lundi 30 novembre 2015

La rue n'est plus à nous



Pendant longtemps, la gauche française a entretenu un rapport unique, exceptionnel, historique avec la rue, de la prise de la Bastille aux barricades de Mai 1968. La gauche vivait de la rue, y puisait sa légitimité, souvent y régnait en maître. La droite, au contraire, répugnait à y descendre, sauf circonstances dramatiques. Pendant longtemps, l'épreuve de feu d'un homme de gauche, ses blessures de guerre, c'était participer à une manif, brandir une banderole, gueuler un slogan, distribuer des tracts sur le marché, éventuellement faire le coup de poings contre les fachos. C'est fini, la rue n'est plus à nous, c'est terrible et il y a de quoi avoir peur.

Voyez le sondage BVA du jour, en vue du premier tour des élections régionales : 42% pour le FN, 17% pour le PS dans notre grande région ! Quoi, la patrie du socialisme, le nord de la France, dominée par l'extrême droite ? Je ne veux pas y croire, j'espère encore un sursaut dimanche soir. Mais l'espoir n'interdit pas la réflexion : qu'as-tu fait, ma gauche, pour en arriver là ? Il faut que tu retournes dans la rue, d'où tu viens.

Ce week-end, nous avons eu droit, à Saint-Quentin, à un spectacle désolant : les jeunes du Front national, triomphants, agitant des drapeaux tricolores au-dessus du pont en bas de la rue de Paris, accueillis par les klaxons des automobilistes. On peut bien sûr se consoler à bon compte en souriant à cette manifestation sauvage d'une poignée d'activistes. Moi, je ne suis pas rassuré : le FN a investi la rue, que nous lui avons, d'une certaine façon, abandonnée. J'imagine avec horreur ce qui se passerait si par malheur Marine Le Pen l'emportait au second tour ...

Pendant cette campagne des régionales, une absence locale m'a stupéfait : la tête de liste PCF n'est pas venue dans notre ville, longtemps communiste, où les socialistes ont souvent été à gauche des supplétifs. Rien, aucun meeting communiste dans l'une des villes les plus importantes et les plus ouvrières de Picardie. Je ne suis pas communiste, mais je suis néanmoins effrayé par cette absence, par ce qu'elle révèle de la culture populaire aujourd'hui, de l'état de sa composante la plus militante, la plus politisée.

Le FN, chez nous comme ailleurs, ce serait la peste. Marine Le Pen a annoncé aujourd'hui qu'elle priverait le journal La Voix du Nord de toutes ses subventions, si elle accédait à la présidence. Et pourquoi donc ? Parce que le grand quotidien a manifesté publiquement son inquiétude face à une éventuelle victoire de l'extrême droite. Je le salue pour cette initiative. Il faudrait que chacun, là où il est, en fasse autant, avec les moyens qui sont les siens. Car l'attitude du FN est antidémocratique, totalitaire : on ne coupe pas les financements à un journal parce qu'il ne partage pas vos opinions. C'est l'une des marques de fabrique du fascisme : s'en prendre à la presse, empêcher toute parole libre.

Voilà un bel et terrible exemple qui doit nous amener dimanche à réagir, à faire barrage ! La rue, hélas, n'est plus à nous, et il faudra bien un jour y retourner, pour relever ce qui se sera effondré. En attendant, les urnes sont à nous, le bulletin de vote est notre ultime recours. Faisons-en un usage républicain dimanche prochain. Entre le FN et nous, simples citoyens, il n'y a presque plus rien, mais il reste l'isoloir, pour que le pire n'advienne pas.

dimanche 29 novembre 2015

COP 21




Loin des violences place de la République, la Grande Bibliothèque François-Mitterrand affichait ce soir sur sa façade sa préoccupation pour le réchauffement climatique, à la veille de la COP 21 (en vignette).


Erratum : le précédent billet a confondu deux chansons de Jacques Brel, "Ne me quitte pas" et "Quand on n'a que l'amour". Néanmoins, l'analyse ne varie guère, en ce qui concerne le primat accordé à l'émotion. Une nuance tout de même : la seconde est moins désespérante que la première.

Ne me quitte pas



Nous avons tous à l'esprit, quarante-huit heures après, l'émouvante cérémonie aux Invalides, en hommage aux 130 victimes des attentats terroristes. Le président de la République, dans son allocution, avait une voix et un ton de prêtre, d'autant que ses paroles faisaient écho dans la cour d'honneur, comme une résonnance de cathédrale. De ce discours, nous retiendrons la forte émotion, que traduisait aussi le visage du chef de l'Etat, marqué, creusé, vieilli par l'épreuve, fermant parfois les paupières, comme le font les personnes pieuses qui se recueillent, ou celles qui cherchent à retenir leurs larmes.

L'émotion que nous avons tous ressentie n'interdit pas la réflexion. La cérémonie était sobre dans la forme et riche de références. L'une d'entre elle m'a surpris, tellement elle était, pour moi en tout cas, inattendue : la très belle chanson de Jacques Brel, "Ne me quitte pas", dont on dit que c'est la plus belle de l'interprète, et même la plus belle chanson française. Outre le fait que ce n'est pas ma préférée du chanteur, j'ai trouvé ce choix étrange, mystérieux, presque dissonant, placé ici, dans cet hommage : quel rapport entre un chagrin d'amour et le drame national ?

"Ne me quitte pas" est une chanson belle, mais atroce, une séparation, un déchirement, un désespoir. Un hymne à l'amour ? Non, tout le contraire, la mort de l'amour, pour une raison qu'on ne sait pas, mais qu'on devine irrémédiable. C'est une très belle chanson, mais insupportable, d'autant qu'elle se termine par une humiliation, très loin de l'idée personnelle que je me fais de l'amour : "laisse-moi devenir l'ombre de ton ombre, l'ombre de ta main, l'ombre de ton chien ..." L'ombre de ton chien ! Atroce ... Soumission, rabaissement, perte d'identité au profit de celui ou de celle qu'on aime et qui ne vous aime pas. Aucune dignité, pas d'espoir. C'est magnifique, c'est sans doute hélas vrai, mais c'est horrible, ténébreux. Voilà pourquoi je n'ai jamais aimé cette chanson admirable, désolante et tragique, qui remue le fer dans la plaie, qui ne console pas.

Mais pourquoi l'avoir choisie dans le cadre de cet hommage national, où nous devons guérir de la terreur, où nous attendons un peu de lumière, où la noirceur de Brel n'est vraiment pas ce qui peut nous redonner quelque force ? Etonnant aussi que personne n'ait fait, à ma connaissance, la remarque que je suis en train de faire, dans une société prompte à tout critiquer, y compris les peccadilles. Il y a une explication. Je crois qu'elle est dans ce que j'ai indiqué en début de billet : l'émotion.

"Ne me quitte pas" suscite en nous une émotion, et tout ce que nous vivons depuis les terribles attentats est dans ce registre-là, qui caractérise la société contemporaine, à tel point qu'on ne le remarque plus, qu'on ne s'en étonne pas. Le chef de l'Etat, aux Invalides, n'a pas été lyrique, vengeur, martial comme l'auraient été les chefs de jadis, mais ému et émouvant, Brel prolongeant, renforçant, accentuant cette émotion. Peu importe que le contenu de la chanson n'ait strictement rien à voir avec les événements que nous vivons : l'émotion est là.

Et puis, ce "Ne me quitte pas" s'élevant au-dessus des cercueils de ceux qui nous ont quittés et qu'on ne reverra jamais avait quelque chose de pathétique, en accord avec le drame qu'est toute disparition. Dieu sait si notre société ne sait plus trop comment s'y prendre avec la mort ! Une chanson l'y aura aidée, comme la tragédie antique selon Aristote opère en nous une catharsis, provoquant une douleur en même temps qu'elle nous en délivre. Le genre est tombé en désuétude, mais la chanson populaire, en l'espèce celle de Jacques Brel, agit de même.

samedi 28 novembre 2015

Elections, dernière semaine




Plus qu'une semaine de campagne avant le premier tour des élections régionales. Hier soir, les écologistes d'EELV ont tenu une réunion publique, dans l'auditorium de l'Ecole nationale de musique, à Saint-Quentin, en présence de Michel Magniez, responsable local, Dominique Jourdain, tête de liste dans l'Aisne, et Sandrine Rousseau, tête de liste régionale (vignette 1, de gauche à droite).

C'était la troisième visite de la candidate dans notre ville, après le 19 juin (voir billet à ce jour) et le 5 novembre. Le public (vignette 2) et les membres de la liste ont débattu de l'équilibre entre les territoires de la région, des déserts médicaux dans l'Aisne, du réseau des transports en commun, de la valorisation du patrimoine historique et culturel. Il a bien sûr été aussi question des attentats qui ont meurtri notre pays.

Vendredi prochain, c'est Lutte ouvrière qui se réunira (voir billet de jeudi). Les listes PCF et PS n'ont pas encore annoncé de réunions publiques (la venue de la tête de liste socialiste, Pierre de Saintignon, prévue initialement le 14 novembre, avait été reportée à cause des attentats et du deuil national).

La chasse au petit Jésus



Décembre approche, et avec lui les fêtes. C'est donc parti : la chasse au petit Jésus est ouverte. Depuis deux ou trois ans, les crèches de Noël dans l'espace public sont montrées du doigt et condamnées pour atteintes à la laïcité. Mon ami Olivier Lazo, le sympathique et dynamique président d'honneur de la Ligue des Droits de l'Homme dans l'Aisne (voir billet du 9 septembre), a bien voulu me prévenir, par courriel, que Xavier Bertrand faisait copain avec Jésus et ne suivrait pas les recommandations de l'Association des maires de France et de ses représentants, François Baroin (Les Républicains) et André Laignel (Parti socialiste), qui prônent l'interdiction.

Je n'ai pas répondu à Olivier, parce que je n'aime pas décevoir un ami. Il m'a invité à traiter du sujet sur ce blog : je le fais. D'abord, à tous mes amis de gauche, je demande de ne plus penser à Xavier Bertrand, de ne plus parler de Xavier Bertrand, de ne plus se référer à Xavier Bertrand. J'ai le sentiment que beaucoup d'entre eux se lèvent avec Xavier Bertrand en tête, se couchent mêmement avec Xavier Bertrand, mangent matin, midi et soir avec Xavier Bertrand à l'esprit. Je vais jusqu'à me demander s'ils ne font pas l'amour en pensant à Xavier Bertrand ... Pitié, pitié, pitié ! Chers amis, chers camarades, pensez à vous, partez de vos convictions, affirmez vos points de vue, mais ne vivez plus avec Xavier Bertrand !

Sur cette affaire de crèches, peu m'importe ce que pense et ce que fait le député-maire de Saint-Quentin : je me détermine par rapport à moi, pas par rapport à lui. Et je pense quoi ? Que cette polémique, qui revient en hiver comme les bourgeons au printemps, les moustiques en été et les marrons en automne, est ridicule, complètement ridicule. Autrefois, nos ancêtres laïques songeaient-ils à jeter l'opprobre sur des crèches qui ne sont que des motifs décoratifs, des objets de folklore plus que de foi ? Non, alors suivons leur exemple, au lieu de s'inventer de faux combats et des dangers imaginaires. La vue d'une crèche de Noël n'a jamais converti personne, et n'est d'ailleurs pas faite pour ça, mais pour faire joli. Olivier, laisse tomber cet affrontement de polichinelles.

Il y a plus grave. A l'heure où le fanatisme frappe la France, où le terrorisme et le totalitarisme islamiste menacent le monde, n'ajoutons pas de l'hystérie antireligieuse à l'hystérie religieuse. Restons-en à l'application de la loi républicaine, tempérée par le bon sens et le souci de la paix civile. Sachons discerner les priorités et les urgences. Après la chasse au voile musulman, après la chasse à la crèche chrétienne, à qui le tour ? Non, ce n'est pas ça la République, le coup de fusil quand la religion pointe le bout du nez, mais c'est l'existence et l'expression de toutes les convictions, y compris spirituelles, dans la liberté et le respect.

Enfin, nous vivons dans une société où la symbolique est en crise, où un pauvre sapin de Noël prend des allures inquiétantes de dangereux prosélytisme religieux, où la Marseillaise révolutionnaire est utilisée par des contre-révolutionnaires, où un pays de culture catholique reprend les traditions d'une nation protestante (voir le billet précédent). Il nous reste quelques signes, dont nous avons perdu le sens et que nous sur-interprétons : c'est ainsi qu'une crèche de Noël est perçue à tort pour une offense à la République et une entorse à la laïcité. Il faudrait que l'une et l'autre soient devenues bien faibles, bien fragiles pour craindre le petit Jésus, le bœuf et l'âne auprès de Joseph et Marie.

vendredi 27 novembre 2015

Une journée unique et historique



Nous avons vécu une journée historique, avec l'hommage national rendu aux victimes des attentats du 13 novembre à Paris. J'ai contribué à mon modeste niveau, sur ce blog, en consacrant plusieurs billets aux maisons saint-quentinoises qui ont arboré le drapeau tricolore. Quoique minoritaires, elles étaient plus nombreuses que je ne l'aurais cru. Cette journée est en rupture avec notre histoire et nos traditions, pour quatre raisons :

1- Jamais un tel hommage n'avait honoré des civils, mais toujours des militaires. C'est un changement dans l'image que nous nous faisons d'une victime, qui n'est plus désormais un soldat, mais un simple citoyen, un innocent.

2- Jamais il ne nous avait été demandé de mettre les drapeaux aux fenêtres. Ce geste n'est pas dans notre culture, mais une coutume américaine. Le protestantisme, qui est le substrat idéologique des Etats-Unis, extériorise la foi et les sentiments, ignore la confession privée au profit de la confession publique, comme ces étonnants cercles d'anciens alcooliques qui étalent, devant tous, leurs travers. A notre tour, nous sommes invités à ne pas garder le patriotisme dans notre cœur, mais à l'afficher aux balcons. De même, nous ne mettons plus de cierges dans les églises, en une dévotion personnelle, mais des petites bougies sur la voie publique, comportement également américain. La journée que nous avons vécue confirme un phénomène vieux d'un siècle et demi : l'américanisation de nos mœurs, paradoxalement sous couvert de patriotisme.

3- Jusqu'à présent, on ne pavoisait que pour une victoire, un événement glorieux, un acte héroïque, comme le 14 juillet et sa célébration de la prise de la Bastille. D'ailleurs, pavoiser, au sens ordinaire du terme, c'est manifester sa fierté dans la joie. Nous avons assisté aujourd'hui à un tournant : on a pavoisé à l'occasion d'une tragédie, d'un massacre et, pour le dire en termes militaires, d'une défaite.

4- Cette journée a réaffirmé la quête d'identité qui travaille la société française depuis une vingtaine d'années, avec sa réponse : la référence patriotique, qui pourtant ne va pas de soi. La population pouvait, face à l'horreur et à la barbarie, mettre en avant le buste de Marianne ou la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen. Non, c'est le drapeau tricolore qui a emporté la conviction, qui a semblé être l'ultime recours, le principe rassembleur contre la terreur, y compris à gauche, contrairement là aussi à ses traditions.

Mais quel est donc ce patriotisme que tout le monde brandit ? On cite Romain Gary : "le patriotisme, c'est l'amour des siens ; le nationalisme, c'est la haine des autres". Non, je n'adhère pas à cette formule trop facile, à cette distinction ténue. Jean-Jacques Rousseau nous explique que les hommes primitifs, qui ont l'esprit de tribu, aiment d'autant plus leurs proches qu'ils détestent les autres. Entre amour et haine, il n'y a pas contradiction mais complicité.

Mon patriotisme n'est pas celui-là : c'est l'adhésion à des idées, une histoire, des événements, une langue, de grands personnages, une littérature, des arts, une culture que je n'ai pas choisis mais qui m'ont formé et dont la valeur est universelle. Rien à voir avec le nationalisme, qui est un particularisme, une réduction de ce que nous sommes à une identité homogène, exclusive, violente.

Cette journée d'hommage national aura enfin été le deuil d'une génération, les trentenaires, vantés jusqu'au 13 novembre pour leur sens de la fête, leur goût pour la dérision, leur individualisme assumé, et qui ont été les principales victimes des attentats. Les voici maintenant rattrapés par le tragique, la guerre, la mort, toutes réalités qui leur étaient totalement étrangères. Le drapeau tricolore et l'hymne national n'étaient pas dans leurs mœurs ; c'est pourtant ces symboles qui leur rendent hommage au moment du grand départ. Décidément, nous avons vécu une journée pas comme les autres, un tournant, peut-être un changement d'époque.

St-Quentin en trois couleurs



Vignette 1 : rue Raspail
Vignettes 2, 3 et 4 : rue Jean-Jaurès

St-Quentin en trois couleurs



Vignette 1 : rue Arthur-Gibert
Vignette 2 : résidence de l'Hôtel-Dieu
Vignette 3 : rue Coulombié
Vignette 4 : rue Heuzet

St-Quentin en trois couleurs



Vignette 1 : rue de la Pomme rouge
Vignette 2 : rue de Paris
Vignette 3 : rue Mariolle-Pinguet
Vignette 4 : place Bisson

St-Quentin en trois couleurs



Vignette 1 : rue Jacques-Lescot
Vignettes 2 et 3 : avenue Faidherbe
Vignette 4 : rue Longueville

jeudi 26 novembre 2015

Une fille nommée révolution



Je voudrais, sans la nommer,
Vous parler d'elle
Comme d'une bien aimée
D'une infidèle,
Une fille bien vivante
Qui se réveille
A des lendemains qui chantent
Sous le soleil


Cette fille, je l'ai rencontrée : c'est Anne Zanditenas (en vignette), c'est la révolution permanente, conçue par Léon Trotski, chantée par Georges Moustaki ("Sans la nommer", 1973). La première fois où j'ai rencontré des militants de Lutte ouvrière (LO), c'était en mai 1979, pendant la campagne des élections européennes, dans la petite salle de la mairie de Saint-Amand-Montrond (Cher). Un couple, lui les cheveux courts, à l'époque de la mode rebelle des cheveux longs : très organisés, discours structuré. Les sidérurgistes étaient en ébullition dans le nord du pays : à Longwy, à Denain, je ne sais plus où, des coups de feu avaient été tirés. J'avais alors posé la question aux deux militants : la révolution, jusqu'où ? Jusqu'à prendre les armes ? Ils m'avaient répondu que oui, j'en étais ressorti impressionné.

36 ans plus tard, dans un café de Saint-Quentin, devant la responsable locale de LO, la réponse est la même, et l'impression aussi forte : oui, la révolution viendra d'en bas, oui, elle sera violente, parce que la bourgeoisie ne se laissera pas faire, comme en 1789, comme en 1871, comme en 1917. Mais où la voit-elle, Anne Zanditenas, cette belle inconnue, la révolution ? Dans les craquements du monde, passés, présents et à venir, dans le printemps arabe, dans les concentrations ouvrières en Chine, porteuses de révolte. Car la révolution en marche sera mondiale. Avoir des élus, c'est bien ; faire avancer les choses, c'est utile : mais il ne faut pas compter sur le système parlementaire pour changer la société.

Anne me raconte la révolution d'un ton calme, posé : elle est d'extrême gauche, mais pas extrémiste. D'où lui viennent cette certitude, cette énergie ? Sa famille est juive, ses membres ont connu les camps de la mort, son antifascisme est chevillé au corps. Au début des années 80, elle a perçu autour d'elle les injustices sociales. C'était fait, elle est devenue révolutionnaire. Pourquoi Lutte ouvrière, pourquoi pas un autre parti, pourquoi pas la gauche réformiste ? Elle a d'abord rencontré les camarades d'Arlette Laguiller, à 18 ans, et leur est restée fidèle, plus de 30 ans après. C'est remarquable, quand on sait les départs, les ralliements et les retournements qui sont monnaie courante dans bien des organisations politiques.

Je lui demande si elle verra de son vivant cette révolution qu'elle pense inéluctable. A l'âge de 18 ans, elle était persuadée que oui ; à 50 ans, elle ne sait plus, mais elle ne doute pas de l'événement. Car son engagement n'est pas romantique, ni juvénile : c'est le résultat d'une grille de lecture de la société et de l'histoire. Ce professeur de mathématiques au lycée Pierre-de-La-Ramée est dans une démarche rationnelle. Je l'imagine, le soir, dans son lit, en train de feuilleter et d'annoter Marx, Lénine et Trotski. Communiste et révolutionnaire, voilà ce qu'Anne Zanditenas souhaite qu'on retienne d'elle. Elle a aussi cette formule qui me plaît : nous sommes révolutionnaires avant la révolution.

Au fond de moi, pour tenter de comprendre un itinéraire si fort, si constant, je ne peux pas m'empêcher de penser au messianisme juif, à sa dimension apocalyptique, à la quête d'un Royaume de justice. Mais je déchante vite : Anne Zanditenas est très hostile aux religions instituées, à ses yeux sources d'oppression. Elle rêve d'une humanité qui en serait libérée (je tique un peu). Intellectualisée, la démarche révolutionnaire est aussi sensible, émotive : le sentiment de révolte motive, les solidarités ouvrières réconfortent, les événements réactivent l'espoir. Il n'y a pas place pour la lassitude, le découragement ou la mélancolie.

Anne et ses camarades sont minoritaires ? Qu'importe, et parfois tant mieux : il faut savoir penser autrement, rester libre, par exemple ne pas entrer dans cette union sacrée qu'ont provoquée les attentats terroristes, parce que l'horreur meurtrière n'efface pas les responsabilités du capitalisme. Ce qui compte, c'est la classe ouvrière, et ce qui distingue fondamentalement LO des autres formations de gauche et d'extrême gauche, c'est cette référence exclusive à la classe ouvrière, socle de la révolution future et du communisme qu'elle engendrera.

Le communisme, justement, comment Anne Zanditenas le voit-elle ? Il n'y a pas de modèle, il n'a jamais encore existé nulle part, même pas dans la Russie bolchevique des origines. Une utopie, alors ? Non, quelque chose en gestation, comme le montre l'évolution des techniques : le développement des communications de toute sorte, l'unification du monde vont dans le sens de ce que prévoyait Karl Marx.

Je titille Anne : et le reproche de "sectarisme" qu'on fait à son orga ? Une calomnie, rétorque-t-elle, née des succès électoraux de LO, dans les années 90. Je l'interroge sur l'éventuelle existence d'une structure parallèle à son parti, une hiérarchie cachée, comme en ont souvent les organisations révolutionnaires, mais sous d'autres latitudes. Zanditenas a 30 ans de militantisme derrière elle : j'imagine facilement qu'elle doit avoir un rôle majeur, national dans cette forme de clandestinité. Elle dément. Serais-je victime de mes fantasmes politiques ou de la bière forte que je bois devant elle ?

Quand la révolution a l'assurance, la douceur, les yeux clairs et le sourire d'Anne Zanditenas, on serait presque prêt à s'engager, à devenir révolutionnaire. Changer le monde, transformer la société, être du côté des exploités, se battre pour la justice, aspirer à l'égalité, pourquoi on ne le fait pas, pourquoi je ne le fais pas ? Parce que la révolution est belle, mais aussi tragique, incertaine. J'ai beau être séduit, je n'arrive pas à communier à cette volonté et à cette raison que j'aimerais tant, par certains côtés, partager, cette révolution "qui donne envie de vivre, qui donne envie de la suivre, jusqu'au bout, jusqu'au bout" (dernière strophe de la chanson de Moustaki).


Anne Zanditenas et ses camarades de Lutte ouvrière tiendront une réunion à Saint-Quentin le vendredi 04 décembre, à 18h00, dans la salle municipale du quartier Europe, dans le cadre de la campagne pour les élections régionales.

mercredi 25 novembre 2015

Le Pen d'après



Dans 11 jours aura lieu le premier tour des élections régionales. Un nouveau sondage donne le Front national à un niveau très haut, 40% dans notre région, devançant de loin la droite et la gauche. De quoi se nourrit l'extrême droite ? Des événements, de la xénophobie ambiante, mais aussi de notre silence, de notre indifférence, de notre peur, de notre paresse, de notre lâcheté. Les gros fainéants et les petits pervers nous intiment de ne pas parler du FN "pour ne pas faire sa pub". Qu'est-ce qu'on n'inventerait pas pour justifier son impuissance et son fatalisme ! Je ne m'y résous pas. L'extrême droite et ses dangers, il faut les crier matin, midi et soir, la nuit si c'est possible, pour briser la conjuration des taiseux.

Lundi dernier, Marine Le Pen était en meeting à Amiens. Demain, elle sera en Thiérache. Pour le chef et son parti nécrophage, il s'agit d'exploiter les attentats terroristes, de faire monter la peur, d'exalter son projet, xénophobe, autoritaire et nationaliste. Elle compte bien surfer sur les malheurs de la France. Pourtant, sa victoire ne ferait qu'empirer la situation, ajouter du drame à la tragédie. A cause des trois ressorts qui structurent son idéologie, Le Pen engendrerait le pire :

1- A cause de sa xénophobie, le terrorisme sur le sol national serait augmenté. Les islamistes seraient excités à l'idée de combattre les islamophobes. Il en résulterait un climat de guerre civile, avec ses inévitables passages à l'acte. Les appels à l'ordre sont souvent les prémices du chaos. Une victoire du FN nous en préparerait un beau ! On dit que les extrêmes se touchent : peut-être, mais c'est pour s'affronter.

2- A cause de son autoritarisme, l'accession au pouvoir de l'extrême droite, dans l'état d'insécurité actuel, serait un véritable danger pour les libertés publiques. Le FN aurait recours à la force, lui qui ignore la tradition républicaine. Une partie de l'opinion, apeurée, suivrait. Les mesures d'exception, les restrictions des droits démocratiques, c'est la marque de fabrique de cette famille de pensée, qui porte aujourd'hui le masque, qu'il sera demain trop tard de faire tomber.

3- A cause de son nationalisme, c'est la lutte contre Daech qui serait suspendue. Le FN n'aime pas les étrangers chez nous, mais se moque de leur sort chez eux. Le nationalisme du FN n'est pas conquérant, à la différence des fascismes d'avant-guerre. Il est défensif, érige la nation en absolu et prône l'indifférence à l'égard du monde. Depuis sa création, le Front national a critiqué toutes les interventions militaires de la France à l'étranger, au nom du repli sur le pré carré national. Comme les fascismes avant leur entrée en guerre, il est pacifiste. L'expédition punitive contre l'Etat islamique serait donc compromise avec le FN.

Ma réaction n'est qu'un élément dans la lutte contre le FN. Il en faut d'autres, bien sûr. Mais par dessus tout, il faut parler, écrire, agir, ne pas céder à la faiblesse volontaire de tous ceux qui nous disent que le mieux est de se taire. Sont-ils tétanisés devant la montée qui leur semble inexorable du mal ? Ont-ils des calculs en tête, des arrière-pensées ? Je n'en sais rien, c'est possible, mais ça ne m'intéresse pas. J'en reste à une évidence : si on veut faire échouer le FN, il faut combattre le FN. Et si le FN gagnait, c'est qu'on ne l'aurait pas assez combattu.

mardi 24 novembre 2015

Le dernier des militants



Je n'ai pas pour habitude de relire les billets de ce blog. Quand c'est publié, c'est publié : inutile de revenir dessus, il faut passer à autre chose. C'est mieux, sinon on est forcément mécontent, déçu, il y a toujours des choses qui ne vont pas, qu'on écrirait autrement. Mais mal m'en a pris : j'ai relu le billet de dimanche dernier. Mauvais, très mauvais. Et quel titre, mon Dieu ! "Fierté et fidélité" ! Qu'est-ce qui m'est passé par la tête ? C'est pompeux, maladroitement lyrique, prétentieux, ridicule ...

Bien sûr, je ne renie rien du contenu : la défense de la politique gouvernementale, à travers quelques réformes qui me paraissent essentielles. Mais la forme est complètement dépassée : plus personne ne pratique la littérature militante comme je le fais. Le style est affirmatif, catégorique, enthousiaste : ça ne passe plus du tout aujourd'hui, on en sourit. Je déclame, j'apostrophe, je prophétise : ce n'est pas dans l'air du temps, qui manie la légèreté, la dérision, ignore la passion politique.

Même les partis ne le font plus. Connaissez-vous, à Saint-Quentin, un seul site, un blog, une page Facebook qui expliquent la politique de François Hollande, argumentent sur les réformes en cours, valorisent les résultats obtenus, fassent l'éloge du travail de nos ministres ? Champagne, si vous trouvez ! Avez-vous déjà assisté à une réunion publique qui fasse œuvre de pédagogie pour populariser la gauche au pouvoir ? Moi pas (j'exclus les périodes électorales, qui sont des passages obligés, c'est bien le moins).

Plus de collages d'affiches, ou alors rarissimes, plus de distributions de tracts sur les marchés, plus de petit bulletin local comme autrefois, plus de communiqués dans les journaux, plus de conférences de presse. Au Conseil municipal, les controverses sont purement saint-quentinoises : lorsque Xavier Bertrand s'en prend au gouvernement (ce dont il ne se prive pas), il n'y a pas de riposte. J'ai la désagréable impression d'être le dernier militant socialiste de Saint-Quentin, avec les faibles moyens qui sont les miens. Ailleurs, je ne sais pas si c'est pareil, mais chez nous, je suis le survivant d'une espèce en voie de disparition, même pas protégée, une bête curieuse, plus en phase avec son époque (je ne parle pas ici des autres partis, dont j'ignore les activités). La politique se fait sans doute autrement, passe par d'autres voies, des activités de réseaux. Je suis le dernier des militants : un ringard.

lundi 23 novembre 2015

Y a-t-il un socialiste dans la salle ?



Dix jours après les attentats meurtriers de Paris et à quinze jours du premier tour des élections régionales, la séance du Conseil municipal à Saint-Quentin était attendue. Une minute de silence a honoré, au début, les victimes des tragiques événements, qui ont suscité le soutien des villes jumelées, dont le maire a lu les courriers des premiers magistrats, avant de rappeler la nécessité des mesures de sécurité, notamment aux abords des écoles. Puis la politique ordinaire a repris son cours, avec un gros morceau à l'ordre du jour : le débat sur les orientations budgétaires.

De débat, il n'y a pas eu, en réalité, mais un affrontement, parfois violent, entre l'élu communiste Olivier Tournay, plus pugnace que jamais, et le maire Xavier Bertrand. Le premier dénonce la baisse des fonds accordés aux services sociaux, le second défend sa politique d'investissement et de non augmentation des impôts. Tous les deux se retrouvent pour regretter la baisse des dotations d'Etat (mais, et là c'est le socialiste en moi qui parle, il faudrait expliquer que cette baisse est la contribution de tous, à quelque niveau que ce soit, en vue de la réduction des déficits publics, objectif gouvernemental essentiel pour l'avenir de notre pays et de son modèle social).

Sur plusieurs points, Bertrand et Tournay ont croisé le fer, par exemple la question des rythmes scolaires et le temps imparti aux activités périscolaires dans l'après-midi. Xavier Bertrand a rappelé qu'il avait déposé un projet de loi devant l'Assemblée nationale, afin que les maires aient plus de latitude pour organiser cette réforme. Là aussi, le socialiste que je suis s'est mis à bouillir devant son écran : il faudrait réaffirmer le caractère national de l'éducation. La souplesse est d'ailleurs permise par la loi, mais il serait dommageable d'attribuer des pouvoir supplémentaires, en la matière, aux maires.

L'échange le plus dur entre les duellistes Tournay et Bertrand aura concerné Habitat Saint-Quentinois. L'office a été l'objet d'une critique serré du conseiller municipal PCF. Point d'orgue de sa démonstration : les 20% d'augmentation en moyenne des loyers, que dément absolument Xavier Bertrand. Le jeune communiste réprouve les "menaces" du maire, le maire réprouve les "mensonges" du jeune communiste. Ces deux-là sont en guerre, c'est certain. Et les autres, FN et PS ? Aucune intervention. Sans doute se réservent-ils pour la prochaine séance, dans un mois environ, où il sera à nouveau question des orientations budgétaires 2016, soumises au vote cette fois.

Le Conseil municipal s'est terminé par l'intervention de Thomas Dudebout, adjoint chargé de la démocratie locale et des quartiers, qui s'est lancé dans un éloquent et enthousiaste bilan des activités des conseils de quartiers, en veillant à remercier tous ceux qui ont contribué aux résultats et aux suggestions. L'expérience n'attend pas le nombre des années : le jeune adjoint a compris qu'en politique il faut veiller à remercier les siens et à guerroyer avec les autres. Ce deuxième volet aura été illustré, ce soir, par son collègue et adversaire de gauche, Olivier Tournay.

dimanche 22 novembre 2015

Fierté et fidélité



Les élections régionales ont aussi une dimension nationale. Il faut se prononcer sur la politique du gouvernement. Aucun scrutin n'échappe à cette réalité. C'est d'ailleurs parfaitement légitime : en démocratie, sauf dans les petites communes, tout vote est politique, et pas seulement local. Le chef de l'Etat et son Premier ministre sont très critiqués. C'est normal, venant de la droite et de l'extrême droite, qui ne partagent pas leurs idées. C'est logique aussi de la part de l'extrême gauche, dont la perspective révolutionnaire n'a jamais admis la social-démocratie. Mais l'électorat socialiste, tenté par un autre choix ou par l'abstention ? C'est à lui que je voudrais m'adresser aujourd'hui, puisque j'en fais partie.

Sommes-nous déçus par François Hollande ? Non, il a appliqué la plupart des mesures annoncées durant sa campagne présidentielle. Les résultats sont-ils au rendez-vous ? Non, pas complétement, mais le mandat n'est pas terminé, il y a des avancées et la direction prise est la bonne. Je ne vois pas une seule grande réforme qui soit contestable, du point de vue qui est le mien. Suis-je d'accord sur tout ? Non, bien sûr, mais mes réticences sont très ponctuelles, secondaires et ne touchent pas au fond de la politique menée. J'ai un seul véritable regret : que le droit de vote aux immigrés extra-européens pour les élections municipales n'ait pas, une fois de plus, été instauré.

Le bilan est bon, les réformes sont nombreuses et positives. Spontanément, de mémoire, j'en retiens cinq :

1- Le non cumul des mandats. Un président de région, par exemple, ne peut plus être en même temps député ou maire. Il faudra aller plus loin, mais la mesure est déjà considérable.

2- La réforme territoriale. Le pouvoir attribué à de super-régions va redonner de la force et de l'efficacité à nos territoires. C'est une nouvelle étape dans la décentralisation, chère à la gauche.

3- La réforme des rythmes scolaires. Il était temps que notre école revienne aux quatre jours et organise dans l'après-midi un temps pour les activités périscolaires, à l'image de ce qui se fait ailleurs en Europe.

4- La généralisation du tiers-payant. La santé, en temps de crise, est devenue coûteuse pour beaucoup, qui ont du mal à avancer l'argent. Voilà donc une remarquable mesure sociale.

5- L'exemption fiscale pour les foyers modestes. En ces périodes difficiles, à défaut d'espérer une augmentation directe du pouvoir d'achat, il est juste que les plus vulnérables ne soient pas assujettis.

Aucun de ces mesures ne sont révolutionnaires. Elles partent de l'existant, elles s'inscrivent dans les évolutions de la société. Mais jamais les socialistes n'ont prétendu être révolutionnaires. Les réformes, c'est très bien comme ça. Ces réformes sous souvent contestées ? Oui, mais connaissez-vous quoi que ce soit, dans notre société, qui ne soit pas contesté ? Quand des élus en place ne veulent pas renoncer à une partie de leur pouvoir, quand l'intérêt des parents passe avant celui des enfants, quand la corporation médicale ne veut pas de changement, quand les classes moyennes se dressent contre les classes modestes, la contestation des réformes c'est l'hommage du vice à la vertu. Mais on ne fera pas renoncer la gauche à être la gauche.

C'est pourquoi je voterai, une fois de plus, socialiste. Mais un socialiste qui vote socialiste, est-ce très original ? Si chaque sympathisant PS faisait comme moi, la majorité des régions de France resterait à gauche. Alors, qu'attendez-vous pour être fidèles à vous-mêmes ?

samedi 21 novembre 2015

Le Masque du dimanche soir



Que faites-vous le dimanche soir ? C'est un moment un peu hors du temps : les dernières heures d'une semaine, quelque chose qui meurt, une autre qui s'annonce. Notre état d'esprit est particulier, mélancolique. Est-ce pour conjurer ce spleen ? Je m'active : il y a tout ce qui est à terminer, il y a tout ce qui est à commencer. Préparer mes affaires, mon cartable, les cours pour le lendemain et la semaine qui vient. D'où une certaine fébrilité, pas toujours très agréable. Et puis, il y a le divertissement, la télé, auxquels on se dit qu'on a bien droit, dans ce week-end finissant, avant de replonger dans le travail. "Je hais les dimanches", chantait-elle. Les dimanches soirs, tout spécialement ?

Heureusement, quelque chose nous sauve de la morosité ou de l'hyperactivité, qui débute par quelques notes guillerettes de piano, suivies d'une voix appliquée prononçant lentement, comme on ne le fait plus aujourd'hui, où l'élocution est très rapide : "Le Masque et la Plume". Nous sommes sur France-Inter, il est 20h00 et quelques, c'est parti pour une heure. Le titre de l'émission est solennel, un peu vieillot (plus personne aujourd'hui n'oserait donner un tel titre à une émission). Il symbolise le théâtre et le cinéma pour le Masque et la littérature pour la Plume. Très classique, pour une séance qui l'est beaucoup moins.

Le Masque et la Plume fête cette semaine ses 60 ans. Que seraient nos dimanches soirs sans cette émission ? Banalement consacrés aux soucis privés, à nos inquiétudes du lendemain et à nos regrets de la veille ? Les émissions culturelles, je m'en méfie, elles sont souvent chiantes : le Masque, comme on l'appelle plus simplement, c'est un bonheur de découverte, de curiosité, d'intelligence et de contestation ! C'est un ton qu'on ne trouve plus guère ailleurs, alors même qu'on devrait le trouver partout. Des critiques viennent s'expliquer et s'écharper autour de films, de romans et de pièces.

A la télévision surtout, dans les émissions de ce genre, c'est le conformisme, le bon ton, l'esprit de promotion, parfois la flagornerie et le renvoi d'ascenseur qui dominent. Même mon cher Pivot et son Apostrophes n'en étaient pas loin. Le Masque, c'est tout le contraire, et c'est un exercice exceptionnel dans les médias : gueuler son désaccord, descendre en flèche une œuvre qu'on n'aime pas, le dire avec des mots crus, ne pas se priver d'ironiser, ignorer les impératifs de l'audimat ou le respect qu'on doit aux auteurs, il n'y a que Le Masque et la Plume qui se l'autorise. Mais la critique est toujours sérieuse, argumenté et contradictoire, laissant parfois la parole au public. C'est une émission voltairienne. La messe le matin, le Masque le soir : voilà nos dimanches.

Il n'y a que les révolutionnaires qui ne changent rien. Le Masque et la Plume, c'est la même liturgie dominicale depuis 60 ans, l'émission radiophonique peut-être la plus ancienne et qui n'a subi aucune modification à travers le temps. Pourquoi se rajeunir quand on n'a pas pris une ride ? Le Masque ne s'est pas bonifié au fil des années : il était excellent dès le premier cru. Vous ne trouverez absolument rien d'équivalent dans notre paysage médiatique : c'est un phénomène unique en son genre. Si vous avez le malheur de ne pas connaître, goûtez-y très vite : vos dimanches soirs seront transformés.

J'ai eu le plaisir d'assister à plusieurs enregistrements du Masque et la Plume. C'est bien, mais moins bien qu'à écouter à la radio. Regarder n'apporte rien : l'oreille, c'est l'essentiel. Mais surtout, ces enregistrements publics ont lieu en semaine : il leur manque le charme du dimanche soir. C'est comme boire du champagne dans un gobelet en plastique : il faut une flûte de cristal. Je suis né alors que le Masque existait. Je mourrai et je suis sûr qu'il se poursuivra après moi. Est-il alors la peine de souhaiter une longue vie à ce qui est éternel ? Bon anniversaire suffira.

vendredi 20 novembre 2015

A qui profite le crime ?



Une semaine après les attentats, nous ne parlons que de ça. En 9 ans de rédaction de ce blog, c'est la première fois. La vie normale reprend peu à peu son cours, la campagne des régionales aussi, à partir de ce week-end. Personne n'ose poser la question : quelles seront les retombées électorales au scrutin dans 15 jours maintenant ? Car il y aura forcément des conséquences politiques. Mais lesquelles ?

Le chef de l'Etat s'est donné une image de chef de guerre, protecteur de la nation. Il a réagi rapidement, a riposté à la mesure de l'événement et de sa gravité. Les Français lui en sauront gré. La polémique sur les "failles" de la surveillance policière est dérisoire et déplacée. Mais le rôle de François Hollande n'est plus exactement celui de janvier, où il s'était fait défenseur de la liberté. Aujourd'hui, c'est la nation même qui est menacée, et nous ne connaissons pas les suites de cette tragédie. On sait comment on entre en guerre, on ignore comment on finit. Et puis, en matière électorale, les Français continueront, comme ils l'ont toujours fait, à voter sur les questions de politique intérieure, emploi, pouvoir d'achat, retraite ... et pas sur la politique étrangère du président de la République.

Le Parti socialiste, mal en point dans les sondages, doit afficher plus que jamais sa solidarité avec le chef de l'Etat, dans la situation qui est la nôtre. Avant les attentats, ça n'a pas toujours été le cas. Des candidats pourtant estampillés PS ont eu la tentation de jouer solo, de se dissocier du gouvernement, de refuser le soutien de ses ministres, ce qui est tout de même aberrant, surtout quand des ministres sont présents sur des listes ! La gauche de la gauche et les écologistes ne sont pas, à mon avis, dans un contexte favorable : ils répugnent généralement à toute forme d'union sacrée, surtout lorsqu'il s'agit de prendre des mesures sécuritaires et de faire la guerre.

Et la droite ? Elle est divisée entre deux soucis contradictoires : ne pas briser l'unité nationale, n'avoir en tête que l'intérêt supérieur du pays en ces temps douloureux, et en même temps faire entendre sa différence, critiquer la politique étrangère du chef de l'Etat, se poser en alternative à l'occasion des élections régionales. Finalement, c'est la droite qui a la tâche la plus difficile, la plus délicate.

A qui profite le crime ? Nous le savons si bien, nous le redoutons tellement que nous faisons silence : ce qui se passe depuis une semaine, le déferlement d'images violentes sur nos écrans, ne peut que profiter au Front national, déjà à un niveau élevé avant les attentats. Car les thèmes qui lui sont chers, insécurité, menace islamiste, désir d'ordre et d'autorité, référence à la nation, circulent désormais, encore plus, un peu partout. Le vote FN, c'est le vote de la peur et de la xénophobie, que les événements tragiques ne peuvent que renforcer.

Il faut bien sûr lutter contre cette tendance, qui n'est pas non plus inéluctable. Car il ne sert à rien d'ajouter de la violence à la violence, du désordre au désordre. La France a besoin d'unité et de calme, que ne lui apporterait certainement pas une victoire du Front national. Ce qu'il faut expliquer, c'est que le nationalisme et le djihadisme, l'extrême droite et l'islamisme radical, s'alimentent l'un l'autre, comme dans un effet de miroir inversé. Tous les deux se confortent mutuellement en se dénonçant réciproquement. Ce sont les meilleurs ennemis du monde, deux radicalités solidaires dans leur opposition, partageant un même fond identitaire, quoique complètement différents. La distinction, c'est que les uns sont simplement dangereux et les autres criminels. Ce qui est certain, c'est qu'en votant FN, on ne combattra pas la barbarie, on ne fera que rendre plus difficile une situation déjà difficile.

jeudi 19 novembre 2015

SOS Psy



Des jours tragiques que nous avons vécus, plusieurs figures positives se sont détachées : l'agent cagoulé du GIGN qui sauve, le médecin secouriste qui soigne, mais aussi le psychologue qui écoute. Ou plutôt la "cellule psychologique", comme on parle de "cellule antiterroriste" : elle renvoie à un collectif, des psychologues en quelque sorte volants, qui viennent là où on les appelle, là où le mal frappe. Contrairement à la psychologie de ville, si on peut dire, où c'est le patient qui se déplace.

A chaque drame, partout, auprès des victimes et même de ceux qui ne le sont pas directement, les psychologues sont cités et sollicités. A tel point qu'on ne s'interroge plus sur leur présence, leur intervention, à quoi ils servent et ce qu'ils font. Les caméras pourtant très fouineuses n'investissent pas ces fameuses "cellules psychologiques", ne nous montrent pas ce qui s'y passe, sur ces télévisions où l'on nous montre tout. Comment se déroulent les entretiens ? Combien de temps durent-ils ? Quelle est la formation des personnels ? Que recommandent-ils aux victimes ? Y a t-il recours aux médicaments ? Cette activité est-il rémunéré ? La psychologie s'est installée dans notre société comme un fait acquis, une évidence, une bienfaisance insoupçonnable, qu'on n'interroge pas.

La figure du psy, c'est une banalité de le remarquer, se rapproche étrangement de celle du prêtre d'autrefois. A l'un et à l'autre, l'écoute semble être la qualité principale, l'utilité immédiate. Mais le curé était puissamment outillé : sacrement de la confession, rémission des péchés, actes de contrition, jugement dernier, vie éternelle. Que nous propose le psy, quelles sont ses armes pour affronter le malheur du monde et nous en guérir ? Car la simple écoute n'est pas suffisante, et l'on ne traite pas d'une souffrance au milieu d'un événement comme calmement allongé sur le divan, dans le cabinet du thérapeute.

Une question : pourquoi faut-il des spécialistes en cas de malheur, pour notre consolation ? L'affection des proches, famille, amis, ne suffit-elle pas ? La science serait-elle plus compréhensive que l'amour ? Une autre question : les traumatisés sont-ils suivis ? Car nous savons que la psychologie ne traite pas des maux en une séance. Souvent, les séquelles d'un drame apparaissent après, longtemps après.

Les psy qui nous entourent sont de deux sortes : le praticien sur le terrain, celui qu'on ne voit jamais, membre d'une anonyme "cellule psychologique" ; l'expert requis par la télévision, qui vient prodiguer ses explications en public. De ce dernier, j'aimerais qu'il évolue d'une psychologie clinique à une psychologie critique. Qu'il ne se contente pas de décrire, mais de contester. Toutes ces images qui déferlent depuis plusieurs jours sur les écrans, tout ce récit tragique tenu complaisamment par les commentateurs, toute cette dramatisation d'un événement en lui-même dramatique et qui n'a pas besoin de superlatifs, tout ça ne crée-t-il pas aussi des traumas dans les têtes fragiles ?

Les psy sont partout, et cette présence, à chaque fois mentionnée, semble nous rassurer. La tendance va plus loin : non seulement les psy sont partout, mais nous sommes tous des psy, potentiellement, à notre façon, quand l'occasion se présente. Ainsi, j'ai reçu dans ma boîte électronique d'enseignant des recommandations savantes sur la "gestion des émotions des élèves" (sic). Je n'en ai pas fait usage, aucun des miens n'ayant manifesté un quelconque trouble, ni besoin d'en parler (à quoi j'aurais volontiers consenti, à la demande). Comme quoi nous n'avons sans doute pas tous besoin de psy, même quand ils sont partout.

mercredi 18 novembre 2015

Nos enfants n'ont pas peur



Dans le Courrier picard d'hier, une maman se plaint devant une école de Saint-Quentin : elle est colère contre les enseignants, parce qu'ils n'ont pas laissé entrer le papa (sécurité oblige) et parce que des bougies ont été allumées à la mémoire des victimes des attentats et que sa petite fille a été soi-disant traumatisée par cette initiative. Moins virulente, une autre maman est tout de même préoccupée par les mots à utiliser pour ne pas terroriser les enfants. Les deux dames s'accordent sur le fait qu'il faut protéger nos enfants. J'aimerais, l'une et l'autre, les rassurer, et avec elles toutes les mamans et tous les papas de France : vos enfants, nos enfants n'ont pas peur. Les bougies et les mots n'effraient pas, mais symbolisent, expliquent et tranquillisent.

Nos enfants sont familiarisés avec la violence, qu'ils rencontrent souvent à la télévision et dans les jeux vidéo. Surtout, un enfant est quelqu'un qui ignore la mort, qui en a une vue lointaine, non tragique. Il n'a pas conscience du monde et de ses malheurs. Tout est jeu pour lui. Quand j'étais gamin, je m'amusais aux petits soldats, à la guerre ; j'avais des pistolets en plastique et une carabine à air comprimé (j'aimais prononcer ce nom, j'y trouvais du plaisir : carabine à air comprimé). L'enfance, c'est le monde de l'imaginaire, qui ne distingue pas vraiment le réel. On y fait semblant de mourir, touché par une flèche d'indien, et on se relève immédiatement. Protégeons nos enfants, clament-on depuis vendredi dernier : pas besoin, c'est leur enfance qui les protège, beaucoup plus que nous le pensons.

La peur, c'est un sentiment d'adultes. Les enfants n'ont que des peurs d'enfants, des peurs innocentes : dans le noir, dans leurs cauchemars, peur du grand méchant loup ou de la vilaine sorcière, pas du terroriste, qui n'existe pas aux yeux d'un enfant. C'est nous qui faisons peur à nos enfants en leur parlant de la peur, en leur répétant de ne pas avoir peur : nous créons ce que nous dénonçons. Nos réactions d'adultes sont hautement anxiogènes, comme lorsque nous prétendons, faussement, que l'insécurité serait partout : non, Paris n'est pas Beyrouth, la France n'est pas la Syrie.

Protéger nos enfants ? Mais c'est à force de les protéger et de les surprotéger qu'ils prennent peur ! Et puis, ne projetons-nous pas notre propre peur sur nos enfants ? Car la peur est un sentiment très contaminant. Laissons donc nos enfants vivre leur vie d'enfants, loin de toute peur. Mieux : ce sont nos enfants qui devraient nous protéger de la peur que nous éprouvons, nous convertir à leur insouciance, à leur fantaisie, à leur amusement, au milieu de ce monde si terrible. Nous irions tous un peu mieux, adultes angoissés et dépressifs que nous sommes, si nous redevenions des enfants.

mardi 17 novembre 2015

Bleu, blanc, rouge



Sur les pages Facebook, les visages se sont teintés de tricolore. En janvier, c'était le slogan "Je suis Charlie" qui remplaçait les têtes. Le drapeau national, pourquoi pas, mais ce n'est pas ma réaction première : à gauche, même dans ces tragiques circonstances, on se fait plutôt les défenseurs des valeurs universelles, de l'internationalisme, de la laïcité, des droits de l'homme. Je sais bien qu'il n'y a pas contradiction entre les deux, et je suis autant patriote que n'importe qui : mais avant la France, je pense à la République (qui ne sont pas exactement synonymes).

J'ai aussi une crainte : c'est que cette affichage ne provoque un glissement, une confusion vers le Front national, non de la part de ceux qui se montrent ainsi, qui sont clairs et insoupçonnables dans leur esprit, mais pour tous les autres. Car la flamme tricolore, la fête des BBR, c'est l'estampille FN. Je n'ignore pas non plus que mes amis qui se parent des trois couleurs ont la bonne intention d'arracher le drapeau français aux mains de l'extrême droite. Pour ma part, je préfère brandir un tout autre drapeau, pourquoi pas celui de l'Europe, pour bien marquer la différence.

Il faut dire aussi que je suis tributaire de ma famille politique, le socialisme, qui pendant longtemps a levé le drapeau rouge plutôt que le drapeau tricolore. Ségolène Royal, lors de la campagne présidentielle de 2007, a été la première à rompre avec cette tradition, à tort ou à raison. Les communistes, de leur côté, bien que prosoviétiques par le passé (comme quoi tout est compliqué et paradoxal !), ont été plus prompts à utiliser les couleurs nationales, à cause de la Résistance et du parti des fusillés.

Ceci dit, je comprends tout à fait, après les terribles attentats, qu'on éprouve une réaction patriotique et qu'on l'exprime à l'image : c'est la France qui a été attaquée et meurtrie. Et puis, bleu, blanc, rouge, ce sont les couleurs de la Révolution française, de même que la Marseillaise. C'est pourquoi j'ai attrapé un coup de sang quand j'ai entendu, à Saint-Quentin, les partisans de Marine Le Pen chanter l'hymne révolutionnaire, eux qui sont les héritiers de la contre-révolution, du monarchisme, du régime de Vichy et de l'OAS.

Le fond du problème n'est pas une question de drapeau et de couleurs, mais ce qu'on met derrière. Hier, en regardant sur France 2 Des Paroles et des Actes, je me suis retrouvé d'accord avec Jean-Luc Mélenchon, dont je ne partage pourtant pas la ligne politique et surtout économique : non, la France, ce n'est pas une culture à laquelle il faudrait s'assimiler, mais un système de lois qu'il faut respecter, ce qu'on appelle la République. C'est pourquoi le thème de l'identité nationale me révulse : notre pays est multiculturel, et c'est très bien ainsi. Je reste un fervent défenseur du droit à la différence. Ce que les terroristes veulent détruire, c'est précisément cette conception-là.

Sur ce point, je me surprends à être plus en phase avec le leader du Parti de gauche qu'avec mon camarade Manuel Valls, qui a défendu il y a quelques jours, sur sa page Facebook, une conception assimilationniste qui n'est pas la mienne, un rejet du droit de vote des étrangers non européens aux élections municipales, que pourtant je soutiens, et une préférence pour l'acquisition de la nationalité, alors que les droits liés à la citoyenneté sont pour moi plus importants (étant donné qu'il est normal de vouloir conserver ses racines et ne pas rompre avec son pays d'origine : si je m'installais aux Etats-Unis, je ne chercherais pas à devenir américain, je tiendrais à rester français, tout en demeurant bon citoyen dans le pays d'accueil).

lundi 16 novembre 2015

Justice pour nos morts



Les attentats meurtriers à Paris provoquent forcément un traumatisme national, libèrent des pulsions mauvaises, nourrissent des polémiques inutiles. Les réseaux sociaux charrient leur lot de rumeurs et de mensonges. Notre société, déjà dépressive, ne peut être qu'atteinte dans son moral par un événement aussi tragique. La guerre, nous avons l'habitude de la faire, au loin, mais pas de la vivre, chez nous. Quant il est question de suicide, c'est au travail, et pas un jeune homme portant une ceinture d'explosifs. L'insécurité, c'est la norme, dans bien des pays, tout au long de l'histoire de l'humanité, la nôtre maintenant, à notre tour. Nous avons vécu depuis plusieurs décennies sous une bulle protectrice, qui vient d'éclater. Nous ne pouvons plus ignorer les malheurs du monde, qui frappent à notre porte. C'est le retour du réel, le douloureux réveil. Les semaines et les mois qui viennent nous diront si nous aurons la force de surmonter l'épreuve et de trouver des solutions.

La réaction puérile, c'est de chercher un bouc émissaire, se dire que le drame aurait pu être évité. On a les coupables, les terroristes, mais on veut des responsables, les forces de police, qui ne seraient pas intervenues assez tôt, les services de renseignement, qui n'auraient pas agi assez vite. On s'interroge doctement sur les "failles" de notre dispositif de sécurité. Je n'admets pas la remise en cause de ceux qui sont chargés de nous protéger, qui font ce qu'ils peuvent, professionnellement, avec les moyens qui sont les leurs. Bien sûr, ce type d'attentat était attendu, c'est-à-dire redouté. Mais ça ne signifie pas, hélas, qu'on pouvait absolument le prévoir et l'empêcher. En tout cas, je reste persuadé que notre police et notre armée ont fait leur possible, je ne vois pas d'erreurs à leur reprocher.

Il est aussi beaucoup question, ces dernières heures, d'unité nationale. Oui, il en faut, c'est évident et ça va même sans dire : unité derrière les valeurs de la République, unité dans l'hommage rendu aux victimes, unité dans la ferme volonté de traquer et de punir les criminels. Mais, hormis ces exigences-là, qui vont de soi, que nul ne conteste, le débat politique doit suivre son cours normal, parce que nous sommes et demeurons une démocratie. On s'inquiète de voix discordantes : moi pas. Je soutiens pourtant le gouvernement, j'estime que le président de la République et son Premier ministre ont été admirables de sang froid, de réactivité et de détermination. Mais je comprends fort bien qu'on puisse discuter de leur politique, n'être pas d'accord. En République, il n'y a jamais rien à craindre du débat : c'est ce qui fait la force de ce régime. J'ai trouvé aberrant qu'on puisse, durant quelques heures, envisager le report des élections régionales. Nous serions tombés bien bas d'en arriver là. Heureusement, le Premier ministre a mis un terme à cette incertitude.

La vraie question, ce n'est pas ici, c'est là-bas : François Hollande a en partie répondu, en multipliant hier les bombardements sur les infrastructures de l'Etat islamiste. Mais a-t-on jamais vaincu un régime du ciel, par des interventions aériennes, aussi massives soient-elles ? L'Histoire nous dit que non. Il y a toujours un moment où il faut envoyer des troupes au sol. Ce sera tout le débat des prochains jours. Ce ne sera pas une nouveauté pour la France. Ce choix ne pourra être fait qu'en accord avec le régime syrien actuel. Peut-on attendre qu'il tombe pour agir ? Non. Cette décision politique et militaire est freinée par un syndrome, celui du Vietnam : la peur de l'enlisement, avec la défaite honteuse au final. Mais voulons-nous ou non rendre justice à nos morts ? Car la minute de silence que nous avons observée aujourd'hui n'est pas de résignation ou d'impuissance : elle réclame non la vengeance, mais la justice.

dimanche 15 novembre 2015

Eux et nous



A la guerre, il ne faut pas sous-estimer l'ennemi. Les djihadistes que nous avons à combattre et à vaincre sont souvent présentés comme des voyous, des criminels ou des barbares. Ils sont plus que cela : des croyants, qui attaquent le Bataclan au cri de Allah Akbar, parce que le concert est pour eux une fête de la perversité (sic) et les spectateurs des idolâtres (re-sic). Le communiqué qui revendique les massacres les bénit au passage et s'illustre d'une sourate tirée du Coran. Que ces actes ne respectent pas l'islam authentique n'est pas ici mon objet : je remarque seulement que nous avons affaire à des tueurs animés non par des motifs mercantiles ou traditionnellement politiques, mais par une terrible foi, et c'est ce qui rend difficile la guerre que nous devons leur mener.

Savons-nous aujourd'hui, dans une société largement agnostique ou mécréante, ce qu'est un croyant ? Un monsieur qui va à la messe, une dame qui essaie de faire le bien autour d'elle ? Non, c'est beaucoup plus que cela, beaucoup plus mystérieux : c'est quelqu'un qui est habité par Dieu. Et quand ce quelqu'un est armé, qu'il se sent une mission purificatrice, qu'il est porté au sacrifice, ça fait très mal et c'est, pour nous, difficile à combattre.

Car en quoi croyons-nous ? Pour quoi sommes-nous prêts à nous sacrifier ? Le vivre ensemble ? Voilà un bien faible motif, comparé à celui qui se bat pour le Tout-Puissant. La République ? Quand on voit les taux d'abstention aux élections, le dénigrement du personnel politique et la montée d'une formation antirépublicaine, on en vient à douter que nos concitoyens aient la foi républicaine chevillée au corps ... Nos ennemis, eux, se réclament de Dieu, qui est un allié de poids, un puissant stimulant.

Autre supériorité des islamistes : ils n'ont pas peur de la mort, la provoquent volontiers, y compris sur eux-mêmes. Nous, c'est la vie que nous défendons : la mort nous révulse, nous la refoulons de notre existence, la reléguons le plus tard possible dans la lointaine vieillesse. Combattre au nom de Dieu, mépriser la mort jusqu'à la souhaiter : voilà leurs forces, et nos faiblesses.

Les réactions aux attentats de vendredi soir ont, peut-être malgré elles, saisi cette dimension religieuse du conflit (que le sociologue Emmanuel Todd avait déjà repéré dans le mouvement après les attentats de janvier dernier). Sur les réseaux sociaux, un curieux slogan circule, reprenant la calligraphie du fameux "Je suis Charlie", grosses lettres blanches sur fond noir, mais avec un nouveau slogan : "Pray for Paris", prions pour Paris. De même, petites bougies au sol, bouquets de fleurs, rassemblements silencieux sont des formes de rituels, de simili-liturgies, certes pas inédits, mais qui n'existaient pas il y a 30 ans.

Dans la même veine, je note la référence constante au sentiment de compassion, vertu chrétienne dans une société française qui l'est si peu. Après ces cruels massacres, on aurait pu s'attendre, comme il était autrefois coutumier, à des élans de violence, de haine, des appels à la vengeance. Mais non : c'est la douce compassion qui s'impose. Comme si la religion, chassée par la porte, rentrait par la fenêtre, de façon indirecte, confuse et atténuée. Le Christ de miséricorde contre Allah le Tout-Puissant ? Il y a de ça, vaguement. Comme si on ne pouvait répondre à la religion que par la religion, inconsciemment.

Mes réflexions précédentes sont des hypothèses à discuter, mais j'ai une certitude politique : les islamistes sont venus tuer sur le sol de France dans le but de nous diviser, de monter les musulmans contre le reste de la population, et inversement. La percée électorale de l'extrême droite les aide dans cette tâche. A cette manœuvre, nous ne devons pas céder. Nous devons au contraire rappeler et manifester toute notre solidarité envers nos compatriotes musulmans, qui font partie entièrement de la communauté nationale. Ils sont les héritiers d'une grande et belle religion, l'islam, qui fait aussi partie de notre patrimoine historique et culturel.

J'ai été horrifié, ce matin, en écoutant sur France-Inter l'urgentiste Patrick Pelloux proposant à ce que les psychiatres repèrent les signes de "délire mystique" et rétablissent "l'hygiène mentale" des prétendus malades de la religion, comme on faisait dans la Russie soviétique. Dans la même logique antireligieuse, il demande l'interdiction du voile à l'université. Non, la France ne doit pas faire le jeu de l'ennemi, en attisant sur son sol une nouvelle guerre de religions, y compris pour des motifs prétendument laïques. Eux, ce n'est pas nous.

samedi 14 novembre 2015

La guerre



J'aime me promener dans Paris. Je suis amoureux de cette ville, où j'ai vécu pendant 14 ans. Paris, c'est la liberté, la culture, la beauté. C'est aussi une capitale du monde. J'aime tous ses quartiers, surtout le jardin de Luxembourg, Saint-Germain-des-Prés, la librairie Gibert. A Paris, l'air est plus léger qu'ailleurs. Et puis, Paris est une ville très politique, chargée d'histoire. Je n'aime pas qu'on s'en prenne à Paris, qu'on la critique. Quand on y commet des massacres, comme hier soir, c'est la guerre qui monte en moi.

Nous sommes en guerre, c'est un fait. Depuis plusieurs mois, la France intervient militairement en Syrie, contre l'Etat islamiste, totalitaire et criminel. Mais cette guerre est lointaine. Depuis hier, elle s'est rendue sur notre sol, de la façon la plus barbare qui soit : le meurtre délibéré de plus d'une centaine de civils. La tuerie de Charlie, c'était différent : quelques égarés qui voulaient venger leur prophète. Hier, c'était un acte de guerre, planifié, rationnel, calmement exécuté.

A la guerre, il faut répondre par la guerre : c'est une question de dignité et d'efficacité. Ce ne sera pas facile. En janvier dernier, l'opinion est descendue en masse dans la rue pour défendre la liberté d'expression. Mais pour faire la guerre ? Pourtant, on sent bien qu'on ne pourra pas en rester très longtemps au discours victimaire, compassionnel et sécuritaire qui tourne en boucle dans les médias depuis quelques heures.

La France devra riposter aux massacres de Paris, aller punir leurs commanditaires dans l'antre de Daech. La réaction ne peut être que militaire. Jusqu'à présent, notre engagement en Syrie a été limité. Il faudra sans doute l'intensifier. Nous sommes une puissance nucléaire, l'une des armées les mieux équipées au monde. L'Etat islamiste, à côté, n'est rien du tout : une bande de tueurs chez eux et à travers la planète, qui n'ont pour eux que la force des faibles et des lâches. Nous le serions à notre tour en ne faisant rien alors que nous disposons d'énormes moyens.

Solution militaire, mais aussi politique, diplomatique, géostratégique : Bachar el-Assad est un tyran sanguinaire, mais le seul rempart contre les djihadistes. Il faut s'appuyer sur lui, comme les Alliés en leur temps ont soutenu Staline pour vaincre Hitler. La Russie de Poutine n'est pas une démocratie parfaite, sa politique étrangère est contestable, mais il n'est plus possible de se priver de ce partenaire pour combattre l'Etat islamiste.

Et chez nous, que peut-on faire ? Surtout ne rien changer du tout, maintenir nos activités habituelles, poursuivre notre vie démocratique, montrer aux terroristes qu'ils n'ont pas gagné, que la population n'a pas peur, que le pays n'est pas désorganisé. Car l'objectif des terroristes est bien celui-là : répandre la mort pour semer la terreur. Envers et contre tout, nous continuerons à nous promener dans l'air léger de Paris.

Il y a aussi une illusion à dissiper : celle de l'impossible sécurité. On ne pourra jamais poster des forces de l'ordre un peu partout en laissant croire qu'on protégerait ainsi les citoyens. A ce jeu-là, les terroristes seront toujours les plus forts. Pensez un peu : ils ont mis en place en plein cœur de la capitale une opération paramilitaire d'envergure, sans que les autorités ne la repèrent ni ne la dissuadent. Il y a de quoi faire réfléchir ! Le terrorisme ne peut être vaincu qu'en frappant à la source, pas en se protégeant vainement de ses conséquences. L'autre illusion à dissiper, c'est la toute puissance de la technologie : il n'y a que dans les films américains qu'une liaison satellite repère des appels téléphoniques ou suit un tueur à la trace.

J'espère que le président Hollande nous annoncera très vite l'initiative diplomatique, notamment en direction des Russes et des Syriens, et l'intervention militaire qui rendra justice.

vendredi 13 novembre 2015

Le Réveil de la Force



Avec moi, Capitaine Phasma et les Stormtroopers du Premier Ordre, l'Empire socialiste contre-attaque. Les 6 et 13 décembre, il faut combattre et battre le côté obscur de la force. La saga continue.

Droite, gauche, tous ensemble ?



Manuel Valls souhaite que les listes PS et Les Républicains (ex-UMP) fusionnent, au second tour des élections régionales, pour faire échec au Front national, notamment dans le Nord-Pas-de-Calais-Picardie. Il a raison sur deux points : tout faire pour battre l'extrême droite et dire par avance à quoi l'on s'engage (ne pas attendre, ne pas laisser l'électorat dans l'incertitude). Mais je ne partage pas sa conclusion (voir mon billet du 15 septembre, Fusion et confusion). Plusieurs raisons m'amènent à refuser ce mélange des genres :

La principale, c'est qu'une collectivité, quelle qu'elle soit, tout comme un pays, a besoin d'une majorité homogène et cohérente pour gouverner. On n'imagine pas Bertrand (droite) et Saintignon (gauche) diriger ensemble la grande région Nord-Picardie alors qu'ils se sont affrontés durant la campagne du premier tour, avec des projets différents. Car battre l'extrême droite, qui est un objectif nécessaire, ne peut pas être non plus une fin en soi.

Bien sûr, on pourrait concevoir un accord technique, pas politique, entre gauche et droite, en vue d'écarter le FN : par exemple, laisser la présidence et les vice-présidences au parti arrivé en tête, réservant un certain nombre de sièges de simples conseillers régionaux au parti en deuxième position. Bonjour l'image ! Nous reviendrions à une sorte de IVe République, à l'échelle régionale. Pour les opportunistes qui tiennent à tout prix à un strapontin, ce pourrait être séduisant, quel que soit le nom et la couleur du président. Ce serait le scénario le plus catastrophique : on chasserait ainsi les antirépublicains au profit des mauvais républicains. C'est la vieille histoire de la peste et du choléra. Mais, au final, c'est la classe politique entière qui se trouverait contaminée.

La question de fond que soulève Manuel Valls, c'est celle du bipartisme gauche/droite qui est, en France, inhérent à notre vie politique, qui structure le débat démocratique depuis deux siècles. Il n'y a que dans les scrutins très locaux, dans les villages, où il s'estompe, la dimension personnelle étant privilégiée. Pour le reste, le bipartisme est essentiel au fonctionnement de la République. On ne peut pas y toucher, y compris et surtout au niveau des grandes régions, qui sont destinées, à terme, à devenir de véritables puissances économiques et politiques.

Valls pose une bonne question, mais apporte une mauvaise réponse. A la fusion des listes, je préfère le front républicain, que je pratique sans hésitation depuis 2002 : quand, au second tour, il y a à choisir entre un candidat républicain, quelle que soit son étiquette, et un candidat d'extrême droite, je vote systématiquement pour le premier. L'embarras, c'est s'il y a trois candidats, comme il pourrait se passer le 13 décembre prochain. Alors, au lieu de la fusion des listes républicaines, il faut demander le retrait de celle arrivé en deuxième position, au profit de la première.

La précédente position est la seule possible, purement stratégique, républicaine, simple, claire, ponctuelle, sans confusion. Elle exige certes le sacrifice d'une liste, et ce n'est pas facile : ceux qui recherchent le pouvoir, pour des raisons légitimes et honorables, ne sont pas prêts d'y renoncer volontairement. Mais il faut savoir ce que l'on veut : extrême droite ou pas ? Ceux qui prendraient la responsabilité de faire gagner Marine Le Pen auraient à subir le jugement de l'Histoire et ne s'en remettraient pas. Je crois que c'est surtout cette peur que le Premier ministre a en tête, et qu'il essaie de conjurer par une solution qui me semble erronée.

Evidemment, rien ne garantit avec certitude que la stratégie du retrait fasse barrage au Front national. Valls a aussi à l'esprit qu'une liste commune à la droite et à la gauche serait plus mobilisatrice : peut-être, mais nous n'en savons rien du tout. De toute façon, si on attend des certitudes, on ne fait pas de politique, on ne fait même rien du tout. Comme toujours, l'essentiel demeure dans les convictions qu'on défend : si on estime que le FN est en danger pour la République, il faut tout faire pour qu'il échoue. Perdre la bataille des régionales en Nord-Picardie, ce serait grave, mais perdre l'honneur, ce serait pire.

Dernier contre-argument : la droite ne veut pas entendre parler de front républicain, Xavier Bertrand n'appellera pas à voter PS si celui-ci arrive en tête. Oui, je sais cela. Mais c'est son problème et sa responsabilité, pas les miens, pas les nôtres. Je sais aussi qu'en politique, les hommes changent d'avis lorsqu'ils sont poussés par des circonstances historiques. Enfin, ne soyons pas comme ces enfants qui se croient autorisés à faire quelque chose de mal puisque le petit copain a commencé. Soyons exemplaires, partons de nos convictions, ignorons les réactions de l'adversaire, même si nous voterons, le cas échéant, pour lui au second tour, lorsque le salut de la République sera en jeu.

jeudi 12 novembre 2015

Les envies de Benoît



Une petite devinette en prélude au billet d'aujourd'hui : qui a dit, hier matin à la télé, "je n'ai pas envie de revoir Hollande et Sarkozy face-à-face en 2017" ? En toute logique, ce n'est pas un partisan de l'actuel ou de l'ancien chef de l'Etat. Mais alors qui ? On n'en voit qu'une qui pourrait émettre un tel point de vue : c'est Marine Le Pen, puisqu'elle veut être présente au second tour et affronter l'un des deux. Eh non, ce n'est pas elle, c'est ... Benoît Hamon, député socialiste, chef de courant et ancien ministre, qui n'en est pas à son premier coup d'éclat.

Un socialiste qui n'a pas envie que le président socialiste se présente à la prochaine élection présidentielle, c'est bizarre, non ? Et il a envie de voir quoi, le Benoît ? Il ne le dit pas, il ne sait peut-être pas. Ou bien, il pense à lui pour devenir prochain candidat et prochain président. Je crains que son costume soit trop petit pour la fonction. Mais pourquoi pas, chacun est libre de ses ambitions, même démesurées : alors, qu'il le dise, au lieu de tergiverser.

Benoît Hamon appuie sa déclaration sur un argument : la nouveauté. Il veut voir des têtes nouvelles, c'est ça son envie. Mais sa tête à lui, est-elle si nouvelle que ça ? Tant qu'à faire, s'il veut de la nouveauté, qu'il propose que le Parti socialiste présente un inconnu à l'élection présidentielle. Mais je ne garantis pas du résultat (on l'a vérifié dans des scrutins locaux).

Et puis, la nouveauté, c'est l'argument de ceux qui n'ont pas d'arguments. Vous vous souvenez de la formule du directeur de théâtre dans le film de Marcel Carné, "Les Enfants du paradis" : "La nouveauté, la nouveauté, c'est vieux comme le monde !" En 1981, les deux principaux candidats à la présidentielle étaient les mêmes qu'à la précédente, en 1974 : Mitterrand et Giscard. Personne alors ne songeait à s'en plaindre : ce n'était pas les hommes qui comptaient, mais les projets. Benoît s'en souvient-il ?

L'ancien ministre veut une primaire à gauche, comme la dernière fois. Comparaison n'est pas raison : quand la gauche n'est pas au pouvoir, il est légitime de départager ses différents candidats à travers la procédure de la primaire. Mais quand la gauche est au gouvernement, c'est le chef de l'exécutif qui naturellement la représente lors de l'échéance présidentielle. On n'imagine pas des socialistes s'affronter entre eux et s'opposer à la politique qu'ils pratiquent au sommet de l'Etat.

Le problème, le drame et la limite de Benoît Hamon, c'est qu'il n'est pas favorable à la politique actuellement menée et qu'il ne sait plus très bien où il habite et ce qu'il doit faire. D'où la déclaration absurde d'hier matin. Un socialiste normal et vraiment socialiste, comme moi, n'a qu'une seule envie : que le président socialiste soit le candidat socialiste. Quant au candidat de la droite, ce n'est pas à un socialiste de dire qui il a envie de voir, Sarkozy, Juppé, Fillon ou Bertrand.

En fin de compte, je me dis que la politique n'est pas une question d'envie, mais de cohérence avec soi-même et de fidélité envers les siens. Au fond, le problème d'Hamon, c'est sans doute ça.

mercredi 11 novembre 2015

Le mérite est une valeur de gauche



Emmanuel Macron trace son chemin. Hier, il a défendu la notion de mérite dans la Fonction publique. J'applaudis cette nouvelle intervention du ministre. Ironie du sort : c'était le jour de mon inspection, la dernière fois remontant à cinq ans ! Car les enseignants eux aussi sont évalués, par un inspecteur dans leur discipline et par leur chef d'établissement, même si l'avancement à l'ancienneté représente la part principale de leur salaire. Faut-il augmenter chez les fonctionnaires la place accordée au mérite dans la rémunération ? Comme Macron, je pense que oui, sous des conditions techniques qui restent à déterminer.

Le débat fait polémique à gauche, où la notion de mérite n'est pas toujours bien vue, à mon étonnement, puisque c'est une authentique valeur de gauche. La Révolution de 1789 renverse un Ancien Régime fondé sur les privilèges innés pour instaurer une société nouvelle reposant sur les mérites acquis. La droite traditionnelle défendait l'hérédité, l'héritage, l'argent ; la gauche républicaine s'est battue pour la reconnaissance du mérite. L'école laïque toute entière est basée, dans ses principes et dans son fonctionnement, sur le mérite. Comment un homme de gauche pourrait-il être contre ou ne pas lui accorder d'importance ?

L'explication de cette réticence, sinon de cette hostilité, vient d'un malentendu ou d'une ignorance : on croit que la notion de mérite s'oppose à une autre notion fondatrice de la gauche, l'égalité. Or, non seulement il n'y a pas contradiction entre les deux, mais l'égalité est la condition du mérite : l'une ne va pas sans l'autre. Je prendrais l'image d'une course sportive : au départ, tout le monde est sur la même ligne (c'est l'égalité) ; à l'arrivée, chacun se distingue selon ses efforts (c'est le mérite).

Le mérite fait craindre aussi la compétition, la concurrence, la rivalité entre les hommes. Non, le vrai mérite n'est pas dans une lutte jalouse contre les autres, une volonté de les dépasser ou de les dominer : c'est un travail sur soi-même, un combat contre ses propres faiblesses, un développement de ses capacités. La recherche du mérite n'est donc pas une guerre de tous contre tous.

Autre malentendu à dissiper : la confusion entre mérite et excellence. Autant je suis favorable au mérite, autant je désapprouve l'excellence. Celle-ci en appelle à la perfection, à l'intelligence, à la performance : c'est un idéal inaccessible et déprimant pour tous ceux qui n'ont pas les qualités requises. Le mérite, en revanche, c'est l'effort, la volonté, le travail qui n'exigent pas de briller mais de progresser, aussi modestement soit-il, dans la mesure de ses moyens.

Je ne demande pas à mes élèves d'être excellents (s'ils le sont, tant mieux), mais d'être méritants. Les bons élèves ne m'intéressent pas beaucoup ; mais l'élève mauvais ou médiocre qui se bat pour avancer et qui se sort en partie de sa condition, oui, c'est beau à voir, c'est tout mon travail et c'est le mérite qui en est le moteur. Moralement parlant, je mets la notion de mérite au dessus de toutes les autres valeurs.

Si le mérite est une valeur de gauche, c'est parce qu'il est une dimension essentielle de la justice. Car je ne vois pas ce qu'il y a de juste à ignorer les mérites des personnes, à considérer tout le monde de façon indifférenciée. La justice, être juste, c'est juger : le mérite est une forme de jugement. Certains diront peut-être que le mérite ne s'évalue pas, ou difficilement, qu'on ne peut pas en donner une définition objective, qu'il ne se mesure pas ? Je ne suis pas d'accord : le mérite n'est pas la bonne intention (que je n'aime pas, qui est souvent un prétexte démenti par les faits) ; le mérite se révèle dans nos actes, il est donc tout à fait mesurable, j'ai presque envie de dire qu'il est objectivable, quantifiable.

Je tiens donc à défendre le mérite, à me féliciter de la déclaration d'Emmanuel Macron, parce que c'est une valeur de gauche, républicaine et laïque (qui n'empêche pas d'être partagée aussi par des hommes de droite, bien sûr). Pour être honnête et complet, je ne vois qu'un seul argument sérieux contre ma démonstration : le mérite doit-il être forcément récompensé et, dans la perspective du ministre de l'Economie et des Finances, rémunéré chez les fonctionnaires ?

D'un point de vue purement moral, le mérite n'a rien à voir avec la gratification ou l'argent. Il est lié au contraire à la gratuité : c'est la beauté du geste qui compte, qui n'attend ou n'exige aucune récompense. C'est pourquoi, dans le cadre de mon métier, je suis réticent à l'égard des notes, que les élèves réclament comme des bonbons à distribuer.

Politiquement, c'est tout différent. Dans une société, l'effort doit être rétribué d'une manière ou d'une autre. Le salaire des fonctionnaires est injustement bloqué depuis plusieurs années. En même temps, je comprends, j'approuve et je soutiens la politique d'économies budgétaires du gouvernement de gauche. Mais il faut la justice, autant que possible. Augmenter l'ensemble des rémunérations des agents de l'Etat, ce n'est pas possible. Mais revoir la rétribution au mérite ou instaurer des primes qui vont dans ce sens, c'est à réfléchir.

mardi 10 novembre 2015

Glucksmann, l'anti-totalitaire



René Girard a disparu la semaine dernière (voir billet du 5 novembre), André Glucksmann nous a quittés hier soir et moi-même je ne me sens pas très bien. Face à la mort, il n'y a que deux réactions possibles : prier ou plaisanter. Tout de même, deux philosophes qui tirent leur révérence en quelques jours ... Glucks, comme on l'appelait, c'était d'abord une gueule, qui m'avait impressionné, en 1977, lors d'une mémorable émission d'Apostrophes (voir billet du 8 novembre) : une coupe de cheveux à la Mireille Mathieu, un beau visage d'indien, une carrure de guerrier, des mains larges à donner des claques. Et Glucksmann, à la télévision, dans les débats, était un cogneur : mâchoires crispées, traits tendus, regards furieux, voix grave, colères homériques, j'adorais, j'en redemandais. Avec Bernard-Henri Lévy, ils formaient un couple de francs-tireurs, qui canardaient surtout les communistes de l'époque, totalitaires, prosoviétiques, staliniens comme on disait, mais aussi une certaine droite vichyste et fasciste.

Le totalitarisme, Glucksmann connaissait, en avait goûté, avec le maoïsme. Depuis, il le dénonçait, sans relâche. Pour lui, il n'y avait pas de bons ou de mauvais morts, mais que des victimes, qu'il fallait défendre. Les droits de l'homme, c'était son dada. Je garde aussi de lui cette image, en 1979 cette fois, sur le perron de l'Elysée, soutenant un Jean-Paul Sartre vieilli, aveugle, venu avec Raymond Aron défendre la cause des boat-people auprès de Giscard. J'ai moins aimé, par la suite, sa critique sévère de la gauche socialiste et surtout son soutien à Nicolas Sarkozy en 2007. Mais l'intellectuel est un homme libre : on ne peut rien contre ça.

De son passé maoïste, André Glucksmann avait gardé l'idée que la politique est une forme de guerre, qu'il faut se battre pour les idées auxquelles on croit, qu'il faut se montrer stratège. Je le crois encore aujourd'hui. C'est aussi pourquoi Glucks se passionnait pour la politique étrangère, pour les rapports de forces. Il était avant tout anti : antistalinien, anticommuniste, antifasciste, antitotalitaire. Il n'y avait pour lui de vérité que dans le combat contre le mal. En revanche, la lutte pour le bien lui paraissait suspecte, périlleuse, portant en germe le totalitarisme. A l'heure où l'Europe s'interroge sur l'accueil qu'elle doit réserver aux migrants, où l'extrême droite est aux portes du pouvoir dans deux ou trois régions de France, il est urgent de relire André Glucksmann : pour être au côté des victimes, pour dénoncer le totalitarisme qui vient.

lundi 9 novembre 2015

Les idées, c'est maintenant



Il reste un mois de campagne avant le premier tour des élections régionales. Le temps est venu d'annoncer et de confronter les projets. Le préalable républicain d'un rejet du FN était indispensable. Malheur à ceux qui sont restés dans l'ambiguïté ! Ils le paieront cher ... Maintenant, il faut passer au débat, aux propositions.

La nouvelle région est toute différente de l'ancienne. Il n'y a donc pas de bilan à défendre. Tout doit être tourné vers l'avenir. D'autant que la nouvelle structure régionale disposera de plus amples pouvoirs, sera mieux à même d'agir. Je vais vous présenter trois idées de mon candidat, Pierre de Saintignon (PS), que j'ai retenues, très subjectivement :

1- Le problème de l'emploi : pas la peine d'insister sur les difficultés en la matière chez nous. Pôle Emploi fait ce qu'il peut, mais il faut davantage. L'idée de Saintignon, c'est de favoriser l'embauche directe des jeunes chômeurs par les chefs d'entreprise. C'est l'opération Direct Jeunes, qui s'élargira à 10 000 entreprises et visera 20 000 jeunes. C'est autre chose que le patriotisme économique à la noix du FN, qui n'a strictement aucun sens, qui joue simplement avec des mots agréables à l'oreille.

2- La relance des grands travaux : je suis particulièrement heureux que Saintignon soit très clair sur la poursuite du canal Seine-Nord. A entendre certains socialistes, c'était moins évident. Là, c'est fixé, tant mieux. Je suis à fond pour la politique des grands travaux, moteur de croissance, de développement et d'emplois. Celui-là, largement entamé, on ne pouvait pas le rater. C'est 12 000 emplois à la clé autour du chantier, dès 2017.

3- L'action sociale : elle n'est pas dissociable de l'emploi et du développement économique. Mais elle est pour le moment dispersée. L'idée de Saintignon, c'est la création de maisons des services publics, une dans chaque bassin de vie, qui regrouperaient les allocs, l'assurance-maladie et l'emploi, pour plus d'efficacité. Car tout le problème, pour cette nouvelle grande région, c'est de trouver le bon niveau d'intervention, modulable selon les finalités.

Pierre de Saintignon développera son projet, samedi prochain à Saint-Quentin, à 11h00, salle Paringault, rue Kennedy. Il sera entouré d'Anne Ferreira, vice-présidente du Conseil régional de Picardie, Yves Daudigny, sénateur de l'Aisne et Jean-Jacques Thomas, premier secrétaire fédéral du Parti socialiste. Les candidats de la liste ont été présentés aujourd'hui.

dimanche 8 novembre 2015

Parlez-moi de culture



Vendredi soir, sur France 2, une très belle émission nous a rappelé les grandes heures de la fameuse émission littéraire de Bernard Pivot, Apostrophes. En une heure trente, j'ai été ramené quarante ans en arrière (nous fêtons cette année le 40ème anniversaire de sa création, en 1975). Je ne sais pas si j'ai changé depuis, mais comme notre société, elle, a changé ! Une émission culturelle en prime time, comme on ne disait pas alors (détail significatif, qui démontre l'extrême américanisation de nos mœurs, jusque dans le langage le plus anodin), c'est inconcevable aujourd'hui. Une émission qui draine des millions de téléspectateurs en une soirée, c'est impossible ou très exceptionnel à une époque où les chaînes de télévision se sont multipliées par centaines. Une émission qui donnait pendant plus d'une heure la parole à Julien Green, Marcel Jouhandeau ou Nabokov, c'est fini, puisqu'il n'y a plus aujourd'hui de Julien Green, de Marcel Jouhandeau ou de Nabokov.

En même temps, je fais la part de la nostalgie : le temps qui passe déforme notre perception et embellit le passé. En regardant vendredi soir cette belle émission, je me suis rendu compte qu'Apostrophes a surtout marqué mon adolescence, quand je découvrais le monde et que j'avais besoin de repères culturels (la deuxième moitié des années 70). J'avais complètement oublié que l'émission de Pivot avait duré jusqu'en 1990. Dans les années 80, je la regardais beaucoup moins. Dans mes préférences, elle avait été détrônée par Droit de réponse de Michel Polac, plus novateur, plus percutant. Il y a autre chose dont j'ai pris conscience : Apostrophes nous a gratifiés de grands moments, avec Soljenitsyne, la querelle des nouveaux philosophes ou la sortie mémorable de Bukowski, mais beaucoup de ses séances ne m'intéressaient pas, parce que le sujet ne m'intéressait pas ou que les invités ne me disaient rien.

Quoi qu'il en soit, il faut bien reconnaître que notre société ne vénère plus la grande culture, comme elle pouvait le faire du temps d'Apostrophes, et c'est déplorable. Regardez le débat public, voyez ce qui se fait sur internet, lisez les échanges sur les réseaux sociaux, écoutez bien les animateurs de télévision et leur façon de s'exprimer : c'est consternant, même si je sais qu'il y a plus grave dans la vie. Notre monde aime la technologie, le sport, la petite blague et le divertissement spectaculaire : il n'aime plus la culture. Depuis combien de temps, à droite comme à gauche, n'avons-nous pas eu de grands ministres de la culture ? A gauche, la culture était un sujet de prédilection, un passage obligé : qu'en est-il maintenant ? Je n'en entends plus beaucoup parler. Et quand on me dit que l'autorité sera le sujet principal des prochaines élections présidentielles, je suis effrayé.

Pour ces élections régionales, c'est surtout le FN qui s'empare de la culture, pour prévenir qu'il ne financera plus les manifestations d'art contemporain. Voilà où nous en sommes. J'ai connu une époque où intellectuel de gauche était un pléonasme ; aujourd'hui, je n'ose même plus dire que je suis prof de philo, de crainte que ça ne me desserve politiquement (je me demande si le mal n'est pas déjà fait). Que voulez-vous : Cyril Hanouna, par ailleurs sympathique, a remplacé, dans le cœur de beaucoup, Bernard Pivot !