dimanche 26 février 2012

La Maison de Boston.

Tous les Saint-Quentinois connaissent la Maison de la Presse, place de l'Hôtel de Ville, même ceux qui ne s'intéressent pas à la presse : son auvent permet de s'abriter les jours de pluie, ce qui est pratique à Saint-Quentin. C'est un lieu facilement repérable pour se donner rendez-vous. Non loin de la vitrine, les militants de Lutte ouvrière y vendent depuis des années leur journal chaque samedi, jour de marché (du moins jusqu'à présent puisque le conseiller municipal Ribeiro, très porté sur le règlement applicable aux autres, veut les en virer). Sur le bitume, devant la Maison de la Presse, parfois à plusieurs mètres de l'entrée, vous pouvez tomber sur des jouets alors qu'aucun enfant ne se signale à votre attention : ce sont les amusements de la vedette de l'endroit, bien connue des clients et des passants, Boston.

Qui est Boston ? Il est tout blanc, le poil long, une grande gueule et un foulard rouge de cow-boy autour du cou. C'est le chien du patron, Monsieur Tison. Je n'aime pas trop les chiens, ils me font peur, j'ai toujours l'impression qu'ils vont me mordre. Pas Boston : c'est un bon gros chien pas méchant qui me fait penser à Belle et Sébastien. Il a une qualité que j'apprécie beaucoup chez les chiens et qui est assez rare : il n'aboie pas, même quand l'un de ses congénères pénètre dans le magasin. La plupart du temps, Boston garde la porte d'entrée. Les clients le saluent d'un "bonjour Boston!", parfois le caressent. Il est ici chez lui, c'est sa maison.

Hier après-midi, j'étais dans la Maison de Boston, pendant trois heures, pour dédicacer mon ouvrage "Les Saint-Quentinois sont formidables". Les ventes ? Ça marche bien, merci. Mais un auteur en veut toujours plus et a envie de faire partager son travail. Voilà pourquoi je m'astreins à une petite promo qui fait selon moi partie du métier. Je remarque que le commerce ne va pas nécessairement de pair avec la notoriété : beaucoup de gens viennent me saluer, discuter, me connaissent alors que je ne les connais pas forcément. Ce n'est pas pour autant qu'ils vont acheter. On dit qu'il faut être dur en affaires, mais ce sont les affaires qui sont dures.

Certains visiteurs me demandent si l'ouvrage est politique. Comme quoi la notoriété a aussi des revers ! Mon étiquette de socialiste est indécollable. Ça ne me dérange pas, je suis libre et fier de mes opinions, nous vivons en République. Mais il ne faut pas tout confondre et mon identité ne se résume pas à mon engagement : non ce livre n'est pas politique, encore moins socialiste. Monsieur Tison croyait même que j'étais élu municipal. Désolé, je ne suis que moi dans cet ouvrage, au service des autres. C'est amusant de voir à quoi vous réduit l'opinion : socialiste ou prof de philo en ce qui me concerne. Comme si on ne pouvait pas m'imaginer autrement ...

La Maison de la Presse, c'est un bon observatoire de la vie saint-quentinoise, une idée de chapitre pour un prochain volume. Les commerçants se plaignent souvent d'un manque de clientèle : chez Monsieur Tison, la boutique n'est jamais vide, jamais calme, les aller et venue sont permanentes, la caisse ne désemplit pas. On vient surtout acheter la presse locale et le journal L'Equipe. Les gens sont polis, disent bonjour, et pas seulement à Boston. C'est finalement un lieu de convivialité : des personnes discutent avec les caissières de tout autre chose que de presse ou de librairie.

Pas d'incident, même minime, en trois heures de temps, dans un lieu public de passage permanent : le fait est rare. Pourtant si, un seul petit incident, plutôt amusant : une dame âgée entre et le portail sonne comme pour un voleur ! Elle n'a rien pu voler puisqu'elle vient d'entrer, mais elle veut savoir. L'employée lui explique que c'est une étiquette avec pastille électronique qui déclenche le boucan accusateur. La dame enlève son manteau et le passe devant la machine : aucun bruit. Puis son foulard : rien. Son gilet : non plus. Elle ose se déchausser : les souliers restent muets. Elle arrête là son strip-tease inopiné en disant en riant que c'est peut-être dans sa culotte que se trouve la clé du mystère ! Ça se passe comme ça à la Maison de la Presse : Boston se tait mais il arrive que la porte crie sans raison ...

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