vendredi 30 septembre 2016

Les vertus de Bygmalion



Nous sommes sans doute nombreux à avoir regardé hier soir le documentaire très attendu sur l'affaire Bygmalion, diffusé par France 2, dans l'émission Envoyé spécial. La censure dont il a failli être victime a aiguisé notre curiosité. Aucune révélation pourtant, mais une présentation pédagogique de l'affaire. Qui en ressort gagnant ? La politique et la démocratie. Mais oui ! alors qu'on pourrait penser le contraire, supposer que cet étalage discrédite la République, conforte le rejet du système, renforce les extrêmes. Quelles sont donc les vertus de Bygmalion ?

En politique, on n'échappe pas à la vérité. Dans la vie privée, oui, le plus souvent. Je m'intéresse de moins en moins à la politique en militant, mais de plus en plus en philosophe. Et je suis fasciné par sa capacité à dévoiler le dessous des cartes. Il est très difficile de dissimuler quoi que ce soit en politique. Voilà ce que nous dit l'affaire Bygmalion, voilà sa première vertu : faire éclater, au sens fort du terme, la vérité.

La deuxième vertu de cet énorme scandale, c'est qu'il nous rappelle que les hommes sont peu de choses, que les événements les dépassent largement, que le destin est plus fort qu'eux. Voyez les protagonistes de l'affaire : Lavrilleux et Attal sont malheureux, broyés par la machine infernale qu'ils ont aidé à mettre en place. Sarkozy et Copé sont malins, ils ont laissé faire, tourné la tête, n'ont rien vu. Les uns et les autres ne sont pas des hommes libres. Ils sont pris dans l'ivresse du pouvoir et de l'argent, de l'argent qu'il faut pour conquérir ou conserver le pouvoir.

La troisième vertu de Bygmalion, c'est qu'elle prouve qu'il existe en politique une justice immanente. En regardant hier soir le documentaire, je me suis souvenu de ce que j'avais oublié, parce que la défaite l'a effacé : la mise en scène grandiose des nombreux meetings de Nicolas Sarkozy, filmés comme les moments d'une épopée, techniquement parfaits, visuellement magnifiques. Aucun président, aucun candidat dans l'histoire de la Ve République n'a atteint ce degré de maîtrise, cet esthétisme. François Hollande, à côté, c'était un amateur, un bricoleur. Et pourtant, c'est lui qui a gagné ! Grande leçon de démocratie : le peuple a bel et bien le pouvoir, il ne se laisse abuser par aucun artifice, aucun effet d'image. Le grand perdant dans l'affaire Bygmalion, c'est l'argent, qui a prouvé son impuissance face à la souveraineté des citoyens, pas influencés par la plus haute et la plus coûteuse technicité.

La dernière vertu de Bygmalion, c'est de confirmer ce que les observateurs ont depuis longtemps compris : la démocratie moderne, démocratie de masse, fonctionne avec un quatrième pouvoir, celui des médias. Sans les investigations des journalistes, pas d'affaire Bygmalion, mais le bon vieux secret d'Ancien Régime. Si beaucoup de politiques n'aiment pas les journalistes, veulent se les soumettre, c'est parce qu'ils savent qu'ils ont face à eux un pouvoir rival, qui remet en cause le leur. Sans presse vivante, sans journalistes actifs, pas de démocratie (alors que la démocratie peut très bien, par exemple, se passer de professeurs de philosophie !).

Pour tous ceux qui font de la politique et qui aiment la démocratie, le scandale Bygmalion est une cause de réjouissance, pas de désespérance ou de haine. Un dernier mot, sur l'acteur invisible et muet de l'affaire, Nicolas Sarkozy : soit il savait, et sa responsabilité le condamne ; soit il ne savait pas, et son irresponsabilité le condamne aussi. Dans les deux cas, cet homme doit s'estimer heureux d'avoir été pendant cinq ans chef d'Etat, mais il n'a aucune qualité pour le redevenir. L'affaire Bygmalion doit être vertueuse jusqu'au bout.

jeudi 29 septembre 2016

Droite et extrême droite



Que nous apprend la parution du livre de Patrick Buisson ? Rien du tout. Le bouquin est aussi peu intéressant que son auteur : il ne dit rien que nous ne savions déjà. Buisson n'est qu'un médiocre intriguant, comme il en existe un certain nombre en politique. Le pouvoir attire les mouches. Buisson n'est ni intellectuel, ni universitaire : il n'a publié aucun ouvrage remarquable, ne s'est signalé par aucune action digne d'estime.

Qui est-il ? Un plumitif d'extrême droite, qui renifle le pouvoir et l'argent à son bénéfice. Un conseiller ? Non, un profiteur. Dans les milieux politiques, ce genre de types se repèrent très vite : ils sont partout où va leur patron, on se demande ce qu'ils font là, ils n'ont pas de rôle précis, ils font les mystérieux, ils jouent les hommes de l'ombre. En vérité, ce sont des nullités qui ne servent à rien, mais qui laissent croire à leur propre importance. Sarkozy n'avait pas besoin de Buisson pour exister et agir, mais Buisson avait besoin de Sarkozy.

Cette affaire ne juge pas tant Patrick Buisson, cafard de plus dans le bocal, que Nicolas Sarkozy. Quelle faiblesse de caractère faut-il avoir, quel esprit influençable faut-il être pour prendre à ses côtés un personnage aussi sinistre et inutile que ce Buisson ! Un homme politique s'évalue aussi au proche entourage qu'il se donne. Je n'avais pas besoin de ça pour savoir que Sarkozy était mauvais, mais cette obscure présence le confirme. Comme tout individu que le néant habite, il essaie de le combler comme il peut : Buisson, c'était d'enregistrer son maître, croyant ainsi pouvoir exercer sur lui un ascendant que ce pauvre type n'a sur personne. J'ai connu des militants qui prenaient en photo leurs adversaires, pensant de cette façon leur faire peur. Ce sont des procédés de moderne sorcellerie, aussi peu efficace que l'ancienne. Qu'est-ce que la politique peut rendre con, par moment !

La grande idée de ce petit cerveau, c'est d'unir la droite et l'extrême droite. Quelle originalité ! On présente Buisson comme maurrassien, ce qui fait intelligent. Mais qui a lu Maurras et connaît ses idées, à part moi et quelques autres ? Je ne vois pas ce qu'il y a de maurrassien chez lui. Il n'y a que Sarkozy, dépourvu de toute culture, qui peut se laisser impressionner. Le bouquin de Buisson s'appelle "La cause du peuple" : pas intelligent, Buisson, mais très malin, en reprenant le titre d'un organe gauchiste, maoïste, celui de la Gauche prolétarienne, que vendaient Simone de Beauvoir et Jean-Paul Sartre sur le Boul'Mich', à la grande époque. Toujours la même tambouille des fachos, Buisson ou Le Pen : mêler les extrêmes, assaisonner leur nationalisme avec des slogans révolutionnaires, pour abuser les électeurs et les ignorants.

A l'Elysée, pendant plusieurs années, un président républicain s'est fait conseiller par un crypto-facho : étonnant, non ? Sarkozy n'était pas dupe, évidemment : son objectif à lui, encore aujourd'hui, c'est de séduire l'électorat d'extrême droite avec des thèmes d'extrême droite, parce qu'on n'attrape pas les mouches avec du vinaigre. Est-ce que ça marche ? La réponse renvoie à un débat de fond : y a-t-il porosité, continuité entre la droite et l'extrême droite ? François Mitterrand pensait que oui. Il ne croyait guère en une spécificité de l'extrême droite : pour lui, un homme d'extrême droite était quelqu'un de droite qui allait jusqu'au bout de ses idées. Moi même, il y a une trentaine d'années, lorsque je conversais avec certaines personnes de droite, je comprenais vite, sur la nation, l'autorité, l'immigration, que leurs points de vue étaient souvent proches de ceux de l'extrême droite. Quand je leur faisais remarquer et leur demandais pourquoi ils ne votaient pas FN, la réponse était toujours la même : "Le Pen est un aventurier infréquentable, il n'arrivera jamais au pouvoir, le vote en sa faveur est inutile".

Aujourd'hui, depuis que le FN a pris de l'assurance et a gagné en audience, je vois les choses différemment. Entre la droite et l'extrême droite, il n'y a pas seulement une différence de degré, mais de nature, qui les rend incompatibles. Mitterrand avait tort, en définitive. On l'a bien vu, lundi soir, au conseil municipal de Saint-Quentin. Le maire Frédérique Macarez n'est pas favorable à l'accueil de migrants dans sa ville, mais devant le vœu du FN demandant une "commune sans migrants", elle ne va pas du tout dans leur sens, les remet en place, dénonce la proposition "détestable" et surtout souligne que le propos est intolérable dans "une enceinte républicaine". Là voilà, la digue qui sépare à jamais, du moins faut-il l'espérer, la droite et l'extrême droite : c'est la République. Et il faudra sans cesse y revenir, le redire : le Front national n'est ni de près ni de loin un parti républicain. Autrefois, c'était le gaullisme qui distinguait droite et extrême droite ; aujourd'hui, c'est la République. Patrick Buisson a beau faire tous ses efforts, ils resteront vains.

mercredi 28 septembre 2016

Nous sortirons revoir les étoiles



Le documentaire d'Isabelle Debraye, "Et puis nous sortirons revoir les étoiles ...", est une belle réussite. Nous avons eu le plaisir de sa diffusion lundi soir, sur France 3 Picardie. La réalisatrice de 36 ans, qui a été formée au BTS audio-visuel du lycée Henri-Martin, s'est intéressée à la catastrophe ferroviaire de Vierzy, dans l'Aisne, en juin 1972. Son père faisait partie des rescapés, le tout dernier à être sauvé, qu'elle a donc interrogé.

Le documentaire est un genre ingrat. La fiction au cinéma est plus aisée. Et puis, prendre comme sujet un accident de train est moins facile à traiter que par exemple un crime, qui se prête mieux au récit. Eh bien, pendant 52 minutes, on ne s'ennuie pas une seconde, on se laisse prendre par les images et les commentaires, on s'émeut et on réfléchit.

J'ai d'abord été personnellement interpellé : Vierzy, sa tragédie, je n'avais jamais entendu parler, même le nom ! Bien sûr, c'est ancien et je ne suis pas natif de la région. Mais en 1972, j'avais 12 ans, l'événement aurait pu venir jusqu'à moi par les médias. Je me souviens bien de l'incendie du dancing le 5-7, en 1970, qui avait fait 146 morts ! Pourquoi pas Vierzy et ses 108 disparus, ses 240 blessés, dont 111 graves ? La mémoire est injuste, l'Histoire est sélective. Pourtant, deux trains qui s'encastrent sous un tunnel, c'est aussi horriblement spectaculaire qu'une boîte de nuit qui flambe. Mystère ...

Ce documentaire est d'une grande sensibilité, celle d'une fille à la recherche de son père, qui ne se sont cependant jamais quittés. Mais c'est un lointain passé qu'il lui faut retrouver. Dans le domicile des parents, un calendrier des Postes au mur s'est arrêté à l'année 1972. Isabelle Debraye longe les rails jusqu'à l'entrée du tunnel, parcourt la campagne environnante. On voit surtout d'elle sa magnifique chevelure blonde, dont elle fait un signe de reconnaissance. Emotion pure et simple, quand elle prononce ses mots : "mon papa".

Et quel papa ! Effacé, presque gêné d'être là, devant la caméra de sa fille. Cet homme qui a failli mourir, qui a perdu ses jambes à 22 ans, qui a tout de même fondé une famille ne se présente ni en "victime", ni en "héros", c'est-à-dire tout le contraire de nos contemporains ! Son drame, Bernard Debraye n'en parlait pas. Ce train, il ne devait pas normalement le prendre : c'était une surprise, pour être présent le jour de la fête des pères ...

Le malheur a beau frapper, il n'aura pas prise, c'est aussi ce qui ressort du documentaire. Il y a la solidarité qui s'organise, qui sauve des vies. Elle mobilise les secouristes, les infirmiers, les gendarmes, les riverains, des forains et même des "blousons noirs" (c'est ainsi qu'on appelait à l'époque, au journal télévisé, les voyous).

Enfin, il y a ce beau titre, que je prends plaisir à redire : "Et puis nous sortirons revoir les étoiles ..." Cette nuit-là, le ciel était splendide, alors que la souffrance meurtrissait Vierzy. Pour garder espoir, les secouristes levaient les yeux, pour se raccrocher aux étoiles. Il faut bien se raccrocher à quelque chose ... Isabelle Debraye a repris le dernier vers de "L'Enfer", de Dante. Oui, un magnifique documentaire, qui, mine de rien, inspire des réflexions métaphysiques.

mardi 27 septembre 2016

L'heure de vérité



En politique comme dans la vie, il y a toujours une heure de vérité. Mais on ne sait pas trop à quel moment elle va sonner. Surtout dans la vie. Peut-être à l'instant de mourir ... En politique, c'est différent. Je me souviens, il y a longtemps, d'une bonne émission télévisée, qui s'appelait "L'Heure de vérité". Un politique politique était soumis à un feu de questions, qui étaient censées faire la vérité sur le personnage invité.

C'était une émission intéressante, mais pas très convaincante. Car la véritable heure de vérité, pour un homme politique, c'est la confrontation avec l'adversaire. L'échange avec les journalistes est bien sûr nécessaire, mais il n'est pas complètement probant : journalistes et politiques ne boxent pas dans la même catégorie, il y a inégalité de départ entre eux. Pour qu'une force politique se révèle, il faut l'affronter à une autre force politique.

Quelles sont les qualités indispensables en politique ? Avoir des convictions et avoir des capacités. Si vous n'avez que des convictions, de belles et justes idées, mais aucun talent personnel pour les mettre en œuvre, vous n'êtes pas un bon. Si vous avez de nombreux talents, mais une absence de projet, de convictions, vous n'êtes pas non plus un bon. Convictions et qualités, il faut les deux.

Mais qu'est-ce qui permet de prouver que vous les avez ? Non pas un discours devant ses propres partisans, qui vous trouveront toujours très bons, même si vous êtes très mauvais. Quand on est entre soi, on peut toujours faire illusion. En revanche, face à l'adversaire, quand il faut répondre à des coups portés sans ménagement, il n'y a plus de mensonge possible : c'est l'heure de vérité. Tant que le boxeur est devant son miroir à s'entraîner, il ne sait rien de ses vraies capacités. C'est sur le ring, en pleine lumière, confronté à l'adversaire, qu'il sait vraiment ce qu'il est et ce qu'il vaut.

Cette nuit, aux Etats-Unis, sauf surprise dans les jours qui viennent, nous avons appris qui serait le prochain président : Hillary Clinton. Pourtant, cette femme a bien des défauts, fait montre parfois d'une certaine fragilité, n'est pas toujours très bonne communicante, laisse apparaître à certains moments une forme d'arrogance. Tout ça n'est évidemment pas très payant électoralement. Mais hier soir, devant Donald Trump, elle a été magistrale, elle a totalement dominé le débat, elle a prouvé qu'elle seule était digne de devenir le prochain président des Etats-Unis. Hier soir, elle avait tout pour elle : la compétence, l'expérience, la répartie, la distance et même une forme de légèreté de bon aloi quand il le fallait.

Donald Trump ? Il porte bien son prénom ! Un lourdaud, un démago, un dingo. Quand il est seul, devant ses partisans, il porte beau, fait de l'effet, amuse la galerie, impressionne les gogos. Là, et seulement là, il engrange des voix, monte dans les sondages et fait des rêves de Maison Blanche. Mais quand on le met en face d'Hillary, il n'y a pas photo : le candidat qui a du poids n'est plus celui qu'on croit. A des questions importantes qu'on lui pose, y compris personnelles, il ne sait pas répondre, il n'est pas, au sens étymologique du terme, responsable. L'heure de vérité en politique n'est pas dans le soliloque, mais dans le face-à-face.

Hier soir aussi, un autre face-à-face s'est produit, moins solennel, pas aussi symétrique et depuis longtemps répété : lors de la séance du conseil municipal à Saint-Quentin. Là, de même, les masques tombent, les convictions et les qualités, leurs limites ou leur absence, s'étalent aux yeux de tous, parfois cruellement. S'il n'y avait pas ces rencontres, on ne saurait rien de ce que valent les uns et les autres. La démocratie est pleine de surprises : la grande gueule en privé peut s'avérer piètre orateur en public ; la silhouette discrète peut se révéler d'une audace inattendue quand il faut se défendre ou attaquer.

Voilà l'heure de vérité, qu'un homme politique peut retarder, mais à laquelle il ne peut pas échapper, dès qu'il met les pieds dans l'arène. Plus j'y pense et plus je me dis qu'en politique, il n'y a pas les méchants et les gentils, comme le voudrait la légende, de gauche comme de droite ; non, il y a les bons et les mauvais. Et c'est à l'heure de vérité qu'on le sait.

lundi 26 septembre 2016

En tant que socialiste ...



Quand on est électeur et militant socialiste, a-t-on le droit de vouloir une opposition socialiste beaucoup plus socialiste ? Oui, je le crois. Je pense même que c'est un devoir. C'est en tout cas la réflexion qui m'est venue à l'esprit, en assistant ce soir au conseil municipal, le premier de l'année scolaire, la rentrée politique à Saint-Quentin, en quelque sorte. Mais que de déceptions, du côté qui est le mien !

En tant que socialiste, j'aurais aimé que l'opposition socialiste explique et prenne la défense d'une des plus grandes lois du quinquennat de François Hollande, la loi NOTRe, qui poursuit cette décentralisation qui est un objectif si cher aux socialistes. Au lieu de cela, nous avons eu une querelle technique incompréhensible entre mutualisation selon les uns et démutualisation selon les autres (des pouvoirs de la Ville et de l'Agglomération). J'aurais aimé que l'opposition socialiste réponde à l'accusation de l'élu communiste, qui prétend que la loi NOTRe transforme les Municipalités en "coquille vide", réduit la fonction des maires à "couper des rubans et déposer des fleurs". Oui, j'aurais aimé qu'un élu socialiste se lève pour dénoncer ces contre-vérités.

En tant que socialiste, j'aurais aimé que l'opposition socialiste réagisse au rapport 2010-2015 de la Chambre régionale des comptes sur l'état de notre ville, au lieu de laisser ce soin au PCF et au FN. Il y avait pourtant de quoi dire, donner son avis, tracer des perspectives.

En tant que socialiste, j'aurais aimé qu'un élu de ce Parti n'en rajoute pas dans la phobie sécuritaire, en interrogeant le maire sur la "sécurisation" (sic) de la prochaine Fête des voisins. Comme s'il n'était pas évident que les services municipaux allaient faire au mieux en la matière, sans qu'on ait besoin de leur demander ! Ce qui ne manquait pas de sel, c'est que la réaction est venue d'un élu de droite qui a au contraire déploré que "les mesures de sécurité empoisonnent la vie de nos concitoyens" (à propos de la récente braderie).

En tant que socialiste, j'aurais aimé que l'opposition socialiste s'indigne des propos de l'élue FN, qui a violemment attaqué un "réseau socialiste" ( de médiateurs sociaux), "complaisant avec les délinquants". Comment des conseillers municipaux socialistes peuvent-ils se laisser ainsi insulter ? J'avoue que c'est incompréhensible et stupéfiant ...

Mais j'ai gardé le pire pour la fin. En ce jour où François Hollande s'est rendu à Calais, où le gouvernement a mis en place un plan de répartition des migrants sur tout le territoire, il est du devoir de tout responsable socialiste non seulement de faire la pédagogie de cette politique, mais de se montrer offensif et d'avancer des propositions. Je m'attendais vraiment à ce que, en fin de conseil municipal, dans les questions orales, le sujet d'un centre d'accueil de migrants à Saint-Quentin soit évoqué, en prenant exemple sur ce que fait le député-maire socialiste de Bohain, Jean-Louis Bricout.

Nous avons eu droit à un vœu, oui, mais pas celui du PS : celui de l'extrême droite, pour demander une "commune sans migrants" ! Le maire, Frédérique Macarez, a réagi avec la dignité requise : exploiter la détresse de pauvres gens, c'est une proposition détestable dans une instance républicaine. Elle a été fort applaudie. En tant que socialiste, j'aurais tellement aimé que ce soit des socialistes qui interviennent, parce que ce combat est notre combat.

En tant que socialiste, il est difficile de vivre dans cette ville où l'opposition socialiste est si peu socialiste et si peu opposante. C'est un regret permanent, une ascèse, presque un chemin de croix.

dimanche 25 septembre 2016

100 000 Macron



Encore un week-end où Emmanuel Macron parle et fait parler ! Au "Sommet des réformistes européens", à Lyon, il a dévoilé son projet pour l'Europe : redéfinir la souveraineté européenne (au lieu d'en rester à une impossible addition de nations), consulter les citoyens pour connaître leurs attentes (au lieu de référendums qui prennent les gens pour des ânes, hi-han, oui-non), rédiger quelques orientations politiques simples (au lieu d'un pensum technique qui dissout l'Europe dans la gestion d'elle-même).

Ceux qui font la meilleure promotion de Macron, ce sont encore ses adversaires, concurrents ou rivaux : en faisant pression pour que certaines personnalités se décommandent au dernier moment, ils auront prouvé que l'ex-ministre est un homme pour eux dangereux, par sa simple parole. Bel et involontaire hommage rendu à son importance et à son influence, si grandes qu'il ne faudrait pas donner l'impression de le soutenir, en venant s'asseoir à côté de lui ou l'applaudir ... Macron s'en moque, il suit son chemin.

Hier soir, dans un long entretien sur BFMTV, il avait une incroyable patate, un charisme rafraichissant qui font du bien en ces temps de déprime nationale. Les appareils politiques en prennent pour leur grade, j'applaudis, tellement ce qu'il dit correspond à ce que j'ai vécu, à mon petit niveau. On prête à Macron ce mot, juste et drôle : "Les deux grands partis, c'est l'amicale des boulistes, mais sans l'amitié et sans les boules". En attendant, c'est lui qui leur fout les boules !

Je ne sais pas où il va, mais il y va ! Il serait question d'une candidature à la présidentielle entre le 15 novembre et le 15 décembre, et une participation aux législatives dans toutes les circonscriptions. Je sens qu'il va me falloir bientôt choisir entre Macron et Hollande, la fidélité à des idées qui sont les miennes ou la fidélité à un homme pour qui j'ai voté. On connaît pire situation dans la vie politique.

Les soutiens se multiplient. Le dernier en date, le plus spectaculaire, c'est celui de Daniel Cohn-Bendit, mon Dany ! Une campagne Macron-Cohn-Bendit, le social-libéral et le libéral-libertaire, j'en rêve : quel duo de choc ! De quoi dynamiser et dynamiter l'élection présidentielle, pour ne pas avoir à subir cette horreur, un second tour Le Pen-Sarkozy, la facho contre le Gaulois. L'ex-Axonais Renaud Dutreil a lancé un site "La droite avec Macron". Dans le département, le député socialiste Jean-Louis Bricout est "indécis", mais dit tout le bien qu'il pense d'Emmanuel Macron. On sent qu'il suffirait de peu pour qu'il bascule. Au sud, c'est Jacques Krabal, ex-PS et radical de gauche, qui ne cache pas être séduit. Allez, ils y viennent, petit à petit. Il faut simplement respecter le temps de cuisson ...

L'essentiel est peut-être ailleurs : dans la constitution du mouvement "En Marche !" Le socle est posé, il faut maintenant élargir sa base et se constituer dans les localités. Sur son site internet, un chiffre apparaît, 81 417 ce dimanche matin : le nombre d'adhérents à l'heure présente, et une ligne bleue qui se dirige vers un autre chiffre, 100 000, le nombre d'adhésions visées. Rendez-vous dès maintenant sur ce site, cliquez, faites avancer à votre tour la ligne !

samedi 24 septembre 2016

Le monde est à lui



Il est député de la République depuis six mois seulement et il fait déjà beaucoup parler de lui. L'Aisne nouvelle, dans son édition de jeudi, l'a longuement interviewé : Julien Dive, puisque c'est lui, nous apprend des choses. A l'Assemblée, il est le plus jeune et fait son rebelle, en venant une fois en jean, sous le regard désapprobateur d'un vieil huissier qui laisse cependant le rebelle entrer dans l'hémicycle. A Saint-Quentin, nous connaissons Julien sans cravate, col déboutonné, à l'image de son maître Xavier Bertrand. Sur ses joues, une barbe de quelques heures ou de quelques jours aurait fait autrefois mauvais genre : elle est devenue chic aujourd'hui.

Julien Dive est ouvert, franchit les frontières, fait son footing avec des parlementaires socialistes. Il est simple aussi : rentrant de Paris, il s'arrête sur une aire d'autoroute pour manger un sandwich (même moi, je ne le fais pas, je prends un plateau-repas au restauroute). A-t-il au moins des ambitions, comme tout homme politique qui se respecte ? Même pas ! En cas de victoire de la droite l'an prochain, Julien Dive ne briguera aucun poste au gouvernement. Ouf ! Il ne manquerait plus que ça ...

Pourtant, pas question pour lui d'être un anonyme parmi les nombreux anonymes de l'Assemblée nationale : "Je n'ai pas envie d'être un député quelconque et je me bats pour ça". Attention les yeux ! Julien Dive est déjà candidat, depuis juillet, à sa propre succession, alors que la gauche n'a pas encore choisi ses champions pour les prochaines législatives. Les socialistes ont intérêt à en trouver un bon, s'ils veulent dégommer celui-là. Sainte Rita, priez pour nous !

Julien Dive me fait penser à Xavier Bertrand à ses débuts. C'est dire à quel point il va donner du fil à retordre à la gauche. A 31 ans, il a tout l'avenir devant lui, en même temps qu'un passé où il a beaucoup appris, en premier lieu la prudence : pour la primaire de la droite, il se réserve, il attend de voir, comme son chef XB. Julien Dive n'a parrainé aucun candidat, n'en soutient pour le moment aucun et ne ralliera peut-être personne au final. L'avenir est si grand, la primaire est une péripétie et la présidentielle de l'an prochain le simple moment d'une longue histoire, pour cet homme jeune qui sera encore en vie quand beaucoup d'entre nous ne seront plus de ce monde.

vendredi 23 septembre 2016

Monsieur Montebourg



Arnaud Montebourg était hier soir le deuxième invité de "L'Emission politique", sur France 2. J'ai regardé à moitié. Montebourg est un parleur qui me lasse vite. Sarkozy me répugne, me provoque, m'agresse mais il m'intéresse. Avec lui, je tiens jusqu'au bout, je dois même m'arracher de l'écran. Montebourg, je m'oblige à rester, et je décroche rapidement. Pourquoi ? Parce que, à l'inverse de Sarkozy, il ne s'adresse pas à moi, au public, aux téléspectateurs.

A qui parle-t-il ? Aux journalistes qu'il a en face de lui, aux autres invités sur le plateau et peut-être surtout à lui-même. Hier soir, j'avais l'impression de gens qui discutaient entre eux, abordant et réglant des problèmes qui ne me concernaient pas. J'avais presque le sentiment d'être voyeur et indiscret en les regardant et en les écoutant. Il aurait fallu m'éloigner du poste en leur disant : excusez-moi de vous déranger.

Et le contenu, mon Dieu ! Avez-vous retenu quelque chose de ce prétendant à l'Elysée ? Si, il veut rétablir le service militaire. Tout le reste est passé au-dessus de ma tête. Sarkozy est tout entier dans ce qu'il dit ; Montebourg entretient une drôle de distance avec lui-même et ses propos, comme s'il n'y croyait pas complètement. Il est censé représenter la gauche du Parti socialiste. Mais en quoi est-il plus à gauche que moi ? Même là-dessus, je ne vois pas.

La séquence qui m'a révolté (seul moment où j'ai été réactif), c'est le débat entre l'ancien ministre et le maire Les Républicains de Cannes. Celui-ci, qui a pris un arrêté anti-burkini dans sa ville, a joué à fond le registre de la droite identitaire fustigeant le "communautarisme" (il n'avait que ce mot-là à la bouche, insulte polie pour frapper nos concitoyens d'origine immigrée et de confession musulmane). Montebourg, au lieu de lui torcher le nez, l'a suivi comme un toutou sur le terrain de la chasse au burkini. Il est même allé jusqu'à qualifier ce maillot de bain d'"accoutrement" !

Est-ce une façon de parler quand on prétend devenir président de la République ? Où est le respect des personnes et du mot juste ? Le maire de droite bichait, buvait du petit lait, affichait un sourire aussi large que sa plage de Cannes, se désolant qu'à gauche on ne trouve pas beaucoup plus de petits Montebourg. A ce moment-là, je me suis demandé si, finalement, je n'étais pas plus à gauche que l'ex du Redressement productif !

Un responsable politique, je le juge d'abord à sa façon de parler. Avec Montebourg, je suis gâté : style ampoulé, langage à la mode, termes obscurs. Il se veut le défenseur d'une laïcité "inclusive", il a répété plusieurs fois ce mot qui fait bien, qui fait malin mais qui est très laid, dont le sens échappe à ma grand-mère, à mes élèves et à mon voisin. Je lui en ficherais, moi, des laïcités "inclusives" ! Que Montebourg s'efforce de parler comme tout le monde, comme les gens normaux, qu'il soit clair, direct, classique s'il veut devenir président de tous les Français !

Montebourg, c'est une somme de contradictions, un homme qui ne sait pas ce qu'il veut (candidat ou pas ? par la primaire ou non ?) et qui veut un peu tout. Le burkini, pour ou contre ? C'est le symbole de l'oppression de la femme, dit-il (sourire du maire de Cannes), mais il ne faut pas l'interdire (re-sourire du maire de Cannes qui se réjouit de cette belle contradiction). L'engagement français dans la guerre en Irak ? Montebourg condamne. Demande-t-il alors à ce que la France quitte ce conflit ? Surtout pas : il faut aller "jusqu'au bout" dans la lutte contre Daech. Vous y comprenez quelque chose ? Si oui, expliquez-moi !

A la fin, une humoriste, dont on se demande pourquoi elle est là, au milieu d'une émission sérieuse, m'a fait aussi peu rire que Montebourg m'a convaincu. Elle avait un melon à la main, supposé qualifier l'invité. Le choix du navet aurait été plus judicieux, tant il y avait quelque chose de raté dans la prestation de l'homme politique. Il a terminé en disant quel président de la République il serait. Et là, bizarrement, moi qui n'avais pas ri aux blagues de la comique, j'ai éclaté.

jeudi 22 septembre 2016

L'histoire se répète



Nicolas Sarkozy s'est rendu à Calais. Mais pas chez les migrants. Le problème est pourtant dans cette fameuse "jungle". Quelle solution a-t-il proposé ? Aucune de concrète et d'immédiate. Le candidat à la primaire de la droite demande la fermeture des frontières. Mais il n'y a plus de frontières ! Et quand il y en avait, ça n'empêchait pas les réfugiés de passer. De toute façon, même si la clôture était possible, le problème de ceux qui sont déjà là, à Calais, ne serait pas réglé. Et quel problème ? Si la France n'arrive pas à trouver de solution pour seulement quelques milliers de personnes en transit, c'est qu'elle n'est plus la France.

Le gouvernement a mis en place la seule solution raisonnable, juste et réalisable : la fin de ce camp de la honte, la répartition provisoire des migrants sur l'ensemble du territoire. Les élus locaux ne sont pas contents ? C'est normal, tout le monde ne peut pas être courageux. Ils se plaignent de n'être pas consultés ? Mais que croient-ils ! Ce ne sont pas des petits roitelets qui seraient maîtres et seigneurs dans leur commune. Il y a dans la République un Etat et une administration qui sont souverains sur toute parcelle du territoire. Il est logique que la répartition des migrants sur le territoire soit décidée sous l'autorité indiscutable des préfets.

Xavier Bertrand s'est distingué de la position de Nicolas Sarkozy et surtout de Laurent Wauquiez, qui a carrément lancé une pétition pour refuser l'accueil des migrants, des "mini-jungles", dit-il, pour faire peur. Le président de région a comparé cette initiative aux idées du Front national ! Je me réjouis de son évolution sur ce dossier. Au début de la crise des migrants, celui qui était alors maire de Saint-Quentin refusait leur accueil dans sa ville, faute de moyens pour les recevoir et à cause d'une situation sociale déjà difficile. Mais Jean-Jacques Thomas à Hirson, dans un contexte local encore plus difficile, a hébergé quelques familles. J'aurais aimé qu'il en soit de même à Saint-Quentin. Peut-être que le nouveau maire, Frédérique Macarez, prendra cette décision ...

En août 1937, Château-Thierry a accepté 280 réfugiés espagnols. 80 autres ont été répartis entre Soissons, Laon et Saint-Quentin-Gauchy (source : "Le Grand Echo", journal de l'époque, consultable sur microfilm à la bibliothèque municipale). L'histoire se répète, avec ceux qui sont à la hauteur des événements et ceux qui n'y sont pas.

mercredi 21 septembre 2016

Nos ancêtres les Arabes



Comme hier pour la photo de Hollande qui fait causer, faut-il parler de cette phrase de l'ancien chef de l'Etat et candidat à l'être de nouveau, "nos ancêtres les Gaulois" ? Dans l'idéal, non. Mais la politique n'est pas hors-sol : on fait avec ce qu'on a et bien souvent avec ce qu'on n'a pas, on n'a pas le choix des armes ni du champ de bataille. Il me faut donc, comme dans le précédent billet, commenter une ineptie. Vous comprenez pourquoi la tentation d'arrêter ce blog est chez moi constante, comme je l'ai écrit la semaine dernière. En tout cas, si la campagne des présidentielles se poursuivait sur ce ton-là, nous irions très mal et l'extrême droite se porterait très bien.

Je n'aurais pas la bassesse de discuter de ce qu'a dit Nicolas Sarkozy sur le fond. C'est un débat qui n'en est pas un, c'est une querelle stupide et indigne, sans aucun sérieux. Que cet homme soit vulgaire, inculte et démagogue, nous le savons depuis longtemps, et une bonne partie de la bourgeoisie traditionnelle a presque honte de devoir lui apporter ses suffrages. Nous savons aussi que Sarkozy est supérieurement intelligent en matière de politique, dont la première qualité est de faire parler de soi. Avec lui, c'est réussi !

Et c'est d'autant plus fort qu'il parvient à alimenter pendant un jour ou deux un semblant de débat à partir d'une formule scolaire banale, qui ne mange pas de pain, qui fait sourire plus qu'elle ne fait réfléchir ou réagir. Mais les mots ne sont jamais innocents dans le discours public : pas folle la guêpe ! Sarkozy sait ce qu'il fait et ce qu'il dit. Ses propos auront un impact dans une partie de l'opinion, auprès de laquelle "nos ancêtres les Gaulois" suggèrent des sentiments qui eux non plus ne sont pas innocents, et moins souriants que ceux qu'on peut a priori imaginer ou éprouver soi-même.

Quand je vois à la télévision de doctes historiens expliquer savamment pourquoi les propos de Sarkozy ne tiennent pas debout, je me dis qu'ils se déshonorent et que lui a gagné, que son coup a porté. Dans les médias, on a aussi beaucoup rediffuser le discours de François Mitterrand d'il y a 30 ans, sur le même sujet, sauf que le président socialiste s'en amusait, prenait de la distance à l'égard d'une formule dont on savait bien à l'époque qu'elle était désuète et fausse. Il citait la longue liste des peuples qui ont fait la France et terminait avec malice par cette phrase : "Je me demande si déjà nous ne sommes pas un peu Arabes ? "

Vous imaginez, aujourd'hui, un chef de l'Etat ou un responsable politique prononcer une telle phrase, sur ce ton décalé, à la fois profond et léger ? C'est devenu inconcevable, on n'a plus le droit de rire avec ces choses-là. Même un homme de gauche ne s'y risquerait pas. Quand on observe la situation actuelle avec distance, il est effroyable de constater à quel point la pensée unique sur la question nationale est celle de l'extrême droite.

Celle-ci a réussi, en quelques années, à pourrir le débat démocratique avec la cause identitaire, qui était auparavant le privilège nauséeux des nationalistes et des fascistes. Soft ou hard, Wauquiez ou Le Pen, les échanges tournent autour de cette folie identitaire, alors qu'on sait bien que les préoccupations réelles, concrètes et ordinaires des Français sont ailleurs : emploi, logement, retraite, santé, éducation, impôts, salaires, etc. Il reste huit mois pour changer de braquet, mais il ne faudrait pas trop tarder, avant que la situation devienne irréparable et le résultat final catastrophique.

mardi 20 septembre 2016

Pourquoi tant de haine ?



J'en parle ou j'en parle pas ? Allez, j'en parle, puisque les réseaux "sociaux" en parlent : la photo très commentée de François Hollande, à son bureau de l'Elysée, durant les Journées du patrimoine. J'en parle parce que la polémique me laisse sans voix : qu'est-ce que ce cliché a de litigieux, de contestable, de scandaleux ? J'ai beau le regarder, l'observer, y réfléchir : je ne vois pas, je ne comprends rien. Pour moi, c'est irrationnel.

Cette photo est conventionnelle. Le chef de l'Etat pose devant un groupe de visiteurs. C'est banal. Qu'y a-t-il à redire ? Où est le motif à critique ? Je ne sais pas. J'ai essayé tout de même de comprendre, de me renseigner. J'ai lu surtout qu'on reprochait à François Hollande son attitude statique, faisant penser à une statue de cire du musée Grévin. Franchement, je suis déjà allé dans ce musée, je ne vois pas le rapport. Hollande pose : il est forcément immobile. Mais qu'est-ce que cela a de gênant ? C'est la position habituelle quand on travaille à son bureau et qu'on se fait photographier. Les gens seraient-ils devenus dingos de faire ce genre de reproche inepte ?

En même temps, le phénomène est là, aussi déplaisant et stupide soit-il. Comment l'expliquer, puisqu'il y a une explication à tout, même aux pires stupidités ? Je crois qu'il faut inscrire cette attaque dans une longue série de même nature, triviale, médiocre, consternante, quasi risible : la cravate de travers, la manche de chemise trop apparente, le casque de scooter, l'averse sans parapluie, etc. Autrefois, les humoristes se seraient saisis de ces détails pour nous amuser ; aujourd'hui, on a le sentiment que ces anecdotes sont prises au sérieux, qu'elles tiennent lieu d'arguments politiques.

La conséquence, c'est l'abaissement de la fonction présidentielle, en la personne de François Hollande, qu'on cherche à ridiculiser, à travers sarcasme et dérision. On serait tenté de réduire le phénomène à une simple plaisanterie, mais je ne crois pas que ce soit le cas : le ton par lequel on moque cette photo de Hollande n'est pas celui de l'amusement de bon aloi. Au contraire, j'y sens une sorte de haine, sous la légèreté du propos. Car il y a des haines froides, cachées, rigolardes.

Pourquoi François Hollande suscite-t-il une telle montée de haine ? On peut parfaitement s'opposer à sa politique, s'en prendre à sa personne, comme il est permis en démocratie, sans pour autant haïr l'homme. Pour ma part, en désaccord total avec Nicolas Sarkozy, il ne m'est jamais venu à l'idée de le haïr. Même Marine Le Pen, que je combats jusqu'à m'affronter physiquement avec ses partisans, je ne ressens pas de haine pour elle.

Dans la haine, il y a toujours une forme de jalousie qui m'est étrangère. On hait François Hollande, sous des prétextes futiles, parce que c'est la seule prise qu'on a contre lui. Cette tendance ira en grandissant, au fur et à mesure que sa politique donnera ses premiers fruits. La grande peur qui motive cette haine, c'est que Hollande, tout impopulaire qu'il soit dans les sondages, trouve tout de même les moyens de se faire réélire (ce que je crois possible). La fenêtre de tir (et pas le trou de souris !), chacun le voit bien : une droite qui se déchire pendant ses primaires, Sarkozy qui l'emporte in extremis, les juppéistes et le centre refusant de le soutenir, les Français confirmant leur rejet de 2012, Hollande qualifié au second tour contre Le Pen, le front républicain jouant à fond en sa faveur et pour sa réélection.

Hier, à New-York, le président de la République a reçu la prestigieuse distinction d'"homme d'Etat de l'année", pour sa lutte contre le terrorisme. Nous étions loin du bureau de l'Elysée, des Journées du patrimoine, des appareils photos et de la crétinosphère. Espérons qu'au moment de leur choix électoral, les Français retiendront cet honneur rendu à notre pays et à son président, en oubliant les accès de haine qui rabaissent et détruisent. On veut renvoyer Hollande au musée (Grévin), on veut le transformer en statue de sel : on n'y arrivera pas !

lundi 19 septembre 2016

L'impossible silence



Dois-je encore expliquer ma réticence, pour ne pas dire mon hostilité envers les hommages aux victimes des attentats, qui ont connu aujourd'hui leur point d'orgue ? Il y a de quoi hésiter, tant la cause semble bonne et l'unanimité se faire autour de telles cérémonies. Pourtant, il faut à nouveau se départir du conformisme ambiant. L'exaltation du statut de victime est une mauvaise chose, parce qu'elle résulte de trois confusions dommageables :

1- La victime et le héros. Ils sont désormais quasi synonymes, mis en tout cas au même niveau. Les victimes sont célébrées comme on célébrait autrefois les héros. le point extrême de cette confusion, c'est le projet d'une médaille à décerner aux victimes. C'est d'une inanité absolue. Une médaille récompense un comportement exemplaire, valeureux ou vertueux, celui du héros, dont l'héroïsme suprême est de donner sa vie pour autrui ou une cause. La victime n'est pas du tout ça. Sa mort est le fait d'un hasard tragique, qui ne doit absolument rien à ses qualités ou à sa volonté. Il n'y a donc pas à la décorer, la distinguer ou en faire l'éloge : ça n'a aucun sens. Personne ne cherche à imiter une victime, ce serait absurde ; mais il est bon d'admirer et de suivre un héros.

2- Les morts et les vivants. Une étrange notion vient de faire son apparition : celle de "victimes psychologiques", qui ne sont nullement les victimes de l'attentat, mais des traumatisés par lui. Sous le terme générique de victime, on confond les deux, et c'est consternant. La seule et véritable victime d'un attentat est celle qui a perdu la vie, qu'on ne peut pas mettre au même niveau, là encore, que celui qui est resté vivant, aussi choqué soit-il par la tragédie. C'est une insulte aux disparus que d'identifier morts et vivants. A l'extrême limite, on va jusqu'à penser que les vivants sont plus à plaindre et à pleurer que les morts, qui eux ne souffrent plus. Quelle folie !

3- La compassion publique et la douleur privée. La douleur est quelque chose d'intime qui devrait le rester, ne pas s'étaler publiquement, parce que c'est inutile, parce que ça ne peut que décupler la douleur. Les hommages aux victimes mettent fin à la distinction entre domaine public et domaine privé. Ce matin, sur France Inter, nous avons eu droit à une séquence stupéfiante : le père de Lola, petite fille victime d'un attentat, a détaillé tous ses faits et gestes dans la journée où son enfant a disparu, allant jusqu'à confier qu'il avait fait l'amour avec sa femme ce jour-là ! Le journaliste qui l'interviewait n'a pas tiqué, ne s'est pas étonné de l'incroyable impudeur, de l'indécence de cet homme. Et pour compléter le tableau, le père a précisé qu'il avait voulu que les obsèques de sa fille soient joyeuses, comme pour faire un pied-de-nez au terrible destin. Mais dans quel monde vivons-nous pour induire de tels comportements ?

Le problème de notre époque, c'est que nous ne savons plus faire silence. Aux victimes, nous offrons une reconnaissance insensée, alors que le meilleur hommage à leur rendre serait le silence. Les grandes douleurs sont muettes. Le silence est la façon la plus expressive de marquer une absence définitive. Le drame contemporain, c'est que nous avons besoin de parler et de son corollaire, être écouté. Tout silence nous est insupportable, tout bavardage appelle notre indulgence. A la télé, chez le psy, partout ailleurs, on parle, on parle, on parle, alors qu'il faudrait se taire, garder ses malheurs pour soi, ne pas en incommoder les autres, comme on savait le faire autrefois, où l'on n'était pas plus malheureux.

dimanche 18 septembre 2016

Sky is the limit



Le dernier numéro du UN, encore disponible en kiosque, dont je vous recommande vivement la lecture, donne longuement la parole à Emmanuel Macron, sous ce titre explicite : "Que pense vraiment Macron". C'est un texte très riche qui n'a pas fait beaucoup parler de lui. On préfère montrer l'ancien ministre en short au bord de la mer ou en train de se faire raser. C'est dommage, mais notre société médiatique est ainsi. Toujours est-il que chacun peut faire l'effort de lire cet entretien, d'y réfléchir, de juger Macron en connaissance de cause, de critiquer si besoin est. Car avec lui, nous avons affaire à une espèce très rare : un intellectuel engagé en politique. Il n'est pas sûr que ça puisse faire plaisir à tout le monde, tant l'anti-intellectualisme est aussi une marque de notre vie politique.

Pour vous donner envie d'acheter l'hebdomadaire, je vous livre quelques formules d'Emmanuel Macron, dans le désordre, à la suite, promptes à provoquer notre pensée :

Les corps intermédiaires doivent être réinterrogés dans leur fonction. L'élite politique, administrative et économique a développé un corporatisme de classe. Syndicats et partis défendent les intérêts de ceux qui sont dans le système. Le cœur de la politique doit être l'accès à la mobilité. Je suis très camusien, je pense qu'on ajoute à la misère du monde en nommant mal les choses. Je crois au roman national. Je ne crois pas à la religion républicaine. C'est l'Etat qui est laïc, non la société. L'autorité ne se mesure pas à la magnitude du réflexe sécuritaire. Ce qui est moral, c'est la capacité des gouvernants à ne pas se laisser dicter leurs décisions par la tyrannie des événements. La capacité à transformer le rêve français en rêve européen est fondamentale. Je n'ai jamais opposé les énergies renouvelables au nucléaire. Nous avons vocation à nous mêler aux affaires de la planète.

Pour les fidèles de Macron, ce texte est à conserver précieusement, à relire, à étudier : c'est la première fois, à ma connaissance, qu'il expose aussi complètement sa philosophie politique. J'y retrouve avec plaisir beaucoup d'idées que j'ai longtemps partagées. Pour faire court : une culture de gauche enfin optimiste, bienveillante, qui renoue avec la réflexion intellectuelle, que j'oppose à une gauche geignarde, méfiante et intellectuellement indigente.

Dans le Journal du Dimanche, Manuel Valls s'en prend à Emmanuel Macron, contre lequel il lance trois accusations :

1- Vouloir "empêcher" Hollande de se représenter. Où va-t-il chercher ça ? Macron n'"empêche" ni Hollande, ni Valls, ni personne d'autre. Il met sur la table ses idées, les soumet à discussion. C'est tout, c'est beaucoup. Que pour certains, ce soit trop, c'est leur problème, pas celui de Macron. En ce qui me concerne, je suis sans difficulté fidèle au chef de l'Etat et partisan d'Emmanuel Macron.

2- Vouloir "détruire" la gauche. Voilà bien un réflexe pavlovien de la vieille culture d'appareil : il suffit qu'un ex-ministre fonde un mouvement, loue des locaux, fasse une tournée, soit dans les magazines, passe à la télé pour que les têtes des apparatchiks se mettent à tourner et à trembler. Il n'y a de "destruction" que dans leurs pauvres têtes. Macron, il l'a dit et écrit, veut construire une gauche nouvelle, qui ne peut qu'enrichir la gauche actuelle. Quand va-t-on cesser de raisonner par soustraction et division, alors qu'il le faut, comme Macron, par addition et multiplication ?

3- Défendre un "populisme light". Le populisme, je ne sais pas très bien ce que ça veut dire, je n'emploie jamais ce mot. Pour moi, le Front national n'est pas populiste, mais nationaliste, xénophobe, d'extrême droite. Si par populisme on désigne une sensibilité particulière aux soucis du peuple, tout démocrate est un populiste. Laissons donc tomber ce terme polémique. Oui, Macron s'en prend au "système", comme Mélenchon et Le Pen. Mais je crois qu'il a raison, parce qu'une bonne partie de l'opinion est sur cette ligne-là, et qu'il serait aveugle de ne pas le voir, de ne rien faire. L'utilité de Macron, c'est de répondre à cette contestation du "système", proposer des solutions qui ne sont pas celles de Mélenchon et encore moins celles de Le Pen. Si Manuel Valls veut appeler ça du populisme light, libre à lui, pourquoi pas, pourvu que le Premier ministre le distingue bien du populisme hard de l'extrême droite et de la gauche radicale.

Je lis dans certaines gazettes que le PS, en cette période d'ouverture de la chasse, veut faire la chasse au Macron, discréditer sa personne et exclure ses partisans. Si j'étais cynique, je dirais : laissons faire, les tirs se retourneront contre leurs auteurs. Mais je préfère faire cette remarque : si l'on veut que la gauche gouvernementale gagne dans huit mois, si son candidat est François Hollande, il faut dès maintenant veiller à ce que le rassemblement soit rendu possible, le moment venu, autour de lui. Alors, tous ceux qui se reconnaissent dans cette gauche de gouvernement, dont Emmanuel Macron fait partie, devront être accueillis.

Je conçois parfaitement que Macron irrite, agace : il n'appartient pas au sérail, il ne doit rien à l'appareil, il ne partage pas la culture, les mœurs, le langage du socialisme à l'ancienne. Mais la responsabilité politique nous apprend à dépasser nos humeurs personnelles, à faire avec les autres tels qu'ils sont, différents de nous, en profitant de cette différence au lieu de s'en désoler, de la discréditer et de l'écarter.

A la fin de son entretien dans le UN, à la question de savoir si c'est lui qui portera son programme (dans l'élection présidentielle), Emmanuel Macron a cette réponse énigmatique : sky is the limit, et cette explication : "La seule chose qui m'arrêterait serait de voir qu'à un moment donné, je deviens un danger et un obstacle pour que les idées que je porte puissent accéder au pouvoir". C'est du Macron tout craché ! Jamais un politicien traditionnel ne parle comme ça ... Macron vise le ciel, qui est infini, mais l'homme en s'élevant rencontre très vite des limites. Allez, je vous laisse là-dessus en ce dimanche soir, bonne réflexion !

samedi 17 septembre 2016

La théorie du trou de souris



Notre époque adore les mots, jouer avec les mots, inventer des mots. Les actes, plus personne n'y croit ; mais les paroles, qui abondent un peu partout, oui. En même temps, le beau langage a disparu. A la télévision, les journalistes ne s'expriment plus comme Roger Gicquel, dans un parler très classique. Nicolas Sarkozy parle mal, comme lors de son émission de jeudi soir : "c'est les juges qui", a-t-il répété. Même les médias longtemps de référence, Le Monde ou France Inter, ont renoncé. Quelques exemples récents : lors des dernières élections en Allemagne, nous avons entendu ou lu que Angela Merkel avait "reçu une claque" ; autrefois, on aurait dit, plus correctement, qu'elle a "subi une défaite". Dans le procès Cahuzac, l'ancien ministre, à propos de Michel Rocard, a "lâché une bombe", au lieu de "faire une révélation" ou de "provoquer un scandale".

Pourquoi cet abaissement vulgaire, cette trivialité du langage, qui n'aurait pas été admis, dans la parole publique, il y a une trentaine d'années ? La "claque" et la "bombe" sont excitantes, expressives, dramatiques. Dans une société qui ne vibre plus aux actions ou aux idées, il ne lui reste plus que les mots pour se stimuler. Le langage sert aussi à consoler, caresser, refouler. Hier, à propos de l'explosion de gaz à Dijon, une expression était reprise avec gourmandise : certaines victimes étaient en état "d'urgence absolue". C'est quoi, l'"urgence absolue" ? Ca ne veut pas dire grand-chose. Ca cache quoi ? Je suppose que ces victimes sont "grièvement blessés". Mais "urgence absolue" allie la gravité au vocabulaire technique, neutralise la douleur et la possible mort, laisse entendre sans vraiment dire.

Bon, venons-en à notre "trou de souris". C'est la formule qu'utilisent depuis quelques semaines de très sérieux journalistes politiques (sauf Alain Duhamel, old school), pour qualifier les chances de l'emporter de François Hollande à la prochaine élection présidentielle. Trou de souris ! Il fallait l'inventer, celle-là ! Trou de souris, pour dire que les probabilités de gagner de l'actuel chef de l'Etat sont réduites, minimes, minuscules, parce qu'une souris n'est pas un animal très gros, et qu'un trou de souris est souvent plus petit que la petite bête qui s'y infiltre.

Pourquoi donc cette expression si fantaisiste, tellement peu sérieuse qu'elle semblerait venir d'une conversation d'enfants, alors que le vocabulaire est suffisamment riche pour faire appel à d'autres termes ? C'est la marque de la puérilité ambiante, de l'infantilisme grandissant. Et puis, l'hédonisme a gagné le langage : "trou de souris", c'est plus amusant en bouche que "possibilité restreinte". D'ailleurs, quand le commentateur le prononce, c'est avec ce sourire qui traduit la satisfaction de soi de celui qui vient de reprendre un bon mot, sans être dupe de sa petite plaisanterie (la souris fait sourire : eh oui, je m'y mets aussi ...). Roger Gicquel ne souriait pas, en présentant le journal télévisé de TF1 il y a 40 ans, ou bien tout à la fin, d'un sourire triste, gêné, comme pour s'excuser des malheurs de l'actualité qu'il venait d'exposer. Aujourd'hui, aucune pudeur : on détaille l'évènement le plus horrible, on débite des précisions inutiles, et dès qu'on peut, on affiche un large sourire.

Si j'en veux à ce "trou de souris", c'est surtout pour une autre raison : l'expression est fausse, ne renvoie à rien, sinon au plaisir de ceux qui l'emploient. Nous savons seulement que la popularité de François Hollande est très basse aujourd'hui dans les sondages. Nous ne pouvons pas en déduire grand-chose sur ce qui se passera dans huit mois. Quoi qu'il en soit, on ne devient pas ou ne redevient pas président de la République en passant par un "trou de souris". Ou alors c'est qu'on veut dire que Hollande est battu d'avance, ce qui n'est jamais certain en politique. A moins qu'on veuille ramener celle-ci au jeu du chat et de la souris. Mais qui est alors le matou ? Le Pen ou Sarkozy ? "Trou de souris" : non, décidemment, je renonce à l'employer. Ca fait trop Mickey ou chanson d'Henri Salvador.

vendredi 16 septembre 2016

13 septembre 2006



Vous connaissez mon peu de goût pour les chiffres, les statistiques et les commémorations. A tel point que j'ai oublié, à trois jours près, de fêter mes 10 ans de présence sur internet. L'anniversaire vaut d'écarter mes préventions et allergies.

L'Aisne avec DSK est né le 13 septembre 2006. Le premier billet s'intitulait banalement "Message de bienvenue". J'ai mis un terme à ce blog le 27 mai 2011, pour les raisons que vous savez. Un nouveau a pris le relais le même jour, J'ai tant de choses à vous dire, avec un titre peut-être un peu plus original : "Heureux ensemble". Entre temps, j'ai lancé Prof Story, du 13 août 2008 au 19 septembre 2012. Rédiger deux blogs, c'était trop : j'ai tenu 4 ans seulement.

Bilan chiffré et cumulé des 3 blogs sur 10 ans : 6 413 billets, 49 504 commentaires, 947 491 pages vues.

En commentaire, je dirais simplement, et c'est un paradoxe, que l'internet, cet aquarium vaste comme l'océan, n'est pas mon univers, que c'est le hasard qui a fait m'y installer et que j'ai fini par y prendre goût. Ai-je eu la tentation d'arrêter ? Oui, régulièrement, jusqu'à aujourd'hui. Parce que, autre paradoxe, ce blog n'est pas ma préoccupation première, je suis attaché depuis plusieurs années à un travail d'écriture très différent, infiniment plus important. Qu'est-ce qui fait que je continue ? La présence nombreuse de lecteurs, auprès desquels je me sens engagé. Mais surtout l'habitude, la terrible habitude, dont on a du mal à se défaire.

Merci à tous ceux qui me suivent, me lisent, me commentent, ainsi qu'à Arthur, le concepteur du premier blog, sans lequel je n'aurais jamais mis les pieds, ou plutôt la main et le cerveau dans cette machine. Je ne suis pas sûr que dans 10 ans, je serai toujours là.

La vengeance aux yeux clairs



J'ai bien sûr regardé hier Sarkozy. Mais que dire ? Quand on est contre, on est contre ... Juppé, je peux entendre, comprendre, éventuellement approuver. Sarkozy, non, rien ne passe. Florilège :

Sur le mariage homosexuel, il se dédit. Tant mieux, mais ce n'est pas sérieux. Ecoutez ça : "Jamais je n'aurais pu imaginer qu'on parle autant de la vie sexuelle dans le débat politique". Cet homme n'a pas beaucoup d'imagination. Surtout, il se trompe : le débat ne portait pas sur la sexualité, mais sur le droit.

Sur le réchauffement climatique, Sarkozy affirme que l'homme n'est pas le seul responsable. Sans doute, mais quand on fait de la politique, ce qui compte, ce sur quoi on peut agir, ce sont les hommes, ce qu'ils font ou ce qu'ils devraient faire, leur responsabilité. Sinon, on se réduit à l'impuissance.

Sarkozy, en matière d'avenir de la planète, nous ressort une vieille lune des années 70 : l'explosion démographique. Comme s'il n'y avait pas assez de place vide sur notre bonne vieille Terre pour accueillir pas mal de monde pour encore pas mal de temps. Et après, pas grave, on ira loger dans les étoiles ...

Sarkozy n'est pas trop écolo, mais il se fait le défenseur du "principe de précaution" ... appliqué aux terroristes : mettre en rétention les fichiers S. "S'il n'a rien fait, on le relâche et éventuellement on lui présente nos excuses bien sûr". Est-il permis de rire sans offense à ancien chef d'Etat ?

Dans l'affaire du dépassement gigantesque de ses comptes de campagne, Sarkozy ne se reconnaît aucune responsabilité morale. Il n'a pas été mis en examen dans l'affaire Bygmalion, donc tout va bien, continuons. Dans la même veine, l'un de ses futurs ministres mis en examen resterait sans problème au gouvernement. Logique : quand on est pris le doigt dans le pot de confiture, on autorise les autres.

A un gars dans une usine qui se lève à 5 heures du mat et traîne des chariots d'un poids pas possible, Sarkozy répond que le travail de bureau, devant un ordi, est tout aussi pénible. Alors, qui veut faire l'échange ? Pas beaucoup de monde, je parie. Et puis, il y a la formule qui claque, sa spécialité : "le devoir de travailler est supérieur au droit d'être indemnisé". Toujours cette manie de comparer ce qui est incomparable, le curé et l'instituteur, le devoir et le droit, etc. Où est le devoir de travailler quand il n'y a pas de boulot ?

J'arrête là, je pourrais continuer, tout est du même bois. Pourtant, ne le répétez pas : Sarkozy m'épate ! Il a un tas de procès aux fesses, Juppé devant lui, un échec à la présidentielle, mais il est toujours là, imperturbable, boule d'énergie, pile Wonder inusable. A 80 ans, il sera encore ainsi, c'est à peu près certain.

Sarkozy ne pouvait pas me convaincre, puisque je ne l'étais pas d'avance et depuis longtemps. Mais a-t-il convaincu les Français ? 2,7 millions de téléspectateurs l'ont suivi. Sur TF1, ils étaient 5,6 millions à regarder la série "La vengeance aux yeux clairs".

jeudi 15 septembre 2016

Hollande foutu ?



On prête à Manuel Valls cette formule : "C'est foutu pour Hollande". On prête beaucoup aux hommes politiques, qui rendent rarement. Bref, je n'accorde aucun crédit à ce genre de confidence. La question se pose néanmoins : Hollande est-il foutu ? Je ne sais pas si le Premier ministre pense que oui, mais moi je pense que non. Pour une seule raison, en béton, contre laquelle tous les arguments viennent se casser les dents : sous la Vème République, à 8 mois d'une élection présidentielle, tous les pronostics ont été démentis par le résultat final.

Il n'y a pas d'exception à cette règle. J'en serais presque heureux que les sondages annoncent Hollande battu : ça lui donne une petite chance de gagner ! Vous me direz peut-être qu'une règle n'est pas éternelle et que l'exception va cette fois la faire mentir. Si vous voulez, mais je suis plutôt méthodique : je préfère raisonner sur les faits, pas sur les hypothèses ; sur les certitudes de la longue durée, pas sur les anticipations aléatoires d'un futur proche.

Pourtant, je ne discrédite pas les sondages, mais je les prends pour ce qu'ils sont : un état de l'opinion à un moment donné, qui forcément va changer. Celui de BVA, paru aujourd'hui dans la presse régionale, est riche d'enseignements :

1- Le Pen arrive en tête au premier tour (merde), elle est battue au second tour (ouf). La leçon à tirer, c'est que la gauche (je parle pour mon camp) doit reprendre le combat contre le Front national, hyper-dangereux malgré la bonne nouvelle du second tour. L'extrême droite ne reculera pas d'elle-même. En politique, on ne vainc qu'en luttant. La gauche doit affronter le FN, pour stopper sa progression, reconquérir les voix que l'extrême droite lui prend, sinon cette histoire finira un jour très mal, trop tard.

2- Emmanuel Macron devance François Hollande. Nous ne devons pas en conclure que celui-ci doit automatiquement s'effacer au profit de celui-là. D'autant que n'importe quel candidat de gauche n'est qualifié pour le second tour, y compris Macron. Surtout, ce ne sont pas les sondages qui dictent les décisions personnelles. Mais la leçon est claire : le candidat socialiste de l'an prochain, quel que soit son nom, devra aller encore beaucoup plus loin dans la défense d'un projet social-démocrate, et marqué nettement sa rupture avec la gauche traditionnelle.

3- Montebourg ne perce pas, ne parvient même pas à égaler Hollande dans les intentions de votes, à quoi cependant Mélenchon arrive fort bien. Là aussi, la leçon est claire : toute candidature issue de l'aile gauche du Parti socialiste est vouée à l'échec. Les électeurs ne sont pas dupes, ils préféreront toujours l'original à la copie, Mélenchon à Montebourg. Les candidats de l'aile gauche ont le cul entre deux chaises, tiraillés qu'ils sont entre leur appartenance à un parti majoritairement social-démocrate et leur défense d'une ligne anti-social-démocrate. La politique ne peut pas être un exercice d'acrobate.

François Hollande a fait la semaine dernière un excellent discours. Aujourd'hui, il donne un excellent entretien à la revue "Le Débat". "La gauche ne doit pas baisser les yeux et être davantage fière de ce qu'elle a fait" : oh ! que oui. Le chef de l'Etat dénonce "l'autre gauche", celle qui défile cet après-midi contre la loi travail et contre le gouvernement, "les procureurs de l'alternative", comme Hollande les appelle, ceux qui n'ont à la bouche que le mot de "trahison", ceux qui répandent la "suspicion". Oui, ceux-là, qui croient tenir la dragée haute, il faut leur claquer le bec et les regarder droit dans les yeux.

Hollande, le meilleur candidat pour la gauche ? Je n'en sais rien. Ce sera lui, Valls, Macron ou rien. Mais je sais que le meilleur candidat en politique, c'est toujours celui qui a envie d'être candidat depuis longtemps, du fond de ses tripes. J'ai pu faire le constat à Saint-Quentin, puisque c'est vrai à n'importe quelle échelle : les candidats qu'on pousse, qu'on sollicite, parfois qu'on fabrique perdent immanquablement, avant même de combattre, parce qu'en réalité ils n'entrent pas dans le combat.

Hollande a-t-il envie ? Porte-t-il son désir dans les tripes ? A-t-il le goût du combat dans le sang ? Je crois bien que oui. C'est pourquoi je pense qu'il n'est pas "foutu".

mercredi 14 septembre 2016

La fatigue des élus



L'annonce de Bruno Le Roux, le patron des députés socialistes, surprend : le quart des parlementaires PS ne se représenteront pas l'an prochain, aux législatives. La proportion est énorme, inhabituelle et paradoxale : le cliché veut que les élus s'accrochent au pouvoir, cumulent les mandats dans la durée, aient beaucoup de mal à laisser leur place. Alors, qu'est-il en train de se passer ?

On peut d'abord voir le bon côté de la chose. Nos députés ont compris que le renouvellement de la classe politique était nécessaire, que de nouvelles têtes étaient attendues, que le rajeunissement se faisait indispensable. C'est la version optimiste. Pourquoi n'aurait-elle pas sa part de vérité ? Pourquoi voir systématiquement le mal partout ? En même temps, je ne crois pas que l'explication suffise.

Il y a aussi un nouveau rapport à la politique, chez les plus jeunes élus. Ils ne considèrent plus un mandat électoral comme un sacerdoce, ils ne conçoivent plus la politique comme le sacrifice de toute une vie, ils ont besoin à un moment de passer à autre chose. Plusieurs déclarations publiques de députés socialistes vont dans ce sens. La politique n'est plus pour eux la seule source de reconnaissance qui les conduit à agir. D'autres formes d'engagement, tout aussi gratifiantes, sinon plus, leur sont possibles.

Et puis, l'image de l'élu s'est dégradée. Il est moins le notable qu'on admirait autrefois, qui faisait envie. C'est plus souvent la critique qu'il doit supporter, son travail est devenu plus difficile, plus exigeant. Autrefois, on demandait beaucoup moins aux élus, l'attente de la population était moins grande, ils se contentaient souvent de la tâche honorifique de représentation. Aujourd'hui, un élu doit être quasiment un professionnel de la chose publique. Il y a de quoi réfléchir à deux fois avant de continuer dans le métier !

D'autres pistes sont à explorer. L'état de "fatigue" est constamment évoqué dans notre société (on parle même souvent d'épuisement). Les enfants à l'école sont fatigués, les parents sont fatigués par la fatigue de leurs enfants, les enseignants sont fatigués des réformes continuelles qu'on leur impose. Les chômeurs sont fatigués de ne pas travailler, les actifs sont fatigués de trop travailler (burn out) ou de s'ennuyer au travail (bore out). Les électeurs sont fatigués d'aller voter et s'abstiennent massivement. Les policiers sont fatigués depuis l'instauration de l'état d'urgence. J'arrête là la liste, elle est interminable. On dit que le mal de dos, c'est le mal du siècle : non, c'est la fatigue ! Dans ces conditions, pourquoi les élus ne seraient-ils pas frappés par cette pathologie contemporaine, la fatigue ?

La dernière hypothèse est la moins glorieuse : un quart des députés socialistes ne se représenteront pas parce qu'ils ont peur de perdre, parce qu'ils se sentent condamnés à la défaite ! J'ai été élevé dans l'idée que la défaite n'était pas un obstacle en politique, qu'elle pouvait être honorable, stimulante, prometteuse, que le courage exigeait de se battre à tout prix, qu'aucune fatalité ne pouvait amener à baisser les bras ... Mais sommes-nous encore aujourd'hui dans cette morale-là, un peu austère, stoïcienne et janséniste ? Je n'en suis pas certain. Après tout, à chacun sa morale : il y a peut-être de la sagesse, de la lucidité à renoncer lorsqu'on sent que tout est perdu.

La démocratie rencontre tout de même un problème avec ces défections. Car si le PS perd des sortants qui craignent d'échouer, combien va-t-il perdre de candidats qui n'ont aucune chance de réussir ? Prenez la circonscription de Saint-Quentin : l'objectivité conduit à reconnaître que les chances de succès de la gauche sont très minces aux législatives de l'an prochain. De quoi être terriblement fatigué d'avoir à se présenter, de quoi jeter l'éponge au nom du simple réalisme ! On va où comme ça ? Plus de candidat socialiste ? Mais que devient alors la démocratie ? Allez, du cran, engageons-nous, présentons-nous, oublions tout confort, toute fatigue et laissons le peuple décider de qui mérite l'emporter.

mardi 13 septembre 2016

L'horreur militante



Ce matin, à 07h10, sur RTL, le journal a diffusé un reportage à la sortie d'une réunion de Nicolas Sarkozy. Des militants étaient interviewés sur Alain Juppé. Les réponses étaient horribles. Le maire de Bordeaux était devenu leur pire ennemi, à les entendre. Comme s'ils n'appartenaient pas, eux et lui, au même parti ! On reprochait au candidat à la primaire de la droite de flirter avec la gauche, d'être indulgent envers l'immigration. Surtout, ce n'était pas tant les idées de Juppé qui étaient critiquées que son prétendu tempérament : mou, indécis, intriguant, trop vieux ... Les attaques personnelles fusaient, très virulentes. A la fin, un militant a porté l'estocade : "S'il y a un deuxième tour entre Juppé et Le Pen, je préfère voter Le Pen". Consternant, effrayant.

Soyons honnêtes : ces réactions de militants sont de tous les partis, hélas. C'est la culture militante qui provoque ces comportements, presque inévitablement. Je le dis et le constate avec un déchirement de cœur. Pendant longtemps, j'ai porté très haut, dans l'échelle morale, la figure du militant. Je célébrais ses vertus d'engagement, de désintéressement, sa disponibilité, son combat pour une juste cause, sa fidélité à un parti, sa prise de responsabilité, son humble contribution à des tâches ingrates. Oui, tout cela me semblait relever d'une certaine noblesse ordinaire, d'une forme d'élévation humaine, d'un altruisme digne d'admiration. J'en suis revenu, je n'y crois plus.

Au contraire, j'observe avec horreur et accablement des militants trop souvent sectaires, fermés, soumis à des personnes plutôt qu'à des idées, prompts à des réactions violentes, aveugles. J'ai l'impression qu'on les retrouve dans les partis parce qu'ils ne savent rien faire d'autre. Ce qui est incroyable, c'est que leur bagage politique est mince, que bien des simples citoyens non adhérents à une organisation en savent beaucoup plus. Ce qui me stupéfait, c'est leur rapport négatif, conflictuel, négatif aux médias, à la presse, soupçonnés de comploter contre eux et leurs champions. On a le sentiment qu'ils n'acceptent les journaux qu'à la botte, qu'à leur botte. L'horreur militante, c'est ce fond-là, antidémocratique. Si ces personnes se retrouvaient à exercer un pouvoir, il y aurait de quoi avoir peur. Le pire, je crois, c'est l'incurable bêtise du militant : on ne sait jamais si elle est sincère ou s'il fait semblant, on ne sait pas quelle serait la pire de ces deux hypothèses.

Oui, je tombe de haut. Ce n'est bien sûr pas nouveau, mais il m'a fallu tout de même du temps. Qu'est-ce qui s'est passé ? Je crois qu'on ne fait pas attention quand on est porté par l'action. Les aspects négatifs du militantisme sont relativisés, minorés, parfois refoulés. Quand l'essentiel est ailleurs, les détails sont ignorés. Et puis, la défense des idées est censée tout excuser. Il n'empêche qu'aujourd'hui je déplore que les militants donnent une mauvaise image de la politique, que ce ne sont pas eux qui donnent envie de s'engager. Je les vois sensibles à la flatterie, avides de reconnaissance, satisfaits de peu, serviles. Ils sont les caricatures de ceux qu'ils croient défendre et qu'en réalité ils desservent.

Mon étonnement horrifié a une raison plus profonde. J'ai connu les heures de gloire du militantisme politique, qui se sont terminées dans les années 80, quand la gauche est devenue gouvernementale, quand l'idéal s'est estompé devant la réalité. Durant sa grande période, le militantisme était une véritable école, une sorte d'éducation populaire, qui puisait dans le syndicalisme et l'associatif. L'ancrage dans la société, dans la population était plus fort, les adhérents des partis de gauche beaucoup plus nombreux. Les meilleurs, les plus déterminés, les plus cultivés aussi s'y retrouvaient. Le recrutement de piètre qualité existait déjà, mais ne se voyait pas, n'influait pas, était en quelque sorte noyé dans la masse. On ne remarque pas la lie inévitable d'une bonne bouteille. Mais quand il ne reste plus qu'elle à consommer, on fait la grimace. Nous en sommes là aujourd'hui. J'ai toujours à l'esprit cette formule terrible de Pierre Mauroy, qui sonnait comme un avertissement : "Quand les dégoûtés seront partis, il ne restera plus que les dégoûtants".

Voilà ce que m'a inspiré ce reportage horrifique, ce matin, à la radio, sur ces soi-disant partisans de Sarkozy qui, dans leur zèle fanatique, agissent sans le vouloir contre leur propre camp, rendent impossible tout rassemblement une fois que la primaire sera terminée. Les mêmes, on les retrouve au Parti socialiste, coupables d'une pareille psychologie débile. Un militant, ce n'est plus à mes yeux un passionné, mais un diviseur irresponsable. C'est un constat qui m'étreint, quand je le compare à mes croyances d'autrefois et à mes espoirs pas si anciens.

lundi 12 septembre 2016

Week-end anti-Hollande



Qu'avez-vous fait ce week-end ? Il faisait beau, je me suis promené. D'autres ont bouffé du Hollande. Nous avons eu droit, pendant deux jours, à un vrai festival. D'abord à La Courneuve, pendant la fête de l'Huma. Non pas chez les communistes eux-mêmes, qui sont clairs et nets : ils n'ont jamais été favorables à Hollande, ont toujours combattu sa politique, ne se reconnaissent pas dans la social-démocratie. Je respecte. Non, les anti-Hollande, ce sont les autres, les membres du Parti socialiste qui critiquent publiquement la politique gouvernementale.

Pire : d'anciens membres du gouvernement, qui ont participé à la définition et à l'application de sa ligne politique et qui la dénigrent depuis qu'ils en sont partis. J'ai nommé, bien sûr, Montebourg et Hamon, assez gonflés, qui vont faire leur cinéma devant un public complètement hostile à Hollande, qu'ils essaient de mettre dans leur poche. Je ne m'y ferai jamais ; c'est détestable. Bien des communistes, heureusement, ne sont pas dupes de cet électoralisme de bas étage.

Les anti-Hollande ne se sont pas arrêtés là. Ils se sont réunis à La Rochelle, pour une université d'été qui essaie de singer, gros malins qu'ils sont, le rassemblement traditionnel qui a longtemps été celui du Parti socialiste, annulé cette année. Mais la copie n'a rien à voir avec l'original. Ce week-end, au bord de mer, ce sont les factieux qui se sont retrouvés. Pour faire quoi ? Pour tout faire pour éliminer Hollande, pour qu'il ne soit pas candidat. On n'est pas anti-Hollande pour rien. Autant aller jusqu'au bout de son hostilité.

Les factieux (je préfère employer ce mot, plus juste que frondeurs) ont fait une proposition, une seule, à la sortie de La Rochelle, mais elle vaut son pesant de cacahuètes : organiser une primaire de toute la gauche, y compris avec ceux qui n'en veulent pas (Mélenchon) ou avec ceux qui ont la leur (les écologistes). C'est malin, non ? Proposer un truc qui ne tient pas debout, qui est impossible. Mais voilà ce qui arrive quand on n'a rien à proposer : on propose n'importe quoi.

En vue des prochaines échéances, la gauche doit être rassemblée autour du seul rassembleur : le chef de l'Etat. Les factieux, eux, veulent diviser, pour leur compte. Qui veulent-ils pour rassembler ? Ils sont plusieurs à croire ce dont ils sont incapables, qui est contradictoire avec leur démarche de fractionnement de la gauche. Autour de François Hollande, les sensibilités peuvent et doivent être différentes, nombreuses mais pas factieuses. Emmanuel Macron, à sa façon, sera un élément de ce rassemblement, quand le moment viendra. J'en suis persuadé. La différence, oui, mais la dissidence, non. Les socialistes anti-Hollande prennent le risque de faire perdre la gauche gouvernementale.

dimanche 11 septembre 2016

Rien n'est jamais deux fois pareil



En politique, ne sont stables que les convictions. Pour le reste, tout change sans cesse. Il y a quelques années, j'étais un fervent partisan du système des primaires. A l'époque, au sein du Parti socialiste, les sceptiques et les adversaires de ce mode de désignation étaient nombreux. On me disait : il n'est pas normal que le candidat socialiste ne soit pas désigné par les adhérents socialistes. Et puis : cette primaire, ça ne marchera pas, les électeurs ne vont pas se déplacer deux fois, pour désigner leur candidat et ensuite pour voter pour lui, c'est absurde. Et encore : les résultats vont être faussés, plein de gens de droite vont s'en mêler, aller voter, choisir le candidat le plus faible ... Tout cela, je l'ai entendu, répété, et rien n'est advenu comme certains le craignaient. Les primaires socialistes de 2011 ont été, à ma grande satisfaction, un beau succès, à tel point que je me suis mis à en vouloir un peu partout, y compris à Saint-Quentin !

En politique, ne sont stables que les convictions. Pour le reste, tout change sans cesse. Sur ce dispositif que sont les primaires, je suis aujourd'hui très réservé, pour ne pas dire hostile. Le mode de désignation d'un candidat est, comme beaucoup de choses en politique, une question de circonstances. Pour 2017, je ne le sens pas. Pourtant, les primaires ont fait florès, le PS a été précurseur et visionnaire : octobre pour les écologistes, novembre pour la droite, décembre pour les socialistes. Le paradoxe, c'est que la gauche radicale, qui les réclamait il y a quelques mois, organisait des réunions en leur faveur, n'en fera sans doute pas. Jean-Luc Mélenchon a trusté ce créneau politique, il est parti tout seul sans attendre personne, et surtout pas la mise en place d'hypothétiques primaires.

La droite vient de se donner, hier soir, ses pré-candidats, huit ! C'est aberrant. Comment un parti politique, que rassemble normalement une unité de doctrine, peut-il se retrouver à devoir choisir entre huit candidats, censés représenter huit projets différents ? Ca ne va pas. Déjà, chez les socialistes, en 2011, six candidats, c'était beaucoup. Mais, historiquement, le PS est traversé par des sensibilités nettement différentes. A droite, il y a quoi ? Les libéraux, les gaullistes et les réacs. Remarquez qu'à gauche, trois sensibilités suffisent aussi à résumer le paysage : les sociaux-démocrates, les socialistes traditionnels et les écologistes. Le mal des primaires, c'est d'exacerber les rivalités purement personnelles, de créer de fausses différences et de vrais différends. Ce n'est pas bon, ça ne peut faire que le jeu de l'extrême droite, qui sera bien la seule force politique d'envergure à ne pas désigner son candidat par ce processus !

Au Parti socialiste, les primaires étaient une excellente chose la dernière fois, parce que c'était la première fois, parce que nous étions dans l'opposition, parce qu'aucun candidat naturel ne s'imposait, après la défection de Dominique Strauss-Kahn. La nouveauté a attisé la curiosité, suscité l'intérêt et mobilisé de nombreux Français. Je vous parie qu'il n'en sera pas de même cette fois-ci (hélas). Surtout, François Hollande est le candidat naturel, légitime et logique des socialistes, sauf pour les factieux qui se réunissent ce week-end à La Rochelle pour comploter contre lui. La seule force qui lui reste pour gagner, c'est l'aura présidentielle, associée à la défense de son bilan et la mise en perspective d'un projet. Mais, en décembre, quand il lui faudra concourir avec les seconds couteaux de l'aile gauche, il va déchoir de l'auguste fonction qui le protège encore.

Vous voyez le président de la République, qui traite de l'avenir de la planète avec Obama et Poutine, se mettre à discuter le bout de gras avec Filoche et Lienemann ? Moi pas. Si encore la primaire impliquait Macron et Montebourg, c'est-à-dire la voie sociale-libérale et la voie sociale-étatiste, le débat aurait de la hauteur et de l'utilité. Mais là, avec ce qui se profile, ce n'est plus la cour des grands, c'est la cour de récréation avec les chamailleries de préau. Bon, le pire n'est jamais certain, même en politique. Espérons donc qu'il en sera autrement. Ce qui est certain, c'est que l'Histoire ne se répète pas, Marx le disait déjà. Ou, pour citer un autre philosophe, Héraclite celui-là : "on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve". Les primaires de 2011 étaient une source de jouvence ; je crains que celles de 2016, à gauche comme à droite, ne soient qu'un bain d'eau sale, en espérant de tout cœur me tromper.

samedi 10 septembre 2016

Mort au traitre ?



Depuis sa démission, les critiques contre Emmanuel Macron, de gauche comme de droite, tournent autour d'un seul mot : trahison ! Même le modéré Alain Juppé, qui a pourtant quelque air de ressemblance avec l'ex-ministre, s'y est mis et a prononcé hier chez Bourdin le mot qui tue : trahison ! Quand on veut se débarrasser de son chien, on dit qu'il a la rage : en politique, la rage, c'est la trahison. L'accusation vaut condamnation, sans autre procès. Elle a pour objectif de rabaisser, de discréditer. Elle sent bon (c'est-à-dire très mauvais) la rhétorique stalinienne, qui n'est pas le privilège des anciens communistes, comme on le constate.

Qualifier quelqu'un de traitre, en politique, c'est faire l'économie de tout débat avec lui : on ne discute pas avec une personne aussi infréquentable. C'est donc un bon signe, paradoxalement : on craint d'affronter ses idées, on n'explique pas pourquoi le social-libéralisme de Macron serait contestable, on préfère lui accoler une étiquette infamante. C'est la preuve involontaire qu'on le redoute. Le fond de l'histoire, la fureur soudaine des uns et des autres, c'est qu'Emmanuel Macron est devenu pour eux une force inquiétante, un rival redoutable, qui prend des voix un peu partout.

Mais aucun argument ne doit être méprisé en politique : il faut répondre méthodiquement à celui qu'on vous inflige, aussi détestable soit-il. Macron, un traitre ? Allons voir ça :

Un traitre, c'est d'abord quelqu'un qui quitte une situation pour en trouver une autre beaucoup plus enviable. La trahison est généralement motivée par le profit. En politique, on trahit pour obtenir une place. Est-ce le cas de Macron ? Non, et c'est même le contraire : il quitte les avantages matériels et psychologiques d'un ministère prestigieux pour se retrouver à la tête d'un mouvement politique naissant, sans aucune certitude quant à son avenir et à sa réussite. Des traitres comme ça, je n'en connais pas beaucoup, et même aucun.

D'autre part, la trahison en politique est un retournement de veste, c'est-à-dire de convictions : on change de positions, on dit aujourd'hui le contraire de ce qu'on soutenait hier. Les exemples sont nombreux, mais pas chez Macron, qui fait exactement l'inverse : s'il quitte le gouvernement, c'est par fidélité à ses idées, c'est parce qu'il veut aller plus loin que ce qu'il a pu pratiquer au pouvoir.

Enfin, contrairement à ce qu'on croit, trahir, ce n'est pas partir, c'est rester. L'adultère n'existe que dans le couple ; quand chacun se sépare et vit sa vie, il n'y a plus tromperie. Les "frondeurs" sont des traitres : ils font partie d'un groupe parlementaire et n'en respectent pas les décisions majoritaires et la discipline de vote. Certains socialistes sont des traitres : ils sont censés soutenir François Hollande et le critiquent dans son dos, au risque de le faire échouer. Mais Emmanuel Macron n'est pas de ce style-là. Il est franc du collier, éprouve des désaccords, tient à défendre son propre point de vue, en tire honnêtement les conséquences et s'en va : c'est clair, propre et net. La trahison est toujours glauque, brumeuse et hypocrite. Le traitre agit de l'intérieur, pas de l'extérieur.

En politique comme dans la vie, la question n'est pas tant de savoir qui trahit-on ? que à quoi sommes-nous fidèles ? Une évolution n'est pas une trahison. Macron a changé, il n'a pas trompé : dans ses déclarations d'après démission, il a rendu hommage au président, au Premier ministre et au gouvernement. Ce n'est pas un lunatique et pusillanime Montebourg. Emmanuel Macron est fidèle à une ligne chez lui ancienne, celle d'une social-démocratie renouvelée, qui ne peut plus se contenter du rôle redistributeur de l'Etat-Providence. Si on veut l'attaquer, qu'on le fasse sur ses idées, et on verra. Mais qu'on n'invente pas la figure facile d'un traitre de cinéma, qui en réalité ne trompe personne.

vendredi 9 septembre 2016

Vive le roi !



Une fois n'est pas coutume, je vais laisser à quelqu'un d'autre le soin de faire le billet d'aujourd'hui. Voilà :

Les Français viennent du nord, du centre, du sud ou d'autres régions. Les Français, ce sont aussi des immigrés qui viennent d'Italie, d'Espagne, de Pologne, du Portugal, d'Asie ou du Maghreb. Ce n'est pas facile de savoir d'où l'on vient, de quelle nationalité nous sommes. Notre maison est là où notre cœur est, et il ne peut pas toujours se situer à l'intérieur des frontières d'un pays. Les Français, ce sont des filles qui aiment les filles, des garçons qui aiment des garçons, des garçons et des filles qui s'aiment entre eux. Les Français croient en Dieu, Allah, tout et rien [...] En d'autres termes, vous êtes la France ! Nous sommes la France ! [...] Mon plus grand souhait pour la France est que nous parvenions à prendre soin les uns des autres. Nous pouvons encore construire ce pays sur la confiance, la fraternité et la générosité.

C'est beau, non ? Alors qu'on sent bien que la campagne présidentielle en France a commencé, que l'extrême droite arrive en tête des sondages au premier tour, qu'elle a fait de bons score en Allemagne dimanche dernier, que le Brexit a multiplié en Grande-Bretagne les actes racistes, que chez nous les Asiatiques pour la première fois se sentent obligés de manifester, qu'un centre d'hébergement pour réfugiés est incendié, qu'un autre est refusé, le message ci-dessus est très précieux, apporte un vent nouveau, fait du bien à entendre.

Mais j'ai un aveu à vous faire : j'ai triché, pour la bonne cause. Oui, le texte cité a été transformé par moi. Pour le restituer dans sa version originale, il faut remplacer Français par Norvégiens, et substituer à Italie, Espagne, Portugal, Asie et Maghreb les mots suivants : Afghanistan, Pakistan, Suède, Somalie et Syrie. Et je dois vous donner l'auteur : le roi de Norvège, Harald V, 79 ans, dans un discours il y a quelques jours. Alors, là aussi, une fois n'est pas coutume, nous pouvons crier : Vive le roi !

jeudi 8 septembre 2016

Une certaine idée de la France



François Hollande a fait ce matin un excellent discours, clair, précis et combatif. Surtout, il a marqué, sans avoir à trop forcer, les différences entre la gauche et la droite. Emmanuel Macron a raison de dire que sur bien des points le clivage a perdu de sa pertinence et de son tranchant. Pourtant, au moment de la confrontation électorale, c'est bien la gauche et la droite qu'on retrouve face à face, et c'est d'ailleurs une bonne chose pour la démocratie (si le débat politique se réduisait à l'opposition entre les républicains et les extrémistes, ce serait dramatique).

La droite veut l'Etat d'exception, Hollande défend l'Etat de droit et dénonce cette contradiction de l'actuelle opposition d'avoir refusé d'inscrire l'état d'urgence dans la Constitution. La droite doute que l'islam soit intégrable dans la République ; elle demande aux musulmans de renoncer à leurs signes jugés ostentatoires. Hollande pense que la religion musulmane est compatible avec la République et tout à fait assimilable. A l'extrême droite qui crie "On est ici chez nous", il a cette phrase : "Chaque Français, quelles que soient sa confession, ses origines, est ici chez lui". La laïcité, ce n'est pas une "religion d'Etat", c'est le "principe de neutralité" : oui, c'est précieux à rappeler, en ces temps où le mot de "laïcité" est manipulé à des fins liberticides.

Hollande rejette toute "loi de circonstances" contre le burkini. La droite y est largement favorable. Il a cette définition de notre pays, qui rappelle une formule de de Gaulle : "La France est bien plus qu'une identité, c'est une idée", alors que la droite tient à ce que le débat présidentiel tourne autour de la question identitaire. Pour le président, l'école est le meilleur moyen d'intégration, que Nicolas Sarkozy a mise à mal, en supprimant 80 000 postes d'enseignants durant son mandat. Voilà des choses qu'on a oubliées et qu'il serait bon de se rappeler.

Enfin, François Hollande a dit vouloir aller plus loin dans la lutte contre le cumul des mandats, en instituant cette fois une limitation dans la durée. Il a souligné quelques acquis de son bilan social, qui sont nombreux, sur quoi il reviendra et dont il fera sans doute un fer de lance dans les prochaines semaines et mois. Le discours s'est terminé sur la défense de l'Europe, "espace de valeurs", qui a bien besoin d'être soutenue tant elle est attaquée, principalement par l'extrême droite.

Est-ce un discours de campagne, un discours de candidat ? Je n'en sais rien et la question est idiote : un homme politique est toujours en campagne et il s'apprête toujours à être candidat. Le sera-t-il vraiment ? C'est autre chose ... Sa volonté seule ne sera pas en cause, mais la situation du pays, l'état de l'opinion, les choix de la droite, les circonstances internationales et surtout l'imprévisible, dans deux ou trois mois.

mercredi 7 septembre 2016

Je suis le maître des horloges



Lors de sa longue exposition médiatique de la semaine passée, Emmanuel Macron a utilisé à plusieurs reprises une formule un peu énigmatique : "Je tiens à rester le maître des horloges". Le maître des horloges ? Ce n'est pas une expression très répandue. Elle est pompeuse, elle sent bon le XVIIIème siècle. Les horloges, ça n'existe plus que chez les antiquaires. On pense à Louis XVI qui ne maîtrisait peut-être plus que ça, les horloges. Macron, je l'imagine dans sa grande maison, avec des horloges partout, l'ex-ministre les passant en revue, prenant soin de les remonter au bon moment ...

Bon, revenons à la politique : à travers cette image désuète, Emmanuel Macron veut dire bien sûr qu'il décide, contrôle, organise son temps politique, qui ne dépend que de lui, de personne d'autre. Ce n'est pas la première fois que cet homme jeune, moderne, imprégné de culture numérique exprime des préférences ou des références traditionnelles, archaïques (au bon sens du terme) : travailler avec Ricoeur, citer Bernanos, aller au Puy du Fou, s'interroger sur la place vide du roi dans la société française, c'est comme parler du maître des horloges, c'est se situer à contretemps, être anachronique.

En tout cas, le temps de Macron n'est pas le temps des médias. Ceux-ci portent d'ailleurs bien mal leur nom, puisqu'ils sont, de plus en plus, le temps de l'immédiat. Chaque jour, à chaque émission, on lui pose la question : "Serez-vous candidat ?" à quoi il répond invariablement que la question ne se pose pas, pour lui, maintenant. Macron nous demande quelque chose d'insupportable aujourd'hui : attendre ! Notre temps n'est plus celui de l'attente.

Le temps de Macron, c'est aussi le temps de la réflexion, un temps long, patient, exigeant. Les horloges, ce sont les cerveaux qui l'entourent. Il en est le maître non pas en despote, mais en Socrate qui agite ses disciples. Dimanche, l'ancien ministre était l'invité, à midi, de la nouvelle émission de France Inter. Pas facile de réfléchir, d'analyser, de nuancer et surtout de suspendre son jugement parce qu'il n'y a pas de solutions évidentes.

Du coup, Emmanuel Macron donne parfois l'impression de ne pas avoir d'avis : c'est faux, mais au micro, il parle en même temps qu'il réfléchit. L'interdiction du voile à l'Université ? Il est contre, mais ne dit pas d'abord qu'il est contre ; il part d'une réflexion sur ce que doit être la laïcité, il finit par où nous aimerions qu'il commence, parce que ce serait plus facile pour nous. Sur l'autorisation du cannabis, Macron ne dit pas non d'emblée, mais le sujet étant grave, lourd de conséquences, il a besoin de l'examiner de plus près, plus longuement. C'est que ses horloges sont nombreuses : il s'inscrit dans une réflexion collective, non seulement avec son mouvement En Marche ! mais avec l'ensemble des Français, qu'il a choisi de solliciter par porte à porte.

Emmanuel Macron veut donner le tempo à sa campagne. Mais n'est-il pas rattrapé par ce temps qu'il cherche à maîtriser ? Un sondage paru aujourd'hui dans Le Figaro l'annonce en tête de toutes les candidatures de gauche au soir du premier tour des élections présidentielles. Son heure aurait-elle sonné ? Mais avant l'heure c'est pas l'heure, parait-il. Dig, ding, dong ...

mardi 6 septembre 2016

Le beau salaud



J'ai aimé Jérôme Cahuzac, je l'ai apprécié, admiré même, pour sa prestance, son intelligence, sa compétence. Je l'ai soutenu, défendu. Il représentait pour moi tout ce en quoi je crois : après Dominique Strauss-Kahn et avant Emmanuel Macron, dans la filiation de Michel Rocard, Cahuzac incarnait avec brio, talent et avenir cette social-démocratie à la française qui a tant de mal à faire son chemin dans la gauche de notre pays. Oui, Jérôme Cahuzac au gouvernement, en début de mandat, était un ministre formidable, séducteur et prometteur.

Je déteste Jérôme Cahuzac, je le méprise, je le hais même. Il a trahi l'espérance que j'avais mise en lui. C'est comme s'il m'avait trahi personnellement. C'est la honte du Parti socialiste et du gouvernement. Non pas parce qu'il avait un compte en Suisse, au Japon ou je-ne-sais-où : en soi, ça ne me choque pas, ni le fait d'être à la fois riche et socialiste. Mais ce qui me scandalise, c'est qu'il l'ait caché, qu'il ait menti devant le Parlement, qu'il ait ainsi porté un très mauvais coup à la classe politique, par les temps qui courent et qui ne lui sont pas très fastes. Je hais Cahuzac pour l'explication qu'il a donnée à son mensonge : sa "part d'ombre". Tu parles ! Une piètre excuse. Je ne vois que de la lumière en lui, évidente, aveuglante, assumée, celle d'un homme en recherche de fric et de pouvoir.

Je hais encore plus cet homme depuis hier. Il a de la merde sur les mains et, pour se disculper, pour atténuer son cas, il cherche à en éclabousser les autres. Cahuzac s'en prend à un mort récent, Michel Rocard, qui n'est évidemment plus là pour se défendre. Il lui faire dire et faire le contraire de ce que ce grand socialiste a dit et fait toute sa vie. C'est plus que malhonnête, c'est odieux, dégueulasse. Ca ne se fait pas, faire parler et agir les morts. C'est diabolique, c'est Cahuzac. Ce type n'a tué personne, il n'a pas de sang sur les mains, il n'est pas criminel, il est pire que ça : c'est un salaud, un salaud intégral. Ce visage que j'ai suivi, écouté, estimé, j'ai maintenant envie de lui cracher à la gueule, quand je le vois apparaître sur mon écran de télévision.

Qui saura jamais le mal qu'a pu faire Jérôme Cahuzac à la République française, dans l'opinion publique ? J'écoutais ce matin à la radio les commentaires sur l'affaire : c'était consternant ! Des animateurs, que je n'ose même pas appeler journalistes, s'amusaient au petit jeu du "et si c'était vrai ?", "et si le menteur disait cette fois la vérité ?" Voilà le travail : la merde éclabousse et rend merdeux tout ce qu'elle touche, sur le dos d'un mort.

Je n'ai pas l'esprit vengeur, je ne demande pas la mort du pécheur, je crois en la puissance de la rédemption : même au pire des hommes, il faut accorder une possibilité de rachat. Quand l'affaire Cahuzac avait éclaté, j'avais bien aimé la réaction d'un journaliste, un vrai celui-là, Alain Duhamel, disant qu'il ne restait plus qu'une solution au ministre, médecin de profession : aller dans un dispensaire en Afrique et y consacrer le reste de sa vie à soigner les déshérités. Oui, ce geste lui aurait rendu une noblesse perdue, il aurait effacé le mensonge, une vie misérable en quête d'argent et de pouvoir. Cahuzac, au lieu de tenter de sauver sa personne, essaie d'enfoncer les autres, y compris ceux qui sont irréprochables. Le coupable qui, à son profit, accuse l'innocent : voilà la définition exacte du beau salaud.

lundi 5 septembre 2016

Le racisme n'épargnera personne



La manifestation fera date, les images étaient saisissantes, les médias n'ont pas suffisamment souligné l'ampleur de l'événement : des milliers d'Asiatiques défilant hier dans Paris, pour dénoncer les actes racistes, violents, criminels dont est victime leur communauté, c'est du jamais-vu. Jusqu'à présent, un lieu commun, hélas trop commun, voulait que les Asiatiques soient bien intégrés à notre société, paisibles, sans problèmes, échappant à l'hostilité et au rejet. Un cliché reste un cliché, même quand il se veut positif. La réalité, c'est que le racisme est une machine de guerre civile, qui n'épargne aucun étranger : sa pulsion fondamentale, c'est la violence et la mort. Il n'est pas bien porté aujourd'hui de se dire "antiraciste", encore moins bien vu de se faire le défenseur d'une "société multiculturelle" : je continue à me réclamer, fièrement, de ces principes.

Autrefois les Polonais et les Italiens, toujours les Juifs, depuis longtemps les Maghrébins, aujourd'hui les Asiatiques : c'est leur tour, en attendant je-ne-sais-qui demain. Le racisme ne fait pas de quartier : il déteste l'étranger, quoi qu'il soit, il refuse la différence, n'importe laquelle, discrète ou exubérante. On a cru que les Asiatiques, peu nombreux, très localisés, relativement effacés ne seraient pas frappés, mais les signes qui les condamnaient à devenir de futures victimes étaient bien présents :

Ca n'a l'air de rien, ce n'est pas directement raciste, mais le mal est aussi là, en germe, dans le débat économique. Le rejet de la mondialisation, le retour en grâce du protectionnisme, l'engouement pour le made in France : ce nationalisme qui ne dit pas son nom, propre sur lui, se réclamant parfois de la gauche est un foyer propice au racisme, quoi qu'il s'en défende. Produire français, acheter français, bouffer français et rejeter tous ces produits made in China : dans les têtes faibles, qui sont nombreuses, c'est préparer à la dérive raciste, anti-asiatique.

Il y a aussi cette obsession, cette peur et cette dénonciation du "communautarisme", un mot qui en lui-même ne veut rien dire du tout (de fait, sous ses lois, la République française est heureuse d'accueillir toutes sortes de communautés et ne s'en chagrine pas). L'expression est terriblement idéologique : elle suppose que toute culture, toute différence, tout héritage produiraient la fermeture sur soi, la dissidence d'avec la communauté nationale, seule valable, seule admise. Cette vision radicale, brutale du vivre ensemble ne peut que semer des germes de racisme, qui ne demandent après qu'à se développer. Les Asiatiques ne sont plus alors perçus d'abord comme des humains ou des citoyens, mais comme les membres d'une "communauté", suspecte au même titre que n'importe quelle autre communauté.

Enfin, il y a ce détestable débat autour de l'"identité", spécialité de l'extrême droite xénophobe, repris par certains leaders de droite, tentant même quelques hommes de gauche. Cette soi-disant "identité" nationale, française est bricolée, fantasmée et instrumentalisée : blanche, catholique et de langue française. On fait quoi des jaunes, bouddhistes, qui gazouillent en ouvrant la bouche (caricature contre caricature, vous m'avez compris) ? Non, je refuse ce concept droitier et extrémiste d' "identité". Oui, il y a une culture, une histoire, un patrimoine qui sont chers à notre pays et dont nous sommes fiers : mais pas une "identité" à la Zemmour. L'amour de la France, ce n'est pas la haine des étrangers et des communautés qui participent pleinement à notre culture, à notre histoire et à notre patrimoine. Etre Français, ce n'est pas avoir la peau blanche, aller à la messe et parler comme le dictionnaire (ça n'existe pas, c'est une image, qui ne correspond à aucune réalité).

La manifestation de nos compatriotes asiatiques nous rappelle que la lutte contre le racisme ne doit pas cesser, malgré le politiquement correct qui aujourd'hui la moque et l'invalide. A la haine des autres, il faut opposer l'amour des différences qui font la France. Protectionnisme, communautarisme, identité : des mots à mettre aux chiottes, avec le dernier livre de Zemmour, sans oublier de tirer la chasse. On ne peut pas rire avec le racisme. Trop d'indulgence a fait accepter le Front national. Il faut être violent, verbalement, avec ceux qui sont violents, surtout lorsqu'ils emploient un ton doucereux.