mardi 31 mai 2016

Méluche et Microbe



Nos hommes politiques ont des surnoms, que le grand public ne connaît pas toujours. Ceux des rois de France étaient souvent officialisés. Le qualificatif peut être sympathique ou hostile. Jean-Luc Mélenchon est appelé Méluche par ses proches. Son nom est rendu ainsi plus familier. A l'inverse, Emmanuel Macron, qui subit depuis quelques jours un feu croisé assez nourri (c'est le privilège des grands), a aussi son surnom, moins favorable : Microbe. Quoique c'est mignon, Microbe. Mais pas dans l'intention de ceux qui l'utilisent.

Méluche et Microbe : il n'y a plus différent, à gauche, que ces deux-là, idéologiquement. Pas besoin de faire un dessin. En même temps, aussi étonnant qu'il paraisse, on peut les rapprocher. D'abord, l'un et l'autre ont un franc parler qui n'est pas si fréquent en politique. Bien sûr, le ton est incomparable : Méluche tonne, c'est la foudre ; Microbe est tout en douceur. Mais les deux sont dans la clarté et font réagir. C'est bien.

Il y a une proximité plus forte. Méluche et Microbe se sont choisis un destin personnel, en dehors des partis politiques. Ils recherchent le contact direct avec les Français. Venant de Macron, ce n'est pas surprenant : il n'a pas de culture partisane, de réflexes d'appareil. Mélenchon, lui, est un vieux loup de mer, dans une mouvance, la gauche radicale, qui ne jure que par le collectif. J'ai l'impression que Méluche a suffisamment donné dans cette farce, il court maintenant en solitaire, et il a raison. La primaire n'aura jamais lieu, la gauche radicale qui demande sa tenue va se retrouver le bec dans l'eau, Jean-Luc Mélenchon aura pris une longueur d'avance, le PCF et consorts n'auront plus qu'à se rallier à sa candidature, la queue basse. C'est malin.

Dernier point commun entre le candidat de la gauche radicale et le tenant de la gauche libérale : la démocratie numérique. L'un et l'autre ne croient plus au militantisme classique. Là aussi, ils ont du nez. Le sort d'une élection se joue désormais en partie sur l'internet. Méluche et Microbe mettent le paquet dans ce secteur. Leur investissement va beaucoup plus loin qu'une utilisation du vulgaire Facebook. Ce sont des campagnes électorales entières qui passent sous la coupe du numérique. Les Etats-Unis sont leur référence. Est-ce que Méluche et Microbe ont un avenir ? C'est possible. Chacun a le mérite de représenter une sensibilité bien identifiée. Ils ont leurs talents respectifs, des entourages et de l'intelligence à revendre. Que demander d'autre pour réussir en politique ?

lundi 30 mai 2016

Le costard et le conard



Tous ceux qui ont fait un peu de politique vous le diront, du militant de base au dirigeant le plus élevé : on y croise pas mal de conards. Ce n'est d'ailleurs pas très grave : c'est ce qu'on appelle les risques du métier. Chaque activité a les siens. En politique, ce sont les conards. On essaie bien sûr de les éviter, de les contourner, mais le conard est généralement insistant, entêté. Il faut beaucoup de patience pour le supporter : c'est une vraie tête à claques.

C'est la mésaventure qui est arrivée à Emmanuel Macron. Elle est édifiante comme une fable de La Fontaine. A Lunel, le ministre visitait des jeunes en formation. Il tombe sur un type nerveux, portant un tee-shirt "Freedom Palestine", flanqué d'un autre type ayant un bouquin de Filoche et un autocollant de SUD en prime. On ne sait pas d'où viennent les gus, ce qu'ils font là, mais les experts vous diront qu'on sent les conards en puissance. Macron manque de métier : il est gentil, naïf, ne se méfie pas, entame la discussion. Erreur fatale : avec le conard, il ne faut surtout pas discuter, mais passer son chemin comme si de rien n'était, éventuellement en lui donnant raison (il est con, il ne comprendra même pas).

Résultat inévitable : le conard a sorti une connerie, c'est dans sa nature, il ne sait pas faire autrement. La voici : "Moi, j'ai pas les sous pour me payer un costume comme ça". Remarque idiote, propos démago, réflexion malhonnête, degré zéro de l'argumentation. Cette saillie ne mérite que l'indifférence. Le problème, c'est que les conards, s'ils ne se reproduisent pas entre eux, ont quand même la capacité de s'attirer, de s'agréger. A la suite de l'incident nullissime, les réseaux sociaux se sont mis à vibrer de tous leurs conards, qui sont aussi nombreux que les morpions au cul des vaches. En quelques heures, Macron est devenu le méchant, le méprisant, l'insultant.

Et pourquoi ? Parce que le ministre a osé très calmement ce qui ne se fait pas quand on est face à un conard : il lui a répondu, il l'a remis à sa place, par un "le meilleur moyen de se payer un costard, c'est de travailler". Réplique évidente, polie et bien sentie. Depuis, la connerie universelle nous fait des leçons de morale (elle est très forte pour ça) : le militant con con s'est transformé en Cosette qui lutte contre le puissant, le richard.

Aux cons, il faut un roi : dans notre petite affaire, c'est Arnaud Montebourg qui a coiffé ce matin la couronne. Il a des prédispositions pour ça : c'est un homme irréprochable en matière de tissu, il avait remplacé son costard par une marinière, quand il était ministre, à la même place que Macron. "Il faut respecter les plus modestes, qui disent ne pas avoir les moyens de se payer un costume". Voilà ce qu'a dit le roi du jour, avec ce sérieux pontifiant qui le caractérise. L'avantage avec les cons, c'est qu'ils nous détendent, nous font rire, nous font passer un bon moment. Et les occasions sont rares en politique.

dimanche 29 mai 2016

Souviens-toi, Verdun




Pas facile de commémorer le centenaire de la bataille de Verdun. Car de quoi faut-il se souvenir ? De la gloire militaire, de l'absurdité de la guerre, du sacrifice des combattants, de l'espoir de paix ? Il y a ce mot atroce, trivial, devenu un lieu commun pour qualifier l'événement : boucherie. Verdun ne cesse pas de nous poursuivre, de polémiquer avec nous, un siècle après. Il y a eu la reconnaissance des fusillés pour l'exemple, jusqu'à la querelle d'aujourd'hui autour du rappeur Black M, finalement décommandé, sous la pression de l'extrême droite. On est très loin du courage des tranchées ...

A Saint-Quentin, pas de polémique, mais une courte cérémonie ce matin, sur le boulevard et devant la salle municipale qui portent le nom que nous célébrons. Les anciens combattants ont ouvert la cérémonie, en rangs serrés sous un ciel gris, un ciel de guerre (vignette 1). En présence des élus et des personnalités, madame le maire (sans rollers) a salué le public (vignette 2). Avec monsieur le sous-préfet, des gerbes ont été déposées (vignette 3). Le représentant de l'Etat a lu le message du secrétaire d'Etat aux anciens combattants (vignette 4).

Le discours a été un peu couvert par le bruit des nombreuses voitures circulant sur le boulevard. Au loin, traversant le pont, un groupe de coureurs à pied en vêtements fluo extravagants étaient indifférents à notre rassemblement. Parmi l'assistance, des curieux observaient, des joueurs de poker, avant de retourner dans la salle municipale, pour disputer leur finale. L'un d'eux faisait partager son contentement d'avoir serré la main à madame le maire. Verdun, qui s'en souvient ?

samedi 28 mai 2016

Génération Macron




C'était ce matin le lancement de la Grande Marche d'Emmanuel Macron, dans toute la France, y compris à Saint-Quentin. Une partie de l'équipe s'est retrouvée au Golden Pub, autour du coordinateur local, Mike Plaza (vignette 1, de gauche à droite, Jean-Marc, Samy, Mike, Clément et Jacques). Je me reconnais totalement dans cette initiative : dans les années 80, je soutenais Michel Rocard, dans les années 90, Jacques Delors, dans les années 2000, Lionel Jospin, dans les années 2010 Dominique Strauss-Kahn : aujourd'hui et demain, c'est Emmanuel Macron, en toute logique social-démocrate !

A 10h00, nous avons suivi en direct l'intervention du ministre, qui donnait le top de départ du porte-à-porte (vignette 2). Comme le militantisme a changé ! Désormais, nous partons avec nos mobiles, une feuille de route indique les rues sélectionnées, une application guide les questions, les réponses remontent directement au siège du mouvement (vignette 3). Rapidité, souplesse, efficacité. L'objectif n'est pas de vendre un programme ou de promouvoir un candidat, mais de recueillir le ressenti et les avis des Français. En politique, c'est complètement nouveau, et rafraichissant. Sur le marché, plusieurs personnes nous reconnaissent et nous identifient à nos tee-shirts "En marche".

La Grande Marche n'en est qu'à ses débuts. Jusqu'à la fin de l'été, l'opération sera renouvelée, et les résultats publiés à la rentrée, pour servir à l'élaboration d'un projet pour la France. Mes vœux vont à la réussite de cette entreprise de rénovation de notre vie politique, qui en a bien besoin. Et si, à Saint-Quentin, dans ma ville, cette action pouvait aider la gauche à reprendre un peu de couleurs, ce serait très bien.

vendredi 27 mai 2016

1947, 1968 ou 1995 ?



Dès qu'un mouvement social prend une certaine envergure, les comparaisons vont bon train. C'est à la fois légitime et contestable. Les analogies apprennent toujours quelque chose, les similitudes et les différences ne sont pas inutiles. Mais la limite, c'est qu'on tombe vite dans l'anachronisme. Chaque mouvement social a sa spécificité et son originalité. En même temps, les rapprochements sont inévitables. Et puis, on oublie assez rapidement ce qu'ont été les contestations historiques : il n'est pas inutile de s'y replonger, de repérer les lignes de continuité et les ruptures.

Le rejet de la loi El Khomri est souvent rapproché du rejet de la loi Juppé il y a 21 ans. Même unité CGT-FO, même radicalité. Mais les points communs s'atténuent. En 1995, la mobilisation est d'une importance que n'atteint pas encore l'actuel mouvement. Surtout, la Fonction publique est alors la première concernée. L'étonnante idée d'une grève par procuration, les fonctionnaires manifestant pour le secteur privé, s'est imposée. Aujourd'hui, les agents de l'Etat sont beaucoup moins visés par la loi travail. Ils ne sont plus moteur.

Il est tentant d'invoquer la grande grève de 1968, qui est un cas d'école et un modèle pour tous les syndicats. Mais le soulèvement est encore plus loin de ce qui se passe maintenant. Mai, avant d'être un mouvement social, est une révolte étudiante, une révolution culturelle, une transformation des mœurs, un moment de créativité assez inouï. Bien sûr, Nuit Debout à la République, la participation de l'UNEF, jusqu'aux violences des casseurs rappellent vaguement mai 1968, mais nous sommes plus dans l'apparence trompeuse que dans une profonde complicité. 68 est une rupture historique qui va bouleverser complètement la gauche, faire naître le gauchisme et l'écologie : rien d'équivalent en 2016.

Je ne vois qu'une proximité pertinente, c'est avec des grèves un peu oubliées, pourtant très spectaculaires, celles de 1947. Le mouvement était fortement politique, comme le nôtre, très marqué par la gauche radicale, à l'époque communiste. La cible, c'était le gouvernement SFIO-centristes, Hollande, Valls et Macron de ce temps-là, sous les traits honnis de Jules Moch. Les ministres PCF avaient démissionné. Ils assimilaient les socialistes à des traitres, des vendus aux Américains : c'était il y a 70 ans, et rien n'a changé sous le soleil ! Les motifs sont modifiés, les ressorts sont les mêmes, le vocabulaire s'adapte, l'ennemi à abattre c'est le réformisme. Je suis toujours stupéfait de voir des gens d'un certain âge, censés avoir une mémoire historique, sembler découvrir la Lune ou inventer l'eau tiède.

On ne remarque pas assez un tournant dans la contestation contre la loi El Khomri. Au départ, les manifestants s'en prenaient à l'assouplissement du CDI. Après, il en a été beaucoup moins question. Le fusil a changé d'épaule, ce sont les accords d'entreprise qui ont été fortement critiqués. C'est que certaines organisations syndicales y perdraient de leur pouvoir. La différence avec 1947, c'est que l'époque était violente et les affrontements meurtriers. La France était en quasi insurrection, mettant à mal le préjugé d'un camp progressiste uni : il ne l'a jamais été, sauf quelques années, entre 1965 et 1977, sous l'impulsion de François Mitterrand, pour des raisons purement électoralistes. Les violences actuelles, une voiture de police en feu, paraitraient anodines à nos arrière-grands-parents. Nous sommes devenus hypersensibles, la moindre brutalité nous révulse. Ces allers et retours dans notre histoire nous font du bien : ils relativisent, relient et opposent les événements. Nous vivons un parfum de 1947, mais il y a très loin de la coupe aux lèvres.

jeudi 26 mai 2016

On ne lâche rien



Nouvelle journée d'actions contre la loi travail. Où est-ce qu'on va comme ça ? La CGT semble prise de folie, le mouvement dégénère. Affiches anti-flics consternantes, blocage des raffineries, menace sur les centrales nucléaires, coupures d'électricité, arrêt des moyens de transport ... En marge, il y a les violences des casseurs, les coups de feu contre des permanences socialistes, les mises à sac. Le pompon, c'est cette censure de la presse d'aujourd'hui : seule L'Humanité est dans les kiosques, parce que les autres journaux ont refusé de faire paraître, sous la force, un communiqué de la CGT.

Si ce n'était grotesque, presque risible, je pourrais m'en inquiéter, en matière de liberté d'expression et de démocratie. Et si j'étais cynique, je ne pourrais que me frotter les mains, laisser faire, trouver que cette dérive a du bon : les adversaires du gouvernement se discréditent eux-mêmes, le temps sera vite venu d'une opinion se retournant contre la contestation, excédée par ses dérapages multiples. D'autant que le ressort du mouvement n'est pas social, mais politique. Le hic, non dissimulé, c'est la priorité aux accords d'entreprise, qui remet en cause le pouvoir de l'appareil central de la CGT.

Quelques députés PS ont médiatisé une tentative de conciliation, de relecture du texte, d'amendement possible. C'est gentil, mais c'est complètement illusoire. On ne peut pas négocier avec des gens qui ne veulent pas négocier. Les syndicats radicalisés (ont-ils jamais cessé de l'être, depuis toujours ?) n'ont qu'un mot à la bouche, dès le début, avant même que le conflit ne commence : RETRAIT. On ne peut rien faire avec ça. A moins que le pouvoir politique abdique, renonce à ce qu'il est, à sa politique : ce serait dramatique. On a le droit d'être contre la loi travail, on n'a pas le droit de remettre en cause les institutions. Négocier, en bon syndicalisme, c'est discuter autour d'un texte que propose le pouvoir politique, légitimement élu : alors, on est pour, on est contre ou on choisit de l'amender. Mais ce n'est pas se retrouver autour d'une table en partant de rien, en parlant de n'importe quoi, chacun apportant ses propres revendications pour aller forcément nulle part.

Quant à ceux qui prétendent que le gouvernement serait bon à faire tomber, parce qu'il ne respecte pas ses engagements, parce que le mandat que lui a accordé l'électorat serait désormais nul et non avenu, ceux-là sont des factieux, des séditieux, doublés de menteurs et de manipulateurs. Leur référence au discours du Bourget se résume à une phrase, le célèbre "mon-ennemi-c-est-la-finance", au détriment de tout le reste, qui attestait d'une ligne sans ambiguïté social-démocrate, mise en application dès le début du quinquennat, à laquelle François Hollande a été fidèle, n'a jamais dérogé, dont la loi travail n'est que le prolongement (d'ailleurs, ses adversaires les plus résolus le savent et le disent). C'est donc un faux et facile procès en promesses non tenues qu'on fait au président de la République, procès typiquement stalinien.

Dans cette crise, car crise il y a, le comportement de Manuel Valls est exemplaire : respecter les engagements et les institutions, ne pas céder à la violence, n'avoir en tête que la défense des chômeurs et des précaires, puisque la loi travail leur est essentiellement destinée. La politique du gouvernement commence à porter ses fruits, les chiffres d'hier du chômage l'attestent, et d'autres indicateurs retournent au vert. Non, il ne faut rien lâcher, surtout pas maintenant.

Cette crise n'est sûrement pas un drame. Je crois même qu'elle a du bon. D'abord, le débat se passe tout entier à gauche. La droite n'a plus rien à dire, sinon suivre ou en rajouter. Et à l'intérieur de la gauche, la grande clarification se fait, le Premier ministre en est l'intransigeant initiateur, avec raison. Remarquez bien, ces derniers jours, à quel point les frondeurs se taisent. Ils savent qu'ils ne peuvent plus aller trop loin. Soit ils sortent du bois et ils sont morts, soit ils rentrent dans le rang pour garder leurs places. En politique, il ne faut jamais rien lâcher, pour que ce soit les autres qui lâchent.

mercredi 25 mai 2016

J'aime l'industrie



Qu'on soit pour ou qu'on soit contre, Emmanuel Macron est la personnalité la plus intéressante et la plus originale du gouvernement. Ce n'est pas si fréquent en politique, où règnent le conformisme et le mimétisme, nécessaires à qui veut faire carrière. Le jeune ministre est au-dessus de tout ça. Il n'a plus rien à prouver, c'est un homme libre et indépendant. Surtout, il a une pensée, une analyse de la situation et un projet en gestation, qui sortent des clichés et des préjugés ordinaires de la gauche. On lui colle une image de libéral, il s'en moque, s'en amuse et la reprend à son compte : autant faire braire les ânes, puisqu'ils y trouvent un plaisir très onaniste. En réalité, la réflexion de Macron ne se réduit ni à un vulgaire néolibéralisme, ni au socialisme à l'antique. C'est une autre voie de gauche, dont il est intéressant de souligner l'originalité. Après, on adhère ou pas, c'est autre chose.

Dans Les Echos de cette semaine, Emmanuel Macron, une fois de plus, nous surprend, au bon sens du terme, n'est pas là où l'on s'attend à le trouver. On se souvient de la formule de Manuel Valls : J'aime l'entreprise. Macron, pour résumer son entretien au journal, ce serait plutôt : J'aime l'industrie. Toute sa philosophie économique suit ce fil-là. Pas évident : une grand partie de la gauche (et de la droite), ces vingt dernières années, n'a juré que par le développement des services, du tertiaire, notre nouvelle Californie. Du coup, nous avons raté le tournant industriel, perdu en compétitivité et mal anticipé la mondialisation. Bien sûr, l'industrie lourde est derrière nous. Macron envisage l'industrie du futur, qui commence aujourd'hui, qui a même débuté hier : la robotisation et la numérisation.

Dans ce projet industriel, l'Etat garde toute sa place (ce qui interdit de faire de Macron un simple néolibéral). Le ministre défend une politique de souveraineté qui ne déplairait pas, en partie du moins, à Jean-Pierre Chevènement. Là où l'Etat est actionnaire, comme dans l'énergie ou la défense, ou bien dans les secteurs stratégiques, l'acier par exemple, des politiques publiques fortes doivent être mises en place. Plus surprenant, en contradiction avec l'image habituelle qu'on se fait de Macron, il prône des mesures protectionnistes sur certains produits qui faussent la concurrence, il souhaite un renforcement des règles anti-dumping, une augmentation des droits de douane. Voilà une inspiration que ne désavoueraient pas des penseurs antilibéraux tels que Jacques Sapir ou Emmanuel Todd !

L'objectif, c'est de renforcer la compétitivité de l'économie nationale. Le pacte de responsabilité et le CICE ont ouvert la voie, mais il faut aller plus loin. C'est une politique offensive d'investissements que propose Emmanuel Macron. Même le financement public des entreprises, que la gauche radicale conteste, est remis en question par lui : ce sont trop souvent les grands groupes, bien informés, qui en profitent, pas les PME. Les guichets qui distribuent des fonds publics génèrent des gaspillages auxquels il faut remédier.

Ceci dit, l'inspiration libérale n'est pas non plus absente de la réflexion du ministre (en économie de marché, à partir du moment où l'on accepte celle-ci, pourquoi pas et comment faire autrement ?). Une position a fait couler beaucoup d'encre et de salive : la modération salariale, qui ne fait pas très à gauche. Mais arrêtons le cinéma : est-ce que la gauche de gouvernement ne pratique pas depuis toujours cette fameuse modération salariale, une fois qu'elle est au pouvoir ? L'un des traits saillants de la personnalité de Macron, qui est aussi une vertu politique, c'est qu'il préfère l'honnêteté à l'hypocrisie.

Et puis, il faudrait savoir ce que l'on met exactement derrière l'expression de modération salariale. Chez Macron, c'est clair : privilégier l'emploi et l'investissement aux dividendes et aux salaires. Ce qui n'exclut pas de relever les rémunérations les plus basses (ce ne serait que justice), à condition d'en laisser l'initiative aux négociations d'entreprise. Dans une boîte qui marche, dans un secteur qui roule, oui, les revalorisations de salaire sont non seulement envisageables, mais souhaitables. Et c'est le boulot des sections syndicales de pousser en ce sens, au lieu de bloquer aujourd'hui les raffineries, dans un combat aussi inutile que désespéré, plus politique que professionnel.

Puisque nous y venons, parlons de cette loi travail, que le syndicalisme le plus forcené (mais lui seulement) conteste. Emmanuel Macron non seulement la soutient, mais souhaite l'extension des accords d'entreprise à d'autres domaines que ceux prévus par la loi (voir mon billet d'hier, L'inversion des normes). Quant au plafonnement du salaire des grands patrons, il est contre, comme je le prévoyais dans mon billet du 19 mai, Gros salaires. Non pas que le ministre se contente de la situation actuelle, mais ce n'est pas selon lui la voie législative qui est la meilleure et la plus juste pour régler le problème.

Qu'est-ce qu'on demande d'abord à un homme politique ? D'avoir des idées. On ne réussit rien dans cette activité sans une analyse de la situation et un projet à long terme. Emmanuel Macron est dans cette perspective-là. Ce samedi démarrera sa Grande Marche, l'opération porte-à-porte, dont les résultats seront présentés à la fin de l'été, et cet automne ou cet hiver, juste avant le grand débat des élections présidentielles, Emmanuel Macron exposera son projet pour la France. Nous y serons.

mardi 24 mai 2016

L'inversion des normes



Les adversaires de la loi travail lui reprochent très souvent ce qu'ils appellent, dans une formule un peu énigmatique et barbare, "l'inversion des normes". A travers cette critique, ils repèrent en effet un principe majeur du texte de loi : la priorité donnée aux accords d'entreprise sur les accords de branche, professionnels et nationaux. Le débat doit se focaliser sur ce point, parce qu'il est fondamental : est-ce que le destin des salariés doit se jouer au sein de leur lieu de travail ou bien à l'échelon supérieur du secteur d'activité ? Cette question n'est pas seulement théorique. C'est autour de sa réponse qu'il faut argumenter, et répliquer aux adversaires de la loi.

D'abord, cette conception n'est pas nouvelle. Toute une tradition de gauche la défend depuis longtemps. Ne laissons donc pas croire qu'il s'agit d'une concession à je ne sais quel néolibéralisme. La gauche girondine, rocardienne s'est toujours battue pour que la base l'emporte sur le sommet, pour que la décentralisation contrecarre l'étatisme jacobin. Une gauche authentiquement de gauche, depuis le XIXe siècle, accorde sa préférence à la négociation, y compris au plus près du terrain, sur la loi ou la mesure administrative. Il est légitime de penser autrement, mais pas de disqualifier cette deuxième gauche, comme on l'appelait autrefois, parce qu'elle n'adhère pas à la conception bureaucratique du socialisme (j'emploie les mots d'avant, qui me semblent encore pertinents aujourd'hui).

Ensuite, respectons le sens et le texte de la loi travail, aussi honnêtement que possible, même quand on s'y oppose. Il n'y a pas, à strictement parler, "inversion des normes", éclatement et disparition des cadres nationaux. La loi continue à exister (on voit mal comment on pourrait s'en passer, elle fixe par exemple la durée légale du temps de travail), les accords de branche ne sont pas niés : simplement, les accords d'entreprise, beaucoup moins dans notre culture nationale et syndicale, sont fortement encouragés. C'est un changement d'orientation, c'est une forte évolution, ce n'est pas non plus un bouleversement total. La fameuse "inversion" ne met pas notre modèle social la tête en bas ! Le droit du travail n'est pas livré à la jungle patronale !

Les adversaires de la loi travail, avec lesquels il nous faut débattre, partent d'un présupposé idéologique que je conteste : la vie sociale serait faite exclusivement de rapports de force, d'une lutte d'intérêts, dans laquelle aucun sens du bien commun n'aurait sa place. Il y aurait d'un côté les patrons avides de profit, de l'autre côté les salariés se battant pour leur survie. Je ne dis pas que la réalité n'est pas celle-là, mais que cette vision est très partielle, qu'on ne peut pas réduire l'entreprise à une telle scène tragique, pessimiste et finalement désespérante. Entre les misanthropes et les bisounours, il y a une approche plus large et plus exacte de la réalité sociale. Bien sûr, chacun défend ses intérêts, mais pas que. Et puis, les intérêts des uns et des autres sont souvent imbriqués, pas nécessairement opposés.

Ma vision du monde, de la société et de la vie est républicaine, pas néo-libérale ou pseudo-marxiste : je crois en l'intelligence des hommes, aux capacités de dialogue, au sens du compromis, à l'intérêt général. Je refuse la sauvagerie des rapports sociaux, réelle ou fantasmée. Je crois tout simplement en la raison, en la sagesse humaines. Ces termes peuvent faire sourire, mais ce ne sont pas forcément les violents qui ont le dernier mot et qui imposent leurs schémas. Je ne pense pas en tout cas que les rapports de force constituent un projet de gauche. Cet espèce de darwinisme social serait plutôt une pulsion de droite, indigne d'une gauche civilisée.

Les adversaires de la loi travail craignent que l'inversion des normes affaiblisse le syndicalisme. Mais peut-il l'être encore plus qu'aujourd'hui ? Ce sont d'étranges révolutionnaires, qui ne regardent pas vers l'avenir mais vers le passé. Etait-ce tellement mieux avant, qu'on ne veuille rien y changer ? Je crois au contraire que la loi travail redynamisera le syndicalisme. Car il y aura nécessité à ce que se créent des sections d'entreprise, puisque c'est à ce niveau-là que beaucoup de choses se décideront. Jusqu'à maintenant, il n'y avait pas cette urgence, puisque c'est d'en haut que venaient et que s'imposaient les résultats des négociations (quand il y avait résultats, ce qui n'était pas toujours le cas). Et puis, drôle d'idée de croire que le sommet serait plus avisé que la base, que le patronat y serait plus conciliant et les syndicats plus influents. Si lutte des classes il y a, elle ne se partage pas, elle demeure de même intensité à quelque échelon que ce soit. Les adversaires de la loi travail sont de faux marxistes peu conséquents avec eux-mêmes.

lundi 23 mai 2016

Restaurer la République



Thierry Mandon a donné hier au JDD une intéressante interview sur notre système de gouvernance, qui pousse à la réflexion. J'ai avec lui quelques accords et beaucoup de désaccords. Dans son diagnostic, le secrétaire d'Etat donne raison à Nuit Debout, qui traduit selon lui des "frustrations démocratiques", qui appelle à "une autre démocratie". Non, c'est une illusion, un effet de mode, une bulle médiatique, des gens qui ne représentent qu'eux-mêmes, qui n'aspirent pas à renouveler la démocratie mais à la contester, sans qu'émerge une quelconque alternative.

Mandon fait remarquer que les Français sont plus éduqués, mieux informés et davantage critiques qu'autrefois. Sans doute, mais il y a aussi une illusion éducative, propre à la sociologie des classes moyennes, qui investissent énormément dans l'école pour leurs enfants, alors que le problème est plus crument celui de l'emploi pour les classes populaires. Surtout, il n'y a pas de corrélation entre éducation et démocratie. L'utopie est belle, mais elle est fausse, comme bien des utopies. Au début du système électoral, les citoyens votaient en masse, alors que leur éducation était beaucoup moins élevée. Au contraire, l'élévation du niveau culturel favorise le scepticisme, l'abstention, engage à ne plus croire en rien, à penser par soi-même en se passant des grandes idéologies. L'esprit critique tourne vite à la dérision gratuite. L'éducation n'est pas la solution, c'est le problème ! Le drame, c'est que nous n'avons plus foi en la démocratie, c'est qu'il nous manque une croyance laïque, en la République.

L'analyse de Thierry Mandon tend à vouloir une démocratie participative, en complément ou en remplacement de la démocratie représentative. Je n'y crois pas du tout, je m'en inquiète même ! Car c'est un déni de parlementarisme, c'est une soumission à la tyrannie de l'opinion, telle que la craignait Tocqueville. Le participatif, c'est un songe creux. A mes yeux, il n'y a qu'une seule participation, c'est l'élection ! Il ne faut pas rénover la démocratie, il faut restaurer la République, comme les monarchistes du XIXe siècle voulaient la restauration de l'Ancien Régime. Nous avons été dépossédés de la République par la démocratie d'opinion, individualiste et consumériste. Il faut la rétablir, bannir les mots d'ordre démagogiques d'écoute des citoyens, de parole aux citoyens. La soi-disant démocratie des réseaux sociaux a engendré un monstre de conformisme, de narcissisme et de bêtise, qui n'est qu'un simulacre de démocratie. Nous nous sommes éloignés de l'idéal du citoyen éclairé, pensant et oeuvrant en vue du bien commun.

A propos de l'élaboration des lois, Thierry Mandon voudrait que l'expertise joue en amont un rôle plus grand. Comme si notre société ne crevait pas des experts de toute sorte, très nombreux, un peu partout, se contredisant. Non, il faut se défaire des experts et refaire des citoyens. Je ne crois qu'en une seule lumière : celle du suffrage universel. Les experts sont souvent autoproclamés, quand ils ne sont pas "bons clients" des émissions de télévision. Chacun est même invité à être expert pour son propre compte, au mépris des véritables autorités. Non, il faut mettre un terme à ce système de l'expertise qui gangrène notre système politique.

Pas d'accord non plus avec Mandon sur sa proposition d'une évaluation a posteriori des lois, deux à trois ans après leur application. Car on trouvera toujours à redire, les mécontentements seront encouragés et légitimés, les ajustements après coup dénatureront la loi, qui est juste dans son adoption ou qui ne l'est pas, que seule l'élection peut abroger ou amender. Une loi n'est pas une procédure technique soumise à des révisions. Elle ne vaut pas pour ses effets, mais pour ses motifs, non pas pour ses conséquences, mais pour ses causes. Le projet de Mandon introduit une dangereuse inversion des normes. L'esprit des lois, dont parlait Montesquieu, s'en trouverait profondément altéré.

Alors, qu'est-ce qui m'agrée dans les propos de Thierry Mandon ? Deux mesures : d'abord la réduction des délais entre l'annonce d'une réforme, son adoption par le Parlement et son application. Car la durée peut atteindre jusqu'à trois ans, quand on comptabilise les décrets. Ensuite, j'approuve totalement le système américain du spoil system, étranger à la tradition française : par souci d'efficacité, un gouvernement devrait nommer à la tête des grandes administrations des hommes liges. Et puis, comme Mandon, je crois que la question de la démocratie devra être un thème essentiel de la campagne de 2017, car qui ne voit que notre système est dans une crise profonde, politique et morale ... J'attends avec impatience le rapport que le secrétaire d'Etat publiera, sur ce sujet, à la fin du mois, qui ne pourra que relancer la réflexion.

dimanche 22 mai 2016

Salam alikoum




Portes-ouvertes à la mosquée de Saint-Quentin aujourd'hui et hier. Après la visite, nous nous sommes rendus salle Vermand-Fayet, où nous attendaient de multiples activités, ateliers manuels (vignette 1) et mur du vivre-ensemble (vignette 2), où chacun pouvait rédiger son témoignage. Des expositions rappelaient les multiples contributions de la communauté musulmane à la société française, y compris le sang versé pour la défense de notre pays (vignette 3).

La sympathique ambiance s'est prolongée autour de pâtisseries orientales (vignette 4). Parmi les nombreuses personnalités présentes, Colette Blériot, vice-présidente du Conseil départemental de l'Aisne, a tenu à me montrer fièrement son nom calligraphié en arabe (vignette 5). Mais aucune conversion à l'islam n'est pour le moment en vue.

Belle initiative et heureuse journée, qui aura fait tomber bien des préjugés, qui aura démontré que l'intégration de nos compatriotes musulmans n'est pas un problème pour la République française. Espérons que ce message de fraternité et d'espoir soit compris de tous !

Montand avant Macron



Arte nous a proposé dimanche dernier, en soirée, un beau documentaire, Yves Montand, l'ombre au tableau, de Karl Zéro et Daisy d'Errata (2015). Du parcours politique du comédien et chanteur, je savais tout, mais j'avais énormément oublié. Ce film constitue un utile rappel. Montand, j'ai beaucoup aimé : sa sincérité, ses engagements, ses coups de gueule. C'est lointain, d'il y a une bonne trentaine d'années, mais ce n'est pas non plus de l'histoire ancienne, ni une langue morte : Montand nous parle encore aujourd'hui, longtemps après sa disparition.

On ne peut pas, en politique, faire comme si on partait de rien, même si ça arrange certains : il y a la mémoire, l'expérience, les leçons de l'Histoire. Il y a aussi un passé qui ne passe pas, même lorsqu'il semble trépassé. Il y a des retours d'Histoire comme il y a des retours de flamme. Karl Marx, au début de son Manifeste, nous dit que le communisme est "un spectre qui hante l'Europe". Nous pouvons reprendre cette formule pour la France actuelle : avec les Mélenchon, les Nuit Debout, les anti-El Khomri et le succès éditorial d'un Alain Badiou, toute une nébuleuse vient hanter une partie de la gauche. Contre elle, il faut invoquer à notre bon souvenir l'esprit d'Yves Montand.

Montand a bien connu le communisme dans sa période glorieuse, les années 50 : son père était communiste, lui a été ouvrier, il a défendu cette idéologie, est allé chanter dans les pays communistes. Dans la décennie suivante, il s'en séparait, le dénonçait, de plus en plus violemment, avec raison. A l'époque, la gauche dans son ensemble était complaisante, complexée à l'égard du communisme, elle n'osait pas l'attaquer. Il faudra attendre les années 80 pour que la condamnation soit claire et nette. Yves Montand, dans son style à lui, a anticipé cette vérité : le communisme, c'est le mensonge le plus tragique du siècle dernier, c'est l'utopie la plus meurtrière et la plus antipopulaire. Au nom de la classe ouvrière, dans son respect le plus absolu, nul ne devrait se prétendre communiste aujourd'hui, quand on sait quel carnage ce mot et cette idée ont couvert. Et ceux qui donnent des leçons de socialisme aux socialistes mériteraient qu'on les gifle, pour leur faire honte de leur impudence.

La gauche a définitivement rompu avec le communisme lorsqu'il s'est politiquement écroulé, lorsque sa supercherie sanglante est devenue flagrante : en Pologne d'abord, dans les autres régimes ensuite, la classe ouvrière et l'ensemble de la population se sont soulevés contre la tyrannie. Il est banal de le dire aujourd'hui ; il y a 40 ans, c'était très mal vu. Yves Montand a popularisé, médiatisé la lutte contre le communisme, utilisant son statut de star. Il est allé jusqu'à condamner la présence de ministres communistes dans le premier gouvernement de François Mitterrand. Qui, à l'époque, dans la gauche, aurait osé ? Montand l'a fait avec l'excès de son personnage, mais surtout avec sa vérité, et il n'y a que cela qui compte.

Dans la France de 2016, le communisme n'est plus guère assumé, mais sa culture est toujours existante, camouflée, abâtardie et cependant identifiable : Mélenchon, Badiou, Nuit Debout, c'est bien lui, y compris inconsciemment, qui possède les esprits, tourne les têtes, génère des illusions. Le problème de la gauche, c'est qu'elle n'a pas théorisé, à tort, les mensonges et les crimes du communisme, se contentant du rejet des peuples et du jugement de l'Histoire. Sauf que les illusions sont tenaces, les préjugés ont la vie dure et les revenants ne vivent pas que dans les contes de fées. Le Parti socialiste paie aujourd'hui ce défaut de pensée. Il lui aurait fallu disqualifier intellectuellement le communisme, couper la tête du serpent pour que l'hydre ne repousse plus, ne renaisse plus des cendres refroidies de ses victimes. Yves Montand a fait en personne le travail. Il a été suivi par beaucoup de Français à cette époque, dans les années 80. Mais c'est à rappeler et à reprendre.

Qui se souvient que 38% des électeurs, à l'approche des élections présidentielles de 1988, se disaient prêts à voter pour Yves Montand ? Le phénomène était profond. Mais ce n'était pas seulement une critique du communisme : Montand renouvelait la gauche, la réconciliait avec l'entreprise, le marché, l'argent, l'économie, l'Amérique, la géopolitique. Ce n'était pas un intellectuel, mais une vedette qui menait un travail d'intellectuel. En ce temps-là, c'était complètement nouveau, pour beaucoup presque ahurissant. Aujourd'hui encore, il y a des ahuris, sincères ou non.

Ce combat n'a pas cessé. C'est celui que mène, dans la jeune génération, Emmanuel Macron. Son sens idéologique est très clair : installer définitivement une gauche libérale, au sens plein et positif du terme, contre une gauche communiste qui perdure, même si elle ne revendique plus forcément le mot taché de sang. Nous avons un Macron, c'est bien ; mais il nous faudrait un Montand pour dénoncer les Mélenchon, Badiou et Nuit Debout, mener contre eux la guérilla idéologique, rabattre leur caquet, leur rentrer devant. Marx avait raison : il faut que des spectres viennent nous réveiller dans la nuit de nos illusions, de nos mensonges et de nos oublis.

samedi 21 mai 2016

Une nuit, un musée




Ce soir, au musée Antoine-Lécuyer, Pomme et Luc Legrand invitaient à l'atelier de gaufrage petits et grands (vignette 1). Un artiste sculptait des chapeaux en ballons de toute sorte (vignette 2). Parmi les œuvres de street art, le tableau d'Antoine Paris, L'aveugle au pistolet, acrylique et posca sur toile (vignette 3). A la sortie, Augustin et son magnifique haut de forme (vignette 4).

Demain l'Autriche



Imaginez, l'an prochain, au deuxième tour de l'élection présidentielle, un duel Mélenchon-Le Pen. Politique-fiction ? Non, le FN est pour l'instant en tête des intentions de vote et Jean-Luc-Mélenchon talonne François Hollande dans les sondages. Heureusement, une hirondelle ne fait pas le printemps. Mais il y a de quoi s'inquiéter. Eh bien, ce scénario-catastrophe est celui de l'Autriche de demain, ou à peu près : le candidat d'extrême droite est arrivé largement premier, il se verra opposé au leader des Verts. Conservateurs et socialistes ont été éliminés. Ce dimanche, un pays d'Europe va peut-être basculer dans le néofascisme. Remarquez comme on en parle peu en France, alors que nous devrions être horrifiés. Ce serait une sinistre première depuis la fin de la Seconde guerre mondiale ...

Ce scrutin autrichien est fondamental à analyser, car il nous parle aussi de la France, il rétablit certaines vérités qu'on a du mal à regarder en face. D'abord, le candidat d'extrême droite n'est pas un ultra-conservateur, un populiste, un réac : non, c'est véritablement quelqu'un qui partage une culture d'extrême droite, étrangère à la droite traditionnelle. Ses positions sont xénophobes, nationalistes, autoritaires, anti-européennes. C'est le visage de Marine Le Pen chez nous, sous le maquillage de la dédiabolisation. Il est temps, ici comme ailleurs, d'arracher le masque, de nommer l'adversaire par son vrai nom, au lieu d'utiliser des néologismes, des euphémismes ou des circonvolutions. La bataille politique se livre d'abord dans le langage.

Il est également fondamental de repérer les motivations de ce vote d'extrême droite. L'Autriche est un pays prospère, avec peu de chômage, et des immigrés relativement peu nombreux. L'électorat néofasciste n'est donc pas mû par des raisons économiques ou sociales, mais strictement identitaires : la défense nationaliste de l'Autriche, le rejet de l'Europe. C'est un vote rigoureusement politique et idéologique, pas du tout protestataire. C'est ce qui fait son grand danger. Si l'extrême droite demain soir gagne, les institutions européennes seront ébranlées, Le Pen en France sera encouragée, un appel d'air glacial soufflera sur tout le continent.

Pour poursuivre la comparaison avec notre pays, l'Autriche ignore le front républicain : les socialistes de là-bas n'ont pas appelé à voter pour le candidat écologiste. C'est consternant, ahurissant. Je n'en connais pas la raison, je ne cherche d'ailleurs pas à savoir : cette abstention est coupable. Ce qui est aussi terrible, c'est qu'elle suit ou anticipe ce qui se passe dans certains esprits de gauche, chez nous, qui ont renoncé au réflexe républicain, qui ne sont plus prêts à faire barrage à l'extrême droite, lorsqu'il y a nécessité. Pour moi, il n'y a jamais eu aucune hésitation. Mais je sens autour de moi, dans les milieux de gauche, le désistement républicain ne plus être une évidence. Allons-nous devenir des Autrichiens ? Je ne le souhaite vraiment pas.

vendredi 20 mai 2016

Street-art




Maurice relooké en Bob Marley (un pétard à la main ?) : c'est un coup du gang des Tricoteuses, qui a sévi en centre ville (vignette 1). Un banc s'est retrouvé rhabillé en laine (vignette 2). Mais elles n'étaient pas les seules sur la place de l'Hôtel de Ville : des drôles de créatures en bouchons se promenaient, derrière un aquarium aux poissons immobiles (vignette 3). Dans la rue de la Sellerie, une chaussure à je-ne-sais quel pied me sortait par les yeux (vignette 4). C'est à voir dans le cadre de l'opération de street-art, "Ceci n'est pas un tag".

La gauche et les mouvements sociaux



Les manifestations contre la loi travail vont se poursuivre dans les prochaines semaines. La gauche de gouvernement est gênée aux entournures. Elle a le sentiment qu'elle tourne le dos à son électorat quand une partie de celui-ci descend dans la rue pour manifester contre elle. Une sorte de complexe s'établit chez beaucoup, renforcé par les leçons de morale de la gauche radicale, qui sait cultiver au sein de la gauche réformiste le sentiment de culpabilité. Il n'y a pas de quoi. Il faut sortir de cette culture de la mauvaise conscience, qui résulte d'une psychologisation du débat public. Il faut reprendre l'offensive, politique et idéologique. Mais de quelle façon ?

D'abord en ne donnant pas l'impression de découvrir la Lune. La mémoire historique nous rappelle que la gauche au pouvoir a toujours été confrontée à des mouvements sociaux venant de ses rangs, qui avaient pour conséquence de la dénoncer, de la disqualifier. Inutile de s'en plaindre, de le regretter : il faut simplement comprendre, et rester ferme sur ses positions. Dans la première moitié des années 80, la gauche mitterrandiste au pouvoir, alliée pourtant aux communistes, est confrontée à un mouvement social d'une ampleur considérable, très virulent, parfois violent, celui des sidérurgistes qui subissent la disparition de leur secteur d'activité, qui en imputent la responsabilité au gouvernement, qui dénoncent la politique de rigueur amorcée par Pierre Mauroy dès 1982.

En comparaison avec les manifs d'alors, la contestation actuelle de la loi travail, c'est du petit lait. Mitterrand a tenu bon, a refusé de quitter l'Europe, de céder au protectionnisme ; il a mis en place des politique de reconversion, qui ne l'ont pas empêché d'être réélu en 1988, et la gauche de l'emporter à nouveau neuf ans plus tard. Tenir bon : c'est l'axiome majeur en politique. Non par entêtement ou aveuglement, mais par fidélité à ses convictions, en demeurant indifférent aux accusateurs, aux procureurs, aux inquisiteurs qui se lèvent de la gauche extrême.

A partir de 1998, la gauche de gouvernement s'affronte à un nouveau mouvement social, large, puissant, critique, que j'ai pu alors observer de près. Sa cible, c'était les 35 heures. Prendre la défense de cette réforme, comme je l'ai fait, c'était systématiquement se faire insulter par la gauche radicale, qui ne voyait en elle que des "cadeaux au patronat" (même chanson qu'aujourd'hui l'on entend à propos de la loi El Khomri). Les mêmes qui gueulaient alors gueulent autant aujourd'hui, mais en sens inverse, pour conserver leurs fameuses RTT, auparavant décriées. Pas touche aux 35 heures, alors qu'ils en disaient pis que pendre il y a 15 ans, et qu'ils l'ont d'ailleurs fait payer à Jospin lors de la présidentielle de 2002. Là encore, il a fallu tenir bon la corde, et c'est aujourd'hui payant : on a compris que les 35 heures, c'est la bête noire de la droite, pas de la gauche.

Faire de la politique, c'est faire de l'histoire, sinon on ne fait rien, parce qu'on ne comprend rien. Faire de la politique, c'est aussi faire de l'idéologie. La gauche n'a jamais été un bloc homogène, uniforme. Au contraire, elle a toujours vécu sous le régime des sensibilités opposées, conflictuelles. Il n'y a pas à s'en désoler, la réalité est ainsi faite, qui n'empêche pas la gauche de remporter les élections, non pas quand elle est unie (elle ne l'a jamais été), mais quand elle a un projet fort à proposer aux Français (ça n'a pas toujours été le cas). Ma gauche est réformiste, gouvernementale, social-démocrate, social-libérale, appelez-là comme vous voudrez, on voit bien de quoi il s'agit.

Mais je sais qu'il existe une autre gauche, très différente, en partie contraire, qui n'est pas la mienne, dans laquelle je ne me suis jamais reconnu culturellement, intellectuellement. Je ne me permettrai pas de la qualifier, c'est à elle qu'il appartient de le faire, avec ses mots. Cette gauche-là, je la respecte, je débats avec elle, je la combats quand il le faut, ce qu'elle fait d'ailleurs plus souvent qu'à son tour. Je ne suis pas obsédé par le rassemblement (un thème plutôt de droite), mais par la clarté, la fidélité et la cohérence. Ce que je n'accepte pas, c'est le sectarisme, c'est qu'une gauche s'autorise à en disqualifier une autre, parce qu'elle ne partage pas ses idées. La gauche radicale, antilibérale, la gauche de gauche n'est pas ma gauche, j'ai beaucoup de reproches à lui faire, mais je ne lui retire pas son identité de gauche, même si je ne m'y reconnais pas. Je ne suis pas certain que la réciproque soit vraie.

Gauche gouvernementale, gauche radicale : choisis ton camp, camarade ! comme on disait autrefois. Tout le mouvement social qui se développe contre la loi travail doit être jugé à l'aune de ces paramètres historiques, idéologiques et politiques, pas en ayant le nez collé à la vitre de l'actualité. La gauche et ses multiples tendances ne sont pas nées d'hier, viennent de très loin, ont des filiations profondes, éprouvées. La contestation actuelle est bien peu de choses, je le redis, quand on se souvient des affrontements d'autrefois, autrement plus cinglants. A côté, Nuit Debout, ce sont des enfants de chœur ! La gauche et les mouvements sociaux, c'est une longue histoire, qui a encore de beaux jours devant elle, et c'est tant mieux.

jeudi 19 mai 2016

Gros salaires



40 personnalités de gauche proposent de limiter les salaires des patrons du CAC 40 à 100 Smic, ce qui reviendrait à une réduction de 58%. C'était dans Libé d'hier, et une pétition est en ligne. Je la signe ? Non. Pourtant, ça ne mange pas de pain, quand on est de gauche ? Justement : je me méfie de ce qui ne mange pas de pain, des fausses évidences. Et puis, je n'aime pas non plus ce qui ne sert à rien : le destin d'une pétition, c'est généralement le fond d'un tiroir et l'oubli à courte échéance. Une pétition, c'est souvent une pétition de principes, qui ne va pas au-delà. Pas très politique tout ça, pas très efficace.

Sur le fond, l'incontestable bonne intention est très discutable. Lutter contre les inégalités, je suis pour. Réduire les écarts de salaires injustifiés, d'accord. Mais pourquoi limiter la mesure aux seuls patrons du CAC 40, qui ne sont pas des masses. Bien d'autres riches gagnent autant, sinon plus, avec encore moins de justifications. Je vois là une incohérence. D'ailleurs, la proposition de loi risque d'être juridiquement irrecevable, à défaut d'universalité.

Bien sûr, la démarche est beaucoup plus morale que politique, et je ne suis même pas certain que ces initiateurs pensent à la voir déboucher constitutionnellement. Mais l'incohérence demeure, y compris au plan éthique. Car franchement, être payé 100 Smic, rien ne le justifie moralement, quelle que soit la fonction. Il est très bien de faire la morale, à condition de ne pas s'arrêter à la moitié du chemin. Quand on s'indigne que trop c'est trop, il faut s'indigner qu'une rémunération à 100 Smic, c'est encore trop. La morale est un absolu : elle ne souffre pas les demi-mesures.

Je ne me reconnais pas vraiment dans la gauche morale. D'abord parce que la politique et la morale n'ont jamais fait bon ménage, sinon dans l'hypocrisie. Ensuite parce que toute attitude morale, qui consiste à dire le bien sans forcément le faire soi-même, me gêne. La morale, c'est souvent bon pour les autres ... Ma gauche n'est pas essentiellement morale, mais politique, économique et sociale. Au lieu de fixer un plafond pour les hauts revenus de quelques patrons, je préférerais qu'on réfléchisse à un plancher pour une allocation minimum universelle versée à tous.

Je suppose que cet appel des 40 a été motivé par l'augmentation du patron de Renault, contre l'avis de sa propre assemblée générale, il y a quinze jours. Pierre Gattaz et Emmanuel Macron s'en étaient émus, le ministre de l'Economie menaçant même de légiférer sur ce sujet. Qu'il soit suivi et soutenu par 40 personnalités ne peut que me faire plaisir. Mais est-ce que la politique consiste à se faire plaisir ? Pour certains, oui ; pour moi, non. Et puis, je ne suis pas sûr que Macron soit en phase avec le contenu de la pétition. Quoi qu'il en soit, l'affaire Carlos Ghosn est trop particulière pour en tirer une leçon générale.

Une pétition est moins intéressante pour son texte que pour ses signataires. L'objectif est d'ailleurs là : non pas faire progresser une cause, mais ramener des noms. Les leaders de la CGT, CFDT et UNSA sont présents. Un humoriste, un pneumologue, un artiste et un centriste ont trouvé leur place. Quelques intellectuels de renom se sont ralliés. Parmi les politiques, on trouve le président de l'Assemblée nationale, le premier secrétaire du PS et des écologistes notables. Mais pas les communistes, ni Mélenchon, ni l'extrême gauche, qui pourtant devraient être les premiers intéressés. Comme quoi la gauche morale, malgré sa bonne volonté, a encore des efforts à faire pour convaincre qu'elle est révolutionnaire ...

mercredi 18 mai 2016

Tous victimes, même les flics



La manifestation des policiers pour dénoncer la "haine anti-flic" (sic) exprime un hallucinant retournement de situation : ceux qui sont chargés de défendre les victimes estiment être à leur tour des victimes ! A qui alors se fier ? Mais cette revendication est dans l'air du temps : chaque catégorie, chaque citoyen ressentent le besoin de se présenter en victimes de quelque chose ou de quelqu'un. La lutte syndicale traditionnelle a été remplacée par une psychologisation de la protestation. Dans le cas de la police, c'est inquiétant : les forces de l'ordre trahissent ainsi une grande faiblesse, qui n'incite guère à leur faire confiance. Les flics de la vieille école n'auraient pas cédé au sentimentalisme actuel.

Telle est notre société : les enseignants veulent être aimés par leurs élèves, les politiques veulent être aimés par les électeurs, les flics veulent être à leur tour aimés par ceux qu'ils sont chargés de réprimer. Dans les trois situations, c'est rigoureusement impossible, et ce n'est pas souhaitable. Car se faire aimer n'est pas un objectif professionnel, ni pour les profs, ni pour les élus, ni pour les flics.

Y a-t-il au moins des éléments objectifs qui justifient cette dénonciation de la "haine anti-flic" ? Aucun, absolument aucun ! Les casseurs ? J'ai beaucoup fréquenté les manifs parisiennes dans les années 70 et 80, je peux vous certifier que les casseurs étaient déjà là, aussi nombreux (sinon plus), autant violents (sinon plus). Le feu mis à une voiture de police ? J'ai vu pire, venant des autonomes en furie ! Je condamne évidemment ces actes débiles, mais je m'étonne que cette violence nous étonne : elle a toujours existé, c'est le métier de la police que d'y remédier. Un flic qui se plaint de la "haine" de l'ultragauche, c'est comme un prof qui se plaint de la résistance des cancres : les risques du métier sont faits pour être assumés et solutionnés, pas pour qu'on s'en indigne.

Nous vivons une drôle d'époque : nos concitoyens font des bises aux flics, même le chanteur anarchiste Renaud, alors que les policiers ne font que leur métier, et n'ont pas à être spécialement remerciés pour cela. La CGT produit une affiche anti-flic particulièrement scandaleuse, outrancière, tapageuse, "gauchiste", non conforme à sa longue tradition. Et aujourd'hui, ce sont ces mêmes flics qui demandent le respect, alors que le rejet du gendarme est une tradition ancienne, chez Brassens et bien d'autres. Nous allons d'un excès à un autre, dans une société qui fonctionne à l'émotion et qui se fragilise considérablement. Il y a de quoi s'en inquiéter un peu et d'en sourire beaucoup.

mardi 17 mai 2016

Moitié Hollande, moitié Macron



Les manifestations contre la loi travail vont se poursuivre toute cette semaine, et peut-être au-delà. Pour ceux qui y participent, c'est un mouvement forcément désespérant : le gouvernement ne retirera pas la loi, adoptée par l'Assemblée nationale, qui peut seulement être améliorée dans le temps de la navette parlementaire. Les manifestants sont dans l'opposition absolue, sans recours politique, sans solution alternative. Le mouvement ne peut dégénérer qu'en violences, avant de s'éteindre progressivement.

C'est une forme de syndicalisme qui se trouve condamnée, parce qu'il pousse à la confrontation sans issue, sans résultat. On épuise ainsi les troupes, on fait perdre de l'argent aux grévistes, sans aucun bénéfice, on abuse les militants, on décourage les salariés, on affaiblit finalement un syndicalisme déjà très faible. Je suis totalement opposé à toute grève à répétition, à tout mot d'ordre de grève générale, qui sont illusoires, déprimantes. Leur inefficacité est accablante, consternante.

Ce que nous retiendrons de l'actuel conflit social, c'est qu'un syndicalisme contestataire, idéologue et politisé, représenté par le front commun CGT-FO-SUD-FSU, pose un grave problème à la gauche socialiste : ce ne sont pas des interlocuteurs fiables, ils n'acceptent pas de négocier, ils n'existent et ne vivent que dans l'affrontement, et vont probablement en mourir. Bien sûr, la gauche peut compter sur les syndicats réformistes, CFDT-UNSA-CFTC-CGC, mais la culture du rejet, de la radicalité demeure forte, influente dans l'opinion de gauche. L'absence de mœurs sociales-démocrates est une faiblesse historique à gauche. Le sens du compromis n'est toujours pas accepté par beaucoup, et c'est dommageable.

L'affaire de la loi travail rappelle celle de la déchéance de nationalité : au départ, un consensus est possible, puis le débat tourne au vinaigre, et finalement personne n'est content du résultat. C'est à se demander si les partenaires sociaux ont encore la volonté et la capacité de négocier. Si encore un projet révolutionnaire excitait la lutte de classes, comme dans l'après-68, je pourrais comprendre. Mais là, non, personne ne veut vraiment casser la baraque, ne songe à instaurer une société nouvelle. Nous sommes plutôt dans un pessimisme chronique qui alimente un mécontentement systématique, qui n'est spécifiquement ni de gauche, ni de droite. Difficile de gouverner et de réformer dans ces conditions-là.

La première mouture de la loi travail aurait été préférable. Le patronat était prêt au compromis, avec un million d'emplois créés à la clé. Il fallait le prendre au mot, l'engager dans cette voie. C'est avec lui que la négo avait un sens, et de possibles résultats, avec une ligne de crête à ne pas lâcher : l'emploi, l'emploi, l'emploi. Les syndicats protègent les salariés, mais c'est le patronat qui apporte du boulot. Le gouvernement socialiste n'a rien à attendre des syndicats protestataires ; il faut arrêter avec eux. On ne peut travailler sérieusement qu'avec les organisations réformistes. Aux autres, laissons-leur la rue : quand elle sera vide, ils en reviendront ... Même raisonnement pour la déchéance de nationalité, qu'il aurait fallu adopter dans la foulée des attentats, sous l'onde de choc frappant l'opinion.

Mon soutien à François Hollande est sans faille, et confirmé par son intervention ce matin sur Europe 1. Oui, il y a une gauche qui ne veut pas gouverner, qui ne se sent bien que dans l'opposition, qui n'aspire à aucune responsabilité, qui se contente de briguer des sièges dans les assemblées. Cette gauche-là se retrouve aussi bien au niveau national qu'au niveau local. Je ne me suis jamais reconnu en elle. Je ne comprends même pas comment on peut aimer et faire de la politique sans viser à exercer le pouvoir, à quelque échelon que ce soit.

Je suis d'accord, archi d'accord quand Hollande, depuis quatre ans, se fait le défenseur d'une "social-démocratie à la française". Mais notre président et son équipe n'ont fait que la moitié du chemin dans cet objectif-là : on voit bien les limites qu'a rencontrées la réforme du droit du travail. L'autre moitié, c'est avec Emmanuel Macron qu'elle pourra se faire, à une place qui reste à déterminer. Car c'est le social-démocrate le plus clairvoyant et le plus audacieux du gouvernement.

lundi 16 mai 2016

Les vents du mont Beuvray



Arnaud Montebourg fait comme François Mitterrand, qui à chaque Pentecôte escaladait la roche de Solutré. Pour Montebourg, c'est le mont Beuvray. Arnaud Montebourg fait comme François Hollande : il use de l'anaphore dans son discours. Ce n'est pas "moi, président ...", mais "être de gauche, c'est ..." Il y a des gens qui sont faits ainsi : ils ne savent qu'imiter les autres, ont du mal à puiser quelque chose de leur fond propre. Ils ont le talent, pas le génie. Ils sont perso, mais pas originaux. Arnaud Montebourg est de cette catégorie.

Comme Mitterrand, il est avocat de formation. Mais il n'est que le défenseur de sa personne, qui en a bien besoin, tant elle est contestable. Il cause bien. Il se voudrait haut-parleur d'on ne sait qui, il n'est que beau parleur de lui-même. Son lyrisme va chercher des mots précieux, son ton est emphatique. C'est un prétentieux qui n'a pas beaucoup de prétentions : son discours d'aujourd'hui est vide. Le seul souffle qui l'anime, c'est celui du vent d'altitude sur le mont Beuvray, qui vient déranger sa chevelure permanentée.

Cette année, pas de "cuvée du président", comme en 2014, qui lui avait valu de se faire virer du gouvernement, avec Hamon, lorsque les vapeurs d'alcool et le soleil qui tape suscitaient toutes les audaces. Il n'a pas trouvé mieux que Baumel et Paul, qui ont tenté cette semaine de censurer le pouvoir, qui ont raté leur coup et sont fiers de leur échec. Une pareille garde rapprochée, ça ne casse pas des briques, ni les cailloux du mont Beuvray. Qui se ressemble s'assemble : j'ai connu Baumel strauss-kahnien, avant qu'il retourne sa veste. Montebourg est aussi peu fiable : à la dernière primaire, il a mené campagne très à gauche, pour finalement se vendre à Hollande, alors qu'en toute logique il aurait dû soutenir Aubry. Mais Arnaud n'est pas un logicien, c'est un littéraire, dans le genre comique.

Il y a dix ans, il fondait un courant très prometteur au sein du PS, le NPS, qui n'a nullement tenu ses promesses, qui a disparu depuis. Montebourg s'est battu pour la VIème République, puis il s'est battu, en ministre, pour le made in France, avec la marinière comme étendard. Après avoir quitté l'Economie, il a fait un stage pour mieux connaître la vie économique, à la suite de quoi il a rejoint la direction du groupe Habitat. Ce qui est fascinant chez lui, c'est qu'on ne sait jamais si son comique est volontaire ou involontaire. Sa force morale, c'est qu'il ne craint pas le ridicule. C'est une sorte de Don Quichotte, qui le rend sympathique aux yeux des Sancho Panza si nombreux en politique. Arnaud se bat contre des moulins à vent, parce que tout chez lui le ramène à cet élément naturel, le vent, qui peut d'ailleurs mener loin ceux qui s'en servent bien.

vendredi 13 mai 2016

Musiciens des Tranchées



Ce soir, à l'auditorium de musique, très beau concert-lecture, intitulé "Musiciens des Tranchées", dans le cadre du colloque "Romanesque de la Grande Guerre". Au piano Anne-Lise Gillet, au violon Marie-Luce Gillet et à la lecture Kevin Dumont. Apollinaire a rencontré Debussy, Céline a accompagné Ravel, Roland Dorgelès a donné la réplique à Lucien Durosoir. La belle mais triste tonalité de la soirée a été un peu adoucie par le final, l'air des roses de Picardie. Nous en sommes tous ressortis enchanté, après une heure trente d'interprétation.


Pas de billets samedi et dimanche.

jeudi 12 mai 2016

Une société suicidaire



Une jeune femme se suicide en direct, filme sa propre mort, suivie par des centaines d'internautes. Le motif n'est pas clair : il est question d'agression et de viol. Cette affaire est inédite, horrible, atroce. Elle condamne notre société, devenue à bien des égards suicidaire. Certes, mettre fin à ses jours a toujours existé. Mais de cette façon-là, jamais ! Que se passe-t-il pour qu'une société civilisée en arrive à cette barbarie sur soi-même, offerte en pâture aux autres ?

1- L'impératif du respect. Les gens n'ont que ça à la bouche : respect. Total respect ! disent même nos jeunes. Et son pendant est rejeté : le mépris. Combien de fois entendons-nous que les personnes se plaignent d'être "méprisées" ! Ce semblant de morale, respect contre mépris, est en réalité une fausse morale, une antimorale, celle du tout est permis, puisque tout est respectable, rien n'est méprisable, les individus, les pensées et les comportements. A partir de là, le suicide devient lui aussi un geste respectable, du moins dans l'esprit de certains, qui n'utiliseront sans doute pas le mot, mais qui retiendront l'idée. A cela, je réponds que non, il y a des personnes qui ne méritent aucun respect, des comportements et des pensées qu'il faut condamner.

2- La normalisation du suicide. Autrefois, on commettait l'acte fatal rarement, et pour des raisons exceptionnelles, élevées, une question d'honneur ou un chagrin d'amour. Aujourd'hui, il y a une banalisation du suicide. Il devient commun d'apprendre que quelqu'un se tue pour un problème au travail ou pour des difficultés financières. La mort est présentée comme une forme de protestation, à la limite comme une autre. On débat gravement sur le suicide assisté que serait l'euthanasie. Il y a une socialisation, depuis quelques années, de l'idée de suicide.

Dans le message adressé par la jeune femme qui s'est suicidée à travers les réseaux sociaux, un mot a retenu mon attention, parce que c'est un mot souvent utilisé aujourd'hui : elle a prévenu qu'elle s'apprêtait à faire quelque chose de "choquant". Voilà aussi la banalisation du suicide, par cet euphémisme : "choquant", seulement "choquant", alors qu'elle aurait dû dire horrible, atroce, barbare, tragique (pour combattre l'euphémisme, je fais appel à l'hyperbole, vous m'avez compris : il faut lutter contre le mal d'abord à travers le langage, pour le restituer à sa vérité).

Le suicide s'acclimate aussi à nos mœurs par le procédé de la métaphore : ce matin, à la revue de presse de France Inter, j'apprenais que le groupe socialiste à l'Assemblée nationale s'était suicidé, en tentant le dépôt d'une motion de censure. Et une analogie osée était faite avec le suicide collectif d'une secte en Guyane en 1979. Voilà où en est l'état du commentaire public dans la France d'aujourd'hui. Dans cette normalisation du suicide, il faut aussi prendre en compte la perte d'influence immense de l'Eglise catholique, qui condamnait si sévèrement le suicide qu'elle refusait la sépulture chrétienne et les derniers sacrements à ceux qui s'en rendaient coupables. Mine de rien, une puissante barrière est tombée.

3- La pornographie du quotidien. Aujourd'hui, la pornographie, c'est-à-dire la révélation indécente de l'intimité, n'est pas que sexuelle. Elle concerne le quotidien de notre existence, que nous filmons, photographions, livrons sur Facebook ou les réseaux sociaux. Quand la vie privée est rendue publique, il n'y a plus de vie privée. Et là, c'est pour de vrai, pas des comédiens en train de simuler souvent grossièrement ! Les facebookers sont des pornographes.

Bien sûr, la plupart des informations qu'ils nous "partagent" (en réalité, aucun partage authentique dans ces livraisons où l'on impose à autrui, qu'on ne connaît même pas, des éléments qui ne concernent que soi) sont anodines, sans grand intérêt, et même dérisoires. Mais justement : c'est une forme de petite tyrannie de soi qu'on exerce sur l'autre, une façon de le compromettre dans nos bassesses, nos médiocrités, nos trivialités.

Cette jeune femme qui met fin à ses jours devant nous a quelque chose de diabolique dans son désespoir : elle nous implique, elle nous rend complices, elle nous fait presque les responsables impuissants et muets de son geste de mort, qu'elle transforme en un rituel barbare, un sacrifice qui devient, de fait, collectif. Voyez à quelle régression de civilisation nous a conduit la mentalité contemporaine et la technologie conjuguées !

4- Le comble du narcissisme. Je l'ai souvent répété sur ce blog : les réseaux sociaux sont complètement asociaux. On ne communique pas, on n'informe pas, on ne partage rien, on ne réfléchit pas. On fait quoi ? On se montre, on s'exhibe, on rappelle qu'on existe, quand justement on a un déficit d'existence. C'est le sommet du narcissisme, qu'on réservait autrefois à soi et à ses proches, qu'on diffuse aujourd'hui à des centaines, à des milliers d'amis, qui sont de faux amis, comme le respect est une fausse morale, comme le partage est une fausse communication. Que reste-t-il de vrai ? Le plaisir narcissique qu'on en tire. Cette jeune femme qui se suicide publiquement, c'est la manifestation d'une jouissance morbide. On dit souvent que notre société est individualiste. Non, c'est déjà dépassé : nous sommes entrés dans la dimension supérieure, le narcissisme.

J'avoue ne pas trop savoir comment conclure ce billet, tellement je suis désemparé devant ce qui se passe, n'ayant que la présente analyse à proposer. Pourtant, je suis de nature optimiste. Mais là, je ne sais pas où notre société va, je sais seulement qu'elle y va. Il faudrait simplement espérer que le suicide de cette jeune femme, dont nous ne savons rien, serve tout de même à quelque chose : au moins à réfléchir, à réagir, à condamner.

mercredi 11 mai 2016

Vive le 49.3 !



C'est quoi, toute cette agitation contre le 49.3 ? Cet article de la Constitution fait partie des moyens légaux pour s'assurer que la politique du gouvernement puisse s'appliquer. Et l'on va parler maintenant d'un "coup de force" ? Depuis quand une disposition antirépublicaine serait-elle intégrée au texte sacré de la République ? C'est évidemment n'importe quoi ! Le 49.3, que cela plaise ou non, c'est la loi : à ce titre, son utilisation est parfaitement légitime. Ou alors, il faut proposer de changer la Constitution. Mais je ne vois pas un candidat à l'élection présidentielle déclencher l'enthousiasme des foules en proposant l'abrogation du 49.3.

Mais François Hollande lui-même, il y a quelques années, ne l'a-t-il pas critiqué ? Voilà une remarque d'enfant qui ne connaît rien à la politique, ou plutôt de faux naïf motivé par une vrai mauvaise foi. Oui, l'actuel président a contesté l'usage du 49.3 dans un cas bien précis, lorsqu'il était opposant, contre la droite alors au pouvoir. C'était son devoir. La politique est une guerre de mouvement, où les positions changent selon les circonstances : c'est ce qu'on appelle la tactique. Seules les convictions doivent demeurer fermes. Pour le reste, c'est un travail d'adaptation au terrain mouvant.

Le recours au 49.3 n'est pas une décision de principe : c'est une question d'opportunité. Quand un gouvernement ne trouve pas sa majorité, qu'une réforme lui semble indispensable à adopter, il dégaine son 49.3, et il a raison. L'opposition a également raison de vouloir faire obstruction, convaincue de son bon droit. Il n'y a donc aucune contradiction à défendre à un certain moment le 49.3 et à un autre de le déplorer. C'est la finalité politique qui importe, par le moyen institutionnel, qui n'a que la valeur qu'on lui donne dans un contexte toujours particulier et changeant.

Le fond de cette polémique, qui n'est pas mineure, c'est ni plus ni moins l'idée qu'on se fait de la démocratie : pour moi et pour n'importe quel républicain, c'est le règne de la majorité. Le véritable déni de démocratie vient des minoritaires qui, à défaut de convaincre la majorité du peuple, voudraient malgré tout, et pour cette raison, imposer leur loi à l'Assemblée. On les appelle frondeurs, je les appelle factieux. Ils représentent 10% des députés socialistes, ils voudraient imposer leur point de vue aux 90% : beau travail de démocrates !

Le Premier ministre et la ministre du Travail ont tenté de discuter avec eux, de passer un compromis : peine perdue, ce sont des obtus, factieux et sectaires. Ce qu'ils veulent, c'est faire plier le gouvernement, l'amener à renoncer à la loi travail. Mais que représentent-ils pour afficher ainsi une telle prétention ? Dans un congrès du Parti socialiste, ils feraient à tout casser 30%, et encore suis-je généreux dans le pronostic. Leur tentative d'une motion de censure trahit leur intention : faire tomber le gouvernement, l'amener à la démission, rien que ça. Dans cette objectif, les frondeurs sont aller racoler à l'Assemblée ce qu'il peut y avoir de plus antisocialiste sur les bancs de la gauche. Le PS doit bien sûr sanctionner les infidèles, qui ne font plus partie, de fait, de la majorité, qui ne peuvent plus, en toute logique, appartenir au Parti socialiste.

Dernier argument, tout aussi fallacieux que les autres : les factieux seraient l'expression du peuple de gauche, qui se lèverait contre la loi travail, dont ils seraient en quelque sorte le bras armé à l'Assemblée. Arrêtons avec cette légende de mauvais guérillero : un parlementaire ne navigue pas au gré des sondages, mais du mandat que lui a confié le peuple. Depuis 2012, une majorité de gauche siège à l'Assemblée. Elle a fixé dès le début des orientations politiques. Les députés doivent s'inscrire dans cette ligne, ou bien partir. Quant à "Nuit Debout", je ne sais pas très bien ce que c'est, politiquement parlant. A des élections législatives, d'éventuels candidats se présentant sous cette étiquette feraient probablement 2 à 3%. En matière de mouvement majoritaire, on fait mieux.

Qu'on me comprenne bien : l'opposition à la loi travail est légitime, il est normal en démocratie qu'on conteste le pouvoir en place, qu'on propose une autre politique. Mais ce qui n'est pas normal, ce qui est inacceptable et même scandaleux, c'est que des minoritaires cherchent à s'imposer à tout prix, et surtout que des socialistes se retournent contre leur propre parti et le gouvernement qu'ils sont censés défendre et soutenir. Heureusement que le 49.3 est là pour remettre de l'ordre et de la cohérence dans les rangs et dans les têtes.

mardi 10 mai 2016

Baupin, présumé coupable



Nous avons besoin de nous raconter des histoires, où il nous faut des héros et des anti-héros. Samedi et dimanche, notre héros, c'était Sadiq Khan, le nouveau maire de Londres (voir billet de samedi). Lundi et mardi, notre anti-héros, c'est Denis Baupin, ancien vice-président de l'Assemblée nationale, puisqu'il a démissionné hier de ce poste, sous la pression médiatique. Nous avons assisté à un spectacle hallucinant dans une République : un homme a été jugé et condamné en direct, sans procès, sans défense, sans même une plainte déposée contre lui, à partir de rumeurs souvent anciennes, pour des faits marqués par la prescription, sur la foi de quelques témoins qui n'avaient rien dit jusqu'à présent et dont les affirmations ne sont nullement vérifiées.

En quelques heures, sur nos écrans, les principes élémentaires du droit ont été bafoués. La base de notre justice a basculé : la présomption d'innocence a été remplacée par la présomption de culpabilité. Certes, la tendance n'est pas nouvelle, mais elle a pris hier un tournant spectaculaire. Il n'y a plus ni juge, ni justice, mais des justiciers. Bien sûr, j'accorde aux médias un rôle fondamental, précieux, irremplaçable dans le fonctionnement de la démocratie. Mais j'en vois aussi les limites contemporaines : la stigmatisation de coupables désignés, l'exonération de victimes autoproclamées, l'atteinte à la réputation des personnes (hier, sur les chaînes d'information continue, Denis Baupin était associé à DSK et présenté comme un quasi violeur).

Les rapports de séduction et de domination entre hommes et femmes en politique sont d'une psychologie complexe, qu'on ne peut pas réduire à un schématique partage des rôles entre de méchants prédateurs et d'innocentes victimes. J'ai tendance à penser qu'aucun de ceux et de celles qui évoluent dans ce monde-là n'est complètement innocent. En tant qu'élus et militants, surtout dans un parti politique inspiré en partie par le féminisme, ils ont les moyens de se défendre. Je sais aussi que la politique est l'univers des règlements de compte, parfois très personnels, où l'on ne lésine pas sur les moyens pour discréditer un adversaire, surtout quand il est issu de nos rangs. Baupin et Cosse étaient il n'y a pas si longtemps membres d'EELV, qu'ils ont quittée pour le pouvoir : de quoi se créer de solides inimitiés. Je ne dis pas que ceci explique cela : je n'en sais rien, et ça ne m'intéresse pas plus que ça. Mais puisque tout le monde en parle, autant réfléchir qu'être péremptoire. Pour le reste, nous sommes dans un Etat de droit : c'est aux plaignants de saisir la justice et à celle-ci de se prononcer.

lundi 9 mai 2016

Macron président



Je n'ai pas trouvé que le discours d'Emmanuel Macron à Orléans, pour la célébration de Jeanne d'Arc, ait été très bon. J'ai lu attentivement le texte intégral : c'est appliqué, bien intentionné, mais ça ne suffit pas à faire un bon discours. Je m'attendais à un peu plus de hauteur, de lyrisme. Ce n'est pas très bien écrit, les rapprochements historiques sont discutables, l'actualisation de Jeanne est par définition anachronique, le message sur l'identité nationale est plutôt banal. Hier, j'ai relu mon vieil exemplaire de Michelet (en vignette) : c'est évidemment autre chose.

Il faut dire aussi que parler de Jeanne d'Arc pour un homme politique contemporain, c'est mission impossible. Qu'est-ce qu'une mystique en armure d'il y a cinq siècle a à voir avec la France démocratique de notre époque ? Rien du tout. S'en inspirer est forcément artificiel, parfois ridicule. Que des Résistants se soient référés à la figure de Jeanne d'Arc en 1940-1944 avaient un sens dans une France occupée, rêvant de libération ; aujourd'hui non.

L'extrême droite, depuis très longtemps, a utilisé Jeanne pour une raison complètement oubliée : son anglophobie, censée nourrir son nationalisme. Pour ce courant politique, l'Angleterre combattue par Jeanne d'Arc était l'ennemi héréditaire, la perfide Albion, le pays où sont nés la démocratie parlementaire, le libéralisme économique, la franc-maçonnerie et les protestants anglicans, tout ce que l'extrême droite détestait.

Suis-je déçu par Macron ? Non, la déception est un sentiment d'enfant, que je n'éprouve plus depuis que je ne le suis plus. Je continue à marcher avec le ministre et à préparer le porte à porte de ce mois, dans l'attente du go de départ de la grande marche. Et puis, un discours politique n'est pas un exercice littéraire. Dans les années 70, les discours pseudo-marxistes de François Mitterrand étaient grotesques ; ça n'a pas empêché de faire de lui un grand politique, que j'admire.

Personne n'a retenu le discours de Macron à Orléans, parce que l'essentiel ne s'est pas joué dans les mots, mais dans les images. Et là, tout le monde a été frappé par cette séquence très présidentielle. Macron debout, discourant, mèche au vent, sur fond de tribune d'élus, barrés de tricolore ; Macron entouré d'un préfet, d'un militaire et d'un évêque, comme dans un film de Claude Chabrol ; Macron serrant des centaines de mains qui se tendent vers lui, une cohue sympathique, un enthousiasme flagrant, une popularité incarnée et non plus sondagière, un soleil magnifique qui était de la partie.

Ne compte que ces images-là, qui disent toutes la même chose : Emmanuel Macron est président, veut être président, sera peut-être un jour président. La rumeur d'Orléans n'était pas du tout hier celle étudiée par Edgar Morin à la fin des années 60. La nouvelle rumeur, c'est un désir, un espoir, un rêve : Emmanuel Macron sera demain, sans qu'on sache quand, l'homme de la situation pour une gauche moderne en quête de pouvoir. Ce désir, cet espoir, ce rêve, je les partage.

dimanche 8 mai 2016

Le bonheur à Bohain




Un week-end prolongé et ensoleillé, c'est le rêve. Mais pourquoi partir au loin, quand le bonheur est à portée de main. Certes, j'ai fait une infidélité à ma ville, surchargée d'événements ces jours-ci : la foire expo, le marché aux fleurs et le carnaval, chez nos voisins de Gauchy. Je me suis expatrié pour quelques heures à Bohain, au Bois des Berceaux, dans le cadre de l'opération Jardin en fête.

La fanfare Tintamarre et Postillons a mis l'ambiance, en divertissant d'abord les enfants (vignette 1), puis la brocante en pleine rue (vignette 2). Avec Thomas et Alexandre, nous comprenons que l'enseignement et le journalisme mènent à tout. J'ai toujours plaisir à fouiner dans le grand déballage (vignette 3). Les plus audacieux trouvent même de quoi reconstituer une automobile (vignette 4).

Les jeux picards n'ont pas été oubliés, sous la vaste tente. Le buste d'Olivier Deguise, député socialiste, conseiller général de l'Aisne, 1871-1922, veillait fixement sur ce petit monde (vignette 5). Croustillons, buvette, manège, barbe à papa et l'été au printemps : je vous le dis, le bonheur n'est pas loin, le bonheur est à Bohain. Tsoin tsoin.

samedi 7 mai 2016

A very good muslim



Depuis deux jours, c'est le battage médiatique autour de l'élection de Sadiq Khan, d'éducation musulmane et d'origine pakistanaise, au poste de maire de Londres. Les chaînes d'information continue donnent le ton, tout le monde suit et reprend, sans distance ni réflexion. Ce conformisme des images et des écrans m'horripile, y compris lorsqu'il est censé s'exercer pour la bonne cause, comme il semble. Allons voir un peu ce qui se cache derrière les meilleures intentions et les apparences.

D'abord, l'événement n'a pas l'ampleur politique qu'on lui prête. Khan va gérer les transports et l'urbanisme d'une grande métropole. Son pouvoir ne sera pas immense. Mais chacun a compris que ce n'est pas son programme qui bouleverse : c'est la personne et le symbole. Justement, c'est là où je suis gêné : en bon républicains et laïques qu'hélas nous ne sommes plus, nous ne devrions pas faire référence, encore moins nous extasier devant les origines ethniques ou confessionnelles des hommes politiques, chez nous ou ailleurs. Tout ce qui ramène à une identité strictement personnelle ne devrait pas avoir sa place dans le débat public, ne lui apporte rien, introduit au contraire une tendance préjudiciable à l'esprit républicain, qui ne considère que les citoyens, fait abstraction des racines familiales et spirituelles.

Les commentateurs ont longuement justifié leur engouement pour cette élection par son message positif : la réussite de l'intégration. Mais c'est l'arbre qui cache la forêt ou l'exception qui confirme la règle. La société britannique est profondément inégalitaire, les relations sociales y sont violentes, son communautarisme est exacerbé. Le cas de Sadiq Khan est tellement exceptionnel qu'il en devient insignifiant. C'est tout au plus une vitrine. Une politique d'intégration ne se mesure pas au succes story d'une personnalité, mais à des statistiques couvrant toute une société. Sans oublier que l'activité politique, comme un peu partout, demeure ouverte à la promotion sociale, beaucoup plus que le monde professionnel : on peut y réussir sans passer par les grandes ou les petites écoles, l'ascension s'y fait aux opportunités et aux qualités individuelles. En France aussi, nous pouvons le vérifier, dans bien des cas.

La belle histoire de Sadiq Khan relève du storytelling à usage des médias. En Amérique, cruellement inégalitaire elle aussi, on aime à se raconter des récits de self made man qui ne doivent rien qu'à eux-mêmes. On s'émerveille devant les ascendants du nouveau maire de Londres, père chauffeur de bus, mère couturière. Voilà qui nous rassure à bon compte sur la société contemporaine, capable de récompenser ainsi le mérite, sans s'interroger beaucoup plus sur la réalité et les conditions d'un tel triomphe : quand la surface des choses nous convient, on ne cherche pas à creuser plus loin. J'y vois aussi une pulsion encore moins positive : la haine des élites, le refus des héritiers, le populisme ambiant qui traversent l'opinion européenne et qui trouvent dans les médias une caisse de résonnance.

Et pourquoi tout ça ? Pourquoi le phénomène prend ? Parce que la société française a besoin d'exorciser ses démons, de faire oublier qu'elle met en tête des intentions de vote un parti extrémiste et xénophobe, qu'elle traîne depuis 10 ans un débat nauséabond sur le voile islamique, débouchant sur la stigmatisation d'une partie de notre population. La belle histoire de Sadiq Khan, c'est un exercice de catharsis nationale, une façon de se refaire une virginité. Depuis les attentats de l'an dernier, nous n'en finissons plus de fantasmer les musulmans en méchants terroristes. Miracle : outre-manche, voilà que nous apparaît un musulman présentable, propre sur lui, tellement européen, en fin de compte. Mais on ne rachète pas la réalité avec une légende.

Je suis très heureux que Sadiq Khan ait été élu maire de Londres. Non pas parce qu'il est pakistanais d'origine, non pas parce que sa religion est l'islam, non plus parce que son papa conduisait un bus, mais simplement parce que c'est un homme de gauche, un travailliste, comme on appelle là-bas les socialistes. L'unique raison de ma satisfaction est politique, pas ethnique, pas religieuse, pas sociologique : seulement politique.

vendredi 6 mai 2016

Europe, nouvelle frontière



De tous les grands dirigeants européens, Angela Merkel est l'une des rares à avoir une vraie vision de l'Europe. Elle l'a encore prouvé hier à Rome, où se tenait une réunion de ces dirigeants européens. La chancelière allemande a rappelé que les frontières nationales n'étaient plus tenables, que c'était désormais les frontières externes de l'Europe qu'il fallait défendre. Ce sont donc les accords de Schengen sur lesquels il faut tenir ferme, avec ce principe politique très précieux de libre circulation au sein de l'Union européenne.

Le deuxième temps fort de l'intervention de Merkel, c'est la défense de l'accueil des migrants, où l'Allemagne a un comportement exemplaire. Il faut partager le fardeau du flux migratoire, une formule qui m'a fait penser à celle de Michel Rocard il y a un quart de siècle : il faut que la France prenne sa part de la misère du monde. Sauf qu'aujourd'hui cette politique ne peut être appliquée qu'au niveau de l'Europe.

Parmi les convergences possibles et nécessaires entre la gauche et la droite, il y a la question de l'Europe, le projet européen. De plus en plus, le clivage se fera sur ce thème, les préoccupations strictement nationales devenant secondaires. L'ennemi à combattre, c'est un monstre à plusieurs têtes : nationalisme, souverainisme, protectionnisme, populisme, extrémisme, nous avons le choix pour le nommer, mais il faut le nommer.

Cet adversaire politique agrège plusieurs sensibilités, jusqu'à dérouter, tromper. L'antilibéralisme est son cache-sexe : tirez la ficelle et vous découvrez, dans toute sa splendeur, la haine de l'Europe, le rejet de la démocratie parlementaire, l'exaltation de la Nation et du Peuple, comme autrefois on condamnait la pourriture parlementaire et on exaltait la Race. Les courants radicaux ne parlent plus de ploutocratie, mais d'oligarchie : sur le fond, ça revient au même. Que ce soit une Allemande qui nous montre le chemin à suivre, j'y vois un signe du destin.