mercredi 8 février 2012

Un Parisien à St-Quentin.

En remontant la rue d'Isle à Saint-Quentin, vous pouvez en toute fin d'après-midi croiser un homme qui la redescend. Il marche vite, est visiblement pressé : pas de doute, dans cette direction un seul objectif, la gare pour prendre le train. L'homme est habillé de sombre, le pantalon bien coupé, la veste et la chemise ajustées au corps. Il ne regarde pas les passants, il est plongé dans ses pensées, ses yeux balaient le sol. Sa démarche, son rythme, son allure ne sont pas d'ici. On dirait quelqu'un qui marche dans les rues de Paris ou les couloirs du métro. Les Saint-Quentin ont un pas beaucoup plus lent et surtout ils observent ceux qui les croisent, recherchent un visage ami.

L'homme qui redescend le soir la rue d'Isle a l'aspect encore juvénile quoique il ne soit pas un jeune. Un petit sac à dos l'accompagne et apporte une touche d'originalité. Si vous l'entendiez parler, vous trouveriez qu'il parle bien, et sans le moindre accent picard. Quel est cet homme que j'aperçois depuis une dizaine d'années suivre le même chemin, qu'il parcourt dans l'autre sens le matin ? C'est Hervé Cabezas, conservateur du musée Antoine-Lécuyer. C'est un monsieur qui vient de Paris, ça se sent et ça se voit. Quand j'étais enfant, j'avais aimé un film avec Jean Lefebvre, "Un idiot à Paris". Hervé Cabezas, c'est un Parisien à Saint-Quentin.

Hier soir, il donnait une conférence dans son musée. Habituellement, il laisse la place à des invités. Là c'était lui, pour nous parler de Voltaire, de Rousseau et de leurs relations avec Maurice-Quentin de La Tour. Dans ce genre d'intervention, le ton joue beaucoup : Hervé Cabezas a été vif, frais, spontané. Le timbre de la voix exprimait tout l'intérêt, la passion même qu'il porte à son sujet. Par moments il prenait la voix de Voltaire comme un comédien interprétant un rôle.

Des gravures passaient sur un grand écran qui barrait la grande salle du musée entre ses colonnes. Le conservateur devait aller de la lecture de ses notes au maniement de l'ordinateur pour faire avancer les images. C'est un exercice délicat. Hervé Cabezas se perdait régulièrement dans ses papiers à la recherche d'un fil directeur qu'il avait perdu, sa parole dépassant largement son texte. Il aurait dû continuer dans l'improvisation où il excelle. A la fin, il s'est excusé devant moi de n'être pas "un professionnel de la parole". Pas de quoi : c'était très bien.

J'ai ainsi appris que Maurice-Quentin de La Tour n'habitait pas très loin de Voltaire dans le quartier de Paris qui est aujourd'hui celui de Beaubourg, cette proximité géographique expliquant que le philosophe ait fait appel au peintre. Hervé Cabezas a illustré ce propos par une petite vidéo montrant les lieux, centre Pompidou et église Saint-Merri, s'excusant juste après pour ce "gadget", comme s'il n'était pas digne d'un conservateur de musée. Moi j'ai pourtant aimé.

Jean-Jacque Rousseau a reconnu en Maurice-Quentin de La Tour "le seul qui m'ait peint ressemblant", même s'il a rendu plus hommage à sa probité qu'à son talent. Le célèbre portrait de celui dont on fête cette année les trois-cents ans a permis de promouvoir son auteur dans le monde entier. A la fin de la soirée, Hervé Cabezas a brusquement quitté les participants avec lesquels il était en train de s'entretenir. C'est que le technicien s'apprêtait à ranger le grand écran et que les mouvements de celui-ci menaçaient dangereusement les murs et les peintures : on n'est pas conservateur pour rien. Avant de redescendre la rue d'Isle et de rejoindre la capitale, Monsieur Cabezas n'a qu'une préoccupation, qu'une passion, qu'une vie : son musée !

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