jeudi 31 janvier 2013

Pas de problème



Comme j'aime le cinéma, je fais souvent des liens entre la politique et le cinéma. Hier soir, à la cérémonie des voeux socialistes du Saint-Quentinois, j'ai pensé à un titre de film, "Pas de problème", de Georges Lautner, avec Miou-Miou, Jean Lefebvre et Bernard Menez. Les sections de Gauchy, Neuville-Saint-Amand et Saint-Quentin s'étaient réunies. A trois, on est plus fort. Le Courrier picard note "une vingtaine de sympathisants". Au début, oui ; mais à la fin, nous étions une petite trentaine.

Originalité : alors que dans ce type de cérémonie, les tables du buffet sont généralement sur les côtés, adossées au mur, avec le public au centre, c'était là l'inverse, une grande table prenant toute la place au milieu, avec bouteilles, verres et galettes en attente d'être mangées, et les invités dos au mur. Pourquoi pas, ça change.

L'intervention la plus longue a été celle du secrétaire de section de Saint-Quentin, qui a évoqué en vrac plusieurs sujets. En substance, pas de problème, la section est "au travail" (le mot a été répété une dizaine de fois), présente sur le terrain, active, rassemblée et se préparant pour les prochaines élections municipales. Tout va bien. Revenant sur l'année passée, Jean-Pierre Lançon s'est réjoui que la législative locale a été "presque gagnée". Pour la municipale de 2 014, pas de problème, c'est bien parti, le "presque" devrait sauter.

S'il y en a un qui, à l'inverse, va avoir des problèmes, toujours selon le premier secrétaire, c'est Xavier Bertrand. Jean-Pierre a repris, pour le contester, le surnom que le maire lui a donné, "Monsieur 22 voix", pour le retourner contre son allié Freddy Grzeziczak, qualifié de "Monsieur 0 voix" (je n'ai pas compris pourquoi, il devait y avoir sûrement une plaisanterie). Plus sérieusement, Jean-Pierre Lançon nous a proposé une analyse prospective assez audacieuse : opposant la Manufacture (association récemment créée par Xavier Bertrand) et le site de soutien à Nicolas Sarkozy, il a prédit au maire de Saint-Quentin un avenir présidentiel repoussé à ... 2 022. Bref, pas de problème à gauche, et de gros problèmes à droite.

Mais l'invalidation du vote du secrétaire de section, la direction nationale du parti socialiste ayant exprimée son souhait d'un nouveau scrutin ? Pas de problème non plus, puisque Jean-Pierre Lançon n'en a rien dit. J'ai discuté avec les adhérents présents pour leur expliquer : certains ne savaient pas, d'autres avaient été informés par voie de presse. Mais est-ce vraiment un problème ?

Jacques Héry, secrétaire de la section de Neuville-Saint-Amand, s'est appliqué à parler de politique nationale, en souhaitant que les sections socialistes fassent oeuvre de pédagogie pour expliquer les réformes gouvernementales. Au niveau local, il s'est montré particulièrement intéressé par les dossiers économiques. Jean-Luc Letombe, au nom de la section de Gauchy, bien représentée dans la salle par ses élus et ses militants, a confirmé le vent d'optimisme soufflant sur la gauche locale.

Anne Ferreira ne devait pas s'exprimer, mais un petit papier entre ses mains a laissé croire à Jean-Pierre qu'elle avait préparé un discours. Il lui a donné la parole, mais non, le petit papier n'avait rien à voir, ce qui a fait rire tout le monde. Anne en a quand même profité pour dire un petit mot (mais aucune allusion à sa décision pour les élections municipales).

Même quand il n'y a pas de problème, il y a toujours au moins un problème : dans ma part de galette des rois, il n'y avait pas de fève. J'aurais bien voulu pourtant être le roi ! Et je n'aurais pas eu de problème à trouver une reine ...

mercredi 30 janvier 2013

L'affaire Boulin



De l'affaire Boulin, je n'avais plus grand chose en tête : un nom, Ramatuelle, et une mort singulière, dans quelques dizaines de centimètres d'eau. J'avais bien sûr entendu contester la version officielle, le suicide, par la thèse du crime. Mais que ne dit-on pas dans ce genre d'affaire ? C'est pourquoi j'ai apprécié le documentaire de lundi soir sur France 3, qui a replacé la mort de Robert Boulin dans son contexte politique, que j'avais complètement oublié : la guerre Giscard-Chirac, la succession de Barre, Boulin premier ministrable, mais Peyrefitte et Chaban-Delmas aussi, et ce rappel d'un Boulin résistant, ministre pendant longtemps de de Gaulle.

En revanche, la fiction d'hier soir, "Crime d'Etat", sur la même chaîne, ne m'a pas du tout convaincu. On sent trop la reconstruction des faits après coup, le travail un peu trop facile de l'imagination. Mais en tant que télé-film, c'est très réussi, très bien joué. Le débat m'a confirmé dans mon impression : les défenseurs de la thèse du crime sont beaucoup trop affirmatifs. A force de vouloir trop démontrer, on en devient suspect. La théorie du complot ne tient guère, parce qu'elle implique beaucoup de monde qui, à la longue, auraient parlé, se seraient confiés. Ce n'est pas le cas. La théorie, c'est bien joli, ça fait de beaux films, mais les preuves factuelles manquent singulièrement.

De ces deux instructives soirées télévisées, je tire plusieurs réflexions sur l'univers politique. D'abord qu'on est prêt à tout pour éliminer un adversaire, même si je ne crois pas que l'affaire Boulin soit allée jusqu'au meurtre. Surtout, que l'amitié est très mauvaise conseillère en politique. Car qu'est-ce qui a perdu Robert Boulin ? Une amitié entre anciens résistants, l'un devenu respectable ministre, l'autre affairiste crapuleux. Mais, au nom de l'indéfectible amitié, le premier va aider le second pendant vingt ans, jusqu'à ce que celui-ci finisse par l'escroquer. Boulin a été imprudent, borderline comme on dit aujourd'hui : que ne ferait-on pas pour un ami ?

J'en tire la conclusion, que je sais depuis longtemps, que l'amitié n'a pas sa place en politique : camarade, compagnon, allié tant que vous voudrez, mais ami, non. Ou bien une amitié de la pire espèce, hélas répandue en politique : la fausse amitié, la main qu'on vous passe dans le dos, le cirage de chaussures, le poil qu'on caresse dans le bon sens, l'amitié intéressée, manipulée, dénaturée. Des amis comme ça, merci bien, je m'en passe, je leur préfère très largement les adversaires, et même quelques ennemis bien choisis. C'est l'amitié qui a tué Robert Boulin, ce n'est pas l'adversité, contrairement à ce que pensent les tenants du complot criminel. En politique, méfiez-vous de vos amis !

mardi 29 janvier 2013

La faillite de l'humour



Dimanche, à la radio, Michel Sapin, ministre du travail, déclare à propos de François Fillon, ancien premier ministre : "Il a laissé un Etat totalement en faillite", façon de dire que la dette est énorme et plombe nos comptes (c'est comme ça que je le comprends en écoutant la séquence). Personne ne peut le contester. Sauf que le mot de "faillite", au sens juridique, désigne une situation de non retour où il ne reste plus qu'à mettre la clé sous la porte. Ce n'était évidemment pas la pensée ni le message du ministre.

Mais ce qui est dit est dit, l'internet comme toujours s'en mêle, le buzz s'installe, la polémique enfle en quelques heures à cause d'un mot de trop, extrait de son contexte, détourné de sa signification. Pierre Moscovici, ministre de l'économie et des finances, intervient pour faire le commentaire de texte de son collègue : "C'est une image, c'est pour dire que c'est compliqué". Donc, la "faillite" n'est pas réelle mais métaphorique.

Le plus amusant, c'est qu'un adversaire politique, Alain Juppé, vient à la rescousse de Michel Sapin pour confirmer qu'il n'y a pas "faillite" de la France. Le ministre, pour stopper le feu qu'un seul mot a déclenché, donne une autre version quelques heures après l'émission : c'est par "ironie" qu'il a parlé d'un Etat "totalement en faillite", pour se moquer de la formule de François Fillon en 2 007, qu'il a certes utilisée, mais pas pour la reprendre à son compte, au contraire pour la retourner contre son auteur ! Mon Dieu comme la communication est un exercice compliqué ...

Quelle réflexion tirer de cet incident qui sera vite oublié, mais qui aura fait parler pendant quelques heures ? D'abord que la politique et l'humour ne font pas bon ménage. J'aime beaucoup l'art de l'ironie, de Socrate à Voltaire ; mais dans des fonctions publiques, il vaut mieux s'en abstenir. On rit tous de quelque chose, mais pas des mêmes choses. L'humour est très connoté. De personne à personne, dans un cercle restreint, oui, mais pas quand on s'adresse à un public nombreux, où l'humour rate généralement sa cible, est mal compris.

Et puis, l'activité publique déconseille le second degré, l'allusion, le clin d'oeil : dans une intervention, il faut être direct, clair, précis, ne pas laisser place à l'interprétation. Sur ce blog, je distingue bien les billets d'humeur, qui s'autorisent à la plaisanterie, et les billets d'analyse, qui essaient de demeurer objectifs. En politique, j'ai souvent constaté que le recours fréquent à la blague était un signe de faiblesse. Mettre les rieurs de son côté est relativement facile, et quand on manque d'arguments, c'est la seule issue.

Enfin, l'omniprésence des médias a changé beaucoup de choses dans notre vie publique : un mot est retenu, répété en boucle, le "off" n'existe pratiquement plus, l'homme politique doit désormais surveiller son langage, faire attention à tout ce qu'il dit. Paradoxalement l'humour est pris très au sérieux, ce qui interdit d'en faire. Autrefois, l'ironie était reconnue comme telle et ne suscitait pas de commentaires, elle était immédiatement comprise.

Notre rapport au langage a énormément changé, je l'ai souvent constaté. Il y a presque une police des mots, qui nous intime de passer aux excuses quand la parole semble avoir dépassé, volontairement ou non, la pensée. A la télévision, toutes les dérisions sont permises, mais aucunes ne sont autorisées à l'homme politique. C'est ainsi, mais je ne m'y plie pas. Sur ce blog, je maîtrise mon écriture, mais je reste libre des mots que j'emploie. Ma seule préoccupation, c'est qu'ils soient le plus juste possible.

lundi 28 janvier 2013

Unitaire pour plusieurs



Quand j'étais adolescent et que je m'intéressais déjà à la politique, il y avait une formule de François Mitterrand que je ne comprenais pas : "Il faut être unitaire pour deux" (à l'époque, dans les années 70, le PCF tapait dur sur le PS, Mitterrand voulait dire qu'il était unitaire pour lui et pour eux, à la place des communistes, et je ne comprenais mal qu'on puisse être unitaire pour quelqu'un qui ne le veut pas !). Et puis, l'unité a fini par l'emporter, Mitterrand est devenu président, et les communistes qui tapaient si fort contre lui sont entrés ... dans son gouvernement ! Il y a aussi des miracles en politique ...

"Etre unitaire pour deux", la formule m'a marqué, j'y pense encore aujourd'hui, et je crois au miracle en politique. La semaine dernière, L'Aisne Nouvelle est revenue sur le nouveau vote pour le secrétaire de section à Saint-Quentin, en annonçant que la fédération socialiste n'en faisait pas une priorité, à cause de l'approche des élections municipales. La conclusion officielle, prise dans un prochain bureau, serait donc le report ou l'annulation. Voilà où nous en sommes.

Je comprends parfaitement le point de vue de mes camarades, leur argument est légitime. En même temps, il est toujours mieux de suivre l'avis de la direction nationale, qui souhaite un nouveau vote, et d'appliquer rigoureusement nos statuts. D'autant que l'actuel secrétaire de section traînera durant tout son mandat un soupçon d'illégitimité et d'irrégularité. Nous sommes donc dans le statu quo, qui n'est jamais une bonne chose : en politique, qui n'avance pas recule. Mais que faire ? La décision ne peut venir que de moi : je suis candidat à la tête de liste socialiste pour les élections municipales, j'ai le devoir de rassembler en débloquant la situation. Et puis, je ne veux pas la mort du pécheur. Je crois avoir trouvé la solution.

Ma proposition, qui peut tout régler, c'est que la fédération et la section s'engagent à organiser à Saint-Quentin, en cours d'année, des primaires citoyennes pour désigner la tête de liste. Je fais cette proposition parce que tous les socialistes sont d'accord sur le principe (il reste à discuter des modalités pratiques). Je suis un fervent partisan de cette procédure des primaires, que j'ai souvent défendue sur ce blog. Elle aurait le mérite de mobiliser l'électorat saint-quentinois de gauche et de sélectionner un leader dont la légitimité cette fois serait incontestable, puisque issue de l'électorat même.

Si cette proposition était acceptée, je n'aurais plus aucune raison de poursuivre mon recours en annulation, je renoncerais immédiatement à ma démarche pour me concentrer sur la seule désignation qui ait vraiment de l'importance, celle de la tête de liste en vue des élections municipales. Les voeux de la section socialiste auront lieu mercredi. Si l'organisation de primaires était annoncée à cette occasion, si je décidais de concert, publiquement, de cesser ma demande en invalidation, ce serait un grand moment, une belle démonstration d'unité, et un début encourageant de campagne municipale.

Je ne sais pas si ma proposition sera acceptée, mais je me devais de la faire, d'autant que je n'en vois pas d'autres pour le moment. "Etre unitaire pour deux", je dirais même en ce qui me concerne, dans la situation présente : "Etre unitaire pour plusieurs". C'est la leçon de François Mitterrand, que j'ai retenue et que j'applique. Réponse mercredi soir, avec ou sans miracle, car je n'ai aucun dieu de la politique que je puisse prier.

dimanche 27 janvier 2013

Deus, film expérimental



Maxence Tasserit est un jeune Saint-Quentinois de 22 ans qui vient de réaliser son premier film, Deus, un moyen métrage de 30 minutes, qu'il a présenté vendredi soir au CinéQuai 02, devant une salle de 130 personnes, beaucoup de jeunes, d'amis et de proches, en présence de Stéphane Lepoudère, adjoint à la culture, et Bernard Visse, directeur du service culturel. Maxence a été mon élève au lycée Henri-Martin, il y a quelques années.

En guise de présentation, le jeune réalisateur a tenu à souligner les difficultés qu'il avait rencontrées, deux ans de travail, les problèmes de financement, les divers incidents qui l'ont conduit à s'occuper de tout pour parvenir à ses fins. Mais il a reçu aussi, tout au long, beaucoup de soutiens, dont de nombreux parmi le public présent, venus l'encourager. Et puis, avant la projection, Maxence a insisté à plusieurs reprises, presque pour s'en excuser d'avance, qu'on ne comprenait forcément pas tout dans son film, mais que c'était normal puisque c'était du cinéma "expérimental".

Le film, justement : un personnage aux allures de Christ circule au gré d'un trajet mystérieux tracé sur une carte routière, fait plusieurs rencontres, est attendu par un petit groupe de jeunes dans un endroit un peu glauque, une bâtisse abandonnée. Je n'en dirais pas plus : un film expérimental s'expérimente, il est fait pour ça, pas pour être raconté. Il faut voir, se laisser prendre, inspirer : les impressions et les réflexions viennent toutes seules ... ou pas, si vous n'aimez pas.

Pourquoi va-t-on au cinéma ? Pour se divertir, pour qu'on vous raconte des histoires. Deus, ce n'est pas ça, il n'y a pas à proprement parler un récit, une intrigue, des personnages psychologiquement définis, mais quelque chose qui est au coeur du cinéma : des images, dont la composition, le rythme, le montage forment une esthétique, qui plaît ou non, qui branche ou pas. Robert Bresson fustigeait le cinéma classique, qui n'était selon lui que du théâtre filmé. En ce sens-là, Maxence Tasserit est un élève de Bresson, il garde et cultive du cinéma l'essentiel, le visuel. Il le fait à travers un style qui se cherche, fait souvent de gros plans et de fonds volontairement flous.

Si je veux poursuivre dans les références, les rapprochements (qui viennent de moi, que Maxence n'a peut-être pas à l'esprit), je citerais Luis Bunuel, surtout ses premiers films surréalistes, et Andreï Tarkovski, pour la dimension fantastique. Je pense à ces deux réalisateurs parce que, pour eux aussi, on pourrait dire qu'on ne comprend pas tout dans leurs films ! Et puis, il y a, chez les deux et chez Maxence Tasserit, une préoccupation spirituelle dans leur oeuvre : Deus, comment ne pas méditer sur ce titre, constater la figure christique du personnage principal, la scène d'église et autres allusions ...

Je ne sais pas du tout ce que Maxence a voulu faire, je ne connais pas les idées qu'il a en tête, et je ne cherche pas à le savoir : un film est fait pour le spectateur, pas pour son auteur ! C'est lui, le spectateur, qui, en quelque sorte, fait le film, pas son réalisateur : celui-ci propose des images, celui-là dispose de leur sens ! Je ne suis même pas dans l'interprétation, la compréhension ou le décryptage : l'art ne supporte pas l'explication de texte. Simplement, je regarde, je sens et j'en parle, je fais partager mes sentiments, là, en ce moment, sur ce blog. Deus n'est pas un film à message : expérimental, il faut prendre le qualificatif au sens propre, presque scientifique, une expérience filmique, par un jeune réalisateur à suivre, dont on attend les prochaines créations.

Vendredi soir, à l'issue de la projection, autour du buffet dans le hall du cinéma (voir vignette), Maxence était très entouré, félicité, encouragé, et c'est bien normal. Mais les congratulations publiques, ce n'est pas trop mon genre. J'ai dit, en quittant Maxence, que je lui livrerai mon avis et le fond de ma pensée dans un billet. Voilà, c'est fait.

samedi 26 janvier 2013

Coco 1er



Hier soir, le paysage saint-quentinois était encore tout blanc, mais rue de la Pomme rouge, c'était très rouge, pour les voeux de la section locale du PCF, tendance rebelle. L'Aisne Nouvelle et le Courrier picard étaient présents, et parmi le public quelques figures connues, les syndicalistes Georges Varenne, Serge Casier, Vincent Duchet ... En revanche, pas de représentants des partis de gauche, ni même d'extrême gauche.

Premier à prendre la parole, Jean-Luc Tournay a fait le tour des luttes en cours, des combats contre la misère sociale, en jugeant "insuffisantes" les mesures gouvernementales. Il a condamné l'intervention militaire française au Mali, "agression impérialiste". La stratégie du Front de gauche provoque également ses critiques, lui préférant un parti communiste à l'identité nettement "révolutionnaire". La création sur Saint-Quentin-Gauchy d'une nouvelle section communiste rangée derrière Mélenchon est qualifiée par Jean-Luc de "basse besogne".

Olivier Tournay, en tant que conseiller municipal, s'est réservé la partie locale, commençant par rappeler que son voeu de l'an dernier (la défaite de Nicolas Sarkozy) s'était exaucé, et que cette année, c'est la défaite de Xavier Bertrand qu'il souhaitait (sans apporter plus de précision sur la stratégie municipale de sa section). De fait, le député-maire de Saint-Quentin a été sa cible privilégiée, visant son échec en matière d'emplois sur la ville. C'est aussi certains privilèges en matière de soutien financier qu'Olivier Tournay a dénoncés, évoquant sans les nommer l'association Loisirs et traditions ainsi que Pascal Cordier, renvoyant ainsi à ses interventions en Conseil municipal.

Enfin, c'est Corinne Bécourt, conseillère nationale du PCF, qui s'est brièvement exprimée, en reine du jour, puisque Jean-Luc Tournay a annoncé qu'il ne serait plus secrétaire de section, remplacé par Corinne, que je me permettrais, en guise de félicitations affectueuses, d'appeler aujourd'hui Coco 1er. Corinne Bécourt, c'est un tempérament, une battante, une militante, vraie de vraie, comme on n'en fait plus guère, pas toujours facile à vivre quand on est socialiste en face d'elle, mais avec beaucoup de charme, ce qui aide à se comprendre.

Hier soir, son premier discours public de secrétaire de section a donné le ton : pour Coco, le gouvernement actuel poursuit la politique de droite, a-t-elle dit en me regardant droit dans les yeux, comme pour une déclaration d'amour, sauf que ça ressemblait à une déclaration de guerre. Elle a salué son prédécesseur, Jean-Luc, en des termes sobres, vrais et émouvants : c'est un secrétaire de section, un militant "qui n'a jamais rien demandé en échange". C'est ce qui me rend humainement proche des communistes, c'est ce qui fait que j'ai toujours plaisir à me retrouver avec eux : ils sont durs, oui, mais ils sont purs (j'exagère un peu, mais il y a quand même de ça : ils ne sont pas électoralistes, ils se battent aux côtés de ceux qui sont dans la merde ; on peut reprocher beaucoup de choses aux communistes, on ne peut pas leur enlever ça).

Si j'étais hier soir présent à leur cérémonie des voeux, c'est aussi parce que, postulant à la tête de liste socialiste aux prochaines municipales, je me dois de rencontrer, d'écouter, de rassembler, surtout ceux qui ne pensent pas comme moi (et avec les communistes saint-quentinois, je ne suis vraiment pas sur la même longueur d'onde !). Ma stratégie pour ces élections municipales est très simple et bien connue, puisque je la défends depuis plusieurs années : au premier tour, la gauche réformiste et ses alliés traditionnels formeront leur propre liste, en concurrence (mais pas en hostilité) avec la gauche radicale, qui se joindra probablement à l'extrême gauche. Voilà la cohérence politique, voilà l'efficacité électorale, au lieu de la liste fourre-tout, idéologiquement confuse, de 2 008. Au second tour, fidèle à la tradition républicaine, c'est la liste arrivée en tête qui aura le devoir de rassembler toute la gauche pour l'emporter.

J'aurai donc l'occasion de retrouver Corinne Bécourt dans de futurs combats politiques, ensemble. Il n'y a qu'aujourd'hui que je me permets cet irrévérencieux Coco 1er. Après, ce ne sera plus que madame la secrétaire de section ou, plus fraternellement, chère camarade.

vendredi 25 janvier 2013

Sécurité en ville



J'ai participé hier matin, à l'Hôtel de Ville, à la réunion du comité local d'éthique sur la vidéo-protection, pour faire un bilan du dispositif et vérifier la conformité avec les lois en vigueur. La vidéo-surveillance ! Sujet récurrent de polémique lors des séances du conseil municipal, qui sera forcément un sujet de débat dans la prochaine campagne des élections municipales. Même si la sécurité des biens et des personnes est une prérogative nationale, les villes ont une marge de manoeuvre, des décisions à prendre et à discuter. Il faudra donc que la liste de gauche, à travers son programme, se positionne sur ce sujet, et plus largement sur la sécurité des citoyens.

Mon avis là-dessus n'a pas changé depuis le premier jour de l'arrivée de la première caméra : je suis pour ! Alors que l'opposition municipale, par la voix d'Olivier Tournay (PCF), s'opposait. Au moins les choses sont claires. Je ne rappelle pas les arguments de mon choix, que j'ai souvent développés sur ce blog. Je ne méconnais pas non plus les arguments d'Olivier, qui ne sont pas sans valeur. Mais il y a un moment où il faut politiquement trancher : moi, c'est en faveur de la vidéo-surveillance, dont j'assume en même temps les limites et les désagréments, qu'Olivier a raison de souligner.

Le vrai débat que devra porter la gauche, s'il m'est fait l'honneur d'être à sa tête, c'est la bonne mesure dans l'extension du dispositif, la quantité au-delà de laquelle il serait déraisonnable (et coûteux) d'aller. Car le problème, c'est que la vidéo-surveillance est populaire (et donc électoralement très payante) ! Une difficulté quelque part ? Vite, une caméra ! demandent, sinon exigent nos concitoyens. Mais la peur n'est pas bonne conseillère, et il y a aussi de l'irrationalité dans l'engouement pour la vidéo-protection (sur ce point, je m'accorde avec Olivier Tournay).

La vraie question, que la gauche devra poser (à condition qu'elle renonce à son hostilité de principe à la vidéo-surveillance), c'est jusqu'où peut-on et faut-il aller en matière d'installation de caméras ? Cette année, nous atteindrons les 90. Je ne crois pas que le dispositif doive excéder la centaine, pour une ville comme Saint-Quentin, étant donné ses dimensions et son niveau de délinquance, qui n'est pas, comparativement à d'autres villes, énorme. En tout cas, en matière de vidéo-surveillance, c'est plus l'offre raisonnée que la demande anarchique qui doit être le fil conducteur de la méthode à adopter.

Enfin, il y a une approche sur laquelle il convient de réfléchir : ce sont les caméras nomades (l'équivalent des radars mobiles sur nos routes, par rapport au radar fixe). La fonction est exactement la même, mais pas le fonctionnement. Le coût à l'unité est supérieur à celui d'une caméra fixe, mais les frais d'installation sont économisés. Ce système est évidemment plus souple (plus dissuasif ? plus efficace ? c'est à voir). Ce sont des caméras qui se déplacent selon les besoins. Il n'y en a qu'une seule actuellement en service à Saint-Quentin. Pourquoi pas de nouvelles ? A condition de se donner une limite dans la présence des caméras fixes et ne pas céder à l'inflation sécuritaire. Quoi qu'il en soit, la gauche ne peut pas ignorer ce débat-là, ni refuser, certes pour d'honorables raisons, toute mesure de protection, de dissuasion et même de répression.

jeudi 24 janvier 2013

L'Etat, c'était lui



C'est qui, ce monsieur ? me demandait une amie lors de l'inauguration du village des métiers à Saint-Quentin, en septembre dernier. Ce monsieur, c'était Jacques Destouches, sous-préfet. Grandeur et servitude des représentants de l'Etat ! A la façon des hommes politiques et des élus, ils sont présents un peu partout, on voit leur photo dans le journal, mais la population ne les connaît pas forcément. Un élu a le devoir de dialoguer avec ses administrés, un homme politique est constamment en campagne : les uns et les autres discutent facilement, vous tapent sur l'épaule, rigolent volontiers, quand ça ne va pas jusqu'à offrir une tournée. Pas possible pour un sous-préfet : il est là et bien là, parmi l'assistance, au rang des personnalités, mais comme une statue du commandeur, à l'image de l'Etat, un peu distant, sans familiarité ni excès, maître de lui et de ses émotions, tout en dignité. Un sous-préfet n'a pas besoin de se faire aimer ou de se faire élire, mais seulement d'être respecté. Ainsi était Jacques Destouches, ainsi sera probablement son successeur.

L'Etat, c'est moi, proclamait Louis XIV en un temps qui n'était pas encore celui de la République. L'Etat à Saint-Quentin et environs, c'était lui, Jacques Destouches. L'Etat, un citoyen ne sait pas trop bien ce que c'est, des pouvoirs, des lois, des décisions prises dans de lointains bureaux. Bref, un "monstre froid". Avec Jacques Destouches, l'Etat prenait de la chair et de la chaleur, devenait humain. Un sous-préfet est à l'Etat ce que le Fils, dans la religion chrétienne, est au Père : une incarnation, la descente du ciel sur la terre. Jacques Destouches, par son naturel souriant, ses yeux pétillants, sa sympathie contrôlée, aidait à cette représentation d'une figure terriblement abstraite, quelque peu menaçante, l'Etat. A chaque fois que je le rencontrais, j'avais l'impression que la République en personne me serrait la main. Comme le Christ en Galilée, Jacques Destouches à Saint-Quentin était l'Unique, puisqu'il n'y a pas deux représentants de l'Etat en ville (alors que les représentants du peuple sont nombreux, encore plus nombreux ceux qui aspirent à le devenir). A la fin d'une cérémonie, la tradition laisse à l'Etat le dernier mot, ce qui veut tout dire.

A quoi reconnaît-on un sous préfet ? Au civil, c'est un homme normal, comme vous et moi. En activité, c'est un homme à la mise soignée, au costume bien coupé. De la tenue, mais dans la sobriété. Jacques Destouches ne dérogeait pas à cette règle non écrite. Mais ce n'est pas tant au tissu qu'on reconnaît le sous-préfet qu'à ce qu'il dit, c'est vraiment là qu'on le distingue des autres hommes. Un sous-préfet parle bien, c'est un plaisir à l'écouter : il ne lit pas, il improvise et maîtrise en même temps, son discours est organisé, les mots sont toujours justes, il y a du fond. Je m'ennuie à bien des prises de parole, vides, filandreuses, chaotiques, déférentes ; je prête attention, je suis intéressé quand c'est au tour de Jacques Destouches. On sent tout de suite que cet homme a fait les grandes écoles.

Mais le sous-préfet atteint son sommet, brille de tout son éclat, est transfiguré comme Jésus au mont Thabor lorsqu'il préside les cérémonies patriotiques, en casquette dorée et gants blancs. Quand il est question d'ordures ménagères ou de circulation automobile, aussi importants soient ces sujets, l'Etat n'est pas dans la grandeur à laquelle il aspire ; mais lorsqu'il est question d'Histoire, de guerre et de paix, de souffrance et d'héroïsme, l'Etat et son représentant retrouvent leur dimension, qui est immense, glorieuse et parfois tragique. Comme il a dû s'embêter, Jacques Destouches, dans certaines réunions aux préoccupations misérables, mesquines, bêtement humaines ; comme il a dû se sentir élevé, devenir vraiment sous-préfet à la rencontre des grands évènements de la France qu'il a, par son verbe, ressuscités.

Un sous-préfet, c'est aussi une sous-préfecture, qui en a vu passer, qui en verra encore passer, des manifs, des banderoles, des cris de colère, des délégations, des prises de parole au mégaphone. Ce que je retiens de la sous-préfecture de Saint-Quentin, ce sont ses grilles, hautes, protectrices, infranchissables : l'Etat, c'était Jacques Destouches, la sous-préfecture, ce sera toujours ces grilles, contre lesquelles la foule vient se heurter, qui ne sont pas en République un symbole de fermeture, car elles sont là aussi pour s'ouvrir, pour laisser entrer et s'exprimer les revendications. Il n'empêche qu'elles tracent un enclos sacré, celui de l'Etat.

Jacques Destouches est resté six ans parmi nous. Six ans seulement ? J'imaginais beaucoup plus, tellement il était devenu un personnage familier de notre vie publique locale, comme s'il avait toujours été là, comme s'il avait l'éternité pour lui. Mais seul l'Etat, qu'il sert, est immortel. Jacques Destouches ne part pas trop loin, à Douai. Il emportera avec lui son éloquence, sa courtoisie et sa casquette. Nous le reverrons peut-être. Son successeur s'appelle Jean-Jacques Boyer, il a commencé sa vie professionnelle dans le Berry, enseignant l'histoire-géographie à Vierzon. C'est bon signe, historien et berrichon. L'Etat, désormais à Saint-Quentin, ce sera lui

mercredi 23 janvier 2013

4,5 jours à St-Quentin



L'Education nationale a encore largement occupé l'actualité aujourd'hui. Vincent Peillon a présenté au conseil des ministres son projet de réforme. Un syndicat d'enseignants, le SNU-IPP, a organisé une journée de mobilisation et de protestation. Même si ce syndicat est le plus puissant dans les écoles, notons que d'autres syndicats, le SE-UNSA, le SGEN-CFDT, ne se sont pas joints à ce mouvement. J'ai dit, dans mon billet d'hier, ma préoccupation de voir se constituer une opposition à la réforme, au sein même d'un électorat proche de la gauche. Espérons que les malentendus se dissiperont. C'est au parti socialiste, à travers ses sections locales, d'aller sur le terrain, de se faire le pédagogue des réformes gouvernementales. C'est pourquoi je souhaite à Saint-Quentin un parti dynamique, actif et soutenant complètement le gouvernement.

Les enseignants sont souvent des lecteurs du quotidien Le Monde. Ils ont dû mal digérer l'éditorial d'hier consacré à leur "corporatisme étriqué", visant les réactions de rejet à l'égard de la semaine de quatre jours et demi (que le SNU-IPP lui-même, dans son projet, réclame !). Qu'est-ce qui gêne dans cette réforme des rythmes scolaires ? On ne demande pas aux enseignants de travailler plus, on ne leur impose pas de perte de salaire. Alors quoi ? Je ne vois que l'obligation d'étaler leur emploi du temps sur une demi-journée supplémentaire : les modes de vie font qu'il est plus intéressant de concentrer ses heures de travail sur un minimum de jours, afin de ne pas se voir couper en deux une journée. Il est évidemment plus confortable d'avoir son mercredi et son samedi entiers. Dans le second degré, au moment des voeux pour les emplois du temps, les demandes vont généralement dans ce sens-là. Le problème, c'est comment après mieux répartir le temps de travail des élèves ?

Il y a une autre objection, d'une tout autre nature, que je comprends mal cette fois : c'est l'usage de l'heure d'après-midi consacrée aux activités périscolaires. L'inquiétude porte sur son contenu pédagogique. Mais les activités périscolaires ont toujours existé ! Elles sont proposées par de nombres associations de toute sorte, souvent fort anciennes, agréées par l'Education nationale, employant des animateurs salariés mais aussi bon nombre de bénévoles (la Ligue de l'enseignement, ex-FOL, en fait partie). Ce serait une erreur que l'école se replie sur elle-même, alors que depuis tant d'années elle s'ouvre sur l'extérieur, à juste titre.

A Saint-Quentin, j'ai été surpris de constater qu'un des points du discours des voeux du maire n'ait pas été remarqué, n'ait suscité aucune critique : il s'agit de son intention de laisser les familles décider si les 4,5 jours s'appliqueront en 2 013 ou en 2 014. En général, je trouve plutôt bien que Xavier Bertrand consulte la population. Mais là-dessus, non, puisque de toute façon la loi sera votée, que c'est un engagement de François Hollande. Donc, c'est dès maintenant, dès la prochaine rentrée que les écoles de Saint-Quentin doivent se préparer aux 4,5 jours, pas repousser à 2 014. Xavier Bertrand n'a d'ailleurs pas donné son avis sur la question : est-il favorable au maintien de la semaine de 4 jours, adoptée par le gouvernement auquel il appartenait ?

mardi 22 janvier 2013

Quand les enseignants toussent



Pour la première fois depuis l'élection de François Hollande, je suis inquiet. Pas catastrophé, ni angoissé, encore moins désespéré : non, juste inquiet, une petite inquiétude qui va peut-être disparaître avec le temps, mais qui pour le moment est là, depuis aujourd'hui, depuis que j'ai appris que la grève des enseignants avait été massivement suivie, à Paris. Jusqu'à présent, l'impopularité du gouvernement ne m'avait pas soucié, tant l'opinion publique est devenue exigeante et versatile. Mais les enseignants, c'est différent. Certes, Paris n'est pas la France et les enseignants du premier degré ne constituent pas tout l'électorat de gauche. Pourtant, je suis inquiet, et je vous dis pourquoi :

Cette réforme des rythmes scolaires me fait penser à quelque chose que tout le monde a complètement oublié aujourd'hui : la réforme de la déconcentration des mutations dans le second degré, en 1997, toute chose égale par ailleurs. A l'époque, j'avais une décharge syndicale, je travaillais la moitié de mon temps à Paris, au siège du syndicat enseignant SE-UNSA, en tant que conseiller technique. On me demande d'étudier cette réforme, pour voir ce que j'en pense. Mes conclusions : c'est un bon projet, qui devrait rencontrer l'assentiment des enseignants, parce qu'il facilite leurs mutations. Résultat : quelques mois plus tard, tollé contre la réforme ! Elle cherchait à assouplir le système, elle est à l'inverse perçue comme une contrainte. Ainsi commençait un long désamour entre les enseignants et leur ministre, Claude Allègre, pas facile à vivre pour moi, enseignant, socialiste et syndicaliste.

Je ne dis pas que l'Histoire se répète, puisqu'elle ne se répète jamais ; mais je pense qu'il faut être vigilant. Les enseignants forment l'une des bases électorales du PS. Quand elle est touchée, il faut s'en préoccuper. La réforme des rythmes scolaires (c'est-à-dire le passage à la semaine de quatre jours et demi) est défendue depuis longtemps par la gauche, les syndicats et les associations périscolaires (c'est la droite qui a instauré les quatre jours d'école). Si elle est contestée par ceux qui devraient la soutenir, c'est que quelque chose ne va pas, qu'il faut revoir ou autrement expliquer (mais pas céder sur le principe de la réforme). J'ai en tête la réforme des 35h, fortement contestée par beaucoup de salariés, alors qu'ils étaient en même temps favorable à la réduction du temps de travail (voir mon billet de vendredi, où j'ai établi un parallèle entre ces deux réformes, pour souligner combien la France avait du mal à se réformer).

Ce qui est assez étonnant, c'est que cette grève ait lieu à Paris, où la municipalité va mettre beaucoup d'argent pour que réussisse cette réforme. Bertrand Delanoë a même dit aujourd'hui qu'il était prêt à un effort financier supplémentaire. De plus, cette réforme s'appliquera après discussion et concertation avec les enseignants et les parents. Quant aux activités culturelles de l'après-midi, s'il y a une ville qui ne manquera pas de moyens et de possibilités, c'est bien la capitale ! Alors, où est le problème ? Je vous le demande ! En attendant, mon inquiétude est là : quand les enseignants toussent, la gauche s'enrhume, surtout par ce froid. N'oublions pas : l'espoir de 1997 s'est terminé par le désastre de 2002. Je n'ai pas envie que ça recommence. Je force le trait bien sûr, j'exagère probablement. Mais, en politique, on n'est jamais assez prudent.

lundi 21 janvier 2013

Une localière en Picardie




A tous ceux qui n'aiment pas, qui connaissent mal ou qui ne fréquentent pas les journalistes de la presse locale, je conseille vivement la lecture du témoignage d'Emmanuelle Bobineau, localière du Courrier picard à Péronne. Le style est vif, concis, concret, à la façon d'un billet de blog (à quoi d'ailleurs l'ouvrage ressemble).

C'est d'abord une découverte du métier, qui mêle le travail de terrain et de bureau. C'est tout un vocabulaire propre à la profession : binôme, chemin de fer, leucosélophobie (!), dont je vous laisse chercher la signification dans le livre, en l'achetant ! Le journalisme a ses exigences (Emmanuelle Bobineau refuse de passer un article sept jours après) et ses limites (l'autocensure, quand elle ne dit pas tout le ridicule qu'elle a perçu dans un spectacle de transformisme).

Mais le journalisme est aussi un formidable observatoire et révélateur de la nature humaine (un peu comme la politique). Et ce n'est pas toujours joli joli : face à la presse, les gens peuvent être craintifs, fermés, compliqués, arrogants ou bêtes (ceux qui confondent le commentaire du journaliste avec les propos relatés). Certains ne veulent pas être pris en photo, sans donner d'explication (les réactions devant les journalistes sont parfois irrationnelles), d'autres au contraire essaient de corrompre, en offrant une bonne bouteille, un gros bouquet ou une place pour un match. Il y a ceux qui font la gueule et ceux qui draguouillent !

Les rapports entre la journaliste et les élus sont également très instructifs, et confirment ce que je peux voir et savoir. Un maire se plaint parce qu'un article décrit un pot de l'amitié où les invités se montrent particulièrement empressés de monter à l'assaut du buffet. C'est vrai, c'est fréquent, c'est banal, mais tant de gens ont un problème avec la vérité ! Un autre maire reproche à Emmanuelle Bobineau de "ne pas l'aimer" (sic) parce qu'elle ne parle pas assez de lui dans le journal, que sa photo n'apparaît pas autant qu'il le souhaiterait !

Certains responsables d'association ne sont pas mieux disposés, lorsque l'un d'entre eux proteste de ne pas voir sa lettre de quatre pages reprise dans le journal. Ce qui est sidérant, et je le constate autour de moi, c'est à quel point pas mal de personnes récusent, dénaturent le métier de journaliste, le conçoivent uniquement comme une activité de greffier à leur service. Ce travers est étrange dans une République, où la presse est libre et concoure à la formation de l'opinion publique. Même les relations avec les gendarmes et les pompiers sont plus difficiles qu'autrefois.

Ceci dit, Emmanuelle Bobineau aime son métier, fait de belles rencontres et ne désespère pas de l'humanité, même s'il lui arrive, rarement, de craquer : Marre d'être le bouc-émissaire de tous les maux de la société, lasse d'être prise à partie par la majorité, l'opposition, les responsables d'associations ... chaque semaine (page 66).

J'ai un seul point de désaccord avec la journaliste : elle n'aime pas traiter des faits divers, alors qu'ils constituent à mes yeux une forme de journalisme à part entière, qui met la lumière sur la dimension la plus sombre et la plus sordide de la nature humaine. Je l'ai souvent dit, sous forme de boutade : la réflexion sur un fait divers vaut largement un cours de philosophie ...

Pour terminer, je voudrais citer un passage du livre, page 67, qui résume le style et qui est un éloge précis et réaliste du métier de journaliste localier :

Ce 1er décembre 2 011, j'avais dressé une liste des articles à rédiger, pour être sûre de ne rien oublier tant j'avais à faire. Pas de gros reportages mais une multitude de petits papiers à écrire, des rendez-vous à prendre, des sujets à caler, sans compter les notes de frais des correspondants à viser. Ma journée s'est décomposée en tâches accomplies l'une après l'autre, sans trop penser. J'ai écrit article après article sans chercher à faire beau ou à donner du style au texte. Juste une succession de faits. Au final, j'ai été efficace, j'ai réglé différentes petites choses. A la fin de la journée, j'ai eu le sentiment d'avoir été utile. Et finalement, je n'ai pas fini tard.

Tout est dit, et bien dit.

dimanche 20 janvier 2013

La culture, parlons-en




Si on parlait culture ? Pas évident, les gens ont tellement d'autres préoccupations : emploi, salaire, logement, santé, retraite, éducation, sécurité ... Alors non, parler culture, ce n'est pas évident. La preuve : pendant la campagne des présidentielles, il a été très peu question de culture, et on comprend bien pourquoi, on ne peut pas le reprocher aux candidats.

Et puis, il y a autre chose : l'emploi, le pouvoir d'achat, la retraite etc, ça ne s'invente pas, ça ne dépend pas de nous, mais de la société, de l'économie, de l'Etat, des décisions qui sont prises au dessus de nous. En revanche, la culture est à notre portée, très simplement : prendre un bouquin, aller voir un film, visiter une expo et tout un tas d'activités qui ne relèvent que de nous, pas de la politique. Bref, pas besoin de parler culture, il suffit de se cultiver.

Mais c'est aussi une mission de service public que se préoccuper de culture quand on exerce un mandat politique. C'est pourquoi la Municipalité de Saint-Quentin a, de longue date, annoncé des "Assises de la Culture" qui auront lieu d'ici peu, avec un questionnaire à la clé, intitulé "Si on parlait culture" ? (voir vignette). Donc, la culture, parlons-en.

Et d'abord en écartant les faux problèmes qui font perdre de vue les vrais : l'information, les horaires, les tarifs, les modalités de réservation peuvent être débattus si l'on veut mais, de mon point de vue, ne le méritent pas. Les "on n'est pas informés, ça coûte trop cher, c'est trop tôt, c'est trop tard, c'est pas le bon jour, c'est compliqué pour s'inscrire", ce sont des rengaines qu'on retrouve un peu partout ailleurs, l'éternel lamento des jamais contents de rien, qu'on a trop tendance à écouter, laissant de côté tous les silencieux qui ne se plaignent pas et qui forment la majorité.

Faux débat aussi, à mon avis, celui qui porte sur la saison culturelle, la programmation municipale des spectacles, qu'il est toujours tentant de critiquer quand on est dans l'opposition. Mais non. Elle est faite par les professionnels de la culture qui travaillent dans les services municipaux, sur quoi il n'y a franchement rien à redire. Bien sûr, on peut toujours regretter l'absence de tel artiste ou au contraire la venue de telle pièce de théâtre, on peut imaginer d'autres choix, forcément. Mais dans un cas comme dans l'autre, il y aura matière à regret et à reproche. Pas la peine de tomber dans cette facilité, ou alors c'est parler pour parler, et au bout du compte ne rien dire et ne rien proposer.

La culture, c'est la vie. Elle fuse de partout, elle monte de toute la société. C'est pourquoi je me méfie d'une culture "officielle" dont les objectifs seraient fixés d'en haut, y compris par une municipalité. La culture, c'est la liberté. Les élus doivent lui donner des moyens, mais pas trop se préoccuper des fins. La politique culturelle d'une ville doit être pour l'essentiel managée par ses spécialistes et ses techniciens. A Saint-Quentin, pour ce que je sais et ce que je sens de Bernard Visse, le directeur du service culturel, j'ai plutôt une bonne impression : c'est un homme de culture, et c'est pour moi le plus important.

Ce qui m'inquiète, c'est la distinction que semble faire Xavier Bertrand entre une culture populaire, de divertissement, et une culture élitiste, intellectuelle, le maire de Saint-Quentin soutenant la première contre la seconde. Non, la culture n'est pas une affaire d'intello ou de populo, la culture est pour tous, sans distinction sociale. Il n'y a surtout pas une culture de droite et une culture de gauche. Le café philo peut être rangé parmi les activités culturelles, mais le public est varié, pas sélectionné, c'est un échange exigeant en même temps qu'un divertissement. Il n'y a pas contradiction.

A Saint-Quentin, les moyens existent pour mettre en oeuvre une politique culturelle : un magnifique théâtre, une compagnie hors les murs, une grande salle de spectacle, un conservatoire de musique, une école de dessin, deux musées, une galerie, plusieurs bibliothèques, un office du tourisme ... Il y a de quoi faire. C'est moins aux outils en eux-mêmes qu'il faut réfléchir qu'à leur ouverture, leur partenariat, leur synergie, entre eux, avec la population et les autres structures.

Car la culture, c'est la création, l'invention, l'imagination, pas la simple amélioration technique des acquis, de l'existant. La culture, ce sont les actions des associations et des individus, la participation des établissements scolaires et de toutes les bonnes volontés. La culture, ce ne sont pas seulement les initiatives labellisées "culturelles". Membre de la Ligue de l'enseignement (FOL), je suis très attaché à la notion d' "éducation populaire", qui résume ma pensée quand je parle culture.

samedi 19 janvier 2013

La mort part en fumée



Les opposants au mariage pour tous, en décrivant celui-ci comme un changement de civilisation, un bouleversement "anthropologique" (c'est le terme qui revient fréquemment), se trompent de combat : cette institution, sociale avant d'être religieuse, s'est régulièrement adaptée à la société et réformée ; l'extension de ce contrat civil aux couples homosexuels ne sera qu'une évolution supplémentaire, qui ne met pas en cause la différence des sexes, qui ne nie pas qu'un enfant soit issu de la rencontre entre un homme et une femme (forcément !). Je mets de côté le débat sur la PMA (procréation médicalement assistée, qui est un autre sujet, éthique et pas sociologique, sur lequel je ne me prononce pas).

En revanche, il y a un véritable changement de civilisation, un bouleversement réellement anthropologique dont personne ne parle, que les chrétiens devraient pourtant dénoncer beaucoup plus fortement que le mariage homosexuel, parce qu'il touche beaucoup plus à leurs convictions : il s'agit de la crémation. Le mariage homo restera ultra-minoritaire, l'adoption concernera très peu d'enfants, alors que cette pratique mortuaire est en pleine expansion, la moitié des Français la préférant à l'inhumation. C'est une vraie révolution des mentalités, quand on sait qu'en 1980, 1% de la population faisait appel à la crémation. Le mariage homosexuel ne change pas grand chose à l'idée qu'on se fait de l'amour, tandis que la combustion du corps transforme complètement notre représentation de la mort.

Si je vous en parle aujourd'hui, c'est que j'ai écouté ce matin, sur ce sujet, une passionnante émission à France-Culture, "Répliques". A part l'Extrême-Orient à qui il arrive de brûler ses morts sous des formes très ritualisées, la civilisation occidentale, depuis plusieurs millénaires, les enterre. Pourquoi, depuis quelques années seulement, les livre-t-on aux flammes ? Cette pratique est d'une grande violence dans sa signification, puisqu'elle vise à la destruction volontaire du corps, sa réduction à l'état de fumée et de cendre. Trois motifs sont couramment évoqués :

1- Ne pas être à la charge de la famille et de la société : l'inhumation est une pratique sociale, la crémation est un choix individuel. Après, il ne reste plus rien de notre passage sur terre, aucune trace, sinon dans les mémoires, au bon vouloir de chacun.

2- Ne pas polluer la planète en occupant un espace précieux, dont il faut désormais chasser les morts, en envisageant, à terme, la suppression des cimetières (qui déjà, aujourd'hui, sont beaucoup moins fréquentés qu'autrefois).

3- Manifester paradoxalement le culte contemporain du corps, qu'on soigne, qu'on bichonne, qu'on embellit, qu'on muscle et qu'on ne peut pas imaginer sans horreur se décomposer sous terre : mieux vaut le faire périr que l'abandonner à la pourriture.

Cette vague de fond en faveur de la crémation se comprend aussi comme la conséquence du reflux de la religion dans notre pays : on ne croit plus guère à l'immortalité de l'âme, à la façon des anciens païens, ni à la résurrection des corps, défendue par les chrétiens. Disparaître pour disparaître, autant ne rien laisser derrière soi, faire place nette.

Il n'y a donc plus de "dernière demeure", seulement le souvenir pour rendre témoignage. Du coup, le deuil se prive de rites (un tiers des crémations se font sans cérémonie) ou bien se bricole des rites, à la demande, mais ce sont de faux rites : par définition, un rituel est extérieur à soi, généralement porté par une religion, on y adhère ou on le rejette mais on ne le fabrique pas, ou alors c'est n'importe quoi.

Entre l'amour du même sexe et la mort qui part en fumée, c'est la deuxième qui rompt avec la civilisation multi-millénaire, qui pose le plus de questions et qui suscite pourtant la plus grande indifférence : allez savoir pourquoi ! Quant à se demander si le passage historique de l'inhumation à la crémation est un progrès pour l'humanité, je vous laisse en juger et terminer par vous-mêmes ce billet.

vendredi 18 janvier 2013

Question de rythmes



Est-il encore possible de réformer en France ? C'est la question que pose le débat autour des rythmes scolaires. Tout le monde est d'accord pour convenir que faire travailler les enfants quatre jours sur sept, ce n'est pas raisonnable, c'est mauvais pour eux : le temps de travail doit être mieux réparti, les journées ne doivent pas être surchargées. La semaine de quatre jours et demi est prônée par tous les spécialistes. Tout le monde est également d'accord pour choisir le samedi matin vaqué, puisque notre société des loisirs est très attachée au week-end complet.

Enfin, qu'une partie de l'après-midi soit consacrée à des activités pas strictement scolaires, mais qui contribuent à l'éveil et au développement de l'enfant, un peu comme en Allemagne, voilà une idée judicieuse, qui a fait depuis assez longtemps son chemin et qui ne suscite pas vraiment d'hostilité. Mais alors, pourquoi la réforme des rythmes scolaires a tant de mal à se faire, à tel point que le ministre de l'Education nationale l'a reportée à la rentrée 2 014 ?

C'est que les enseignants s'inquiètent des conséquences sur leurs services, les parents voient leurs habitudes bousculées et se demandent ce qu'ils vont faire de leurs enfants, les collectivités locales se préoccupent du coût de la réforme, de l'utilisation de l'après-midi, de l'organisation des transports. Bref, les réactions me font penser à celles, dans une moindre mesure, qui avaient accompagné la réforme des 35h, avec ce paradoxe : tout le monde est pour en théorie et tout le monde est contre en pratique.

Et si le fond du problème était dans les mentalités ? La France a une histoire progressiste comme peu de pays peuvent s'en flatter, mais un peuple conservateur. Toute réforme un peu substantielle soulève des résistances. Le changement est un argument de discours, mais il fait grincer des dents quand il passe dans la réalité. L'affaire des rythmes scolaires est incroyable ! Comme si nous manquions d'imagination, d'anticipation, de sens de l'organisation et surtout d'audace et de confiance en nous pour mettre en oeuvre une réforme absolument nécessaire. C'est affligeant. Il faut que Peillon tienne bon, que la France se modernise, que les mentalités évoluent. Sinon, bientôt plus rien ne sera possible dans ce pays, aucun réforme ne passera ni ne réussira.

jeudi 17 janvier 2013

La gauche en guerre



Un peu plus de six mois après la victoire de la gauche, celle-ci doit faire la guerre ! Pas évident pour ce camp, traditionnellement pacifiste, avec parfois des accents antimilitaristes : la guerre, ce n'est pas dans les gènes de la gauche. D'ailleurs, à chaque fois que le parti socialiste au pouvoir s'est engagé dans un conflit militaire, il y a eu des critiques en son sein, des défections, quelquefois des scissions. Cette fois-ci, pour le Mali, rien : comme quoi, en matière de politique étrangère comme dans le domaine économique et social, mon parti évolue, sans même parfois s'en rendre compte.

Mais avons-nous affaire à une véritable guerre ? Bien sûr, ce n'est pas un combat armée contre armée, nation contre nation, avec son champ de bataille traditionnel. Mais ce n'est pas non plus une opération de police et l'expression d' "intervention militaire" me semble être un euphémisme : quand il y a affrontement, violence, destruction, souffrance et mort, c'est que nous sommes en guerre. Les risques sont grands, le courage est requis, les suites incertaines et le territoire national directement menacé. C'est aussi ça la politique : se préoccuper autant du ramassage des crottes de chien dans une ville que déclarer la guerre sur un autre continent, quand il le faut, quand l'engagement est juste.

La gauche a une autre difficulté avec la guerre, qui rend encore plus méritoire le choix militaire de François Hollande : elle est moins dans une culture de la décision que dans une culture de la discussion. Refaire le monde autour d'une table, voilà l'esprit de gauche, fort honorable, parfaitement démocratique (puisque l'essence de ce régime est le débat). Sauf que la guerre ne souffre guère qu'on en discute : tout repose sur la décision, celle du chef des armées, en l'occurrence le président de la République. La gauche n'est pas habituée à ça : elle discutaille, elle tergiverse et, dans toute autre circonstance que la guerre, elle a raison, c'est ce qui fait son charme, c'est ce qui lui donne sa valeur, c'est en partie pourquoi je suis de gauche. Mais déclencher une guerre ne se discute pas, ne se met pas aux voix, car alors on trouverait autant de raisons de faire la guerre que de ne pas la faire, et au final aucune décision ne se prendrait.

Première réaction de Jean-Luc Mélenchon à l'annonce de la guerre au Mali : c'est "discutable", a-t-il dit, au double sens où c'est critiquable et où il convient d'en "discuter" au Parlement. Mais la guerre n'attend pas, elle est motivée par un intérêt supérieur au débat et au vote, elle s'impose comme une évidence : si la guerre était "discutable", on en discuterait et on ne la ferait pas. Là se trouvent les limites de la culture de gauche (tout en ce monde a des limites, même l'excellente culture de gauche !) : à force de causer, on ne tranche pas (ce défaut se vérifie parfois dans nos débats ordinaires). François Hollande a su dépasser ces limites, assumer son rôle institutionnel, se transformer sans problème en chef de guerre et rassembler autour de lui. Ce n'était pas évident, il l'a fait !

En même temps, je n'aime pas trop le thème de l'"unité nationale". La droite a choisi de soutenir dans cette affaire le gouvernement, très bien ; mais il n'y a pas non plus obligation. Valéry Giscard d'Estaing et Dominique de Villepin ont émis des réserves, c'est leur droit, ça ne me choque pas. En démocratie, le débat ne doit pas s'interrompre, y compris en période de guerre. Ce qui doit échapper au débat, ce sont les centres de décision ; pour le reste, la République suit son cours. Faire taire les avis différents, suspendre en quelque sorte la démocratie, ce serait donner raison aux terroristes, leur concéder une influence et une efficacité dont il faut au contraire les priver.

mercredi 16 janvier 2013

En voeux tu en voilà



C'est le mois des voeux, qui s'étirent jusqu'au 31 janvier. Ces cérémonies, qui rivalisent souvent en banalités et redites, valent chez beaucoup de leurs participants pour le verre et les petits fours qui concluent. Mais ces rencontres ne sont pas non plus inutiles, les conversations peuvent être intéressantes, des informations nouvelles circulent.

Cette année n'étant pas électorale, on ne voit pas les candidats se presser aux voeux institutionnels des élus. L'an dernier, à la même date, avait été friand d'anecdotes et de petites polémiques, législative oblige. Je trouve ça un peu déplorable : se déplacer parce qu'on a les suffrages des électeurs à quémander ! Candidat, un homme politique doit l'être tout le temps, même quand il ne se présente pas. Sinon, l'impression donnée est désastreuse. Candidat en 2 014 aux élections municipales, je ne changerai rien à mes habitudes, je continuerai, sans artifices, à aller là où il me semble juste et utile d'aller, là où je me rends chaque année depuis longtemps.

Il y a bien sûr les voeux du maire de Saint-Quentin, un must qui attire de loin. Mais aussi des invitations plus modestes, moins spectaculaires en nombre, avec souvent quelques dizaines de personnes seulement, et pas nécessairement médiatisées. Des associations par exemple convient leurs adhérents et le public pour cette tradition de nouvel an. Ce soir, c'est Aster International, présidée par Marie-Lise Semblat, qui se réunissait à l'espace Matisse, en présence de ses partenaires.

Et puis, il y a les voeux des partis politiques, qui sont l'occasion pour eux de délivrer leur message. Je crois que c'est important et judicieux. Le 25 janvier, il faudra être attentif aux voeux du parti communiste de Saint-Quentin (tendance rebelle). Très attendue, particulièrement cette année, la traditionnelle cérémonie des voeux du parti socialiste, où sera peut-être annoncée la date du prochain vote pour désigner le secrétaire de section, demandé officiellement par la direction nationale du parti depuis la mi-décembre. Profiter de la circonstance pour faire cette annonce,cela aurait du sens, comme dirait Xavier Bertrand ...

mardi 15 janvier 2013

Sainte famille



A plusieurs centaines de milliers de personnes mobilisées dans les rues de Paris, la manifestation de dimanche dernier a été un beau succès pour ses organisateurs, et dérangeant pour moi qui n'en partage pas la cause. Mais ce n'est pas une raison pour ne pas être honnête, ne pas reconnaître que le mariage pour tous suscite contre lui une vague de fond. Au contraire, c'est l'occasion d'y réfléchir, de se demander pourquoi tant de gens craignent une mesure à mes yeux juste et inoffensive.

D'abord, je constate trois paradoxes qui donnent à penser. Le premier, c'est que la France, pays des droits de l'homme et de la Grande Révolution, est à la traîne dans ce domaine du mariage homosexuel, provoquant une hostilité que d'autres pays, qui passent pour plus réac ou tradi, n'ont pas connue. Le deuxième, c'est que l'une des institutions les plus en pointe contre ce mariage, l'Eglise catholique, est dirigée par des célibataires. Le troisième, c'est que l'égérie du mouvement, Frigide Barjot, est assez peu représentative, par sa personnalité provoc et branchouille, de la sociologie des manifestants.

Paradoxale aussi de constater que l'une des idéologies, sans doute la plus influente quoique souvent non assumée, qui inspire le mouvement de contestation, le christianisme, n'est pas tendre envers la famille : lisez ou relisez les Evangiles, vous serez surpris de voir comment Jésus rabroue sa mère, se méfie de ses frères, demande à ses disciples d'abandonner leur foyer. La foi chrétienne rompt avec les liens du sang et fait des hommes des frères en esprit. Normalement, un chrétien authentique adore Dieu et vénère les saints, il ne porte pas au pinacle les "valeurs familiales". Saint Paul explique fort bien que la famille n'est qu'un pis aller, le modèle à suivre n'étant pas celui-là, mais l'idéal monastique. La "Sainte Famille" elle-même, la célébration égale de Joseph, Marie et l'Enfant-Jésus est une invention tardive et occidentale, qu'on ne trouve pas dans le christianisme des premiers siècles.

Je ne crois pas que la manifestation de dimanche ait été homophobe (sinon, étant donnée son importance, ce serait très inquiétant !). L'extrême droite y a pris part, mais de façon heureusement marginale. A entendre ces manifestants, ils ne sont même pas hostiles à une forme de reconnaissance juridique de l'union homosexuelle. Leur peur ne vient pas fondamentalement de là, l'homosexualité étant une pratique minoritaire, pacifique et respectueuse qui ne menace nullement la civilisation.

La religion étant rarement évoquée dans l'esprit des manifestants, le ressort de leur révolte est plutôt moral, en rapport avec la famille. C'est elle, et elle seule, qui est capable de mobiliser en sa faveur autant de monde. Et je comprends bien pourquoi : nous vivons dans une société où la famille est complètement éclatée et recomposée, et l'homosexualité n'y est absolument pour rien. Regardons autour de nous : qu'est-ce qui sape la famille traditionnelle ? Deux phénomènes de masse : le divorce et le concubinage, sûrement pas le mariage homo ! Celui-ci n'est qu'un prétexte, un déclencheur, un révélateur d'une crise plus profonde, celle de la famille.

Cette foule qui a manifesté dimanche, qui vit de plein pied dans la société moderne, c'est aussi d'elle-même dont elle se protège, de ses propres infidélités, peut-être de ses tentations. Car les plus grandes peurs sont celles qu'on éprouve à l'égard de soi. Les homos ont bien peu à voir avec tout ça. Ils sont plutôt des boucs émissaires. Le traumatisme est interne à une partie de la population, qui ne sait plus très bien où elle en est, même si d'apparence elle semble sûre de ses valeurs. Depuis quelques décennies, ce sont les choix et les comportements des hétéros qui ont bouleversé la famille !

Dans une société qui ne croit plus en grand chose, où l'on désespère d'un peu tout, politique, religion, idéologie, la famille devient une valeur refuge, la dernière branche où se raccrocher. Bon sang ne saurait mentir ! Même dans les milieux de gauche, je suis parfois surpris de l'importance accordée aux "valeurs familiales", les références récurrentes aux enfants, petits-enfants, la fierté à afficher "sa" famille. Comme si la cellule familiale (une expression qui en dit long !) avait une valeur en soi, représentait un absolu, était un critère de moralité. Le "bon père de famille" n'a jamais empêché d'être un parfait salaud, on le constate tous les jours dans la rubrique des faits divers.

J'admets que la famille soit un choix privé, une vertu personnelle, une valeur intime, mais surtout pas un argument politique, un modèle social, un principe moral. La famille n'est pas au fondement de la société, mais les lois, l'économie, le pouvoir. Qu'on laisse, en République, chacun vivre comme il veut, sans promouvoir aucun mode particulier de vie, sans non plus en exclure aucun.

lundi 14 janvier 2013

Le n°2, c'est zéro



Un peu de numérologie politique aujourd'hui : un n°1, il en faut un, dans un parti, dans une collectivité. C'est le chef, le patron, le boss, le leader. Mais un n°2, est-ce que ça existe ? Et c'est quoi exactement ? Pour moi, il n'y a pas de n°2 en politique : c'est du flan, un chiffre bidon, une étiquette pour rien. Le n°1 se suffit à lui-même, il ne se laisse pas concurrencer par un n°2. Un vrai chef n'a pas besoin d'un sous-chef qui, parce qu'il se prétend n°2, a l'impression de capter un peu de pouvoir au n°1, alors qu'il n'en a aucun. Le 2 joue de sa proximité avec le 1 pour laisser croire qu'il existe, qu'il a de l'importance, ce qui est complètement faux. Son pouvoir est d'opérette. Poulidor avait beau pédaler comme un dingue, il n'a jamais été Anquetil. Un n°2, c'est quelqu'un qui pédale ou qui rame, qui rêve d'être le leader qu'il ne sera jamais. Car un vrai leader accepte beaucoup de choses, avale de nombreuses couleuvres mais ne supporte pas d'être n°2, place humiliante pour qui veut être premier.

Un n°2 en politique, ça n'existe pas, c'est un mauvais numéro qu'un type se joue à lui-même, quand il veut se donner l'illusion d'être quelqu'un. C'est une manie d'ectoplasme. Prenons quelques exemples : à la tête de l'Etat, il y a un n°1, c'est le président de la République, mais il n'y a pas de n°2 en titre. Le Premier ministre, son nom l'indique, est le premier du gouvernement, pas le deuxième de l'Etat, sinon au plan protocolaire, c'est-à-dire pour la frime. Au parti socialiste, le chef c'est Harlem Désir, il n'y a pas de chef n°2 (ce que laisserait croire l'idée fausse de n°2). A la mairie de Saint-Quentin, le n°1 c'est Xavier Bertrand, là encore sans n°2, même s'il y a un premier adjoint, mais qui boxe dans une autre catégorie, celle des adjoints, bien distincte du maire, seule et unique chef.

Dans un raisonnement par l'absurde, concevoir un n°2, c'est s'autoriser, pourquoi pas, à imaginer un n°3, un n°4, un n°5, etc. Et moi, dans tout ça, au sein de la fédération socialiste de l'Aisne, je suis le numéro combien ? Allez savoir, peut-être le n°648 ! Avec les chiffres, on ne sait plus trop bien, ça finit par tourner la tête et faire dire n'importe quoi. Pourtant, il y a bel et bien des n°2, qui sont fiers de l'être, qui se présentent ainsi, qui aiment à le répéter. Les pauvres, c'est leur seule identité politique : être réduits à un numéro, à un drôle de numéro puisqu'il n'a aucune valeur. A vrai dire, être n°2, c'est zéro, double zéro, et sans le 7 qui en ferait un héros de film d'espionnage, même si le n°2 nous fait lui aussi tout un cinéma, mais qui ne trompe personne.

Alors, c'est quoi ce n°2 ? Car c'est bien une personne, tout de même ! Oui, c'est ce qu'on appelle un second (mais pas un deuxième !), un adjoint, un collaborateur, un bras droit, un conseiller, un lieutenant, un homme de confiance (bien qu'en politique il faille économe de sa confiance, tant il y a de déconvenues). Mais toutes ces qualités ne vous donnent pas une once de pouvoir. Un n°2, c'est un bonhomme en pâte à modeler, tout mou, qui fait ce qu'on lui demande de faire, qui à force d'être derrière le chef finit par croire qu'il est un chef alors qu'il n'en est même pas une moitié, un tiers, un quart, un millimètre ... Le n°2, c'est le brave gars qui apporte le café ou qui porte la serviette du n°1. Le vrai n°2 dans l'ordre politique, c'est le chauffeur ou le garde du corps !

Quand on a un peu de décence, de l'amour-propre et beaucoup d'ambition, on n'accepte pas d'être n°2, lot de consolation pour pleurnichard patenté, os à ronger pour chien battu. Il y a une formule qu'on prête à un n°1 de taille, Jules César, qui tranche et qui résume ma pensée : "Il vaut mieux être le premier dans son village que le second à Rome". L'empereur qui a régné sur une bonne partie du monde civilisé, qui était un maître en politique, homme de pouvoir s'il en est, avait tout compris : où que l'on soit, quand on vise le pouvoir, c'est la première place qui compte ; la seconde est factice, misérable, purement vaniteuse, même au sommet de l'empire romain. J'ai dit ! comme s'exclament les frangins.

Il y a une série télévisée que j'aime beaucoup, qui nous éclaire dans cette réflexion sur la numérologie des prérogatives, des titres et des vanités politiques : c'est "Le Prisonnier", de et avec Patrick McGoohan. Dans cette histoire fantastique, on ne voit jamais le n°1, le maître absolu du Village. En revanche, le n°2 est bien visible, c'est un semblant d'homme de pouvoir, en vérité une marionnette. Au "prisonnier", on a attribué le n°6, qu'il rejette brutalement dans le générique (pourtant, 6 ce n'est pas si mal, dans une communauté qui contient probablement plusieurs centaines de membres) : "Je ne suis pas un numéro, je suis un homme libre !" C'est aussi ce que je pourrais dire. Bonjour chez vous !

dimanche 13 janvier 2013

Une manif pédagogique



A l'heure où je rédige ce billet, je ne sais pas encore combien de Français ont manifesté cet après-midi contre le mariage pour tous, mais ils étaient très nombreux, c'est certain, et je n'aurai pas la mesquinerie de relativiser les chiffres de participation. D'ailleurs, moi qui suis favorable au mariage pour tous, je me réjouis chaque fois qu'une manif réussit, même si je n'en partage pas les objectifs : vive la démocratie ! Je crois que celle-ci aura un effet salutaire, pédagogique sur ses membres, beaucoup ( pas tous, loin de là) étant de droite, n'ayant jamais manifesté de leur vie (sauf peut-être, pour certains, en 1984, en faveur de l'école privée), étant très réticent à l'acte de manifestation.

D'abord, cette pédagogie est citoyenne, civique. Elle aura appris à cette foule qui n'a pas l'habitude de battre le pavé, qui s'en défie, qui moque parfois ceux qui s'emparent ainsi de la rue, que rien n'est plus naturel et républicain que de manifester de cette façon ses opinions. Que serait une démocratie sans manifestations ? Une dictature ! Ceux donc qui ont défilé aujourd'hui comprendront désormais mieux les défilés politiques et syndicaux, cesseront peut-être de pester contre eux. Allez même savoir s'ils n'y prendront pas goût, s'ils ne s'y mettront pas régulièrement plus qu'à leur tour, surtout si un gouvernement de gauche, longtemps au pouvoir je l'espère, leur en donne, comme je leur souhaite, l'occasion.

Ensuite, la pédagogie d'une manifestation telle que celle d'aujourd'hui est politique. Elle fait comprendre à un individu par définition solitaire qu'il n'est pas seul, que d'autres partagent ses convictions, qu'ils peuvent se retrouver, faire peuple pour se battre ensemble, même quand ce sont des familles bourgeoises. La vertu de cette pédagogie, c'est de faire prendre conscience que l'autre au côté de qui on défile, tout en soutenant les mêmes revendications, peut aussi être très différent. Ainsi, cet après-midi, cathos, UMP et extrême droite, qui n'ont rien à voir, se sont côtoyés, comme le social-démocrate que je suis frôle les trotskistes dont je ne suis pas, quand il s'agit de défendre des revendications syndicales ou même dans un combat politique. La manif éduque à la relativité, à la tolérance et au risque dans le choix de ses partenaires de lutte (en ce qui me concerne, je ne rougis pas, sans jeu de mots, de fraterniser provisoirement avec l'extrême gauche).

Et puis, la manif est un exercice psychologique, auquel la droite en particulier a du mal à se plier, mais certains citoyens de gauche sont tout autant embarrassés : se montrer sur la voie publique, dévoiler ses convictions personnelles, ne pas craindre le qu'en dira-t-on, ignorer les conséquences qui pourraient en découler, avoir le courage de ses opinions, non, manifester n'est pas un geste naturel, un acte évident, un comportement anodin, une décision facile. Pour des raisons historiques et sociologiques, c'est parfois, pour quelqu'un de droite, une véritable ascèse, à laquelle la grande mobilisation de ce dimanche l'aura accoutumé, sinon encouragé. Il aura brisé la glace, grand bien lui en fasse, au nom de la démocratie.

Il ne faut pas non plus négliger la pédagogique pratique qu'occasionne une manif, en matière d'organisation et d'habileté manuelle, sans parler de l'épreuve physique du parcours. Se lever tôt le matin, faire un trajet de plusieurs heures en car, il en faut, de la motivation et de la préparation : les vêtements parés pour la pluie et le froid, les sandwiches qui tiennent à l'estomac, les banderoles savamment pliées, les pancartes maison, les slogans astucieux qu'on invente soi-même, la manif, c'est l'école de l'ingéniosité et de la débrouillardise, c'est une mine de créativité. La droite s'y met, tant mieux, même si elle a quelques décennies de retard sur la gauche !

Surtout, une manif est une formidable pédagogie de la déception, qui est en politique comme dans la vie une rude épreuve à surmonter. Combien de fois ai-je manifesté sans rien obtenir des revendications que je brandissais et hurlais ? Je n'ose pas vous le dire, je n'ai jamais compté, il vaut mieux pas ! Les manifestants d'aujourd'hui vont faire à leur tour cette expérience-là : ils auront beau avoir été des centaines de milliers que ça ne changera rien, François Hollande tiendra ses engagements, la loi passera. Manifester, c'est toujours une épreuve d'humilité (les catholiques devraient y être préparés mieux que d'autres), quand la force ne parvient pas à infléchir le droit. Il faut alors avoir un moral d'acier pour persévérer.

Enfin, toute manif, quelle qu'en soit la cause, offre un bel exemple de pédagogie morale. Le nombre ne compte pour rien au regard de la vérité, qui ressort uniquement de la conscience personnelle, pas de la quantité de pieds qui foulent le bitume. La justesse d'une conviction ne se mesure pas à la longueur des défilés. A Saint-Quentin, à Paris ou ailleurs, un rapport de force est nul et non avenue. C'est l'intelligence, le bien, la justice qui ont raison, qui font l'Histoire, qui décident du destin des hommes, ce ne sont pas des additions d'unités, de têtes de pipe. Les grandes révolutions ont été faites par le petit nombre, inspirées souvent par quelques obscurs penseurs. C'est l'esprit qui l'emporte, rarement la masse. Voilà la morale de ce dimanche, qui est valable pour n'importe quelle autre manif. Comme il n'est pas nécessaire d'espérer pour entreprendre, il n'est pas nécessaire de gagner pour manifester.

samedi 12 janvier 2013

La culture du compromis



En politique, il y aura toujours deux cultures, à droite comme à gauche : celle du rapport de force et celle du compromis. Pour la première, les rapports entre les individus et les groupes se traduisent par des conflits dans lesquels le plus fort l'emporte. Alors, il y a nécessairement un gagnant et un perdant, un vainqueur et un vaincu. Cette culture a le mérite de la simplicité ; elle ne connaît pas la demi-mesure. D'ailleurs, les vaincus ne sont pas forcément déçus, quand ils se complaisent dans l'opposition, ne recherchent pas spécialement à assumer des responsabilités, vivent très bien dans une attitude purement protestataire et victimaire.

La culture du compromis fonctionne, tout différemment, au gagnant-gagnant. Elle part du principe que les protagonistes ont chacun leurs bonnes raisons, leurs intérêts légitimes, qu'il n'y a pas le bien d'un côté et le mal de l'autre, la vérité et l'erreur. Elle parie sur un dialogue raisonnable qui rapproche les positions sans gommer les différences, elle croit en un accord possible dans lequel chacun doit renoncer à une partie de ses revendications afin de voir retenue une autre partie de ses revendications.

L'accord entre le patronat et trois syndicats sur la flexibilité et la sécurisation de l'emploi est un beau succès de cette culture du compromis, que le gouvernement réformiste et social-démocrate de François Hollande tente de mettre en oeuvre. Les partisans du rapport de force s'insurgeront et diront que les salariés y ont perdu. Oui, on perd toujours quelque chose quand on négocie, sinon il n'y aurait pas de négociation. Mais on y gagne aussi quelque chose. Le gain compense-t-il la perte ? Je ne crois pas que la question se pose en ces termes, parce que la réponse est impossible. Ce qu'il faut prendre en compte, c'est qu'il y a des gains et des pertes, en se demandant seulement si les uns et les autres sont justifiés. Mais leur équilibre est indécidable.

En ce qui concerne l'accord signé hier, la réponse est oui. Il faut mieux protéger les salariés, en décourageant l'emploi précaire, en généralisant leur complémentaire santé, en permettant des droits rechargeables à l'assurance-chômage. Il faut encourager les entreprises à créer des emplois, en leur donnant plus de souplesse dans la modulation des rémunérations et du temps de travail, dans la mise en place de leur plan de restructuration, lorsqu'elles sont confrontées à des difficultés économiques.

Cet accord fera date, pourvu qu'on le prenne pour ce qu'il est, sans exagérer sa portée : il ne réglera pas complètement le problème du chômage, mais il aidera beaucoup. Il faut le mettre en perspective avec les autres mesures gouvernementales en matière économique et social. Les syndicat auraient pu ne pas le signer, tant la culture du rapport de force est grande en France. La CGT ne l'a pas fait, fidèle à son histoire, soucieuse de sa base et de la succession à sa direction. FO ne l'a pas fait, en rupture avec son passé réformiste, qu'elle a abandonné depuis 1995. La CFDT a signé, conforme à ce qu'elle est depuis longtemps, l'organisation socio-professionnelle la plus proche de la culture du compromis et de la social-démocratie.

vendredi 11 janvier 2013

Voeux du maire : RAS



Toujours autant de monde ce soir dans le palais de Fervaques pour les voeux du maire de Saint-Quentin, en présence du préfet de l'Aisne et du sous-préfet. Mais rien de très nouveau à signaler par rapport aux années précédentes. On retiendra peut-être que pour la première fois un incident a interrompu le discours du maire : le léger malaise de Christian Huguet.

Politiquement, je n'ai pas de commentaires à faire. Les voeux sont un exercice convenu, dans lequel l'édile dresse un bilan de son action et présente ses projets. Il met en avant les atouts et les réussites de sa ville. C'est une cérémonie républicaine, qui rassemble des Saint-Quentinois de toute sensibilité. La présence et les applaudissements sont de tradition, pas d'approbation. Parfois, Xavier Bertrand égratigne légèrement le gouvernement, la région, le département, mais ça ne va pas suffisamment loin pour qu'il faille réagir. A vrai dire, la politique et la polémique n'ont pas leur place en ce lieu et à cette date.

En termes de communication, je trouve que son discours a été trop long. Une heure, beaucoup plus que l'an dernier, c'est tout de même beaucoup : autour de moi, des gens décrochaient. Et puis, le style énumératif, l'accumulation de détails lassent. On ne retient pas grand chose tellement il y a de choses. Pierre André condensait en vingt-vingt-cinq minutes son intervention, c'était mieux, c'est un maximum. Je crois que tracer les grandes lignes suffit. Sinon, on ne saisit pas bien. Moi même, je ne pourrais pas honnêtement, ce soir, rendre compte de l'essentiel. En tout cas, rien ne m'a surpris, rien ne m'a choqué. C'est sans doute aussi parce qu'il y avait beaucoup de redites par rapport à la communication municipale habituelle.

Comme chaque année, j'ai un regret : que les membres de l'opposition municipale soient absents en refusant de figurer sur la scène où se présente à la population l'ensemble du Conseil municipal. Encore une fois, ce n'est pas un meeting politique mais une cérémonie républicaine, dans laquelle la gauche devrait marquer sans complexe sa présence. Car beaucoup de citoyens de gauche étaient dans la salle, sans qu'ils se sentent représentés lorsque leurs regards se portaient sur la scène. Avant, l'opposition autour d'Odette Grzegrzulka était bel et bien là.

Une telle manifestation, c'est l'occasion de retrouver et de saluer beaucoup de monde, qu'on ne verrait pas forcément ailleurs. Mais l'échange de voeux donne lieu aussi à des questions, jamais les mêmes à chaque fois. L'an dernier, on m'interrogeait sur mon livre "Les Saint-Quentinois sont formidables", qui venait de paraître. Cette année, je n'ai pas pu échapper à la curiosité sur l'élection du secrétaire de section, qui intrigue : Qu'allez-vous faire ? Y aura-t-il vraiment un nouveau vote ? Quelles seront les suites ? me demande-t-on fréquemment.

J'ai du mal à répondre, je suis gêné : je suis certain d'être dans mon bon droit et les derniers développements tournent en ma faveur, mais en même temps j'ai bien conscience que l'image que les socialistes donnent d'eux-mêmes est catastrophique. Peu de gens saisissent vraiment ce qui se passe, l'histoire des motions leur échappe complètement. Ce qu'ils retiennent, c'est que les socialistes se disputent entre eux et qu'on m'empêche de me présenter, et ils ne comprennent pas pourquoi. J'avoue que ce soir, je n'ai guère fait d'efforts pour m'expliquer auprès des uns et des autres. Sans doute parce que ce n'était pas le lieu, mais surtout parce que je me rends compte que c'est l'ensemble des socialistes qui pâtissent de cet infernal et interminable feuilleton.

L'an prochain, au même endroit, j'espère de tout coeur être alors dans une autre peau, un rôle différent : celui qui aura été désigné par son parti pour affronter Xavier Bertrand aux élections municipales. Et là, dans le beau débat qui s'annoncera, j'aurai politiquement beaucoup de choses à dire. Nous en sommes encore loin, mais ça viendra très vite.

jeudi 10 janvier 2013

Bête et méchant





Ce soir, séance de café philo à la Brasserie du Théâtre, autour de la question : La bêtise est-elle forcément condamnable ? L'actualité m'a donné de riches sujets de réflexion ...

Mise au point



A la lecture du Courrier Picard d'hier et de L'Aisne Nouvelle de ce matin, j'apprends que la section socialiste de Saint-Quentin ne procédera pas à un nouveau vote pour élire son secrétaire, contrairement à ce que lui demande la direction nationale du parti. Cette décision est folle et consternante. Non seulement la règle qui veut que tout adhérent est libre de se présenter, soutenu ou non par une motion, n'est pas respectée, mais l'arbitrage du parti n'est pas suivi. La section de Saint-Quentin se place donc d'elle-même en zone de non droit, au regard de nos statuts et de notre hiérarchie.

Les justifications des deux candidats putatifs sont autant alambiquées que scandaleuses. Ce qui se lit clairement entre les lignes et derrière les prises de parole, c'est leur entente illicite qui pipe complètement le scrutin, qui cesse d'en faire un véritable débat politique, puisque le candidat de la motion 1 apporte son soutien au candidat de la motion 3, comme si l'un et l'autre étaient dans un arrangement d'intérêts mutuels, un partage des places, à la façon de ce qui s'est passé lors des dernières élections cantonales. Se faisant, ils donnent de la politique l'image la plus détestable qui soit : non plus une confrontation d'idées mais des alliances provisoires pour convenance personnelle.

Ce qui est également inacceptable sur le plan des principes, c'est leur manière de décider à la place des adhérents, de préjuger du résultat d'un nouveau vote, comme si celui-ci, à trois plutôt qu'à deux candidats, ne changeait absolument rien. L'insistance de l'actuel secrétaire de section invalidé à prétendre que je ne représente rien, alors même qu'il n'ose pas soumettre ma candidature aux voix, est insupportable de mauvaise foi. En démocratie, au parti socialiste, on ne se comporte pas comme ça.

A quelques mois de choisir notre tête de liste pour les élections municipales (mais ceci explique peut-être cela), les "responsables" locaux réalimentent, par voie de presse, un interminable feuilleton qui semble ne devoir jamais finir et qui discrédite l'image du parti socialiste auprès des Saint-Quentinois, alors que la solution est très simple et conclusive : il suffit de revoter, comme l'exige la direction nationale.

Je comprends d'autant moins ce refus qu'il n'y a en l'espèce aucun enjeu de pouvoir : n'étant pas officialisé par ma motion, son candidat étant en connivence avec l'actuel secrétaire, il n'y a pas de risque que l'un et l'autre perdent leurs prérogatives. Ma candidature ne vise ni ne menace personne, mais seulement à engager un légitime débat sur nos méthodes, nos actions, notre projet et notre avenir, car j'ai en la matière des analyses et des propositions à faire prévaloir.

Quelle sera la suite de cette triste polémique ? A l'occasion des voeux, j'ai demandé au premier secrétaire fédéral de l'Aisne de s'assurer que la décision nationale d'organiser un nouveau vote se fasse dans la plus stricte neutralité et régularité. J'ai toute confiance dans les instances de mon parti, départementales et nationales.

Si malgré tout la section locale, dont les adhérents n'ont même pas été informés de la situation, s'entêtait dans son déni de la règle et de la discipline, je porterai le contentieux à son plus haut niveau et me réserverai la possibilité, à regret, de faire appel à un recours légal extérieur au parti socialiste. Car j'ai en ma faveur la règle, la direction et la jurisprudence (dans plusieurs sections et quelques fédérations, des candidats d'une même motion se sont présentés, les uns officialisés par leur motion, les autres pas, sans que cette situation ne pose de problème). J'en déciderai courant février, laissant ce délai à mes camarades pour qu'ils retrouvent la raison et mettent en place le nouveau vote demandé par la direction.

Voilà la mise au point que je tenais à faire, en espérant qu'elle soit définitive.

mercredi 9 janvier 2013

La gauche n'a pas d'ennemis



Dimanche prochain, les opposants au mariage pour tous manifesteront, probablement nombreux, soutenus par l'UMP et l'Eglise catholique. En République, c'est leur droit le plus strict, qui ne doit susciter aucune remarque d'hostilité. La gauche au pouvoir défendra ses convictions et ses engagements, mais elle est au service de tous, doit être à l'écoute de tous, n'a donc pas d'ennemis car respectueuse de la liberté d'opinion. En renonçant à associer le mariage et la PMA (procréation médicalement assistée), la majorité parlementaire a fait preuve de prudence, de sagesse et d'ouverture. Sur les questions de société, parce qu'elles concernent toute la société, il est raisonnable de rechercher autant qu'il est possible le consensus, de ne pas heurter les consciences.

La gauche n'a pas non plus d'ennemis en matière économique et sociale. Ou plutôt si : ses seuls et uniques ennemis, c'est le chômage, les injustices, les inégalités de toute sorte. Mais le patronat n'est pas un ennemi : dans la négociation sur la flexi-sécurité, c'est la recherche du compromis, qualifié par François Hollande d' "historique", qui est privilégiée. Si l'expression de "partenaires sociaux" a un sens, c'est bien celui-là : des partenaires, avec lesquels nous travaillons, sans être toujours d'accord, mais dans le souci de mettre nos signatures au bas d'un texte commun.

La gauche n'a pas pour ennemis les corps intermédiaires, qu'elle ne considère pas, à la différence du pouvoir précédent, comme des obstacles ou des résistances aux réformes nécessaires. Quand un projet est bon, il faut en discuter pour convaincre, non pas vouloir l'imposer de force. Ainsi, en matière scolaire, les changements sont toujours délicats. Celui qui porte sur les rythmes scolaires, très important, mérite d'être expliqué et concerté. Les élus locaux, les associations de parents, les syndicats enseignants doivent être, là aussi, écoutés : c'est la ligne de conduite du gouvernement Hollande-Ayrault, quitte à irriter les impatients ou à contrarier les radicaux.

A Saint-Quentin aussi, la gauche n'a pas à avoir d'ennemis. C'est moins en critiquant qu'en proposant que le parti socialiste retrouvera auprès des électeurs la considération qu'il a depuis quinze ans perdue. Tout maximalisme est contre-productif. Les Saint-Quentinois n'attendent pas de nous qu'on dénigrent mais qu'on construisent. Respecter Xavier Bertrand et son équipe, ce n'est pas renoncer à ce qu'on est : au contraire, c'est se donner un projet, une présence et une identité fortes.

Le moment venu, je proposerai à mes camarades de représenter, en leur nom, cette ligne respectueuse et constructive, la seule selon moi qui peut nous conduire à la crédibilité et à la victoire. Mais sans hostilité ni animosité à l'égard de l'actuelle équipe municipale, qui a ses qualités et ses réussites. Ce qui ne m'empêchera pas, avec fougue et énergie, de défendre l'an prochain, si mes camarades m'accordent leur confiance, une alternative de gauche. Car la démocratie ne fonctionne que si elle offre aux citoyens un véritable choix.

mardi 8 janvier 2013

Cahuzac explose Mélenchon



C'est un peu par hasard que je suis tombé hier soir sur le débat Jérôme Cahuzac-Jean-Luc Mélenchon, sur France 2. J'ai suivi jusqu'au bout, c'était passionnant. A ma connaissance, c'est la première fois qu'un haut responsable socialiste, membre du gouvernement, s'en prend aussi violemment au leader du Front de gauche (traité de "clown", de "se foutre du monde"). Ce n'est pas pour me déplaire : Mélenchon, qui a décidé de parier sur la défaite des socialistes, n'a que ce qu'il mérite. Enfin un social-démocrate décomplexé, qui ose attaquer la gauche radicale ! Jusqu'à présent, le PS essayait d'arrondir les angles, de s'accommoder d'une gauche critique, se disant que de toute façon la discipline républicaine la rangerait de son côté au moment des élections. Non, ce n'est pas ainsi qu'il faut raisonner : en politique, on ne peut pas à la fois être pour et contre, il faut choisir, les propos tenus, surtout lorsqu'ils sont critiques, engagent devant l'électorat.

Jean-Luc Mélenchon s'en sort bien dans les débats quand il a en face un homme de droite ou un socialiste timoré, qu'il peut alors écraser par son lyrisme et son audace : les grandes gueules sont comme ça, très sûres d'elles dans la caricature et l'outrance. Mais quand elles doivent affronter un homme compétent qui ne s'en laisse pas compter par des grands discours et des gesticulations, il n'y a plus personne, les masques tombent. Hier soir, Mélenchon a donné de lui-même l'image la plus grotesque, sa rhétorique tournant à vide, ses effets de manche et ses regards furibards faisant un flop. Je crois qu'il a eu conscience du désastre qu'il produisait, son visage exprimant régulièrement le désarroi devant un redoutable débatteur que visiblement il n'attendait pas et qui l'a écrasé de sa supériorité intellectuelle. Cahuzac, en revanche, offrait une apparence de calme, presque de détachement, avec un petit sourire qui en disait long sur le jugement qu'il portait sur son contradicteur.

Sur la fiscalité et la CSG, Mélenchon a été complètement à la ramasse, allant jusqu'à avouer que sans ses fiches il ne maîtrisait pas le sujet (!). Cahuzac, lui, étalait tranquillement ses mains sur la table, sans aucun papier pour le guider, rendant coup pour coup, attaquant plus qu'à son tour : un vrai régal ! Sur l'endettement de la France, l'absurdité de Mélenchon a atteint son comble : la dette, on la remboursera quand on pourra, a-t-il lancé, avec cette assurance bouffonne qui généralement impressionne. Mais pas là : Cahuzac a expliqué qu'une telle politique entraînerait immédiatement l'arrêt des prêts accordés à notre pays, qui très vite ne pourrait plus payer ses fonctionnaires et financer ses investissements. Mélenchon à la tête d'un gouvernement, ce serait la faillite assurée, la Grèce avant l'heure.

A la fin du débat, Méluche à la peine a tenté une dernière grosse feinte : il nous a fait le coup de la "lutte des classes", qui fait toujours vibrer à gauche, surtout quand on n'a rien dans la tête. Cahuzac a porté le coup de grâce : la lutte des classes, c'était Sarkozy, lorsqu'il opposait les Français les uns et autres, catégories contre catégories. Hollande, c'est tout le contraire, c'est la réconciliation, c'est le compromis, en bon social-démocrate qu'il est. Le rapport de forces, je l'ai souvent remarqué et écrit sur ce blog, c'est la chansonnette des petits bras. En réalité, tout rapport de forces ne profite qu'aux plus forts, et dans l'ordre social aux patrons, à la bourgeoisie, au pouvoir, sûrement pas à la rue et aux classes populaires (sauf contexte historique particulier, 1936 ou 1968, mais ça n'arrive que deux ou trois fois par siècle, il ne faut pas trop compter là-dessus).

Je l'avoue, j'ai été impressionné par Jérôme Cahuzac, son sang-froid, sa cohérence, sa fermeté, sa maîtrise des dossiers (ce type est chirurgien de métier mais domine parfaitement les questions économiques). Hier soir, j'avais le sentiment d'avoir devant moi, sur l'écran, un possible futur Premier ministre. Il est de la trempe des Mendès, Rocard, DSK. En tout cas, voilà un digne représentant des socialistes et de leur politique.

A la décharge de Mélenchon, que j'aime bien malgré tout parce qu'il a le courage de venir débattre pour défendre ses idées, je dirais que son projet ne pourrait retrouver toute son intelligence que dans une société totalement différente de la nôtre, où la France aurait rompu avec le reste du monde. Ce projet, c'est celui qu'a porté et revendiqué le courant révolutionnaire et communiste tout au long du siècle précédent. Je ne méconnais pas sa grandeur ; peut-être même qu'une petite moitié de l'humanité a eu raison de vouloir l'expérimenter. Mais comment ne pas constater aujourd'hui que l'échec a été patent, que le beau rêve s'est terminé en tragédie ? On peut, si on veut, continuer à rêver avec Mélenchon ; mais c'est avec Cahuzac qu'il faut gouverner.

lundi 7 janvier 2013

Pascal Cordier, number one



Je ne le connais pas, mais j'en entends parler (jusque dans l'avion me ramenant de Djibouti, où le pilote avait été invité par lui à son meeting aérien). Nous n'avons discuté qu'une seule fois, pas très longtemps. Les lecteurs du Courrier Picard en ont fait à Saint-Quentin l'homme de l'année. C'est une raison suffisante pour lui consacrer ce billet.

Pascal Cordier est ce qu'on appelle une "personnalité locale", catégorie qui ne veut pas dire grand chose, mais qui a quand même un sens : c'est quelqu'un qui fait causer, en bien ou en mal, dans les conversations publiques ou privées, et dont on voit la photo dans le journal, quelqu'un qui ne laisse pas indifférent. C'est la définition de base. Mais qui est Pascal Cordier, et que fait-il ?

Professionnellement, il est présenté souvent comme "homme d'affaires", une catégorie aussi vague que celle de "personnalité locale". Mais l'étiquette est toujours impressionnante, justement parce qu'elle a une part de mystère. Car les "affaires" veulent tout dire et rien dire. La seule certitude, c'est le rapport à l'argent, puisque les "affaires" sont faites pour en gagner. Et l'argent, c'est le pouvoir.

Pascal Cordier est donc perçu comme quelqu'un qui a "des moyens", sans qu'on sache très bien lesquels. Mais c'est le lot de tous les personnages publics qu'on dit "connus", qu'on croit connaître : en réalité, on sait très peu sur eux, il ne reste que la façade officielle. Le rapport à l'argent suffit à faire de vous quelqu'un d'un peu sulfureux. Je n'ai jamais compris qu'on puisse affirmer que l'argent n'a pas d'odeur : il en a une, le soufre, comme autrefois le démon. Mais je n'en conclus pas que Pascal Cordier soit apparenté avec le diable ...

Pour être connu, il faut se faire connaître. Et pour se faire connaître, il faut rencontrer des gens, des tas de gens, très différents. On cesse alors d'être un anonyme, on vous "reconnaît", dans la rue, dans les manifestations. Pascal Cordier en est arrivé là, avec un épais carnet d'adresses (sûrement électronique aujourd'hui). Bref, il a beaucoup d' "amis", ce qui fait de lui un homme "influent".

L'influence, voilà encore un concept indéterminé et lui aussi un peu mystérieux, qui fait parfois fantasmer. Car de l'amitié à la protection, il n'y a qu'un pas, qu'on franchit souvent trop rapidement. La plupart des gens vivent en cercle relativement restreint : famille, voisinage, amis, collègues. Cordier fait partie de ceux, très peu, qui élargissent considérablement le cercle de leurs connaissances, jusqu'à des horizons insoupçonnés. C'est une situation qui étonne parce qu'on n'y est pas habitué.

Et puis, un personnage est doué d'un physique, et Pascal Cordier cultive le sien avec soin. Il se tient droit, porte beau, on a l'impression qu'il sort de chez le coiffeur et de chez son tailleur, toujours bien sapé, la mèche de cheveux très maîtrisée. C'est incontestablement un séducteur, ce que les dames appellent "un bel homme". Et pas bête avec ça : il parle bien, cherche à convaincre l'interlocuteur, ne manque pas d'arguments, ne s'en laisse pas conter, s'exprime avec assurance. Pour bien montrer qu'il a "réussi", Pascal Cordier rappelle fréquemment d'où il vient, meilleure façon d'apprécier où il est arrivé : lui, c'est la chaîne de montage de l'usine MBK. D'ouvrier à homme d'affaires, beau parcours, une vraie succes story!

On lui prête beaucoup d'ennemis, et la rumeur publique est en la matière très généreuse. Mais une notoriété se construit pour moitié sur les amis qui vous apprécient et parlent de vous et pour moitié sur vos ennemis qui assurent efficacement votre promotion en ne cessant de vous critiquer. A choisir, les seconds sont paradoxalement plus précieux que les premiers, puisqu'une notoriété résulte beaucoup plus des méchancetés que des gentillesses qu'on vous adresse. De ce point de vue, Pascal Cordier est plus redevable à ses adversaires qu'à ses amis.

Ce qu'on ne lui pardonne surtout pas, c'est de faire des choses, d'organiser sur la ville de méga-évènements. Mettez-vous à la place de ceux qui ne font rien de plus que leur vie de famille, travail et loisirs (en quoi ils ont bien raison car c'est déjà beaucoup), et qui représentent la très grande majorité de la population : c'est agaçant de voir quelqu'un qui se démène plus que ne l'exige une existence normale. L'admiration qu'on se sent obligé de lui porter vous écrase et met en relief vos propres faiblesses.

Pascal Cordier, parti comme il est parti, pourrait-il se retrouver en politique ? Certains lui prédisent de ce côté-là un bel avenir, et une place dans la prochaine équipe municipale. Je ne le crois pas, je ne le vois pas devenir adjoint au maire : il n'a pas la docilité qui convient à la fonction. Est-il de droite ou de gauche ? Je n'en sais rien, je pense que c'est avant tout un gagnant qui est du côté des gagneurs, ce qui est, à Saint-Quentin, une façon de répondre à la question.

Beaucoup de choses me séparent de Pascal Cordier, et quelques-unes me rapprochent de lui, suffisamment pour que j'ai envie d'en savoir plus. Et si on prenait un verre ensemble à l'occasion de la nouvelle année ? Je lui laisserai bien sûr régler l'addition ...