dimanche 31 janvier 2016

Emeute à la bibliothèque



Grave incident hier matin à la bibliothèque municipale Guy-de-Maupassant, prise d'assaut par une foule ivre de culture, affolée par la braderie des livres à un euro. L'endroit, généralement si calme, ressemblait à la gare aux heures de pointe ou aux halles les jours de marché. Les lecteurs habituels, dépassés par cette invasion, n'y retrouvaient plus leur tranquillité. Debout, à genoux ou allongé, c'était la curée. On se battait pour se rapprocher des bacs : c'était à celui qui remporterait la plus haute pile de bouquins. Il y a sûrement eu des blessés, des cognés, des égratignés, mais aucun mort à déplorer. L'émeute, du hall d'entrée, a gagné l'ensemble du bâtiment, là où les ouvrages n'étaient pas à vendre, mais que les émeutiers avaient envie de s'arracher. La directrice a failli faire appel aux CRS. A vrai dire, si les étagères, les plantes vertes et les tapis avaient été mis en vente, tout serait très vite parti. A quand une nouvelle émeute cette fois au musée Antoine-Lécuyer, où pourraient être aussi bradés les vieux tableaux en réserve ?

samedi 30 janvier 2016

Lavrilleux sur le divan




J'ai voulu rencontrer Jérôme Lavrilleux, qu'on ne présente plus, dont j'étais l'adversaire socialiste aux élections cantonales de 2004. En savoir plus, non pas sur l'affaire (tout a été dit, écrit, c'est la justice qui se prononcera), mais sur lui. Qui est-il ? Naïf ou cynique ? Tueur ou victime ? Mort ou debout ? Deux circonstances se sont présentées : la parution de sa Lettre d'information de député européen (voir billet du lundi 25 janvier), le passage de son ami et patron, Jean-François Copé, dans l'émission de Marc-Olivier Fogiel, Le Divan, la semaine dernière. Je me suis dit : et pourquoi pas lui, Lavrilleux, sur le divan, pour me confier son état d'esprit ? Dans sa permanence, rue Calixte-Souplet, où je me suis rendu hier soir, il n'y a pas de divan, mais un canapé (acheté d'occasion, me précise-t-il), qui va aussi bien pour une confession.

Notre conversation a duré deux heures. En bon freudien, j'ai procédé par association d'idées, pour voir comment mon client réagissait. Douze mots pour remuer une existence. C'est parti :

Célébrité. Jérôme Lavrilleux a basculé dans le monde des gens qu'on reconnaît dans la rue le lundi 26 mai 2014, vers 19h00. En entrant dans les studios de BFMTV, il était un quasi inconnu ; en sortant, une trentaine de caméras l'attendaient. Il naît à la célébrité en même temps qu'il meurt à la politique. C'est pour lui le cauchemar qui commence. Il a beau avoir une tête de gentil, faire preuve de sincérité, manifester en direct son émotion : le méchant, c'est lui. Il découvre alors le cynisme du monde médiatique, une caméra dans son jardin, un avion au dessus de sa maison, sa famille harcelée de questions. Célèbre malgré moi et pour de mauvaises raisons, me dit-il.

Dans les trois semaines qui vont suivre, il se coupe du monde, éteint radio et télévision, où son nom, son œuvre, sa vie sont passés au gril. De quoi devenir parano. Quand il retrouve la rue, prend le train, on reconnaît son visage, mais pas toujours son nom. Jérôme Lavrilleux craignait les remarques agressives. Mais non, ni sur les têtes, ni dans les regards. Aujourd'hui, il est encore célèbre, des magazines lui consacrent de longs articles. Mais il sait que l'image, progressivement, va s'estomper. Tant de gens, surtout en politique, rêvent à être célèbres ; lui s'en serait bien passé !

Souffrance. Oui, mais il ne veut pas poser en victime. Beaucoup d'autres souffrent plus que lui. Son corps a été affecté. Il a une jolie et terrible formule : Je ne savais pas si le soleil allait se lever. Mais il ne veut pas non plus surjouer le suicidaire. La souffrance est toujours là, sous-jacente, mais ses traits sont paisibles et sa parole ferme. Il n'a pas subi de dépression, il n'a pas consulté de psy. De quoi devenir schizophrène, pourtant, entre ce qu'il croit être et l'image que lui renvoient les médias. Pendant toute cette période, une immense fatigue l'a saisi. Et aujourd'hui, comment ça va ? Il me sort à nouveau une jolie formule (que je ne connaissais pas) : J'ai mis l'église au milieu du village. Depuis qu'il a traversé le malheur, il se sent plus heureux. En tout cas, il est au clair dans sa tête. Pour moi, tout au long de ces deux heures d'entretien, j'en garde une impression paradoxale d'assurance et de fragilité.

Solitude. Seul aujourd'hui parce que déjà seul hier ? Travaillant pour Nicolas Sarkozy, c'était de 6h00 à 2h00 du matin, sans vie sociale. Seul au milieu des autres. Et maintenant, exclu de son parti ? Non, il a retrouvé ses amis, intacts, a même renoué avec son ex, amicalement (il est divorcé). En philosophe, je lui demande si l'épreuve ne lui a pas fait découvrir la nature humaine : non, me répond-t-il, les gens bien le sont restés, les gens moins bien le sont restés aussi. Pas de révélation existentielle à l'issue de ce qui lui est arrivé. Pas de déception non plus sur les êtres humains. François Baroin, qui l'avait fortement critiqué, s'est montré sympathique avec lui, lors d'un déjeuner, comme s'il ne s'était rien passé entre eux. Ainsi va la vie, ainsi va la politique.

Amitié. L'amitié n'existe pas : il n'y a que des amis, nos meilleurs amis, comme on dit. Jérôme Lavrilleux salue ceux d'entre eux qui le sont demeurés, qui l'ont publiquement assumé. Parmi d'autres, Jean-François Copé bien sûr, à la vie, à la mort. Pierre André a été adorable. Je lui demande s'il ressent le besoin d'être aimé : non, m'affirme-t-il, suivi de cette formule : En politique, il y a ceux qui s'aiment trop, ceux qui ne s'aiment pas assez et les égarés. Je n'ai pas eu l'à-propos de lui réclamer dans quelle catégorie il se rangeait.

Pouvoir. Au début, c'est impressionnant, la voiture avec chauffeur et le Falcon. Très vite, on s'habitue, ça devient banal. Chez Jérôme Lavrilleux, les signes extérieurs de pouvoir n'ont été que des outils de travail. Il n'a pas fréquenté les yachts ou les palaces. J'insiste sur sa présence au plus haut niveau de l'Etat, auprès du président de la République, mais il éprouve là-dessus peut-être moins de fantasmes que moi (parce qu'il ne faut surtout pas les réaliser pour en éprouver de la jouissance ?). Curieusement, le pouvoir le laisse indifférent : ni plaisir, ni déplaisir. Il n'a jamais intrigué pour y parvenir.

Son trip (bad trip ?), c'est le travail, lui qui n'a pas fait les grandes écoles, qui n'exhibe pas de prestigieux diplômes. Auprès de Sarkozy, j'étais un domestique, dit-il en forme de boutade, c'est-à-dire de vérité. Il a pris son pied en tant que directeur de cabinet, d'André puis de Copé. Son mandat de prédilection, c'est maire, parce qu'on peut faire. Lavrilleux est plus dans l'action que dans le pouvoir. Au fond de lui, il est resté le militant qu'il est devenu, en 1989, en adhérant au RPR, venant d'une famille pas politisée. Etonnement, ce parlementaire européen ne se considère pas comme un homme politique. C'est en ethnologue qu'il a évolué dans les hautes sphères. Serviteur, certes, mais pas servile : Copé est contre le mariage homosexuel, Lavrilleux est pour.

Argent. Il réagit au quart de tour : J'ai plus de dettes que de patrimoine, j'ai peu d'épargne, pas de fortune personnelle. Et ce mot cinglant : Je ne suis pas Balkany. L'argent le laisse tout aussi froid que le pouvoir. Sa seule ambition, bien avant l'affaire, c'était de devenir parlementaire européen. C'est fait, et il s'y consacre à fond. Le fric, ce n'est pas son truc. Son plaisir, c'est d'organiser. Il se serait bien vu directeur d'un grand hôtel. Mais chef, non, pas pour la frime, pas pour la gloire. Ou alors pour construire.

Morale. Jérôme Lavrilleux me dit que c'est le plus important, qu'il n'y a jamais dérogé mais que c'est difficile en politique. S'il s'est rendu à BFMTV en ce funeste lundi 26 mai 2014, c'est dans un souci moral, pour défendre son patron injustement attaqué, Jean-François Copé, pour assumer sa mission, aller jusqu'au bout. Quelle est sa règle morale personnelle ? Rester fidèle à ce qu'on était dans sa jeunesse. Nous y reviendrons à la fin.

Haine. Jérôme Lavrilleux n'en éprouve pour personne, mais je sens qu'il a fait un travail sur lui. Il pense que ce serait faire trop d'honneur à ceux qu'on haït. Mais la haine sur les visages, bave aux lèvres, oui, il l'a rencontrée.

Travail. Gros bosseur, oui, mais pas bourreau de travail. Le travail, pour lui, c'est normal, dans ce monde anormal qu'est la politique. Ne serait-ce pas une façon de fuir ? Non, c'est une activité indispensable, comme lui est indispensable la cinquantaine de pages de littérature qu'il lit chaque soir, avant de s'endormir.

Avenir. Répondre à la justice, dont il apprécie les grands professionnels, et accomplir son mandat européen. Mais après ? la politique n'est pas exclue, mais il ne sera plus jamais le collaborateur d'un leader. Dans son activité de député, il se sent un homme libre, et y tient. Son avenir me semble très ouvert.

Enfance. Elle a été heureuse, auprès de parents extraordinaires. Mais dès l'enfance, il a détesté l'enfance : le petit Jérôme ne voulait pas rester avec ceux de son âge, préférait rejoindre la table des grands (comme en politique, longtemps après ?) L'enfant qu'il ne voulait pas être, ne l'est-il pas devenu plus tard, trop tard, à l'heure des comptes à rendre, naïvement, dans ce monde adulte et cruel qu'est la politique ?

Politique. Jérôme Lavrilleux est-il encore un homme de droite ? Oui, libéral, précise et préfère-t-il. En même temps, il ne vote pas nécessairement comme son groupe, le PPE, Parti populaire européen, il prend des positions qui pourraient le rapprocher de la gauche : adhésion obligatoire à un syndicat, vote obligatoire aux élections, refus d'inscrire dans la Constitution la déchéance de nationalité, fin de l'état d'urgence, traitement digne et humain des migrants de Calais. Quand nous évoquons ces questions, il se redresse, s'anime, gagne en passion. En 2017, si Sarkozy est candidat, c'est Hollande qui gagne, 52 contre 48 à Marine Le Pen, me prédit-il. Localement, il estime que Frédérique Macarez est un très bon choix et que Xavier Bertrand fera un très bon président de Région. Je n'arrive pas à lui faire dire du mal de ses petits camarades.

Avant de le quitter, je jette un coup d'œil à son bureau. Les objets sont parfois plus éloquents que les paroles. Deux drapeaux, national et européen ; une gravure imprimée de l'Hôtel de Ville de Saint-Quentin, datant du XIXème siècle ; une carte du Vermandois au XVIIIème siècle ; une photo du général de Gaulle avec le maire Pierre Laroche, vers 1962 ; une phrase calligraphiée de Jacques Chirac, le 7 mai 1995 ; le même, en portrait présidentiel officiel (et celui de Hollande ? lui fais-je remarquer : il n'y a pas obligation, me rétorque-t-il) ; une gravure de 1596 représentant Henri IV, à laquelle il tient énormément.

Qui est, en définitive, Jérôme Lavrilleux ? Je ne crois pas qu'il feinte, je consens volontiers à ce qu'il m'a raconté. Comme chacun d'entre nous, il garde sa part de mystère. Sa vie politique n'est pas finie, j'en suis persuadé. Nous le retrouverons, allez savoir où. Mais j'ai été abusivement docteur Freud pendant deux heures, je ne vais pas maintenant me transformer en madame Soleil.

vendredi 29 janvier 2016

Suis-je libéral, docteur ?



Par les temps qui courent, un tas de virus circulent. Les hivers trop doux sont mauvais pour la santé. Mes élèves tombent comme des mouches. Moi-même, je me demande si je n'ai pas chopé une saloperie : la macronite aigüe. Dès que j'entends Emmanuel Macron, quel que soit le sujet et ce qu'il dit, je me retrouve d'accord avec lui. Serais-je devenu libéral ? Faut-il que je consulte, que je me soigne ?

Prenez la grève des taxis. Le ministre de l'Economie a demandé à ce qu'elle cesse, qu'il n'était pas possible pour l'Etat de négocier sous la pression et dans la violence. Que voulez-vous que je redise à cela ? Les chauffeurs de taxi se conduisent d'une manière inadmissible, pire que des agriculteurs en colère, ce qui n'est pas peu dire ... Certains ont carrément des comportements de voyous, que n'excuse pas la défense de leur casse-croûte. Ce n'est pas un médiateur qu'il faut leur envoyer, ce sont les CRS ...

Mes amis politiques qui les soutiennent ou les comprennent ont perdu le sens historique. La gauche n'est pas la voiture-balai de toutes les revendications qui traînent. La lutte des classes, l'émancipation du prolétariat, c'est quand même autre chose que la défense d'une petite corporation furibarde, accrochée à ses rentes et privilèges, refusant toute forme de concurrence nouvelle, se souciant exclusivement de ses propres intérêts. C'est son droit, ce n'est pas blâmable, mais sans casse, et sans mêler la gauche à cette jacquerie bien peu progressiste. Leur profession n'a pas su s'adapter, les services rendus ne sont pas toujours à la hauteur. Il faudrait peut-être aussi que les chauffeurs de taxi se remettent en question. Et puis, à mes amis de gauche qui n'ont plus de mémoire, faut-il rappeler que le gouvernement socialiste de Salvador Allende a été torpillé par une grève des camionneurs, qui, même téléguidés par la CIA, avaient sûrement eux aussi de bonnes raisons de protester ?

Bon, tout ça ne me guérit pas : un socialiste atteint de libéralisme, il peut y avoir des suites, des complications, éventuellement des aggravations, pire, des contagions. Mais non : je crois qu'on peut être libéral et de gauche, comme Macron. Car être de gauche, c'est défendre les intérêts de tous, pas d'une minorité qui ne fait pas partie des Français les plus malheureux. Etre de gauche, c'est vouloir l'égalité et la justice, et non pas que certains en tiennent à leur pré carré, à leur petite féodalité, à leur situation de monopole, même si elle a été chèrement acquise. Etre de gauche, c'est défendre la liberté : il n'y a pas des "chauffeurs de taxi" patentés qui interdiraient aux autres d'exercer cette activité. Ce qui compte, c'est le travail qu'on produit, le service qu'on rend, l'utilité qu'on représente, pas le fait de s'être acheté une "plaque" au départ, comme la noblesse de robe se payait des titres. Etre de gauche, c'est s'ouvrir au progrès, pas s'accrocher à un passé mythifié : il faut être fou pour refuser la révolution numérique, car c'est elle, et elle seule, qui oblige les chauffeurs de taxi à bouger, à ne pas rester ce qu'ils ont été.

J'assume donc ma maladie, la macronite aigüe, j'essaie même, au passage, de vous la refiler, en lisant ce blog. C'est quoi, être libéral ? Simple : c'est être pour la concurrence. Avant de l'être en matière économique, je crois que je l'étais dans mon éthique personnelle, dans ma psychologie : je déteste la rente, l'héritage, le clientélisme, l'entre soi, la cooptation, le monopole. Ce ne sont pas mes valeurs, ni privées, ni politiques. En revanche, j'aime la compétition, la diversité, le mouvement, le risque, la recherche du meilleur. Ceux qui craignent la concurrence sont souvent les médiocres, les paresseux ou les privilégiés (qui peuvent être les trois à la fois).

Je suis libéral de gauche, parce que la concurrence au sein du marché n'est pas contradictoire avec la défense de l'Etat et le renforcement des services publics. Car si l'Etat ne peut pas tout, comme le disait très justement Lionel Jospin, le marché non plus ne peut pas tout. Je suis un fervent défenseur de l'école publique, mais l'école privée ne me gêne pas. Et s'il y a une saine émulation entre les deux systèmes, tant mieux ! Les Français d'ailleurs le ressentent ainsi ; il n'y a que les mauvais idéologues qui s'en chagrinent.

Karl Marx lui-même était favorable à la concurrence économique, condamnait le protectionnisme et les ouvriers détruisant les machines à tisser (parce qu'elles provoquaient le chômage). Je suis donc libéral, de tendance marxiste. Mais là où je me sépare du génial philosophe, c'est que je ne suis pas communiste, parce que je ne pense pas que la concurrence va engendrer une crise du capitalisme aboutissant à une révolution ouvrière, à l'issue de quoi s'installerait une société nouvelle, libre, juste et égalitaire. Non seulement je n'y crois pas, mais je le crains, quand on voit le résultat, au niveau planétaire, durant tout le siècle précédent.

Revenons à Macron : sa politique, c'est de libéraliser des secteurs économiques injustement protégés, que les avancées technologiques ne peuvent plus maintenir en l'état. La gauche doit se convertir à cette mission-là, une parmi d'autres. Et vous, quand allez-vous tomber malade à votre tour de macronite aigüe ? Ce serait un signe d'excellente santé politique. En cette période de vœux qui n'est pas terminée, c'est ce que je vous souhaite.

jeudi 28 janvier 2016

Jésus et Mahomet dans l'Aisne



Pour éradiquer le djihadisme meurtrier des têtes, faut-il passer par la laïcité, la psychologie ... ou plutôt la théologie ? C'est la question qui se pose après avoir vu, en décembre dernier, sur ARTE, l'excellente série documentaire intitulée "Jésus et l'Islam". Les deux auteurs, Gérard Mordillat et Jérôme Prieur, qui nous avaient gratifiés il y a vingt ans d'un tout aussi excellent "Corpus Christi" (sur la naissance du christianisme), seront ce soir dans l'Aisne, à la bibliothèque sociale de Merlieux, pour présenter l'ouvrage qui reprend l'émission télévisée : "Jésus selon Mahomet". Un rendez-vous important, à 18h30, pour ceux qui s'intéressent au sujet, que nous connaissons très mal.

Ordinairement, on oppose islamisme et christianisme : le premier serait une religion étrangère et hostile à notre culture, le second serait au contraire la tradition et l'identité de notre pays. Pourtant, l'un et l'autre sont des cultes orientaux, beaucoup plus proches qu'on ne le croit, parfois de façon stupéfiante. D'abord, l'Islam s'inscrit complètement dans l'héritage de la Bible, reconnaît tous les prophètes depuis Abraham. Ensuite, Jésus a une place éminente dans le Coran, supérieure à celle de Mahomet, aussi incroyable que cela puisse paraître. En effet, Jésus est considéré comme immortel ; pas Mahomet. Jésus reviendra au Jugement dernier et combattra l'Antéchrist ; ce n'est pas à Mahomet que revient cette glorieuse mission. De ce point de vue, un chrétien est plus proche d'un musulman que d'un juif croyant, puisque celui-ci n'accorde aucune dimension surnaturelle à Jésus.

Quant au personnage de Marie, il est dans le Coran cité une quarantaine de fois, beaucoup plus que dans les Evangiles ! Les musulmans ont un immense respect pour elle, alors que certains chrétiens la minimisent ou la délaissent (les protestants). Dans le Talmud juif, Marie est soupçonnée d'avoir fauté avec un légionnaire romain, union scandaleuse d'où serait issu Jésus ! Le grand théologien chrétien Jean Damascène, au VIIIème siècle, estime que l'Islam est une hérésie chrétienne.

Ces points communs très puissants entre religion musulmane et religion chrétienne n'empêchent pas les divergences fondamentales : dans le Coran, pas de péché originel, pas de Trinité. jésus est né miraculeusement, sans père, mais l'Esprit Saint n'est pas évoqué dans sa conception. Surtout, il n'est pas Christ, Fils de Dieu, mais seulement prophète unique, divin (ce qui n'est déjà pas mal ...). Il n'est pas le Sauveur, chargé d'effacer les péchés du monde. Le plus surprenant, dans le Coran : Jésus n'a pas été crucifié, son supplice est l'effet d'une illusion collective !

Qu'on soit croyant ou athée importe peu dans le débat. Mordillat et Prieur sont des libres-penseurs, des anticléricaux, invités ce soir par Dominique Lestrat et ses amis, qui sont des anarchistes. Mais au lieu de bouffer bêtement du curé, ils essaient de faire fonctionner leur cerveau avant leur estomac. Le résultat est passionnant. Politiquement, il faut en tirer la leçon qu'il existe une base commune entre Français et Arabes, entre chrétiens et musulmans. Leur incompatibilité culturelle est une thèse polémique qui ne tient pas, et qui est destructrice pour l'unité et la paix civile dans notre pays. Pour combattre le djihadisme fanatique, je propose d'installer des instituts de théologie au lieu de centres de déradicalisation.

mercredi 27 janvier 2016

Taubira sans surprise



Christiane Taubira quitte le gouvernement : selon la formule consacrée, je suis étonné mais pas surpris. Etonné parce que la ministre avait dit, il y a peu, qu'elle resterait, que le dernier mot revenait au président. Alors, pourquoi partir maintenant et pas avant, d'autant que le projet de loi qu'elle conteste n'a pas encore été discuté à l'Assemblée ? J'ai l'impression que sa décision vient trop tard ou trop tôt. Elle s'expliquera cet après-midi.

Pour le moment, nous n'avons qu'un twitt un peu mystérieux : "Parfois résister c'est rester, parfois résister c'est partir. Par fidélité à soi, à nous. Pour le dernier mot à l'éthique et au droit". Ce n'est pas très clair, c'est même contradictoire : résister, c'est partir ou rester ? Il faudrait savoir ... Et puis, faire de la politique, surtout quand on est dans un gouvernement, ce n'est pas résister, c'est s'engager, construire et soutenir. Fidélité à soi, à nous ? Là aussi, il faut choisir : ce n'est pas la personne qui importe, c'est le collectif. Enfin, la référence exclusive au droit et à l'éthique est révélatrice : et si Taubira n'était pas, au bout du compte, une vraie politique ?

Mais ce départ n'est pas non plus pour m'étonner. Christiane Taubira, depuis longtemps, n'était plus d'accord avec la ligne générale du gouvernement. La déchéance de nationalité n'est pas une raison, c'est plutôt, pour elle, une occasion. Je salue sa clarté et sa cohérence : quand on est en désaccord personnel, il est en effet honnête de partir. Mais je le regrette en même temps, parce que Taubira avait toute sa place au sein du gouvernement et qu'elle a fait du bon travail à son poste. Je ne l'ai pourtant jamais considéré comme une icône : mon esprit rancunier ne me fait pas oublier qu'elle a contribué, avec d'autres, à la défaite de Jospin en 2002. Et puis, tout le monde omet généralement de rappeler qu'elle n'a jamais été socialiste, mais radical de gauche.

Que va-t-il se passer pour elle maintenant ? Je n'en sais rien. Peut-être l'oubli progressif ... D'un point de vue purement tactique, cette démission est embêtante pour le pouvoir. C'est l'une des règles d'or de la politique qu'il vaut mieux avoir avec soi ou près de soi le rival, le concurrent, sinon, à l'extérieur, libre de sa parole, tenu par rien, il peut faire des ravages. Nous verrons. Quant à son successeur, Jean-Jacques Urvoas, c'est un ancien strauss-kahnien, tendance rocardienne.

mardi 26 janvier 2016

La Gauche Libre



Les partisans d'Emmanuel Macron ont lancé hier un nouveau mouvement de soutien au ministre de l'Economie, notamment en vue des élections présidentielles de 2017 ou 2022. Son nom : La Gauche Libre. C'est, plus précisément, un think tank, comme on dit aujourd'hui, c'est-à-dire un club de réflexion, un cercle de pensée (pourquoi ne pas utiliser ces mots-là ?), avec tout de même une orientation politique très claire. Il a vocation à être représenté dans chaque département. C'est donc du sérieux. Macron s'engage. L'annonce d'hier sera suivie, en fin février, par un lancement public.

Cette création part du constat que les partis politiques, contrairement à autrefois, ne sont plus le lieu du débat idéologique, qu'ils ont même perdu toute représentativité. Je suis en grande partie d'accord, mais les appareils, aussi vides soient-ils d'idées et de militants, sont toujours là, présents. Ils vivotent mais demeurent maîtres du jeu, c'est-à-dire des investitures. C'est surtout le sort d'une élection qui aujourd'hui se décide à l'extérieur des partis, au sein des divers réseaux d'opinion. En tout cas, La Gauche Libre se veut indépendante des organisations partisanes, y compris du Parti socialiste.

Est-il trop tôt, pour Macron, de penser à la présidentielle ? Non, en politique, il n'est jamais trop tôt, mais bien souvent trop tard. Simplement, les choses doivent se faire dans l'ordre. Si François Hollande se représente, il faudra le soutenir, car la priorité lui revient, en tant que chef d'Etat. S'il ne se représente pas, il y aura forcément une primaire citoyenne, qui se jouera entre Manuel Valls et Emmanuel Macron, même si tous les deux appartiennent à la même sensibilité, celle de la social-démocratie assumée. Là aussi, mieux vaut le trop que le pas assez.

Personnellement, je choisirai qui ? C'est déjà fait ! Macron of course. Les deux sont bons, mais Macron se recentre sur ce qui me parait essentiel, qui m'avait fait choisir DSK il y a 15 ans : les questions économiques. Et puis, Valls, sur l'autorité et la nation, a selon moi un discours trop droitier, même si j'en comprends la nécessité politique (au regard de l'opinion) et tactique (à l'égard de la droite). Alors, La Gauche Libre, avec Macron, on y va !

lundi 25 janvier 2016

Jérôme Lavrilleux revient



Jérôme Lavrilleux revient. Mais est-on jamais parti en politique ? Sauf que l'affaire Bygmalion aurait pu le tuer définitivement. Il pourrait en avoir soupé de toutes ces histoires, se sentir isolé, ne plus voir sa vie à travers la politique, tout laisser tomber. Eh bien non ! En tout cas, ce n'est pas l'impression qui est donnée, en trouvant ce matin, sous ma porte, un gros paquet de publicités, parmi lesquelles un quatre-pages sobrement intitulé : "La lettre d'information de Jérôme Lavrilleux. Votre Député au Parlement Européen" (en vignette). Envoyée de cette façon à tous les Saint-Quentinois, c'est un acte politique qui interroge. Un bilan de mandat, on le fait quand on y croit, quand on pense que ça servira, parce qu'il y aura une suite. Jérôme Lavrilleux pense-t-il avoir encore une place dans la vie publique, nationale ou locale ? Il parait qu'on n'est jamais mort en politique ...

Coïncidence ou pas, Jérôme Lavrilleux revient en même temps que son ancien patron, Jean-François Copé, quoique les deux situations ne soient pas vraiment comparables. Il faudrait que lui aussi s'allonge sur le divan de Fogiel, pour qu'on en sache un peu plus. A le lire, il n'a pas décroché. Pas du tout hostile aux institutions européennes, il défend l'espace Schengen, à l'heure ou beaucoup demandent de revenir aux frontières nationales. Le député souhaite une harmonisation sociale et fiscale et de grands investissements européens.

Il dresse de lui un portrait d'homme actif, "2ème Député européen français le plus assidu", en détaillant la liste et le contenu de ses interventions. Des photos attestent des liens gardés avec l'Aisne et Saint-Quentin, en recevant au Parlement européen des agriculteurs du département, des lycéens de notre ville ou le maire de Gauchy et ses élus. Et puis, il conserve une permanence parlementaire à Saint-Quentin, rue Calixte-Souplet.

Et Bygmalion, qui l'a fait chuter, en est-il question ? Oui, sans employer le nom, mais en évoquant le "financement de la campagne des élections présidentielles de 2012". Il rappelle que l'enquête ne lui reproche aucun enrichissement personnel et qu'il fait entièrement confiance en la justice de son pays.

Jérôme Lavrilleux a-t-il un avenir politique ? Il s'est retrouvé propulsé au sommet de l'Etat, puis a été rejeté par les siens, y gagnant au passage une notoriété nationale dont il se serait bien passé. C'est un classique en politique. D'autres ont subi pareille épreuve et s'en sont sortis, ont poursuivi leur carrière, allant encore plus haut. Alors, pourquoi pas lui ?

dimanche 24 janvier 2016

Etes-vous laïque ou laïcard ?



La querelle est passée inaperçue, elle n'a pas été médiatiquement relevée, mais je crois qu'elle mérite d'être signalée. L'Observatoire de la laïcité, présidé par Jean-Louis Bianco, a été ces derniers temps vertement attaqué, à cause de ses prises de position, à tel point que son existence même semble menacée. Trois associations laïques, historiques, ont décidé de prendre sa défense, à travers une pétition sur Médiapart, que je vous invite à signer, ou bien en prenant contact avec les initiateurs : la Ligue de l'enseignement, la Libre-Pensée et la Ligue des droits de l'homme.

La querelle n'est pas nouvelle. Elle s'enracine dans notre passé laïque. Il y a ceux, dont je suis, pour qui la liberté est un principe de liberté de conscience, de neutralité et d'indépendance des institutions, de diversité des convictions et des religions. Il y a ceux pour qui la laïcité est un principe d'autorité, de combat idéologique contre la religion, récusée comme aliénante, reléguée dans l'espace strictement privé, en attendant que l'éducation la chasse des esprits. Cette seconde conception de la laïcité est liberticide et totalitaire. Elle est le miroir inversé de ce contre quoi elle prétend lutter : fanatisme laïcard contre fanatisme religieux.

Deux articles récents d'un des meilleurs spécialistes français de la laïcité éclairent utilement le débat. Je vous en recommande la lecture : "Gare aux laïcards extrémistes", dans Le Monde du 21 janvier ; "Pour une laïcité rassembleuse", dans Le un de cette semaine. Les deux articles ont le mérite de se compléter et d'offrir un tableau très juste de cette laïcité qui m'est chère, contre ses partisans fanatiques. Baubérot rappelle un incident récent, passé relativement sous silence : la mère d'un soldat tué par Mohamed Merah en 2012, s'est faite gravement insultée à l'Assemblée nationale, par des députés socialistes, parce que ses cheveux étaient recouverts d'un voile. C'est l'une des manifestations de cete laïcité fanatique.

En 1905, un laïcard, Emile Combes, avait plongé la France dans une quasi guerre civile, par sa conception furieuse de la laïcité et son hostilité à la religion (ses amis voulaient interdire le port de la soutane dans la rue, comme aujourd'hui leurs descendants veulent interdire le voile musulman). Un laïque de génie s'est levé, Aristide Briand, il a réussi à imposer une loi de pacification, séparant les Eglises et l'Etat, dans le respect de chacun, il a fait sortir notre pays d'une crise qui basculait dans la violence. La célèbre loi de 1905 est à ce jour le modèle indépassable et incontesté de la laïcité en France. C'est d'un Aristide Briand dont nous avons encore besoin, pas d'un Emile Combes.

On me pose souvent la question : quelle est la différence entre un laïque et un laïcard ? La réponse la plus simple est la suivante : le laïque admet qu'il existe plusieurs définitions de la laïcité, la sienne n'étant qu'un point de vue parmi d'autres, soumis à la discussion ; le laïcard estime qu'il est le seul détenteur de la vraie laïcité, il rejette comme faussement laïques les points de vue qui ne sont pas les siens. Gardez bien à l'esprit cette distinction et, dans vos rencontres et conversations, vous saurez tout de suite si vous avez affaire à un laïque ou à un laïcard, à un partisan de Briand ou à un partisan de Combes.

samedi 23 janvier 2016

35 heures, de jure et de facto



Emmanuel Macron fait encore débat, à propos des 35 heures cette fois. On l'accuse de vouloir les supprimer. C'est évidemment faux. Mais les réformer, oui, et je suis, une fois de plus, d'accord avec lui. Remarquez bien qu'aujourd'hui, à gauche, c'est la social-démocratie, dont le ministre de l'Economie est la pointe avancée, qui est à l'initiative en matière d'idées. L'aile gauche n'a plus grand chose à dire et à proposer.

Revenons donc sur les 35 heures. Depuis 1eur mise en place, il y a 18 ans, cette importante réforme de la gauche n'a jamais cessé d'être contestée. C'est un cas assez rare. Forcément, quelque chose ne va pas. Si les critiques venaient de la droite, ce serait le jeu politique normal : jamais les libéraux n'ont milité pour la réduction du temps de travail. Seul le centre droit envisageait son aménagement (qui ne vaut pas réduction). Non, les reproches les plus virulents sont venus, à l'origine, de la gauche et de son électorat.

A l'époque, sous Lionel Jospin, j'étais secrétaire de section et, à ce titre, défenseur des réformes en cours. Je me souviens des fréquents griefs qui étaient adressés aux socialistes. Le fond de la protestation, c'est que les salariés n'étaient pas tant intéressés par moins d'heures, qui désorganisait certains secteurs et mettait la pression dans d'autres, que par plus de pouvoir d'achat. Avec le temps, les critiques se sont tassées, une partie des classes moyennes apprécient ce gain de temps que leur apporte les désormais fameuses RTT. Mais les problèmes demeurent dans bien des entreprises, connus depuis le début, jamais totalement réglés : les 35 heures, c'est très bien, mais leur cadre juridique et réglementaire est trop rigide.

Emmanuel Macron, en avant-gardiste de la social-démocratie, est allé le plus loin dans les propositions, sans cependant contredire la ligne du gouvernement. A-t-il proposé d'abroger la loi sur les 35 heures, comme le souhaite une grande partie de la droite, Nicolas Sarkozy en tête ? Non, cette durée reste ce qui fixe le taux de rémunération des heures supplémentaires (car le problème n'est pas dans la réduction du temps de travail, sur laquelle la gauche ne reviendra pas, mais sur la majoration des heures au delà de la 35e).

L'assouplissement des 35 heures est déjà ancienne. Ce n'est pas Macron qui l'a inventé hier. Au lieu de rémunérer l'heure sup à 25%, on peut descendre actuellement à 10%, et le gouvernement prévoit de pouvoir aller en deca, quand les représentants du personnel sont d'accord. Ce qu'Emmanuel Macron apporte de nouveau, en quelque sorte de radical, c'est de descendre à 0%, décidé par une majorité qui ne serait plus absolue mais relative (30% des représentants du personnel). J'admets que la mesure se discute, mais je la soutiens : d'abord parce que, économiquement, les rigidités qu'entraînent les 35 heures sont à faire sauter ; ensuite parce que, politiquement, pour être compris et efficace, il ne faut pas faire les choses à moitié.

Est-ce la fin des 35 heures ? Non, puisque la durée légale du temps de travail demeure inchangée, comme je l'ai dit. Certes, à Davos, en réponse à une question, Macron a affirmé que, de facto, la loi initiale sur les 35 heures ne s'appliquerait plus, ce en quoi il a raison. Mais, de jure, elle continue à fixer la durée légale. Ne me dites pas que c'est une chinoiserie : la distinction juridique entre la loi et la pratique, c'est quand même le fondement du droit ! Par cette approche, Emmanuel Macron réactive la social-démocratie, qui donne sa préférence à la négociation et au compromis plutôt qu'à l'Etat et à la loi, principe qu'il n'applique pas seulement au niveau national ou de la branche professionnelle, mais ici au sein de l'entreprise. Tout social-démocrate ne peut qu'approuver.

vendredi 22 janvier 2016

APB de toutes les peurs



Le système APB (Admission Post-Bac) est un portail numérique d'inscription aux études supérieures. C'est une démarche administrative assez banale, relativement simple et surtout très pratique, très complète, au regard de ce qui se passait autrefois, avec les dossiers papier. APB est en fonction depuis quelques années et marche fort bien. Quelle n'est donc pas ma surprise d'en entendre parler dans les médias depuis deux jours (le site ouvrait hier, pendant deux mois) ! Comment ce procédé ordinaire peut-il devenir un objet de commentaires journalistiques, de réactions passionnées ? Ma seule explication, c'est qu'APB concentre et intensifie toutes les peurs contemporaines.

Peur de la technologie : l'individu moderne a ses yeux et ses oreilles rivés à des appareils, ses mains occupées par elles. C'est complètement nouveau, très plaisant et très inquiétant. De la folie technologique à la phobie, il n'y a qu'un pas. Nous sommes devenus des êtres électroniques, des créatures de réseaux. Nos désirs et nos pensées passent à la moulinette des machines. Nos vies sont connectées. C'est assez, c'est inhumain ! La peur d'APB exprime ce rejet, avec le fantasme d'un bug généralisé qui ferait tout péter.

Peur de l'imperfection : nous sommes obsédés par le zéro défaut, la sécurité totale. Or, l'existence est faite d'imperfections, et ce n'est pas grave du tout. APB, en tant que système informatique, est parfait : il brasse 800 000 demandes, qui sont toutes satisfaites, sauf 7 500 l'an dernier, ce qui n'est pas grand chose. Cette petite imperfection ne vient pas de la machine, mais de celui qui l'utilise : les élèves se trompent, font des vœux peu judicieux ou insuffisants et se retrouvent donc au final sans affectation. Comme l'homme ne peut pas être parfait, il jette son acrimonie sur la machine. Mais APB est innocent comme l'enfant qui vient de naitre. C'est notre fantasme de la perfection et notre refus d'assumer nos responsabilités qui conduisent à l'accuser.

Peur de la liberté : quand j'étais lycéen, il y a plus de 35 ans, les choix d'études étaient plus restreints. Aujourd'hui, les possibilités sont immenses. Sur APB, le programme est copieux, les vœux nombreux. Ils dépassent d'ailleurs les capacités des élèves, qui sont impressionnés, écrasés par le presque infini qui s'ouvre devant eux, un horizon qui peut se transformer en abime. L'insupportable épreuve psychologique d'APB, c'est qu'elle nous fait sentir que nous ne savons pas quoi faire de notre liberté, que nous sommes incertains dans nos choix et nos désirs. Jadis, la question ne se posait pas : on continuait le travail de ses parents, on restait dans les activités professionnelles de sa classe sociale, on prenait le boulot qu'on trouvait, parce qu'il fallait gagner sa vie. Depuis que la démocratie a proclamé que l'individu était un citoyen souverain et autonome, maitre de lui et comptable de ses décisions, celui-ci est en plein désarroi. Il aimerait tellement mieux qu'on choisisse à sa place. Mais ça, APB ne le fera pas !

Peur du travail : notre société a fait du métier la part centrale de notre identité. Avant de savoir qui nous sommes ou d'où nous venons, la question qu'on pose est "que faites-vous ?" Les aristocrates ont méprisé pendant des siècles le travail ; les démocrates en font une valeur sociale et personnelle. "La beauté est une promesse de bonheur", ne pourrait plus dire Stendhal : il faudrait la remplacer par le travail, qu'on veut désormais épanouissant. Les familles ont peur d'APB, parce que c'est la machine à rendre heureux pour la suite de l'existence, et qu'on n'a pas le droit de se tromper là-dessus. Sans parler de la peur de ne pas trouver de travail du tout.

Peur de l'avenir : les emplois de demain, pour beaucoup d'entre eux, nous ne savons pas ce qu'ils seront. Une société qui est incapable, dans le présent, de réduire le chômage de masse ne peut pas avoir la prétention d'annoncer les emplois du futur. APB est donc, inévitablement, un choix en partie à l'aveugle. C'est d'autant plus angoissant que, contrairement au passé, on nous explique qu'il faudra changer plusieurs fois de métiers dans la vie (est-ce que la notion de métier existe encore ? Est-ce qu'il ne faudrait pas mieux parler d'activités professionnelles ?)

APB est un écran et un miroir. L'élève est confronté à ce qu'il est, à ce qu'il veut être, à ce qu'il ne peut pas être. APB, c'est la peur de soi, c'est la machine de tous les désirs, de tous les fantasmes et de toutes les angoisses. APB, c'est l'impossible réponse à la lancinante question : qu'est-ce que je vais devenir ? C'est une Passion, un chemin de croix, de janvier à début juillet, quand les élèves et les parents pourront pleurer de la joie pascale d'avoir le bac et d'envisager le terrible et merveilleux avenir qui s'offrira à eux. En juillet, ce sera terminé, plus personne ne parlera d'APB, qui ne sera plus qu'un mauvais souvenir, un parcours initiatique réussi, en attendant que recommence l'an prochain le grand psychodrame que célèbrerons les médias.

Une anecdote pour terminer : il y a deux ans, un parent d'élève me demande s'il y a TOUT sur APB. Je lui réponds que non, qu'il n'y a pas TOUT sur APB : si votre fils veut entrer au monastère, l'option n'est pas sur APB. Mais quelle importance : sous le règne d'APB et de la réussite professionnelle, plus personne ne pense à la procédure très simple d'entrée au monastère.

jeudi 21 janvier 2016

Macron est-il un salaud ?



La question se pose sérieusement, au vu des réactions d'indignation qu'a suscités une phrase, prononcée hier matin sur BFMTV : "La vie d'un entrepreneur est bien souvent plus dure que celle d'un salarié". Alors, Macron, un visage d'ange qui cacherait un esprit démoniaque ? Mais ce n'est pas nouveau, le tribunal de l'Inquisition pour de petites phrases. C'est même une constante de l'antisocialisme. Rocard est passé par là, avec sa déclaration qu'on ressort vingt après, en lui faisant dire le contraire : "La France ne peut pas accueillir toute la misère du monde", pour défendre en réalité l'idée qu'elle devait "y prendre sa part". Jospin a connu pareil passage au bûcher, pour sa formule de Premier ministre : "L'Etat ne peut pas tout", ses adversaires laissant entendre qu'il renonçait ainsi au socialisme, alors qu'il énonçait une évidence, une banalité.

De même, les cris d'orfraie après les propos de Macron sentent le fagot. Si on replace les mots dans leur contexte, si on veut bien avoir l'honnêteté de comprendre ce qu'il a voulu dire, l'explication est très simple et très claire : l'entrepreneur a des responsabilités que le salarié n'a pas. De ce point de vue, sa vie est toujours plus dure, plus compliquée, plus risquée que celle du salarié, qui n'a pas de choix économiques à faire, qui n'a pas la charge d'une entreprise et de son personnel, qui n'a pas à s'interroger sur les recrutements, la trésorerie ou les bénéfices, qui n'a pas à subir de contraintes administratives. Le salarié est lié par un contrat qui le protège et donne droit à indemnités quand il y a rupture ; il est assuré de son emploi quand il est fonctionnaire. L'entrepreneur, quand il est acculé à la faillite, au dépôt de bilan, perd tout ou est menacé de tout perdre.

Ce constat n'amène pas à dire ridiculement que la vie de salarié serait merveilleuse et la vie d'entrepreneur malheureuse. Nous ne sommes pas dans un conte de fée, avec les méchants et les gentils. Un salarié licencié, c'est un drame, pour lui, pour sa famille, pour son avenir. Un salarié mal payé, c'est une situation d'injustice. Un salarié dans des conditions de travail difficiles, c'est une vie qui n'est pas heureuse. Cela, nous le savons tous, de gauche comme de droite, y compris Macron. N'allons donc pas inventer des polémiques artificielles et mensongères.

La remarque du ministre de l'Economie était d'ordre économique et juridique, pas social ou moral. D'ailleurs, au plan moral, puisque les accusateurs veulent nous entrainer implicitement sur ce terrain-là, la vie est dure quand un enfant est malade, quand la famille se désunit, quand un proche meurt, et là, qu'on soit entrepreneur ou salarié, c'est la même dureté. Au plan social, la vie la plus dure n'est réservée ni à l'entrepreneur, ni au salarié, mais au chômeur et à l'intérimaire. Et puis, un salarié, c'est aussi un cadre supérieur qui a un bon salaire et une vie aisée, et un entrepreneur, c'est aussi un petit patron, un artisan, un commerçant qui peuvent être empêtrés dans les problèmes et mettre la clé sous la porte.

La formule de Macron, qu'il a glissée par incidence, déchaîne les passions parce qu'elle touche aux fantasmes les plus répandus dans la société d'aujourd'hui : le populisme, qui postule que tout responsable est forcément suspect de quelque chose, qu'il est indécent de vouloir le comprendre ou de le défendre, l'innocence étant réservée à ceux "d'en bas" ; la compassion, qu'on nous demande d'éprouver à tout instant à l'égard de ceux qui sont déclarés victimes, le titre le mieux porté dans la période actuelle, mais qu'on dénie à ceux "d'en haut". Emmanuel Macron, en esprit libre, ne s'inscrit pas dans cette sensibilité et cette rhétorique, et je trouve sa position iconoclaste profitable à la gauche, parce que véridique.

J'ai quelque scrupule à avoir rédigé ce billet, contrairement à d'habitude. Aux basses attaques, à la manipulation de la parole publique, il faudrait répondre par le silence et le mépris, ne pas perdre son temps, comme je viens de le faire, à justifier des évidences que toute personne honnête partage. Mais je sais qu'en politique on est toujours perdant à ne pas s'expliquer. J'ai tenté de le faire par des arguments rationnels. Maintenant, si j'ai tort ou mal compris, si Macron est vraiment un salaud, je ne demande pas mieux qu'on me le démontre, et je publierai vos commentaires.

mercredi 20 janvier 2016

Michel Tournier dans les limbes




Je ne sais pas très bien ce qu'est un grand écrivain. Mais je sais que la plupart des écrivains contemporains seront oubliés dans quelques siècles. Michel Tournier, disparu avant-hier, restera, c'est certain. Je ne l'ai pas d'abord connu par le livre, mais par la radio. Adolescent, durant des grandes vacances, j'écoutais sur France-Culture une lecture de "Vendredi et les limbes du Pacifique". La description de Robinson pétrissant et cuisant son pain m'avait impressionné. C'était bien écrit, bien dit : le pain donnait envie d'être mangé. J'ai acheté le livre, qui m'a beaucoup plu.

Plus tard, beaucoup plus tard, j'ai compris que l'histoire de Crusoé avait aussi, chez Tournier beaucoup plus que chez Defoe, une dimension philosophique. C'est que Michel Tournier avait une formation de philosophe. Ce livre est resté pour moi fétiche, mon préféré (couverture en vignette). Après, j'ai lu ses autres gros romans, enthousiasmants. Mais je retiendrais de lui un ouvrage moins connu, "Gaspard, Melchior et Balthazar", l'histoire revue et corrigée des Rois mages, qui en réalité auraient été quatre, comme les Mousquetaires de Dumas.

Qu'est-ce que j'aime dans l'œuvre de Michel Tournier ? Ce ne sont pas des romans psychologiques, contrairement à la production contemporaine. Le récit a l'originalité d'interroger des mythes, de les détourner et d'en tirer toute une réflexion. Le style est classique, comme chez Marguerite Yourcenar, ce que je préfère à l'écriture expérimentale, au nouveau roman. Michel Tournier restera, parce qu'il est authentique, singulier, inclassable.

Cette disparition est d'autant plus émouvante qu'elle s'accompagne d'une coïncidence personnelle. Je me rends demain, avec mes élèves, à l'université d'Amiens pour assister à une conférence de Céline Hervet, professeur de philosophie, sur "la liberté et le bonheur : la question de l'île déserte", qui évoquera notamment ... "Vendredi ou les limbes du Pacifique". Pour préparer cette rencontre, j'évoquais la semaine dernière le roman de Tournier et sa portée philosophique devant ma classe. Voilà bien un hommage involontaire à un écrivain qui tenait à se faire entendre des plus jeunes, pour lesquels il avait rédigé une version adaptée, "Vendredi ou la vie sauvage".

Aujourd'hui, Michel Tournier a peut-être rejoint les limbes de cette mythologie qu'il chérissait tant. Pour nous, sur cette terre, il restera un géant de la littérature au XXe siècle.

mardi 19 janvier 2016

Un discours d'ouverture



Le discours de Frédérique Macarez, à la cérémonie des vœux, était très attendu. C'est sans doute pourquoi le public était hier soir un peu plus nombreux que d'habitude dans le palais de Fervaques. La première image était parlante : Pierre André debout, tout à côté du nouveau maire, presque à égalité, alors que Xavier Bertrand était absent, retardé par les embouteillages. Tout un symbole, et peut-être un acte manqué ...

A entendre Frédérique Macarez, on ne pouvait s'empêcher de comparer avec ses prédécesseurs. Le fond ne pouvait pas être nouveau : c'est forcément la politique en cours qui sera poursuivie. Mais c'est le ton qui importe, la petite chanson propre au nouvel édile. Chez Pierre André, le discours était combatif et provocateur ; chez Xavier Bertrand, volontaire et très politique. Frédérique Macarez a sa marque bien à elle : l'ouverture et la douceur, dans la forme et le contenu.

"Prendre soin des Saint-Quentinois", c'est la formule qu'on retient, déjà rodée devant le Conseil municipal. L'idée n'est pas loin d'une philosophie politique à la mode, le care, initiée en France par Martine Aubry. Avant, Ségolène Royal en était proche. C'est une volonté de protection, envers les jeunes, les seniors et les accidentés de la vie (sic). Autrefois, on aurait parlé de christianisme social, qui se marie très bien, aujourd'hui, avec un socialisme soft, compassionnel et moral.

Et puis, il y a les femmes, qu'une femme à la tête de la Municipalité veut connaître, comprendre et défendre. Je vous jure qu'au moment où Frédérique Macarez a évoqué les femmes qui se reconnaissent en elle, deux dames à côté de moi étaient émues aux larmes. Là aussi, quelque chose de nouveau est en train de se passer. Frédérique Macarez, c'est Henriette Cabot, qu'elle a citée devant le Conseil municipal : l'infirmière pieuse et dévouée. Nous sommes quand même très loin des figures tutélaires de Pierre André et Xavier Bertrand, qui étaient plus boxeurs qu'aides-soignants ...

A part le petit couplet sur la sécurité, ce discours n'a pas emprunté aux motifs habituels de la droite. A la fin, Frédérique Macarez a même souhaité établir des "convergences" avec ceux qui n'avaient pas voté pour elle. Son esprit d'ouverture est allé jusqu'à saluer, avec insistance, le rôle de la presse locale, avec laquelle la droite était fâchée depuis un bon bout de temps. Ce qui n'empêche pas une légitime rigueur : le maire sera l' "interlocuteur privilégié" des médias.

A la suite du discours, c'est le bain de foule, tout aussi important pour mesurer la température. Poignées de main, bises, selfies, discussions, cohue : pas de doute, le transfert de pouvoir s'est accompagné d'un transfert de popularité. Y aurait-il à redire ? On peut toujours, en cherchant bien. Peut-être une certaine fragilité ? En tout cas, je ne pense pas que les problèmes de Frédérique Macarez viendront de l'opposition, trop faible et trop divisée, mais de ses propres rangs, où les crocodiles ne dorment que d'un œil. Il faut cependant relativiser : tant que Pierre André et Xavier Bertrand seront là, vigilants, les crocodiles feront les moutons.

Et moi, en tant qu'homme de gauche, j'en pense quoi ? Mon avis est plutôt favorable, parce qu'il y a cet esprit d'ouverture et cette image moins marquée à droite que Xavier Bertrand. Mais je reste un mauvais client pour le nouveau maire, car indécrottable électeur de gauche, socialiste de toujours et supporter de l'actuel gouvernement. Apprécier, ce n'est pas voter.

lundi 18 janvier 2016

Et la primaire à gauche ?



Samedi soir, c'était tout de même une surprise. Alors qu'on s'attendait à trouver une droite en ordre de bataille, la cérémonie des vœux des Républicains n'aura lancé aucun candidat, mais accouché d'une primaire, avec trois postulants déclarés, Pascal Cordier, Julien Dive et Thomas Dudebout. Les noms ne surprennent pas, ils circulaient depuis un certain temps. Mais le choix d'une primaire, c'était inattendu.

Entendons-nous bien sur les mots : j'emploie celui de primaire, parce qu'il est repris aujourd'hui. Mais il s'agit, en réalité, d'une désignation interne, comme en ont tous les partis. Une véritable primaire est une consultation ouverte aux électeurs, aux sympathisants. Dans le cas de la droite locale, ce sont uniquement les adhérents qui décideront. La procédure n'a donc rien à voir avec la primaire citoyenne pratiquée par les socialistes. Ce qui est nouveau, c'est la médiatisation, et surtout le fait que la question de la candidature n'ait pas été immédiatement tranchée.

Cette situation peut-elle profiter à la gauche et faire oublier ses difficultés ? Dans un premier temps, on peut penser que oui. D'abord parce que cette primaire à droite prouve un état de division, que l'intérêt général n'aura pas effacé. Nous savons que la concurrence exacerbe les rivalités et que le résultat n'est pas forcément suivi d'un rassemblement autour du gagnant. Et puis, la véritable campagne, auprès de tous les électeurs, est repoussée d'un mois, ce qui est une perte sèche, quand on se souvient que les délais du scrutin seront très courts. Enfin, on peut penser que l'autorité du chef est mise à mal : Xavier Bertrand, contrairement à la désignation du maire, n'a pas su imposer de candidat.

Dans un deuxième temps de réflexion, il faut relativiser. Je ne suis pas certain que la droite soit perdante dans cette opération. D'abord parce qu'une primaire, loin de diviser, peut avoir un effet mobilisateur, où la concurrence entre les candidats devient fructueuse et profitable à tous. C'est ce qui s'est passé pour les socialistes, en 2011, au niveau national. Surtout, à Saint-Quentin, ce que je redoute par dessus tout, c'est que cette primaire monopolise, dans les prochaines semaines, tout l'intérêt médiatique, reléguant la gauche dans les rôles de figuration. Cordier, Dive et Dudebout sont connus, savent faire. Après la séquence élections régionales et la séquence élection du maire, toutes favorables à la droite, nous aurions un nouveau rouleau compresseur médiatique : la primaire.

La comparaison avec le choix du maire est erronée. Il fallait alors quelqu'un qui ait le niveau, qui sache tenir la boutique. Le collège électoral était restreint aux conseillers municipaux. Xavier Bertrand ne pouvait pas se permettre de divisions. La législative partielle, c'est autre chose : tous les citoyens sont conviés à s'exprimer et tous les adhérents sont appelés à choisir leur candidat. C'est plus compliqué, plus délicat. Mieux vaut alors laisser les candidats potentiels y aller, pour ne pas risquer d'inutiles remous. A la fin, l'autorité du chef saura se faire entendre pour ramener tout son monde derrière le gagnant.

Il serait donc illusoire pour la gauche de se frotter les mains de satisfaction : ce n'est pas cette primaire à droite qui la fera gagner. On peut même penser qu'elle a quelque raison de la redouter. La gauche saint-quentinoise ne l'emportera que sur ses propres forces, pas sur les faiblesses qu'on prête à l'adversaire. Au contraire, la bonne question qui mériterait d'être posée, c'est de savoir si le PS ne tirerait pas profit d'organiser à son tour des primaires pour se donner le meilleur candidat. En 2011, pour le choix de la tête de liste aux élections municipales, je l'avais suggéré, mais l'idée n'avait pas été retenue. Pourtant, elle nous aurait évité la déconvenue de voir la tête de liste socialiste jeter l'éponge un an après avoir été élue.

A la différence de la droite, la primaire socialiste ne pourrait être qu'ouverte (c'est-à-dire une vraie primaire). Si les adhérents des Républicains sont plusieurs centaines dans la circonscription, ceux du Parti socialiste ne sont que quelques dizaines. Ce n'est pas qu'un changement de degré, mais carrément de nature. Au PS, en deux ou trois coups de fil, le résultat est fixé, avant même l'ouverture du scrutin. A droite, nous sommes beaucoup plus dans une élection normale, avec ses incertitudes. Bien sûr, organiser une primaire où pourraient participer tous les électeurs de gauche est plus compliqué qu'une consultation interne. Mais il faut savoir ce qu'on veut : désigner ou non le meilleur profil pour gagner ou bien laisser cette candidature résulter d'un jeu de courants, c'est-à-dire imposée d'en haut, par les instances fédérales. Ma préférence va évidemment à une primaire à gauche. Mais il m'étonnerait qu'on aille vers cette décision-là.

dimanche 17 janvier 2016

Valls, ennuyeux et parfait



Je ne me suis pas couché hier soir, comme nous y invite chaque samedi soir Laurent Ruquier. Mais c'est parce que l'invité politique était le Premier ministre, l'émission très attendue et contestée (voir le billet de vendredi). J'ai été largement rassuré, et je me dis maintenant que mon inquiétude était excessive. Le ton était sérieux, du début à la fin, à part une ou deux blagounettes, beaucoup moins que d'habitude. Nous avons eu droit à une séquence de gravité au milieu de trois heures de divertissement.

Très bien ? Oui et non : à vrai dire, je me suis ennuyé. Aucune surprise dans les propos de Manuel Valls, qui a été parfait dans son genre : clair, déterminé, convaincant. Mais comme je suis déjà convaincu, depuis bien longtemps ... Les chroniqueurs, Salamé et Moix, n'ont pas été très incisifs. Léa souriait et regardait avec ravissement, comme si elle avait le Bon Dieu sous ses yeux. Le Premier ministre s'est lancé dans de longs monologues, qui à la télévision passent toujours très mal. Pas vraiment de lyrisme dans sa parole, monocorde. Valls n'est vraiment lui-même que dans l'adversité : là, il jouait sur du velours, trop lisse, trop caressant à mon goût. J'ai suivi jusqu'au bout, mais j'aurais pu arrêter en chemin.

Salamé a bien cherché à faire l'indignée, à propos de la déchéance de nationalité, mais sa leçon de morale sonnait faux. Il aurait fallu qu'elle soit un peu plus politique ... Valls, sur le sujet, est rodé. Quant à moi, je ne suis toujours pas convaincu. Qu'est-ce qu'être français ? c'est, selon le Premier ministre, ce qu'il faut se demander après les attentats de l'an dernier. Non, je ne crois pas. Au contraire, il faut sortir de cette fichue question nationale, qui est inutile, qui empoisonne le débat public, affole l'opinion et fait le beurre de l'extrême droite.

J'ai dit que l'émission n'était pas tombée dans le divertissement. Sauf à un moment, où Moix n'a pas pu s'empêcher de faire le clown, en revêtant une kippa, par solidarité. Une bonne intention n'excuse pas la pitrerie : la kippa est un symbole religieux, qu'on porte quand on est juif croyant ou visiteur d'une synagogue. Ce n'est pas respectueux que de s'en servir d'amusement, même quand la cause est juste. Car quel besoin de se déguiser pour défendre une idée, pour afficher son soutien ? Deux députés de droite, à l'Assemblée, ont commis eux aussi cette singerie ; c'est déplorable.

La perfection génère l'ennui. Mais je ne dois pas critiquer : l'ennui est une force puissante en politique, où l'on ne demande pas aux citoyens d'être intéressés ou de se passionner, mais de suivre et de soutenir. Si l'homme public tient un discours lyrique, enthousiaste, il va provoquer de la controverse, de l'inimitié qui ne lui seront pas profitables. L'homme politique parfait n'est pas celui qui excite mais qui endort. Manuel Valls, chez Ruquier, a asséné des évidences partagées par tous, des banalités dans l'air du temps : c'est ce qui fait sa force, lui donne un bel avenir et engendre chez moi l'ennui. Ce qui n'enlève rien à mon soutien total.

A la fin, je suis sorti de ma torpeur parce que Valls est sorti de sa monotonie. Un jeune humoriste, que je ne connaissais pas et dont j'ai déjà oublié le nom, a tenté de le provoquer. Valls est resté maître de lui et a torché comme il le fallait le morveux. Mais j'en senti, dans le frémissement de sa narine, ce reniflement du sang et du combat qui donne à la politique tout son intérêt. Le Premier ministre, parce qu'il veut devenir un jour président de la République, ne s'est pas laissé aller. Quand on veut être parfait en politique, il faut passer par l'ennui, qui est une forme de sagesse, d'une grande efficacité.

samedi 16 janvier 2016

La droite fait l'actualité



Depuis l'élection de Xavier Bertrand à la Région jusqu'à celle de Frédérique Macarez à la Municipalité, la droite est omniprésente dans la presse locale. Cette couverture médias est impeccable : longues interviews, articles d'analyse, belles et grandes photos où Xavier Bertrand a bonne mine et Frédérique Macarez un visage lumineux. La droite pète la santé, ses victoires sont visiblement des dopants.

Les contrariétés d'un Freddy Grzeziczak, d'avoir échoué à devenir maire, pèsent peu, ne font pas vraiment tache dans un tableau positif, optimiste, d'où souffle un moral de gagnants. La législative prochaine fait des émules, aiguise les appétits mais ce n'est pas perçu comme une cacophonie : au contraire, la droite affiche ses talents, assume une concurrence qui prouve simplement qu'il y a une place à prendre, que le résultat est quasiment acquis.

Par contraste, la gauche locale donne, sans le vouloir, une triste image, qui se ressent parfois jusque dans les visages, marqués, soucieux, incertains (et je ne parle pas seulement du mien !). Surtout, il y a cette absence ou cette minorisation dans la presse. Quelques noms sont lâchés en vue de la candidature à la législative parce qu'il faut bien dire quelque chose, mais on sent que rien n'est certain, rien n'est décidé. Derrière l'argument de la "réflexion" (jamais la gauche n'aura autant "réfléchi" que ces derniers temps), c'est l'indécision qui se cache, peut-être la désolation à se trouver un candidat condamné, dans les circonstances actuelles, à l'abattoir.

La presse locale n'est bien sûr pour rien dans cette carence médiatique de la gauche : elle fait avec ce qu'elle a, et à gauche, elle n'a pas grand chose à se mettre sous la dent. Seul Olivier Tournay a réussi à se construire un personnage public, dont les interventions en Conseil municipal impriment. Mais il est minoritaire dans la minorité. Quels que soient ses talents, ce n'est pas lui qui va abattre demain la droite.

A Saint-Quentin, quand la gauche fait l'actualité (assez rarement), c'est pour l'étalage public de ses problèmes, de ses divisions et de ses défaites. Elle est dans l'ignorance total des impératifs médiatiques, que souvent elle méprise. Elle ne considère la presse que sous l'angle du soupçon, du reproche, sinon de l'hostilité. J'ai toujours connu ça depuis que je suis là, je n'ai rien pu faire changer. Il y aurait pourtant matière, urgence et possibilité. J'ai souvent avancé, sur ce blog, quelques propositions basiques, sans aucun effet. Il faut vraiment avoir la foi chevillée au corps pour ne pas tomber dans la déprime. Nous verrons bien ce qui se passera pour cette élection législative : en attendant, croire et espérer que la gauche, un jour, le plus tôt, fasse à son tour l'actualité.

vendredi 15 janvier 2016

Ruquier Premier ministre



Devait-il y aller ou pas, Manuel Valls, à l'émission télévisée "On n'est pas couché" ? D'abord, pas d'hypocrisie et un peu de cohérence : ceux qui désapprouvent vont regarder, moi le premier. Et puis, il y a ceux qui critiquent mais qui se précipiteraient s'ils étaient invités. Ceci dit, ce n'est pas non plus une raison pour être d'accord avec cette participation, dont je comprends pourtant les motifs légitimes : besoin de communication, grosse audience, public jeune, style décalé, longue durée. Mais ça ne suffit pas pour me convaincre de s'y rendre.

Certes, Valls est déjà allé chez Ruquier. Mais il n'était pas alors le premier des ministres. Bien sûr, c'est une excellente émission, bien menée, rythmée par un vrai pro de la télévision. Mais ça ne me convient toujours pas. Pourquoi ? Parce que nous sommes dans le divertissement, quel que soit le sérieux avec lequel les entretiens sont conduits. A ONPC, le public rit et applaudit comme au cirque, les invités, très variés, font le show, les animateurs (qui ne sont pas des journalistes) cherchent à faire le buzz, et c'est très bien ainsi. Mais ce n'est pas la place d'un Premier ministre. Il y a suffisamment d'émissions de qualité, rigoureusement politiques, dans lesquelles Manuel Valls pouvait choisir de s'exprimer.

Le fond de la question, c'est l'idée qu'on se fait d'un responsable politique. Depuis toujours, je pense qu'il doit être différent de ceux qu'il représente et administre, qu'il doit s'élever et non pas s'abaisser, qu'il doit guider et non pas suivre. Ce matin, dans la matinale de France Inter, Vincent Lindon a parfaitement exprimé, à sa façon, ma pensée. Le comédien veut des hommes politiques rasés de près, en costume sombre avec cravate, sans col déboutonné. Il n'apprécie pas de les voir distribuer leur numéro de téléphone portable à tout le monde, ni de tutoyer ou faire la bise à tout va.

Les parents n'ont pas à être copains avec leurs enfants, les enseignants n'ont pas à être copains avec les élèves, les politiques n'ont pas à être copains avec les citoyens. Nous ne sommes pas des américains ! Lindon souhaite que l'homme politique cultive l'absence, se rende inaccessible, exige qu'on passe par son directeur de cabinet pour être approché. Très bien : l'homme qui est au service de tous ne doit pas se mettre à la portée de n'importe qui. J'ajouterais que l'homme politique ne doit absolument pas être précis ni concret, mais généraliste et théoricien. Ce que je ne veux pas, c'est que Laurent Ruquier, dont je pense le plus grand bien, devienne samedi soir Premier ministre d'une émission dont Manuel Valls serait le divertissement.

jeudi 14 janvier 2016

Le nouveau maire s'appelle ...



Le Conseil municipal, réuni ce soir à Saint-Quentin, a élu son nouveau maire, après la démission de Xavier Bertrand. Il s'appelle ... Christian Huguet, cravate rouge au perchoir, très à l'aise, doyen de l'assemblée, présidant ès qualités, le temps de désigner Frédérique Macarez, écharpe rouge étoilée avant de devenir bleu-blanc-rouge trente minutes plus tard. Le docteur Huguet aurait bien aimé rester plus longtemps sur son siège d'une demi-heure, quelques années par exemple.

D'autres candidats ont tenté leur chance, Sylvie Saillard pour le FN et Olivier Tournay pour le PCF. En politique, on ne sait jamais. En revanche, le PS, fidèle à sa tradition de discrétion, n'a présenté personne. Foutu pour foutu, mes camarades auraient pu au moins voter pour le seul candidat de gauche. Même pas. Monique Ryo, au nom de l'UDI, a joué sur le registre de la femme qui soutient une femme, allant jusqu'à lui accorder un droit à l'erreur, comme pour les hommes. Espérons que la nouvelle élue n'en abuse pas ...

Freddy Grzeziczak, dans un style très présidentiel, s'est adressé carrément aux Saint-Quentinois qui l'ont sollicité, en se proclamant "libre, constructif et rassembleur". Le "militant élu", tel qu'il se définit, a rappelé son attachement au "gaullisme social" (tiens, comme Xavier Bertrand) et a cité Voltaire pour terminer. La prochaine fois (2020) sera la bonne fois ?

Après avoir remis l'écharpe tricolore au nouveau maire, Christian Huguet a rendu un bel éloge à la "quadra", en la vieillissant un peu (elle a 38 ans). N'est-il pas vrai, comme il l'a dit, qu'il pourrait être "son père ou son grand-père" ? Lors de la précédente séance, c'est Dominique Bouvier qui avait salué l'adjoint Thomas Dudebout, en faisant remarquer que celui-ci pourrait être son "fils". La politique est ainsi faite de petits signes d'affection.

Dans son discours de première magistrat de la Ville, Frédérique Macarez s'est donnée un modèle saint-quentinois, Henriette Cabot, sans oublier d'exprimer sa gratitude envers Pierre André et Xavier Bertrand. La frontiste et le communiste l'ont félicitée, tradition oblige. Pas les socialistes. Au moment de désigner les adjoints, une seule liste, FN, s'est opposée à celle de la majorité. Olivier Tournay ne pouvait pas, de son côté, faire une liste à lui tout seul. Chez les socialistes, toujours rien.

Le FN s'est signalé lors de l'adoption des frais de représentation et d'indemnité au maire, en protestant et en s'opposant. Les questions de fric, ça les connaît. Mais le plus drôle aura été la question finale de leur jeune élu, Florian Demarcq, qui voulait savoir si son groupe était invité au dépôt de gerbes qui a suivi la séance, au monument aux morts. Réponse : oui, bien sûr, mais non, le FN ne s'y rendra pas, ça ne l'intéresse pas, parce que Xavier Bertrand et son équipe sont "responsables du déclin de la France et du terrorisme". Facho et con à la fois.

Prochain épisode : les vœux de la Municipalité à la population, lundi soir, au palais de Fervaques.

mercredi 13 janvier 2016

Les jours meilleurs



Dans quelle société vivons-nous ? Les Juifs de Marseille se sentent obligés de ne pas mettre leur kippa, pour pouvoir vivre, se déplacer, se promener en toute sécurité, comme tout le monde. C'est terrible. On croyait que ce passé-là, où les Juifs étaient forcés de cacher leurs convictions religieuses, était définitivement révolu. Le revoilà, dans un pays où l'extrême droite xénophobe réalise des scores électoraux énormes, où le débat sur la déchéance de nationalité exacerbe les passions mauvaises. Comme nous sommes loin de la France des droits de l'homme, de 1789 et de la République !

Je n'incrimine pas le responsable de la communauté juive de Marseille. Il a ses raisons, il veut protéger les siens, et c'est légitime. Mais je m'insurge contre le fait de devoir en arriver là, de remettre en cause une liberté élémentaire, qui n'est pas seulement religieuse : le droit de se vêtir comme on veut, avec ce que l'on veut. Un grand climat d'intolérance se répand à travers le pays, et depuis quelques années déjà. Les attentats de l'an dernier ont rajouté à la psychose. Un pauvre type avec un couteau de boucher et de faux explosifs menace un commissariat, il devient un dangereux terroriste, c'est la panique. Une église est touchée par un incendie causé par un SDF, et l'on y voit la main de Daech. Où va-t-on aller comme ça, dans cette ambiance de peur ?

De toute part, c'est la grande confusion : on mélange religion et terrorisme, laïcité et xénophobie. La loi interdisant les signes religieux ostentatoires à l'école, que je n'ai jamais cessé de critiquer, a lancé un très mauvais signal, que s'est empressée de reprendre à sa façon l'extrême droite : l'idée que toute expression d'appartenance religieuse était suspecte, condamnable et contraire à la laïcité, alors que c'est le contraire ! La République, c'est la liberté de vivre en paix et de faire état de ses convictions, quelles qu'elles soient, comme on l'entend. Interdiction du voile hier, retrait de la kippa aujourd'hui : et demain, ce sera quoi ?

Le responsable marseillais de la communauté juive a demandé d'attendre "les jours meilleurs" pour reprendre une attitude normale et remettre sa kippa dans les lieux publics. Mais quels "jours meilleurs" peut-on espérer ? Les jours meilleurs, c'est dès maintenant, ou alors jamais.

mardi 12 janvier 2016

Comment s'opposer à Macarez



Jeudi prochain, en Conseil municipal, ce sera pour Frédérique Macarez la cérémonie d'intronisation, et dans la foulée, lundi, le discours du trône, lors des vœux à la population, dans le palais de Fervaques. Avant même d'être installée, elle est déjà critiquée : c'est le privilège des grands, l'hommage qu'on rend à leur puissance en les attaquant. Si elle n'était rien, personne n'en parlerait. Vendredi dernier, le Courrier picard a donné la parole aux opposants : les réponses sont surprenantes, inattendues. Elles soulèvent une question de fond : comment s'opposer au nouveau maire de Saint-Quentin ?

Pour le Front national, Sylvie Saillard est plutôt nuancée, ce qui est inhabituel chez les extrêmes. Elle dénonce surtout "un leurre" : on change de maire deux ans après avoir élu Xavier Bertrand. Mais je ne vois pas où est le "leurre" : la loi oblige le nouveau président de Région à quitter son poste à la mairie, un nouveau vote est organisé parmi les élus. Où est le "leurre" là-dedans ? Saillard et ses amis ont un problème manifeste : ils ne savent pas s'opposer, ils ne le feront pas plus ni mieux contre Macarez que contre Bertrand.

Pour le Parti communiste français, Olivier Tournay, qui, lui, a acquis une vraie compétence en matière d'opposition, apporte la réponse qui est la plus proche de celle que je pourrais faire : "Je ne vois pas au travers du prisme de la personne mais des politiques qui sont menées". Je crois que personne ne peut honnêtement le contester : Frédérique Macarez est une femme ouverte, de bonne volonté et de grande compétence. Mais elle sera jugée sur ce qu'elle fera, et nous n'avons pas, en politique, à porter des appréciations sur les personnes.

Pour le Parti socialiste, Carole Berlemont se montre la plus virulente à propos du nouveau maire. Pourtant, en séance de Conseil municipal, depuis 8 ans, elle ne nous a pas habitués à ce genre d'attaque. Ce qui me gêne, et qui fait que je ne m'y reconnais pas, c'est qu'à la différence d'Olivier Tournay, les critiques visent la personne, et d'une façon erronée ou injuste :

Frédérique Macarez est traitée d'"apparatchik". C'est désobligeant, mais surtout inapproprié : un apparatchik est un homme ou une femme d'appareil, qui exerce une fonction dans un parti politique. A ma connaissance, Macarez n'a jamais été cela. En tout cas, c'est l'image opposée qu'elle donne : une personne plus technicienne que politique, plus gestionnaire qu'idéologue. Le reproche qu'on pourrait lui faire serait inverse : être une administrative, pas une militante (mais je ne suis pas sûr que cette critique jouerait en sa défaveur).

Frédérique Macarez a "un profil politique coupé de la population". Franchement non : je pense au contraire que c'est une femme très au fait de ce qui se passe en ville, très en contact avec les Saint-Quentinois. J'ai le sentiment que Carole Berlemont, en menant cette deuxième attaque, s'inspire de Freddy Grzeziczak et de sa formule sur Frédérique Macarez : "Elle ne sait pas serrer des mains". On a vu où ce jugement a conduit le candidat malheureux au poste de maire. Comme quoi il ne suffit pas d'avoir une bonne pogne pour avancer en politique ...

Frédérique Macarez "n'est jamais passée par une véritable élection". C'est la troisième et dernière salve. Je ne sais pas très bien ce qu'est une "véritable" élection. Je ne crois pas qu'il y en ait de moins "vraies" que d'autres. Je suppose qu'il est ici reproché à Frédérique Macarez de ne s'être pas fait élire sur son nom, mais à travers une liste. Mais qu'est-ce que ça peut faire ? Beaucoup sont dans cette situation-là, y compris chez les socialistes. Ce n'est donc pas un argument. C'est même un argument qui se retourne contre lui-même : Macarez apparaît comme nouvelle en politique, elle n'a pas collectionné les candidatures et les mandats, ce qui ne peut être que positif aux yeux d'une opinion en quête de renouvellement.

A nouveau maire, nouvelle forme d'opposition, certainement. Mais pas de cette façon-là. On a vu, pendant la campagne des élections municipales, ce qu'ont donné les attaques contre la personne de Xavier Bertrand, sa domiciliation parisienne et la scolarisation de ses enfants. Les Saint-Quentinois, et les électeurs en général, n'aiment pas ces mauvaises manières qui consistent à s'en prendre aux personnes au lieu qu'à leur politique. S'opposer à Frédérique Macarez, oui, mais projet contre projet, pas à travers ce qui donne l'impression d'un règlement de compte. L'idée que je me fais de la politique ne consiste pas à utiliser n'importe quel argument, y compris de faux arguments, ni à chercher à tout prix à disqualifier l'adversaire.

lundi 11 janvier 2016

Pas de primaires à gauche !



La politique, c'est l'éternelle répétition des mêmes arguments et des mêmes explications, c'est un travail d'inlassable pédagogie. Ainsi, il nous faut répondre à la pétition publiée ce matin dans Libération, signée par de nombreux et estimables intellectuels et personnalités : non, il n'y aura pas de primaires à gauche cette année, dans la perspective de désigner notre candidat aux prochaines élections présidentielles. Jean-Christophe Cambadélis a été clair sur ce sujet, quoique en termes feutrés et polis. Mais pourquoi non en 2017 et oui en 2012 ? Explications et rappels :

Les primaires sont un mode de désignation d'un candidat à la présidentielle par l'ensemble des électeurs, sympathisants de gauche. Ce sont les socialistes qui en sont, en France, les premiers inventeurs. Je remarque que parmi les signataires de la pétition évoquée, il n'y a pas de socialistes. Quand les primaires ont été organisées, il y a cinq ans, seuls le PS et le PRG ont participé : tous les autres partis de gauche ont refusé. Encore aujourd'hui, les états-majors du PCF, d'EELV et du Parti de gauche ne sont pas très chauds pour ce recours. Les pétitionnaires se retrouvent bien seul dans leur demande.

La procédure des primaires n'est pas institutionnelle, à la différence de ce qui se passe aux Etats-Unis d'Amérique. Elle est applicable dans toute situation où le PS n'est pas au pouvoir, où ses candidats sont nombreux, où aucun d'entre eux ne se dégage vraiment. C'était le cas en 2012, ce n'est plus le cas pour 2017. De plus, on imagine mal un chef d'Etat en exercice concourir à égalité avec d'autres candidats ... pour le poste qu'il occupe. Ce serait incohérent, inefficace et périlleux. La droite se délecterait de ce spectacle, où elle n'aurait aucune peine à puiser des arguments contre François Hollande. Ce serait très vite la cacophonie.

A gauche, pour le moment, il n'y a qu'un seul candidat possible à l'élection présidentielle : c'est celui qui est l'actuel détenteur du poste. Présenter quelqu'un d'autre, ce serait admettre que la politique gouvernementale a failli. Les primaires sont une excellente méthode, que je souhaite voir se généraliser à d'autres scrutins, mais sous les conditions énoncées plus haut. Les signataires de la pétition sont peut-être motivées par leur opposition à François Hollande, qu'ils ne souhaitent pas voir se représenter. Je n'en fais pas partie, je pense que l'actuel président sera le candidat naturel des socialistes.

dimanche 10 janvier 2016

Unité, combativité, renouvellement



L'élection législative partielle qui aura lieu à Saint-Quentin oblige la gauche à réfléchir sur elle-même et sur son avenir. C'est très bien. Au-delà du résultat, c'est bien du destin de la gauche locale dont il sera question. Au cœur de ce débat se posera la question de l'unité. Un ticket PS-Vert n'est pas une possibilité, c'est une nécessité, et pour les uns, et pour les autres. Au niveau national, une prise de conscience commence à se faire. Hier, Emmanuelle Cosse, responsable d'EELV, a reconnu que le rapprochement avec la gauche radicale, notamment dans le cadre du scrutin des régionales, avait été une erreur. Il faut que les écologistes eux aussi repensent le problème de leurs alliances, et qu'ils se recentrent sur les thèmes spécifiquement écologistes. A l'heure de la COP 21, c'est là aussi une nécessité.

Se pose aussi la question de la lutte contre l'extrême droite. Sandrine Rousseau, tête de liste EELV dans notre grande région, a tenu ce week-end, sur France-Inter, des propos qui vont dans le bon sens : "un Front national à 41%, c'est un phénomène de société, donc il faut mener une bataille culturelle, et aujourd'hui, cette bataille culturelle est en train d'être désertée par la gauche". Oui, c'est à ce niveau de profondeur et de gravité qu'il faut situer le combat contre le FN. Marine Le Pen reviendra probablement à Saint-Quentin pour soutenir ses candidats à la législative. Cette fois, il faudra organiser une manifestation digne de ce nom, et mettre les partis de gauche devant leurs responsabilités (la fois précédente, ils avaient refusé de s'impliquer, à l'exception des Verts).

Les candidats de gauche devront être désignés rapidement. La droite aura les siens dès samedi prochain (ils ont probablement déjà été choisis par Xavier Bertrand). Les cérémonies des vœux dans la circonscription seront l'occasion d'une indispensable présence, notamment celle de Saint-Quentin, parmi les nombreuses autres manifestations prévues en janvier. Quant aux noms à retenir, je crois, comme Jean-Jacques Thomas, premier secrétaire fédéral du PS, qu'il faut faire place à la nouvelle génération ( dans L'Aisne nouvelle de ce samedi), préparer 2017 et la suite. Car c'est ce que la droite a l'intelligence de faire, en promouvant Julien Dive et Thomas Dudebout. Il reste peu de temps, la campagne sera difficile mais le pire serait de ne présenter aucun candidat, comme au dernier scrutin départemental dans le canton de Saint-Quentin nord.

samedi 9 janvier 2016

Taubira, libre et disciplinée



En politique, chacun veut voir ses idées l'emporter, chacun espère jouer un rôle ou accéder à une responsabilité. C'est normal. Mais si chacun s'y met, c'est la cacophonie, puisqu'il faut bien, à un moment, retenir une seule idée, désigner un unique responsable ou candidat. Comment s'y prendre ? Comment doit-on se comporter ? Je crois que c'est tout l'art de la politique, qui consiste à concilier deux inconciliables : la discipline et la liberté. L'actualité illustre cette réflexion :

Christiane Taubira est ministre de la Justice et hostile à la déchéance de nationalité. La droite lui demande de renoncer à son opinion ou de démissionner, faisant référence à la formule devenue canonique de Jean-Pierre Chevènement : "Un ministre, ça ferme sa gueule ou ça démissionne". Sauf qu'on oublie de préciser en quelles circonstances elle a été prononcée, par deux fois : d'abord pour le changement de politique économique en 1983, ensuite pour l'entrée de la France dans la guerre du Golfe en 1991. La démission ou le silence se justifiaient alors par l'ampleur de l'événement. Or, la déchéance de nationalité reste un point mineur, secondaire et symbolique au milieu de toute une réforme constitutionnelle. Il ne faut pas juger d'une mesure politique à l'aune du battage médiatique qu'elle déclenche.

Surtout, Christiane Taubira a eu l'intelligence politique de rappeler que le dernier mot, l'arbitrage suprême revenaient au chef de l'Etat et qu'elle s'y rangeait. Voilà aussi toute la différence avec Chevènement, qui, lui, en son temps, n'acceptait pas. Que la ministre soit en charge de défendre un point de vue qu'elle ne partage pas n'a rien non plus d'étonnant ni de problématique : c'est le devoir ordinaire de tout serviteur de l'Etat, qui privilégie la décision générale, s'exprimant par la voix du président de la République, à son point de vue particulier. Toute personne entrant dans un gouvernement sait qu'elle ne s'appartient plus, que quelque chose de supérieur prévaut. Beaucoup d'entre nous le vivons, à notre petit niveau : en tant que fonctionnaire, j'obéis, même à ce avec quoi je suis en désaccord (ce qui arrive rarement).

Que Christiane Taubira continue à exprimer son avis divergent dans les médias n'est pas non plus choquant ou gênant. L'obéissance, en politique, ne consiste pas à renoncer à ce qu'on est ou à ce qu'on pense, mais à faire preuve de discipline. Personne n'entrerait dans un parti ou soutiendrait un gouvernement s'il devait être d'accord avec tout ! Simplement, quand une question est tranchée, il faut s'y tenir : c'est ce que fait Taubira.

Mais je reconnais que les mœurs politiques, et même toute la société ont changé depuis le temps où Chevènement assénait son fameux principe. Dans une époque soucieuse de transparence, férue de communication, il n'y a plus à se taire quand on n'est pas d'accord, pourvu qu'on demeure discipliné (et ce n'est pas antagonique). Dans l'ancienne culture politique, les problèmes se réglaient en interne et le linge sale en famille ; les divergences étaient étouffées, et leur expression publique était perçue comme une trahison. Je ne sais pas si c'était mieux. Il y avait quelque chose de vaguement stalinien dans cette conception.

Aujourd'hui, ce n'est plus possible, et c'est heureux. Jean-Christophe Cambadélis l'a fort bien dit : c'est une chance que des voix plurielles puissent s'exprimer à gauche, jusqu'au plus haut sommet, pourvu que la discipline soit préservée, que le soutien à la décision arrêtée soit sans faille et que tout le monde marche en ordre de bataille. L'obéissance ou la discipline, c'est alors le sens des responsabilités.

vendredi 8 janvier 2016

Les conditions d'une candidature



Après le choix du maire (voir billet précédent) va se poser le choix du candidat pour l'élection législative dans la circonscription de Saint-Quentin. A droite, trois noms circulent : Julien Dive, Thomas Dudebout et Pascal Cordier. A gauche, aucun nom ne s'impose spontanément. Les défaites successives, la difficulté de cette prochaine législative, la division de la gauche n'encouragent pas à candidater. Pourtant, cette élection partielle est une opportunité pour une gauche mal en point de se relever.

Avant de proposer un nom, il faut passer par une réflexion. Une candidature est un choix collectif, pas une décision individuelle. Il serait dommageable de s'en tenir à un candidat faute de mieux, à un inconnu de dernière minute ou au retour systématique des mêmes. Avant quel candidat, il faut définir quelle candidature nous voulons, et les points de vue ne sont pas forcément identiques. Selon moi, cinq conditions sont requises, en vue non pas de témoigner, mais de l'emporter :

Une candidature de soutien au gouvernement : le positionnement du PS doit être clair et sans réserve dans sa défense des réformes en cours. A un an de l'élection présidentielle, il n'y a pas à tergiverser. La législative a pour objectif de renforcer la majorité présidentielle, pas de l'affaiblir. Notre candidat doit être un socialiste légitimiste, pas un socialiste frondeur.

Une candidature de lutte contre l'extrême droite : à Saint-Quentin, les socialistes souffrent l'humiliation d'être devancés, depuis plusieurs scrutins, par l'extrême droite. Il faut relever le défi, reconquérir l'électorat populaire passé au FN, faire de ce parti notre principal adversaire, mobiliser les énergies pour, au moins, repasser devant lui et laver l'affront.

Une candidature de rassemblement : une candidature socialo-socialiste n'a aucune chance de gagner, ni même de prendre sa revanche sur le Front national. Il faut donc convenir d'une suppléance, à côté du titulaire, qui ne soit pas socialiste, écologiste par exemple. Il faut aller jusqu'à tenter une candidature unique de toutes les forces de gauche. Quand on voit l'affaiblissement de celle-ci dans notre ville, ce ne serait pas un luxe !

Une candidature d'ouverture : aucune hypothèse ne doit être exclue. Le vivier local de recrutement n'est pas très riche. Il ne faut pas s'interdire de penser à une candidature en dehors des rangs socialistes, qui aurait le mérite de dépasser les divisions actuelles, d'être un pôle de rassemblement. Quelqu'un de connu est une condition indispensable. Les personnalités de gauche sont nombreuses à Saint-Quentin, mais rarement sollicitées. C'est vers elles qu'il faudrait aussi se tourner.

Une candidature d'avenir : ne nous racontons pas d'histoire, la victoire sera très difficile. C'est pourquoi le candidat qui sera désigné devra s'engager à poursuivre le travail d'opposition et de rassemblement dès le lendemain du scrutin, en préparant principalement les prochaines élections municipales, qui auront lieu dans quatre ans, c'est-à-dire, dans le temps politique, après-demain. La gauche saint-quentinoise pâtit, depuis longtemps, de discontinuité dans le choix de ses candidats et de leur action. Une élection, c'est l'occasion de se donner un leader, quand on n'en a pas.

L'élection législative se déroulera au plus tard en mars. Il n'y aura que quelques semaines de campagne. Une fois avoir arrêté, comme j'ai tenté de le faire, les conditions d'une candidature, il faudra très vite proposer un nom, pour que démarre la campagne, pour que commence quelque chose, pour que le peuple de gauche, dans un contexte très difficile, entende tout de même une note d'espoir.

jeudi 7 janvier 2016

Le méchant, la gentille et la vieille dame



Frédérique Macarez sera donc le prochain maire de Saint-Quentin, désigné dans une semaine. Aucune surprise : c'est le choix de Xavier Bertrand, c'est l'évidence qui s'est imposée. En politique, les bons candidats sont les candidats naturels. Un élu l'a résumé en une formule : "elle a le niveau". Et si c'était ça, le secret de la politique, au-delà des petites ambitions : avoir le niveau, sans quoi on est recalé. La droite saint-quentinoise, à son habitude, va passer ce cap dans l'unité : après quelques velléités des uns ou des autres, tout le monde se rassemble, comme un seul homme, Xavier Bertrand bien sûr. Evidence et unité : les deux cartes maîtresses de la réussite en politique.

Frédérique Macarez maire, ça nous change ... mais ça ne change rien. La politique sera la même et le patron sera toujours Xavier Bertrand, comme en religion chrétienne le Père est au dessus du Fils, engendré par Lui. Le Conseil municipal ne sera que le prolongement du Conseil d'agglomération, que continue à présider Xavier Bertrand. En revanche, pour l'opposition, cette tête nouvelle change beaucoup de choses. Dans un premier temps, on pourrait penser que c'est une chance pour la gauche : Bertrand, c'était la figure du méchant de droite, coriace, percutant, parfois cynique, une cible bien utile quand on est de gauche. Et puis, il était droite de droite, ancien ministre de Sarkozy, ancien chef de l'UMP. Un régal, quand on est son adversaire. C'est pourquoi son maintien à la tête de la Municipalité aurait été un atout pour une gauche offensive et batailleuse.

Mais Frédérique Macarez ? C'est une gentille, douce, aimable, qu'on n'ose pas attaquer. Son sourire est plus désarmant qu'une répartie cinglante dont Xavier Bertrand a le secret. Et puis, elle n'est pas identifiée à la droite. On ne pourra lui reprocher aucun bilan gouvernemental, à quoi elle n'a pas participé. Enfin, c'est une femme de dossiers, une gestionnaire, très au fait des questions municipales : il sera beaucoup plus difficile, en séance, de l'entraîner dans des polémiques dans lesquelles, à la différence de Xavier Bertrand, elle n'entrera pas. Sa jeunesse, son style apportent quelque chose de neuf, qui ne peut que plaire à une opinion lassée des gravures anciennes.

Dans l'intérêt de la gauche, il aurait mieux valu que le prochain maire s'appelle Freddy Grzeziczak, dont le passé aurait excité ses opposants à l'adversité, ou bien Marie-Laurence Maître, militante de droite enthousiaste, clairement identifiée. Mais je ne pense pas que Xavier Bertrand ait arrêté son choix en fonction des intérêts de la gauche locale. En tout cas, face à Frédérique Macarez, les socialistes sont dans une situation plus compliquée, avec un adversaire paradoxalement plus redoutable que Xavier Bertrand. Vous connaissez la formule : il faut se méfier de l'eau qui dort. Surtout quand elle sourit.

Mais rien n'est insurmontable en politique : il suffit de prendre la mesure de la situation, corriger le tir ou changer son fusil d'épaule. La politique, c'est l'école de l'adaptation. Si la gauche ne le fait pas, si elle ne saisit pas l'opportunité de se réformer, dans trente ans, elle sera toujours dans l'opposition. A la tête de la mairie, une jolie jeune femme sera alors devenue une charmante vieille dame, et la plupart des socialistes actuels seront morts, moi le premier. Et j'ai envie de vivre.

mercredi 6 janvier 2016

Wolinski aime Wolinsky



L'actualité d'hier a été préoccupée par une information majeure, prise et reprise tout au long de la journée dans les médias, commentée et analysée, soumise à diverses réactions. Le petit événement concerne une grosse faute, pas politique, pas diplomatique, pas même morale, mais peut-être bien les trois à la fois : une faute d'orthographe. Sur l'une des plaques commémoratives mentionnant les noms des victimes de Charlie hebdo, le dessinateur Wolinski a été écrit avec un y à la fin. C'est l'objet de la polémique, de l'indignation, du scandale.

Dans un monde où tout doit être techniquement parfait, une pareille bévue ne passe pas, est jugée insupportable. Pourtant, les gens écrivent de plus en plus mal et font énormément de fautes de français. Mais ce qu'on s'autorise pour soi-même, on ne le permet pas forcément aux autres, surtout lorsqu'il s'agit de professionnels. Autrefois, il n'y a pas si longtemps, personne n'aurait parlé de cette contrariété, les médias l'auraient passée sous silence, n'en n'auraient pas fait matière à information. Mais aujourd'hui, la transparence et la précision sont devenues des vertus cardinales, même quand elles ne servent à rien. Une faute, ça se corrige, et puis on tourne la page. Pourquoi donc tout ce bruit pour pas grand chose durant toute une journée, alors qu'il y a beaucoup plus important à dire ?

La veuve de Wolinski dénonce un quasi-sacrilège à la mémoire de son mari, qui n'aimait pas, dit-elle, qu'on se trompe sur son nom et qu'on l'affuble d'un y. En tant qu'enseignant, j'ai remarqué que les élèves sont très susceptibles quand on commet une erreur sur la prononciation de leur nom de famille, comme si c'était une atteinte ou une entorse à leur identité. A l'époque de l'individualisme-roi, il ne faut pas jouer avec ça : un patronyme, c'est sacré, il ne faut pas y toucher, comme dans le judaïsme les mots de la Bible sont sacrés. Une faute sur une seule lettre, et c'est le drame.

Mais qu'en dirait le principal intéressé ? Je crois d'abord que Georges Wolinski éclaterait de rire devant une dispute aussi minuscule qu'un i ou un y, une gaffe qui ressemble à un gag. Ensuite, il me semble qu'il en tirerait quelque fierté. Car la faute ressemble à un lapsus qui finalement l'honore, le singularise. Un vieil anar comme lui se moque des plaques et des commémorations. Qu'à son sujet, sur son nom, une petite dissonance intervienne, qu'une légère perturbation dérange l'ordre établi du langage et la bienséance des noms propres, oui, Georges aimerait. Il est à espérer que l'erreur reste gravée dans le marbre, pour l'éternité, offrant une petite énigme à nos lointains descendants, une facétie post-mortem. Foi de Moussey !

mardi 5 janvier 2016

Le Dieu de Charlie



Le numéro spécial de Charlie hebdo, à paraître demain, fait déjà polémique : pour commémorer la tuerie qui a décimé une partie de son équipe, le journal met en couverture un dessin provocateur (voir vignette), qui accuse la religion, puisque le bonhomme barbu, mitraillette en bandoulière, ne peut être que Dieu, ici désigné comme responsable du massacre. Est-ce choquant ? Bien sûr que non.

D'abord, provoquer, c'est la marque de fabrique de Charlie, hebdo athée, anar et anticlérical. On aime ou on n'aime pas, c'est selon. Mais on ne peut pas reprocher à ce journal d'être ce qu'il est, pas plus qu'on ne peut reprocher au Figaro d'être le grand quotidien conservateur français. Si nous avons défilé il y a un an au cri de "je suis Charlie", c'est pour que Charlie, lui aussi, puisse continuer à être ce qu'il est, personne n'étant obligé de l'acheter, de le lire ou de partager ses idées.

Et puis, il y a une différence entre provoquer et choquer. Charlie, à travers le dessin de Riss, provoque notre réflexion, parce qu'il dit vrai : c'est bien le fanatisme religieux qui a commis le crime. Coulibaly priait pendant la prise d'otages de l'Hyper Cacher. Les frères Kouachi sont sortis des locaux du journal en s'exclamant : nous avons vengé le Prophète ! Bien sûr, toute la religion ne se résume pas à ces actes barbares, qui n'en sont même que l'expression marginale et dévoyée. Il n'empêche qu'au nom de Dieu, les hommes, à travers l'Histoire, ont tué. En ce sens, la couverture de Charlie est fort juste et nullement choquante.

Les croyants ne seront pas offensés pour une autre raison, beaucoup plus profonde, en quelque sorte spirituelle : la représentation de Dieu en vieillard à barbe blanche est une invention récente, à laquelle aucun chrétien sérieux et authentique n'adhère. C'est un motif artistique, qui remonte à la Renaissance, mais qui n'a rien de véritablement religieux, qui est surtout sans fondement théologique. Dieu n'est ni vieux, ni barbu : sa caricature n'est donc nullement choquante, puisqu'aux yeux d'un chrétien, elle est complètement fausse !

Il y a mieux (ou pire, comme on voudra) : le symbole qui accompagne le personnage prétendument divin (le triangle avec l'œil au milieu) n'est pas chrétien (vous ne trouverez rien de tel dans la Bible ou dans les traditions chrétiennes) mais ... maçonnique. A la limite, les seuls qui pourraient être choqués, ce sont les francs-maçons, pas les catholiques ! Le Dieu de Charlie est décidément un drôle de type : dieu païen Neptune, Père Noël ou Grand Architecte de l'Univers, mais certainement pas l'Eternel des Juifs, le Dieu trinitaire des chrétiens ou le Miséricordieux des musulmans. Il faut donc une sacrée dose d'inculture religieuse pour s'émouvoir d'un dessin qui n'a rien d'anti-judéo-chrétien ou d'anti-monothéiste.