dimanche 15 septembre 2013

Les gloires d'un lycée



A l'occasion des Journées du Patrimoine, hier soir à Saint-Quentin, les Tréteaux Errants, dont Jean Triboulloy, ont ressuscité, dans la bibliothèque municipale, un Beaumarchais plus fantomatique et hiératique que jamais (en fin de représentation, vignette 1). A la suite, au temple protestant plongé dans la pénombre, c'est la voix sonore de Jean-Pierre Leblanc qui a annoncé le spectacle du Manteau d'Arlequin, sur Bénezet et l'abolition de l'esclavage (vignette 2). Bénezet, à part une rue de la ville, c'est qui ? Un Saint-Quentinois expatrié aux Amériques et l'un des premiers militants abolitionnistes. La compagnie a rendu plaisante et humoristique l'évocation de sa vie, mais emprunte aussi de gravité et de tragique, tant les malheurs du peuple noir ont souvent été atroces.

Le matin, au lycée Henri-Martin, j'ai fait une conférence sur les personnalités qui ont fréquenté, élèves ou professeurs, l'établissement, en vue de montrer qu'un lycée est une fabrique à élites, en tout domaine, et que certains mauvais élèves peuvent aussi prétendre à la gloire ! Je ne vous refais pas intégralement la conférence (d'une heure quinze), mais pour celles et ceux qui n'ont pas pu assister (la concurrence était rude en ce samedi matin), je vous livre une petite synthèse, je m'arrête sur les noms les plus marquants :

Parmi les savants, à tout seigneur tout honneur, il faut commencer par Edouard Branly, inventeur de la TSF. A chaque fois que nous écoutons la radio, nous devrions penser au lycée Henri-Martin ! Moins connu : Francis Haraux, directeur de recherche au CNRS. Chimiste comme lui, Jacques-Emile Dubois, pionnier de la chémoinformatique (ne me demandez pas ce que c'est !), a travaillé au Commissariat à l'Energie Atomique. Le général René Amiable a fini directeur de la Poudrerie nationale (et ce n'est pas du cosmétique !). Nelly Boutinot est une figure familière, défenseur de l'environnement, vice-présidente du ROC (Rassemblement des opposants à la chasse) : à ce titre, elle a côtoyé Théodore Monod et Hubert Reeves. Consécration ultime : Nelly Boutinot a participé il y a quelques années au Grenelle de l'environnement.

Mais Henri-Martin est un lycée plus littéraire et artistique que scientifique. L'écrivain et chroniqueur Philippe Lacoche, la pianiste internationale Sabine Vatin, le dessinateur, illustrateur et jazz-man Serge Dutfoy, le conteur picard Jean-Pierre Semblat y ont fait leurs classes. Le cinéma est également bien représenté (n'oublions pas l'implantation du BTS audio-visuel). Gilbert Collet, professeur de lettres original, a marqué de nombreux élèves, à la glorieuse époque du ciné-club. Il a initié au septième art un jeune néerlandais venu faire un stage d'un an, en 1955, dans l'établissement, Paul Verhoeven, devenu depuis une star internationale, avec Robocop, Total Recall et Basic instinct. Il n'est d'ailleurs pas impossible que le fameux et sulfureux jeux de jambes de Sharon Stone dans ce dernier film ne lui ait pas été inspiré par une enseignante d'Henri-Martin, peu prudente de ses effets involontaires en dessous du bureau (je fais des recherches pour consolider cette petite thèse). Benoît Delépine, inspirateur des Guignols de l'Info et de Groland, a quitté Saint-La Croix où il n'excellait pas pour rejoindre Henri-Martin afin d'y préparer HEC. Maurice Dugowson s'est fait connaître par ses films et documentaires, mais surtout pour sa réalisation de l'émission "Droit de réponse". Vous constatez la tradition iconoclaste de mon lycée. Delphine Gleize, elle aussi, s'est fait un nom dans les milieux du cinéma, avec des films reconnus et récompensés.

Le monde des médias et du people n'est pas absent. Pierre Choquart a fondé L'Aisne Nouvelle, Hervé Brusini s'est retrouvé rédacteur en chef du journal de France 2, Pascal Brunner a enchanté les téléspectateurs avec son émission Fa Si La Chanter, Rachel Legrain-Trapani a non seulement parcouru les couloirs de sa silhouette souple et féline, mais elle est devenue la 78e Miss France.

Le lycée a donné à la France des académiciens, Paul Hazard et Gabriel Hanotaux, par ailleurs ministre des affaires étrangères. Le poète Pierre-Henri Simon a assuré la chronique littéraire du journal Le Monde. Les peintres Matisse et Ozenfant ont été des nôtres. Je n'oublie pas les sportifs, puisqu'un esprit sain doit résider dans un corps sain : Christian Pesin, footballeur professionnel, Bertrand Gamess, fondateur de la section sport études basket, à l'origine de SQBB.

Ce lycée impérial à sa création a engendré de nombreux républicains, au premier chef l'historien Henri Martin. Cet établissement laïque a hébergé François Marchandier, qui deviendra abbé et directeur de l'établissement privé catholique d'en face. Comme quoi les voies de l'enseignement républicain sont impénétrables ... Des politiques contemporains ont poussé dans la cour et les classes : René Dosière, Jean-Pierre Balligand, Jacques Braconnier, Maxime Hénoque. Henri-Martin produit des citoyens engagés, assez également répartis entre la gauche et la droite.

Je terminerais pas deux noms : Frédéric Van Rockeghem, l'actuel directeur général de la Sécurité sociale, et Ingrid Loyau-Kennet, qui est devenue une héroïne en Grande-Bretagne le 22 mai 2013, après avoir tenu tête à des terroristes et sauvé d'une mort probable plusieurs personnes. Il y a peu de femmes dans mon exposé, Henri-Martin ayant été longtemps un lycée de garçons. J'ai bien sûr une pensée pour tous ceux, anonymes, qui ont fréquenté l'établissement en réussissant dans la vie et en apportant à la société tout autant, sinon parfois plus que les gloires officielles. Je songe aux morts pour la France dont les noms figurent dans le hall d'entrée. Mais j'ai aussi en tête les générations d'aujourd'hui, où de nouvelles gloires sont probablement en gestation et demain nous surprendront.

Merci à mon cher et ancien collègue Jean-Pierre Duchemin, mémoire vivante du lycée Henri-Martin, président de l'association des anciens élèves, sans lequel cette conférence n'aurait pas pu être menée à bien.

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