage et a occupé un créneau électoral : quoi demander de mieux à la politique ? Il s'est fait une gueule, un bagout, une agressivité et même un costard, classique sombre avec cravate très rouge, c'est parfait. On l'identifie : Mélenchon c'est un collector année 70, une tournée genre âge tendre et tête de bois sans Stone et Charden mais Laurent et Buffet. De cette décennie, il a gardé le physique de Georges Marchais et la rhétorique de François Mitterrand (celui d'Epinay, dans ses discours de rupture et sa condamnation de l'argent).

Je ne voterai pas pour Mélenchon puisque je suis socialiste mais je lui souhaite le plus fort score possible puisque c'est l'intérêt de la gauche, pour quatre raisons :

1- Plus Mélenchon sera fort, plus l'extrême gauche sera faible, ce que montre les sondages et ce qui est une bonne nouvelle. Quand l'extrême gauche est forte (voir 2002 et aussi la malheureuse expérience saint-quentinoise), la gauche classique est faible et en situation de perdre.

2- Mélenchon et son Front de Gauche sont les seuls à être vraiment offensifs à l'égard de l'extrême droite, ce dont je me réjouis (même si j'aimerais que nous soyions plus nombreux dans ce combat). Il faut disputer à Le Pen les voix ouvrières et populaires. C'est le devoir et l'honneur de la gauche, c'est aussi une des conditions de sa victoire.

3- Avec Jean-Luc Mélenchon, le PCF va sortir historiquement de la marginalisation qui le frappe depuis un quart de siècle, en passant de 1% à peut-être 10%. Quoi qu'il en soit du résultat final, le rétablissement sera spectaculaire. Les dissidents communistes saint-Quentinois, Bécourt et Tournay, ont tort : ce sont eux qui marginalisent le PCF (et la gauche saint-quentinoise en s'alliant avec elle), et c'est au contraire Mélenchon et localement Fontaine qui lui redonnent un espace politique.

4- Jean-Luc Mélenchon, aussi critique soit-il envers les socialistes (mais on ne doit pas craindre en politique la critique, on doit en tirer des leçons), est imprégné de discipline républicaine qui le conduira à soutenir dans tous les cas de figure le candidat de gauche arrivé en tête. On sait que l'extrême gauche n'est pas dans ce schéma-là. Quand je lis, dans le texte du comité de soutien aux candidats communistes dissidents de Saint-Quentin, que la première flèche est adressée à la social-démocratie, j'ai compris et je m'inquiète. C'est pourquoi il faut espérer, à Guy Fontaine comme à Jean-Luc Mélenchon, le plus haut score possible.

samedi 11 février 2012

Enfin la politique.

Nicolas Sarkozy est entré en campagne ce samedi avec son interview dans le Figaro-magazine et sa candidature sera officielle dans quelques jours. Tant mieux, il n'y a de politique que dans l'adversité. Jusqu'à présent, François Hollande était seul sur le ring. Enfin le grand combat va commencer. La démocratie a tout à y gagner. Droite gauche, les enjeux vont désormais être clarifiés, c'est bien.

Le démarrage de Sarkozy ne m'a pas surpris. Rien à redire, il fait de la politique, il nous rappelle d'abord que celle-ci est une confrontation entre des valeurs, pas un débat technique. J'avais regretté la tournure des échanges entre Hollande-Juppé puis Aubry-Fillon, entrant trop dans des précisions qui finissent par ne plus rendre lisibles les choix politiques. En brandissant des valeurs, c'est tranché. Quand Nicolas Sarkozy est contre l'euthanasie, contre le vote des immigrés et pour obliger les chômeurs à prendre le premier travail qu'on leur propose, tout le monde comprend quelle est son échelle de valeurs, son projet de société. D'accord ou pas, le citoyen fait son choix.

Ensuite, l'entrée en campagne du chef de l'Etat prouve que la bataille politique ne se mène que sur des propositions, du moins quand on a la volonté de gagner. Au pouvoir, la tentation est grande de défendre avant tout son bilan, persuadé qu'il est bon (c'est l'erreur de Jospin en 2002). Dans l'opposition, il est tentant de critiquer l'équipe en place en croyant que cela suffira à la faire tomber. Ni l'un ni l'autre : les citoyens attendent des propositions, des idées neuves à partir de quoi ils se font leur opinion. Nicolas Sarkozy va donc proposer à tour de bras.

Enfin, il n'y a de politique que dans la lutte, le clivage, l'alternative bien marquée. C'est pourquoi Nicolas Sarkozy ne manque pas une occasion de se distinguer de François Hollande, de montrer que sa ligne de gouvernement est différente. La politique ne peut pas ignorer l'adversaire. N'existerait-il pas qu'il lui faudrait alors l'inventer ! En 2007, lors de la dernière présidentielle, le clivage était moins marqué et c'était regrettable. Ségolène a essayé de récupérer certains thèmes de droite (le drapeau, la sécurité, la morale), ce qui était original mais troublant. Hollande-Sarkozy, ce sera gauche-droite et les Français pour juger, en mettant de côté ces leurres que sont Le Pen et Bayrou. Hollande contre Sarkozy, Sarkozy contre Hollande, il n'y a que ça qui compte. Et vive la politique, vive la démocratie !

vendredi 10 février 2012

Sur Saint-Quentin TV.

Vous pouvez retrouver sur Saint-Quentin TV aujourd'hui et pendant une semaine le reportage consacré à la rencontre-débat à la librairie Cognet autour du livre "Les Saint-Quentinois sont formidables" (dans l'émission c'est de 2.20 à 4.40) : http://www.saintquentintv.fr/

Nous n'irons plus au Larzac.

Il y a quelques années, me rendant en voiture à Montpellier, j'ai rencontré sur ma route un écriteau indiquant "Plateau du Larzac". Toutes les années 70 me sont alors revenues à l'esprit : la lutte contre l'Etat, la critique de la famille, l'amour libre. Aujourd'hui c'est terminé : on réclame plus d'Etat, plus de sécurité, la famille est une valeur-refuge et le sexe est devenu un marché sur internet. Mes pensées nostalgiques se sont vite dissipées. Le Larzac c'est si loin ! Le Larzac c'est fini ...

Pourtant, hier soir, au multiplexe de Saint-Quentin, en voyant le superbe documentaire de Christian Rouaud "Tous au Larzac", suivi d'un débat animé par l'écologiste Armelle Gras et le désobéissant Xavier Renou, la nostalgie m'a repris, je suis retourné avec plaisir, grâce au cinéma, dans ce formidable mouvement politique et culturel qu'a été pendant une décennie la résistance à l'extension du camp militaire (vous avez jusqu'à mardi pour aller voir ce film).

Ah le Larzac, toute une époque et quelle époque ! Au départ, le milieu n'est vraiment pas soixante-huitard : de petits agriculteurs accrochés à leurs propriétés, conservateurs et catho. Puis viennent les maos qui se font paysans parmi les paysans et veulent changer le monde. Oui, moi qui vous écris, j'ai vécu ça, un temps où des femmes et des hommes rêvaient en rouge d'une société radieuse et y sacrifiaient leur vie personnelle et professionnelle. A côté, Mélenchon ressemble à Bayrou, Poutou et Arthaud sont des sociaux-démocrates. Les maos c'était quelque chose !

Et puis est venu Lanza del Vasto, un spirituel vaguement indien, pacifiste, prêchant la non violence, voulant, lui, changer l'homme de l'intérieur, tout le contraire des maos. Mais quelle belle idée aussi, disparue aujourd'hui ! Cet espèce de prophète entraîne à sa suite l'arrivée des hippies. Le Larzac se lève, en 1972-1973, lorsque l'esprit de Mai s'éteint. Ce plateau des Causses est le refuge puis progressivement le cimetières des espoirs de 1968. L'extrême gauche y a trouvé l'occasion unique de jouer la guerre de classes grandeur nature contre un adversaire honni et redoutable, l'armée française.

Le documentaire de Rouaud rapporte une scène étonnante, complètement oubliée, la visite de François Mitterrand au Larzac en 1974, où il faillit se faire lyncher ! Pourtant, le leader socialiste campait à l'époque sur des positions très à gauche. Grande leçon de l'Histoire : l'extrême gauche s'est toujours nourrie d'antisocialisme, en s'opposant à la culture électoraliste et parlementaire du PS et du PCF.

En 1978, les maos ont disparu et les hippies ne sont plus à la mode. Il n'est plus question alors de changer l'homme ou la société. Mais les paysans du Larzac demeurent fidèles et obstinés, ils montent à pieds sur Paris, entrent dans la capitale sans banderole ni slogan, au seul son de leurs bâtons de marche frappant le sol. Ce bruit qui s'élève au milieu du silence est impressionnant : il signifie la mort politique d'un mouvement désormais réduit à ses revendications foncières initiales.

Ironie de l'Histoire : le Larzac a gagné grâce à l'homme qu'il avait pourtant hué. C'est François Mittterrand, après son élection en 1981, qui annule le projet d'extension du camp militaire. Ce qui avait commencé dans un esprit de révolution se termine par un décret gouvernemental d'un simple réformiste. Le Larzac depuis est laissé au vent, aux moutons et à nos rêves perdus. Son histoire est triste comme la vie. La politique sans les maos ni Lanza del Vasto est devenue une envie de maire-adjoint et de conseiller général. C'est fini, nous n'irons plus jamais au Larzac.

jeudi 9 février 2012

Une poignée de main.

Deux hommes qui se serrent la main, c'est banal, on le voit tous les jours. En même temps ce n'est pas si banal que ça : la plupart des gens que je croise dans la journée, je ne leur serre pas la main, je les salue de la tête et de la voix. C'est encore moins banal quand les deux personnes sont des adversaires qui s'apprêtent à se livrer à un combat à mort, dans lequel il y aura inévitablement des coups bas, parce que la politique est comme ça depuis la nuit très noire des temps. Vous m'avez compris : je veux parler de François Hollande et de Nicolas Sarkozy, qui se sont hier serrés la main lors du traditionnel dîner du CRIF (Conseil représentatif des institutions juives de France).

La presse évoque ce matin la rencontre comme un petit événement alors qu'il ne s'est rien passé : deux hommes seulement qui se sont salués. Mais l'importance accordée à cette poignée de main n'est pas usurpée. L'image n'est pas anodine : elle a un sens profond, deux mains qui se touchent et qui s'étreignent c'est beau. Je pense à la chanson : "Si tous les gars du monde voulaient s'donner la main ..." C'est un symbole de fraternité. Dans l'adversité ? Mais oui, car ce n'est pas contradictoire. La politique n'est pas la guerre civile, le débat n'est pas un combat, la démocratie n'est pas un ring. Voilà ce que nous dit cette photo aujourd'hui dans nos journaux. Et c'est très heureux. Se serrer la main c'est faire la paix, c'est reconnaître l'autre, c'est lui adresser une forme d'estime qui n'empêchent pas la suite, la lutte pour le pouvoir et pour emporter l'adhésion des Français.

Il y a bien sûr des poignées de main qui sont malheureuses, celle de Pétain à Hitler, fausse poignée de mains d'ailleurs, comme le plus fort dans la cour d'école s'amuse à écraser la main du plus faible. Il y a la poignée de main électorale, que l'homme politique adresse à tout le monde, à n'importe qui, qu'il ne connaît pas, qu'il ne regarde pas. C'est plus précisément ce qu'on appelle du serrement de louche puisque la partie de votre corps ainsi manipulée ne ressemble plus à une main. Pourtant, la main est chez l'homme ce qu'il y a de plus fin, de plus subtil, de plus humain après les yeux.

Il y a plusieurs façons de serrer les mains : certains vous empoignent au point de vous prendre presque en même temps l'avant-bras, d'autres au contraire vous attrapent le bout des doigts en laissant filer le reste de la main. Il y a aussi la façon des enfants et des amoureux qui s'aiment trop pour se serrer la main mais qui se prennent par la main. J'ai en mémoire l'étrange scène de ce qu'on appelle très justement le couple franco-allemand, François Mitterrand et Helmut Kohl main dans la main, comme des écoliers ou des amants, en signe de paix et de réconciliation après trois conflits barbares et meurtriers qui ont opposé nos deux peuples. Hollande-Sarkozy hier soir c'était un autre sens, c'était moins fort mais pas moins beau.

Revenons-y : leur poignée de main n'était pas de pure politesse, comme lorsqu'on croise quelqu'un et qu'on ne peut pas faire autrement que le saluer. Chacun était assis à sa table, dînant et discutant, ils auraient pu l'un et l'autre s'ignorer, rester à leur place. L'un des deux a dû faire le premier pas, ce qui ne va jamais de soi, en amour comme en politique (j'ai en tête la très belle chanson de Claude-Michel Schönberg, "Le premier pas"). François Hollande avait peut-être à l'esprit non pas ce chanteur mais la phrase qu'il avait entendue dans le discours de Nicolas Sarkozy, à propos du rapprochement israélo-palestinien : "Qui doit commencer, faire le premier pas ? Celui qui tend la main est-il un naïf ou un fort ?" François a manifestement choisi la force à la naïveté : il s'est levé, il a marché, il a salué.

Ce n'était pas évident. Le protocole est muet dans ce cas particulier. Etait-ce au chef de l'Etat ou au candidat socialiste d'entamer la démarche ? Hollande a bien fait, c'est conforme à son image de rassembleur, d'homme qui ne cherche pas inutilement la crispation et le conflit. A Saint-Quentin, je suis toujours attentif au comportement de nos élus en matière de poignée de main. Car c'est leur job, malheur à celui qui ne s'y plie pas ! Dans une manifestation publique, je ne me dirige pas vers les élus, de la majorité ou de l'opposition, je ne suis pas un sujet en monarchie mais un citoyen en République, je n'ai pas à faire la révérence, j'attends qu'ils viennent à moi, les obligés ce sont eux. Je n'aime pas trop non plus ceux qui ne saluent que les proches, les copains et ignorent les autres ; ce n'est pas républicain c'est clanique.

Je vous salue bien, tous.

mercredi 8 février 2012

Un Parisien à St-Quentin.

En remontant la rue d'Isle à Saint-Quentin, vous pouvez en toute fin d'après-midi croiser un homme qui la redescend. Il marche vite, est visiblement pressé : pas de doute, dans cette direction un seul objectif, la gare pour prendre le train. L'homme est habillé de sombre, le pantalon bien coupé, la veste et la chemise ajustées au corps. Il ne regarde pas les passants, il est plongé dans ses pensées, ses yeux balaient le sol. Sa démarche, son rythme, son allure ne sont pas d'ici. On dirait quelqu'un qui marche dans les rues de Paris ou les couloirs du métro. Les Saint-Quentin ont un pas beaucoup plus lent et surtout ils observent ceux qui les croisent, recherchent un visage ami.

L'homme qui redescend le soir la rue d'Isle a l'aspect encore juvénile quoique il ne soit pas un jeune. Un petit sac à dos l'accompagne et apporte une touche d'originalité. Si vous l'entendiez parler, vous trouveriez qu'il parle bien, et sans le moindre accent picard. Quel est cet homme que j'aperçois depuis une dizaine d'années suivre le même chemin, qu'il parcourt dans l'autre sens le matin ? C'est Hervé Cabezas, conservateur du musée Antoine-Lécuyer. C'est un monsieur qui vient de Paris, ça se sent et ça se voit. Quand j'étais enfant, j'avais aimé un film avec Jean Lefebvre, "Un idiot à Paris". Hervé Cabezas, c'est un Parisien à Saint-Quentin.

Hier soir, il donnait une conférence dans son musée. Habituellement, il laisse la place à des invités. Là c'était lui, pour nous parler de Voltaire, de Rousseau et de leurs relations avec Maurice-Quentin de La Tour. Dans ce genre d'intervention, le ton joue beaucoup : Hervé Cabezas a été vif, frais, spontané. Le timbre de la voix exprimait tout l'intérêt, la passion même qu'il porte à son sujet. Par moments il prenait la voix de Voltaire comme un comédien interprétant un rôle.

Des gravures passaient sur un grand écran qui barrait la grande salle du musée entre ses colonnes. Le conservateur devait aller de la lecture de ses notes au maniement de l'ordinateur pour faire avancer les images. C'est un exercice délicat. Hervé Cabezas se perdait régulièrement dans ses papiers à la recherche d'un fil directeur qu'il avait perdu, sa parole dépassant largement son texte. Il aurait dû continuer dans l'improvisation où il excelle. A la fin, il s'est excusé devant moi de n'être pas "un professionnel de la parole". Pas de quoi : c'était très bien.

J'ai ainsi appris que Maurice-Quentin de La Tour n'habitait pas très loin de Voltaire dans le quartier de Paris qui est aujourd'hui celui de Beaubourg, cette proximité géographique expliquant que le philosophe ait fait appel au peintre. Hervé Cabezas a illustré ce propos par une petite vidéo montrant les lieux, centre Pompidou et église Saint-Merri, s'excusant juste après pour ce "gadget", comme s'il n'était pas digne d'un conservateur de musée. Moi j'ai pourtant aimé.

Jean-Jacque Rousseau a reconnu en Maurice-Quentin de La Tour "le seul qui m'ait peint ressemblant", même s'il a rendu plus hommage à sa probité qu'à son talent. Le célèbre portrait de celui dont on fête cette année les trois-cents ans a permis de promouvoir son auteur dans le monde entier. A la fin de la soirée, Hervé Cabezas a brusquement quitté les participants avec lesquels il était en train de s'entretenir. C'est que le technicien s'apprêtait à ranger le grand écran et que les mouvements de celui-ci menaçaient dangereusement les murs et les peintures : on n'est pas conservateur pour rien. Avant de redescendre la rue d'Isle et de rejoindre la capitale, Monsieur Cabezas n'a qu'une préoccupation, qu'une passion, qu'une vie : son musée !

mardi 7 février 2012

Le grand méchant froid.

C'est reparti comme en 40 ! ou plutôt comme ces derniers hivers. Car c'est bien d'une guerre dont il s'agit en France, avec ses victimes et ses morts, ses routes coupées, ses trains bloqués, ses voitures paralysées : la guerre contre le froid ! Heure par heure, la radio décrit l'avancée du front c'est à dire du froid. Les cartes d'état-major ne sont plus plantées de petits drapeaux mais de températures. L'ennemi ne progresse plus en kilomètres mais en millimètres de neige. "La France a peur" disait Roger Gicquel dans les années 70. Aujourd'hui la France a froid !

Le langage lui-même s'en ressent, les mots eux aussi sont pris par le froid. Impossible de rencontrer quelqu'un, surtout ceux qui n'ont rien à dire et qui sont nombreux, sans qu'il vous parle du froid pour s'en étonner et s'en plaindre. Il va falloir changer l'expression "parler de la pluie et du beau temps" visiblement passée de mode. Le vocabulaire d'usage est à la mesure de notre peur : "vague de froid" (un peu comme un tsunami sans eau), "épisode neigeux" (on se croirait dans une série télévisée), "vigilance", "alerte". Pour qualifier l'ennemi, vous avez le choix : ce grand froid est "glacial", "polaire" ou "sibérien".

Cette année, j'ai remarqué que "sibérien" avait la cote, peut-être à cause du succès du livre de Sylvain Tesson, la récente année de la Russie ou une réminiscence de Michel Strogoff. Quoi qu'il en soit, nos températures françaises actuelles n'ont rien à voir avec celles de la lointaine et terrible Sibérie. Mais qu'importe : est vrai ce qu'on désire être vrai et non pas ce qui est vrai, comme le pensait en substance le philosophe Baruch Spinoza.

Hier soir c'était carrément l'angoisse, nommée "pic d'électricité", avec cette hantise d'une France sans énergie, plongée dans l'obscurité, retournant à la chandelle et à la grosse laine. Rien ne s'est évidemment passé, pas de "pic", nous avons tous continué à consommer comme d'habitude mais la France s'est offerte une jolie peur, une peur bleue c'est le cas de le dire, qui a fait ressortir toutes nos phobies et qui prouve à quel point nous sommes attachés à la société de consommation (les écolos ont encore du boulot !).

Une nouvelle distinction conceptuelle est apparue chez les météorologues, qui sont aujourd'hui aussi importants et écoutés que les théologiens au Moyen Âge : la température réelle et la température ressentie. C'est assez simple : il fait froid mais vous avez l'impression qu'il fait encore plus froid. Vous êtes dans les Yvelines mais vous avez le sentiment d'être en Alaska. On retrouve la pensée de Spinoza : ce n'est pas la réalité qui compte mais la perception que vous en avez. Voilà pourquoi votre fille est muette et la France se les gèle ! L'individualisme s'est introduit dans les variations saisonnières.

La traduction vestimentaire de ce phénomène psychologique, c'est la mode ridicule de la chapka, apparue il y a deux ou trois ans, depuis que la France a décidé, à la risée des pays nordiques, de faire du froid son ennemi. Ce chapeau avec ses oreilles poilues nous donne des gueules d'épagneul, nous fait ressembler aux Dupondt d'Hergé déguisés en Russes ou en Scandinaves.

Cette singulière réaction des Français à l'égard d'un hiver tout à fait normal révèle trois contradictions que notre société a du mal à assumer :

1- Notre système économique et social a beau être moderne, il n'a pas supprimé des scandales aussi anciens que l'humanité : la vieillesse, la maladie, la pauvreté existent toujours, le froid qui est sans pitié nous le rappelle alors que nous préférerions ne pas les voir.

2- Nous pensions avoir à peu près maîtrisés la nature : les animaux ont cessé d'être des dangers, le feu, l'eau et le vent ne menacent plus guère, peuvent être arrêtés, dominés. Mais contre le froid l'homme moderne est impuissant, inefficace. C'est le dernier élément qui ne se plie pas à la volonté humaine. Et ça nous ne l'acceptons pas.

3- Notre société ne repose pas comme on le croit sur la liberté, encore moins sur l'égalité mais sur le confort qui est notre enfant chéri. "Froid moi ? Jamais !" c'est la fière publicité d'une marque de sous-vêtement, c'est le désir de toute la société moderne. Autrefois, il n'y a pas si longtemps, les gens avaient souvent froid, personne ne songeait à s'en lamenter, c'était dans l'ordre des choses, la fin de l'hiver était une réjouissance. Aujourd'hui, dans mes activités associatives, je sais d'expérience qu'on est prêt à me pardonne beaucoup de choses mais pas un léger courant d'air, un petit air frais, une température de salle qui ne serait pas ambiante.

On va où comme ça ? Vers une France morte de ridicule à défaut de honte et à force de trembler de froid autant que de peur.

lundi 6 février 2012

La République sans Le Pen.

L'hypothèse d'une absence du Front national à l'élection présidentielle a pris sérieusement corps ce week-end. L'extrême droite elle-même joue avec cette perspective en mettant en avant sa difficulté à réunir les parrainages nécessaires pour concourir. Nous sommes évidemment dans un bluff récurrent : à chaque présidentielle le FN a agi ainsi, pour finalement se présenter à la candidature sans aucun problème. Sauf que cette fois, il me semble que nous passons du bluff à la manipulation.

De fait, il n'y a pas de raison que l'extrême droite n'obtienne pas ce qu'elle a auparavant à chaque fois obtenu, en 1988, en 1995, en 2002 et en 2007. D'autant que le FN a gagné en électeurs et en puissance et que l'image de Marine Le Pen l'a hélas très largement dédiabolisé. Je suis surpris de ne voir personne émettre une hypothèse pourtant de bon sens : Marine Le Pen renonce volontairement à chercher ces signatures de maires qu'elle pourrait récolter facilement, tout simplement parce qu'elle n'a pas l'intention de participer à l'élection présidentielle !

Mais pourquoi ? Parce qu'elle n'a pas grand-chose à y gagner et beaucoup à perdre. Le challenge du FN serait de réitérer l'exploit de 2002 : être sélectionné pour le second tour. Marine Le Pen sait que ses chances sont réduites d'atteindre cet objectif. L'Histoire ne se répète pas. Et même si elle se répétait, qu'est-ce que l'extrême droite y gagnerait ? Le Pen en 2002 a été au second tour écrasé à 20 contre 80. La fille n'a pas envie de remettre les plats. Quant à être exclu au soir du premier tour (hypothèse hautement probable), ce serait la honte pour elle, faisant moins bien que son père malgré ses efforts de modernisation du parti et de l'idéologie.

En ne se présentant pas, Marine Le Pen évite une nouvelle défaite désespérante et réussit surtout un joli coup : passer pour une victime du système, devenir un martyr de la République, créer le scandale, déstabiliser la démocratie, mettre l'opinion de son côté. Son objectif : pas les présidentielles mais les législatives. Car c'est lors de cette dernière élection que le Front national peut espérer obtenir du pouvoir c'est-à-dire des places de députés, faire son entrée au Parlement et le transformer en formidable tribune pour sa propagande. L'intérêt de Marine Le Pen, son véritable avenir ce sont les législatives, pas les présidentielles.

Capitalisant le mécontentement provoqué par son absence délibérée à la présidentielle qu'elle saura présenter comme un injuste rejet, Le Pen pourra escompter sur un mouvement de sympathie en sa faveur qui lui permettra d'arracher plusieurs circonscriptions. Son véritable adversaire c'est l'UMP, qu'elle fera tout pour faire battre (les responsables locaux du FN le disent ouvertement). Une fois Hollande au pouvoir et la droite républicaine en déroute, il s'agira pour le Front national de se présenter en première et seule force d'opposition à la gauche. C'est sa stratégie et son rêve depuis toujours. Pour la gauche et pour tous les démocrates, ce serait un cauchemar.

dimanche 5 février 2012

Paroles d'ouvriers.

C'est quoi un socialiste ? Une oreille de classe moyenne à l'écoute de la vérité qui sort de la bouche des ouvriers. En tout cas ça devrait être ainsi. Encore plus à Saint-Quentin, ville de gauche qui se donne depuis dix-sept ans à la droite. C'est pourquoi il est indispensable pour un socialiste de lire l'enquête de Nicolas Totet dans le Courrier Picard d'hier, qui laisse s'exprimer les ouvriers saint-quentinois sur la présidentielle.

Les propos sont édifiants, je vous en livre en vrac quelques-uns significatifs : "Ce serait bien que ce ne soit pas toujours les mêmes qui payent ... Je ne crois plus en personne ... C'est toujours l'ouvrier qui trinque ... Ce n'est pas parce qu'on changera de président que ça ira mieux ... La politique on n'en parle pas à l'usine ... On sait pour qui on ne va pas voter ... C'est tellement compliqué la politique ... Tout augmente sauf les salaires ... On est mal barré, on ne sait pas trop sur quel pied danser".

Et puis il y a cette phrase terrible, l'une des rares indications de vote dans ces paroles d'ouvriers : "Je n'ai pas fait mon choix entre Mélenchon et Le Pen, ça dépendra de leurs meetings". Terrible parce que signe d'une confusion totale, d'une perte de repères politiques et idéologiques lorsqu'on hésite entre l'eau et le feu. Christophe Tézier, dans son billet de L'Aisne Nouvelle d'hier, fait part de ce même constat : "Tous les jours, la classe ouvrière est harcelée par deux prétendants. Jadis chasse gardée de la gauche, son coeur balance aujourd'hui entre Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen".

Ces paroles d'ouvriers doivent interpeller les socialistes. L'enjeu est de devenir audible à notre électorat historique. Après les débats Hollande-Juppé et Aubry-Fillon ou l'intervention dimanche dernier de Nicolas Sarkozy, les observateurs se sont félicités de la haute tenue des échanges, du bon niveau dans la précision et la technicité. Ce que je remarque, c'est la différence avec les présidentielles précédentes : les discours n'atteignaient pas en effet un tel degré de précision et de technique dans les argumentations (allant jusqu'à des détails probablement fondamentaux mais peu parlants pour la plupart des citoyens).

En 2007, Ségolène Royal avait su toucher le coeur des jeunes de banlieues, Nicolas Sarkozy par des formules simples et efficaces s'était rallié une partie de la classe ouvrière. J'ai l'impression qu'aujourd'hui les grands candidats ont oublié toute pédagogie, qu'ils se refusent à faire vibrer la corde des sentiments, qu'ils font assaut entre eux de performance technicienne. Leurs développements truffés de chiffres (j'ai envie d'écrire truqués de chiffres tellement on peut leur faire dire n'importe quoi) me sont particulièrement insupportables : si j'étais meneur de débats politiques, j'interdirais le recours aux chiffres, exigeant qu'on ne parle que d'idées et de projets. La politesse et l'élégance consistent à être compréhensible de tous. Ces manies aristocratiques (comme telles étrangères à nos bourgeois) sont aussi des vertus républicaines auxquelles je m'astreins dans mon métier et mes activités associatives. Ce devrait être le premier devoir des politiques : être accessible à tous par le langage.

Laisser la pédagogie à la démagogie des extrêmes, abandonner les valeurs pour les statistiques sont des crimes envers la classe ouvrière qui n'entend rien à ce qu'on lui dit, la classe moyenne ne comprenant parfois pas mieux mais faisant semblant, la petite bourgeoisie ayant besoin de montrer qu'elle est aussi intelligente que la grande et qu'elle peut aussi bien qu'elle cultiver les apparences (c'est ma définition morale du bourgeois : tout individu qui fait semblant, à quoi j'oppose la sincérité ou le silence ouvriers).

Je saisis bien les nécessités de nos principaux candidats : Sarkozy a un bilan à défendre et Hollande une crédibilité à démontrer. Ajoutez à ça le contexte économique et budgétaire et le discours technocratique s'en trouve justifié. Mais ce n'est pas politiquement une raison. Si nos candidats ne se mettent pas à la portée du peuple, le peuple se mettra à la portée d'autres candidats. Personne n'y gagnera, ni le peuple, ni la République.

samedi 4 février 2012

Tour de France.




Nous étions une bonne centaine de responsables d'associations et d'entreprises saint-quentinoises ce matin au centre Matisse pour préparer la venue du Tour de France dans la ville, le 5 juillet prochain. La rencontre a été menée de main de maître, comme toujours, par Luc Dufour, remarquable de clarté et de précision. Il nous fait ressentir la puissance et l'efficacité de l'organisation.

Comme il y a six ans, je participerai. A première vue mes préoccupations sont loin du sport ; en réalité elles m'y ramènent. J'ai fait pendant longtemps du vélo de randonnée et le Tour de France, l'événement sportif national le plus connu à travers le monde, me passionne en tant que mythe et symbole. Les plus grands écrivains ont célébré dans d'admirables pages cette épopée moderne, la chanson s'en est emparée, le cinéma l'a mise en scène. C'est ce côté-là, culturel, qui m'intéresse.

Je suis également touché par la dimension populaire du Tour de France. Quand il passe dans une ville, même si vous n'aimez pas particulièrement le cyclisme, vous ne pouvez pas rester indifférents, vous vous déplacez, vous allez voir passer le peloton. Pourquoi ? Parce que le Tour est à la France ce que la tragédie était à la Grèce antique : une lutte entre des extrêmes, une bataille de géants, un mélange de joie et de souffrance, le jeu du hasard et de la fatalité, l'épreuve de la volonté morale et de la force physique, bref les ressorts fondamentaux de la tragédie dont le Tour de France est la moderne version. On ne retient de la course cycliste que son aspect ludique, convivial, festif : on oublie que c'est essentiellement une tragédie qui se joue sur la route et dans les roues.

Enfant, j'ai grandi dans le duel Eddy Merckx - Raymond Poulidor, qui n'était pas seulement sportif mais métaphysique, prompt déjà à me faire philosopher : Merckx c'était le meilleur, le premier, une machine à gagner mais une tête pas sympa, sans sourire, le regard baissé quand on l'interviewait et un nom qui sonnait mal. Poulidor c'était tout le contraire : un nom qui chante, le bon gars toujours souriant, les yeux pétillants, tellement sympa qu'on lui avait attribué un surnom aussi simple qu'affectueux, Poupou, mais jamais premier malgré ses efforts, ayant contre lui le destin ... et Eddy Merckx.

Toute ma vie j'entendrai résonner dans ma tête ce cri d'encouragement : allez Poupou ! C'est plus qu'un appel du coeur, c'est une leçon de morale : l'injustice qui frappe le bon au profit du meilleur. Mais entre le bon et le meilleur, quelle différence ? Poulidor aurait largement mérité d'être ce qu'il n'a jamais été : le premier. Cette question me hante jusqu'à aujourd'hui : pourquoi un bon n'est-il pas le premier ? La seule explication m'est inacceptable : la fatalité, le concours cruel des circonstances. Raymond Poulidor restera à jamais l'éternel second.

Ma seule consolation et la sienne sûrement, c'est qu'il a été aimé, qu'il est devenu beaucoup plus populaire qu'Eddy Merckx, comme si le peuple voulait faire mentir la décision arbitraire des dieux (parlons ainsi puisque nous sommes en pleine tragédie grecque). Battu mais aimé ou gagnant mais laissant indifférent, le choix est cornélien, comme cette fois dans la tragédie classique française. Etre Poulidor ou Merckx ? c'est peut-être la seule vraie question de notre existence.

vendredi 3 février 2012

Tout est pédagogique.

On apprend tous les jours. Aujourd'hui j'ai appris un nouveau concept : la gifle pédagogique. Je connais la paire de gifles et je pratique la pédagogie par métier. Mais l'association des deux m'avait jusqu'à présent échappé. Le coup est parti d'un maire excédé par un probable jeune merdeux qui n'a sans doute eu que ce qu'il méritait. De là à plaider la pédagogie devant un tribunal, il y a un pas hasardeux.

La claque est le résultat d'une légitime colère, elle ne peut pas être un acte pédagogique prémédité ! Il est étrange que l'accusé n'argumente pas l'irresponsabilité de l'énervement, beaucoup plus convaincante. La justice fera son travail : elle condamnera ce geste de violence et aura bien sûr raison. Les nerfs ne justifient rien et la pédagogie encore moins. Il n'y a pas de petites ou de grandes violences, d'inoffensives ou de graves : toutes tombent sous la loi. Le fait est une chose (chacun doit assumer ses mouvements d'humeur qui ont leurs raisons), la règle en est une autre (elle ne peut pas absoudre une agression physique, quels que soient ses motifs, même honorables).

Mais après tout, la pédagogie est peut-être extensible. En politique par exemple, la gifle aurait son utilité : Marine Le Pen fait une bonne tête à claques. Pour elle, il faudrait en réserver plusieurs. A Saint-Quentin, j'aimerais me faire la main sur Antonio Ribeiro, surtout lorsqu'il porte ses insupportables lunettes noires (porter des lunettes de soleil quand il fait à peine soleil mérite au moins une claque). A gauche aussi cette pédagogie pourrait être prodiguée mais les têtes auxquelles je la réserve n'ont pas assez de notoriété pour que je puisse les citer.

Finalement, est pédagogique tout ce qui fait mal (ce qui fait du bien n'apprend rien). De ce point de vue, la défaite en politique est beaucoup plus formatrice que la victoire. C'est pourquoi je souhaite à tous mes adversaires de perdre à répétition, dans leur intérêt évidemment. L'injure aussi est puissamment pédagogique : c'est un grand moment de vérité qui blesse son destinataire parce qu'elle lui apprend quelque chose sur lui-même (si l'injure était mensongère, elle n'aurait aucun effet, ne susciterait aucune réaction). Si j'avais à insulter la fille Le Pen, je choisirais le terme de grognasse, qui lui va bien je trouve (elle grogne, elle jappe, elle essaie de mordre, elle ne propose rien).

Gifle ou pas, la pédagogie est un art difficile. J'en viens presque à me demander si tout n'est pas pédagogique dans la vie. Mais la meilleure pédagogie est encore celle qu'on s'applique à soi-même, dans une sorte d'auto-évaluation. On devrait être capable de s'injurier quand on se regarde dans le miroir, ce qui déchargerait les autres de cette tâche ingrate. Il m'arrive personnellement de m'y adonner, mais je n'en abuse pas.

jeudi 2 février 2012

Farine Le Pen.

Le jet de farine (l'enfarinage, comme disent bizarrement les médias) contre Français Hollande est bien sûr un incident mineur, les risques du métier selon la victime. Mais il ne faut pas sous-estimer ou prendre à la légère cet acte plutôt rare, qui porte atteinte à la personne même si le fait est sans gravité, qui s'en prend symboliquement au possible futur président de la République. Le geste est révélateur d'un climat plutôt préoccupant.

La personne incriminée a été un peu trop vite rangée dans la catégorie des cas pathologiques (c'est classique dans une société qui ne croit plus qu'en la psychologie). Mais ce passage à l'acte, sans doute inhabituel, est aussi autorisé ou encouragé par la disqualification qui frappe la classe politique. Ce n'est pas de l'anarchisme à la façon du célèbre entartreur belge de personnalités. C'est beaucoup plus inquiétant : une montée d'hostilité envers les hommes politiques qui se traduit inévitablement par des comportements transgressifs.

Le choix de la farine n'est pas innocent (un verre d'eau n'aurait pas eu le même effet symbolique). Qu'a-t-on voulu ? Transformer François Hollande en clown blanc ou en fantôme, le rouler dans la farine la veille de la Chandeleur ? C'est le ridicule qui est recherché. L'intention est de dégrader, de rabaisser, pas simplement de contester. Aussi minime soit-elle (la farine aveugle mais ne fait pas mal), cette agression est insupportable, sa signification est inacceptable.

Le respect dû aux hommes politiques (comme à n'importe quel citoyen) est à la base de la démocratie. Je n'ai pas le coeur à en rire. La mentalité républicaine exige de tous ce respect. Quand Nicolas Sarkozy a doucement traité de pauvre con un quidam au salon de l'agriculture, on oublie que c'est parce que l'individu en question avait renoncé à la courtoisie républicaine élémentaire qui consiste à répondre à la poignée de main du chef de l'Etat. Celui-ci a eu parfaitement raison de réagir négativement, sauf qu'il aurait dû le penser mais ne rien dire. L'attitude indigne méritait l'indifférence et le mépris, pas l'insulte, encore trop belle pour elle.

Je crains que ces gestes hostiles à l'égard de nos hommes publics ne se multiplient. Deux facteurs y contribuent : l'existence d'une extrême droite qui passe son temps à dévaloriser et à déligitimer la classe politique, la présence d'une culture médiatique de la dérision qui prend plaisir à enfariner (là pour le coup j'emploie l'expression) les hommes politiques pour en faire des guignols. A quoi s'ajoute une parole politique contemporaine qui s'est considérablement lissée, aseptisée, dévitalisée. La conséquence en est que le geste a pris la relève, violent à la place du verbe. Cette histoire de farine est plus préoccupante qu'elle ne le laisse paraître. La République n'est pas en danger mais elle est offensée, quoique en pensent les rieurs.