mercredi 20 janvier 2016

Michel Tournier dans les limbes




Je ne sais pas très bien ce qu'est un grand écrivain. Mais je sais que la plupart des écrivains contemporains seront oubliés dans quelques siècles. Michel Tournier, disparu avant-hier, restera, c'est certain. Je ne l'ai pas d'abord connu par le livre, mais par la radio. Adolescent, durant des grandes vacances, j'écoutais sur France-Culture une lecture de "Vendredi et les limbes du Pacifique". La description de Robinson pétrissant et cuisant son pain m'avait impressionné. C'était bien écrit, bien dit : le pain donnait envie d'être mangé. J'ai acheté le livre, qui m'a beaucoup plu.

Plus tard, beaucoup plus tard, j'ai compris que l'histoire de Crusoé avait aussi, chez Tournier beaucoup plus que chez Defoe, une dimension philosophique. C'est que Michel Tournier avait une formation de philosophe. Ce livre est resté pour moi fétiche, mon préféré (couverture en vignette). Après, j'ai lu ses autres gros romans, enthousiasmants. Mais je retiendrais de lui un ouvrage moins connu, "Gaspard, Melchior et Balthazar", l'histoire revue et corrigée des Rois mages, qui en réalité auraient été quatre, comme les Mousquetaires de Dumas.

Qu'est-ce que j'aime dans l'œuvre de Michel Tournier ? Ce ne sont pas des romans psychologiques, contrairement à la production contemporaine. Le récit a l'originalité d'interroger des mythes, de les détourner et d'en tirer toute une réflexion. Le style est classique, comme chez Marguerite Yourcenar, ce que je préfère à l'écriture expérimentale, au nouveau roman. Michel Tournier restera, parce qu'il est authentique, singulier, inclassable.

Cette disparition est d'autant plus émouvante qu'elle s'accompagne d'une coïncidence personnelle. Je me rends demain, avec mes élèves, à l'université d'Amiens pour assister à une conférence de Céline Hervet, professeur de philosophie, sur "la liberté et le bonheur : la question de l'île déserte", qui évoquera notamment ... "Vendredi ou les limbes du Pacifique". Pour préparer cette rencontre, j'évoquais la semaine dernière le roman de Tournier et sa portée philosophique devant ma classe. Voilà bien un hommage involontaire à un écrivain qui tenait à se faire entendre des plus jeunes, pour lesquels il avait rédigé une version adaptée, "Vendredi ou la vie sauvage".

Aujourd'hui, Michel Tournier a peut-être rejoint les limbes de cette mythologie qu'il chérissait tant. Pour nous, sur cette terre, il restera un géant de la littérature au XXe siècle.

5 commentaires:

Anonyme a dit…

Tournier...
Est-ce que d'avoir lu quelque chose de cet homme a pu changer grand'chose à la vie de son lecteur ?
Alors, Tournier, un bon écrivain, sans doute mais guère mieux.
Le lire ? Cela peut faire passer le temps, comme dit la chanson...

Emmanuel Mousset a dit…

Drôle de commentaire ...

Anonyme a dit…

Un auteur décède et voilà que des médias qui n'évoquaient guère voire jamais cet auteur, et c'est à peu près votre propre cas, se mettent à lui trouver beaucoup d'importance...
Cela peut laisser les lecteurs dubitatifs.
S'ils ne le connaissaient pas, le liront-ils pour autant ?
Et s'ils le connaissaient, le reliront-ils ?
S'il ne s'agit que de rendre hommage, vu le nombre de gens intéressants qui meurent tous les jours, votre blogue ressemblerait plus à la rubrique nécrologie qu'à un laboratoire d'idées...

Emmanuel Mousset a dit…

Il est d'usage, entre gens civilisés, de rendre hommage à un défunt. Je ne vois rien à y redire. Je ne verse pas dans la nécrologie, j'évoque seulement les disparus qui m'intéressent.

Erwan Blesbois a dit…

Tournier j'ai adoré, et puis je me suis rendu compte que ce type ne vivait qu'en se regardant le nombril d'autiste miraculé. Non Tournier ne comprend rien aux gens, il les déteste, alors il s'est forgé un monde merveilleux peuplé de légendes et de fantasmes. Tournier est un merveilleux conteur, un excellent romancier de littérature de jeunesse, mais à ne pas lire aux plus de 18 ans, quand on commence à s'intéresser au sexe et aux mystères de la société des adultes. Tournier nous présente un monde un peu niais peuplé de farfadets, alors pour ceux qui veulent se déniaiser, c'est à déconseiller. Tournier est resté toute sa vie un enfant, un enfant heureux dans un monde sans altérité, il n'a aucun sens du tragique de la vie sociale.