mercredi 31 août 2011

Le grincement des girouettes.



La politique, comme n'importe quelle activité humaine, a ses grandeurs et ses faiblesses. La pire de ses faiblesses, pour laquelle je n'ai aucune indulgence, c'est le retournement de veste, la trahison, la lâcheté. Dutronc en a fait une chanson amusante, le bon sens populaire fustige à juste titre les "girouettes". Le vent qui les fait grincer, c'est celui, euphorisant, du pouvoir, selon la loi atmosphérique qui veut qu'un individu normalement constitué aura une irrépressible tendance à se rapprocher de celui ou celle qui représentent un pouvoir, réel ou supposé.

J'entends depuis quelques heures que certains socialistes "prennent leurs distances" à l'égard de DSK. Bel euphémisme, comme on les aime en politique, pour désigner diplomatiquement le lâchage, le reniement. C'est tout de même paradoxal : au moment où DSK est blanchi par la justice (ce qui n'était pas gagné d'avance) et où il s'apprête à rentrer innocent en France, quelques camarades s'éloignent prudemment. Les mêmes, aux premiers jours de cette affaire et dans les semaines qui ont suivie, l'ont pourtant soutenu. Qu'a-t-il bien pu se passer entre-temps ?

C'est très simple : les récents sondages manifestent une évolution de l'opinion vis-à-vis de DSK, qui se montre beaucoup moins favorable qu'au départ, où la stupéfaction, le soupçon de complot et l'indulgence étaient alors dominantes. Or, il y a une élection à gagner, il faut avoir l'opinion avec soi et DSK a perdu de son influence. Donc, il devient moins fréquentable. Voilà la terrible loi de la politique, à laquelle évidemment je n'adhère pas.

Et puis, il y a cette détestable obsession : que s'est-il passé dans la chambre du Sofitel ? Pour ma part, j'espère bien que personne ne répondra jamais à cette impudique interrogation. Il faut que cette chambre garde son secret, celui de la vie privée, puisque la justice est passée. De toute façon, si nous ne savons pas, nous devinons tous ce qui s'est passé : rien, absolument rien que de très banal qui puisse avoir lieu entre un homme et une femme, dans l'ambiguïté des rapports humains, sans gloire mais sans crime. Oublions ça, qui n'a ni intérêt, ni utilité.

Pour le reste, méprisons de bon coeur celles et ceux qui, en politique, modulent leur point de vue, non en fonction de la vérité ou de leurs convictions, mais selon les opportunités du moment, un jour soutenant celui-ci, le lendemain celui-là, défendant telle ligne puis telle autre par convenance personnelle, affirmant sans aucune gêne, avec même la pointe d'arrogance et de fierté requises, le contraire de ce qu'il pouvait dire auparavant. Quant à moi, s'il ne restait plus qu'un seul strauss-kahnien au monde, je serais celui-là, sans prétention mais naturellement.

Mauvais genre.



Ce matin, en me levant, j'ai regardé mon sexe. Pas par narcissisme, car dans ce cas, c'est le nombril qui est visé. Non, je voulais m'assurer qu'il était bien à sa place, que je n'en avais pas changé pendant la nuit. Cette entrée en matière étant un peu abrupte, je m'explique : hier soir, en me couchant, j'ai entendu à la radio que des députés UMP étaient furax à cause d'une "théorie des genres" enseignée désormais dans nos écoles à la rentrée.

Si j'ai bien compris ce que nos parlementaires ont peut-être pas très bien compris, c'est que le sexe n'avait plus aucune importance pour la condition humaine, que le "genre", masculin ou féminin, était déterminé par notre environnement. D'où ma petite vérification matutinale. Je vous rassure : rien n'a changé, je ne suis pas Emmanuelle.

Mais que faut-il penser de cette "théorie" qui fait polémique, qui a un petit goût de scandale la veille de la rentrée des enseignants et, lundi prochain, des élèves ? J'ai des amis homosexuels, et même quelques bisexuels parmi mes connaissances. En cherchant bien, je devrais sans doute trouver des trisexuels. Pourquoi eux sont-ils ainsi, et moi banalement, pauvrement hétérosexuel ? Je ne sais pas, je n'ai aucune explication à proposer.

A vrai dire, je m'en moque totalement, ça ne m'intéresse pas. L'évidence me fait constater que l'espèce humaine est composée d'hommes et de femmes. J'en reste là, je ne vais pas plus loin. Mais si la "théorie des genres" signifie que les rôles masculins et féminins sont largement construits par la société, c'est une autre évidence, bien connue depuis fort longtemps. "On ne naît pas femme, on le devient", c'est la théorie cette fois de Simone de Beauvoir, dans son ouvrage "Le deuxième sexe", paru après la Seconde guerre mondiale. Les députés UMP tardent un peu dans leur indignation !

Un autre UMP, mais ministre de l'Education nationale, annonce que la morale sera désormais enseignée à l'école. Depuis que je suis enseignant, et même peut-être élève, j'entends dire ça. Comme si la morale était absente de nos classes ! Mais arriver à l'heure, respecter ses camarades, obéir au professeur, prendre soin de son matériel, faire le travail demandé, suivre le règlement scolaire, c'est de la morale, et de la meilleure qui soit : la morale mise en pratique. Car écrire une belle formule au tableau ou raconter une histoire édifiante, ça ne vaut pas tripette, les élèves vous rient au nez ou sous cape.

La vraie nouveauté qui s'annonce en cette rentrée, ce n'est pas la "théorie des genres" ou l'introduction de la morale, mais l'apprentissage du permis de conduire au lycée. Ce que j'en pense ? Que dans la même veine, nos lycéens pourraient apprendre à faire la cuisine, à s'initier au bricolage, à pratiquer quelques indispensables loisirs, et sûrement plein d'autres choses socialement fort utiles. Et les maths, l'histoire, la philo et quelques disciplines ? Pourquoi pas les reléguer après les cours, prises en charge par le secteur privé, par exemple. Mais je crains que tout ça ne fasse mauvais genre.

mardi 30 août 2011

8 millions de pauvres.



L'Insee a publié aujourd'hui une étude accablante : en 2009, 8,2 millions de pauvres en France, 13,5% de la population qui vit avec moins de 954 euros par mois (dont la moitié à moins de 773 euros). Le chiffre est en progression. Conclusion de l'Institut de la statistique : la crise financière de 2008 a beaucoup plus frappé les classes modestes que les classes moyennes.

J'avoue ne pas avoir eu besoin de ces savantes estimations pour en arriver, par bon sens, observation et réflexion, à la même conclusion. Dans notre société, ce sont d'abord les pauvres qui morflent. Ça n'a pas toujours été le cas. Longtemps, le christianisme, prônant la charité, assurait une certaine protection des pauvres. Puis, c'est le communisme et la solidarité ouvrière qui ont pris, dans une autre perspective, le relais.

Et pourtant, la France est un pays riche, avec une économie développée, une protection sociale très large, une conscience progressiste forte. La pauvreté existera probablement toujours, pour de multiples raisons, mais on pourrait espérer qu'elle subsiste à l'état résiduel ou temporaire. Dans une société moderne, 8 millions de pauvres, 13% de la population, c'est un insupportable et même inexplicable scandale.

Aujourd'hui, et depuis une vingtaine d'années, les pauvres suscitent autour de nous un profond et injuste mépris. Dans une société qui vénère essentiellement l'argent, le pauvre est le réprouvé, le bouc émissaire, celui qu'on accuse de tous les maux. Combien de fois entendons-nous des amis, y compris parfois de gauche, dénoncer l'assistanat, s'en prendre aux SDF qui ont soi-disant une grosse bagnole, critiquer les familles qui détournent les allocations, accuser les parents pauvres de mal éduquer leurs enfants ? C'est le syndrome de l'écran plasma, cette haine odieuse du pauvre.

C'est que les pauvres n'ont personne, aucune organisation, aucun porte-parole pour les défendre. Être pauvre, ce n'est pas très bien porté dans les médias. Qu'est-ce que peut nous apporter un pauvre ? Rien, sinon la honte, la mauvaise conscience. Quelqu'un qui n'a pas d'argent, pas de relations sociales, c'est quelqu'un qui est mort, dont on ne se fait pas un ami. Au-delà des statistiques, le drame de la pauvreté est là, dans cette opprobre qui frappe désormais les pauvres. La misère matérielle a toujours existé, souvent plus cruelle qu'aujourd'hui. Mais jamais les pauvres n'ont été autant rejetés, refoulés, rabaissés.

A la suite de mon billet d'hier, je crois qu'il y a pour la gauche toute une partie de la population à retrouver, à écouter, à soutenir, en proposant des solutions à la pauvreté. J'aimerais que l'un des thèmes de la campagne des présidentielles soit celui-là.

lundi 29 août 2011

Attention, camarades.



Je suis satisfait de ce début de primaires au PS. L'université de La Rochelle a confirmé la ligne social-démocrate désormais dominante, à laquelle adhèrent très largement les deux candidats en capacité de l'emporter, Martine Aubry et François Hollande. Pendant l'été, l'un et l'autre ont insisté sur le problème de la dette publique.

Très bien : la justice sociale ne peut se pratiquer qu'avec des finances saines, une gestion équilibrée. Je ne comprends pas que le mot de "rigueur" puisse faire peur, même à droite. Et aujourd'hui, c'est la sécurité qu'Aubry et Hollande revendiquent. Normal là-aussi : c'est une préoccupation des français, il faut donc que les socialistes s'en préoccupent.

Ceci dit, je ne pense pas non plus que le PS puisse en rester à ces thèmes, aussi essentiels soient-ils. Sur quoi nous attend notre électorat ? Sur nos propositions sociales, qui sont quand même la raison d'être et la finalité de la gauche. Pour le moment, je n'en vois pas trop, du moins qui soient lisibles et parlantes pour l'opinion, ni chez Martine, ni chez François. Cela viendra sûrement, je n'en doute pas. Car la mobilisation des nôtres ne pourra se faire qu'autour d'un projet social.

Le problème est plus sociologique que politique. Aubry et Hollande ont choisi de s'adresser aux classes moyennes, qui tiennent à leur protection sociale, qui veulent maintenir leur pouvoir d'achat, qui ont des économies, parfois des placements à préserver, qui ne renoncent pas à leur train de vie (consommation, propriété, vacances, promotion sociale de leurs enfants, confort environnemental). C'est légitime, le PS doit prendre ces revendications en compte. Mais il ne saurait s'en contenter, ni les privilégier.

L'enjeu électoral fondamental est ailleurs, du côté des classes populaires, avec d'autres préoccupations : le chômage, la précarité, les bas salaires. Il faut que nos camarades Aubry et Hollande parlent aux ouvriers, aux employés et aux exclus, pas seulement aux fonctionnaires, cadres et professions libérales.

C'est pourquoi nous ne devons pas sous-estimer les candidatures d'Arnaud Montebourg et Ségolène Royal, qui ne gagneront certainement pas mais feront des scores plus importants qu'on ne le croit, et joueront les arbitres, les faiseurs de roi au second tour. Je ne soutiendrai aucun des deux, puisque mon choix s'est porté sur Hollande, dès l'échec de DSK ; mais je suis bien forcé de reconnaître qu'Arnaud et Ségo s'adressent, chacun à sa façon, aux classes populaires.

Montebourg a décidé d'occuper un créneau non négligeable au PS, lié à son histoire et toujours présent, actif et influent : son aile gauche, qui ne s'est jamais vraiment remise du départ de Jean-Luc Mélenchon, son tribun, son mentor. Avec Arnaud Montebourg, elle retrouve incontestablement une jeunesse et surtout une assise intellectuelle, en ne se bornant plus à répéter les slogans d'il y a trente ou quarante ans.

En effet, Montebourg s'est rapproché d'intellectuels en vue, a puisé aux travaux d'économistes parmi les meilleurs, a su imposer dans le débat le concept de "démondialisation", comme il l'avait fait, à l'époque du NPS, avec le concept de "sixième République". Or, la critique de la mondialisation court fréquemment dans les classes populaires, alors que les classes moyennes, pour des raisons culturelles, s'en accommodent plus facilement.

Ségolène Royal, comme en 2007, est la candidate de la souffrance sociale, pleine d'empathie, avec une tonalités radicale, incarnant un maternalisme assez étonnant mais efficace. Les classes populaires, en quête de protection, sont sensibles à cette ligne originale, qui n'est pas plus à mon goût que celle d'Arnaud, mais qui parle au coeur, qui fait vibrer, qui mobilise. C'est à méditer, si nous ne voulons pas que notre électorat populaire ne se tourne vers l'extrême droite ou à nouveau vers Sarkozy. Attention, camarades ...

dimanche 28 août 2011

Des mots et des images.



Dans l'idéal, la politique ne devrait reposer que sur des analyses et des idées. En réalité, elle est faite surtout de mots et d'images. C'est du moins ce qu'on retient d'elle, le plus souvent. C'est moins bien mais c'est plus simple, les mots et les images. C'est peut-être inhérent à la démocratie. Cette réflexion, elle m'a été confirmée en suivant l'université d'été du parti socialiste à La Rochelle.

Cette rencontre traditionnelle a un objectif essentiellement médiatique : mettre en scène la rentrée collective des socialistes. Dans le genre, c'est plutôt réussi puisque les médias n'ont parlé que de ça durant tout le week-end. Suprême consécration : les adversaires politiques, de droite comme de gauche, ont apporté leurs commentaires, bien sûr critiques.

Le mot qui a fait mouche, une grosse mouche bleue bien bourdonnante, c'est dès le début de l'université celui de "chochotte", lancé par Cambadélis sur son blog, sans nommer personne mais en pensant très fort à Hollande. Pas très gentil, évidemment. La première image qui a marqué, c'est celle d'une chaise vide, celle d'Hollande à l'ouverture des travaux. Les explications les plus baroques ont été avancées pour justifier ce fameux vide, en quelque sorte le combler. Hollande s'en est sorti comme à son habitude : avec humour.

La deuxième image était censée effacer la première, qui avait jeté un froid : la bise de Martine à François, alors que celui-ci était en plein exposé et que celle-là, imprévue, s'invitait. Le baiser de réconciliation a été si spectaculaire que sa photo a fait la une du Journal du Dimanche ! Mais attention avec les images, qui se retournent au moindre coup de vent : en matière de baiser, on se souvient de celui de Judas au Christ ...

La dernière image, ce matin, concluait ces journées "universitaires". C'est celle dont les militants rêvaient, le passage quasi obligé : dans n'importe quelle fête de famille, il y a la photo de groupe, où tout le monde est heureux le temps d'un cliché, même ceux qui se détestent et qui font bonne figure devant le petit oiseau qui va sortir. Cheeese ou ouistiti, tous sourient.

En politique, c'est un peu différent : chacun prend la main de ses voisins, en l'occurrence les candidats aux primaires, et les lèvent très haut, devant le public, comme au théâtre les comédiens saluent à la fin, mais sans la tête qui s'incline pour remercier.

Je ne sais pas ce qui restera de l'événement. Il y avait incontestablement de la tension dans l'air, de l'artifice dans les postures et les déclarations, mais pas d'affrontements violents, pas non plus d'indifférence ou de mépris. Au final, c'est la bonne volonté et la retenue qui l'ont emporté. C'est déjà ça, ce n'est pas si mal.

samedi 27 août 2011

Mourir bêtement.



Les vacances d'été sont la période des faits divers, sans doute plus remarquables quand l'actualité nationale et internationale est moins riche. Trois d'entre eux, qui ont la mort en commun, m'ont frappé : un adolescent enterré dans le trou qu'il avait lui-même creusé sur la plage ; un homme déshydraté dans sa voiture verrouillée, devant chez lui, sous le soleil ; un enfant noyé dans une piscine, alors que sa mère lui a ôté ses brassards et lui ramène ses vêtements.

Ces trois décès retiennent mon attention et me heurtent parce qu'ils étaient totalement évitables, avec un peu d'attention, de prudence, de jugeotte. Ce sont des morts bêtes, stupides, absurdes, qui laissent stupéfaits, interloqués, en nous demandant comment elles ont pu advenir ? La mort est injuste et atroce, mais la mort par inadvertance, presque par étourderie, l'est encore plus. On est pris d'un rire cruel et rageur qui se mêle à nos pleurs, à l'écoute d'aussi invraisemblables mais hélas bien réelles histoires.

Depuis que l'humanité existe, la mort est généralement une fatalité, l'issue biologique de l'existence, ou bien une tragédie, sur le champ de bataille, contre la maladie, face aux forces destructrices de la nature. Dans les trois cas mentionnés, rien de tel : pas de danger, pas de circonstances exceptionnelles, seulement une mort au quotidien, dans la banalité et la douceur de la vie.

C'est d'autant plus choquant que l'être humain dispose en lui de ressorts puissants qui le conduisent à résister contre la mort et qui font qu'on ne meurt pas si aisément que cela. Or, dans nos trois exemples, la mort prend des allures de mauvaise surprise, de sale tour, d'une facilité déconcertante, d'une imprévisibilité totale, un incompréhensible et scandaleux coup du sort. Serait-il donc possible que la vie cesse quasiment par hasard ? Autrefois au moins, la mort était liée au destin, contre lequel on ne pouvait rien, d'où l'on tirait consolation, résignation et sagesse. Mais mourir bêtement, non, c'est inacceptable !

Je crains que ces morts idiotes, que beaucoup probablement refuseront de reconnaître comme telles, en partant à la chasse aux "responsables", aux boucs émissaires, en cherchant désespérément à les "rationaliser" pour les conjurer, ne se multiplient dans nos sociétés modernes. Déjà, de simples accidents ou incidents plus ou moins graves ne cessent d'étonner : des promeneurs en montagne surpris par le mauvais temps et sauvés par voie d'hélicoptère, des automobilistes abandonnant leurs véhicules pris par la neige et errant désemparés, hagards, en pleine campagne, etc.

Ce que nous apprennent tous ces faits divers, c'est que l'homme d'aujourd'hui ne sait plus s'adapter à son environnement, en est la victime improbable, jusqu'à en mourir dans certains exemples extrêmes. La civilisation contemporaine, par rapport à celles du passé, se caractérise par un haut niveau de sécurité et un confort généralisé, qui ont amenuisé considérablement les défenses naturelles de l'être humain. A force de vivre dans un environnement heureux et favorable, nous avons oublié que le monde le plus proche, le plus quotidien, pouvait nous être hostile, se montrer périlleux.

Nos anciens, il n'y a pas si longtemps, se battaient pour la survie. Cette obligation les rendait très forts, très avisés. Regardons autour de nous : beaucoup de gens ont des comportements relâchés, négligeants, à défaut d'avoir été élevés dans une culture du risque. Nous avons perdu des réflexes, des instincts qui jadis permettaient de rester en vie. Le déclin des menaces nous a fait baisser la garde, nous a rendus incroyablement vulnérables. Je suis régulièrement surpris par la fragilité physique et psychique de bien des personnes, par ailleurs tout à fait normales et équilibrées, que je peux croiser, rencontrer ou observer, à la fois insouciantes et peureuses. Un rien nous inquiète et nous sommes pourtant distraits.

La première cause, c'est que nous avons rompu le lien millénaire avec la nature. Nous ne savons plus trop comment agir face à elle, nous n'avons plus l'expérience de sa violence, de sa sauvagerie. Du coup, nous faisons n'importe quoi, nous nous comportons n'importe comment, jusqu'à l'inconscience qui peut être mortelle. A force d'idéaliser la nature végétale ou animale, nous avons occulté sa réalité, nous sommes devenus ses proies souvent anodines et d'autant moins méfiantes.

La deuxième cause, c'est la croyance absolue que nous portons à la technique, à ce monde artificiel que nous avons créé et qui nous semble sans danger puisque nous en sommes les maîtres et inventeurs. La technologie est à l'évidence la religion, l'idolâtrie d'aujourd'hui, tellement elle est merveilleuse et miraculeuse. Pourquoi pas, à chacun sa religion, même si je n'en suis personnellement pas adepte et pratiquant. Mais pas au point de s'aveugler, de devenir fanatique : la technique n'est pas spontanément gentille et obéissante. A cause d'elle, nous avons déclenché des forces qui parfois nous échappent et peuvent éventuellement se retourner contre l'homme. Autant en avoir conscience et prendre ses précautions. Sinon, les accidents domestiques deviendront de plus en plus nombreux, à nos yeux naïvement incrédules. Il est assez embêtant et douloureux de mourir naturellement ; autant ne pas mourir bêtement ...

Les dessous de La Rochelle.



Pendant dix ans, j'ai fréquenté l'université d'été du PS à La Rochelle. Pour rien au monde, je n'aurais raté cet événement de fin de vacances, j'aurais tué père et mère pour en être. J'y suis même un jour allé en stop, dans les débuts ! Installé à Saint-Quentin, devenu secrétaire de section, je rentrais de La Rochelle avec une photo pour la presse locale, ce qui énervait certains camarades qui s'énervent pour un rien. Et puis, j'ai renoncé à ce rituel, je ne suis plus allé à La Rochelle. Ce n'est plus de mon âge (politique), je suis trop vieux dans le parti pour faire le voyage.

Pourtant, que de beaux souvenirs ! A La Rochelle, nous sommes tous jeunes, bronzés, intelligents et socialistes ... et surtout très, très nombreux. L'air vif de l'océan fait du bien, nous change des réunions miteuses à quelques-uns. La Rochelle, c'est le PS tel qu'il se rêve. Les grands y croisent les petits, échangent parfois entre eux. C'est notre festival de Cannes, avec montée des marches pour les stars (l'arrivée des leaders nationaux au milieu d'un essaim de journalistes et de caméras) et déshabillage des starlettes sur la plage (là, il ne s'agit que des confidences à la presse, sur le Vieux Port, des seconds couteaux).

Alors, La Rochelle n'est plus La Rochelle, mais une ville repeinte en rose : dans les rues, à la terrasse des cafés, partout des socialistes rencontrent d'autres socialistes, connus ou anonymes, et se racontent des histoires de socialistes. On dirait presque un parc d'attraction, Socialism Land, particulièrement en soirée. Pour les uns, c'est l'occasion de tester leur popularité ; pour les autres, d'exercer leur curiosité et leur admiration ; pour tout le monde, de boire, manger et rigoler.

Le vendredi soir ont lieu les traditionnelles réunions de courant, dispersées dans la ville, où chacun se rend avec une mine de faux comploteur, surtout intéressé par ce qui se dira chez les camarades concurrents, ce dont nous sommes avertis par SMS durant le dîner. Les salles sont d'autant plus petites que les partisans sont nombreux : il fait chaud, on crie beaucoup, on s'excite, c'est bon. On en sort gonflés à bloc, forts comme des lions, on se calme un peu en rentrant à son hôtel, dans la nuit douce et les odeurs du grand large.

Le lendemain, la journée du samedi, l'ambiance est complètement différente, la passion est momentanément retombée : place à l'activité studieuse et parfois austère des tables rondes et débats. A midi, les fédérations se retrouvent pour le déjeuner, toutes tendances confondues, et se réconcilient des excès de la veille. Le soir, c'est le grand dîner festif, où l'on chante et où l'on danse. Les présidentiables font le tour des tables, saluent, causent et sourient, se font volontiers prendre en photo, les militants jouant alors aux touristes.

De ces mémorables soirées de fraternité, il me reste quelques anecdotes personnelles non moins mémorables : par exemple d'avoir par mégarde déversé un verre de rouge sur la chemise blanche immaculée d'Arnaud Montebourg, qui ne m'en a pas voulu, en grand professionnel de la politique ; ou bien de m'être un peu accroché avec Jack Lang, trop condescendant à mon goût ; ou encore de ce slow avec Ségolène (Royal), dont elle ne se souvient sans doute pas, même si nous étions loin du couple Guy Bedos et Sophie Daumier.

Le dimanche, en fin de matinée, à l'heure où les catholiques vont à la messe, les laïques vont à la leur, et au bout du compte nous nous ressemblons : chez nous aussi, il y a un grand prêtre (le premier secrétaire), un sermon, des chants, des fidèles et beaucoup de foi. Il ne manque que l'eucharistie. La Rochelle, on y va, on y retourne et puis on finit par en revenir. Pour les jeunes, les nouveaux et les ambitieux, c'est très bien. Pour les autres, il reste internet et nos souvenirs.

vendredi 26 août 2011

A vot' bon coeur m'sieurs dames.



Rodrigue, as-tu du coeur ? Quel souvenir scolaire ! Et quelle question ! Aujourd'hui, plus besoin de Corneille : tout le monde a du coeur. Je fais remonter cet élan de bonté au débat Giscard-Mitterrand en 1974, qui se disputaient sur le "monopole du coeur". Depuis, nous avons progressé, nous sommes passés carrément à la dictature des sentiments.

Pire : des bons sentiments ! La compassion et l'empathie ont la cote. La bonne conscience et la bonne foi deviennent des arguments. On ne compte plus les épanchements envers les "victimes", forcément "en souffrance". En revanche, la raison et l'idéologie sont mal portées et mal vues. J'en veux pour preuve deux récentes initiatives :

D'abord, il y a cette révolte des hyper-riches contre eux-mêmes, à hurler de rire. Les simples riches ne sont pas concernés, pas assez riches pour impressionner. Non, ce sont les très riches, qui deviennent hyper-sympas puisqu'ils réclament à corps et à cris qu'on les taxe alors que personne ne leur demande rien. Après un si beau geste, on n'osera plus leur reprocher quoi que ce soit. C'est peut-être le sentiment de culpabilité qui les motive : en période de crise, il est sûrement obscène d'être hyper-riche. J'ai presque envie de plaindre leur cas de conscience ...

Il y en a un qui a senti l'arnaque médiatique, hyper-riche lui aussi, avec un coeur gros comme ça, qui n'apprécie pas qu'on l'impose à 3% seulement, trois petites gouttes d'eau prélevées dans un océan de milliards. Charles Aznavour, à l'instar des très riches américains, supplie qu'on lui enlève la moitié de sa fortune, l'autre moitié lui assurant de toute façon une vie de luxe éternel. Tu parles, Charles ! Quant à la dette publique, qui se chiffre elle aussi à plusieurs milliards, c'est l'océan qu'on veut éponger avec une serpillière.

Les hyper-riches d'un côté, les affamés de l'autre : voilà comment réagit une société qui a du coeur. Mon deuxième exemple de la dictature aveugle des bons sentiments, c'est le mouvement de solidarité envers la Somalie frappée par la famine. La presse locale et nationale ont fait état d'une collecte de denrées alimentaires non périssables assurée par "des jeunes de banlieue". L'Afrique qui crève de faim alors que nous cherchons tous à mincir, bien conscients que nous bouffons trop, ça la fiche très mal.

Notre société se rachète comme elle peut : elle déteste les pauvres, soupçonnés fréquemment de détourner leurs allocs pour acheter des écrans plasma et téléphones mobiles dernier cri, mais applaudit à la taxation des hyper-riches ; elle déteste tout autant les "racailles" de banlieue mais se félicite de les voir se transformer en abbé Pierre et mère Teresa. Sauf que tout ça, dans un cas comme dans l'autre, c'est pipeau.

Christophe Hondelatte m'a ouvert hier soir les yeux, en poussant un salutaire coup de gueule dans l'émission "On refait le monde", sur RTL. C'est un journaliste libre et compétent, bon connaisseur de l'Afrique : l'envoi de denrées alimentaires, c'est une ineptie. La population là-bas a besoin d'une nourriture spécifique, nutritive, pas de nos paquets de nouilles ou boîtes de petits pois, si tant est qu'ils parviennent à destination. Au mieux, a très clairement expliqué Hondelatte, ce sont les pillards qui vont se goberger, sans profit pour les victimes de la famine.

Nous avons la main sur le coeur et pas très loin du portefeuille, mais pas grand-chose dans la tête. Inutile d'ailleurs : quand c'est l'intention qui compte, on peut faire l'économie de la réflexion. Les riches expient leurs richesses, les jeunes de banlieue se rachètent une bonne image et tout le monde se complaît dans ce beau miroir de la générosité universelle. Les résultats concrets, l'efficacité réelle ? Sans importance ...

jeudi 25 août 2011

Lapsus révélateur.





J'ai choisi de ne pas joindre de vignettes aux billets de ce blog, estimant que l'écriture se suffit à elle-même, qu'elle ne gagne pas à s'accompagner d'images. Je vais faire aujourd'hui une exception, parce que ce que j'ai à vous dire se voit mieux qu'il ne se dit. Et puis parce que vous n'êtes pas obligés de me croire, j'ai senti le besoin d'exhiber la preuve ci-dessus.

Je reçois presque chaque jour des invitations officielles, en tant que président de la Ligue de l'enseignement de l'Aisne ou de l'association Rencontre Citoy'Aisne, et même parfois en tant que rien du tout, simplement moi-même. La plupart viennent de la municipalité de Saint-Quentin, mais aussi de collectivités ou d'autres associations. Mon nom et mes fonctions sont bien sûr informatisés, issus de fichiers.

Ce matin, pour la première fois, un courrier du Conseil général de l'Aisne m'a honoré d'un titre usurpé : conseiller municipal, mairie de Saint-Quentin. Nous serions le 1er avril que je me serais méfié. J'ai pensé à une erreur comme il en arrive si facilement, une confusion avec mon homonyme Franck Mousset, conseiller municipal, réel et légitime cette fois, à la mairie de Saint-Quentin. Mais puisque mon adresse figure (avec une erreur dans le numéro de rue, qui ne m'a cependant pas empêché de recevoir le courrier), c'est qu'il n'y a pas substitution d'identité.

Cette petite histoire est embêtante : imaginez que je me pointe le 5 septembre à l'inauguration en question, sur la bonne foi de cette invitation, mais m'autorisant d'un mandat qui ne me revient pas, détournant une représentation politique, abusant le suffrage universel. J'en connais qui ne plaisantent pas avec ces choses-là. Un incident diplomatique est si vite venu. Les élus sont, avec raison, scrupuleux et exigeants à l'égard d'un protocole qui désigne des places chèrement acquises. Ce ne serait pas un crime de lèse-majesté mais sûrement de lèse-république. La symbolique n'est pas anodine ; les "grades et qualités", comme dirait l'autre, se respectent.

Mais qu'a-t-il bien pu se passer pour en arriver à cette amusante, anecdotique et mystérieuse coquille ? Étant comme tout le monde un peu freudien sur les bords, je ne vois que l'explication par le fameux lapsus révélateur, dont Freud nous dit qu'il exprime ce que l'inconscient n'ose dire clairement et explicitement. Bref, j'ai assisté ce matin à un petit retour du refoulé. Mes camarades du Conseil général m'ont pris pour ce que je ne suis pas mais qu'ils désirent que je sois, moi qui pourtant n'en demande pas tant ! Si vous trouvez une autre explication, vous pouvez me la poster sur ce blog ou par courrier, à l'adresse indiquée en vignette, mais prenez soin de supprimer le conseiller municipal.

mercredi 24 août 2011

Longue vie à Charlie !


La semaine dernière, j'ai acheté Charlie-hebdo, que je ne lis pourtant pratiquement plus depuis le départ de Philippe Val. Je le trouve moins bon, moins percutant. Mais cette fois-ci, c'était un numéro historique : le 1000ème depuis sa relance en 1992 ! Je n'ai pas été déçu : même si le niveau a un peu baissé, la lecture demeure plaisante. Et puis, Charlie est irremplaçable dans la presse française.

Ce que j'aime encore et toujours, c'est sa première page (la une, souvent très drôle) et sa dernière page (les couvertures auxquelles nous avons échappé), pleine de trouvailles, d'idées. Sinon, ce n'est pas vraiment pour les dessins que je feuillette Charlie mais pour ses articles : l'éditorial de Bernard Maris (même s'il est un peu trop radical pour mes convictions), le papier de Cavanna (parfois vieillissant), la rubrique de Patrick Pelloux, et aussi des surprises comme on n'en découvre que dans Charlie.

Par exemple, dans ce numéro 1000, je suis tombé sur un petit bijou de réflexion et d'écriture, en page 12, intitulé "Mort aux roulettes de valises !", signé Charb. C'est tellement vrai et si désopilant que je vous raconte : avez-vous remarqué la mini-révolution dans les gares depuis pas mal d'années déjà ? Il a poussé des pieds, je veux dire des roulettes, à nos bonnes vieilles valises.

Depuis que celles-ci existent, elles se sont très longtemps passées de tout accessoire pour faciliter leur usage, et personne ne protestait, sauf quand les valises étaient trop lourdes. Aujourd'hui, miracle : on leur a collé une paire de roulettes au cul. Bravo ? Non, ça fait un boucan terrible et c'est le triomphe de la feignasserie. Car on pardonnerait à une grosse valoche cet équipement. Mais la plupart du temps, les roulettes font avancer des sacs aisément transportables, qu'une main suffirait à soulever et à déplacer.

Notre société de confort à tous les étages n'aime pas ça, le moindre effort. Puisque les portes s'ouvrent toutes seules devant nous, que les escaliers mécaniques nous font monter et descendre sans nos pieds, que la voiture GPS nous conduit à destination sans qu'on s'inquiète du trajet, il fallait bien que le sac de voyage voyage presque sans nous. On va où comme ça ? Pourquoi pas, demain, des chaussures à roulettes pour nous éviter de marcher ?

Et puis, il y a la vanité sociale : comme la grosse bagnole fait crisser ses pneus pour montrer qu'elle a du coffre, la valise à roulettes est toute fière en couinant d'exhiber son propriétaire partant en vacances, tellement c'est chic. Le grand bourgeois a son domestique pour transporter ses bagages, le petit bourgeois a sa valise à roulettes. Chacun s'en sort socialement comme il peut !

Charlie-hebdo a le mérite, assez rare, de s'en prendre non seulement aux puissants (ce qui est répandu) mais aussi aux travers, au ridicule du tout-venant. C'est ce qui lui donne son sel. Longue vie donc à Charlie et à son équipe, et mort aux valises à roulettes !

mardi 23 août 2011

Innocent et libre.


Après trois mois d'une incroyable affaire, mon intuition première, raisonnée, se confirme ce soir : DSK est innocent de viol et violence, la justice américaine lui a rendu sa liberté. Je n'en ai jamais douté, connaissant l'homme, pas par straus-kahnisme aveugle et bébête. Mais le combat en politique n'est jamais terminé : j'entends dire que DSK n'est pas vraiment blanchi et qu'on ne saura rien de ce qui s'est passé entre son accusatrice et lui.

Cette ultime petite dégueulasserie est évidemment insupportable. Un non lieu, c'est la preuve que les accusations portées ne tiennent pas, qu'elles sont infondées, que la plaignante a menti, que le procureur renonce à un procès qui n'a plus lieu d'être faute d'éléments suffisants. Si ce n'est pas être innocent de ce qu'on lui reproche, c'est que les mots ont perdu leur sens ! DSK aujourd'hui est innocent et libre, voilà la vérité.

Pourtant, mon sentiment personnel, ce soir, n'est pas à la joie mais à la tristesse. Quel gâchis ! Pour cet homme, pour sa famille, pour mon parti, pour la gauche, pour la France. Un destin national a été brisé par un fait divers, un innocent a été mondialement accusé de l'un des pires crimes qui soit. Mon état d'esprit est celui de la satisfaction amère, avec cette certitude renouvelée qu'en politique comme dans la vie, la vérité finit toujours par triompher. Mais à quel prix !

DSK reviendra-t-il dans la vie politique française ? Immédiatement, je ne crois pas. Les rendez-vous manqués n'offrent pas de seconde chance, hélas. Quant au rôle de "sage" que certains lui prédisent, c'est inepte : les "sages" n'existent qu'en philosophie, pas en politique, où l'on est agissant et militant, mais pas "sage".

Ce que je retiendrai aussi de cette journée, ce sont les premiers mots de DSK depuis le début de cette affaire qui aura tant fait parler alors que ses protagonistes restaient muets. "Terrible et injuste", voilà ce qu'il a dit, et on ne saurait dire mieux pour résumer ce qui s'est passé et ce qu'il a subi. Je retiens enfin son désir de rentrer le plus vite possible en France.

Cette terrible et injuste affaire n'aura pas seulement concernée un homme mais toute une société, et même l'opinion publique mondiale, qui se sont montrées d'un voyeurisme stupéfiant, scotchées à des images télévisées défilant en boucle, de manière infernale. Où est donc le vice ?

Il y a trois mois, DSK était fini, condamné à subir un procès qui devait durer, disait-on, de longs mois, à l'issue duquel une peine de plusieurs années de prison était envisagée. Ce soir, un homme innocent et libre, qui dès le premier jour plaidait non coupable, nous revient.

Les mots menteurs.



Je vous parle régulièrement de ce que je crois être une détérioration du langage, chez les hommes publics et singulièrement les politiques. Ce n'est pas un problème mineur : quand on s'adresse aux autres, parfois à des millions d'autres, quand on a la charge d'exprimer des idées, la maîtrise de ce qu'on dit est quelque chose de fondamental. La démocratie repose d'abord sur la parole et son usage. Or, les mots d'aujourd'hui sont devenus menteurs, affectés de trois défauts : la laideur, l'inexactitude et le ridicule. Deux exemples récents illustrent cette dérive du vocabulaire :

A propos de la crise financière de ces dernières semaines, j'ai souvent entendu dire et répéter que les marchés avaient "dévissé". Tiens, c'est nouveau, ça ! Avant, nous parlions de "crise" ou d'"effondrement". Mais "dévisser", non. Peut-être parce que ce terme à la mode paraît moins dramatique que les deux autres ? Il fallait pourtant oser : c'est un mot très technique, peu employé, qui appartient au monde de ... l'alpinisme. Pas grand-chose à voir avec l'économie et la finance ...

Cette dimension technique a justement un aspect rassurant : un échec technique peut être corrigé par une solution tout aussi technique. Les mots sont des baumes ou des pansements. "Dévisser" efface l'irrationalité fondamentale de la crise boursière. Ce verbe laisse croire à un simple accident de parcours, comme l'alpiniste chutant de sa paroi.

Bien sûr, c'est redoutable : au-dessous de l'alpiniste, il y a le vide, dans lequel nos économies spéculatives craignent d'être entraînées les unes après les autres, liées qu'elles sont entre elles. Mais on joue aussi à se faire peur, car la vie normale, nous le savons bien, reprendra très vite son cours. Quand un alpiniste dévisse, ce n'est pas mortel : la cordée le retient, le protège, le gouffre n'est pas la mort, il y a plus de peur que de mal, seulement une belle frayeur. C'est impressionnant pour le néophyte, mais le spécialiste, le guide de montagne chevronné surmonte l'incident, réduit à une péripétie. On dévisse, on s'accroche et on remonte, voilà tout.

A propos de la réduction de la dette publique, il est beaucoup question ces derniers jours, et je l'ai encore entendu ce matin à la radio, de "raboter les niches fiscales", tout ça pour dire qu'on veut supprimer des avantages fiscaux. Mais pourquoi parler simple puisqu'on peut parler compliqué ? L'image est suprêmement ridicule, encore plus que celle du dévissage des bourses : imaginez un type, genre menuisier ou bricoleur, qui s'approche d'une niche, armé d'un rabot, pour la besogner !

Image fausse au demeurant : raboter, c'est enlever la surface de bois comme on pèle une orange, alors que la mesure gouvernementale reviendrait purement et simplement à supprimer, non à raboter. Et puis, il y a la niche ! Celle qui abrite le chien ou celle qui accueille le saint ? On emploie ce mot aussi idiot que faux pour ne pas utiliser le terme exact : privilège, puisque après la nuit du 4 août 1789, nous avons l'impression à tort que la République les a tous abolis.

Notre société ne croyant plus à la magie ou à la sorcellerie, que lui reste-t-il pour conjurer le mauvais sort ? Les mots, rien que les mots. C'est pourquoi ils sont devenus particulièrement menteurs, laids, inexacts et ridicules.

lundi 22 août 2011

Une année passionnante.



En écoutant ce matin sur RTL les voix d'Apathie et Duhamel, absentes de l'antenne depuis plusieurs semaines, je me suis dit que la rentrée politique c'était pour aujourd'hui, quinze jours avant celle des élèves ! Et quelle rentrée : DSK probablement innocenté, l'université du PS en plein débat des primaires ... C'est toute l'année 2011-2012 qui sera exceptionnelle, avec quatre rendez-vous passionnants :

D'abord les élections sénatoriales en septembre, où la très conservatrice assemblée va peut-être basculer à gauche pour la première fois sous la Vème République. A quelques mois de la présidentielle, l'enjeu sera de taille et l'événement, s'il se produit, historique.

Historique aussi, et passionnement incertaine, la primaire socialiste en octobre : un appareil politique doté d'une ancienne et solide culture militante, qui décide de faire désigner son candidat à la plus importante des élections non plus par ses adhérents mais par ses électeurs, c'est du jamais vu. Et je trouve ça, personnellement, très bien.

Au printemps, ce seront les très attendues et toujours passionnantes présidentielles : la gauche est donnée gagnante, mais comme on n'est jamais sûr de gagner en politique ... Nicolas Sarkozy garde des atouts et Le Pen sa capacité de nuisance. Et puis, des surprises sont toujours possibles avec Borloo ou même Mélenchon.

Enfin, l'année politique se terminera en beauté par les élections législatives (deux scrutins majeurs en quelques semaines, c'est cadeau pour ceux qui comme moi aiment ça !). Là, c'est le saint-quentinois que je suis qui se passionnera pour le match annoncé Ferreira-Bertrand. Avec pour la gauche locale un défi à relever : ne pas être éliminée au premier tour par le Front national. Il nous faudra exorciser le calamiteux échec des cantonales. Le résultat conditionnera largement le sort des municipales de 2014, selon le principe qu'une élection en prépare une autre.

Bref, une année politique passionnante, dont vous pourrez suivre les péripéties nationales autant que locales en consultant ce blog, comme vous l'aviez déjà fait il y a cinq ans.

dimanche 21 août 2011

Retour du paganisme.



Un million de fidèles, jeunes, à la messe du pape lors du rassemblement des JMJ, à Madrid ! Il y a une semaine, c'est le dalaï lama, en France, qui attirait les foules. Dans les années 70, nous pouvions penser, et certains espérer, que la religion allait disparaître, dans une société laïcisée, rationaliste et largement sceptique. Visiblement non. L'idée que la foi est une vieillerie, une superstition que le progrès des sciences va balayer est à revoir. Sans doute l'homme aspire-t-il, au fond de lui, à la spiritualité, à la transcendance, sous une forme ou sous une autre ?

La religiosité se loge même là où l'on ne s'attend pas à la trouver. Je suis allé cet après-midi à Saint-Gobain, au Festival des Vers Solidaires, une manifestation musicale et écologique, de bonne réputation. Quel rapport avec la religion ? De multiples, étonnement ! C'est dans le programme : le vendredi soir, "dansons au clair de lune sur la Natural Transe". Le samedi, Masala proposait un "rock fusion spirituel". Dans la nuit, la prestation du groupe "culte" les Tambours du Bronx était présentée comme "mystique et énergisante". Plus tard, ce sont les Ramoneurs de Menhirs qui promettaient une "communion entre les humains et Mamm Douar" (Terre Mère en breton).

Ce dimanche, la référence religieuse était encore plus explicite, puisqu'il était question du "Bal de Gaïa", du nom d'une déesse grecque de l'Antiquité. De nouveau, l'assimilation de notre planète à une "mère" et des relations humaines à une "communion" était récurrente.

Vous me direz peut-être que ce ne sont que des mots, des images, des métaphores ... Sans doute, mais le vocabulaire a son importance, n'est jamais gratuit ou innocent. D'autres termes, d'autres sens pourraient être mobilisés. Le langage conditionne les pensées. Le Festival des Vers Solidaires est plus qu'une initiative en faveur de la protection de l'environnement ou un divertissement musical. Il y règne une ambiance, il y circule des préoccupations qu'on qualifiera, comme on voudra, de spirituelles, religieuses ou mystiques, de façon certes atténuée, implicite, indirecte, au second degré.

Me mêlant aux conversations, j'ai noté à quel point l'alimentation bio est évoquée avec la même ferveur qu'un juif parle de casher ou un musulman de halal. Le respect dû aux animaux est de cette fibre, les bêtes étant considérablement humanisées. La une du journal L'Union d'hier confortait ce sentiment, par ailleurs honorable : des cas de chats "martyrs" ont été révélés dans l'Aisne ces dernières semaines, qui soulèvent à juste titre l'indignation, avec cependant l'impression d'aller parfois trop loin : quand, au niveau national cette fois, une pétition à succès demande de ne pas euthanasier un chien qui a défiguré un enfant, cet aveuglement a de quoi inquiéter.

Après des siècles de christianisme, nous assistons peut-être à un lent retour du paganisme, par des détours inattendus, sous des expressions nouvelles, mais une constante : le culte de la nature et des animaux. Tant mieux ou tant pis, je ne sais pas ; en tant que laïque, je n'ai pas à juger.

samedi 20 août 2011

L'échangisme, nouvelle idéologie.



Le christianisme est en recul, le communisme s'est effondré, le capitalisme ne va pas très bien : et si la prochaine et nouvelle idéologie, c'était l'échangisme ? Je ne plaisante pas, je suis très sérieux. Nos deux journaux locaux, Aisne Nouvelle et Courrier Picard, ont consacré récemment des articles au club échangiste axonais, L'entre d'eux, à Moulins, près de Laon : à défaut d'un été chaud, des reportages torrides ...

En bon laïque, je ne porterai pas de jugement sur cette pratique libertine, pourvu qu'elle respecte les lois de la République, ce qui est semble-t-il le cas. Mais je profite de l'occasion, qui ne fait pas seulement le larron, pour réfléchir à la notion en vogue d'échangisme, me demandant si elle ne deviendra pas l'idéologie dominante de demain.

De demain ? Peut-être de toujours ! Le plus vieux métier du monde, ce n'est pas la prostitution mais l'échangisme. Le jour où un homme des cavernes a échangé une pierre taillée contre une peau de bête, la civilisation est née. Par la suite, la multiplication des échanges a accéléré les progrès de la société. A Moulins, dans la pénombre et la moiteur de L'entre d'eux se rejoue une scène primitive à l'origine du développement de l'humanité : l'échange.

Mais l'échangisme n'est pas seulement économique : il est aussi à la base de la morale. Ne parle-t-on pas d'un "échange de bons procédés" ? Entre les êtres humains, la réciprocité, le donnant-donnant, l'échange de services ont tissé des liens de sympathie, de bienveillance, d'amitié. Dans tout échange, dont le sexuel n'est qu'un exemple, les notions de justice, d'égalité, d'équité entrent en jeu. C'est une façon pacifique et intelligente de régler nos conflits, de faire taire la violence. Dans l'échange, vol, jalousie et égoïsme disparaissent, au profit du partage, de la tolérance, de la liberté. L'échangisme est incontestablement un humanisme.

Enfin, l'échangisme a une forte dimension intellectuelle. Comme Monsieur Jourdain faisait de la prose sans le savoir, nous pratiquons tous l'échangisme sans en avoir conscience. Non pas bien sûr celui des corps mais, beaucoup plus important, celui des idées. Après tout, à travers mes nombreuses animations philosophiques et citoyennes, ne suis-je pas un maître de l'échangisme, ouvert à tous les sujets et à toutes les rencontres ?

Je vais aller encore plus loin : la pensée ne connaît pas de limite, elle s'autorise toutes les audaces, elle vit d'expériences nouvelles. Jean-Marie, le patron de L'entre d'eux, est en quête de soirées à thèmes. Je lui propose donc un café philo dans son établissement, autour de la question de son choix. Je porte la parole philosophique en prison, dans les hôpitaux, les maisons de retraite, les foyers de jeunes et autres lieux : pourquoi pas dans un club échangiste, si la demande existe ? En effet, rien n'est plus séduisant et excitant que l'échange des opinions. Cette activité crée du lien, rend curieux, rapproche d'autrui, invite à le découvrir, à communier ensemble.

Il me vient une dernière suggestion : l'échangisme politique. Au lieu de confier notre destin au résultat aléatoire d'une élection, pourquoi ne pas se livrer, là aussi, à une expérience osée mais enrichissante : échanger, au niveau municipal, pour un temps déterminé, les deux mois d'été par exemple, la droite contre la gauche ? Les saint-quentinois pourraient ainsi se faire une juste idée d'une gestion de l'opposition, la comparer avec celle de la majorité, et orienter ainsi leur futur vote à bon escient.

Quoi qu'il en soit, l'échangisme purement physique pratiqué à Moulins et ailleurs sera vraisemblablement appelé à s'étendre, se diversifier, s'élever. Tout concoure à cette évolution dans notre société de consommation. Ironie de l'Histoire, l'ancien troc a été délaissé au profit des rapports d'argent, marchands, et le monde moderne retrouve maintenant cette logique fondatrice du don mutuel, gratuit, mais débarrassée de ses aspects les plus primitifs et parfois les plus barbares.

vendredi 19 août 2011

Nos amis les riches.



La France est un pays formidable : il suffit que l'Amérique s'enrhume pour que le coq gaulois tousse. Un milliardaire d'outre-atlantique souhaite payer plus d'impôts, quelques milliardaires de chez nous lui emboîtent le pas et émettent la même proposition. Pourquoi pas, me direz-vous, si la mesure est bonne ? Elle l'est forcément, puisque les maxi-riches sont une mini-minorité : vous, moi et tous les autres sommes donc d'accord pour que ce soit eux les payeurs ! Nous n'allons tout de même pas décourager un si beau geste ...

Sauf qu'en y réfléchissant un peu, je vois un peu autrement l'affaire. Des riches qui réclament le rasoir qui va leur tondre la laine sur le dos, je suis sceptique. Comme quand on signe un contrat d'assurances, vérifions de près les conditions qui ne sauraient manquer d'accompagner ce projet. Car depuis que le monde est monde, les riches cherchent à devenir encore plus riches et les pauvres un peu moins pauvres. C'est pourquoi la lutte des classes, le combat social et syndical existent.

Bien sûr, les riches sont parfois atteints de philanthropie. Mais entre pratiquer la charité et demander qu'on augmente vos impôts, il y a un gouffre. Bien sûr, on a vu, pendant la Révolution française, des privilégiés voter l'abolition de leurs privilèges. Mais le moment était historique et la période révolutionnaire, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui.

Et puis, il y a la question économique. Finalement, même si les riches payaient plus d'impôts, est-ce que les pauvres seraient moins pauvres ? Est-ce que le problème de l'emploi serait réglé ? Je n'en suis pas sûr ... "Faire payer les riches", je n'y croyais déjà pas trop quand Georges Marchais le tonitruait. Alors, quand c'est un riche, je n'adhère guère plus. Les milliardaires ont beaucoup d'argent mais ne sont pas très nombreux. Comme le disent les spécialistes de la fiscalité, le problème n'est pas tant dans le taux que dans l'assiette : mieux vaut plus de contribuables qui paient un peu que très peu qui paient beaucoup plus.

Ce joli coup médiatique de nos amis les riches a le mérite de mettre en avant l'instrument de justice sociale à réhabiliter absolument : l'impôt et sa fonction de redistribution. Plus personne n'ose en parler pour ne pas se fâcher avec les classes moyennes (comme une grande partie des classes populaires est exonéré, le problème pour elles est réglé). Pourtant, en l'absence d'un taux de croissance suffisant et d'une relance de l'emploi, c'est bien l'impôt qui aide à réduire les inégalités et à faire entrer de l'argent dans les caisses de l'Etat.

En tant que socialiste, je suis favorable à une augmentation des impôts. Oui, il faut imposer plus fortement les riches. C'est moins une question d'économie que de morale. Mais il faut aussi, pour des raisons d'efficacité, augmenter les impôts de tous, dans la mesure des capacités de chacun, selon les deux bons vieux principes de proportionnalité et de progressivité qui fondent toute la philosophie républicaine de l'impôt sur le revenu.

Je vais plus loin : j'aime tellement l'impôt, son utilité me semble si essentiel à la vie de la nation que je souhaite que tout le monde, sans exception, soit imposé, même ceux qui, aujourd'hui, ne sont pas imposables. Il ne devrait pas y avoir d'exonération en la matière. L'impôt n'est pas qu'un outil, qu'une technique : c'est notre contribution citoyenne au pacte républicain, à la solidarité nationale. Il serait bon que tout citoyen y soit assujetti, même à un très faible pourcentage. La somme serait minime pour les plus pauvres, mais le symbole serait très fort.

Je précise qu'augmenter les impôts n'est pas une fin en soi. La décision ne fait qu'une demi-politique. Il faut ensuite et surtout se demander quoi faire de l'argent encaissé, à quoi l'affecter. Car percevoir mais mal utiliser, c'est ne rien faire. Je crois que l'augmentation et l'affectation de l'impôt pourraient alimenter un beau débat en vue des prochaines élections présidentielles.

jeudi 18 août 2011

mercredi 17 août 2011

Bouddha superstar.



Lundi, jour de l'assomption, le dalaï lama, et pas la sainte vierge, était à Toulouse, attendu par des milliers de personnes. Cet engouement pour le bouddhisme est une énigme. La religion est délaissée et moquée, mais le chef spirituel des tibétains fait un tabac. Qu'on ne me dise pas qu'il s'agit d'une sagesse, et pas de religion ! Des moines, des temples, des cérémonies, c'est bel et bien de la religion.

Le pape des catholiques n'est que le représentant du Christ. Le dalaï lama, lui, est carrément, derrière ses lunettes et son sourire, un "dieu vivant" appelé à se réincarner. Comment notre culture rationaliste, scientifique et sceptique peut-elle adhérer à une telle croyance ? Un type en tongs, assis sur un trône en bois, entouré de milliers de fleurs, c'est tout de même énorme ...

C'est d'autant plus surprenant que le bouddhisme tibétain est fort superstitieux, très archaïque, plein de fables et de démons. A la rigueur, le bouddhisme zen, dépouillé, méditatif, personnel, s'accorde beaucoup mieux à la mentalité occidentale moderne, mais ce n'est pas celui-ci qui a la faveur des foules.

A Toulouse, l'intervention du dalaï lama a été précédée par celle de Stéphane Hessel, auteur d'un ouvrage à succès sur l'indignation. Je ne vois ici qu'une conjugaison de deux effets de mode. Car la réaction politique à laquelle invite Hessel est très éloignée de l'impassibilité aux mouvements du monde qu'enseigne le bouddhisme.

Surtout, la doctrine du Bouddha, dans ses principes fondamentaux, est entièrement contraire aux trois valeurs cardinales de la société contemporaine, l'individualisme, l'activité et le confort :

- L'originalité du bouddhisme, c'est qu'il nie l'existence de l'ego, de l'identité personnelle, à laquelle nous tenons tant, souvent à l'excès. Je vois mal que nous puissions y renoncer.

- La société occidentale valorise l'activité, sous toutes ses formes, professionnelle, sportive, ludique. "Bougez-vous !" décline-t-on de multiples façons. Le Bouddha conseille à l'inverse de se poser, de s'immobiliser, de faire silence.

- Le confort est l'aspiration première de la civilisation moderne, jusqu'à la facilité, la langueur, la mollesse. Or, le bouddhisme prône des pratiques ascétiques, difficiles, exigeantes, patientes, douloureuses.

Si Bouddha, via le dalaï lama, est devenu superstar au sein d'une culture radicalement opposée à son message, je me demande pourquoi : contestation spirituelle de l'occident ou bien occidentalisation d'une contestation spirituelle ?

mardi 16 août 2011

Un quartier, une génération.



C'est un quartier et une génération qui se sont retrouvés ce matin dans l'église Saint-Jean, à Saint-Quentin, pour les obsèques de Paulette Barbier, disparue à l'âge de 87 ans. J'avais fait sa connaissance il y a dix ans, quand elle avait adhéré, avec son époux Maurice (décédé en 2003), à la section locale du Parti socialiste. Il m'arrivait alors déposer chez elle, directement, les invitations à nos réunions, lorsque je passais rue d'Epargnemailles, où le couple a habité successivement dans trois maisons différentes ! Paulette et Maurice étaient fidèles à leur quartier, Saint-Jean, dont ils étaient des figures familières et appréciées.

Fidélité très forte, aussi, à des convictions, religieuses et politiques : Paulette a été la cheville ouvrière, très jeune, de l'AOC à Saint-Quentin, l'action ouvrière chrétienne, le courant des chrétiens de gauche, de concert avec le mouvement des prêtres-ouvriers. Par leur action, l'église réputée conservatrice prenait une autre allure, offrait une autre image, parfois inattendue. Tout le monde se souvient de la restauration du maître-autel de Saint-Jean par Maurice, enseignant au lycée de l'ameublement. Cet attachement à une foi qui nourrissait l'engagement progressiste de Paulette explique que deux prêtres, ce matin, célébraient le service religieux, Antonio Tejado et François Pécriaux.

Politiquement, c'est bien sûr du côté du PSU, parti socialiste unifié, que Paulette a longtemps milité, en faveur d'un socialisme rénové, ouvert, démocratique. Les hommages rendus ont unanimement rappelé les valeurs d'humanisme, de partage et de solidarité qui étaient les siennes. Au PS, elle n'est restée que quelques années, l'âge et la maladie venant. Les liens se sont progressivement distendus, nous n'avions plus de lieux ni d'occasions pour nous retrouver, l'éloignement s'est fait naturellement, jusqu'au jour où l'on apprend la mort. Il ne sert à rien de regretter. C'est la vie.

De nombreux visages connus, des acteurs de la vie locale étaient présents ce matin dans l'église Saint-Jean : Jocelyne Guézou, militante communiste et membre actif de l'AOC ; Claudette Lemire, responsable de l'ASTI (association de solidarité avec les travailleurs immigrés) ; Françoise Vilport, ancienne présidente du centre social du Vermandois ; Christian Vilport, président des Jardins ouvriers ; Marie-Reine Dufretel, militante Verte ; Daniel Cordier, de l'association de quartier Saint-Jean ; René Horb, ancien maire de Harly ; Marie-Lise Semblat, présidente de l'association ASTER (actrices sociales des territoires européens ruraux) ; Jean-Pierre Semblat, conteur picard ; Hubert de Bruyn, ancien conseiller régional Vert ; Patricia Puchacz, du centre social du Vermandois ; Maurice Vatin, ancien conseiller régional socialiste ; ...

Toute cette génération saint-quentinoise, aux sensibilités différentes, est encore influente mais s'efface progressivement, poussant de nouvelles générations sur le devant de la scène locale. Il est vrai que ces dernières années, c'est plus souvent dans les commémorations ou les enterrements que les retrouvailles se font. C'est ainsi, c'est la vie. Ce qui importe, c'est de maintenir le fil des fidélités et de passer le relais. Je crois que la cérémonie d'aujourd'hui, autour du souvenir de Paulette Barbier, en donnait une belle et prometteuse illustration.

lundi 15 août 2011

Les héros de notre temps.



Le Journal du Dimanche a publié hier son toujours très attendu Top 50 des personnalités préférées des français, en partenariat avec l'IFOP. Et comme toujours, les héros de notre temps sont sidérants ! Les quatre premiers en disent long sur l'état de l'opinion. Dans l'ordre décroissant : Yannick Noah, Zinédine Zidane, Mimie Mathie et Simone Veil. Pas un savant, pas un écrivain, pas un artiste.

Le plus surprenant,c'est que trois sont des retraités, du tennis, du football, de la politique. La France des inactifs donnerait-elle le ton ? Deux ex-sportifs en tête confirment la place exagérée prise par le sport dans notre société. Mais pourquoi ces deux-là, alors qu'il y en a tant d'autres ?

Noah est sympa, je crois que c'est ça : la clé du succès est là, être sympa. Le même, en moins sympa ou en pas sympa, n'emporterait la sympathie des français. Logique. Zidane, ce n'est pas ça : il a fait de la France la championne du monde dans le sport le plus populaire. Nous ne sommes pas près de l'oublier.

Mimie Mathie, je ne comprends pas, c'est un mystère : elle n'a rien fait d'exceptionnel, ou pas plus qu'un autre, pour figurer en début de palmarès, à la différence des trois précédents. Est-ce sa petite taille qui en fait un personnage singulier, étonnant ? Peut-être. Il y a aussi, sûrement, sa bonne bouille, ses joues rondes, son sourire. Allez savoir à quoi tient une popularité ...

La seule personnalité qu'on peut qualifier de "sérieuse", c'est Simone Veil, dont le nom reste attaché à un souvenir déjà lointain, la lutte pour l'avortement. Est-ce pour cela qu'elle est là, dans ce Top 50 ? J'en doute. Simone Veil, c'est un merveilleux rêve : une femme politique qui ne fait plus de politique, une femme jadis très controversée qui fait aujourd'hui l'unanimité.

Moralité : soyez sympa, faites du sport et ne dérangez plus personne, vous deviendrez un héros de notre temps. Mais vous, quelles sont vos personnalités préférées ?

dimanche 14 août 2011

Un mystère en Berry.



Pour quelques jours à Saint-Amand, je m'occupe comme je peux. Rien n'est indigne d'intérêt, surtout pas les détails les plus triviaux de la vie ordinaire, qui donnent à penser. Ainsi, j'ai remarqué, sur les trottoirs, un phénomène singulier, étrange, inexplicable au premier abord : certaines poubelles, une minorité, portent un cadenas qui empêche de les ouvrir. Je ne comprends pas son utilité, je n'ai jamais rien vu de tel à Saint-Quentin.

En règle générale, les êtres humains cadenassent ce qui contient des biens précieux, par exemple un coffre-fort. Mais le contenu d'une poubelle ne mérite pas qu'on le protège, même si je sais qu'elles sont parfois fouillées pour les trésors que soit-disant elles contiendraient. Le curieux ou le nécessiteux s'adonnent à cette pratique, pas l'individu normal. De toute façon, je n'ai pas la clé de mon énigme : une poubelle est destinée à recevoir ce dont on veut se débarrasser, qui ne craint donc pas d'être volé. Il faut chercher ailleurs.

Une précision : j'ai observé de près, la perforation qui accueille le cadenas a été faite sauvagement. La poubelle ne s'y prêtait pas. D'ailleurs, la majorité des saint-amandois n'ont pas vu la nécessité de ce procédé. Ainsi dotées, ces poubelles ont vraiment l'air grotesques. J'en ai même trouvée une fermée par un antivol, comme on s'en sert pour les vélos ! Mais pourquoi cette bizarrerie ?

Que l'on redoute qu'on vous subtilise votre poubelle, c'est normal. Un être humain est capable de s'approprier à peu près n'importe quoi, même de peu d'utilité. Alors, une poubelle, oui ... Sauf que l'objet n'est pas attaché à un poteau, précaution un peu loufoque mais rationnelle. A Saint-Amand, c'est uniquement l'ouverture qui est bloquée.

J'ai réfléchi : ici comme ailleurs, une forme de vandalisme se développe, le feu de poubelle. Le cadenas serait-il une prévention, une dissuasion ? Peut-être, mais généralement, les vandales s'en prennent à la poubelle directement, la brûlent sans s'attaquer à l'intérieur. Et puis, un vandale ne recule pas devant un cadenas : il le fait aisément sauter. La protection s'adresse plutôt, à mon avis, au tout venant.

En mal d'explications plausibles, je me suis mis à méditer sur le sort des poubelles ces dernières décennies. Si on prenait soin d'étudier leur contenu, on comprendrait les évolutions de notre société. La forme même de la poubelle est révélatrice des changements de mentalités. Quand j'étais enfant, elle était en métal, grise, pas très belle, deux poignets sur les côtés, pénible à déplacer, parfois malodorante. En ce temps-là, "sortir" les poubelles était une corvée, et le "boueux" était un homme de peine. Une voiture mal fichue était qualifiée, en guise d'injure, de "poubelle".

Nul n'oserait aujourd'hui : les poubelles sont en plastique léger, avec des couleurs pimpantes, une barre pour les pousser aisément, et surtout, géniale invention de notre société de confort, des roues, oui des roues ! La poubelle avance désormais presque toute seul, fièrement. Bon, toutes ces considérations n'éclairent pas notre mystère du cadenas. Ce n'est tout de même pas un coup de sorcier, même si nous sommes en Berry !

Je ne veux pas vous faire languir ou vous laisser dans l'expectative. Si j'ai consacré le billet de ce dimanche à ce problème, c'est que je pressens un début de solution, sans doute fragile, mais je n'en vois pas d'autres, après consultation de mon entourage : chaque poubelle est dotée d'une puce électronique, d'après ce qu'on m'a dit (eh oui, c'est ça la société moderne, même les poubelles sont sous électronique !). Au ramassage, la poubelle est pesée, et la facture se fait au poids enregistré. Des petits malins, pour payer moins, vont déverser leurs déchets chez le voisin, qui doit alors se protéger. Si vous avez une autre interprétation, je suis preneur.

Mais quel est donc ce monde où les poubelles ont des cadenas, par peur de les voir utilisées à mauvais escient ? Le philosophe David Hume remarquait que le pessismisme humain se trahissait dans la manie que nous avons tous de fermer à clé notre logement quand nous le quittons, signe d'une fondamentale méfiance à l'égard d'autrui, considéré comme un potentiel voleur. La maison, pourquoi pas. Mais la poubelle !

samedi 13 août 2011

Rahan ou Tarzan.


Etes-vous Rahan ou Tarzan ? Ce sera ma modeste contribution aux tests de l'été, quand tout le monde est allongé sur la plage, en train de s'ennuyer. Je lis les aventures de nos deux héros depuis que je suis gamin. Ils se ressemblent, d'ailleurs : des costauds qui courent quasiment à poil dans la forêt et qui s'affrontent aux fauves, en les terrassant. Je profite des vacances pour relire les albums et romans, en vous mettant en garde de ne pas les confondre : Rahan et Tarzan, ce n'est tout de même pas le même homme !

Tarzan vient d'une famille d'aristocrates. Élevé par de grands singes, il a gardé de la bête en lui, dont le fameux cri. Il tue pour survivre, est analphabète (et pour cause, le pauvre ...), défend jalousement ce qu'il possède, sans chercher à voir plus loin. Il est essentiellement physique, tout en muscles. Tarzan, le bien nommé "seigneur de la jungle", comme le lion en est le roi dans l'espèce animale : les deux se disputent le leadership, s'affrontent souvent. Tarzan est un guerrier nu, souverain : il coule dans ses veines le sang de sa race, les aristocrates.

Comme Rahan est différent ! Il a été éduqué par les hommes, pas par les gorilles, et ça se ressent. Il a choisi de n'appartenir à aucune tribu, de ne tuer aucun homme ou animal sans nécessité. Il parcourt la préhistoire en vue de la faire entrer dans l'histoire, propageant de nouvelles techniques par lui inventées, enseignant les valeurs de paix, de justice, de courage, de loyauté, bref d'humanité. Comme nous sommes loin du sauvage, brutal et héroïque Tarzan !

Et puis, et surtout, Rahan est un fervent laïque. Mais oui ! Il dénonce les mensonges des méchants sorciers, il explique qu'il ne faut pas craindre le tonnerre du volcan ou de la foudre, que ce ne sont pas des divinités terrifiantes mais des phénomènes naturels. Alors, Rahan ou Tarzan, vous m'avez compris : j'aime beaucoup Tarzan, mais je suis du côté de Rahan. Et puisque j'ai la manie de mettre de la politique partout (mais c'est une manie sérieuse et fondée), je dirais que Tarzan est de droite et Rahan de gauche. Mais il en faut pour tous les goûts.

vendredi 12 août 2011

L'euthanasie, de gauche ?



L'affaire de Bayonne, où un médecin est soupçonné de quatre euthanasies, relance le débat sur cette question de société, comparable à l'avortement ou à la peine de mort il y a quelques décennies. J'avais fait venir à Saint-Quentin, il y a deux ans, Jean-Luc Roméro, défenseur de l'euthanasie, pour en discuter publiquement. C'est un beau et douloureux sujet, prompt à déclencher les passions.

Je suis plutôt favorable à l'euthanasie, rigoureusement réglementée, au nom de la liberté, contre la souffrance. Les milieux laïques et humanistes sont généralement sur cette ligne, que les religions réprouvent. Ma position est simple, aussi simple que celle des adversaires de l'euthanasie, qui affirment que nul n'a le droit de donner la mort, que la souffrance doit être soulagée mais pas la vie interrompue. Simple, trop simple ?

Je reste sur ma position, avec la prudence requise et dans le respect de l'opinion d'autrui. Mais je m'interroge. J'ai gardé un article du Monde, daté du 18 novembre 2009, signé du docteur Isabelle Marin et du philosophe Jacques Ricot, intitulé : "L'euthanasie est-elle de gauche ?" La Ligue de l'enseignement a repris cet article dans son magazine Les idées en mouvement, numéro d'avril 2010. Je vous recommande cette lecture, qui bouscule bien des points de vue.

Hormis le rappel de l'opposition de François Mitterrand et Robert Badinter à une loi sur l'euthanasie, les auteurs se livrent à une réflexion de fond. La liberté dont se réclament ses partisans est, selon eux, paradoxale "puisqu'elle consiste contradictoirement à se nier au moment où elle pense se réaliser". "La liberté ou la mort !" s'exclamaient les révolutionnaires. La liberté est créatrice, pas destructrice de soi.

Quant à "mourir dans la dignité", selon la définition de l'euthanasie, c'est de nouveau une formule contradictoire. Qu'on soit croyant ou athée, la mort est souffrance et tristesse, débouchant sur l'au-delà ou le néant, mais incompatible avec la notion morale de dignité. Celle-ci prend son sens chez l'homme debout, valide, conscient, ayant tout l'avenir devant lui, pas le désespéré qui veut mettre fin à ses jours.

Je ne sais pas quoi penser à la lecture de cet article. Elle a le mérite de ne pas nous figer dans ces oppositions irréductibles et souvent stupides qui minent le débat public, le rendent inutile et inintelligent. Je persiste à croire que la souffrance est le mal absolu, que notre liberté est d'en finir avec elle et avec la vie lorsque cette dernière n'est plus qu'absurde douleur.

Mais je suis aussi conscient que la vie n'a pas de prix, qu'elle est un absolu, que la mort peut être une terrible et irrévocable facilité. Les stoïciens étaient libres et dignes lorsqu'ils se suicidaient pour des querelles d'honneur. Cela devrait-il être légalement permis ? Je vous laisse y réfléchir ...

jeudi 11 août 2011

L'aéroport fait réagir.



Jean-Robert Boutreux, responsable de Génération Ecologie, a confié au Courrier Picard, édition d'aujourd'hui, ses arguments contre la construction d'un aéroport international en Picardie. Je veux commenter ce soir chacun de ses arguments :

Le projet aéroportuaire s'enferme-t-il dans une vision strictement régionale, picarde, au détriment d'une réflexion plus globale ? Non, au contraire, c'est un constat national et même planétaire qui conduit à défendre ce projet : l'augmentation du trafic aérien mondial et l'insuffisance des aéroports parisiens. La bataille pour le troisième aéroport n'est donc pas l'expression d'un égoïsme régional.

Le "Grenelle de l'environnement" est-il bafoué ? Non, celui-ci ne demande pas qu'on ferme ou qu'on stoppe les aéroports. Les normes environnementales sont parfaitement compatibles, pourvu qu'on le veuille et qu'on s'en donne les moyens, avec les formes contemporaines de déplacement humain. De même qu'à mes yeux l'écologie et la technique, le respect de la nature et les progrès de la science ne sont pas en soi contradictoires.

Un aéroport international est-il une "ville artificielle", ne répondant pas à l'aménagement du territoire ? Tout ville est, de toute façon, "artificielle", puisqu'il s'agit d'une création des hommes, participant à l'aménagement du territoire. Mais surtout, je ne vois pas en quoi un aéroport est une ville. A part les infrastructures hôtelières qui le bordent, ce n'est pas une agglomération ou une métropole, sinon en un sens métaphorique. Les salariés y travaillent mais n'y vivent pas, n'y dorment pas, ne s'y distraient pas.

Les avions ont-ils de l'avenir, quand on sait que leur remplissage est à 40% ? Je ne sais pas où Jean-Robert est allé chercher ce chiffre, qui devrait conduire à la faillite de nombreuses compagnies, ce qui n'est pas exactement le cas. Ce que je constate, c'est qu'il y a de plus en plus d'avions, de plus en plus de voyages et de voyageurs du ciel, au fil des décennies.

Ce mouvement de civilisation (des tarifs de plus en plus bas, la mondialisation des mentalités et des comportements) ne pourra que s'accentuer dans l'avenir. D'immenses marchés vont s'ouvrir, des peuples entiers, chinois, indien, brésilien en particulier, voudront eux aussi voyager ; les actuelles structures aéroportuaires seront rapidement saturées. L'invention du XIXème siècle, le train, a débouché au XXème siècle sur sa commercialisation, sans que l'automobile ne freine son expansion. L'avion, invention du siècle précédent, verra au XXIème siècle son développement s'accélérer.

Le troisième aéroport, loin de créer des emplois, ne va-t-il pas en supprimer dans l'agroalimentaire ? Non, ce ne sont pas les surfaces rachetées aux agriculteurs qui vont plomber l'emploi. En supposant une perte de quelques centaines de postes dans ce secteur, c'est bien peu de choses en comparaison des 30 000 à 70 000 emplois directs et indirects générés par l'ouverture d'un aéroport international. Jean-Robert d'ailleurs se contredit : d'un côté il déplore une "ville nouvelle", d'un autre côté il affirme qu'il n'y aura pas d'emplois.

Ne peut-on pas envisager des projets alternatifs à l'aéroport, dans le tourisme, la recherche, le patrimoine ? C'est possible, mais de fait ces projets pour l'instant n'existent pas, ne font pas à ma connaissance débat, alors que le troisième aéroport est dans les dossiers, a fait l'objet d'études et de projections. Et si d'autres projets sont souhaitables, ils n'entrent pas en concurrence avec celui-ci. Enfin, nous sommes dans des échelles de grandeur complètement différentes : je ne connais pas un projet à la hauteur de plusieurs dizaines de milliers d'emplois générés.

Non au troisième aéroport, oui au canal Seine-Nord ? Moi je dis oui oui, pas non oui, puisque les deux projets ne s'opposent pas, étant incomparables. Le canal déplace les marchandises, l'aéroport les hommes. L'un est européen, l'autre planétaire. C'est un non sens de défendre l'un et de contester l'autre. Et puis, le canal est moins créateur d'emploi et tout autant destructeur de la nature, si on veut aller dans ce raisonnement-là.

Mon seul point d'accord avec Jean-Robert Boutreux, c'est lorsqu'il suggère que s'organise un débat sur le troisième aéroport. Excellente idée, que la presse pourrait reprendre et mettre en place. D'autant que, contrairement à Jean-Robert, je ne suis pas pessimiste, je ne crois pas que les points de vue soient absolument irréconciliables, j'estime que le dialogue est utile. Certes, les choix politiques et économiques sont divergents, mais des rapprochements sont possibles. Il est même, pour moi, indispensable de penser ensemble l'impératif écologique et le progrès technique. Seule l'écologie radicale, la deep ecology, considère qu'ils sont incompatibles.

Qu'est-ce qui me motive tant dans ce combat pour le troisième aéroport ? Ce que j'exposais dans mon billet d'hier : la gauche doit se battre prioritairement pour les classes populaires, durement frappées dans le saint-quentinois par le chômage. Les classes moyennes, elles, ont d'autres préoccupations, bien connues et parfaitement légitimes, que le PS ne doit pas ignorer mais qui passent après l'emploi : la qualité de vie, le souci de l'environnement. A moins de laisser croire qu'on puisse satisfaire toutes les revendications en même temps, sans priorité ni hiérarchie, ce à quoi je n'adhère pas.

mercredi 10 août 2011

Malaise dans la civilisation.



Affolement des marchés, émeutes en Grande-Bretagne : deux événements qui n'ont rien à voir, qui stupéfient en plein coeur de l'été, qu'il faut pourtant relier, puisqu'ils expriment tous les deux, chacun à sa façon, un "malaise dans la civilisation", pour reprendre le titre d'un ouvrage de Freud, rédigé dans une précédente période de crise. Car il convient d'aller chercher profond la signification de ce qui se passe en ce moment, qu'on ne peut pas réduire d'un côté à une énième turbulence du capitalisme et de l'autre à un simple problème d'ordre public.

En économie, nous assistons à une véritable mise en cause de l'occident et de sa puissance maîtresse, les Etats-Unis. Il aura suffi que ceux-ci perdent une petite lettre dans le classement discutable d'une agence de notation pour que le feu gagne les marchés mondiaux. Impressionnant ! Qui ne voit pas l'irrationalité de ce système ? Qui ne comprend pas que nos sociétés de consommation flambent, qu'elles dépensent ce qu'elles ne gagnent pas, que leurs appareils de production ne produisent pas assez, ne savent plus innover ?

Nous assistons probablement à une période de transition, qui peut durer encore très longtemps, pendant laquelle l'occident va s'éclipser et l'orient au contraire s'affirmer de plus en plus, Chine, Inde, puis demain le sud, Brésil notamment. C'est la loi de l'histoire : aucune civilisation n'est éternelle, la nôtre, dominante depuis plusieurs siècles déjà, est en crise de grande ampleur. Nous maîtrisons de moins en moins notre destin, l'avenir s'obscurcit. Si l'Europe ne parvient pas à faire l'Europe, la France n'aura plus guère de place dans le nouveau monde qui se dessine.

Les émeutes qui frappent le Royaume-Uni sont une conséquence, dont nous avons nous-aussi souffert il y a quelques années. On peut s'aveugler en ne voyant dans ces violences qu'une montée soudaine de la délinquance, à traiter par la classique répression policière. Mais il s'agit d'une crise sociale, la révolte d'une partie de la population qui n'a plus de boulot et qui veut du fric, parce que notre civilisation n'a plus aujourd'hui, cas unique dans toute l'histoire de l'humanité, que l'argent et les biens matériels à offrir en modèles et modes de vie. Etonnez-vous après que des magasins soient pillés et des bagnoles brûlées !

Certes, le capitalisme a toujours été irrationnel et mercantile. Mais pendant longtemps, il a su cultiver certains valeurs qui faisaient écran, la religion, la morale, le progrès, la science, la politique. Plus personne aujourd'hui n'y croit, le mécanisme du profit, caché ou sublimé avant, est mis à nu. La révélation est d'autant plus brutale que le capitalisme a vaincu toutes ses résistances, ses contestations, le communisme et la révolution, à quoi plus personne n'adhère non plus, après y avoir goûté amèrement.

Une partie des classes populaires est en marge de notre société, qui ne cesse de faire les yeux doux aux classes moyennes, parce qu'elles sont devenues les classes dirigeantes, avec la grande bourgeoisie. Des millions de personnes dans la société occidentale ne se reconnaissent plus dans leurs dirigeants, les discours et les politiques qu'ils tiennent. C'est dramatique et dramatiquement dangereux, les révoltes en Grande-Bretagne en sont la malheureuse illustration.

La gauche a un devoir historique, dont elle a en partie pris conscience : économiquement, elle doit se saisir du problème de la dette, en faire un sujet de débat et de campagne, en profiter pour remettre en question notre mode de production et de consommation. Nous allons vers ça, c'est maintenant certain. Socialement, la gauche doit s'appuyer en priorité sur les classes populaires, prendre d'abord en considération leurs revendications et leurs aspirations, renoncer à cette détestable hypocrisie qui laisse croire que classes moyennes et classes populaires auraient strictement les mêmes intérêts à défendre.

Quand on a un boulot, un salaire correct, une maison à soi, des vacances régulières, des enfants dans les meilleures écoles et des économies en banque, parfois des placements, on appartient à la petite bourgeoisie, on a ses problèmes de vie mais pas de survie. Pas besoin de descendre alors dans la rue pour tout casser ! La difficulté sociale de la gauche, presque psychologique, c'est qu'elle est culturellement dominée depuis une quarantaine d'années par cette petite bourgeoisie, éminemment respectable et facteur de progrès, mais désormais trop intégrée à la société de consommation pour comprendre et soutenir ceux qui en sont exclus et qui trouvent un exutoire dans le vote extrémiste.

Si la gauche prend la mesure de la crise mondiale, si elle sait se détacher des schémas anciens qui ne collent plus à la réalité, si elle renoue avec sa raison d'être (être le porte-parole des plus pauvres), elle aura un rôle historique à jouer afin de dissiper le "malaise dans la civilisation".

mardi 9 août 2011

Lendemain de marche.



A la suite de la marche blanche d'hier à Saint-Quentin, la presse locale a rapporté les propos de Ahn Dao Traxel, marraine du collectif à la mémoire d'Aurélie Martin. Je ne partage pas trois de ses points de vue :

D'abord la critique de la justice, accusée d'un manque de sévérité dans la peine infligée au compagnon d'Aurélie, condamné à trente mois de prison : par principe, il ne faut pas critiquer les décisions des tribunaux. La justice devait trancher sur l'origine du décès : attaque cérébrale simple ou provoquée par des coups ? Nous n'avons pas à nous substituer au procès, à l'enquête et à ses conclusions.

Il faut en rester à l'essentiel, qui est incontestable : la dénonciation des violences conjugales, sachant que les solutions ne sont pas fondamentalement judiciaires. Aurélie Martin était depuis longtemps victime de son conjoint, sans qu'elle en parle ou porte plainte. Un travail d'éducation doit être mené pour inciter les femmes à se manifester beaucoup plus tôt auprès des services sociaux, dès la première violence, physique ou verbale, y compris minime. C'est plus une question de mentalité que de législation.

Ensuite, Ahn Dao Traxel réclame le rétablissement partiel de la peine de mort, dans des cas précis, les victimes en situation de faiblesse. Elle demande un référendum sur ce sujet et un débat lors de la prochaine élection présidentielle. Non, il serait maladroit, inutile et dangereux de revenir sur un choix qui a été fait il y a trente ans (nous fêterons l'abolition de la peine de mort en France dans quelques semaines). La main du mari violent, alcoolique ou pathologique, ne sera pas arrêtée par la menace de mort. La peine capitale n'a en réalité qu'un seul effet : soulager la terrible douleur des proches de la victime. Je comprends, mais je n'approuve pas.

Et puis, la sélection des crimes méritant la mort serait nécessairement arbitraire. Nous entrerions dans une casuistique discutable. Qu'est-ce qu'une personne "faible" et "démunie", selon les termes de Ahn Dao Traxel ? Le vieillard, l'enfant, la femme ? Il y a quelque chose de moralement désobligeant à les considérer ainsi. Mais le SDF, le malade, le handicapé, n'en feraient-ils pas aussi partie ? La loi doit privilégier la simplicité : dans la logique de la peine de mort, le sang versé, peu importe l'auteur et la victime, appelle le sang versé. Vouloir établir des distinctions aboutirait à des discussions sans fin.

Quant à un référendum sur le sujet, il n'est pas constitutionnellement possible, et c'est tant mieux : c'est l'élection qui doit se prononcer sur ce type de question, pas la procédure référendaire, propice à toutes les facilités et démagogies. Et la campagne présidentielle aura sans doute mieux à faire qu'à exhumer une controverse datant des années 1970, sur laquelle aucun grand parti politique ou candidat ne souhaitent revenir.

Ahn Dao Traxel regrette enfin qu'aucun responsable politique n'ait été hier présent dans la marche blanche. Il est vrai que parmi les 150 manifestants, je n'ai pas vu d'élus de la majorité ou de l'opposition. Mais peut-on vraiment le leur reprocher ? La municipalité de Saint-Quentin a manifestement apporté son soutien en autorisant le rassemblement sur les marches de Fervaques et la mise à disposition de la salle de Verdun, pour le pot de clôture.

L'opposition aurait pu bien sûr se faire représenter ou soutenir et appeler à manifester par un communiqué de presse. Mais la période de vacances est à prendre en compte, sauf à vouloir appliquer et adapter le précepte élyséen à Saint-Quentin : pas d'éloignement des responsables politiques locaux au-delà du département de l'Aisne ou de la région Picardie !

Je veux rester positif et ne retenir que ça : une belle mobilisation pour une juste cause s'est tenue hier après-midi dans notre ville. Le mouvement est à poursuivre et à amplifier. J'ai notamment à l'esprit les rendez-vous traditionnels de novembre et mars, journée contre les violences conjugales et journée mondiale des femmes, qui pourraient prendre cette année, à Saint-Quentin, une dimension particulière, pour les associations concernées et les établissements scolaires.

lundi 8 août 2011

Mort de femme.


C'était ma première marche blanche, cet après-midi dans les rues de Saint-Quentin, du parc des Champs-Elysées au palais de Fervaques. Nous étions cent, cent-cinquante environ, ce qui n'est pas mal du tout pour un mois d'août. La cause allait de soi : en mémoire d'Aurélie Martin, jeune mère de famille, handicapée, morte sous les coups de son compagnon le 30 mai dernier, pour lutter contre les violences conjugales.

La manifestation était organisée par la famille de la victime, réunie en collectif, soutenue par Ahn Dao Traxel, fille adoptive des époux Chirac, vietnamienne ayant subi elle aussi des violences pendant la guerre dans son pays natal. Il va sans dire que les différences politiques n'ont plus aucune importance dans un combat de cette nature et que le rassemblement de tous est attendu.

La marche blanche, c'est un type relativement nouveau d'expression citoyenne, qui a de plus en plus tendance à se généraliser et à quoi il va falloir s'habituer. Les structures, associations et partis traditionnels sont dépassés par des formes de mobilisation ponctuelle, via internet, qui modifient et renouvellent complètement les comportements militants. Nous aurions tort de ne pas y réfléchir, de les ignorer. Au contraire, il faut les accompagner, participer et s'en inspirer.

Ce n'est pas si évident, tellement nos réflexes politiques ou syndicaux sont différents. Je n'ai pas cessé d'y penser pendant tout le trajet de la marche blanche, que j'ai si souvent suivi pour de tout autres causes et revendications. Rien à voir avec une manif, malgré les apparences ! D'abord, il y a cette unité qu'imposent les tee-shirts blancs, alors qu'une manifestation classique est bariolée, chaque organisation cherchant à se distinguer avec ses banderoles et ses drapeaux.

Ensuite, il y a le silence de respect, puisqu'il s'agit d'honorer la mémoire d'une disparue : l'initiative se déroule sur fond de drame, avec une gravité que n'a pas une manif, aussi sérieuses soient ses revendications. Celle-ci est au contraire bruyante, agitée, exubérante. Enfin, une marche blanche n'est menée par aucun leader, porte-parole ou représentant : c'est la famille qui est en tête, c'est l'émotion qui prime.

Remontant la rue d'Isle, qui est séparée à mi-parcours par un muret décoratif, les organisateurs ont demandé à ce que la foule passe des deux côtés, afin d'occuper pleinement la chaussée, comme le veut toute démonstration de force. Signe que les participants ne savaient pas, n'avaient jamais fait ! Dans une manif, le mouvement de scission s'opère naturellement, sans y songer, sans le provoquer. Qu'importe : les promeneurs sur les trottoirs ou les habitants aux fenêtres prenaient conscience qu'une partie de la population de leur ville avait quelque chose à dire, et la rue est encore le meilleur endroit pour ça.

La fin, elle aussi, transgressait les codes d'une manif traditionnelle, puisqu'elle a eu lieu sur les marches de Fervaques, à quelques mètres du tribunal, comme pour que ce dernier entende l'appel à la justice lancé par la marche blanche. Surtout, au lieu d'une déclaration solennelle au mégaphone, c'est étonnement une chanson, style Star'Ac, qui a conclu le rassemblement.

Encore une fois, ce déroulement inédit d'une protestation de rue, en me surprenant, ne me dérange pas. Une seule chose compte, quels qu'en soient les moyens : c'est la juste cause. "Il n'y a pas mort d'homme", dit l'expression populaire. En l'occurrence, nous étions réunis cet après-midi à Saint-Quentin pour bien pire que ça : mort de femme, sans défense, l'une des violences domestiques les plus dramatiques qui existent et qui exige qu'on marche encore et encore pour la condamner.

dimanche 7 août 2011

Le film de l'été.

Ce n'est pas le film du siècle, ni de l'année, mais de cet été, mauvais temps aidant. Non, je ne parle pas de l'affaire DSK, qui va sûrement durer plus longtemps, mais de Super 8, de J.J. Abrams, que j'ai vu ce matin au CinéQuai, avec pas mal de monde dans la salle. Normal, c'est une histoire pour les pré-ados, qui entraînent avec eux leurs parents et les plus petits. Du cinéma américain d'aujourd'hui, friqué, numérisé, un peu psy et un peu moralisateur. Bref, tout ce que notre société, bien que française, adore.

Abrams, c'est le réalisateur de Lost, ma série préférée, et les liens sont évidents : le récit dans le récit, les références, le monstre qui produit des bruits mécaniques, l'attraction magnétique des objets, etc. Pas génial, pas énormément créatif, mais malin, bien foutu, plaisant. Spielberg a apporté l'argent (et il en fallait un paquet !), les clins d'oeil à son oeuvre sont fréquents : les plans panoramiques de la ville la nuit, l'extra-terrestre malheureux (bien qu'il casse tout et bouffe les gens !), le départ final du vaisseau spatial, ce sont des scènes vues dans ET et Rencontres du troisième type. Mais on aime ...

Du boulot de spécialiste : la fin des années 70 est reconstituée jusqu'au motif des chaussettes et à la boîte d'allumettes ! On s'y croirait vraiment. Abrams est allé aussi piqué chez les autres quelques bonnes idées : la créature est la copie conforme de la bébête d'Alien, elle a une gueule pas possible et met au frigo ses victimes pour les becqueter. L'habileté de ce film se manifeste jusqu'au générique, où l'on nous montre le fameux Super 8 annoncé par le titre. Du Abrams pur jus.

Bon, je ne vous en dis pas plus, allez au CinéQuai, ça fera plaisir à madame Zann. Et moi, ça me repose de mes cinés philo, où je n'ai pas souvent l'occasion de voir des monstres, surtout venus d'un autre monde. La semaine prochaine, la Planète des singes débarque, mais je ne suis pas sûr que ce soit aussi bon. Vive le cinéma de divertissement !

samedi 6 août 2011

Le merdier et le lotus.

Leurs interventions étaient attendues. A Saint-Quentin, que pensent les anciens de l'opposition des petits nouveaux ? Le Courrier Picard d'hier a posé cette intéressante question. Odette Grzegrzulka, député PS de 1997 à 2002, fait fort, à son habitude : "Les socialistes à Saint-Quentin, quel merdier. Je ne vois pas la gauche gagner les prochaines municipales". Parole d'expert ? La saillie n'est pas très élégante. Mais est-elle vraie ?

Examinons la situation froidement et objectivement. Tout est relatif en matière de comparaison, d'une opposition à l'autre. Il y a dix ans, nous étions sévèrement battus par la droite, mais pas honteusement éliminés par l'extrême droite. Il y a dix ans, la section socialiste était divisée, mais pas coupée en deux. Il y a dix ans, nos réunions publiques n'attiraient pas les grandes foules, mais les salles n'étaient pas vides. On peut appeler cette évolution le "merdier" si on veut, bien que ce ne soit pas ma façon de m'exprimer.

Quant à la victoire de la gauche locale aux prochaines municipales, Odette n'invente rien : je ne connais personne dans Saint-Quentin qui nous imagine gagner, même si, en cherchant bien, un fou, un idiot ou un menteur vous dira sûrement le contraire. Mais ce n'est pas une raison pour désespérer. Au contraire, la difficulté doit être un stimulant, l'impossibilité apparente nous lance un défi, pourvu qu'on ne passe pas du désespoir ("c'est foutu") à la consolation ("c'est pas si mal que ça, ça ira mieux demain"). J'invite à méditer sur ce proverbe bouddhiste : "La fleur de lotus pousse dans la boue" (Odette dirait : le merdier).

Alix Suchecki, ancienne adjointe communiste aux finances, est celle qui a les mots et le ton les plus justes : "L'opposition actuelle fait ce qu'elle peut mais est limitée par la place qu'on lui laisse. Et puis, le conseil municipal c'est d'un plat ... On y avalise les décisions que le maire a prises auparavant". Tout est dit. L'opposition ne peut pas aller au-delà d'elle-même, de ses moyens, de ses choix, de ses alliances. Elle ne peut compter que sur sa bonne volonté. Mais est-ce suffisant pour gagner ?

Quant au conseil municipal, j'ai souvent expliqué que l'avenir de l'opposition ne se jouait pas dans ce théâtre d'ombres où les rôles sont programmés d'avance, mais à l'extérieur, dans la cité, les luttes sociales, la vie associative, les activités publiques. A défaut, l'opposition restera dans l'opposition, se satisfaisant de ses scores "pas si mauvais que ça". Mais je persiste à penser que ce n'est pas une vie, que les remèdes existent pour fortifier la gauche, à condition qu'elle ne reste pas dans son quant-à-soi, ses préjugés, ses routines. "La fleur de lotus pousse dans la boue", vous dis-je.

vendredi 5 août 2011

Un jour viendra.

Au dernier hommage rendu ce matin à Patrice Thétier, il y avait tant de monde que la chambre funéraire n'était pas assez grande. C'est pourquoi j'ai eu du mal à entendre les prises de parole. Ce que j'ai compris, en saisissant quelques mots au passage, c'est que tout un pan de la vie de Patrice m'était inconnu, alors que j'aurai aimé le partager avec lui.

Une collègue de travail nous a parlé de son intérêt pour la psychanalyse, Jacques Lacan, l'association Don Quichotte et les romans de Balzac. A l'écoute, je me suis dit que nous savons bien peu des autres, qu'on croit pourtant bien connaître : il y a l'image, mais nous allons rarement voir derrière. C'est d'ailleurs peut-être impossible. Mais il faut avoir toujours à l'esprit qu'un homme ou qu'une femme sont toujours beaucoup plus que ce qu'on en dit.

Dans la foule, j'ai reconnu beaucoup de personnels hospitaliers, des militants du syndicat SUD-Santé bien sûr, dont certains portaient le drapeau des manifs, des membres de la CGT. Quelques visages familiers : Laurent Pipart, responsable SUD-territoriaux ; Fabien Morini, de l'UNSA ; Maurice Vatin, figure socialiste, qui a fait partie de la même majorité municipale que Patrice Thétier, de 1977 à 1983, à Saint-Quentin (Patrice est devenu conseiller municipal à 23 ans !).

Au moment de se recueillir devant le cercueil, quelques chansons ont accompagné cette fin de cérémonie, et l'une d'entre elles m'a saisi, interprétée par Jean Ferrat, tirée d'un poème d'Aragon, pas très connue, "Un jour un jour". Cette chanson, je l'ai découverte et appréciée il n'y a pas si longtemps, il y a deux ans. J'avais décrit l'émotion qu'elle avait alors provoquée en moi dans un billet de mon précédent blog ( laisneavecdsk.blogspot.com/2009/04/un-jour-un-jour.html ). Et aujourd'hui, c'est ce même texte, superbe, qui me touche à nouveau, dans ces circonstances si particulières.

Dans l'après-midi, j'avais rendez-vous à l'hôpital psychiatrique de Prémontré, où la Ligue de l'enseignement anime les activités culturelles destinées aux patients, retrouvant ainsi le milieu dans lequel Patrice a travaillé, mais à Saint-Quentin. Curieuse coïncidence là aussi, lien entre la mort et la vie, comme si les choses avaient spontanément un sens. Je vous laisse avec le refrain de "Un jour un jour", et puis après, le silence :

Un jour pourtant, un jour viendra couleur d'orange
Un jour de palme, un jour de feuillages au front
Un jour d'épaule nue où les gens s'aimeront
Un jour comme un oiseau sur la plus haute branche.