Longtemps, je n'ai pas assisté aux cérémonies patriotiques. Drapeaux, fanfares, gerbes, allocutions me paraissaient vieillots, inutiles. C'était bon, à mes yeux, pour les officiels. Et puis, il y a une vingtaine d'années, devenant représentant d'une famille politique, je me suis senti le devoir d'honorer les invitations à ces manifestations. Très vite, j'ai changé d'avis. N'étant plus responsable, j'ai continué à participer, autant que possible, à ces rendez-vous traditionnels, que je considère maintenant de la plus haute importance : ce sont des leçons d'histoire, dont la valeur symbolique est essentielle. J'aimerais que nos concitoyens soient plus nombreux à les rejoindre.
Ce matin, devant le monument de la Résistance et de la Déportation, boulevard Gambetta, hommage a été rendu à toutes les victimes des camps de concentration. Il est évidemment fondamental de se souvenir de cette monstrueuse tragédie pas si ancienne, en plein cœur du XXème siècle. Bien sûr, il y a tous ceux qui vous diront : c'est vieux, c'est du passé, on ne reverra plus ça, inutile d'en parler, pensons aux problèmes d'aujourd'hui. Non, ce n'est pas du passé, et rien ne garantit que l'horreur ne se reproduira pas, sous des formes nouvelles, inédites, inattendues. L'histoire est pleine de ce genre de répétitions.
La journée nationale de la déportation nous invite aussi à réfléchir : comment un continent civilisé, moderne, humaniste a-t-il pu laisser s'installer une machine de mort collective ? Vu d'aujourd'hui, nous désignons avec raison les salauds : nazis, fachos, collabos. Mais ceux-ci, à toutes les époques, n'ont jamais été qu'une poignée, qui existent et gouvernent parce que des millions de gens les ont soutenus et portés au pouvoir. Des braves gens, des types honnêtes, qui n'auraient pas fait de mal à une mouche, de bons copains, des pères de famille, des travailleurs consciencieux, des citoyens irréprochables : dans les années 30, ils ont peu à peu glissé du côté des salauds, sans toujours s'en rendre vraiment compte ...
Qu'est-ce qui a séduit ces braves gens, en ce temps-là ? Le culte de l'ordre et de l'autorité, la critique de la finance internationale, l'aspiration au protectionnisme économique, l'exaltation de l'identité nationale. Racistes, les braves gens ? Non, seulement un peu xénophobe, juste ce qu'il faut : halte à l'immigration, les étrangers dehors, fermeture des frontières ! Les braves gens ne sont pas des salauds, mais leurs sentiments et leurs ressentiments ont permis aux salauds de s'installer, de poser des miradors et des barbelés et d'exterminer des millions d'innocents.
Impensable aujourd'hui ? Dans les années 30, c'était déjà impensable, et on a vu la suite ... La barbarie peut se reproduite, certes pas à l'identique, mais de façon différence, plus atténuée, mise au goût du jour, présentable. En tout cas, les braves gens ne peuvent plus dire qu'ils ne savent pas. Ils sont encore moins excusables qu'autrefois. Il ne dépend que d'eux de ne pas rejoindre les salauds.
En vignette : dépôt de gerbes, par Frédérique Macarez, maire de Saint-Quentin, William Damien, représentant des associations d'anciens combattants, résistants et déportés, Magali Daverton, sous-préfet.