dimanche 30 novembre 2014

Retour à la case départ



Les socialistes ont inventé les primaires, l'UMP a inventé le vote électronique ! Je trouve que c'est une bonne idée, et c'est d'abord ce que je retiens de la consultation d'hier, qui a vu la victoire de Nicolas Sarkozy. Au PS, les scrutins internes se déroulent en soirée, dans la semaine et dans un créneau de quelques heures seulement, au local des sections. Ce n'est pas très pratique, ça ne favorise pas la mobilisation. Je suis partisan du vote par ordinateur. Aux élections nationales, c'est différent, j'hésite, je suis plutôt pour le maintien des bureaux et du rituel citoyen.

Deuxième remarque : la surprise du chef, le bon score de Bruno Le Maire. Quand un résultat est connu d'avance, sans surprise, ce n'est pas de la démocratie. Une vraie élection échappe à ses organisateurs. Je me réjouis que cette règle se confirme une fois de plus. Je me réjouis aussi que ce soit un "intellectuel" en politique (ils sont rares), qui en bénéficie. Preuve que le discours public n'est pas forcément synonyme de démagogie, de radicalité ou de populisme.

Mais le bon score de Bruno Le Maire ne doit pas faire oublier que le véritable gagnant, c'est Nicolas Sarkozy. En politique, il n'y a pas de scores honorables : le seul bon résultat, c'est celui qui vous porte au pouvoir. Le reste, c'est du commentaire. A dater d'aujourd'hui, le chef de la droite française, c'est Sarkozy, et c'est stupéfiant : qui aurait pu se douter que le président battu reviendrait deux ans après, porté par une bonne majorité des siens ? C'est fort, il n'y a pas d'équivalent. De Gaulle a eu sa "traversée du désert", mais c'était De Gaulle, son désert a duré dix ans et les circonstances étaient exceptionnelles. Giscard d'Estaing est lui aussi retourné à la case départ, ancien président de la République se présentant à une élection cantonale. Mais il n'a pas songé ni tenté retrouver les sommets de l'Etat.

Nicolas Sarkozy se lance dans quelque chose d'inédit, bien dans son tempérament à lui, un incroyable défi qui demande du caractère : redevenir ce qu'il a été et dont les Français ne voulaient plus. Sa stratégie est limpide : contrôler le parti pour décider de son candidat à la prochaine présidentielle, c'est-à-dire lui, avec ou sans primaires ; l'emporter face à Marine Le Pen, escomptant un PS si affaibli que son candidat sera éliminé au premier tour, comme en 2002. La perspective est redoutable, mais comme rien ne se passe jamais comme prévu en politique, je dors tranquille, d'un oeil ...

samedi 29 novembre 2014

Luc Legrand, le verni sage



Hier soir, à l'Espace Saint-Jacques, le peintre saint-quentinois Luc Legrand a été verni : d'abord parce qu'un public nombreux a assisté à l'ouverture de sa nouvelle exposition ; ensuite parce que l'adjointe chargée de la Culture n'a pas tari d'éloges sur "Luc", le "maître". Mais c'est surtout l'assistance qui a été vernie, car les toiles présentées valent le détour et votre visite : c'est un Legrand du meilleur cru.

Parmi les personnalités culturelles, on remarquait Jean Lallemand, Jean-Claude Langlet, Michel Krakowski, Pomme et Julie Legrand, Francis Crépin, Jean-Pierre Semblat, Audrey Labruyère, Victorien Georges, Karima Di Lena, Valérie Dessirier, Jean-Claude Grand, Maryse Trannoy, Serge Dutfoy, Erika Jambor, Dominique Saint-Dizier, Viviane Caron. Les personnalités politiques n'étaient pas en reste, puisqu'on pouvait voir Marie-Laurence Maître, Thomas Dudebout, Agnès Potel, Jacqueline Debadier, Nora Ahmed Ali, Daniel Wargnier.

Un peintre manie plus facilement le pinceau que la parole. Embarrassé par les éloges et le micro, Luc Legrand a préféré qu'on l'interroge en personne sur ses tableaux, plutôt que de se livrer à un discours. Il a tout de même sacrifié aux remerciement de rigueur, du président du Rotary Club Jean-Christophe Chauvirey, qui soutient l'exposition, à la femme de ménage qui passe l'aspirateur (dixit Luc).

Mais l'artiste est tout de même entré un peu dans l'explication de son art, qui est devenu minimaliste avec le temps. La rage expressionniste vous prend dans les premières années. Après, on essaie d'aller à l'essentiel. Il y a du zen dans cette démarche, de sérénité et de sagesse. Luc Legrand a pris aussi soin de désamorcer les critiques ou les étonnements : si son ciel est vert, c'est que la peinture n'est pas une photographie, et que le vert peut aller mieux au ciel que son traditionnel bleu. Le maître a dit.


En vignette : Luc Legrand au côté de Marie-Laurence Maître, adjointe à la Culture. Au premier rang, sa fille Julie, artiste elle aussi, entre Jean-Claude Langlet à gauche et Jean Lallemand à droite.

vendredi 28 novembre 2014

Inauguration mystère



Visite ce matin, avec la classe, du carrefour formations carrières, dans le palais de Fervaques, pour l'orientation des élèves, après leur baccalauréat. A 11h00 est prévue l'inauguration officielle, qui les intrigue : c'est quoi une inauguration ? pourquoi on ne la fait pas dès l'ouverture ? quelles sont les personnes qui prennent la parole ? est-ce qu'il y a quelque chose à manger et à boire ? Bref, les élèves ont envie d'assister à leur première inauguration, car ils n'en ont jamais vue de leur vie. Pourquoi pas : la seule contrainte, c'est le retour au lycée pour midi, où certains reprennent les cours.

Mais l'inauguration s'est fait attendre. En spécialiste de la chose, j'ai tenté de repérer l'endroit des discours, marqué par des micros sur pied, que je n'ai pas trouvés, tout simplement parce qu'il n'y en avait pas. Au pif et par expérience, je me dis que l'inauguration se fera sur les marches qui conduisent à l'étage : c'est le lieu idéal pour s'adresser à la foule. Nous occupons donc l'endroit, pour être aux premières loges. Le temps passe, les élèves s'impatientent un peu, mais ils tiennent à leur inauguration. Ils me font remarquer que des gens "importants" sont en train de se regrouper dans le hall (pour eux, les gens "importants" se repèrent à leur costume et à leur cravate pour les hommes, aux chaussures à talons hauts chez les femmes). Oui, c'est vrai, de petits groupes se forment, mais c'est pour discuter, pas pour inaugurer.

L'inauguration aurait-elle été supprimée ? C'est possible, le fait s'est déjà produit. Mais généralement non. L'espoir renaît parmi les élèves quand ils voient des jeunes presque de leur âge, tout en blanc, transporter des plateaux remplis de petites choses à manger, toasts salés ou gâteaux sucrés. C'est sûr, l'inauguration aura bien lieu, la preuve vivante défile sous nos yeux. Des élèves me demandent s'ils auront droit de boire du champagne, je leur réponds que oui, que c'est une inauguration ; mais j'aurais peut-être dû leur répondre que non, du point de vue de la déontologie.

Pour tromper l'attente (car il est 11h30), je dis à la classe que j'ai aperçu le sous-préfet, présence qui renforce l'idée d'une inauguration. Plusieurs ne savent pas quelle est la fonction de ce monsieur, une élève ose une définition : c'est celui qui est en dessous du préfet. Oui, évidemment. Je leur propose de leur faire connaître directement le "représentant de l'Etat" sur la ville de Saint-Quentin, les élèves sont aussi enchantés de cette perspective que d'assister à l'inauguration. Sauf que je cherche le sous-préfet et ne le retrouve pas. J'explique alors ce qu'est un sous-préfet (petite leçon impromptue d'éducation civique).

A 11h45, toujours pas d'inauguration en vue. J'entrevois une solution à l'énigme : les personnalités ont fait une visite des stands qui a fait office d'inauguration, sans discours officiels. Oui, mais que sont devenus les petits fours ? C'est à ne plus savoir ... Nous restons sur notre faim et sur un mystère. Toujours est-il qu'il est trop tard, qu'il faut rentrer, que les cours, eux, n'attendent pas, qu'il faut être à 12h00 dans l'établissement. Les élèves ne sauront donc pas ce qu'est une inauguration, n'entendront pas les gens "importants", ne participeront pas au "pot de l'amitié". Mais n'ont-ils pas toute leur vie pour ça ? Avant de partir, je recompte mes troupes pour n'oublier personne, et nous prenons une photo pour immortaliser cette visite (en vignette).

jeudi 27 novembre 2014

L'Aisne au FN ?



Le journal "Parisien-Aujourd'hui" rapporte, dans son édition d'avant-hier, un propos attribué à Jean-Christophe Cambadélis, selon lequel le Front national remporterait aux élections cantonales de mars prochain trois départements : le Vaucluse, l'Allier et ... l'Aisne. C'est évidemment énorme : qui pourrait croire que l'extrême droite ait suffisamment le vent en poupe pour s'emparer de trois conseils généraux ? Le pronostic me semble extravagant, et la déclaration n'a pas été confirmée par son prétendu auteur. Mais les rumeurs viennent rarement de nulle part.

Dans l'Aisne, voir une majorité de cantons tomber dans l'escarcelle du FN, je ne l'imagine pas, même en réfléchissant bien. Mais je me souviens aussi de mes incrédulités passées : on m'aurait dit, avant le 21 avril 2002, que Le Pen battrait au premier tour de la présidentielle un Premier ministre socialiste, je n'y aurais pas cru une seule seconde. On m'aurait dit que le FN, à Saint-Quentin, passerait devant les listes de gauche lors de l'élection municipale et deviendrait le premier parti d'opposition, j'aurais crié au fou ! et j'aurais ri d'une telle énormité. Et quand l'événement se produit, on n'a plus que ses yeux pour pleurer, et on s'en veut de n'avoir pas crié assez fort au feu !

Ce qui paraît certain, c'est qu'on va assister à une forte poussée du FN dans l'Aisne, et certains cantons vont sans doute basculer à l'extrême droite, dans la suite hélas logique des élections municipales. Je ne suis pas suffisamment spécialiste de la carte électorale pour dire lesquelles, d'autant qu'il y a un nouveau découpage. Sur Saint-Quentin, le canton Nord me semble être un maillon faible pour tous les républicains. Nous avons appris aujourd'hui, sans véritable surprise, que Jérôme Lavrilleux démissionnait pour laisser son siège à Monique Bry. L'UMP va devoir se donner de nouveaux candidats, qui ne rappellent pas l'affaire Bygmalion. Mais les électeurs s'en souviendront, et le FN peut faire un carton.

Dans le canton Centre, Colette Blériot peut compter sur sa popularité pour résister à la vague d'extrême droite. Il faudra vraiment que la gauche, essentiellement le parti socialiste, soit très avisée dans le choix de ses candidats, qu'elle défende des candidatures d'union si elle veut échapper à la "baffe" que nous prédit Jean-Christophe Cambadélis. Il serait tout de même malheureux, pour des électeurs de gauche, que la droite saint-quentinoise soit le meilleur rempart contre l'extrême droite. Et pourtant, s'il le fallait, il faudrait refaire ce choix, car on ne peut pas rester indifférent au pire.

mercredi 26 novembre 2014

La photo qui ne tue pas



Je ne comprends pas très bien tout l'émoi autour de la photo de François Hollande et Julie Gayet dans les jardins de l'Elysée, publiée à la une du magazine Voici. C'est une photo banale du président en conversation avec sa nouvelle compagne. Nous n'apprenons rien de nouveau.

Mais c'est une photo volée ? Oui, et alors ? Ce type de photos ont toujours existé, depuis longtemps : François Mitterrand et sa maîtresse dans la résidence de François de Grossouvre en 1981, sa fille Mazarine et sa mère à la sortie de l'école, jusqu'au chef de l'Etat sur son lit de mort. La différence, c'est qu'autrefois, elles n'étaient pas publiées. Aujourd'hui, pudeur et vie privée ne sont plus respectées, et on est prêt à faire du fric avec n'importe quoi. Des photos volées, je suis même surpris qu'il n'y en ai pas beaucoup plus, puisque n'importe qui, avec un mobile, peut rapidement saisir les scènes les plus indiscrètes (autrefois, c'était techniquement plus compliqué).

Le plus délirant dans cette affaire, ce sont les craintes qui se sont exprimées sur la sécurité du chef de l'Etat : comme si l'objectif de l'appareil photo était un potentiel fusil à lunettes ! C'est sûrement l'influence du cinéma sur l'esprit des gens, qui les amène à se faire un film dans leur tête. A ce compte, François Hollande aurait été tué mille fois dans ses nombreux déplacements, où quiconque, à tout endroit, peut aisément le photographier, comme c'est bien normal.

L'obsession de la sécurité ravage vraiment certains cerveaux ! Il faut leur dire : une photo n'a jamais tué personne. Celle de François Hollande et Julie Gayet a fait quand même une victime : elle s'est retournée contre son propre auteur, elle a tué l'honneur et la probité de celui qui l'a prise, dont les intentions sont forcément malhonnêtes ou mercantiles.

mardi 25 novembre 2014

Libre laïcité



Les Etats généraux du parti socialiste arrivent à leur terme. La Charte qui en résulte sera soumise au vote des adhérents le 3 décembre. Un grand rassemblement de tous les contributeurs se tiendra à Paris le 6 décembre. De cette formidable consultation, dont on a trop peu parlé, il reste surtout une innovation, qui fera date, qui aura des conséquences à court et à long terme : les non-adhérents, les simples sympathisants ont été sollicités pour écrire le projet du parti. C'est du jamais vu.

Un pas énorme a été franchi (et il y en aura d'autres) : après les primaires qui impliquent nos électeurs dans la désignation des candidats, c'est maintenant la définition de notre identité qui n'est plus entre les mains des seuls adhérents, mais ouverte à tous les socialistes, de coeur ou de carte. C'est une révolution, dont je me réjouis : les "cartés", comme on les appelle, sont trop souvent des adhésions téléguidées, qui ne peuvent rien donner de bon. Quand on voit leur petit nombre dans ce grand parti de gouvernement qu'est le PS, c'est à faire peur. Désormais, dans tous les événements du parti socialiste, il faudra systématiquement mettre à contribution les sympathisants, pour être vraiment en phase avec la société.

La Charte est un texte excellent, en dix points précédés d'un préambule. Je retiens particulièrement le point 9, consacré à la République et à la laïcité, puisque j'avais envoyé une contribution sur ce sujet, intitulée "La laïcité, c'est la liberté". La laïcité est aujourd'hui dénaturée, manipulée, transformée en une idéologie liberticide, xénophobe, essentiellement anti-musulmane. C'est le rapport entre laïcité et religion qui est en question. La Charte est très claire sur ce point, elle me convient très bien, elle répond à mes attentes. Voici l'extrait concerné :

Les croyants et les non-croyants ont les mêmes droits d'expression. La laïcité fait de l'Etat le protecteur de la liberté de conscience de chacun, avec l'idée que c'est à chaque individu de décider de ses croyances religieuses ou de ses convictions philosophiques. Toutes les religions ont la capacité de s'inscrire dans ce cadre commun -
la religion musulmane comme les autres, contrairement à la stigmatisation mise en oeuvre par l'extrême droite et la droite extrême".


Cette Charte remet les pendules à l'oeuvre. C'est un bréviaire indispensable pour nos militants, nos responsables et nos candidats.

lundi 24 novembre 2014

La frite contre la trique



Au décès de Jean Giacalone, dit "Jeannot-la-Frite" parce que sa baraque près de la gare de Saint-Quentin était devenue célèbre, j'ai eu envie de lui consacrer un billet sur ce blog. Et puis, j'ai vu que la presse locale avait fait aussi bien, sans que je puisse apporter d'informations nouvelles. J'ai donc renoncé. Ce qui m'a amusé, c'est que j'avais eu en tête exactement le même titre que l'article du Courrier picard : "Jeannot n'a plus la frite", qui est en effet un bon titre. Mais en le lisant, je me suis dit : "ils vont avoir des ennuis".

Depuis plusieurs années, j'ai constaté qu'un climat d'intolérance monte tout doucement, une sorte de politiquement correct qui interdit d'écrire ce qu'on veut, qui contrôle sévèrement les traits d'humour, qui fait régner une sorte de police de la pensée, qu'on ne remarque pas toujours et qu'on ne songe pas à dénoncer, parce qu'elle s'exerce souvent de façon anecdotique, mais néanmoins inquiétante. J'ai vu juste pour le cas présent : dans son édition d'hier, à la rubrique "Décryptage", le Courrier picard révèle que "de nombreux lecteurs" lui ont reproché le titre "Jeannot n'a plus la frite", jugé honteux et irrespectueux. Le journal s'est défendu en rappelant la liberté de ton, au fondement du droit des journalistes. La situation est quand même grave pour qu'en République, on se sente obligé de rappeler des évidences (la liberté d'expression), qui devraient être connues de tous.

Comment expliquer cet esprit liberticide qui a tendance à se répandre ? Je vois trois possibilités :

1- La bêtise. Ces lecteurs outragés ne savent pas lire un article de presse, n'y comprennent rien, prennent tout au premier degré, confondent l'humour avec la moquerie. C'est une explication, néanmoins secondaire. Le style humoristique est déjà ancien, date des années 70 et du quotidien Libération, l'opinion s'est largement habituée à cette façon de traiter l'actualité. D'autre part, notre société est bien moins prude, moins retenue qu'avant, l'esprit de dérision est un peu partout : il faudrait avoir une sacrée couche de bêtise pour penser que l'article du Courrier était irrespectueux, alors qu'il était au contraire élogieux.

2- La malhonnêteté. Je crois que c'est un facteur beaucoup plus puissant, et paradoxal : on donne des leçons au journal, alors que les donneurs de leçons sont foncièrement malhonnêtes. Car il faut l'être pour faire dire à un article le contraire de ce qu'il veut dire. C'est même plus que de la malhonnêteté : c'est carrément du vice. N'importe quel lecteur comprenait que l'article du Courrier picard traitait avec émotion et sympathie le personnage de Jean Giacalone. Pourquoi alors s'ingénier à des mensonges, inventer un scandale qui n'existe pas, s'indigner artificiellement ?

3- Le moralisme. C'est l'un des traits de notre époque. Le moralisme consiste en un détournement de la morale, où ne comptent que les apparences, où les mots supplantent le sens. L'intention devient sans importance : on se fixe sur une phrase, on la détache du texte, on lui donne une tonalité odieuse que pourtant elle n'a pas. Le moralisme est une sorte de puritanisme du langage, qui nous intime à faire attention à tout ce que nous disons et écrivons. Les mots prennent une dimension magique, un ordre moral du vocabulaire s'installe, les censeurs veillent au bien parler. Aujourd'hui, ces manifestations d'humeur sont souvent dérisoires. Mais demain, qu'en sera-t-il, sur des sujets plus graves ?

Il est important de résister à cette poussée d'intolérance, à ce mélange de bêtise, de malhonnêteté et de moralisme. Ne pas en rester à une attitude défense, mais prendre l'offensive, dénoncer les dénonciateurs, ne rien laisser passer, en rire et argumenter sérieusement. A tous ceux qui agitent la trique de ce nouveau conformisme, assumons et répétons que "Jeannot n'a plus la frite" !

dimanche 23 novembre 2014

Gueule de Bloy



Hier, en commençant ma conférence à la bibliothèque municipale sur l'écrivain Léon Bloy, je savais que ce serait raté. D'habitude, c'est plutôt réussi, je maîtrise bien et le public est satisfait. Pourquoi pas là ? Par ignorance du sujet ? Non, tout le contraire : je connais trop bien l'auteur, je sais que c'est une montagne qui vous écrase. Dès la préparation, ces jours derniers, j'ai senti le problème, j'ai regretté d'avoir proposé ce thème : on ne peut pas faire entrer un éléphant dans une boîte d'allumette (j'emploie l'image à bon escient : dans son "Journal", Léon Bloy dit de lui qu'il a la foi "comme un éléphant à une trompe" !).

Et puis, il y a le public. Qu'est-ce qui fait qu'une conférence est réussie (j'ai dû en faire des dizaines de dizaines) ? C'est lorsque que vous parlez de choses que l'auditoire connaît déjà, mais en développant, ce qui donne le sentiment au public d'être intelligent. Avec Bloy, pas de pot : presque personne ne connaît. En plus, c'est un fou furieux, divinement furieux : il se veut "catholique absolu", peut-être le seul en France, pense-t-il (à la charnière du 19e et du 20e siècle). Ce qui m'intéresse chez l'homme, c'est qu'il a choisi d'aller jusqu'au bout de ses idées, ce qui est une attitude très rare autour de nous.

Autre difficulté : l'image qu'il donne du chrétien n'est pas du tout celle à laquelle on s'attend. Son christianisme n'est pas de catéchisme, une morale gentillette que même les athées peuvent pratiquer. Quand on lui frappe la joue droite, il ne tend pas la joue gauche, mais vous balance l'Evangile dans la gueule. Il insulte volontiers, en des termes souvent scatologiques, auxquels j'ai dû avoir recours hier en pleine bibliothèque municipale ! Quelqu'un m'a dit que je ressemblais à Léon Bloy : la fureur et les yeux, peut-être (voir vignette). Du coup, ma conférence tournait étonnement au prêche.

Bloy bouffe du bourgeois, j'ai donc dû à mon tour les dénoncer, les petits, les grands, les moyens, les vrais et les faux, surtout les pires, les bourgeois cathos. Il y a de quoi se faire des ennemis. Les Juifs, ensuite, dont Léon Bloy parle dans son génial petit livre "Le Salut par les Juifs". A l'époque, presque tout le monde est antisémite, catholiques en tête. Bloy, lui aussi, trouve que les Juifs sont des salauds, puisqu'ils ont tué le Christ, les Romains n'étant dans l'affaire que des auxiliaires, des exécutants. Mais il fallait, selon Bloy, que quelqu'un fasse le sale boulot. C'était prévu dans le plan de Dieu, en vue de racheter l'humanité. Et Il a choisi pour ça Son peuple élu, Israël. D'où il ressort que l'antisémitisme est une stupidité et un crime, et que les Juifs doivent être vénérés, comme on vénère les saints. L'argument est renversant, c'est le cas de le dire.

Sur la douleur, Bloy fait mal : il défend la vieille théorie de la souffrance réparatrice, et nous demande de prier pour souffrir à la place de quelqu'un d'autre, étant donné que la plupart de nos propres peines sont superficielles. Quant à notre plaisir, il se fait toujours au détriment de quelqu'un. "Tout se paie" (remarquez bien que les psychanalystes disent à peu près la même chose aujourd'hui). C'est aussi ce qu'on appelle la communion des saints. Evidemment, il faut y croire ...

Pour la bonne bouche, je vous donne l'avis de Léon Bloy sur Lourdes, alors en plein boom. Il y croit moins que La Salette, il y croira vraiment le jour où il aura assisté à deux miracles : un bien portant revenant en mauvaise santé, pour souffrir et assurer ainsi le salut de quelqu'un d'autre ; un riche sortant de la grotte et distribuant tous ses biens aux pauvres. Il faut vraiment s'appeler Léon Bloy pour écrire ça !

Au moment des interventions du public, une dame m'a dit : "Léon Bloy, c'est effrayant". Elle a reçu des applaudissements d'approbation de la salle. Sans le savoir, on rendait ainsi à l'écrivain le plus bel hommage. Bloy, en effet, nous délivre une vérité effrayante, mais aussi prometteuse. J'ai dû saouler mon public, en restituant son ivresse spirituelle. Ils ont dû en ressortir avec une sacrée gueule ... de Bloy. Une autre personne m'a demandé si je mettais sur le même plan Bloy, Bernanos et Péguy : oui, si l'on veut, mais Bloy, c'est de la pure cocaïne, alors que Bernanos et Péguy, c'est du cannabis coupé. Pour poursuivre les analogies : Bloy est à la religion ce que Nietzsche est à la philosophie. Et tous les deux avaient en commun une superbe moustache !

Qu'importe la conférence ratée : si une seule personne, dans la salle, a été touchée par le message, c'est gagné ! Léon Bloy en était persuadé : ce n'est pas le groupe qui compte, c'est la personne. Il savait de quoi il parlait : c'est la vieille histoire de la brebis égarée au milieu d'un troupeau de cent. C'est elle qui doit être sauvée. Lisez Bloy : malgré les apparences, il ne vous mordra pas. C'est tout simplement un homme du moyen âge, un patriarche des temps bibliques, un Diogène catholique, un écrivain comme on n'en fait plus aujourd'hui. Raison de plus.

samedi 22 novembre 2014

La nuit était bleue



La nuit était bleue, hier soir, à l'intérieur de la bibliothèque municipale. Chantal Toulouse et Claude Blachon (en vignette) ont de nouveau animé une séance d'Ecoute active, musique de jazz accompagnée par des commentaires (textes de Claude). L'initiative a débuté il y a sept ou huit ans, et c'était la première animation au sein de la bibliothèque (depuis, elles sont nombreuses).

Cette fois, Chantal et Claude ont évoqué le mythique label Blue Note, qui nous fait voyager dans les années 50 et 60. Nous avons commencé par Herbie Hancock, avec Cantaloupe Island, pour terminer dans un genre très différent, Avishai Cohen, Aurora. En tout, ce sont seize interprétations que nous avons pu apprécier, parmi lesquelles John Coltrane, Jimmy Smith et Michel Petrucciani (le seul Français qui se soit imposé dans cette maison exclusivement américaine).

Les photos des musiciens étaient sur les marches du hall d'entrée, où se tenait la conférence, pendant que d'autres défilaient sur écran (Kenny, au son et à l'image). Le public avait beau rester sagement sur les sièges, les visages, les corps, les pieds bougeaient légèrement, au rythme des morceaux. C'est comme ça, le jazz. A la fin, une nouvelle invitation a été lancée, pour demain : à 16h00, au Conservatoire de musique, l'association Jazz Aisne Co (JAC), présidée par Denis Lefèvre, proposera en première partie Franck Tortiller, vibraphoniste, en solo, et en seconde partie, le duo Philippe Petit, à la guitare, et Ruth Lévy-Benseft, à la contrebasse. Quand j'ai quitté la bibliothèque municipale, la nuit était noire.

vendredi 21 novembre 2014

L'union ou la mort



Pour les instances nationales du parti socialiste, à l'approche des élections cantonales (dans quatre mois seulement), l'union de la gauche n'est plus seulement une option, mais un devoir, si l'on veut limiter la catastrophe annoncée. A Saint-Quentin, lors du dernier scrutin cantonal, la stratégie des candidatures autonomes et des têtes nouvelles a prévalu, avec la défaite qu'on sait, l'extrême droite devançant les deux candidats PS, Carole Berlemont et Stéphane Andurand. Si une telle stratégie se poursuit, c'est la mort assurée. Sachant que les candidatures se feront sous forme de binôme homme-femme, l'union est réalisable dans un même ticket.

Mais quelles sont localement les possibilités d'union ? Le partenaire naturel et historique du PS est d'abord le PRG (Parti radical de gauche) : peu d'activités sur Saint-Quentin, mais une présence lors de la récente élection municipale, avec une représentation sur la liste en la personne d'Edwige Calonne, et le soutien actif de Jean-Robert Boutreux, connu dans le paysage saint-quentinois. Il faut compter aussi sur les chevènementistes du MRC (Mouvement républicain et citoyen), avec à leur tête Laurent Elie, lui aussi présent sur la liste municipale.

Dans ce premier cercle d'alliances possibles, une nouvelle formation est à inclure, lancée il y a quelques semaines par Jean-Luc Bennahmias, le Front démocrate, qui se présente comme ouvertement pro-gouvernemental. Son responsable à Saint-Quentin est Antonio Ribeiro, désormais éligible, réapparu dernièrement sur la scène politique locale en signant des tracts en compagnie de Stéphane Monnoyer, ex-MoDem. La logique voudrait qu'ils se rapprochent du parti socialiste. Mais l'essai avait été infructueux aux élections municipales de mars. L'Initiative démocratique de gauche (IDG), présidée par Roland Renard, est un allié habituel, mais sans figure marquante et repérable à Saint-Quentin, contrairement à il y a une dizaine d'années, quand Lionel Josse, bien implanté dans le monde associatif, était son représentant.

Le deuxième cercle est constitué de partis de gauche dont le rapport au PS est cependant problématique. En premier lieu, nous pensons bien sûr aux écologistes. A Saint-Quentin, l'ex-conseillère municipale Nora Ahmed Ali a été exclue de EELV, à la suite de sa position durant les municipales. Reste Michèle Cahu, conseillère régionale, mais brouillée avec les socialistes à l'occasion de ces municipales. Les divisions s'effacent vite quand on a la maturité politique : est-ce que ce sera le cas ?

Côté communistes, la situation est beaucoup plus délicate, pour ne pas dire impossible : Corinne Bécourt et Olivier Tournay auront leurs candidats et ne s'inscriront pas dans une logique d'union, c'est quasiment certain. Ou alors, il faudrait être politiquement très fort et très malin pour les amener à des candidatures communes à toute la gauche. Ces choses se sont déjà vues, mais localement c'est difficile. Il faudrait du moins attirer les communistes du Front de gauche, Guy Fontaine et Alix Suchecki, respectivement ancien leader de la CGT et ex-adjointe du maire PCF Daniel Le Meur. Mais ce qui ne s'est pas fait aux municipales se fera-t-il aux cantonales ? Rien n'est moins sûr.

A brosser ce rapide tableau de l'état de l'union, on est plutôt porter au pessimisme. Mais la politique est aussi une question de volonté, d'énergie, de décision. Au départ, tout est difficile et compliqué ; ça ne préjuge pas du résultat, qui est ce qu'on en fait. De toute façon, il n'y a pas le choix : pour les socialistes, déjà mal en point, c'est l'union ou la mort. La gauche locale serait-elle à ce point irresponsable face au danger d'extrême droite ? Accepterait-elle de voir le Front national la battre pour la troisième fois consécutive ? Si c'était le cas, ce serait à désespérer de cette gauche locale ; ce serait à se demander si elle souhaite vraiment gagner ou plutôt témoigner, c'est-à-dire se contenter de survivre et de vivoter ... Réponse dans les prochains jours ou les prochaines semaines.

jeudi 20 novembre 2014

L'ère primaire



Le parti socialiste doit-il organiser des primaires pour désigner son candidat à la prochaine élection présidentielle ? Thierry Mandon a relancé le débat en répondant que oui. Je ne suis pas sûr que ce soit le rôle d'un secrétaire d'Etat d'aborder ce genre de question. Mais, de fait, la question est posée. Je ne crois pas que la réponse dépende de l'impopularité du chef de l'Etat : d'abord parce qu'on ne sait pas ce que sera l'état de l'opinion dans deux ans ; ensuite parce qu'on ne sait pas si François Hollande sera candidat ou pas (lui-même ne le sait pas, puisqu'il fait dépendre sa décision des résultats de la politique du gouvernement). La question des primaires ne doit donc pas été une affaire de conjecture ou de circonstances : c'est du point de vue des principes qu'il faut la poser.

Les inventeurs de la primaire, ce sont les socialistes, lors du dernier scrutin présidentiel. La droite nous copie, en prévoyant d'organiser pour la prochaine fois ce système. Il serait par conséquent cohérent que le PS soit fidèle à lui-même, qu'il défende et applique à nouveau ce dispositif. Qu'un possible candidat soit aussi chef de l'Etat change-t-il quelque chose ? Je ne pense pas. François Hollande, s'il se porte candidat pour une seconde fois, aura besoin de se ressourcer auprès de l'électorat de gauche. La primaire ne pourrait que lui être profitable. Les vertus de cette procédure sont invariables, quels que soient les candidats et leur titre. Et puis, en démocratie, il n'y a rien à craindre d'aucune consultation populaire, celle des primaires ou n'importe quelle autre.

La fonction présidentielle ne risque-t-elle pas de souffrir à se rabaisser à des joutes partisanes ? Dans sa dimension gaullienne, certainement. Mais cette dimension-là, qu'avait su préserver François Mitterrand, a disparu depuis longtemps : c'est d'abord la droite, avec Chirac et surtout Sarkozy, qui a fait descendre le chef de l'Etat de ses hauteurs monarchiques. Je le regrette, mais l'évolution est sans doute irréversible, et la société d'aujourd'hui ne se prête plus guère à un président en majesté. La participation d'un président de la République à des primaires ne fera qu'acter un changement des mentalités, qui n'est peut-être pas si déplorable que ça.

Enfin, loin de vouloir restreindre ces primaires citoyennes, je les considère plutôt comme une chance pour la démocratie et la vie politique. Il faudrait songer à étendre leur champ d'application à d'autres élections, en faire une règle de désignation des candidats. Car ce qui tue la politique, ce qui détourne les citoyens de la vie publique, ce qui grossit les rangs et les votes de l'extrême droite, c'est la logique d'appareil, avec ses arrangements internes, ses candidats présélectionnés, ses choix hasardeux parce que intéressés, opportunistes.

Autrefois, cette réalité existait déjà, mais elle était admise, parce que l'idéologie la recouvrait, parce que les militants étaient beaucoup plus nombreux, parce que les fortes personnalités faisaient oublier les candidatures médiocres, fantasques ou alimentaires. Aujourd'hui, le citoyen est vigilant, exigeant et désabusé : les partis politiques ne peuvent donc plus se permettre de se donner, à quelque élection que ce soit, des candidats bâtards, inconnus ou transparents, qui végètent dans l'appareil jusqu'à ce qu'on les réactive le moment venu. Choix des candidats par les citoyens à tous les scrutins : c'est clair, net et démocratique. L'ère primaire ne fait que commencer.

mercredi 19 novembre 2014

La défaite de la Picardie



L'Assemblée nationale examine aujourd'hui, en seconde lecture, la carte des nouvelles régions. Quelle qu'en soit l'issue, la région Picardie aura échoué. Le choix le plus probable, qui est l'hypothèse actuelle, c'est la fusion avec la région Nord, qui ne veut pourtant pas de nous. Un mariage contraint et forcé, sans consentement mutuel, ne peut rien donner de bon. Le Conseil régional de Picardie, toutes tendances confondues, a cette préférence faute de mieux, qui aurait été, selon lui, le maintien en l'état de la région picarde, autant dire le refus de la réforme territoriale proposée par le gouvernement.

Il y avait des solutions alternatives. Dès le début, j'avais eu idée d'un rattachement avec l'Ile-de-France (je raisonnais aussi en Axonais et en Saint-Quentinois). La suggestion pouvait paraître baroque, quoique sérieuse et étayée dans mon esprit. Mais quand on est seul, on croit toujours avoir tort. C'est pourquoi j'ai été heureux (et surpris) de voir Jean-Pierre Balligand défendre cette option en début octobre, alors qu'il avait toujours soutenu jusqu'à présent le rattachement de la Picardie à la Champagne-Ardenne. Pour moi, l'argument est simple : la région la plus pauvre doit s'allier à la région la plus riche.

Dans le débat sur la réforme territoriale, depuis quelques semaines, d'autres évolutions se sont produites. Yves Daudigny, qui avait gardé une prudente neutralité, se souciant surtout de maintenir l'existence du département, a finalement fait le choix de l'Est, contre celui du Nord. De plus, les départements ont obtenu le droit, sous certaines conditions, de rejoindre la région de leur choix (jusqu'à présent, les rapprochements étaient exclusivement interrégionaux). Jacques Krabal milite activement pour que l'Aisne se tourne vers Reims. L'Oise, évidemment, regarde vers Paris. Bref, l'éclatement de la Picardie est à l'ordre du jour. Pourquoi pas, d'ailleurs, puisqu'au niveau régional, la volonté politique a manqué, partagée médiocrement entre le statu quo (Picardie maintenue) et le pis aller (mariage aigre-doux avec le Nord-Pas-de-Calais).

Il n'en reste pas moins que la réforme territoriale est l'un des plus importants chantiers du quinquennat, qui modifiera durablement l'organisation du pays. La droite reproche contradictoirement une refonte des régions imposée d'en haut et une carte territoriale qui n'en finit pas de bouger. Non : le projet vient du gouvernement, ce qui est normal en matière d'institutions, y compris locales ; mais il a été largement débattu avec les élus concernés, et les parlementaires, encore aujourd'hui, ont fait leur travail.

Xavier Bertrand proposait des référendums par région : non, ça n'aurait rien donné, les Picards voulant garder la Picardie, les Bretons la Bretagne ... et les Berrichons le Berry (je suis Berrichon de naissance, mais c'est une boutade, le Berry étant une ancienne province, pas une région). La voie référendaire est praticable lorsque la question est simple et nationale. Va donc pour des Picards devenus Nordistes, à défaut d'être Franciliens : le pire aurait été, de toute façon, de rester replié sur soi. Une défaite, à la longue, peut se transformer en victoire.

mardi 18 novembre 2014

Salgado selon Wenders



70 personnes se sont retrouvées hier soir au ciné philo, pour le dernier film de Wim Wenders, "Le sel de la terre", un documentaire sur le photographe Sebastiao Salgado et ses superbes oeuvres en noir et blanc, mais aussi une réflexion sur le malheur des hommes et la beauté de la nature. Après un long voyage en enfer, dans les pays ravagés par la famine et la guerre, Wenders termine par une incursion au paradis, chez les indiens d'Amazonie.

C'est enfin une méditation originale sur l'art, puisque le cinéma se penche sur la photographie, objectif de l'un pointé sur l'objectif de l'autre. Salgado photographie la souffrance et la mort, choix très discutable et dont nous avons discuté. Mais le résultat est digne et esthétique, même si c'est terrible à dire. D'ailleurs, la vie et la mort se mêlent, inséparables, dans les populations africaines et brésiliennes qu'ont visitées Wenders et Salgado. En Occident, nous les opposons, jusqu'à refouler la mort. Il n'y a pas si longtemps, a fait remarquer un intervenant, on photographiait chez nous les corps et les visages des défunts, sans problème.

Le débat a été animé par une ancienne et une fidèle du ciné philo, Christiane Gabriel, admiratrice de Wim Wenders, dont elle nous a parlé avec beaucoup de science et de brio (vignette 1). La prochaine séance aura pour invité Benoît Delépine, pour son dernier film (vignette 2). Mais il n'y a pas que le ciné philo au multiplexe de Saint-Quentin : vous pouvez participer au ciné débat, dans une approche plus cinéphilique que philosophique, proposé par Claude Baugée, avec lundi prochain le film de Cédric Kahn, "Vie sauvage", interprété par Mathieu Kassovitz.

lundi 17 novembre 2014

Détruire et construire



Proposer une séance de café philo sur le thème "Que détruit la guerre ?" au musée de Vassogne, près de Craonne, était presque une provocation, du moins une contradiction. Ce charmant musée, de création récente (2008), se consacre en effet aux outils anciens à main, considérés et présentés comme des oeuvres d'art populaire, des éléments de civilisation et d'humanité, dont il faut préserver le témoignage et le souvenir. L'outil, c'est ce qui construit, la guerre, c'est ce qui détruit. Mais la philosophie ne craint pas la contradiction, ni la provocation : elle les suscite, pour les dépasser et produire quelques idées.

Hier après midi, nous étions une quarantaine pour échanger sur le sujet (vignette 1, une partie du public). La rencontre était à l'initiative de la Caverne du Dragon, Musée du Chemin des Dames. Le débat a été suivi d'une visite commentée du musée, d'abord de sa partie haute, où l'on peut apprécier en ce moment une exposition intitulée "Du blé ! Récolte et pratiques fiscales". Andrée Bedhome nous a montré et expliqué des objets dont l'utilité le dispute à la beauté (vignette 2). Où l'on constate aussi que la réglementation fiscale d'il y a quelques siècles valait bien la complexité administrative actuelle !

Au rez-de-chaussée, l'exposition "Terres, fêlures de la Grande Guerre", a donné l'idée et l'occasion du café philo : la guerre détruit tout, les hommes, les choses, la nature, mais la terre conserve beaucoup, protège et les populations réparent : jarre, cruche, pot, saloir et d'autres, ces objets du quotidien ont échappé à la folie meurtrière (vignette 3, de droite à gauche, Anne Bellouin, responsable de la Caverne du Dragon, Patrick Doucet, président de l'association des amis du musée de Vassogne, Stéphane Bedhome, membre du conseil d'administration).

Je vous invite vivement à passer par Vassogne et à vous rendre dans son musée, passionnant et créé par des passionnés. Ses coordonnées : 03 23 25 97 02 / www.outilsvassogne.fr

dimanche 16 novembre 2014

King Kong sans smoking




Courez vite cette semaine au 34e festival international du film d'Amiens. D'abord, parce que vous serez très bien reçus par sa présidente, Anne-Marie Poucet, par ailleurs ma cousine (vignette 2, très star de cinéma, en bonne compagnie, Fugence Compaoré, djembéfola, et Harry, organisateur de spectacles).

Ensuite, parce que le programme est formidable, plein d'idées neuves : une rétrospective Jean-Pierre Marielle, avec le grand moustachu himself ; l'oeuvre unique (les réalisateurs d'un seul film, Malraux, Genet, Giono, Malaparte, Mishima, Vanel, Brando, Laughton, entre autres), des hommages, des invités, des masterclass, des animations pour les enfants, des interventions à la maison d'arrêt, dans les collèges, ... Je vous renvoie au copieux et alléchant menu : www.filmfestamiens.org

La magie du festival, c'est sa diversité et son petit côté décalé : films anciens et récents, grand public et cinéma expérimental, beaucoup de chefs-d'oeuvre et un petit nanar (dixit Fabien Gaffez, directeur artistique du festival, à propos de "Maximum Overdrive", de Stephen King). Cette année, un nouveau dispositif européen va soutenir financièrement un jeune auteur. Son nom : Pygmalion (non, rien à voir avec ce que vous pensez ...).

La cérémonie d'ouverture (vignette 1), c'était vendredi soir, j'y étais (sans smoking). Elle s'est déroulée sous l'égide de King Kong, que nous avons toujours plaisir à revoir (le vrai, le premier). Le lendemain avait lieu un tournoi de King Pong, afin de désigner la huitième merveille de la ville ! (les Amiénois sont cinéphiles et facétieux). Le festival a été officiellement lancé par Brigitte Fouré, maire de la ville, et le député Alain Gest.

Dans l'assistance, parmi les élus, on remarquait Didier Cardon, vice-président du Conseil régional, et mon copain de la Ligue de l'enseignement, Pascal Demarthe, devenu député il y a un mois, ce qui nous a permis de deviser sur le rôle des circonstances (heureuses ou malheureuses) en politique. Des intermittents, poings levés, sont venus sur scène faire part de leurs revendications (vignette 3). En quittant la salle, passé minuit, j'ai cru voir King Kong au sommet de la tour Perret. Je n'avais pourtant pris aucune goutte d'alcool, ni rien fumé. C'est ça, la magie du cinéma.

samedi 15 novembre 2014

La guerre fait des bulles



Parmi les nombreuses façons de commémorer la Grande Guerre, la plus originale est sans doute de s'appuyer sur la bande-dessinée. C'est ce à quoi s'est livré cet après-midi, à la bibliothèque municipale, Benjamin André (en vignette). La Première guerre mondiale, pendant le conflit, mobilise toute la société, y compris les dessinateurs. La célèbre Bécassine se met au service de la Croix-Rouge. Trois albums l'enrôlent dans la cause nationale : "Bécassine pendant la guerre" (1916), "Bécassine chez les alliés" (1917) et "Bécassine mobilisée" (1918). Même les Pieds Nickelés, pourtant affreux anarchistes, deviennent patriotes, flanqués d'un tirailleur sénégalais qui leur crie : "V'la li boches !"

Car la première caractéristique de ces BD, c'est de dénoncer les "boches", cruels, immoraux, barbares, au regard de quoi la France représente un modèle de civilisation et d'humanité. La deuxième caractéristique, c'est de ne pas aborder les horreurs de la guerre : Bécassine soigne des blessés légers, jamais de graves mutilés ; Croquignol, Filochard et Ribouldingue vont sur le champ de bataille, mais ne descendent jamais dans l'enfer des tranchées. L'époque est ainsi : on part au combat la fleur au fusil, on porte de seyants pantalons rouges (qui feront d'efficaces cibles pour l'ennemi), on s'exclame qu'"on l'aura, la tête à Guillaume !"

Il faut attendre les années 1970 pour que la bande-dessinée aborde la guerre 1914-1918 d'un point de vue plus historique, plus réaliste. Le maître en la matière, inégalé depuis mais très souvent copié, c'est Jacques Tardi, dont on peut citer et recommander les albums "C'était la guerre des tranchées" et "Putain de guerre". On passe alors d'une idéologie patriotique, moraliste et civilisatrice à une idéologie antimilitariste, humaniste et pacifiste. Tardi ne laisse pas prise à l'imagination, son dessin s'attache aux détails, les vignettes se fixent sur les visages et la psychologie qu'ils expriment.

Dans cette veine, au cours des années 80, on trouvera Servais et Dewamme, avec "Tendre Violette". Les Anglais ont aussi, à la même période, leurs auteurs de référence : Pat Mills et Joe Colquhoun, avec "La guerre de Charlie", en huit volumes, une lecture sociale et anticapitaliste de la Grande Guerre.

Enfin, Benjamin André a rappelé que nous avions, à Saint-Quentin, notre BD sur le sujet : "Raconte-moi", dessinée par Serge Dutfoy, le premier conflit mondial vu par un jeune Saint-Quentinois de 7 ans.

Une très agréable conférence, suivie par un public nombreux : Benjamin a su traiter d'un thème grave avec des pointes d'humour, à quoi se prête souvent l'univers de la BD, même quand elle est confrontée à la tragédie.

vendredi 14 novembre 2014

E-évêque



A l'invitation de la librairie Cognet, Monseigneur Hervé Giraud, évêque du diocèse (en vignette), a fait hier soir, au palais de Fervaques, une conférence, non pas sur la Sainte Trinité ou la Divine Liturgie, mais la communication contemporaine et sa révolution numérique. Les "miettes d'Evangile", comme il l'a joliment dit, ne méritent-elles pas d'être semées jusque sur les réseaux sociaux ?

L'exposé a commencé par quelques rappels historiques : 1837, le télégraphe ; 1876, le téléphone ; 1958, l'internet ; 1971, le mail ; 1992, le SMS ; 2004, facebook ; 2008, twitter. Tout va très vite, et ce n'est pas fini : l'ordinateur à clavier va disparaître, la voix va remplacer la main, le disque dur va s'effacer devant le cloud (un nuage, qui n'a rien de céleste, bien qu'on ne sache pas trop où il se trouve). Facebook commence à se démoder. On a le vertige devant de tels changements, une pareille instabilité : seul un homme de Dieu, du côté de l'éternité, peut sans doute nous en parler sans crainte. De fait, Monseigneur Giraud est étonnement calme, et même optimiste, face à ce tourbillon numérique.

Le conférencier a remis en cause quelques préjugés. Non, internet n'est pas un monde virtuel : ses infrastructures sont réelles, sa présence dans la vie quotidienne est manifeste, ses conséquences aboutissent souvent à des rencontres "en chair et en os" (dixit le père évêque). Non, la "fracture numérique" n'est pas ce qu'on croit : les plus pauvres sont prêts à s'acheter un smartphone qui les reliera au monde, qui sera plus précieux pour eux que la nourriture. Non, l'Eglise n'est pas en retard sur son temps dans ce domaine : depuis toujours, elle a su utiliser les nouvelles techniques.

L'enthousiasme de l'évêque n'empêche pas ses préventions. Le e-continent représente une mutation anthropologique (et pas seulement technologique) comparable à la sédentarisation des hommes, il y a 12 000 ans. Pour le moment, nous n'avons pas encore les concepts pour penser ce tournant de l'humanité. Le corps lui-même est affecté : le toucher et le goût sont dévalorisés, au profit de la vue et de l'ouïe. Nous passons ainsi d'une culture de l'écrit à une culture de l'écran. Des nanotechnologies vont s'introduire dans nos corps, les contrôler, les modifier. C'est évidemment vertigineux. L'esprit, dans ce monde numérique, réagit plus qu'il ne réfléchit. L'internet est chronophage et provoque des addictions. Le secret devient impossible, tout est "capturable".

Mine de rien, les questions théologiques ont tout de même été esquissées. Qui est mon "prochain" sur le net ? Que vaut une bénédiction, par un signe de croix sur une photo, envoyée sur un smartphone ? Le "prenez et mangez" énoncé par le Christ paraît bien étranger au monde des écrans, où l'on peut se contenter de regarder ou d'écouter. Dans cet univers de la transparence, le sacrement de la confession est la dernière résistance, l'unique lieu où le secret est préservé, où la rencontre entre le pénitent et le confesseur est direct.

Nonobstant ces réserves et ces interrogations, Monseigneur Giraud a réussi hier soir à nous réconcilier avec la culture numérique, ce qui n'est pas banal pour un homme d'Eglise.

jeudi 13 novembre 2014

Allons z'enfants



Hier matin, en entrant dans la classe de CE2-CM1 d'Isabelle Reche, j'ai été accueilli par une Marseillaise magistralement interprétée par les élèves, sous la baguette (c'est-à-dire le doigt) de Jacqueline Hargous. C'était certes moins impressionnant que ce même hymne national chanté ou joué durant le 11 novembre, au Monument aux Morts ou pendant le spectacle du Splendid (voir billet d'hier). Mais une Marseillaise, même modeste, fait toujours son petit effet.

Nous étions réunis pour un goûter philo, un petit débat, une réflexion autour de la guerre. Outre Isabelle et Jacqueline, deux autres professeurs des écoles ont assisté à nos échanges : Virginie Becart et Marielle Brulé. Une étudiante en licence à l'INSSET était également présente (voir vignette). Ce genre d'activités me ramène à la polémique, souvent basse et lamentable, sur le périscolaire : là, nous étions dans le temps scolaire, mais on pourrait très bien imaginer des petites interventions "philosophiques" durant les 45 minutes du temps périscolaire ; la durée est adaptée et le contenu aussi.

Je crois qu'il est pédagogiquement profitable pour les enfants d'être confrontés à des "intervenants extérieurs", comme on les appelle. Le rapport au maître doit bien sûr demeurer essentiel, structurant, mais l'enseignement doit aussi s'ouvrir, les classes ne doivent pas apprendre d'une seule et unique personne, au risque de voir les pensées se figer dans des habitudes et des automatismes. Si on parle, à propos du périscolaire, d'activités d'éveil, ce n'est pas pour rien. D'ailleurs, en quittant la classe d'Isabelle Reche, un jeune enseignant m'a interpellé pour que je fasse avec ses élèves une animation, autour de la morale et de la justice.

Ces interventions ne sont pas coupées de l'enseignement traditionnel que reçoivent les enfants : au contraire, par mes questions et mes remarques, je les encourage à réutiliser les connaissances apprises, mais dans un autre contexte, et de façon plus libre, plus personnelle. C'est toujours, pour moi, un bon moment passé, qui me change de mes classes de Terminale, des lycéens beaucoup moins spontanés, parfois déjà pris dans tout un jeu de préjugés, et pensant surtout à leur bac (excellente préoccupation, mais la philosophie ne se réduit évidemment pas à la préparation d'un examen).

Puisque nous parlons du centenaire de la Grande Guerre, je vous invite à assister à la conférence que fera samedi prochain, à 15h00, Benjamin André, à la bibliothèque municipale, qui portera sur "1914-1918 dans la bande-dessinée". La BD, c'est une histoire d'enfants et d'adultes, et Benjamin saura à coup sûr nous passionner, comme il avait su le faire lors de ses précédentes conférences.

mercredi 12 novembre 2014

Je cherche après Titine



"Etre plein à craquer" : c'est une expression très convenue. Mais il se trouve que c'est la plus juste pour qualifier l'affluence, hier soir, dans la salle du Splendid, à l'occasion du spectacle "La Grande Guerre en concert". Il y a des initiatives qui marchent, qui mobilisent la grande foule, et d'autres qui n'attirent pas : il faut toujours se demander pourquoi. Le succès a ses raisons. La gratuité n'explique pas grand chose : j'ai connu des entrées libres qui n'intéressaient pas. Le bénéfice revient aussi à la Municipalité, qui délègue aux associations ce type d'événements et leur assure un soutien massif, provoquant adhésion, reconnaissance et sympathie.

La Grande Guerre, avec son Centenaire, est dans l'air du temps. Cette tragédie, un siècle après, nous parle, à plusieurs voix, comme je l'ai dit dans mon billet d'hier. C'est le fond de la réussite populaire. Mais il y a aussi et surtout l'idée et la qualité du spectacle : illustrer le conflit par des musiques et des chansons. Francis Crépin, en présentant la soirée, a souligné combien le choix n'était pas évident : traiter en concert et en chorale ce que d'aucuns ont qualifié de "boucherie" ne va pas de soi. Pourtant, les airs et les chansons traduisent aussi bien une époque qu'une conférence savante.

Nous avons été gâtés. Techniquement, c'était parfait. Quand on pense que ce sont des bénévoles qui prennent de leur temps, qui travaillent à nous offrir une telle performance, bravo ! La première partie était assurée par l'Orchestre d'Harmonie et la Batterie Fanfare, la seconde par la Grande Chorale de Saint-Quentin. L'un et l'autre ont été éblouissants. La salle s'est bien sûr levée aux premières notes de la Marseillaise, et des chansons populaires ont été reprises en choeur. La musique militaire incite forcément au patriotisme (hommage au jusqu'au-boutiste Georges Clémenceau), alors que la chanson exprime plus souvent le dégoût de la guerre, l'aspiration pacifiste (jusqu'à des textes qui passaient pour scandaleux, "La chanson de Craonne" ou "Maudite soit la guerre"). En ce sens, la soirée était bien équilibrée, dans une tonalité d'ensemble que je qualifierais d'humaniste.

Personnellement, ce qui m'a le plus touché, ce sont ces chansons qui sont, pour certaines, très antérieures à la Première guerre mondiale, dont les airs et les paroles nous sont restés en tête, que nous sommes capables de fredonner bien longtemps après, hors de leur contexte : "Auprès de ma blonde" et "La Madelon", bien sûr, mais surtout, pour moi, "Je cherche après Titine". Ce ne sont pourtant pas des sommets impérissables du génie humain, mais ces textes ont quelque chose d'éternel, sans qu'on sache très bien pourquoi. "Titine", c'est l'amusement, le plaisir, la drôlerie retrouvée, dans une époque qui ne s'y prêtait pas, faite de violence, de souffrance et de mort. En un siècle, il s'en est passé des choses, mais "Titine" est toujours là, on ne l'a pas oubliée, alors même que tant d'autres souvenirs, beaucoup plus importants, ont été effacés.

Moi-même, j'ignore pourquoi j'ai toujours eu cet air en tête, je ne sais plus par qui, comment il m'a été transmis. Mon arrière-grand-mère, qui avait connu la Grande Guerre, s'appelait Célestine, et on l'appelait "mémère Titine". Il y a ce refrain, qui marque, qui entraîne, qui chante de lui-même. Et puis, "Titine", c'est une leçon de vie : nous cherchons tous après Titine, et nous avons bien du mal à la trouver. Mais qui est-elle ? Titine, c'est la quête éternelle des êtres humains, l'objet secret de nos désirs, en qui chacun mettra ce qu'il voudra, un père, une mère, un idéal, l'homme, la femme, l'enfant, l'autre tout simplement, auquel nous tenons, que nous cherchons parce que nous l'aimons, que nous avons perdu ou pas encore rencontré, et que nous ne trouvons pas. Au retour du Splendid, et pour sûrement encore longtemps, j'ai eu et j'aurai "Titine" à l'esprit : "Je cherche après Titine, Titine, ah Titine ! Je cherche après Titine, et ne la trouve pas".

mardi 11 novembre 2014

Questions sur un centenaire



Le centenaire de la Grande Guerre donne lieu, un peu partout, dans les collectivités locales, à la radio, à la télévision, dans la presse, à tout un tas de manifestations. J'ai des craintes d'overdose devant cette multitude d'initiatives, d'autant que nous sommes partis pour quatre ans. Ca ne me pose pas de problème personnel, parce que je m'intéresse au sujet. Mais notre société est tellement versatile, exigeante, vite lasse, excédée, irritée que je redoute un contre-effet. Autrefois, les distractions, les lectures, les événements étaient plutôt rares, l'attention du public était facilement soutenue et fidélisée. Pas aujourd'hui, où la soif de nouveauté est grande, où la manie du zapping est constante. A tout prendre, mieux vaudrait en faire moins sur ce centenaire, mais de façon plus concentrée.

Et puis, est-ce que la Grande Guerre nous parle encore ? Il y a un siècle, le monde était tout différent d'aujourd'hui : largement rural, encore aristocratique, ignorant le communisme, n'ayant pas vraiment développé le capitalisme, insensible à l'influence américaine pour quelque temps. Ce sont les années 20 et 30 qui vont tout changer, qui nous font entrer dans la période moderne : classe ouvrière puissante, début de la société des loisirs (les congés payés), grands mouvements de masse, américanisation progressive, etc. De ce point de vue, la Deuxième guerre mondiale est beaucoup plus parlante, plus actuelle que la Première : lutte pour la démocratie contre le fascisme, condamnation des horreurs du racisme (le Génocide), constitution d'une conscience universelle.

Que nous dit le conflit de 1914-1918 ? Quelles leçons en tirons-nous ? C'est compliqué, les messages sont divers et parfois contradictoires. Patriotisme ou pacifisme ? Vision nationale ou européenne ? Défense ou critique de l'armée ? Eloge de la République ou réserves sur l'Union sacrée ? Boucherie lamentable ou épopée glorieuse ? Politiquement, idéologiquement, il n'en ressort rien de clair, au contraire de 1939-1945. Pour les historiens et les penseurs, cette complexité est passionnante. Mais que vont en faire le grand public et les autorités officielles ?

Je n'échappe pas moi-même au phénomène d'engouement. Demain matin, je serai à l'école Lyon-Jumentier, pour animer un goûter philo sur le thème : la guerre sert-elle à quelque chose ? Dimanche, ce sera une séance de café philo à Vassogne, dans le musée, à 16h00, précédée d'une visite de l'exposition "Terres, Fêlures de la Grande Guerre", par Monsieur Bedhome, à 15h30. Le sujet du débat sera : que détruit la guerre ? Ces activités seront gratuites.

lundi 10 novembre 2014

Cantonales socialistes



Le parti socialiste va désigner ses candidats aux élections cantonales de mars prochain, dans un contexte national difficile pour la gauche. A Saint-Quentin, la difficulté est renforcée par une série maintenant ancienne de défaites locales, dont les plus graves ont été causées par le Front national, désormais premier parti d'opposition dans la ville. L'objectif n°1 des candidats socialistes doit donc être de retrouver le leadership face à la droite républicaine, de repasser devant l'extrême droite. Mais l'ambition ne peut pas en rester là : des candidatures ne sont crédibles et mobilisatrices que si elles visent à la victoire. L'objectif, pour mars prochain, est bien d'avoir des conseillers généraux socialistes ou de gauche à Saint-Quentin et dans le Saint-Quentinois.

Malgré le contexte national, malgré le tropisme local, je crois que c'est possible. Dans le canton de Saint-Quentin-Nord, Jérôme Lavrilleux ne sera probablement pas de nouveau candidat, puisqu'il est député européen. Et s'il était candidat, il n'aurait pas le soutien de la droite, puisqu'il a été exclu de l'UMP. Ce parti va donc devoir se choisir un nouveau candidat, ce qui rend le scrutin dans ce canton plus ouvert, plus indécis, par conséquent plus favorable à la gauche.

Le canton de Saint-Quentin-Centre ne fait plus cette fois-ci qu'un avec le canton de Vermand, actuellement détenu par la gauche. La conseillère générale du Centre, Colette Blériot, n'est donc plus assurée de la victoire. Là encore, la gauche a ses chances, avec cette fusion des deux cantons.

Le canton de Saint-Quentin-Sud (Gauchy) est déjà détenu par la gauche, avec Jean-Claude Cappèle, d'IDG (Initiative démocratique de gauche). Je crois qu'il serait opportun que le candidat sortant soit le candidat de toute la gauche, pour ne pas encourager des divisions périlleuses. Au total, nord, centre ou sud, il y a un potentiel pour une victoire de la gauche, qui n'ira cependant pas sans conditions, trois principalement :

1- Des candidatures d'union, et pas socialo-socialistes (il faut des binômes paritaires). Avec les communistes saint-quentinois, ce ne sera pas possible, puisqu'ils sont dans une stratégie d'autonomie. Mais le PS peut s'ouvrir aux Verts, à IDG, au MRC, au PRG ou au Front démocrate.

2- Des candidatures d'ouverture à la "société civile", avec des personnalités engagées, des militants associatifs, des têtes connues (je pense que c'est ce qui manque le plus au PS local).

3- Un programme politique de soutien au gouvernement et à ses réformes, principalement à celle des collectivités territoriales, qui doit être au coeur de la campagne. Une ligne "frondeuse" conduirait à l'échec. Au contraire, il faut se battre sur une pédagogie de la réforme, montrer leur popularité (je pense en particulier à la loi contre le cumul des mandats, qui suscite une large adhésion des citoyens).

Qui faut-il choisir comme candidats ? Nous verrons bien, dans les jours qui viennent, les intentions se dévoiler. Une candidature, c'est un engagement, une volonté, une énergie, pas un service commandé. Au départ, c'est un investissement personnel, qui doit recevoir l'assentiment collectif. Il me semble qu'au moins une candidature s'impose, parce qu'elle est naturelle et nécessaire : celle de Michel Garand. Le chef socialiste de l'opposition municipale doit prendre de l'étoffe, s'imposer en leader, et ces cantonales sont l'occasion d'en faire la démonstration.

Pour le reste, je crois qu'il faut privilégier le principe de continuité : à Saint-Quentin, le défaut dont souffrent les socialistes, c'est qu'à chaque élection, singulièrement aux cantonales, ce ne sont jamais les mêmes candidats. Aucun travail de fond, sur la longue durée, n'est mené ; il n'y a pas d'anticipation, de préparation. L'électorat ne s'y retrouve donc pas, ou difficilement. En politique, il est évident qu'on ne gagne qu'en s'y prenant à plusieurs fois, qu'en se faisant connaître et accepter de la population dans le long terme. En satisfaisant à ces conditions, du moins en en faisant l'objet d'une réflexion préalable, la victoire socialiste à Saint-Quentin n'est pas impossible. Mais le temps est compté, l'effort est immense et beaucoup d'obstacles doivent être surmontés.

dimanche 9 novembre 2014

Démocratie représentative ou directe ?



Je suis contre, radicalement contre la procédure d'interpellation du maire par SMS à la fin du conseil municipal, mise en place à Saint-Quentin depuis la séance de vendredi soir. Je ne suis pas contre pour des questions techniques ou morales : je ne doute pas de la bonne intention de la Municipalité, de la bonne organisation de ce système, de l'honnêteté dans le choix des messages, ni même de l'utilité du dispositif : il est bien en effet que les citoyens puissent s'adresser directement à leurs élus et leur poser librement des questions. Non, mon hostilité radicale est politique, par principe : je refuse le contestable et contradictoire mélange des genres entre démocratie représentative et démocratie directe.

Un conseil municipal ressort entièrement de la démocratie représentative, tout comme la République française, qui est parlementaire. Qu'on puisse la prolonger par des consultations directes de la population, très bien : au niveau national, c'est le référendum, au niveau local, ce sont les conseils de quartier ou le référendum d'initiative populaire. Mais le coeur du pouvoir doit demeurer dévolu à la représentation, sans mélange ni limitation : des citoyens ont été mandatés par les citoyens pour faire le travail de gouvernants pour les uns, d'opposants pour les autres, point final. Dans une même séance et un même endroit, faire alterner deux types de démocraties de nature différente, ça ne va pas du tout.

Qu'est-ce qu'un conseil municipal ? C'est une enceinte dans laquelle, de la première minute à la dernière minute, un élu, de la majorité ou, le plus souvent, de l'opposition peuvent demander à s'exprimer, pour approuver ou critiquer. Nulle autre intervention extérieure ne devrait être admise, au risque de changer la nature de l'institution municipale. Le maire de Saint-Quentin a justifié ainsi son choix : "je veux que le pouvoir municipal sorte de la mairie". Non, le pouvoir municipal, en conseil, doit y rester : la population est présente, puisqu'elle est représentée.

Vendredi soir, la séquence des questions par SMS a duré pendant environ trente minutes, sur deux heures de conseil, ce qui est un temps assez important. Les questions, forcément, ne peuvent que s'adresser au premier magistrat de la ville, qui répond directement ou donne la parole aux adjoints concernés. Nous entrons alors dans une sorte de bilan de mandat avant l'heure, ou une séance d'informations diverses, dans quoi les élus d'opposition n'ont plus rien à dire, ne sont plus à la limite concernés. Ils deviennent les spectateurs muets d'une pièce qui leur échappe, dans laquelle ils sont inutiles. Bien sûr, rien ne les empêche formellement de prendre la parole, mais on comprend bien que ce qui se passe alors n'est plus fait pour ça. Car l'échange n'est plus entre la majorité et l'opposition, mais entre la majorité et la population.

Le terme de "démocratie participative" est à la mode, mais il ne veut rien dire. Tout type de démocratie, représentative ou directe, est "participatif" : en allant voter, en désignant leurs représentants, les citoyens "participent" autant qu'en posant une question par SMS ou en répondant par oui ou par non à la question d'un référendum . Outre le mélange incongru des genres que je condamne, la démocratie directe me semble moins vertueuse qu'on ne le croit : elle incite les citoyens à privilégier leurs intérêts particuliers, sans nul souci de l'intérêt général. Elle pousse aussi à la protestation ou à la revendication déraisonnable, puisque qu'à la différence du système représentatif, elle n'oblige à aucun choix.

Dans une période de défiance à l'égard du politique, de critique parfois irrationnelle des élus, de montée de l'extrême droite par tradition antiparlementaire, antirépublicaine, populiste et plébiscitaire, il faut user avec beaucoup de précaution et de discernement de la démocratie directe. Faire entrer les écrans de télévision dans un conseil municipal, donner l'étrange spectacle d'élus se regardant dans leur propre miroir, instaurer la démocratie médiatique par SMS, c'est une mauvaise chose, même si l'initiative part d'une bonne intention, même si elle sacrifie à un effet de mode, à l'air du temps. Une municipalité de gauche ferait la même chose (et certaines doivent y prêter), je dirais la même chose.

Le risque est grand de voir les citoyens zapper la séance proprement dite du conseil municipal et ne porter d'attention, de n'attribuer de valeur qu'à cette séquence de fin, dédiée à leurs préoccupations personnelles, avec réponse directe du maire. On comprend bien que cette fin sera, pour eux, plus intéressante que tout le reste. Je le répète : notre démocratie est d'abord représentative, secondairement directe ; les deux peuvent se compléter, mais pas se chevaucher, se doubler, se mêler.

Si les élus d'opposition ont une quelconque dignité de leur fonction et l'assurance de ce qu'ils sont, ils n'accepteront pas d'être présents inutilement lors de ces questions électroniques au maire et à sa majorité. Ils se lèveront et quitteront respectueusement la salle du conseil municipal. J'espère en tout cas que c'est ce que mes camarades socialistes feront lors de la prochaine séance.

samedi 8 novembre 2014

L'avenir de l'opposition



Au conseil municipal, hier soir, la principale nouveauté, c'est le changement de comportement et de ton des élus du Front national, qui sont intervenus beaucoup plus que d'habitude, de façon plus virulente. Manifestement, huit mois après leur élection et une phase d'observation, l'extrême droite a décidé de jouer pleinement son rôle de premier parti d'opposition. C'est évidemment périlleux pour l'opposition de gauche et le parti socialiste.

Jusqu'à présent, les interventions du FN étaient rares et consistaient plutôt en des demandes de précision. Hier soir, visiblement coachés par leur national, les élus frontistes ont abordé des thèmes précis et populaires : la défense du petit commerce contre les grandes surfaces, la verbalisation des automobilistes dans le centre-ville, la recherche des chiens égarés. On peut toujours sourire à l'énoncé de ces sujets démagogiques, populistes et souvent erronés ; il n'empêche que le Front national fait mouche avec de pareilles prises de parole, il se sert du conseil municipal comme d'une caisse de résonance, d'une tribune par laquelle il cherche à se donner une crédibilité, une popularité, déjà acquise dans les urnes, mais que sa présence parmi les élus va amplifier. Il faut prendre ce danger très au sérieux.

Sylvie Saillard a dénoncé le "désert commercial" du centre-ville, les "barricades" (sic) en bas de la rue Raspail, les grandes enseignes en périphérie, la future zone commerciale Pontoile. Elle s'est même permise de se ranger de l'avis de Jacques Héry, socialiste, en faisant de la surenchère sur ce thème. En tête de l'opposition par son résultat aux élections, l'extrême droite va jouer de la gauche contre l'équipe en place, à son profit bien entendu, tactique connue. Alors que Héry fait une intervention prudente et modérée, Saillard attaque bille en tête Xavier Bertrand, le taxe d'"ultra-libéral". Et quand celui-ci lui demande quelles sont ses propositions, elle lui lance, du tac au tac : "c'est vous le maire, c'est à vous de décider".

Le danger pour la gauche locale, on l'a bien vu hier, c'est de se voir reléguée dans les seconds rôles. Et nous ne sommes qu'au début de la mandature ! Le pire, ce serait que le débat politique à Saint-Quentin se réduise désormais à un affrontement entre la droite républicaine et l'extrême droite. Le contexte national étant ce qu'il est, nous allons vers cette situation catastrophique, si rien n'est fait. Mais quoi ?

Je crois d'abord que Michel Garand, chef de file des élus socialistes, doit monter beaucoup plus au créneau, s'affirmer en leader face à Xavier Bertrand, se montrer offensif. Ensuite, les conseillers municipaux socialistes doivent intervenir beaucoup plus souvent, sur un peu tous les sujets, marquer à la culotte la majorité, avec plus d'agressivité. Jacques Héry et Marie-Anne Valentin se sont essayés à des questions au maire qui n'étaient guère embarrassantes pour lui, trop précautionneuses. Je ne demande pas de sortir le bazooka, mais il faudrait un peu plus d'audace, de fougue et d'impertinence (voyez Xavier Bertrand, comme il s'y prend : c'est finalement un bon modèle ...).

Je sais bien que ces élus d'opposition font leurs premiers pas, que ce n'est pas facile, qu'un lourd passif est à assumer, qu'ils ont six ans pour apprendre et progresser. Mais je sais aussi qu'un style, une volonté, une ardeur, ça ne s'invente pas, on l'a ou on ne l'a pas, et ce qui n'est pas fait dès le début n'est jamais fait par la suite. Et puis, la présence de l'opposition dans les événements de la ville est encore trop faible. C'est sur le terrain que la reconnaissance se fait, que les sympathies se créent, que les voix se gagnent. Enfin, il faut que l'opposition socialiste co-mmu-ni-que, qu'elle envoie des informations aux journaux, qu'elle organise des conférences de presse, qu'elle fasse un site internet des élus socialistes, qu'elle tienne des permanences, qu'elle propose des réunions publiques. Je ne demande pas la Lune, mais simplement ce qui se fait ailleurs, dans les villes comparables à la nôtre, et qui me semble être un minimum pour un parti de gouvernement.

Dans quatre mois auront lieu les élections cantonales. A Saint-Quentin, le parti socialiste a déjà été battu deux fois par l'extrême droite. Une troisième, ce serait une nouvelle catastrophe, un pas supplémentaire dans la marginalisation. Je crois bien connaître la gauche locale, j'essaie d'être lucide sans tomber dans le pessimisme, je garde toujours espoir en la victoire. Mais il faut agir, changer, s'ouvrir. Sinon, il n'y aura plus qu'une seule opposition aux yeux des Saint-Quentinois : l'extrême droite.

vendredi 7 novembre 2014

Politique-réalité



Alors, cette intervention télévisée du président de la République ? L'émission était mauvaise, François Hollande très bon et les cacahuètes excellentes. Bon, l'émission mauvaise, Hollande n'y est pour rien : TF1 nous a habitués à des séquences racoleuses, démagogues, populistes. Nous n'étions finalement pas très loin, dans l'état d'esprit, de la télé-réalité.

Tout a commencé par un "journaliste" (faut-il oser encore employer ce mot ?) qui a interrogé le président sur sa vie privée. La chaîne appelle ça un "tableau intimiste". Moi, j'appelle ça des questions indiscrètes, impudiques, obscènes, sordides, dérisoires, idiotes. Quelle misère de voir le chef de la 5e puissance mondiale devoir s'expliquer sur sa cravate, les frites qu'il mange, les bistros qu'il fréquente, son casque de moto, son absence de parapluie quand il pleut, et j'en passe ... Il paraît que les Français se posent ce genre de questions : les imbéciles, nombreux, oui, qui se complaisent dans le ragot, qui sont obsédés par les détails. Mais le peuple dans son ensemble a tout de même d'autres préoccupations ! François Hollande a répondu à l'indécence par la dignité. Il aurait dû y ajouter une touche de mépris, comme le méritent les crapauds baveux.

Et puis, il y a eu les questions des "vrais gens", qui étaient quatre (j'aimerais un jour voir inviter des "faux gens", pour que je comprenne bien la différence). De quoi ont-ils parlé ? De la France, de la politique gouvernementale, de l'avenir du pays ? Non, ils ont parlé d'eux-mêmes et de leurs problèmes, comme lorsqu'on rencontre son conseiller financier, une assistance sociale ou un adjoint au maire. Sauf que là, c'était le président de la République. Voilà ce qui arrive avec les "vrais gens".

Une chef d'entreprise, qui fabrique des boulons et des vis, s'est plaint parce que Hollande n'en faisait pas assez pour les entreprises. Elle a tout de même reconnu que le président les aidait, pour leur compétitivité, mais elle en voulait plus, encore plus, et on sentait bien que, quoi que fasse le président, elle n'en aurait jamais assez (c'est humain, mais ce n'est pas politique). Une autre dame était embêtée parce que le fiston avait deux heures de trajet pour aller au collège (l'établissement de sa ville a fermé parce qu'il n'y avait plus que 70 élèves). Hollande l'a rassurée en proposant de le rouvrir sous forme expérimentale, avec du numérique. Ok, la dame était soulagée pour elle et son gamin, mais est-ce que cette solution est la panacée ?

Vous qui me lisez, et moi aussi, nous faisons partie, après tout, des "vrais gens". Et si on s'y mettaient, à exposer tous nos problèmes personnels ? La liste serait longue, c'est certain. Bon, François Hollande s'en est bien tiré, il a du métier. Le président a su lier les deux, ce qui n'était pas facile : parler de la France ET répondre aux préoccupations "concrètes". Dans le genre, il a même excellé. Sa première qualité a été la clarté, notamment sur les impôts et la candidature à sa succession. J'ai été renforcé dans la confiance que je lui porte, même si je n'en avais pas besoin. Je crois qu'il peut se sortir de son impopularité, que sa politique peut donner des résultats. Bref, François Hollande a très bien réussi une mauvaise émission, ce qui est une performance.

En matière de télévision, je suis conforté dans l'idée qu'une bonne émission politique ne se fait que sous deux formats : soit le débat entre adversaires, soit les questions de journalistes spécialisés. La politique-réalité avec ses "vrais gens", je n'y crois pas. Des inconnus qui ont tout à y gagner deviennent les vedettes d'un soir, face à un président qui a tout à y perdre, descendant de son empyrée, délaissant les habits de la fonction présidentielle, qu'il ne devrait jamais quitter.

jeudi 6 novembre 2014

Toi, président



Ce soir, comme beaucoup de Français, je serai devant mon poste de télévision, pour regarder et écouter François Hollande. Qu'est-ce que j'attends du président de la République ? Personnellement, rien du tout. La politique est chez moi un objet de passion, pas une question d'intérêt. Je ne comprends d'ailleurs pas ceux qui attendent quelque chose de n'importe quel pouvoir (je dis bien : personnellement). Dans la vie, en général, il ne faut rien attendre des autres, mais beaucoup de soi-même (ce qui n'est pas facile, j'en conviens). Attendre quoi que ce soit d'un gouvernement, c'est fou, c'est impossible : la politique change la société, défend l'intérêt général, oeuvre pour la France, mais ne modifie pas notre vie individuelle. Tant mieux, sinon l'Etat serait totalitaire.

Est-ce que je regarderai ce soir François Hollande pour qu'il m'explique sa politique ? Non, je n'ai pas besoin, et aucun citoyen normalement intelligent et honnête n'a besoin d'explication supplémentaire. La politique que mène le pouvoir est claire ; un enfant la comprendrait. C'est une ligne social-démocrate, qui s'efforce de réduire les déficits publics et de faire reculer le chômage, tout en préservant notre système social. Voilà, c'est dit, en une phrase : pas besoin de deux heures d'émission pour ça. Bien sûr, on peut être contre cette politique, nous sommes en démocratie.

On peut penser, par exemple, qu'une politique de la demande serait meilleure que l'actuelle politique de l'offre (c'est ce que pense une partie de la gauche, et une petite partie du PS). On peut aussi penser qu'une politique d'austérité, plus draconienne, plus libérale, serait plus efficace (une bonne partie de la droite le souhaite). On peut même penser qu'il faut foutre les immigrés à la porte, fermer les frontières et quitter l'Europe (ça, c'est le programme de l'extrême droite). Mais Hollande a sa politique bien à lui, et elle me convient, parce que je suis social-démocrate, comme lui. Tout ça est su, connu, exposé, rabâché et n'a donc pas besoin de l'être plus.

Est-ce que, ce soir, je serai devant mon téléviseur dans l'attente d'annonces nouvelles ? Toujours pas ! Les mesures nouvelles, les effets d'annonce, c'était du temps de Sarkozy, sans cesse sur la brèche. Avec Hollande, c'est plus raisonnable, constant, solide : la ligne est tracée, le cap est tenu, les réformes sont bonnes, il faut simplement veiller à leur application, pas besoin d'en rajouter. "Rien de nouveau sous le soleil", disaient les sages de l'Antiquité : en effet, pas besoin de nouveauté, le soleil nous suffit (c'est le chef de l'Etat, bien sûr).

Mais alors, pourquoi serai-je tout à l'heure assis devant ma télé, si je n'attends rien de François Hollande, si je n'ai pas besoin qu'il m'explique sa politique et si je ne souhaite pas apprendre des mesures nouvelles ? Eh bien, ce sera d'abord pour me reposer de la journée sur mon canapé, me changer les idées et grignoter des cacahuètes. Ensuite et surtout, je serai là, présent, attentif et fidèle, tout simplement parce que j'aime François Hollande, sa politique, son gouvernement, et que je leur dois bien ça : être présent. Tout ça parce que je suis socialiste, ce qui n'est pas fréquent par les temps qui courent. A l'intérieur même du parti, il y a une frange de renégats et d'opportunistes, et la grande marée des tièdes, qui attendent de voir comment l'avenir va se présenter pour savoir de quel côté tomber (du bon, si possible).

A Saint-Amand, ce week-end, sur le marché, un ami m'a présenté à d'autres en disant de moi : "c'est un socialiste, un vrai". Je ne suis pas un sensible, mais j'ai été touché par ce qualificatif : oui, c'est bien ça, "un socialiste, un vrai", alors que tant d'autres sont des moitiés de socialiste ou des socialistes d'opérette. "Un socialiste, un vrai", c'est celui qui est à 100% derrière le gouvernement, qui lui donne raison même quand il a tort (en politique, on ne fait pas dans le détail ou dans la dentelle). "Un socialiste, un vrai", c'est celui qui sera ce soir devant TF1 à 20h30, sans rien attendre, sans rien vouloir, sans rien espérer. C'est moi.

mercredi 5 novembre 2014

Des joujoux par milliers



Le monde carnavalesque qui est le nôtre, avec ses clowns agressifs, ses clowns militants et ses clowns amusants (voir billet de lundi) est, forcément, le monde de l'infantilisation, puisque les clowns sont des plaisirs d'enfants. C'est aussi un monde ludique : les clowns, les enfants, les jeux, tout se tient. Et comme dans "Petit Papa Noël", les grands et petits enfants ont désormais "des jouets par milliers", chaque jour que le Père Noël fait (Dieu, lui, est aux abonnés absents).

Les joujoux de nos jours, avec lesquels on fait joujou, dont on jouit, ce sont les hautes technologies domestiques et personnelles, téléphones mobiles, tablettes électroniques, ordinateurs portables, par exemple. Jadis, la technique était utilitaire, durable, collective : la navigation à voile, l'imprimerie, le moteur à explosion. Elle était un vecteur de la civilisation. Aujourd'hui, c'est un signe de régression infantile, une envie passagère, un usage éphémère, même si les progrès matériels et économiques sont incontestables.

On voit bien que ces technologies provoquent un plaisir dans leur pure et simple manipulation, en dehors de l'intérêt qu'elles ont. Leur but est plus de divertissement que de travail : la plupart des gens qui les utilisent en général donnent l'impression de s'emmerder, ils tripotent leurs petits engins par automatisme et par mimétisme, pour passer le temps, parce qu'ils n'ont rien d'autre à faire.

Regardez cette invraisemblable histoire de drones au dessus de nos centrales nucléaires. La technologie par satellite, qu'on prétend hyper-puissance, capable de repérer une plaque minéralogique de l'espace, est impuissante à localiser, identifier et neutraliser ces drôles de petites machines volantes. Sont-elles téléguidées par des anarchistes, des terroristes ou des espions ? Même pas ! On est sans doute plus dans le canular : le drone, c'est le joujou le plus sophistiqué du moment.

La robotisation participe aussi de ce monde du joujou adulte. Nao, notre petit robot, ressemble à un jouet, peut servir à tout un tas d'activités triviales (ce qui n'exclut pas bien sûr son rôle dans l'économie, auquel j'avais consacré un billet en début d'année je crois). Enfin, last but not least, il y a les sex toys, les petits canards qui font jouir les dames. La boucle est bouclée : des clowns partout, des joujoux partout, jusque dans les parties intimes. Certes, il vaut mieux ça que des fanatiques et des kalachnikovs, avec lesquels on ne rit plus, on ne joue plus du tout. Mais ce monde clownesque, ludique, jouissif et narcissique qui est le nôtre, ce n'est pas ce que l'humanité a produit de mieux en matière de civilisation, même si on a connu pire.

mardi 4 novembre 2014

Scène de marché



Saint-Amand-Montrond, 10 646 habitants, sous-préfecture du Cher, ancienne province du Berry, région Centre, ma ville natale, politiquement de droite, depuis ma naissance (mais je n'y suis pour rien). Son maire actuel, Thierry Vinçon (UMP), m'avait envoyé un petit mot gentil en début d'année, à la suite d'un billet consacré à la politique locale (il y a même des gens de droite qui sont gentils avec moi). Je n'avais pas répondu, par négligence coupable. Samedi dernier, je suis allé sur le marché, où était annoncé un spectacle de magiciens. Je n'ai pas vu de magiciens, mais vous savez qui ? Lui, bien sûr, monsieur le maire, qui d'ailleurs m'avait repéré avant que je ne le vois (il a l'oeil politique).

C'est un monsieur : il est grand, a été sous-préfet, chargé de mission à la Défense Nationale, conseiller d'un ministre des Anciens Combattants, et il parle chinois ! Mais au milieu du marché, c'est monsieur tout-le-monde, sympa, abordable. Un bon en politique, c'est sûr : pendant notre courte conversation, il a été sans cesse interpellé. Un mauvais, personne ne viendrait le voir. Une dame lui annonce qu'elle va se faire opérer, il la rassure en disant que c'est bénin. Une autre dame se plaint parce qu'il y a des herbes qui poussent sur le trottoir de la rue Jean-Valette ; il répond qu'il va s'en occuper (je suis allé voir juste après, c'est rien du tout, mais les gens sont vite mécontents pour n'importe quoi). Bref, Thierry a de la répartie (je l'appelle Thierry pas parce que c'est mon copain, mais parce que beaucoup de Saint-Amandois l'appellent comme ça ; de même, à Saint-Quentin, Xavier, pour Xavier Bertrand, ou bien XB ; mais à Saint-Amand, Thierry Vinçon n'a pas encore droit, il me semble, à TV).

Thierry Vinçon a aussi son franc-parler. Il n'est pas toujours là où on s'attend à le trouver, un peu comme chez nous Pierre André. En 2012, il a quitté l'UMP ; cette année, il a repris sa carte. Depuis quelques jours, il est en bisbille avec le patron départemental de l'UMP, Louis Cosyns, maire de Dun-sur-Auron, 30 km plus loin. Vinçon lui reproche son immobilisme, le chef dénonce en retour son opportunisme. Bref, une bagarre interne comme il y en a plein dans les partis. En revanche, il se dit en ville que le maire est très copain avec le député, Yann Galut, socialiste, qu'on voit souvent à la télévision, sur les chaînes d'information continue. En politique, les amis de mes amis ne sont pas forcément mes amis, et les adversaires de mes amis ne sont pas non plus forcément mes adversaires (non, ce n'est pas du chinois, c'est du vécu).

Samedi matin, sur le marché de Saint-Amand, il y avait aussi trois militants communistes qui distribuaient, à l'entrée de la grande halle : leur tract invitait à une réunion publique, qui a lieu ce soir. Les cocos sont increvables : la municipalité est de droite depuis les débuts de la Ve République, peut-être même avant, la gauche se ramasse râteau sur râteau, mais ils sont toujours là, ils ont le moral. Chez mes camarades socialistes, ce n'est pas trop la joie (je ne peux pas compter sur Saint-Amand pour me consoler de Saint-Quentin) : un élu PS, Clément Bernard, a rejoint la liste du MoDem avant les municipales, s'est fait élire puis a démissionné il y a quelques semaines. Belle conception de la démocratie ! Comme si, chez nous, Michel Garand, tête de liste socialiste, décidait de ne plus siéger, de ne pas respecter le mandat que lui ont confié les électeurs : c'est impensable, inimaginable.

J'ai terminé ma visite du marché par le bar "La Belle Epoque", qui affiche des photos en noir et blanc de gangsters américains, genre Al Capone (rien à voir avec la politique). Le premier adjoint au maire était assis, en grande discussion : le marché, le café, c'est du tout terrain pour les élus. Des communistes sont entrés, l'adjoint a salué l'un d'entre eux d'un familier "vieille canaille" : militants sans doute, mais Berrichons d'abord ! En quittant le marché, je n'avais toujours pas rencontré mes magiciens.

lundi 3 novembre 2014

Des clowns partout



Dans les années 1970, le dessinateur Georges Wolinski avait intitulé un de ses albums : "Nous vivons une époque formidable". Dans nos années 2010, il faudrait plutôt titrer : "Nous vivons une drôle d'époque". Jusque dans ma ville natale, Saint-Amand-Montrond, j'ai entendu parler, ce week-end, de ces clowns qui ne font plus rire mais qui font peur : le phénomène est général, absurde, irrationnel, à mi-chemin entre la provocation et la délinquance.

Le désir de déguisement est une tendance récente et profonde de notre société, qui touche un peu tous les milieux. Ainsi, autrefois, dans les manifs, le comportement et le vêtement étaient sobres : habits de ville ou de travail, banderoles, pancartes et slogans. Aujourd'hui, et depuis pas mal de temps, les traditionnelles manifestations ont perdu de leur classicisme pour virer au carnaval : ballons, drapeaux, confettis, perruques, accoutrements fantaisistes, etc. Je n'aime pas, je trouve qu'on n'a pas besoin de se déguiser pour protester et revendiquer.

A Saint-Quentin, il y a quelques jours, une association tenait un stand dans le cadre de la journée contre le cancer du sein. Très bien. Mais pourquoi avoir enfilé des tee-shirts roses et, par dessus, des soutiens-gorges blancs. Je n'ignore pas bien sûr la symbolique et la volonté de dédramatisation. Mais cette manie du déguisement est à la fois peu sérieuse, inutile à la cause qu'on veut défendre, et ridicule. Pourquoi vouloir à tout prix faire les clowns ?

Les politiques ne sont pas à l'abri de cette mode, eux qui pourtant devraient y résister et se montrer exemplaires. Arnaud Montebourg s'est revêtu d'une marinière pour vanter le made in France. Avait-il besoin de cette comédie pour faire passer le message ? C'est prendre les gens pour des idiots en laissant croire qu'ils ne comprendraient pas avec des mots, qu'il faut se déguiser pour communiquer. Idem pour Ségolène Royal en toge, avec un drapeau à la main, pour nous dire je ne sais plus quoi (on avait l'impression de la voir en chemise de nuit ...).

Se déguiser, je n'aime pas : c'est renoncer à soi-même, c'est s'amuser alors qu'on est un responsable public. De fait, nous assistons à une folklorisation de notre société. A la télé, se déguiser est devenu un must. Cet engouement pour le travestissement résulte aussi d'une société ludique du loisir, du divertissement. Le comble, c'est quand on se déguise paradoxalement en soi-même, à cause du miroir que nous renvoient sans cesse les médias. Je vais prendre l'exemple, parmi d'autres, de Jean-Luc Mélenchon, tellement il est frappant : j'ai le sentiment que cet homme politique, par ses outrances, ses mimiques, se caricature lui-même, joue son propre rôle, en exagéré et en accéléré. Son masque, c'est son visage ! Nicolas Sarkozy, c'est pareil : lorsque je l'entends parler, je ne sais plus si c'est lui ou son imitation par Laurent Gerra. Nous sommes vraiment entrés dans l'ère des clowns.

Moi-même, en rédigeant ce blog, en collaborant à "St-Quentin Mag", en me produisant dans de multiples activités, je me demande si je ne cède pas à cette tendance, si je n'interprète pas mon personnage, clown malgré moi, en quelque sorte. Il faut faire attention.