lundi 30 septembre 2013

FN, adversaire absolu



Dans cet affrontement entre la droite et la gauche, qui constitue la vie politique d'une démocratie moderne, le parti socialiste a un adversaire absolu : c'est le Front national. Ce sera encore plus vrai pour les prochaines élections municipales, singulièrement à Saint-Quentin, où l'extrême droite est notre adversaire n°1. Pour trois raisons fondamentales :

1- Le FN va faire une percée, que j'espère la plus petite possible. Mais pas d'illusion : ses militants sont présents sur le terrain, ils collent, ils distribuent. Son candidat est en train de se construire une notoriété. Surtout, pour la première fois depuis bientôt vingt ans, l'extrême droite sera présente, aura sa liste à l'élection municipale (sauf surprise, que je souhaite, mais une action politique ne peut pas tabler sur des souhaits et des surprises).

2- Le FN est l'adversaire absolu parce qu'il mord sur notre électorat, les milieux populaires. A cause de lui, le PS n'est pas à l'abri d'une défaite dès le premier tour, doublé par le FN. En l'état actuel de division de la gauche locale, socialistes, communistes et extrême gauche partant sous leurs propres couleurs, ce scénario catastrophe n'est pas à exclure. Les élections cantonales de 2011, avec élimination des candidats socialistes par l'extrême droite au premier tour, avaient été un coup de semonce, un grave avertissement, qui oblige la gauche à faire du FN son adversaire absolu.

3- Le FN est l'adversaire absolu parce que ce vote n'est pas protestataire, comme le croient ceux qui veulent se consoler à bon compte et surtout trouver une excuse pour ne pas combattre l'extrême droite. C'est un vote d'adhésion à des valeurs détestables qu'il n'est pas besoin de préciser, c'est le soutien à une ligne politique antirépublicaine. Parler d'un vote protestataire à propos du FN, c'est déculpabiliser ses électeurs, c'est légitimer d'une certaine façon ce vote : après tout, la protestation n'a-t-elle pas du bon, puisqu'elle exprime des souffrances sociales réelles ? Non, ce raisonnement est abject. Je le soupçonne d'ailleurs de ménager les électeurs FN pour les inciter à un report sur la liste de gauche au second tour. C'est du machiavélisme aux petits pieds, très foireux.

Harlem Désir et la direction nationale du parti socialiste ont demandé à chaque fédération, chaque section, chaque élu, chaque militant de faire de la lutte contre le FN une priorité absolue, de déconstruire son programme, d'en montrer l'imposture. C'est d'autant plus urgent que l'influence des idées extrémistes se font ressentir parfois jusque dans les rangs de la gauche (on l'a vu à Bohain, où un adjoint élu sur une liste de gauche n'a pas caché ses sympathies pour le FN). A Saint-Quentin, terre d'élection du FN, il faut publiquement décréter que celui-ci est notre adversaire absolu.

dimanche 29 septembre 2013

Histoires de fous



Période électorale oblige (la campagne des municipales est mine de rien déjà commencée), chaque manifestation publique va être à Saint-Quentin regardée à la loupe. Le sort de l'élection va se jouer en grande partie là, dans ces rencontres petites ou grandes. L'électorat, c'est une entité abstraite, qui ne prend corps et réalité que sur le terrain. Les catégories de droite et de gauche, au niveau local, sont très relatives, mais elles ont tout de même une forme de pertinence. Hier matin, le vernissage du Salon des Arts mobilisait plutôt des gens de droite (voir mon billet d'hier). En revanche, dans l'après-midi, l'exposition et le spectacle de l'association Autrement dire, dans la salle Paringault, visait plutôt la gauche. Evidemment, il y avait de la droite et de la gauche aux deux ; mais on peut quand même mesurer des tendances, objectivement repérables. Il y a des ambiances, des états d'esprit, des tournures de discours qui ne trompent pas, qui font comprendre qu'on est en milieu progressiste ou conservateur.

Autrement dire, association qui s'adresse à des personnes en grande difficulté, est animée par Viviane Caron, ancienne candidate sur la liste de gauche aux élections municipales, et par Yvonne Bou, ancienne conseillère régionale socialiste (vignette 1, lors des discours officiels). Parmi le public (vignette 2), on pouvait remarquer Alix Sucheski, ancienne maire-adjointe (PCF), et Nora Ahmed Ali, actuelle conseillère municipale d'opposition (EEVL). Plus surprenante, la présence de mon ex-camarade Régis Lecoyer, devenu co-secrétaire départemental du Parti de gauche, fort éloigné de ses terres puisqu'il est maire de Houry et que je ne le vois quasiment jamais à Saint-Quentin. En politique, il faut savoir lire dans les étoiles pour comprendre certains mystères. La droite n'était pas en reste, puisqu'elle avait dépêché deux poids lourds de l'équipe municipale : Stéphane Lepoudère, adjoint à la culture, et Colette Blériot, conseillère générale. A part ça, j'ai beaucoup ri au spectacle de Jean-Pierre Leblanc, formidable d'énergie (vignette 3). J'ai l'impression que cet homme-là, fou de théâtre, fait tout pour mourir sur scène, tant il se démène !

Peinture, théâtre, la journée saint-quentinoise d'hier a fait aussi largement sa part au sport, avec le match de SQBB contre Saint-Vallier, et surtout le combat de boxe entre Guillaume Frénois et Devis Boschiero pour ravir le titre européen. Le Palais des Sports, c'était le lieu incontournable où la politique pouvait, devait faire ses choux gras (le match de boxe était retransmis gratuitement sur écran géant). La boxe, j'adore : jusqu'au 6e round, j'ai cru à la victoire de Frénois, vif, agile, percutant. Mais Boschiero travaille au corps et dans la durée : il a repris le dessus et n'a plus rien lâché. Quel beau spectacle ! Le foot m'ennuie et m'endort, mais la boxe me ravit, me stimule. Je crois que je l'aime parce qu'elle me rappelle la politique. Bravo Guillaume, en tout cas !

Mes sorties m'ont quand même laissé le temps de lire le billet que m'a consacré sur son blog Antonio Ribeiro, daté d'hier, intitulé "Cas psychiatrique" (sic). Je suis flatté qu'un homme important, conseiller municipal à Saint-Quentin, responsable régional de la Gauche moderne et républicaine, se penche sur ma santé mentale. Son diagnostic : je traverserais une "phase de dépression" (je ne m'en étais pas rendu compte) et je pourrais "mettre fin à mes jours" (l'idée ne m'est jamais venue à l'esprit, mais l'avertissement est toujours bon à prendre).

Ses jugements me semblent excessifs, mais il y a peut-être un point où je pourrais me rapprocher de l'avis de Ribeiro : durant toute la journée d'hier, en fréquentant les multiples manifestations publiques que je viens d'évoquer, je me suis surpris à aller vers les gens, serrer des mains, discuter avec le monde ... comme si j'étais candidat aux élections municipales ! Je ne sais pas dans quel registre pathologique Antonio Ribeiro classerait ce comportement-là. C'est ridicule bien sûr, puisque, depuis le 27 juin, jour de désignation de la tête de liste socialiste, je sais que je ne serai pas candidat. Je fais spontanément le rapprochement avec ce soldat japonais de l'armée impériale, retrouvé dans une île du Pacifique vingt ans après la reddition de son pays, sabre à la main, croyant que la Seconde guerre mondiale continuait contre l'ennemi américain. La comparaison a ses limites : j'ai conscience, moi, que je ne suis pas le "chef de guerre" que je rêvais d'être à la tête de la gauche.

Chaque homme a ses folies : Jean-Pierre Leblanc est fou de théâtre, Guillaume Frénois est fou de victoire, Xavier Bertrand est fou d'un destin national, Antonio Ribeiro est fou de je ne sais quoi, et moi je suis fou de politique. Est-ce si grave ? La folie est la compagne de la passion et parfois du génie. La vie serait bien triste s'il n'y avait que des gens sages et raisonnables.

samedi 28 septembre 2013

Tous des artistes



Grosse affluence ce matin pour le vernissage du 2e Salon des Arts dans le Palais de Fervaques, où exposent une centaine d'artistes (peintres, sculpteurs, photographes, poètes), jusqu'au 6 octobre. L'an dernier, nous étions moins nombreux. Ne me demandez pas pourquoi cette fréquentation en hausse : je sais tout mais je ne dirai rien ...

La manifestation est proposée par les associations Art et Littérature et Créatif'Arts. Serge Dutfoy, président du jury, a dévoilé les noms des lauréats (vignette 1). J'ai eu moi aussi mes coups de coeur : les tableaux d'Olivier Caramelle et surtout de Jocelyne Duyenval-Sauvage (vignettes 2 et 3). Le discours du maire a essentiellement porté sur la nouvelle galerie d'art qui ouvrira le 18 octobre prochain dans la rue d'Isle (l'idée avait été lancée il y a exactement un an par Xavier Bertrand).

J'ai eu grand plaisir à retrouver Annie Lalonde, aquarelliste de talent, lauréate l'an dernier, qui puise son inspiration dans la contemplation des arbres (vignette 4). Il se trouve que le 16 novembre, à la bibliothèque municipale, je donnerai une conférence sur ce thème. Ni une ni deux : j'ai proposé à Annie d'exposer dans le hall d'entrée, pour accompagner mon intervention. L'après-midi, l'affaire était conclue. L'artiste et le philosophe : joli couple, non ? Demain, à 15h00, si vous n'allez pas au Village du Livre de Merlieux, venez donc écouter Jean-Claude Langlet, qui nous parlera de Léonard de Vinci.

Finalement, nous sommes tous des artistes, ce week-end à Saint-Quentin : Serge, Olivier, Jocelyne, Annie, Jean-Claude, même Xavier Bertrand à sa façon, moi aussi peut-être, à l'occasion.

vendredi 27 septembre 2013

Education, emploi, impôts, sécurité



Jean-François Copé a lancé un mot d'ordre de "grève" : contre la réforme des rythmes scolaires. Les grévistes, ce seront les maires, qui refuseront d'appliquer la réforme tant qu'ils n'auront pas le financement nécessaire. Ce sera à coup sûr l'un des thèmes de campagne des municipales : le débat sur l'éducation, sur l'école que nous voulons. Car c'est du ressort des municipalités de mettre en place, à l'occasion de cette réforme, un projet éducatif en concertation avec les associations, avec les choix financiers qui en découlent. Il faut bien sûr, quand on est de gauche, défendre cette réforme, qui réorganisera le temps scolaire au profit des enfants, qui leur permettra de s'ouvrir à des activités qu'ils ne connaissaient pas. A Saint-Quentin, voilà un thème sur lequel la gauche devrait se sentir à l'aise et faire des propositions.

Autre thème de campagne inévitable dans notre ville : la question de l'emploi. Xavier Bertrand a demandé à être jugé sur ses résultats en ce domaine. Un bilan des dispositifs gouvernementaux appliqués à Saint-Quentin est d'abord nécessaire : après un an de présidence de François Hollande, où en sommes-nous ? Qu'est-ce que notre ville y a gagné ? On juge sur pièces, pas sur des promesses. Et puis, il faut faire de nouvelles propositions, locales celles-là : qu'est-ce que la gauche en matière d'emplois ferait mieux que la droite ? Qu'apporterait-elle en plus ? Là aussi, pas de plan sur la comète : nos concitoyens sont devenus exigeants, on ne peut plus les endormir par des discours, il faut des mesures concrètes, des pistes en tout cas.

La fiscalité est dans toutes les bouches depuis quelques semaines. A Saint-Quentin, on n'y coupera pas, ce sera même le thème n°1 de la campagne. Je l'ai proposé en juin : la gauche doit solennellement annoncer qu'elle ne procédera à aucune augmentation d'impôts, sous quelque prétexte que ce soit. C'est un choix politique, discutable comme tout choix politique, mais c'est le mien. La démonstration n'est plus à faire : les Saint-Quentinois n'en peuvent plus en matière d'impôts de toute sorte. Il faut que la gauche s'empare du dossier, l'assume totalement, soit très claire en la matière, y compris en rompant avec ses prises de position passées.

Enfin, la campagne des élections municipales n'échappera pas au débat sur la sécurité, la vidéo-surveillance et le rôle de la police municipale. Là aussi, il faut prendre le dossier à bras le corps, ne pas hésiter à en parler. L'enjeu, ce sera de donner des limites à l'extension de la vidéo-surveillance, de dire sur quelles bases on considère son avenir, sa pérennisation. Mais je crois aussi que la demande de sécurité ne peut pas être exclusivement traitée par un dispositif technologique, aussi utile soit-il. Ici encore, la gauche doit être en pointe, innover, imposer ses idées, susciter le débat.

Education, emploi, impôts, sécurité : quatre thèmes principaux pour une campagne qui peut être digne, utile, intelligente. Mais je ne veux pas entendre parler des roms ! (voir mon billet d'avant-hier). Pourquoi la démocratie n'en serait-elle pas capable ? Pourquoi Saint-Quentin ne serait-il pas à la hauteur de ce débat ? La politique doit défendre à cette occasion ses lettres de noblesse.

jeudi 26 septembre 2013

Syndicat d'élus



Le départ de Noël Mamère des Verts est un petit événement politique. Quitter un parti dont on est le représentant à l'Assemblée, pour lequel on a réalisé le meilleur score à l'élection présidentielle, ce n'est pas rien. Dans Le Monde paru hier, Mamère s'explique sur ce départ, avec une formule assez forte, pas banale : EELV est devenu selon lui un "syndicat d'élus", dépourvu de toute idée, de toute proposition. C'est évident, surtout depuis l'accession de Cécile Duflot à sa tête : j'ai souvent dit sur ce blog qu'elle représentait ce qu'il y avait pour moi de pire en politique, l'opportunisme, c'est-à-dire la recherche prioritaire des places au détriment des convictions, la disjonction entre le discours et les actes.

Bien sûr, les Verts n'ont pas l'exclusivité de cette tare. Dans les années 60, la SFIO vieillissante et finissante était elle aussi un "syndicat d'élus", défendant des intérêts personnels et des mandats. Cécile Duflot aujourd'hui, c'est Guy Mollet hier : celui-ci tenait dans les congrès socialistes des discours radicaux, très à gauche, et dans le même temps se rapprochait de de Gaulle pour gouverner avec lui. Pendant les présidentielles de 2012, Cécile Duflot laisse sa candidate Eva Joly tenir un discours protestataire, qu'elle soutient et applaudit, et dans son dos elle négocie avec les socialistes des places au Parlement et des postes dans les ministères, sur un programme de compromis, pour ne pas dire de compromission, qui en tout cas contredisait l'intransigeance de Joly.

Eh oui, c'est ça aussi la politique : des hommes et des femmes en quête de reconnaissance, de pouvoir, parfois de rétribution. C'est hélas vrai à tous les niveaux, y compris local : mieux vaut négocier une place éligible sur une liste donnée gagnante que de partir en tête d'un combat dont le résultat est incertain, qui ne donne que le maigre espoir d'opposant sans rétribution ni avantage. Mais inutile d'insister : c'est ainsi depuis que le monde est monde et les êtres humains, à part quelques notables exceptions, sont fabriqués comme ça ...

Présentement, ce qui sauve le parti socialiste de cette dérive opportuniste, c'est sa culture de gouvernement, qui oblige à avoir le sens des responsabilités : pour gouverner, pour se faire élire, il faut bien avoir un projet, des idées. Mais si François Hollande avait perdu l'an dernier, le parti se serait replié sur ses bastions locaux, comme l'ancienne SFIO, devenant alors un "syndicat d'élus" ne songeant qu'à leur réélection ou à obtenir de nouveaux mandats. François Mitterrand, en transformant la SFIO en PS, avait réussi à introduire le débat d'idées au sein du nouveau parti socialiste, en développant des courants idéologiquement très structurés. Le débat d'idées ou la culture de gouvernement, voilà les deux remèdes pour sortir du "syndicat d'élus".

EELV est traversé par des clans qui se disputent des bouts de pouvoir, mais ce parti ignore le véritable débat d'idées. Il n'a pas de culture de gouvernement, n'a pas véritablement de pratique de la responsabilité politique. Regardez les Verts en Picardie : leur présence politique et médiatique est rarissime, ils interviennent très peu dans le débat public. Leurs élus sont parfois des transfuges, alignés sur le PS pour obtenir des places. Un "syndicat d'élus" ne recherche pas la victoire, mais à placer les siens. On voit bien, dès le départ, que Cécile Duflot est prête à toutes les contorsions pour garder sa place (ce qui d'ailleurs ne préjuge pas du bon travail qu'elle peut faire en tant que ministre du Logement : je n'ai rien contre sa personne et son action, mais je conteste la culture politique qui est la sienne, qui en tout cas est aux antipodes de la mienne).

Un "syndicat d'élus" sacrifie ses plus fortes personnalités, dont il n'a que faire, au profit des tempéraments médiocres, dans lesquels la base peut plus facilement se reconnaître (l'opportunisme va de paire avec le basisme). Chez les écologistes, c'est stupéfiant : plus vous êtes bons, brillants, connus, moins vous avez de chance de l'emporter en interne. Ainsi, Nicolas Hulot, Daniel Cohn-Bendit, aujourd'hui Noël Mamère, mais aussi Alain Lipietz, économiste de renom, ou Yves Cochet, qui n'ont plus guère d'influence au sein des Verts.

Je ne me plains pas de ce que sont les Verts : ils ont les dirigeants et les élus qu'ils méritent, qu'ils se sont choisis, et ça les regarde. Mais je le déplore pour mon parti, le PS, dont les Verts sont les principaux alliés. J'en viens à regretter le bon vieux temps où nous avions les staliniens comme partenaires. Eux, au moins, étaient solides et sérieux, sur fond de stricte idéologie. Prenez Saint-Quentin : les Verts, c'est peau de chagrin. Quel électorat peuvent-ils nous apporter aux élections municipales ? Quels experts, quels militants, quels responsables peuvent enrichir notre liste de gauche (s'ils ne vont pas à l'extrême gauche ou s'ils ne nous refourguent pas un Ribeiro ripoliné en vert !) ? Je n'ose même pas répondre à cette question ...

Le plus déplorable dans cette triste affaire, c'est que l'écologie est, depuis quelques décennies, le courant politique le plus novateur en France et en Europe. Les problèmes qu'il soulève, les propositions qu'il avance sont d'une extrême importance. Ce parti devrait être normalement à la pointe du débat d'idées. Je compare son apparition, son originalité et son utilité à la naissance du socialisme au milieu du XIXe siècle. Et qu'est-ce que EELV fait de tout ça ? Un petit "syndicat d'élus" ! L'ambition était de sauver la planète ; le résultat, c'est de sauver des places d'élus et des portefeuilles ministériels. Misère !

mercredi 25 septembre 2013

Arrêtez avec les roms !



J'aime beaucoup Manuel Valls, comme j'aime par principe tout socialiste, mais lui en particulier : il a su prendre à bras le corps le dossier de l'insécurité, qui est une demande pressante des Français. A ce titre, il a eu raison, et ce n'était pas facile, tant le sujet n'est pas familier à la gauche. Ministre de l'Intérieur, il fait le job, et je me réjouis de sa grande popularité. Mais sur les roms, il en fait trop, et après ses déclarations d'hier, il le fait mal. J'ai reproché à Nicolas Sarkozy d'instrumentaliser cette malheureuse population à des fins politiques et démagogiques : je me vois aujourd'hui contraint de faire le même reproche à Valls.

Premier principe : la démocratie, c'est le régime d'opinion. Un responsable politique doit donc être à l'écoute de celle-ci, non pas pour la suivre (c'est ce que faisait Sarkozy) mais pour l'éclairer, la guider (c'est ce que devrait faire Valls). Deuxième principe : une société rencontre mille problèmes, difficultés, souffrances, qui tous ne deviennent pas des sujets de politique, mais quelques-uns seulement, parce que l'homme politique veut leur donner du sens, parce qu'ils sont jugés par lui particulièrement importants. Je le dis clairement : la situation des roms dans notre pays n'exige pas d'en faire un problème politique ; le sens qu'on lui donne est odieux. Je m'explique :

En politique, il faut prendre la mesure des choses. En France, il y a des millions de chômeurs et des milliards de déficit budgétaire : voilà les problème politiques, les dossiers économiques et sociaux à traiter, les solutions à proposer, sur lesquelles la droite et la gauche divergent, pour lesquelles les électeurs sont invités à se prononcer. Mais que représentent, au sein d'une population de 60 millions de personnes, 15 000 roms ? Un peu plus que la ville de Château-Thierry. Alors, remettons les choses à leur juste mesure.

Oui, bien sûr, les élus sont embêtés, les populations sont tracassées. Mais il y a bien d'autres embêtements et tracas dans la vie collective, dont on ne parle pas forcément, qui surtout ne se transforment pas en thèmes politiques. Je souhaite que les difficultés que posent et que rencontrent les roms soient traitées et solutionnées dignement, décemment, professionnellement et discrètement. Que cesse ce cirque médiatique inauguré par Sarkozy et repris aujourd'hui complaisamment par Valls, qui ne profite qu'au Front national !

Car j'en viens maintenant au sens que prennent ces déclarations des uns et des autres à propos des roms. Quand Manuel Valls dit que les roms ne veulent pas s'intégrer, je vois parfaitement ce qu'il veut dire, je le comprends : ce sont des populations nomades, dont le mode de vie ne s'accorde pas avec l'existence sédentaire (l'insertion, c'est avoir une maison, un travail). Ces populations viennent de Roumanie, pour trouver chez nous ce qu'elles ne trouvent pas chez elles. Peut-on fondamentalement le leur reprocher, à une époque où nous voulons faire l'Europe, permettre aux capitaux, aux marchandises et aux personnes de circuler ? Et puis, la République n'impose pas de modes de vie : elle exige seulement le respect des lois.

Valls n'est pas xénophobe, il n'y a aucun doute là-dessus. Ses propos ne sont pas en soi xénophobes, c'est également certain. Mais la perception, l'interprétation par une partie de la population ne pourra qu'être xénophobe, c'est incontestable. La politique consiste à mesurer les choses, mais aussi les paroles. Valls ne le fait pas, et il fait mal. Notre société, depuis trente ans, depuis la montée de l'extrême droite, est malade de la xénophobie. Tout propos qui nourrit, même involontairement, cette maladie est irresponsable. A l'approche des élections municipales, il est électoralement suicidaire, pour la gauche comme pour la droite, de donner le sentiment de se ranger à l'avis du Front national. Pour ce scrutin, il y aura bien d'autres sujets à débattre, mais surtout pas celui-là, surtout pas les roms ! Arrêtez avec ça !


PS : j'ai appris, dans le Courrier picard d'hier, que Jean-Marie Dubois avait vu à Bohain sa délégation retirée, pour avoir envisagé de constituer une liste FN aux prochaines municipales. Enfin ! Mais il est déplorable de constater qu'il aura fallu du temps, la médiatisation de l'affaire et l'intervention de Solférino pour aboutir à cet évident résultat.

mardi 24 septembre 2013

Le braqueur et le bijoutier



L'affaire du bijoutier de Nice qui a tué son braqueur est en passe de devenir une sorte d'apologue, un conte moral pour notre temps, une fable que se raconte notre société, mais pas fictive, hélas tragiquement réelle puisqu'un homme est mort. On sent bien que ce n'est plus un simple fait divers, une crapulerie qui a mal tourné : c'est un événement collectif, avec son million et demi de signataires sur Facebook, en soutien au bijoutier. Car comme dans tout conte moral, nous sommes obligés de choisir le héros et le salaud, le bijoutier ou le braqueur.

Réfléchissons un peu, évitons de nous laisser aller à cette hystérie de masse. Tuer un homme, lui enlever la vie, quelles qu'en soient les raisons, y compris quand elles sont excellentes, c'est le geste le plus grave, le plus répréhensible qu'on puisse commettre dans une société civilisée (je ne parle pas évidemment des sociétés en guerre ou des mondes barbares). D'emblée, moralement parlant, le bijoutier a tort. Les circonstances aggravent son cas : il détenait une arme sans autorisation, il n'était manifestement pas en situation de légitime défense.

Le droit, dans sa sagesse, nous autorise à riposter lorsque notre vie est menacée. Là, ce n'était pas le cas : le bijoutier a poursuivi le braqueur en scooter et lui a tiré dans le dos. Je ne doute pas qu'il s'agisse d'un acte de défense, mais juridiquement pas légitime. Et si vous me dites que le bijoutier n'a fait que réagir sans se poser la question du bien fondé légal de son acte, que c'est compréhensible et excusable étant données les circonstances, c'est que vous permettez à n'importe qui de prendre un flingot et de tirer sur n'importe quoi, avec toujours d'excellentes raisons de le faire. Non, ça ne tient pas. Encore heureux que le bijoutier, dans sa furie, n'ait pas fait d'innocentes victimes ...

Je n'ai aucune compassion particulière pour le braqueur. Qu'il soit père de famille, que son épouse soit enceinte ne m'émeut pas mais me révolte, car cette situation aurait dû l'amener à plus de responsabilité : en perdant la vie, il compromet celle de ses proches, leur avenir. Quand on n'a pas de plomb dans la cervelle, on prend le risque d'en recevoir un jour ou l'autre dans le corps. Je peux éprouver une certaine fascination pour le grand banditisme, mais pour le petit voyou même pas capable de réussir un casse de base, non. C'est un minable de chez minable. Mais c'est surtout un homme qui a été tué, et ça, personne ne peut l'accepter, personne ne peut laisser passer la sanction.

On aime à parler du petit bijoutier, comme si l'adjectif appelait à la compassion (un grand bijoutier, le jugement serait différent ?). Un bijoutier est un bijoutier, la taille de l'entreprise ne joue pas. C'est un métier qui attire depuis toujours la délinquance, comme tout ce qui brille, qui vaut cher, qui est précieux, qui encourage le trafic illégal. Les voyous s'attaquent plus rarement aux marchands de petits pois ou aux magasins de couche-culottes. Bijoutier est une profession dangereuse, qu'il faut souhaiter calme, que la société doit protéger. Mais ces souhaits et précautions n'effacent pas le danger. Il y aura toujours un risque à être bijoutier, que n'encoure pas, ou beaucoup moins, la dame pipi.

On s'offusque que le braqueur soit un récidiviste, on se laisse impressionner par le nombre de ses délits et méfaits. C'est pourtant le lot commun depuis que le monde est monde : un voyou qui sort de prison n'est pas devenu un saint, ni même un bon citoyen. Il n'a qu'une idée en tête, généralement : c'est de recommencer. Souvent, il ne sait faire que ça, et ses fréquentations en prison lui ont donné des idées supplémentaires. La récidive est déplorable, mais elle est dans l'ordre des choses. La société doit s'en protéger, la dissuader (je ne sais pas comment, c'est un autre débat, assez difficile). Mais ne donnons pas l'impression de découvrir la Lune (ou de faire semblant).

Si j'étais un citoyen complètement rationnel et vertueux, je n'aurais jamais rédigé ce billet. J'aurais gardé mes impressions et mes réflexions pour moi, en me soumettant à ce principe républicain : il faut laisser la justice faire son travail, elle seule est en droit et en capacité de juger. Mais notre société n'est pas complètement rationnelle ni vertueuse, et pas toujours très républicaine. J'ai donc mis mon grain de sel, d'autant que le million et demi de réactions électroniques m'incitaient à mon tour à réagir. Une dernière remarque : je crois que ce serait une très mauvaise idée de modifier la législation actuelle sur la légitime défense, qui est parfaite en l'état. Ce ne serait qu'une illusion de plus, qui ne réglerait rien au problème de la délinquance et de la récidive.

lundi 23 septembre 2013

Le temps des cathédrales




Epicure, au début de sa Lettre à Ménécée, explique qu'il n'y a pas d'âge pour philosopher, jeunes ou âgés. Platon, au contraire, conseille d'attendre la maturité. Samedi après-midi, à la bibliothèque municipale Guy-de-Maupassant, pour la reprise de mes conférences-débats, Epicure aurait été content (vignette 1), mais Platon aussi (vignette 2).

J'ai procédé à une lecture philosophique du premier roman de Victor Hugo, Notre-Dame-de-Paris, comme je l'avais fait quelques mois plus tôt avec Les Misérables. Derrière le récit, il y a de la pensée ; sous les personnages, on trouve des idées. Tout un chapitre est même entièrement philosophique (livre V, chapitre 2, Ceci tuera cela). Hugo y développe une audacieuse réflexion sur l'architecture, réceptacle de la réflexion humaine, mais confisquée par les clercs jusqu'à l'apparition de l'art gothique, qui implique le peuple, exprime la liberté (la construction des cathédrales par une multitude de corps de métier). Mais l'invention de l'imprimerie au XVe siècle (le plus grand événement de l'histoire humaine, selon Victor Hugo) va tuer l'architecture sacrée : c'est le livre qui désormais aura le privilège de la pensée, et l'architecture ne sera plus qu'utilitaire ou purement esthétique.

Pendant le débat, nous nous sommes demandés à quel personnage du roman nous pourrions nous identifier. Les dames avaient le choix entre la belle Esméralda et sa maman pleine de ressentiment, la recluse Gudule. Les messieurs avaient un choix plus large. En mon for intérieur, j'ai écarté Quasimodo (tout de même !), autant que le fringant capitaine Phoebus, qui n'aime la bohémienne que pour coucher avec (ce n'est pas dans mes façons ...). Il me restait Claude Frollo, l'archidiacre de Notre-Dame, tiraillé entre son appétit de savoir (qui le conduit à pratiquer la peu chrétienne alchimie) et ses passions charnelles (pour posséder Esméralda, il tente de tuer Phoebus, ce qui est encore moins chrétien). Il y a peut-être une moitié de Frollo en moi (je vous laisse deviner laquelle), mais le bonhomme est trop odieux et fanatique pour que je m'y reconnaisse. S'il n'en reste qu'un, je serai celui là, et c'est ... Gringoire, philosophe superficiel et poète léger, marié par nécessité à Esméralda (il a été forcé de joindre l'utile à l'agréable) pour s'échapper de la Cour des Miracles. Gringoire est un joli coeur et Phoebus un joli corps : tous les deux survivront à la fin du roman, alors que Quasimodo, Frollo et Esméralda trouveront la mort. Gringoire, c'est moi : vive la vie, et vive Notre-Dame-de-Paris !

dimanche 22 septembre 2013

Le rêve de Béziers



Béziers, sa feria, son rugby, ses vins. Depuis quelques jours, je suis Biterrois, mais toujours à Saint-Quentin. Ce qui m'intéresse, ce qui me passionne dans cette lointaine ville de l'Hérault, ce n'est pas son soleil dominical, ce sont ses élections municipales. Chez nous, pour le moment, ça ne s'échauffe pas trop, mais ça viendra, c'est certain. Là-bas, c'est parti, non à cause de l'esprit méridional, mais parce que la gauche dans cette ville a choisi de mettre en place des primaires citoyennes, comme je le souhaitais pour Saint-Quentin.

Pourquoi se préoccuper plus de Béziers que d'une autre ? Parce que la cité est proche de la nôtre : la taille est comparable à Saint-Quentin, le nombre d'habitants pas très éloigné, et une droite comme chez nous au pouvoir depuis 18 ans. Béziers, c'est le destin que je rêvais pour Saint-Quentin : une consultation préalable à l'élection afin de se donner le meilleur candidat possible et surtout de créer longtemps à l'avance une dynamique. Comme le rêve ne s'est pas réalisé ici, je suis très attentif à sa concrétisation là-bas.

La gauche a quatre candidats, dont un Vert. Le choix des primaires a été décidé par référendum, auprès des adhérents, qui ont dit oui aux deux tiers. La procédure est mise en place et contrôlée par la fédération. Trois débats publics sont programmés entre les candidats, avec une charte qui interdit les polémiques et pose les bases du rassemblement. La première rencontre a eu lieu il y a quelques jours, elle a réuni une centaine de personnes. Le rêve, je vous dis ! En tout cas, un bel exemple de lucidité et de maturité politiques.

La victoire aux municipales, à Béziers ou à Saint-Quentin, il faut y croire, non de la foi du charbonnier, mais par une volonté éclairée par la raison. Qu'est-ce qui permettra de l'emporter ? Non pas les qualités des personnes, dont j'ai souvent dit qu'en politique leur rôle était secondaire (mais pas non plus nul). Ce qui comptera, c'est la dynamique qui aura été enclenchée, collective évidemment. Le sort d'une élection est l'aboutissement d'une dynamique ... ou de son absence. A Saint-Quentin, je voulais une dynamique à chaud, comme le moteur d'une voiture qu'on fait tourner avant de démarrer : ne pas désigner le candidat dans le cercle restreint des adhérents, mais mobiliser nos sympathisants et électeurs dans ce tour de chauffe que sont les primaires citoyennes. Je n'ai pas été suivi (on ne peut pas tout obtenir : il est déjà bien que la rupture avec l'extrême gauche ait été actée).

Du coup, la dynamique doit être lancée, mais à froid. C'est plus difficile, il y faut plus de temps, mais c'est jouable. Certes, je ne suis plus qualifié pour participer à la course, après trois échecs consécutifs (candidature à la cantonale nord, élection du secrétaire de section et surtout désignation de la tête de liste). Prétendre à une place ou à des responsabilités serait indigne : quand on est battu, on ne la ramène pas. Mais il ne m'est pas interdit de réfléchir et de donner mon opinion. C'est ce que je veux faire à propos de la dynamique à susciter pour avoir une chance de gagner. En cercle restreint, je n'ai aucune chance d'être écouté, le rapport de force jouant totalement contre moi. En revanche, de l'extérieur, dans ma zone d'influence, je peux faire bouger les lignes, on l'a vu sur la question des alliances. D'emblée, je vois trois conditions requises en faveur d'une dynamique :

1- L'espace internet : je ne vais pas expliquer ce que vous savez, l'indispensable présence dans les réseaux sociaux pour désormais remporter une victoire, surtout quand on est dans l'opposition et qu'on n'a pas énormément de canaux pour toucher l'opinion. Pour le moment, la présence sur le net est à construire. Deux sites existent, mais qui sont à réactiver : le blog d'Anne Ferreira, qui en tant que vice-présidente du Conseil régional de Picardie reste l'élue de référence ; il lui faut reprendre le travail qu'elle a interrompu il y a plus d'un an. Le blog de la section de Saint-Quentin, qui n'est plus complété depuis cinq mois, qui n'informe même pas de la désignation de Michel Garand comme candidat des socialistes aux élections municipales (l'oubli de taille laisse songeur : paresse ordinaire ou acte manqué ?).

2- L'affichage médiatique : si l'activité militante classique est bien sûr toujours utile, la communication est indispensable. Elle passe par la présence régulière dans les journaux, à travers des conférences de presse, des communiqués ou d'événements qu'on aura su créer. Il faut que notre candidat, qui ne bénéficie pas des acquis d'un élu, installe son image dans l'opinion. Autant dire que face à Xavier Bertrand, qui a en la matière au moins vingt ans d'avance, il y a du boulot. Mais le défi est stimulant, pas décourageant, et nul ne peut présupposer de l'issue.

3- Si les réseaux sociaux et les campagnes de communication sont précieux, ce qui emportera la décision, ce qui fera basculer l'opinion dans notre camp, ce sera encore autre chose, ce sera notre force de propositions. La dynamique, nous le savons bien, ne sera pas nationale. Quels que soient les résultats de la politique de François Hollande (et je suis persuadé qu'ils seront bons), des élections intermédiaires ne sont jamais gagnées par le pouvoir en place ; elles servent plutôt de défouloir, de moyen de protestation pour les partis d'opposition. Si dynamique il doit y avoir, elle sera exclusivement locale, à partir des propositions de la gauche, pour répondre aux problèmes et aux attentes des Saint-Quentinois.

Les sujets ne manquent pas, les interrogations sont nombreuses, les revendications se font entendre, qu'il revient au parti socialiste de capter, de synthétiser, de transformer en propositions qui constitueront un projet. Mais pour cela, il ne faut pas attendre, il faut s'y prendre dès maintenant, intervenir à chaque difficulté, dire immédiatement ce qu'on propose. Il suffit d'écouter les gens, de lire la presse : les occasions de prendre la parole ne manquent pas. Je crois que c'est possible, j'ai confiance, mais il ne faut pas laisser passer le temps, qui ne se rattrapera pas.

La dynamique se manifestera par des petits signes, qui seront ceux de l'espoir, qui n'existent pas encore pour le moment. Pour preuve, j'en veux cet article paru samedi dans le Courrier picard, intitulé : Les élections municipales décideront du sort des deux ombres du maire. Bonne idée que de s'interroger sur ce que deviendront après mars les très influentes directrice et chef de cabinet du maire, Frédérique Macarez et Christelle Chabanne. Mais le journal se met dans la perspective d'une nouvelle victoire de la droite, en se demandant si Xavier Bertrand ne va pas renouveler son proche entourage. Jamais l'hypothèse d'une victoire de la gauche n'est envisagée, même allusivement.

C'est révélateur d'un état d'esprit, que nous connaissons bien depuis 18 ans à Saint-Quentin, qui donne la droite très largement gagnante, quasiment hégémonique. Il revient à la gauche de faire mentir cette appréhension naturelle et de devenir aux yeux des Saint-Quentinois une alternance crédible. Les primaires citoyennes auraient pu inaugurer cette évolution. Ca ne s'est pas fait, ne ratons donc pas la prochaine étape. Pour que mon rêve de Béziers devienne enfin un rêve de Saint-Quentin.

samedi 21 septembre 2013

Un peu de théologie



Je fais plus souvent des conférences que je n'assiste à des conférences. Mais ça m'arrive quelquefois, dimanche dernier par exemple, où je suis allé au temple protestant de Saint-Quentin, pour participer à une présentation du protestantisme, faite par madame le pasteur, Marie-Pierre Van den Bossche. C'était passionnant, très claire, et exhaustif. La preuve : j'en suis ressorti avec six pages de notes et plein de réflexions en tête ! La rencontre correspondait à un événement récent auquel on n'a pas suffisamment porté attention, vieux pays catholique que nous sommes : l'union des luthériens et des calvinistes en une seule église. Et puis, la communauté protestante de Saint-Quentin fait partie intégrante de notre cité, avec quelques figures connues et personnages influents.

Le protestantisme, c'est la volonté de réformer, au XVe siècle, une église corrompue, notamment par le commerce des indulgences. Très bien. Mais j'ai l'impression que les Réformés ont ouvert une boîte de Pandore. Au départ, Luther ne veut pas fonder une nouvelle religion. Mais à l'arrivée ? De fil en aiguille, de remise en cause en remise en cause, c'est bien le coeur de la foi qui est touché. Pourquoi pas, d'ailleurs. Calvin finit par s'interroger sur la Présence réelle dans l'Eucharistie. D'autres vont encore plus loin. A vouloir réformer, n'en arrive-t-on pas à bouleverser le christianisme dans ses fondamentaux ? On sait où le mouvement commence, on comprend sa protestation légitime contre de scandaleux abus ; mais où s'arrête-t-il ? Les Etats-Unis d'Amérique, pays protestant par excellence, ne sont-ils pas le chaudron de Calvin, d'où ont surgi des sectes évangélistes inquiétantes et actuellement en pleine prospérité ?

Calvin dénonce le culte des reliques. Il a peut-être raison, pour ce qui semble être de la superstition. Mais en même temps, c'est tirer un trait sur 1 500 ans d'une piété populaire très vive, qui a été la chair de la foi chrétienne durant tout le Moyen Age. Parmi mes nombreuses préoccupations intellectuelles, je m'intéresse beaucoup aux questions théologiques, qui ne sont après tout que de la philosophie appliquée à la religion. Je crois comprendre que le désaccord entre protestants et catholiques ne touche pas fondamentalement à la conception de la Trinité, à ceci près, qui n'est certes pas rien, que l'église romaine a tendance à sous-estimer la troisième Personne, le Saint-Esprit, auquel les protestants donnent toute sa place.

Non, la séparation est ailleurs, à propos de Marie, "Mère de Dieu" pour les catholiques, qu'ils prient, simplement mère de Jésus pour les protestants, qu'ils ne prient pas, comme ils ignorent dans leurs prières l'intercession des saints. C'est là où je ne les suis pas : car les conciles oecuméniques ont déclaré Marie Theotokos, et surtout, à partir du moment où Jésus est Dieu (c'est le dogme de l'Incarnation), sa mère est forcément Mère de Dieu. Ou alors, il faudrait soutenir que Jésus n'était pas encore Dieu dans son ventre, mais qu'Il l'est devenu au moment de son baptême par Jean, en recevant l'Esprit Saint. Mais je crains que cette hypothèse ne soit franchement hérétique, c'est-à-dire pseudo-chrétienne.

Il y aurait aussi beaucoup à dire et à réfléchir sur la notion typiquement protestante de prédestination, que je rattache à leur refus du culte des saints. Quoi que fassent les chrétiens, les élus sont choisis par avance, de volonté divine. Ce qu'il y a de positif dans cette perspective, c'est qu'elle récuse tout rachat un peu sordide des âmes (les indulgences). Du coup, les oeuvres saintes en deviennent aussi suspectes, et aucune action ou aucun personnage ne sont déclarés saints et dignes de vénération. Mais comme il faut bien tout de même des signes qui distinguent les élus, ce sera, en certains pays protestants (je pense bien sûr aux Etats-Unis), la réussite sociale et l'argent.

Les catholiques ont sans doute exagérément condamné l'argent. Mais n'est-il pas chrétiennement condamnable ? Les protestants ont fait de l'argent un simple instrument, qui contribue à faire le bien. Mais je pense qu'ils n'ont pas la même approche de la charité que les catholiques. Pour ma part, il me semble que l'argent est beaucoup plus qu'un simple instrument, que l'humanité en a fait une fin en soi, que c'est quasiment le destin presque diabolique de ce signe abstrait qui donne aux hommes la vraie puissance terrestre, plus que le pouvoir politique.

Voilà parmi les quelques pensées que la conférence de Marie-Pierre Van den Bossche a suscitées en moi, vraies ou fausses, c'est à vous d'en discuter. En tout cas, le protestantisme est une composante de l'histoire française qui mérite notre intérêt, et sa théologie pousse à la réflexion, comme j'ai tenu à vous le montrer.

vendredi 20 septembre 2013

Mort d'homme



La politique est un jeu. Le vocabulaire l'atteste : on parle du jeu politique. Mais c'est un jeu sérieux, difficile, pour adultes, pas pour son plaisir personnel mais au service de la population. Ce n'est pas une profession : on y entre librement, par convictions, on en sort librement, par convictions aussi. Dans ce jeu-là, les suicides sont rares, les quelques cas historiques (Salengro, Boulin, Bérégovoy ...) le prouvent. On met fin à ses jours pour un chagrin d'amour, une déchéance sociale, une maladie grave, par pour un échec politique. Pourtant, Thierry Lefèvre, maire de Pontruet, conseiller général de l'Aisne, a tenté hier matin d'en finir avec la vie, en pointant sur lui une arme à feu. Il est aujourd'hui hospitalisé à Amiens. Ce geste choque, cette décision traumatise. Peut-on tenter d'y comprendre quelque chose ?

Je connais Thierry et je ne le connais pas, comme plein de gens que je croise de temps en temps, avec lesquels je discute un peu, dont je suis les activités dans la presse. C'est le lot commun de la politique : connaître beaucoup de personnes et en même temps ne connaître vraiment personne. C'est d'ailleurs inévitable : comment faire autrement ? L'activité publique confronte au public, pas aux individus, qui ont leur singularité, leur mystère, leurs forces et leurs faiblesses. Je ne connais pas les forces et les faiblesses de Thierry Lefèvre. Je le crois plutôt fort, de par sa corpulence, mais aussi de par sa réussite politique : élu et réélu, vice-président du Conseil général il n'y a pas si longtemps encore, président d'un syndicat, Valor'Aisne, chargé de l'important dossier du traitement des déchets ménagers. Thierry, c'est aussi, pour moi, un collègue, prof à Condorcet. Ce soir, je veux comprendre ce qui lui est arrivé.

Le président du Conseil général, Yves Daudigny, lui avait retiré sa délégation, à la suite d'un différend entre le président de Valor'Aisne et les membres de la commission d'appel d'offres pour la réalisation d'un centre de tri à Urvillers, auquel personne ne comprend rien : problème juridique, financier, technique, politique ? Ce qui m'intéresse, ce sont les réactions de Thierry. Un retrait de délégation n'a rien d'offensant, et ça ne préjuge pas d'une quelconque responsabilité. C'est simplement une péripétie parmi d'autres dans un parcours politique, que beaucoup ont à traverser, sous une forme ou sous une autre. Ce n'est pas ce qui est de nature à déstabiliser un homme public, ce n'est pas ce qui conduit à commettre l'irréparable. L'adversité est monnaie courante en politique, y compris au sein de son propre camp. Alors quoi ?

L'entretien de Thierry Lefèvre dans L'Union du 12 septembre dernier me semble lever une partie du voile. Ce qui me surprend à la relecture, c'est la place que Thierry accorde à l'amitié, pour laquelle il se sent trahi. Mais quelle amitié ? J'ai souvent écrit sur ce blog que l'amitié n'existait pas en politique, où l'on a des alliés, des partenaires, des adversaires, des ennemis, mais pas d'amis. Et c'est d'ailleurs très bien comme ça : un parti n'est pas un club de rencontres, on n'y travaille pas entre copains mais pour la population. Dans notre désir légitime de comprendre l'incompréhensible, je crois qu'on peut citer l'illusion de l'amitié, dans laquelle Thierry est peut-être tombé.

Et puis, je vois un autre motif, la peur de la solitude : plusieurs conseillers généraux avaient manifesté, ces jours-ci, leur soutien à Yves Daudigny, récusant les propos tenus par Thierry Lefèvre dans la presse. Je crois qu'il y a chez certains, en politique, la hantise d'être minoritaires, de ne plus s'accorder avec les siens. Cela ne se devrait pas : quand on tient à une vérité, on ne craint pas d'être seul à la défendre. Mais Thierry, au physique imposant, avait-il cette force-là ? Il a accusé la tête du Conseil général de faire la place trop belle aux socialistes (dont il ne fait pas partie). Je pense tout le contraire : les non socialistes ont toujours été bien servis par le département, au détriment du parti.

La politique est un jeu, cruel et tragique lorsqu'une mort d'homme devient possible. Thierry n'a peut-être pas mesuré cette dimension-là, tant que tout allait bien dans ses fonctions et son itinéraire. Ce soir, je n'ai aucune nouvelle de lui, de son état. J'aimerais pouvoir lui dire, de tout mon coeur, qu'on ne meurt pas pour une histoire politique. Mais m'entendrait-il ? C'est tout de même important que ce soir je l'écrive, dans l'espoir de le revoir, de mieux le connaître.

jeudi 19 septembre 2013

Philo à l'hosto



Il n'y a pas si longtemps, on n'aurait jamais imaginé un prof de philo intervenir dans une école d'infirmières, où n'enseignaient que des praticiens, biologistes, juristes. Plusieurs fois par an, et depuis quelques années, j'interviens dans les IFSI ( instituts de formation en soins infirmiers) de Saint-Quentin, Soissons, Château-Thierry et Prémontré. L'objectif est de montrer que les connaissances scientifiques ou juridiques ne suffisent pas à l'accomplissement du métier, que la réflexion personnelle est requise. Dans de nombreuses situations, les personnels soignants devront prendre des initiatives, penser par eux-mêmes, ne pas se borner à appliquer des recommandations, aussi justes soient-elles, qui n'épuisent pas toutes les circonstances de la vie. Hier, j'ai terminé à Prémontré un module d'enseignement de 6 heures, dont j'ai promis aux étudiants une synthèse sur ce blog, à partir des dix notions que nous avons étudiées ensemble, et que voici :

ESPACE : un hôpital, c'est d'abord un bâtiment, souvent le plus important de la ville. A Saint-Quentin, de loin, on n'aperçoit d'abord que lui, et la basilique. Quand on se rapproche, l'architecture est rarement avenante, ce qui pose le problème de l'esthétique. A l'intérieur, il semble qu'on y entre comme dans un moulin, et le dédale des chambres, couloirs et services est labyrinthique. Le blanc domine généralement : pourquoi est-ce une couleur d'hôpital ? Dans les chambres se pose le problème de l'espace privé, intime, familier du patient, alors que nous sommes dans un espace public.

TEMPS : au sein de l'hôpital, le temps ne semble pas s'écouler sur le même rythme que dans la vie extérieure. Pour le patient, c'est un temps long, celui de l'attente, de l'ennui et de l'incertitude. Pour le soignant, c'est au contraire le temps rapide, pressé, parfois insuffisant du travail. Comment ces deux perceptions de la durée peuvent-elles cohabiter ? Quelles conséquences, fâcheuses ou heureuses, en résulte-t-il ? Le matin, le soir et la nuit sont-ils similaires, dans le milieu hospitalier, à ceux d'une journée ordinaire ?

CORPS : on entre à l'hôpital généralement parce que le corps doit être soigné et guéri. Mais que devient l'esprit, qu'en fait-on ? La médecine moderne, scientifique, est née avec René Descartes et la stricte dissociation du corps et de l'esprit, qui transforme le premier en une machine à réparer. Ce principe est-il entièrement tenable ? Et puis, quel rapport le soignant doit-il avoir à l'égard d'un corps couché, blessé, vulnérable ? Comment ce corps doit-il être touché quand on le manipule ? Ce qui pose l'immense question du respect et de la pudeur.

LIBERTE : liberté, égalité, fraternité, la devise de la République est au fronton de nos mairies. Et de nos hôpitaux ? Tout homme tient à sa liberté, bien précieux, inaliénable. Mais que devient-elle lorsqu'on se retrouve sur un lit d'hôpital ? Le patient est entravé dans sa liberté la plus élémentaire, celle de mouvement et de circulation. Que deviennent son choix, sa volonté, dans un univers hospitalier où la science et la technologie médicale ont le premier et le dernier mot, au nom de ce bien que nul ne peut refuser, la guérison ? A la question de la liberté du patient fait aussi écho celle de la liberté du soignant : quelles sont ses limites, que peut-il faire et ne pas faire ?

SOUFFRANCE : personne n'entre à l'hôpital par jeu ou par plaisir, mais parce qu'on souffre, même si la maternité est aussi un lieu de joie, même si la sortie et la guérison sont des moments de plaisir. L'hôpital lui-même angoisse, fait peur. C'est un lieu où l'on lutte contre la mort, de drame et d'espoir. La souffrance du patient n'est pas facile à mesurer : elle peut être exagérée ou au contraire refoulée, étouffée. Il y a de grandes douleurs qui restent muettes. Le personnel soignant n'est-il pas lui aussi en souffrance, pour reprendre une expression à la mode ?

SENTIMENT : dans un monde aussi rationnel et technique, froid diraient certains, que l'hôpital, les sentiments ont-ils leur place ? Les soignants doivent-ils se laisser aller à faire du sentiment ? Empathie, compassion, pitié font-elles partie du métier ? Il est bien difficile de ne pas être à l'écoute de celui qui souffre. Mais faut-il prendre en compte ses sentiments ? C'est la question des affects, inhérente à toute relation humaine, que le rapport entre patients et soignants ne peut pas occulter.

MORALE : les valeurs, le sens, le bien et le mal, tout homme les porte en lui et ne les délaisse pas, soignant ou patient, à l'entrée de l'hôpital. Existe-t-il une morale professionnelle, ou une éthique, exigible chez le soignant ? A l'instar de l'école, la notion inhabituelle d'hôpital laïque est-elle recevable ? Quels principes en découle-t-il ? Et la morale personnelle du patient, ses convictions religieuses par exemple, qu'en faire et comment faire quand on y est confronté ?

VERITE : doit-on dire à l'hôpital la vérité, toute la vérité, rien que la vérité, comme au tribunal ? Devant la souffrance et ses conséquences, le mensonge par omission n'est-il pas admissible ? La science médicale, en quête de vérité, n'est pas non plus protégée de l'erreur ou de l'incertitude. Et puis, qui est autorisé à dire la vérité, à faire ce choix difficile et parfois douloureux ?

LANGAGE : l'homme est un être parlant. J'ai même parfois l'impression que tout repose sur les mots. C'est pourquoi, entre les êtres humains, il est impératif de s'entendre, à l'hôpital sans doute plus qu'ailleurs. Comment s'exprime-t-on quand on est soignant ? Comment parle-t-on à un malade ? Parler à quelqu'un, c'est d'abord le nommer : de quelle façon ? Langage familier ou vocabulaire choisi ? C'est aussi le problème de la politesse et de la courtoisie qui est posé.

SOCIETE : un hôpital, c'est une communauté humaine, un collectif, la société à petite échelle, avec ses règles, ses pouvoirs, sa hiérarchie, son autorité. Il en résulte les risques bien connus en toute situation de ce genre : arbitraire, abus, injustice. Parler d'hôpital républicain a-t-il un sens ? Le patient alité demeure-t-il un citoyen ? Et comment exerce-t-il sa citoyenneté ? La vie à l'hôpital pose également la question du rôle de l'argent et des différences sociales.


La présente synthèse ne donne qu'une petite idée de ce qui s'est passé dans ma rencontre avec les étudiants. Les échanges ont été vivants, concrets, interrogateurs. Cette dimension-là perd de sa richesse à l'écrit, devient trop théorique. Mais du moins ce texte en donne-t-il les grandes orientations.

mercredi 18 septembre 2013

Le beurre et son argent



J'ai lu aujourd'hui, sur le site Médiapart, une intéressante tribune consacrée à la politique économique du gouvernement. Elle s'intitule : "Pour une politique économique nouvelle" et, comme l'annonce ce titre, elle critique les fondamentaux de la politique actuelle, pour proposer une autre ligne économique. Une telle démarche ne peut être a priori initiée que par des membres de l'opposition. Eh bien non, aussi surprenant que cela puisse paraître, les signataires sont membres du parti socialiste, appartenant à ce qu'on appelle habituellement l'aile gauche, dont Marie-Noëlle Lienemann et Emmanuel Maurel.

Je ne discute pas le fond de leurs arguments, qui sont intellectuellement cohérents, parfaitement défendables et totalement légitimes. En tant que militant, je ne débats pas avec la gauche, mais avec la droite. Ce que je ne comprends pas et ne comprendrai jamais (sauf si un lecteur veut bien m'envoyer une explication), c'est qu'on puisse être membre d'un parti et contester la politique économique de ce parti. Prenez-le dans tous les sens que vous voudrez, il n'y a pas de logique à ça. Qu'on puisse être en désaccord sur un point particulier, c'est en revanche admissible, et même inévitable, mais ça ne remet pas en cause le projet global.

Moi-même, qui suis pourtant un fervent supporter de ce gouvernement, tout ne me plaît pas dans la politique économique actuelle, c'est impossible. On ne doit pas renoncer à son esprit critique parce que vos amis politiques sont au pouvoir. Au contraire, c'est une forme d'exigence, de vigilance, d'indépendance. Mais en aucun cas cela me conduit à vouloir "une politique économique nouvelle". Là non, ce n'est pas possible, c'est absurde. Un rejet général revient à ne plus se reconnaître du tout dans le gouvernement qu'on est supposé soutenir et dans le parti auquel on appartient.

Si le parti socialiste était dans l'opposition ou si nous étions en période de congrès, j'accepterais sans problème qu'une "politique économique nouvelle" soit proposée par un courant du parti et soumise au débat : c'est le fonctionnement normal d'une organisation démocratique et pluraliste, c'est même très souhaitable. Mais quand on est au pouvoir et que le dernier congrès a tranché sur la politique à suivre, c'est contradictoire.

En réalité, ces camarades contestataires sont des dissidents de l'intérieur, assis entre deux chaises : ils pensent comme Mélenchon, les outrances en moins, ils restent socialistes, les critiques en plus. C'est le grand écart : ce sont des minoritaires au sein d'une majorité, des opposants alors que nous sommes au pouvoir. Pour le dire trivialement : ils veulent le beurre et l'argent du beurre. Idéologiquement, ce sont des socialistes d'autrefois qui n'acceptent pas le socialisme d'aujourd'hui, c'est-à-dire la conversion social-démocrate du parti.

Mais pourquoi restent-ils au PS ? Pourquoi ne choisissent-ils pas de mettre en conformité leurs idées et leur appartenance politique ? D'autres l'ont fait avant eux et s'en sont politiquement mieux portés : on n'est jamais bien avec soi et avec les autres quand on n'est plus vraiment en phase avec l'organisation dont on est membre. Je crois tout simplement qu'ils ne veulent pas perdre les mandats et les responsabilités qui sont les leurs. Mais ce n'est vraiment pas une sinécure pour eux. Moi, je ne pourrais pas : quand je ne suis plus d'accord quelque part, je m'en vais, je cherche ailleurs.

Tout cela n'aurait pas grande importance si nous n'étions pas dans le combat politique (car ce n'est qu'une petite minorité du parti qui souhaite "une politique économique nouvelle"). Mais comment s'engager dans les prochaines élections, municipales, en défendant la politique du gouvernement, comme c'est le devoir des socialistes, alors que des camarades, dans votre dos, expliquent qu'il faut "une politique économique nouvelle" ? La droite va s'en donner à coeur joie, utiliser à fond la contradiction. Si les socialistes eux-mêmes ne sont pas TOUS convaincus du bien-fondé de leur politique économique, qui le sera ? Pas les électeurs, en tout cas ... Cette tribune de Médiapart ne m'étonne pas, mais elle m'attriste.

mardi 17 septembre 2013

Eichmann, clown tragique



Belle rentrée du ciné philo hier soir, une soixantaine de personnes pour voir "Hannah Arent", de Margarethe von Trotta. A peu près toutes sont restées pour le débat, où j'ai présenté le livre de la philosophe à l'origine du film : "Eichmann à Jérusalem". La thèse d'Hannah Arendt a fait scandale, parce que sa description psychologique du nazi ne correspond pas à l'image ordinaire qu'on s'en fait, encore aujourd'hui. Ce n'est pas pas une brute épaisse, un idéologue fanatique, un officier cruel : non, Adolf Eichmann, c'est monsieur-tout-le-monde, un homme banal, pas très beau, un peu terne. Son mystère : comment un tel individu, sans lustre, sans relief, a-t-il pu accéder au pouvoir, faire fonctionner une machine à exterminer ? Cette question ne vaut pas seulement pour l'époque lointaine et exceptionnellement tragique de la Seconde guerre mondiale. Encore maintenant, il faut se demander pourquoi et comment des personnes sans prestige parviennent à des postes de pouvoir souvent très grands. Voilà les réponses d'Hannah Arendt, pour ceux qui n'auraient pas pu venir hier au ciné philo :

Adolf Eichmann n'a pas de convictions politiques très précises (il n'adhère même pas à l'antisémitisme !). Sa motivation principale, c'est le besoin de reconnaissance. Ce petit homme gris, sans ego, sans narcissisme (contrairement à ce qu'on prétend des hommes politiques !), fondamentalement modeste, profite des circonstances historiques pour s'élever dans la hiérarchie du parti nazi. C'est aussi, paradoxalement, un homme vertueux, très attaché à la morale, à la loi, au devoir. Mais il est dénué de tout principe de responsabilité individuelle : pour lui, sa place dans la machine de guerre n'a été que celle d'un rouage. A ses yeux, tout est collectif : on ne peut donc pas lui reprocher quoi que ce soit personnellement. S'il ne s'est pas opposé au génocide, c'est parce que personne autour de lui ne s'opposait au génocide, se défend-t-il très sincèrement. Eichmann a la faculté d'adaptation : il va toujours dans le sens du milieu qu'il habite.

Hannah Arendt le décrit comme "l'homme qui ne pense pas" mais qui suit. Il ne lit aucun livre. Son langage est un mélange de vocabulaire administratif et de clichés populaires, qui lui tiennent lieu de vérité, qui le dispensent de se poser des questions. Les mots qu'il emploie servent à dévitaliser la réalité, la rendre lisse, évacuer la tragédie : un camp de concentration devient dans sa bouche une administration, l'extermination des juifs reçoit le terme neutre de solution finale.

Mais il fallait bien quelques qualités à Adolf Eichmann pour accéder au pouvoir : l'intelligence, la compétence, non, mais le sens de l'organisation et la capacité à négocier, oui. C'est un habile qui sait se rendre indispensable. Encore aujourd'hui, pour réussir politiquement, il vaut mieux être un factotum ou un maquignon qu'un théoricien ou un fanatique. Eichmann a une caractéristique qui jette un éclairage sur sa tragique destinée : il déteste voir souffrir, il préfère qu'on donne la mort. C'est pourquoi les chambres à gaz ne le choquent pas : elles ne sont pour lui que le prolongement du programme sanitaire d'euthanasie mis en place par le Reich dans les années 30, pour faire disparaître les débiles mentaux et les malades incurables. Enfin, Eichmann ne se met jamais en avant. C'est peut-être le secret de tout pouvoir : agir dans l'ombre, être une éminence grise, très grise, rester derrière un leader (Himmler par exemple) parce qu'on a compris que le vrai pouvoir n'est pas dans la lumière de l'exposition publique mais dans la pénombre des bureaux et cabinets.

Quand Hannah Arendt aperçoit Adolf Eichmann dans sa cage de verre lors de son procès, sa première réaction est d'en rire. L'homme lui fait penser à un clown (il me fait penser à Buster Keaton !) : visage triste, moche, bourré de tics, propos grotesques, mécaniques, sortant sans arrêt un mouchoir parce qu'il est enrhumé. Comment un tel minable est-il devenu un assassin de masse ? La figure du clown, même aux yeux des enfants, est une figure ambivalente : c'est un personnage qui fait rire, dont on ne se méfie pas, mais c'est aussi un personnage qui fait peur (voir les romans de Stephen King). Adolf Eichmann était ce clown que j'ai décrit, reprenant l'analyse d'Arendt : un clown tragique. Dans le contexte moins dramatique de la société actuelle, la politique demeure aussi le domaine où les clowns peuvent prendre leur revanche sur eux-mêmes et sur les autres. Nous qui avons la chance de vivre en démocratie et donc de choisir nos dirigeants, il faut apprendre à nous en méfier.

lundi 16 septembre 2013

Comme un chef



Il est facile pour un socialiste de dire qu'il a trouvé hier soir, dans son intervention télévisée, le président socialiste formidable, très bon. Mais si je le pense, pourquoi me forcerais-je à dire le contraire ? Pour faire comme tout le monde aujourd'hui, devenir un monsieur Scrogneugneu ? Non, jamais ! Donc, François Hollande m'a vraiment emballé, ses explications sur les différents sujets étaient très convaincantes. Mais par dessus tout, c'est le style qui m'a beaucoup plu : un mélange de clarté et de fermeté. Comme on dit chez moi : il s'est débrouillé comme un chef !

Chef des armées d'abord : la démonstration sur la Syrie a été magistrale. La France a sauvé l'honneur, n'a pas plié, alors que la Grande-Bretagne se repliait sur ses intérêts nationaux, alors que les Etats-Unis hésitaient, en requérant le vote du Congrès. Dès le début, la France a dit non, a condamné la violation du droit international et les massacres de la population. Sans la menace militaire, jamais le dictateur syrien n'aurait accepté de mettre sous contrôle ses armes chimiques. Bravo Hollande ! La politique étrangère, c'est le monde des rapports de force. Sans la pression, on n'obtient rien. La diplomatie se fait à l'ombre des canons ; sinon, c'est de la parlote. Le président l'a fort bien dit : la menace militaire ne doit pas cesser, les frappes doivent servir si la tyrannie chimique sévit.

François Hollande s'est également comporté en chef dans la bataille pour l'emploi. Là, ce sont contre les sceptiques, pas seulement les scrogneugneux, qu'il faut se battre. L'inversion durable de la courbe du chômage ? Hollande l'a promis, Hollande le fera : c'est pour la fin de l'année. La reprise est déjà là, il y a un mieux dans l'économie. Ce n'est évidemment qu'un début ; mais la suite ne tardera pas. Et puis, il y a le ras-le-bol fiscal : François Hollande a assumé l'évidente augmentation des impôts, qui avait pourtant précédé son arrivée à la présidence. Il le fallait, la réduction des déficits était à ce prix. Car il faut savoir ce qu'on veut. Mais il ne faut pas non plus charger la bourrique : la pause fiscale, c'est maintenant ! Et les salariés victimes de la défiscalisation des heures supplémentaires bénéficieront d'une décote.

Enfin, le président de la République a terminé son intervention en scrupuleux républicain. Fillon qui ne s'interdit pas de voter pour un candidat FN "moins sectaire" qu'un socialiste ? En République, quand on est républicain, on vote républicain, de gauche ou de droite, peu importe. On ne vote jamais pour le pire ; et le pire, c'est l'extrême droite. Le drame du bijoutier qui a tué son cambrioleur ? L'affaire donne lieu, sur l'internet, à une exploitation politique éhontée. Il n'y a qu'un seul mot à prononcer, et à répéter trois fois, quand on est républicain : justice, justice, justice. La force revient à la loi, ce sont les juges qui, en ma matière, sont les détenteurs de la vérité. Tout le reste n'est que bave de crapaud.

Bref, un Hollande en grande forme (il ne l'est pas forcément toujours, j'avais très moyennement apprécié sa participation à l'émission Capital). Mais hier soir, c'était parfait. Comme un chef, je vous dis !

dimanche 15 septembre 2013

Les gloires d'un lycée



A l'occasion des Journées du Patrimoine, hier soir à Saint-Quentin, les Tréteaux Errants, dont Jean Triboulloy, ont ressuscité, dans la bibliothèque municipale, un Beaumarchais plus fantomatique et hiératique que jamais (en fin de représentation, vignette 1). A la suite, au temple protestant plongé dans la pénombre, c'est la voix sonore de Jean-Pierre Leblanc qui a annoncé le spectacle du Manteau d'Arlequin, sur Bénezet et l'abolition de l'esclavage (vignette 2). Bénezet, à part une rue de la ville, c'est qui ? Un Saint-Quentinois expatrié aux Amériques et l'un des premiers militants abolitionnistes. La compagnie a rendu plaisante et humoristique l'évocation de sa vie, mais emprunte aussi de gravité et de tragique, tant les malheurs du peuple noir ont souvent été atroces.

Le matin, au lycée Henri-Martin, j'ai fait une conférence sur les personnalités qui ont fréquenté, élèves ou professeurs, l'établissement, en vue de montrer qu'un lycée est une fabrique à élites, en tout domaine, et que certains mauvais élèves peuvent aussi prétendre à la gloire ! Je ne vous refais pas intégralement la conférence (d'une heure quinze), mais pour celles et ceux qui n'ont pas pu assister (la concurrence était rude en ce samedi matin), je vous livre une petite synthèse, je m'arrête sur les noms les plus marquants :

Parmi les savants, à tout seigneur tout honneur, il faut commencer par Edouard Branly, inventeur de la TSF. A chaque fois que nous écoutons la radio, nous devrions penser au lycée Henri-Martin ! Moins connu : Francis Haraux, directeur de recherche au CNRS. Chimiste comme lui, Jacques-Emile Dubois, pionnier de la chémoinformatique (ne me demandez pas ce que c'est !), a travaillé au Commissariat à l'Energie Atomique. Le général René Amiable a fini directeur de la Poudrerie nationale (et ce n'est pas du cosmétique !). Nelly Boutinot est une figure familière, défenseur de l'environnement, vice-présidente du ROC (Rassemblement des opposants à la chasse) : à ce titre, elle a côtoyé Théodore Monod et Hubert Reeves. Consécration ultime : Nelly Boutinot a participé il y a quelques années au Grenelle de l'environnement.

Mais Henri-Martin est un lycée plus littéraire et artistique que scientifique. L'écrivain et chroniqueur Philippe Lacoche, la pianiste internationale Sabine Vatin, le dessinateur, illustrateur et jazz-man Serge Dutfoy, le conteur picard Jean-Pierre Semblat y ont fait leurs classes. Le cinéma est également bien représenté (n'oublions pas l'implantation du BTS audio-visuel). Gilbert Collet, professeur de lettres original, a marqué de nombreux élèves, à la glorieuse époque du ciné-club. Il a initié au septième art un jeune néerlandais venu faire un stage d'un an, en 1955, dans l'établissement, Paul Verhoeven, devenu depuis une star internationale, avec Robocop, Total Recall et Basic instinct. Il n'est d'ailleurs pas impossible que le fameux et sulfureux jeux de jambes de Sharon Stone dans ce dernier film ne lui ait pas été inspiré par une enseignante d'Henri-Martin, peu prudente de ses effets involontaires en dessous du bureau (je fais des recherches pour consolider cette petite thèse). Benoît Delépine, inspirateur des Guignols de l'Info et de Groland, a quitté Saint-La Croix où il n'excellait pas pour rejoindre Henri-Martin afin d'y préparer HEC. Maurice Dugowson s'est fait connaître par ses films et documentaires, mais surtout pour sa réalisation de l'émission "Droit de réponse". Vous constatez la tradition iconoclaste de mon lycée. Delphine Gleize, elle aussi, s'est fait un nom dans les milieux du cinéma, avec des films reconnus et récompensés.

Le monde des médias et du people n'est pas absent. Pierre Choquart a fondé L'Aisne Nouvelle, Hervé Brusini s'est retrouvé rédacteur en chef du journal de France 2, Pascal Brunner a enchanté les téléspectateurs avec son émission Fa Si La Chanter, Rachel Legrain-Trapani a non seulement parcouru les couloirs de sa silhouette souple et féline, mais elle est devenue la 78e Miss France.

Le lycée a donné à la France des académiciens, Paul Hazard et Gabriel Hanotaux, par ailleurs ministre des affaires étrangères. Le poète Pierre-Henri Simon a assuré la chronique littéraire du journal Le Monde. Les peintres Matisse et Ozenfant ont été des nôtres. Je n'oublie pas les sportifs, puisqu'un esprit sain doit résider dans un corps sain : Christian Pesin, footballeur professionnel, Bertrand Gamess, fondateur de la section sport études basket, à l'origine de SQBB.

Ce lycée impérial à sa création a engendré de nombreux républicains, au premier chef l'historien Henri Martin. Cet établissement laïque a hébergé François Marchandier, qui deviendra abbé et directeur de l'établissement privé catholique d'en face. Comme quoi les voies de l'enseignement républicain sont impénétrables ... Des politiques contemporains ont poussé dans la cour et les classes : René Dosière, Jean-Pierre Balligand, Jacques Braconnier, Maxime Hénoque. Henri-Martin produit des citoyens engagés, assez également répartis entre la gauche et la droite.

Je terminerais pas deux noms : Frédéric Van Rockeghem, l'actuel directeur général de la Sécurité sociale, et Ingrid Loyau-Kennet, qui est devenue une héroïne en Grande-Bretagne le 22 mai 2013, après avoir tenu tête à des terroristes et sauvé d'une mort probable plusieurs personnes. Il y a peu de femmes dans mon exposé, Henri-Martin ayant été longtemps un lycée de garçons. J'ai bien sûr une pensée pour tous ceux, anonymes, qui ont fréquenté l'établissement en réussissant dans la vie et en apportant à la société tout autant, sinon parfois plus que les gloires officielles. Je songe aux morts pour la France dont les noms figurent dans le hall d'entrée. Mais j'ai aussi en tête les générations d'aujourd'hui, où de nouvelles gloires sont probablement en gestation et demain nous surprendront.

Merci à mon cher et ancien collègue Jean-Pierre Duchemin, mémoire vivante du lycée Henri-Martin, président de l'association des anciens élèves, sans lequel cette conférence n'aurait pas pu être menée à bien.

samedi 14 septembre 2013

Dubois dehors !



Stupeur ce matin en voyant la une de L'Aisne Nouvelle : "Quand PS et FN fricotent à Bohain". Première réaction, avant lecture : la presse exagère. Deuxième réaction, après lecture : la presse a raison. C'est terrible : les faits sont là, têtus comme disait Lénine, les paroles sont entre guillemets, réellement prononcées, et inacceptables quand on est de gauche.

Les faits d'abord : Jean-Marie Dubois est maire-adjoint à la sécurité dans la ville de Bohain, dont le maire est mon camarade Jean-Louis Bricout, socialiste et parlementaire, auparavant conseiller régional et assistant parlementaire de Jean-Pierre Balligand. Autant dire pas n'importe qui, un poids lourd dans la maison. Dubois, qui a été élu en 2008 sur la liste d'union de la gauche, a déclaré par deux fois à la presse vouloir conduire une liste FN aux prochaines élections municipales. Un propos en l'air, une pensée sans conséquence ? Non, quand on est élu et qu'on s'exprime devant un journaliste, on est conscient de ce qu'on dit. Voilà les faits, voilà le scandale.

Les paroles ensuite : Jean-Louis Bricout réagit, lisez bien, c'est consternant. "J'ai trop de respect pour Jean-Marie pour ne pas le conserver". Respect pour un lepéniste qui dit à peine son nom, qui se fait élire sur une liste de gauche pour ensuite songer à passer à l'extrême droite ? Non, je n'ai aucun respect pour ce genre d'individu. La suite est tragi-comique : "Il fait très bien son travail, il est tolérant et démocrate. Et puis, il ne reste plus que quelques mois avant les élections ... Du moment que ses idées politiques ne transpirent pas dans son travail, ce n'est pas un souci, je ne lui en veux pas". Quand on lit ça, on a envie de se pincer, on a du mal à croire que ce soit un député socialiste qui s'exprime !

Je vous traduis la pensée de Bricout : le facho est bosseur et républicain, alors pas de problème. De toute façon, les élections, c'est pas pour maintenant, donc on attend très courageusement. Puisque Dubois ne lepénise personne autour de lui, c'est pas bien grave. Le Front de gauche, anti-FN patenté depuis la campagne présidentielle de Mélenchon, est-il plus virulent ? A peine ! Son élu à Bohain, adjoint lui aussi, Yann Rojo, a cette réaction qui vaut son pesant de cacahuètes : "Personnellement, ça me gêne. Mais c'est au maire de prendre ses responsabilités". Notez bien chaque mot : Rojo n'est pas outré, heurté, choqué, scandalisé par son collègue qui vire à l'extrême droite ; non, il est simplement "gêné", comme quand on a un petit caillou dans sa chaussure, rien de plus. Appréciez aussi le "personnellement", comme si son avis était d'ordre privé, pas politique. Enfin, admirez son sens du courage : il refile la patate chaude à Bricout, en disant que c'est à lui de décider !

Dans cette pénible et pathétique affaire, où il faut avoir le coeur bien accroché quand on est socialiste, j'ai l'impression qu'ils se tiennent tous par la barbichette et que c'est maintenant la grande conjuration des carpes qui va tenir bon jusqu'à l'élection. Si Jean-Louis Bricout était un socialiste digne de ce nom et un parlementaire à la hauteur, il retirerait immédiatement sa délégation à Dubois et le sommerait de choisir : se rétracter ou démissionner. Mais non, il va faire ce qu'il y a de pire en politique : attendre ... Qui sait s'il ne va pas se retourner contre la presse, l'accusant d'avoir déformé ses propos et monté l'affaire en épingle ? Tactique bien connue et pas très digne là non plus ...

Au-delà de Bohain, l'affaire est politiquement dramatique. Nous assistons, dans toute la France, à une montée du FN, confirmée par les études, les sondages et les élections partielles. Pour les élections municipales, Marine Le Pen va faire son sale marché jusque dans les rangs de la gauche. Elle cherche à en débaucher des élus ou des représentants pour se donner bon teint, apparence respectable. Culturellement, c'est l'émergence d'un lepénisme désidéologisé, pépère, copain copain, à la bonne franquette mais néanmoins dangereux, beaucoup plus dangereux que le lepénisme originel du père. Dubois à Bohain, c'est de cette eau-là. Je fais être très attentif à la suite, j'espère que ma fédération va très vite réagir et demander à Bricout de rejoindre la ligne qui est collectivement la nôtre et dont il n'aurait jamais dû s'écarter.

Je veux ajouter, pour terminer et pour préciser, que j'apprécie humainement Jean-Louis Bricout, que c'est un garçon sympathique, un bon député et un maire travailleur. Mais là, en tant que militant, je ne peux pas laisser passer. Car il se trouve que contrairement à Yann Rojo, je ne réagis pas "personnellement" mais politiquement. Et je prie pour que les médias nationaux ne s'emparent pas de cette lamentable affaire, qui pourrait nous faire alors très mal.

vendredi 13 septembre 2013

Plus ou moins sectaire



Il y avait la théorie du "mieux disant" ; il y a maintenant celle du "moins sectaire" : entre un PS et un FN, le pire n'est pas celui qu'on croit, mais le moins sectaire des deux. C'est la théorie établie récemment par François Fillon, en rupture avec la position traditionnelle de la droite, le "ni ni" : au second tour, on choisit de ne pas choisir. Cette théorie était déjà, à mes yeux, inacceptable : on ne mélange pas les torchons et les serviettes, le FN et le PS. Mais le propos de Fillon est extrêmement grave : il ouvre la porte à des soutiens UMP au FN, ce qui est complètement nouveau (jusqu'à présent, ce genre de situation était purement accidentel, marginal et vite condamné par l'UMP ; désormais, je ne vois pas comment, après les déclarations de Fillon, le parti pourra les sanctionner).

La formule de Fillon est d'autant plus contestable et dangereuse qu'elle n'est pas rigoureusement politique : être "sectaire", c'est un état d'esprit, une disposition psychologique ; ce n'est pas une doctrine. On ne juge pas un candidat, on ne choisit pas de le soutenir ou non à partir de son tempérament mais de son projet, de ses idées. Il y a des gens très doux, très ouverts, apparemment tolérants, qui défendent des idées très dures, fermées, en réalité intolérantes. A l'inverse, il y a des mentalités obtues, agressives, emportées, qui soutiennent des programmes et des mesures très modérés. Les vertus personnelles ne sont pas des critères de choix politique.

Dans un parti politique, quel qu'il soit, il est vain et maladroit de vouloir distinguer les bons et les méchants : de même qu'il n'y a pas de bons et de mauvais socialistes, de gentils et et de méchants UMP, il n'y a pas des FN plus sectaires et des FN moins sectaires. Ces distinctions ont peut-être une valeur et une signification dans les jeux internes à chaque parti ; mais le regard de l'électeur ne fait pas de distinction : quoi qu'on dise, il vote généralement pour une étiquette, pas pour une tête, sectaire ou pas. La position de François Fillon est par conséquent un leurre.

Fillon n'est pourtant pas un idiot. Tout ce que je viens d'écrire, il le sait mieux que moi. Mais il a une préoccupation électorale : récupérer les voix de l'extrême droite, ne pas brusquer ni braquer ses électeurs. Or, on n'attire pas les mouches (surtout ces-là) avec du vinaigre. Le possible candidat FN "moins sectaire", c'est le petit cadeau offert à Le Pen, pour l'amadouer (je ne suis pas sûr que ça marchera). Je ne suis pas surpris de ce choix tactique de Fillon ; celui-ci passe faussement pour un modéré, mais son programme économique et social révélé cet été était très à droite (j'en avais fait un billet).

Aujourd'hui, par la bouche de François Fillon, le soutien au FN est rendu possible. Au nom de quoi, demain, des alliances ne le seraient-elles pas ? S'unir à quelqu'un qui est moins sectaire qu'un autre, c'est dans l'ordre logique des choses. Quand on ouvre les vannes à moitié, rien ne peut empêcher que toute l'eau finisse par s'évacuer. Quant à moi, socialiste, mon attitude depuis dix ans a toujours été la même, j'ai moi aussi ma petite théorie, mon équation personnelle : entre un candidat républicain et un candidat non républicain, je choisis systématiquement le premier, qu'il soit de droite ou d'une gauche non socialiste.

jeudi 12 septembre 2013

La tête ou les jambes



En politique, il y a deux catégories d'individus : les meneurs et les suiveurs, la tête et les jambes. Je pensais que Paul Gironde, conseiller municipal MoDem, faisait partie de la seconde catégorie. Ce n'est pas un foudre de guerre, un militant passionné, un ambitieux forcené : ces choses-là se voient, au physique, sur le visage, dans la démarche. Pas chez lui, qui a un profil bas, tranquille, discret, modeste, le profil parfait pour qui veut suivre quelqu'un. Gironde, c'est le gars qu'on va chercher, pas celui qui s'impose. Bref, des jambes, pas une tête.

Eh bien j'ai tout faux. On a raison de dire qu'il ne faut pas se fier aux apparences, se méfier de l'eau qui dort, etc. Dans le Courrier picard d'hier, Paul Gironde abat ses cartes, dévoile son jeu : c'est une tête, pas des jambes ! Il veut devenir chef quelque part, maire ou président de l'agglomération, parce qu'il en a l'envie et les capacités, selon lui. Le sage conseiller municipal, suffisamment centriste pour ne fâcher personne et s'entendre avec tout le monde, se définit, ô surprise, comme un "ambitieux" et un "audacieux" (c'est dans le journal !). Je le prenais pour Pierre Méhaignerie ; c'est en vérité Napoléon Bonaparte.

Attention, ce n'est pas du flan, mais du sérieux : "l'élu saint-quentinois a passé son week-end à rédiger une déclaration politique de cinq pages". Cinq pages, un week-end, ce n'est pas rien. Quelle est sa motivation ? "Je veux marquer mon territoire", affirme-t-il, comme ces grands fauves qui, de leur odeur et de leur urine, tracent un pré carré dans lequel il est interdit d'entrer. Le rêve de Gironde : un jeu de chaises musicales, Xavier Bertrand au Parlement, lui à la mairie et le tour est joué. Pas mal, non ?

Sûrement, mais permettez-moi d'avoir un doute : croyez-vous que l'UMP Bertrand va laisser les clés de sa maison à un MoDem, dont le chef a contribué à la défaite présidentielle de Sarkozy ? Là, plus question de rêver, c'est non. C'est pourquoi Paul Gironde ne sera jamais maire, ni président d'agglo. Ce qui ne diminue en rien son ambition, qui est un os qu'on ronge même quand il n'y a plus de viande. Sa candidature est de positionnement : ce n'est pas pour marquer un territoire qui n'existe pas, c'est pour se faire remarquer, c'est pour "exister", comme on dit bizarrement en politique. Gironde veut en être, de la liste, il sait que les places seront chères, il prend les devants, il essaie de se rendre "incontournable", comme on dit aussi en politique. Et il veut entraîner du monde dans ses bagages (être seul fait toujours mauvais effet, on donne l'impression de ne travailler que pour soi). "Je n'ai pas le péché de gourmandise", prévient-il. Paul Gironde veut seulement proposer trois ou quatre personnes de son choix qui le suivent (puisque c'est un meneur) sur la liste. Trois ou quatre seulement ! Qu'est-ce que ce serait s'il était atteint du "péché de gourmandise" !

Au passage, Paul Gironde décerne un label d'"humanisme" et de "social-démocratie" à Michel Garand, la tête de liste socialiste, en le félicitant. Mais pourquoi ne le rejoint-il pas ? Un centriste, normalement, c'est à mi-chemin entre la droite et la gauche, ça peut donc autant rallier l'une que l'autre. Bayrou a voté Hollande ; pourquoi Gironde ne soutiendrait-il pas Garand ? Mais ça non plus, ça ne se fera pas : Paul Gironde a beau jouer au Napoléon Bonaparte, ce n'est pas demain qu'il franchira le pont d'Arcole, drapeau au vent et sous les balles. Je serai même tenté de croire que ses amabilités à Michel Garand sont empoisonnées, comme souvent les félicitations en politique : il s'agit de ramener à droite l'électorat de centre gauche, dont Gironde se verrait bien le représentant, laissant Garand amputé de ses deux ailes, la gauche modérée et la gauche radicale. Après ça, impossible de prendre son envol. Et puis, en politique, je me méfie des gens qui se font la bise. J'embrasse mes intimes et ma famille, pas mes camarades mâles : quand je vois deux socialistes s'embrasser, je me demande toujours qui va mordre l'autre. Sans parler de la vieille histoire de Judas, qu'il faut conserver à l'esprit.

A part ça, le Courrier picard m'apprend une nouvelle sur une autre tête, celle de Freddy Grzeziczak, qui aspire lui aussi au titre suprême de maire, au cas où le poste serait rendu vacant par la loi sur le cumul des mandats et le désistement de Xavier Bertrand. Freddy a sa maison, la droite, après avoir beaucoup déménagé dans la vie (PS, MRC, Debout la République). Mais il lui manquait un appartement, qui sont nombreux dans la maison du Père : c'est fait, c'est tout frais, les clés lui ont été remises vendredi dernier. Il s'agit du club Nouveau siècle, dont la présidence d'honneur est assurée par Xavier Bertrand. Au moins, Freddy ne sera pas dépaysé. De plus, il retrouvera son vieux compère Frédéric Alliot, qui lui aussi a beaucoup déménagé dans son existence politique. Mais l'essentiel n'est-il pas de poser ses bagages quelque part, dans le bon train ? La seule question qui vale, pour les uns et pour les autres : être la tête ou les jambes ?

mercredi 11 septembre 2013

C'est reparti



En vue de conduire la liste socialiste aux élections municipales, j'avais pris mes précautions et allégé mes activités, même si la probabilité d'être désigné n'était pas très grande. Mes camarades m'ont massivement signifié qu'ils préféraient que je reste chez moi. Je me retrouve donc avec un emploi du temps un peu moins chargé que les années précédentes. Mes activités publiques, dans le cadre associatif, reprendront ce week-end, avec trois rendez-vous auxquels je vous convie :

Vendredi, à Soissons, au Bon Coin, rue du Pot d'étain, je donnerai unne conférence-débat à 20h00, sur la philosophe Simone Weil, sa vie et sa pensée. Ce sera ma troisième intervention sur le sujet, après Cambrai et Saint-Quentin, en attendant en 2014 Laon. Cette effervescence se justifie par le 70e anniversaire de la disparition de la philosophe, doublé par ses liens avec l'Aisne : elle a enseigné à Saint-Quentin quelques mois, en 1937, et son maître, le philosophe Alain, a longtemps séjourné près de Laon (où l'on peut encore visiter sa maison).

Samedi, dans le cadre des Journées du Patrimoine, c'est dans mon établissement, le lycée Henri-Martin, à Saint-Quentin, que je vous invite à suivre ma conférence sur les élèves et les enseignants qui sont passés par le lycée et sont devenus des personnalités locales, nationales et même mondiales, en de multiples domaines, art, science, littérature, politique, sport, people, etc. Mon objectif est de montrer qu'un lycée est un lieu et un milieu de production de ce qu'on peut appeler les "élites", que c'est un passage de l'anonymat à la notoriété. Le public pourra témoigner de ses propres souvenirs. Rendez-vous à 11h00, en cour d'honneur de l'établissement (que le public pourra visiter).

Lundi prochain, à 20h00, ce sera la rentrée du ciné-philo, avec un film qui promet un débat passionné, puisque sa sortie et son sujet ont suscité la polémique : il s'agit de Hannah Arendt, de Margarethe von Trotta, sur la pensée de la philosophe concernant l'extermination des juifs pendant la Seconde guerre mondiale, Arendt étant elle-même juive. Elle a assisté au procès d'Eichmann et en a tiré toute une réflexion, sur le thème de la banalité du mal. Sa thèse qui a fait scandale : les nazis n'étaient pas des monstres et des salauds animés d'une volonté meurtrière, mais des gens très ordinaires, obéissant à leur entourage et renoncant à toute forme de pensée personnelle. A l'issue du film, j'exposerai brièvement le livre d'Hannah Arendt, Eichmann à Jérusalem, qui a servi de trame au récit, et nous pourrons en débattre.

Voilà, c'est reparti. Je n'ose pas dire : pourvu que ça dure, tant il me semble que je suis plus menacé par l'excès que par le défaut, et qu'il serait sûrement plus sage que je me recentre sur des travaux et des réflexions personnels. Mais il y a dans l'activité publique, politique (ça ne marche pas) ou associative (ça marche très bien), quelque chose qui m'enthousiasme et dont j'ai du mal à me départir.

mardi 10 septembre 2013

Pourquoi je ne manifeste pas



Ni grève, ni manifestation pour moi aujourd'hui. Pourtant, j'ai usé quand il le fallait, dans ma vie de salarié, de ce droit constitutionnel. Pourquoi pas aujourd'hui ? Levons une ambiguïté : ce n'est pas parce que le gouvernement est socialiste et que je suis socialiste, car j'ai déjà protesté contre un pouvoir de gauche, par exemple à l'époque du très contesté Claude Allègre. Mais il n'y a pas automaticité. En l'espèce, je soutiens la nouvelle réforme des retraites.

Sur ce blog, en commentaire du billet du 28 août, Marie me reprochait d'avoir manifesté avec elle il y a trois ans contre la réforme Fillon et d'applaudir aujourd'hui à la réforme Hollande-Ayrault, y voyant une contradiction. Je veux lui montrer que non. Certes, Marie est libre d'être hostile aux deux réformes, comme je suis libre d'en contester une et d'approuver l'autre. Quant à manifester ensemble, on peut fort bien le faire pour des raisons différentes, et surtout pour des solutions différentes : ça n'empêche pas les convergences ponctuelles. N'allons donc pas voir des contradictions là où il n'y en a pas.

Je vous livre mes sept raisons de ne pas manifester ce jour, libre à vous de les partager ou pas :

1- Marie aurait souhaité qu'on abroge la loi Fillon sur les retraites. Le mot d'ordre d'abrogation est chéri par l'extrême gauche et la gauche radicale. Ce n'est pas, sauf exception, dans la culture du réformisme, qui ne cherche pas tant à abroger ce que d'autres ont fait qu'à proposer des réformes nouvelles. La table rase n'est pas dans les gènes de la social-démocratie.

2- Si la réforme Fillon et la réforme Ayrault, c'était la même chose, Fillon, l'UMP et les patrons le diraient, s'en réjouiraient. Non seulement ils ne le font pas, mais ils rejettent violemment l'actuelle réforme.

3- Marie tient à la retraite à 60 ans, instaurée il y a 30 ans par la gauche. Moi aussi, j'y tiens, mais c'était il y a 30 ans, et le monde a bougé depuis. Les 60 ans, c'est l'honneur de François Hollande de les avoir rétablis, dès son arrivée à la présidence, pour ceux qui ont commencé très tôt à travailler. Mais pour tous, sans distinction, et avec une retraite à taux plein, non, ce n'est pas possible, et ce n'est pas forcément juste, quand on sait les disparités entre les métiers.

4- Ce qui me conduit à saluer cette innovation absolue dans la réforme des retraites : la prise en compte de la pénibilité. Car c'est vraiment l'esprit du système qu'il faut changer : considérer uniformément toutes les conditions de travail, se retrancher derrière la légalité de l'âge de départ, ce n'est plus une approche pertinente, tant les situations professionnelles se sont différenciées.

5- Le fond de la réforme, ne l'oublions pas, c'est d'assurer le financement et donc la pérennité du système par répartition, sans toucher au montant des pensions. La réforme Fillon ne le garantissait pas. Hollande et Ayrault ont eu le courage politique de s'attaquer au problème et de faire un choix en en écartant un autre : relever légèrement les cotisations sociales, ne pas augmenter les impôts (la CSG). J'applaudis à ce choix.

6- Quant à l'allongement de la durée de cotisation, qui sera modulé selon la pénibilité des métiers, on peut toujours, si l'on veut, le regretter dans l'abstrait. Mais concrètement, il ne me scandalise pas : on vit plus vieux, on peut travailler un peu plus longtemps. Le drame social, ce n'est pas de travailler, c'est de ne pas avoir de travail ni assez d'argent pour vivre.

7- Il y a trois ans, contre la réforme Fillon, le front syndical était uni. Pas aujourd'hui : les syndicats réformistes soutiennent la réforme, les syndicats contestataires manifestent contre elle. Ca change beaucoup de choses. Chaque point de vue est légitime. Il n'y a que les mentalités staliniennes qui raisonnent en traîtres et en héros.

Je ne cherche pas ici à convaincre Marie, ni personne d'autre. Ce blog n'est pas une officine de propagande. Je donne simplement mon avis, je l'offre à la discussion, je publie les commentaires sincères et honnêtes, dépourvus de toute malveillance personnelle, trop peu nombreux à mon goût. Mais c'est aussi le signe de notre époque et la dérive du net.

lundi 9 septembre 2013

Les leçons d'Aubenton



Je n'ai pas voulu commenter l'élection cantonale partielle qui s'est déroulée à Aubenton, en Thiérache. J'ai préféré attendre la fin du second tour, qui a eu lieu hier. En soi, ce scrutin n'était pas très intéressant, parce que sans surprise, sans grand enjeu : un canton depuis longtemps à droite, des résultats attendus, deux candidats de droite qualifiés pour le second tour, entre lesquels il n'y a pas à choisir quand on est de gauche. Pourtant, aucune élection n'est négligeable. Dès que le suffrage universel a l'occasion de s'exprimer, il faut y porter attention. A propos de ce qui s'est passé dans le canton d'Aubenton, il y a des choses à dire et des leçons à tirer.

Le parti socialiste avait décidé de ne pas présenter de candidat, contrairement à son habitude. Il n'est pas bon de rompre avec les habitudes, les électeurs ne s'y retrouvent pas. Cette décision reposait sur un principe : "le parti socialiste n'a pas vocation a être présent dans toutes les élections" (sic). Mais si ! Un parti de gouvernement, dont l'implantation est nationale, a précisément vocation à être présent partout, dès que le vote des citoyens est sollicité. Ce sont les partis minoritaires, marginaux ou qui n'aspirent pas vraiment aux responsabilités qui sélectionnent leurs élections, n'y participent pas systématiquement. Ce ne doit pas être le cas pour le parti socialiste. Aux dernières élections cantonales, à La Capelle, j'ai regretté que mon parti ne présente par exemple personne contre Frédéric Meura, qui n'est pas n'importe qui, qui est une figure de la droite.

L'autre argument pour justifier l'absence socialiste à Aubenton est dans la fatalité de l'échec : de toute façon, le candidat socialiste aurait perdu ; alors, à quoi bon se présenter ? Je suis tout à fait d'accord avec le constat, que force la réalité électorale. Mais je désapprouve la conclusion. S'il fallait que le parti socialiste ne présente de candidats que là où il est certain de gagner, sa carte électorale serait pleine de trous, en piteux état. Et puis, un canton qui n'a pas été pris n'est pas un canton imprenable. Ou alors, il faut renoncer à se battre et ne plus faire de politique. Une élection perdue prépare une élection qui peut être gagnée. Si nous renonçons à l'esprit conquérant, nous allons nous transformer en boutiquiers, en gagne-petit.

J'ai lu dans la presse locale que l'absence du PS était justifiée par un subtil calcul tacticien : permettre la victoire d'un candidat de droite centriste, beaucoup plus acceptable pour la gauche qu'un UMP pur jus. Je ne connais pas le dessous des cartes et ça ne m'intéresse pas. Ce que je sais, c'est que la gauche n'a pas à se donner ou à espérer un "bon" candidat de droite. Pour pasticher le général américain Custer qui déclarait qu' "un bon indien est un indien mort", je dirais qu'un bon candidat de droite est un candidat battu, point barre.

L'embêtant à Aubenton, c'est aussi que le candidat finalement soutenu par le PS est celui du Front de gauche, qui nationalement casse du sucre sur le dos du gouvernement chaque jour. Ce n'est pas politiquement très lisible pour l'électorat de se ranger dès le premier tour derrière ce genre de candidat. Résultat des courses : le seul représentant de la gauche, pourtant rétrogradé à la cinquième place, et dépassé par le Front national. Savez-vous ce que cette candidate du Front de gauche a eu l'audace de déclarer au soir de sa défaite ? Qu'elle avait fait "une belle campagne" et qu'elle était "satisfaite" du résultat !!! Vous allez croire que j'invente : mais non, c'est la triste et comique réalité. Franchement, le parti socialiste, qui est un parti sérieux, n'a pas à s'encombrer de gens "satisfaits" d'eux-mêmes, ne sachant pas se remettre en question ni reconnaître une défaite déplorable. Ce n'est certainement pas ainsi qu'on progresse, qu'on prépare l'avenir, à Aubenton ou ailleurs.

Lénine voulait "des Soviets partout", c'était le mot d'ordre de la révolution russe de 1917. Pour les élections municipales de 2014, je souhaite des socialistes partout, candidats dans le moindre petit village. La politique, c'est comme un bon burger au Whoopies Diner (j'ai été marqué) : il n'y a rien à jeter, rien à refuser. Mais attention aux petits estomacs !