jeudi 30 avril 2015

Porte-bonheur



La bibliothèque de Condren a devancé le 1er mai. Pas de muguet, mais des pensées ... sur le bonheur, puisque c'était le thème du café philo que j'avais l'honneur d'animer ce soir (vignette 1). Nous avons eu droit au café, bien sûr, et aussi, pour terminer, à une délicieuse soupe aux croûtons préparée par Carole (vignette 2). C'est ça aussi, le bonheur !

mercredi 29 avril 2015

Big-bang au PS



Le Parti socialiste débat en ce moment des quatre motions qui seront l'objet de son congrès de Poitiers en juin. On en parle peu, et c'est dommage, parce que ce sont des textes de qualité, pleins d'idées. On ne retiendra que les votes, les rivalités, les rapports de forces, et ce n'est pas ce qui peut redorer le blason terni de la politique. Le fait que ce débat soit strictement interne n'arrange rien, exacerbe au contraire les enjeux de pouvoir. Mais c'est ainsi.

Je voudrais vous parler de ces fameuses motions, sous l'angle qui m'intéresse le plus personnellement : la réorganisation du parti. Les quatre textes y font mention, mais ce sont surtout les motions C et D qui s'engagent nettement dans cette voie et font des propositions précises et pertinentes (je ne les retiens pas toutes, je n'évoque que les plus saillantes).

La motion D, présentée par Karine Berger, suggère de créer des cercles thématiques dans chaque fédération, afin d'organiser de vrais débats à l'intérieur du parti, ouverts à tous les citoyens. Aussi étonnant que cela paraisse, ce n'est pas actuellement le cas, sauf initiatives particulières et ponctuelles. N'est-ce pas pourtant le rôle élémentaire d'un parti politique dans une démocratie ? La hiérarchie du PS est composée aujourd'hui de 9 niveaux d'organisation, rien que ça ! La motion D demande à les réduire, ce qui irait en effet dans le bon sens. Elle souhaite la généralisation des primaires à toutes les élections, idée qui me tient particulièrement à coeur et qui nous éviterait bien des déconvenues dans le choix de nos candidats. Enfin, la motion D envisage d'ouvrir certaines consultations internes aux autres partis de gauche, ce qui est une bonne chose en vue de mettre fin au funeste entre soi.

La motion C, présentée par Florence Augier, propose elle aussi de généraliser la procédure des primaires ouvertes à toutes les investitures. Elle est cependant plus précise et plus insistante sur le sujet. Surtout, elle va beaucoup plus loin que la motion D en matière de réorganisation du parti, en demandant à ce que la désignation des cadres soit séparée du vote des motions. C'est une revendication que je défends depuis longtemps, qui ferait un bien fou, changerait forcément les mentalités. Je prétends même que c'est LA réforme qui transformerait en profondeur le Parti socialiste, en ferait un instrument politique efficace (ce qu'il n'est pas vraiment pour l'instant). C'est pourquoi la motion C est celle dont je me sens le plus proche, du moins pour le sujet qui concerne ce billet ; pour le reste, c'est bien sûr la motion A, social-démocrate, présentée par Jean-Christophe Cambadélis. Deux dernières idées de la motion C à noter : la possibilité pour de simples militants de déposer des contributions générales et des référendums par internet sur des sujets de politique générale.

La motion B, présentée par Christian Paul, s'engage assez peu dans la voie d'une rénovation du parti. Elle admet tout de même que "les primaires ont modernisé le Parti socialiste" et elle prône "une forme de dépassement du PS", en préconisant de transformer les sections et les fédérations en "maisons communes", dotées d'une "université populaire progressiste permanente". Ce n'est pas très précis, ça ne va pas bien loin comparé aux deux motions précédentes, mais ce qui est à souligner, c'est que le statu quo n'est pas réclamé. La motion A affiche d'ailleurs la même timidité (ou la même prudence ?), ses projets recoupent ceux de la motion B. Tout au plus insiste-t-elle sur la facilitation à adhérer ("par un clic") et la présence beaucoup plus active sur le Net (dans certaines sections et fédérations, on en est encore à l'âge de pierre ...). Ce n'est pas très audacieux, bien que ce soit très ambitieux dans les intentions, puisque cette motion en appelle à un "big-bang organisationnel". J'applaudirais à tout rompre si cette motion, qui est pourtant la mienne, nous expliquait comment !

Quoi qu'il en soit, le débat autour d'une nouvelle organisation du Parti socialiste est bel et bien lancé. Reste à savoir maintenant à quel moment il aboutira à des décisions concrètes. En tout cas, les progrès et l'implantation de l'extrême droite, la quasi élimination de certaines sections socialistes de la vie publique rendent cet aboutissement inévitable et urgent.

mardi 28 avril 2015

Les chouchous de mon coeur



Parmi les membres du gouvernement, j'ai mes deux stars, régulièrement évoqués dans ces billets : Manuel Valls et Emmanuel Macron (des prénoms qui se ressemblent et qui sont politiquement porteurs ...). Un troisième s'y ajoute maintenant : Bernard Cazeneuve.

Au début, ce n'était pas du tout l'élu de mon coeur, loin de là : il ressemblait trop à un pharmacien ou à un proviseur de lycée, pas à un ministre. Je n'aimais pas ses chemises blanches à rayures bleues, qui sont passées de mode. Et puis, tout a changé : les événements récents ont grandi ce petit homme (en politique, les petites tailles ont souvent de l'avenir, mais pas tout de suite ...). Il a désormais la tête de l'emploi : ministre de l'Intérieur. Pas facile pour lui : ses prédécesseurs étaient des stars, Sarkozy et Valls. Il en est devenu une, à son tour ! Enfin, je l'ai croisé personnellement, au dernier Salon du Livre de Paris, il s'est laissé prendre en photo par moi, avec beaucoup de complicité. J'ai trouvé qu'il avait de l'allure, de la présence. Bref, j'ai été séduit, Bernard Cazeneuve est mon nouveau chouchou.

Ne croyez pas portant que j'idolâtre tous les membres du gouvernement. Il y en a deux qui ne me plaisent pas : Harlem Désir, dont j'ai déjà dit qu'il me décevait par rapport à celui que j'ai connu il y a 30 ans. Il a mal tourné, pas bien vieilli : l'appareil lui a coupé les ailes et peut-être le reste. Incolore, inodore et sans saveur, voilà ce qu'il est devenu. Tout juste bon à être sous-chef d'un courant minoritaire au sein du PS. Un autre que je n'aime pas, que je ne trouve pas bon : c'est François Rebsamen. Ok, ministre du Travail, ce n'est pas une sinécure dans le contexte actuel. Mais ce n'est pas une raison pour être mauvais. Il s'explique mal, est gaffeur, ne convainc pas. Pourtant, il a un beau timbre de voix qui pourrait jouer en sa faveur. Mais non : quand ça ne veut pas, ça ne veut pas.

Il y a des ministres qui ne sont pas mal, mais qui me déconcertent. Najat Vallaud-Belkacem mène habilement sa barque, ou plutôt son paquebot, puisque l'Education nationale en est un sacré. Mais son sourire me déstabilise (moi qui ne souris pas volontiers). J'ai l'impression qu'au milieu d'un tremblement de terre, elle continuerait à sourire, comme si c'était de naissance. C'est peut-être une question de génération : la douceur et la jovialité des trentenaires me sont étrangères. Il y a pire, c'est Fleur Pellerin : je crois voir à chaque fois un extra-terrestre, un androïde. Ca ne préjuge pas bien sûr de ses qualités.

Avec Christiane Taubira, j'ai du mal. Pour beaucoup de mes amis de gauche, c'est une icône, d'autant qu'elle est souvent victime de la droite et de l'extrême droite, ce qui crée un réflexe de solidarité. Mais avec moi, ça ne passe pas : je la sens arrogante, je n'apprécie pas son côté aboyeur. Et puis, je suis terriblement rancunier : cette apparentée PRG qui flirte avec les frondeurs socialistes s'est présentée en 2002 contre Lionel Jospin et a contribué à sa défaite. Je n'oublie pas, parce que je sais que les individus ne changent pas. Ceci dit, respect pour son bilan et son action au gouvernement.

Marisol Touraine aussi me pose un petit problème : sur le fond, elle est très bien, mais c'est sa voix qui ne va pas, trop fluette, trop gentille. Elle ne sait pas mordre, ne défend pas de façon assez offensive sa réforme santé. Elle a de grands yeux d'enfant qui semblent découvrir le monde. Dans l'idéal, il faudrait croiser Taubira et Touraine, garder les qualités de chacune et raboter leurs défauts, en faire un androïde à la manière de Pellerin.

Deux cadors qui m'enthousiasment : Stéphane Le Foll, un vrai cowboy comme il nous en faudrait un peu plus au gouvernement et dans le parti. Dans un genre complètement différent : Michel Sapin, techno mais pas trop, politique comme il faut, clair, pédago, costaud. Enfin, j'ai gardé pour la fin les hors-catégories, les divas, les intouchables, les vaches sacrées : Ségolène Royal et Laurent Fabius, j'ai dit !

Comment ne pas évoquer aussi tous ceux que je ne connais pas, dont le nom ne me dit rien, que je ne reconnaitrais même pas si je les croisais dans la rue. Mais il leur reste encore deux ans pour devenir à leur tour des stars, des cadors, des champions, pour devenir des chouchous de mon coeur !

lundi 27 avril 2015

Objectif Région



La campagne des élections régionales a une originalité : elle a commencé avant que celle des départementales soit terminée. Ce n'est plus un train qui en cache un autre, mais qui carrément le précède ! La raison est simple : le Conseil général perd de son importance et est condamné à disparaître à terme. Les vrais pouvoirs vont se concentrer sur la Région, devenue avec la réforme territoriale une entité puissante. Nord-Picardie, c'est désormais 6 millions d'habitants. Les enjeux politiques, les solutions économiques vont se décider à ce niveau, pas dans les départements, de plus en plus guichet social.

Ces élections régionales vont être beaucoup plus passionnantes, mais aussi beaucoup plus périlleuses que les départementales. Le mode de scrutin y est plus favorable à l'extrême droite, qui va poursuivre son travail d'implantation locale. Ce sera un nouveau défi pour la gauche de lui faire face et de s'opposer. Ce sera surtout vrai dans notre région. La gauche a su résister lors du récent scrutin, parce qu'elle pouvait compter sur des sortants influents, qui ont limité les dégâts. Mais les élections régionales sont plus proches d'un scrutin national, où les particularités locales jouent beaucoup moins.

Ce sera une bataille de locomotives, la tête emportant toute la liste. La droite s'est donnée à l'unanimité un candidat redoutable, Xavier Bertrand, qui sait y faire, qui a du métier et des soutiens. Pour lui, c'est quitte ou double : il ne peut pas se permettre de perdre, c'est son destin présidentiel qui serait affecté. Marine Le Pen l'a sans doute compris pour son propre compte : elle hésite à se présenter, sachant que rater la marche, ce serait dévaler tout l'escalier. C'est aussi la preuve, s'il en fallait une, que cette femme n'a guère de courage politique : quand on est chef, on prend la tête, on ne se débine pas. Mais attendons sa décision. Elle a gros à gagner pour son parti, mais gros à perdre pour sa trajectoire personnelle.

Côté socialiste, la tête de liste Pierre de Saintignon a pris son bâton de pèlerin depuis quelques mois déjà. Ce premier adjoint à la mairie de Lille est moins connu que Le Pen et Bertrand. Mais sa candidature fait son petit bout de chemin, c'est un homme sérieux et solide qui laboure des terres de gauche. Je lui souhaite tout le succès possible.

dimanche 26 avril 2015

Changer le capitalisme



La pensée de gauche est fondamentalement une pensée du changement. Le slogan présidentiel de François Hollande l'illustrait : le changement, c'est maintenant. Mais l'idée est ancienne, fondatrice : face à une droite jugée conservatrice, traditionaliste ou réactionnaire, le thème du changement identifie toutes les gauches. Changer la société, c'est le projet initial, dès la Révolution française. Changer l'humanité, créer un homme nouveau, c'est le projet contestable et périlleux du communisme, de Moscou jusqu'au Cambodge. Dans les années 70, le Parti socialiste reprenait un slogan soixante-huitard : changer la vie. Les rocardiens, en leur temps, voulaient changer la politique et changer la gauche elle-même. La gauche, quelle que soit sa sensibilité, c'est le parti du mouvement, du progrès et du changement.

Mais il y a une chose que la gauche n'a jamais osé faire, parce que le projet lui semblait paradoxal et contradictoire avec son idéal : c'est de changer le capitalisme. Le socialisme traditionnel luttait contre celui-ci, voulait rompre avec lui, mais ne cherchait pas à le changer. La social-démocratie accepte le capitalisme, mais dans un rapport d'ignorance, d'indifférence, d'indépendance : elle laisse faire le marché, tout en développant de son côté les mécanismes étatiquse. C'est ce qu'on appelle la redistribution, l'Etat-Providence.

Aujourd'hui, le socialisme traditionnel est une nostalgie ou une simple figure d'opposition. La social-démocratie, toujours utile dans sa fonction de redistribution sociale, est parvenue à ses limites historiques, comme n'importe quel mode de production (après tout, c'est Marx qui nous apprend ça, que les marxistes proclamés servent très mal). Alors, quelle peut être, quelle doit être la nouvelle pensée de gauche ? C'est ce que le ministre de l'Economie essaie de définir dans Le Monde de ce samedi, dans une tribune qui me semble être, intellectuellement, l'énonciation d'un socialisme moderne. C'est un texte à lire, à relire, à garder sur soi pour le méditer.

Ce qui est exposé sous le titre "Retrouver l'esprit industriel du capitalisme", je serais tenté de le qualifier de social-libéralisme, si l'expression n'était devenue une formule de guerre, alimentant à gauche, jusqu'à l'intérieur même du PS, la stigmatisation des socialistes qui défendent cette ligne, qui est bien sûr celle du gouvernement. Que nous dit Macron ? Que le capitalisme change, qu'il n'est pas un monstre figé pour l'éternité, que la gauche doit accompagner, encourager, orienter ces changements, au profit des objectifs qui sont ceux de la gauche, au lieu de laisser le capitalisme livré à lui-même, à ses propres profits et souvent à son auto-destruction.

Après guerre, nous avons connu le capitalisme d'Etat, colbertiste, gaullien, le capitalisme glorieux des dites Trente Glorieuses. Ce capitalisme-là a pris fin dans les années 90. La droite gaulliste elle-même y a mis un terme, en procédant à une vague de privatisations. Le nouveau capitalisme que défend Emmanuel Macron tient en deux mots-clés, qui certes ne vont pas résonner agréablement aux oreilles d'une bonne partie de la gauche : financement et actionnariat. Mais est-ce qu'on fait de la politique pour le plaisir de ses propres oreilles ? Non, pour trouver des solutions aux problèmes, non pas tant des gens directement que de la société, de l'économie. Or, quel est le problème aujourd'hui ? Le plus petit projet qu'on met en place, y compris quand on est de gauche, nous le fait comprendre : c'est le problème du financement. Ca n'a pas toujours été le cas, et certains (je parle pour mon camp, la gauche, mais à droite aussi) continuent à penser que l'argent doit tomber, que son souci est secondaire, que "l'intendance suivra", comme disait le Général.

A ce problème du financement, Macron répond par une réforme de l'actionnariat, une nouvelle démocratie actionnariale. Notre jeune ministre de l'Economie plaît beaucoup aux dames et à quelques messieurs, mais ses propos ne sont pas très sexy. Là encore, fait-on de la politique pour séduire ? Non, mais pour réussir. Le nouveau capitalisme voulu par Emmanuel Macron, au service d'une politique de gauche, repose sur trois objectifs :

1- Inciter les Français à investir dans les entreprises, en orientant leur épargne, en développant l'actionnariat salarié grâce à une fiscalité encourageante, faire de ces salariés et de ces épargnants les détenteurs du capital productif.

2- Remobiliser les investisseurs institutionnels en vue du financement de l'économie nationale, par exemple les caisses de retraites et les entreprises d'assurance.

3- Contre un capitalisme de court terme, purement tactique, privilégiant l'intérêt immédiat, favoriser tous ceux qui s'inscrivent dans des stratégies économiques à long terme. La décision a déjà été prise d'accorder des droits de vote doubles, en assemblée générale d'entreprise, pour les actionnaires qui conservent leurs titres durant au moins deux ans. L'Etat favorise ce dispositif dans toutes les entreprises où il participe au capital, permettant aussi des minorités de blocage.

La philosophie économique de notre philosophe ministre est résumée dans l'une de ses dernières phrases : "l'économie de marché est un rapport de forces sur lequel nous avons les moyens de peser". Le social-libéralisme (je retiens ce mot un peu par provocation, comme l'extrême gauche des années 70 a fini par se dire "gauchiste" alors que le terme au départ était disqualifiant et même injurieux), c'est le libéralisme qui se donne des fins sociales. Le rapport de forces n'est plus entre les classes sociales, à la façon du socialisme traditionnel, mais entre le politique et l'économique (contrairement au libéralisme pur, qui pense que l'économie se régule d'elle-même, en réduisant l'Etat à son minimum, en pensant que l'harmonie sociale procède du capitalisme livré à lui-même). Tout ça fait penser au socialisme de production, théorisé par Dominique Strauss-Kahn il y a une dizaine d'années.

Ce précieux texte d'Emmanuel Macron, qui pourrait devenir la nouvelle table de lois du socialisme français, a au moins le mérite de faire mentir le célèbre lapsus du Bourget sur la finance comme adversaire de la gauche, devenu lui aussi une arme de guerre contre les socialistes, utilisée par leurs adversaires dans leur propre camp.

samedi 25 avril 2015

Rock d'enfer au Méphisto



Les Dustaphonics, made in London, se sont produits hier soir au Méphisto. Avant de descendre aux enfers, c'est-à-dire dans la cave du bar (vignette 1), il faut se frayer un chemin à la machette pour accéder au zinc et prendre une Troll. Il y a presque autant de monde sur le trottoir à cloper et à tchatcher qu'à l'intérieur de l'établissement. Je me demande comment on fait pour tenir tous. En bas, la musique déchire et la sueur fait le reste. Ivan Serrano à la guitare (vignette 2, à gauche) et Dan Whaley à la basse (à droite) envoient généreusement la sauce. Eric Frajiria nous achève à la batterie (vignette 3). Au milieu, une lionne ou une liane, comme vous voudrez : la chanteuse britannique Hayley Red, jolie chauve-souris, Catwoman, une bouche grande comme le tunnel sous la Manche, qui crache le feu et avale son public. En enfer, il fait trop chaud : à la fin, Hayley nous fait un léger strip, enlevant sa grosse ceinture cloutée pour libérer son ventre blanc (vignette 4). En sortant du bar, je n'ai plus de tympans et la tête dans les étoiles. Nous devons cette soirée rock à l'association Bang Bang.

vendredi 24 avril 2015

Une société en état d'alerte



J'étais tranquillement hier soir en train de regarder la télévision. J'attendais un reportage tardif sur les Hauts-de-Seine, fief de la droite, quand un bandeau en bas de l'écran est venu m'importuner. Il était question d'une petite fille enlevée, d'une camionnette blanche aperçue, d'un homme d'une quarantaine d'années. Bref, un vrai film américain. L'annonce demandait de ne surtout rien faire, mais d'appeler la gendarmerie, coordonnées à la clé. Je n'avais jamais vu ça. Mais je ne suis pas tout le temps devant ma télé. Comme c'était BFM, je me suis dit que nous étions dans le sensationnalisme qui caractérise cette chaîne : la mise en scène des malheurs du monde, avec bien sûr la morale compassionnelle, les bons sentiments qui vont avec.

J'ai changé de chaîne, mais ailleurs, sur plusieurs autres, mêmes phrases qui défilent, en boucle ou plutôt en ligne, ininterrompues, continuellement, avec l'effet obsessionnel que provoque toute répétition, surtout quand son contenu est dramatique. Même quand François Hollande est intervenu en direct sur BFMTV, du Parlement européen, nous avons eu droit au message en rouge vif, pour marquer son importance. "Alerte enlèvement", qu'il s'appelle, comme un titre de film lui aussi, américain évidemment. La morale et les bons sentiments ne doivent pas nous empêcher de réfléchir. J'ai toujours entendu dire que les témoignages spontanés et intempestifs polluaient un début d'enquête, égaraient la police sur de fausses pistes, faisaient perdre le temps précieux et décisif des premières heures. D'autant que l'alerte est lancée dans le pays entier, en direction de dizaines de millions de gens qui de toute façon ne sont pas concernés et ne peuvent rien apporter, loin qu'ils sont du méfait.

Autre question qui me titille l'esprit : cette collaboration qui me semble malséante et discutable entre la gendarmerie et les grands médias, dont le modèle est, je suppose, américain. Car jusqu'où va-t-on aller comme ça ? Une opinion obsédée par sa sécurité n'attend que ça : transformer chaque citoyen en petit policier, en petit justicier. Heureusement que c'est pour la bonne cause ! Imaginez un peu que ce soit pour la mauvaise ... Mais ce qui me préoccupe surtout dans ce système d'"alerte enlèvement", ce sont les effets produits sur le public qui regarde sa télé. Autrefois, il fallait au moins qu'un président de la République meurt pour que défilent sur nos écrans des messages exceptionnels. Aujourd'hui, tout est plus ou moins exceptionnel. Une telle alerte accrédite l'idée d'une société de tous les dangers, où les gamins peuvent se faire kidnapper au coin de la rue par des "prédateurs" (selon le vocabulaire en usage). Elle contribue à augmenter la peur qu'elle prétend diminuer. Elle caresse dans les têtes la fausse solution d'une société de surveillance mutuelle.

La notion d'alerte entre d'ailleurs de plus en plus dans notre culture, dans nos moeurs. Il y a l'alerte météo, sans doute l'ancêtre, qui passe par toutes les variations du temps : canicule, grand froid, pluie, vent, orage ... Devant notre télé, nous nous régalons de tous ces détails, de cette surprotection dont nous gratifie Maman Météo. Il y a aussi l'alerte grippe, une carte qui rougit au fur et à mesure qu'avance le front de la maladie. L'alerte allergie s'occupe de nos yeux qui piquent et de nos nez qui coulent. A la télé (toujours la télé), j'ai entendu une dame, entre deux atchoum, se plaindre du "calvaire" (sic) qu'elle subissait. Comme nous étions dans la semaine pascale, elle aurait pu aussi utiliser l'image du "chemin de croix". La morale compassionnelle s'épanche autant sur nos petits que sur nos grands malheurs. N'oublions pas l'alerte pollution et ses fameuses "particules fines" : à chaque fois que je vais à Paris, j'ai l'impression d'en avaler à pleine bolée et d'en ramener à Saint-Quentin sur mon manteau.

Ce qui est rigolo, c'est qu'on ne comprend strictement rien à toutes ces cartes d'alerte, qu'elles ne nous servent généralement à rien, mais qu'elles sont esthétiquement très réussies, un peu comme de jolis dessins d'enfants. En matière d'alerte, nous pourrions en imaginer bien d'autres dans l'avenir, et mes exemples ne sont pas limitatifs. La réaction d'alerte a donc tendance à devenir un mode de vie, un comportement éthique : compassion, précaution, alerte, tout se tient. Nos ordinateurs eux aussi bénéficient de système d'alerte électronique, pour nous prévenir. Mais de quoi, au fait ? De plein de choses plus ou moins importantes. Mais l'important n'est pas de quoi nous sommes prévenus, mais le fait d'être prévenus. Car nous voilà rassurés, même quand il n'y a pas danger. Chaque civilisation a son cri de guerre ou de joie. Le nôtre, c'est alerte !

jeudi 23 avril 2015

Aurélie Châtelain, victime



L'actualité donne le tournis. Un événement tragique en chasse un autre, les morts succèdent aux morts. Il y a eu le crash de l'A320 et ses 150 morts : on ne parle plus du copilote, on n'en sait guère plus sur ce dépressif et le sens de son geste. Il y a eu l'assassinat horrible de la petite Chloé par un vagabond, enlevée devant sa mère. Et puis sont venues les noyades de masse des migrants en méditerranée. Aux dernières nouvelles, c'est la jeune femme de Caudry, tuée par un terroriste semble-t-il insoupçonnable, se préparant à attaquer des églises. Ajoutez-y les pédophiles dans l'Education nationale et vous avez un triste tableau, complaisamment exposé sur nos écrans et nos ondes. Comment notre sensibilité ne peut-elle pas s'émousser devant cette succession de drames, qui finissent par ne plus vouloir dire grande chose à force de se multiplier ?

Pourtant, ce n'est pas à défaut de chercher à nous émouvoir : les médias radio-télévisés mettent la gomme, étalent la misère humaine, donnent la parole aux sanglots. Ce n'est plus de l'information, c'est une sorte de roman populaire à base de réalité. Après les pleurs, l'indignation et la colère sont les bienvenues, radiophoniques et télégéniques, avec le soupçon systématique sur les institutions, pour ne pas avoir à remettre en cause la nature humaine et la responsabilité individuelle. Le crash ? La compagnie aérienne a eu tort de laisser voler le pilote. Les migrants ? C'est la faute à l'Europe qui ne fait rien. Chloé ? La justice ne fait pas son travail. Le terroriste de Villejuif ? Les services de renseignement sont défaillants. Le triptyque de base, invariable, c'est : incrédulité, indignation, accusation, le tout mâtiné de morale, de psychologie et de bons sentiments.

Et quel langage ! Je prends un exemple saisissant : la jeune femme de Caudry est qualifiée de "victime collatérale". L'expression doit beaucoup plaire, puisqu'elle est reprise un peu partout. Elle est en réalité fausse et injurieuse. On ne dit pas, par décence, par délicatesse, d'une personne qui vient de disparaitre qu'elle est une "victime collatérale". Sa mort n'est pas un à côté, un accident, une bavure : c'est un drame. Elle n'est pas une victime "collatérale", mais directe. Elle n'a pas été tuée par erreur, mais volontairement. "Collatérale" : le mot fait plaisir en bouche, c'est un bonbon, mais c'est en réalité un poison. En l'employant, on atténue la violence de l'acte, on dénature celui-ci.

Savez-vous d'où vient cet étrange adjectif, parfaitement déplacé, obscène lorsqu'il s'agit d'un crime ? De nos chers Etats-Unis, bien sûr. Que serions-nous, sans eux ? C'était il y 25 ans, lors de la première guerre du Golfe. L'armée américaine a alors popularisé la notion parfaitement hypocrite de "dommages collatéraux", pour qualifier ce qu'on appelait autrefois, dans un style plus lyrique et moins administratif, les "horreurs de la guerre". Par respect pour sa mémoire, sa famille et ses proches, arrêtons ce jargon insupportable de "victime collatérale" : la vérité, c'est qu'Aurélie Châtelain est victime d'un crime, qu'elle a été assassinée.

mercredi 22 avril 2015

Les gagnants de Ciné-Jeune



Ce soir, à l'Espace Saint-Jacques, le Festival international Ciné-Jeune de l'Aisne a remis les prix de son palmarès, en présence du maire-adjoint à la Culture, du conseiller départemental, de la directrice départementale de la Cohésion sociale, du directeur-adjoint de la DRAC, de l'inspecteur d'académie et du sous-préfet :

Prix du jury de la ville : Stella, de Sanna Lenken

Prix du jury scolaire école Quentin-Barré (Saint-Quentin) : Lune et loup, de Thomas Leroux et Patrick Delage (vignette 2, à gauche Céline Ravenel et Robert Lefèvre)

Prix du jury scolaire école Bois de Breuil (Laon) : La Fontaine fait son cinéma, le corbeau et le renard, de Pascal Adant

Prix du jury européen : Le Chant de la mer, de Tomm Moore

Prix du jury option ciné (lycéens et étudiants) : Le Sens du toucher, de Jean-Charles Mbotti Malolo

Grand prix du jury jeune international (collégiens) : Le Monde de Nathan, de Morgane Matthews (vignette 1)


Bravo à tous ! Le Festival se poursuit jusqu'à vendredi.

Par les temps qui courent



Dans mon billet d'hier, je me suis planté. Les motifs qui ont conduit Xavier Bertrand et Michel Garand à s'affronter devant le tribunal n'étaient pas les bons. Mais la leçon que j'en tire reste la même : la tendance à judiciariser le débat politique est une mauvaise chose pour la démocratie. C'est en lisant le Courrier picard de ce matin que j'ai compris mon erreur, et appris quelque chose qui m'a fait tomber de haut : Michel Garand a été mis en examen en septembre dernier ! Je ne pensais pas que l'affaire était grave au point d'en arriver là. A ma connaissance, la presse n'en avait pas alors parlé. Il n'y a pas eu non plus d'information sur le sujet de la part du Parti socialiste, sous forme de riposte politique, par exemple.

Autre surprise de ma part : les raisons de la procédure engagée m'avaient complètement échappé au moment où elles ont été produites. Le litige porte d'abord sur un tract de campagne dans lequel Michel Garand accuserait Xavier Bertrand d'utiliser les services de la mairie à des fins électorales. J'avoue ne pas m'en souvenir. En tout cas, si je l'ai lu, ça ne m'a pas frappé. Ce que j'ai surtout retenu, c'est ce que j'indiquais hier : les reproches d'ordre personnel, sur le domicile et la famille. Il est aussi question, dans la plainte en diffamation, des totems de la Municipalité qui informent sur ses réalisations et qui sont installés sur la voie publique.

Ce truc-là me ramène 15 ans en arrière : pour les élections municipales de 2001, la députée socialiste Odette Grzegrzulka avait demandé aux militants de prendre en photo chaque panneau (quel boulot !), en vue d'un recours en justice, les fameux totems étant assimilables selon elle à des affiches de propagande, imputables aux comptes de campagne. Le point de vue me paraissait invraisemblable, il n'y a d'ailleurs pas eu de suites, quelqu'un doit encore avoir chez lui un bel album de photos ! Là aussi, je n'ai aucun souvenir d'une reprise de cet argument par Michel Garand durant la campagne de 2014.

Enfin, dernier grief lancé par Xavier Bertrand contre Michel Garand : celui-ci l'aurait diffamé en établissant un lien personnel entre la parution d'un sondage favorable au maire et son commanditaire. L'affaire en elle-même a déjà été jugée, et Michel Garand, qui portait alors l'accusation, débouté. C'est maintenant à Xavier Bertrand de porter le fer et de demander des explications (c'est un peu l'histoire de l'arroseur arrosé).

Que faut-il conclure de tout ça ? D'abord, que je peux me tromper, parce que je n'ai pas bonne mémoire et que je ne suis pas juriste. Ensuite, que la politique n'est pas forcément quelque chose de joli joli. Enfin, que Xavier Bertrand est quelqu'un qui ne plaisante pas avec les attaques qu'on peut porter contre lui et qu'il tient à bien le faire comprendre aux uns et aux autres. Dans mon billet d'hier, je sous-estimais les conséquences politiques : elles ne sont peut-être pas si négligeables que ça. Peut-être même ont-elles déjà commencé : car l'incompréhensible silence de Michel Garand en Conseil municipal ne serait-il pas dû à cet épée de Damoclès au dessus de sa tête ? Et puis, après avoir coupé les pattes au PS lors du dernier scrutin municipal, Xavier Bertrand ne cherche-t-il pas maintenant à lui tordre le bras, pour lui apprendre à réfléchir avant d'attaquer ? C'est possible, mais je ne veux pas me lancer dans de nouvelles supputations qui pourraient être à nouveau démenties par les faits. J'en sais assez pour me tenir éloigné de tout ça. Attendons la délibération en juin.

Une dernière chose quand même : nous vivons une drôle d'époque, où chaque personnage public doit être accompagné d'un juriste avant de faire quoi que ce soit. Moi-même, avec tout ce que j'écris chaque jour, il me faudrait peut-être un avocat. Allez savoir si à mon tour, par les temps qui courent, je ne vais pas me retrouver un jour ou l'autre devant les tribunaux ...

mardi 21 avril 2015

Bertrand et Garand au tribunal



Le maire de Saint-Quentin et le leader de l'opposition socialiste se sont affrontés aujourd'hui, devant le tribunal, par avocats interposés. C'est la deuxième fois. La première, Michel Garand avait ouvert le feu, à propos d'un sondage pendant la campagne. Il a été débouté. Cette fois-ci, c'est Xavier Bertrand qui attaquait, pour diffamation. Nous connaitrons l'issue le 2 juin. Cet affrontement est désolant, comme à chaque fois que des responsables politiques, au lieu de s'affronter sur le terrain des convictions, déplacent le combat sur le plan pénal. Je sais bien que la justice est un droit, que tout citoyen est libre d'y recourir lorsqu'il se sent lésé. Mais les élus de la République, qui ne sont pas tout à fait des citoyens comme les autres car des personnages publics, devraient autant que possible s'en abstenir et en rester au débat politique.

Lors des dernières élections municipales, Michel Garand a choisi de s'en prendre très fortement à la personne de Xavier Bertrand, lui reprochant de ne pas être domicilié à Saint-Quentin et de scolariser ses enfants dans une autre ville. Si j'avais eu quelque influence auprès de mes camarades, je n'aurais pas du tout conseillé cet angle d'attaque, qui touche à la vie privée. On peut et il faut être très offensif à l'égard Xavier Bertrand, quand on est membre et chef de l'opposition ; mais uniquement sur le plan des idées et des projets. Michel en a décidé autrement, en prenant des risques : ce genre d'attaque se retourne généralement contre ses initiateurs, elle ne rapporte pas une voix supplémentaire. Ce n'est pas ce que les électeurs attendent des candidats. De son côté, le maire de Saint-Quentin aurait pu se retenir de porter plainte. Quand on est grand vainqueur, on se montre grand seigneur : inutile de s'acharner sur l'adversaire à terre.

Je n'ai aucune idée sur le verdict, relaxe ou condamnation de Michel Garand. Mais je suis persuadé que le résultat, quel qu'il soit, n'aura aucune conséquence sur la vie politique locale, sur l'avenir de la gauche et de la droite. Le Courrier picard parle d'un "troisième tour des élections municipales", L'Aisne nouvelle d'une "valeur politique symbolique pour celui qui sortira vainqueur". Je crois surtout que c'est à cette tribune qu'est le Conseil municipal, non pas à la barre du tribunal, que se jouera la victoire ou la défaite des uns et des autres.

lundi 20 avril 2015

Hollande +



J'avoue que je ne connaissais pas l'émission Le Supplément, dont l'invité était hier François Hollande. Je ne suis pas abonné à la chaîne cryptée, ne regarde pas les Guignols, n'ai pas l'esprit Canal, ce mélange de faux sérieux et de vraie dérision. J'ai donc regardé, parce que Hollande y était, mais je n'aime toujours pas : le public haut perché, l'animatrice qui tutoie ses collaborateurs à l'antenne, l'enquête sur les tailleurs du président, il y a sûrement des gens qui apprécient ; pas moi. Politique et comique ne font pas bon ménage. A ma connaissance, c'est la première fois en France qu'un chef de l'Etat participe à ce genre d'émission, non sans risque d'ailleurs. Je trouve que François Hollande s'en est bien tiré, alors que c'était très casse-gueule.

A-t-il eu raison d'y aller ? Pour moi qui suis socialiste, Hollande a toujours raison de faire ce qu'il fait. Il en faudrait vraiment beaucoup pour que je me retrouve en désaccord avec lui. Comme nous ne sommes pas si nombreux, c'est tant mieux ! J'ai bien compris l'intérêt de participer au Supplément : pas pour informer ou débattre, mais pour communiquer, c'est-à-dire soigner son image. De ce point de vue, c'était très réussi. La communication fait partie intégrante de l'action politique : donc François Hollande a eu raison. Il s'est parfaitement adapté, en utilisant un ton badin, alternant en quelques secondes la gravité et l'humour. Quand il a haussé la voix contre le Front national, j'ai applaudi.

Comme toujours, le virus de la polémique aigüe a frappé : on a reproché au président de la République d'avoir comparé le FN d'aujourd'hui au PCF des années 70. C'est fou comme certains commentaires peuvent être malhonnêtes, tronqués ! Hollande répondait à une question sur une énigme : pourquoi des électeurs de gauche, souvent depuis des décennies, votent-ils maintenant à l'extrême droite ? La réponse de Hollande est tout à fait pertinente : c'est parce que le FN récupère un discours de gauche, antilibéral, qui était celui du PCF dans les années 70. Ce qui a changé au FN, ce n'est pas la ligne idéologique, toujours autant xénophobe, nationaliste et autoritaire : non, c'est la ligne économique, qui sous Jean-Marie Le Pen défendait les classes moyennes, le capitalisme populaire, soutenait Thatcher et Reagan, dénonçait le fiscalisme et l'étatisme. Avec Marine Le Pen, il y a eu sur tous ces points un renversement total (qui est d'ailleurs dans la tradition populiste de l'extrême droite).

François Hollande a bien pris soin, une fois ce rapprochement effectué, de distinguer le FN et le PCF, en soulignant que la grande différence était que le PCF, lui, ne faisait la chasse ni aux immigrés, ni aux pauvres. Si Hollande avait voulu vraiment être malveillant envers les communistes, il aurait rappelé cette veille de Noël 1980, à quelques mois de la présidentielle : la destruction au bulldozer d'un foyer d'immigrés, que le maire communiste de Vitry, Paul Marcieca, ne voulait plus recevoir dans sa commune. J'ai toujours estimé que c'était un acte isolé, le PCF étant un parti internationaliste, pas xénophobe. Mais l'effet politique, à l'époque, a été désastreux. Qu'on n'accuse donc pas Hollande : il n'y a encore une fois rien d'injurieux à l'égard de nos camarades communistes que de constater que le FN détourne, manipule et pervertit certaines de leurs idées.

dimanche 19 avril 2015

Ma nuit du Z



Dans le cadre du Festival international Ciné-Jeune de l'Aisne (en vignette 1, son lancement par Nao le robot, vendredi dernier), une soirée "Attaque des PsychoZombies"" était hier proposée, avec la diffusion de huit courts métrages de série Z. Z comme zinzin, zorro, zombie ? Oui, il y a un peu de tout ça dans ces petits films, mais pas zéro pour un sou ! Car ce sont de vrais bijoux, du génie à leur façon. Le pur Z nous vient des Saint-Quentinois Jérôme Lahaye (vignette 2, au micro) et François Laleu (à gauche), présentant leur "Invasion jupitérienne", un film fait à la maison, comme la bonne pâtisserie (il a eu l'honneur d'une diffusion sur Canal plus).

Nos deux réalisateurs jouent les modestes en parlant d'éloge du nanar et de quinzième degré. Bien sûr, le genre Z est parodique et bricolé, mais c'est ce qui fait son intelligence et son charme. Je vous fais le pitch : un avion se crashe près du siège du FBI, comme par hasard. Les deux pilotes prennent les commandes d'un vaisseau spatial, en route pour Jupiter, où ils découvrent un extra-terrestre de type marionnette du Muppets Show, dont l'arme fatale est un pistolet qui fait pousser les cheveux. Bon, vous l'avez compris, il faut aimer le décalé, le déjanté, le déglingué. J'aime, dans la vie comme dans la fiction. Bravo à Jérôme et François : continuez !

Les autres oeuvres valaient aussi le détour : des films d'animation très soignés, "Ceux d'en haut", d'Izù Troin, tiré de la nouvelle de Maupassant, L'Auberge ; "Portrait", de Donato Sansone, quelques minutes de déformation électronique des visages, qui fait penser aux peintures de Bacon ; "Le 3e oeil", de Jérôme Perrillat-Colomb, les mésaventures d'un enfant qui maudit le chiffre 3 ; "The Hole", de Bongsu Choi ; "Splintertime", de Rosto, esthétiquement très réussi, des zombies enchaînés dans une ambulance, roulant dans un paysage blafard qui tourne au rouge sang.

Mes deux chouchous sont des films avec comédiens. D'abord, "L'Attaque du monstre géant suceur de cerveau de l'espace", de Guillaume Rieu, qui commence comme une comédie musicale des années 60 en couleurs et qui se termine en film américain de science-fiction en noir et blanc des années 50. Le scénario est ingénieux : un poulpe énorme venu d'une autre planète s'en prend aux humains en enfonçant ses tentacules dans leur crâne, aspirant leur intelligence comme on sirote un jus d'orange à l'aide d'une paille. L'horrible bête dispose aussi d'un rayon désintégrateur dont elle se sert pour faire disparaitre notamment des vaches ! Heureusement, le professeur Quatermass, un scientifique qui ne s'en laisse pas compter, a trouvé une riposte : s'injecter un sérum radioactif, se sacrifier au monstre, qui périra en absorbant sa matière cervicale. Mais le savant a la vie sauve, l'animal s'électrocutant dans des lignes à haute tension, en poursuivant notre héros. Sauf que l'armée, de son côté, balance une bombe atomique qui tue tout le monde, en une fin tragique.

Mon autre préféré : "Nostalgic Z", de Karl Bouteiller. Un sergent ricain, ancien du Vietnam, Rambo en moins costaud, fait la chasse aux zombies dans un monde en ruines, post-apocalyptique. L'homme a deviné leur point faible : les zombies sont nostalgiques, c'est une feinte pour les attirer et les dézinguer. Par exemple, ils adorent le barbecue. Le militaire fait cuire des membres de zombies morts pour faire tomber les vivants dans le piège. Et ça marche ! Mais il y a une catégorie de zombies particulièrement redoutables, que la viande grillée ne trompe pas : ce sont les zombies traders, qu'on ne peut attraper qu'à l'odeur de la cocaïne. La dernière scène est très violente, insoutenable : un zombie trader est enfermé dans une caisse et torturé avec des dollars qui passent sous son nez. Comme quoi la série Z peut aussi avoir un contenu de critique sociale ...

Le public a quitté le CinéQuai après minuit. Bien sûr, il y avait quelques zombies parmi les spectateurs, qui se sont volontiers laissés prendre en photo (vignette 3). Mais je n'ai pas été mordu et aucun monstre ne m'a sucé le cerveau (par bonheur, puisque c'est mon outil de travail).

samedi 18 avril 2015

La politique sans pouvoir



Beaucoup de choses nuisent à la politique : la division, l'absence de leader, l'indigence d'une équipe, le manque de projet. Mais tout ça est encore rien au regard de la perte du pouvoir. La division se surmonte, le leader se trouve, une équipe se constitue, un projet n'est pas si difficile à concevoir, mais être éloigné des responsabilités est rédhibitoire. Faire de la politique et n'exercer aucun pouvoir, c'est une contradiction dans les termes. Bien sûr, pour tout parti, il y a des périodes d'opposition. Mais elles n'empêchent pas d'exercer le pouvoir localement. Sinon, l'opposition n'est tenable que si l'espoir demeure de retrouver ou de conquérir le pouvoir dans un délai raisonnable.

Toutes les pathologies que j'ai évoquées au début, touchant l'unité, le leader, l'équipe et le projet, découlent de l'éloignement du pouvoir. A la limite, il n'y a plus de politique en dehors du pouvoir : il n'y a que du témoignage, de la simple présence ou du militantisme purement idéologique. C'est moins la division qui empêche d'accéder au pouvoir que la chute du pouvoir qui entraîne la division. Humainement, quel sens peut-il y avoir à faire de la politique quand on ne décide de rien, quand on exerce aucune influence sur le cours des choses ? Autant rester chez soi à commenter l'actualité ... Politique et pouvoir sont indissociables.

Ce sont des exemples récents qui m'amènent à cette réflexion. Pendant 17 ans, les socialistes ont géré le département de l'Aisne, dans une belle unité. Bien sûr, il y a eu des tensions, parfois des départs, mais ce sont des choses inévitables. Ce qui compte, c'est que globalement, le collectif a tenu, alors même que la majorité au Conseil général était plurielle (le PS était loin d'être hégémonique). A quoi faut-il imputer ce bon fonctionnement, cette cohérence interne ? Pas fondamentalement à la conscience individuelle des membres de cette équipe, mais par le fait que le pouvoir était solidement assuré par un triptyque : Yves Daudigny, président, Philippe Mignot, directeur de cabinet et Jean-Jacques Thomas, 1er vice-président et pendant 10 ans patron de la fédération socialiste. La réalité du pouvoir départemental, c'était celle-là, qui maintenait l'ensemble. Le pouvoir tombe, l'unité éclate.

C'est le départ de Michel Potelet, ainsi justifié dans L'Aisne nouvelle : "je ne me reconnais plus du tout dans le Parti socialiste". Oui, mais pourquoi maintenant ? Et pourquoi se faire élire avec le soutien du PS et le quitter juste après ? Il y a tromperie. La vérité, c'est quand le pouvoir s'en va, tout s'en va. A la Région, c'est pareil : le président Gewerc est encore là, mais plus pour longtemps. La Picardie va être rattachée au Nord, les places dans le nouveau Conseil régional vont devenir très chères, certains élus ne le seront plus. Le pouvoir disparait, la majorité se disloque. Boulafrad, Dardenne et Fillion-Quibel, comme Potelet, ont quitté récemment le PS, tout en formant un groupe au sein du Conseil régional. Leurs raisons politiques sont futiles, mais en termes de pouvoir, ils prennent leurs marques.

Dans leur tribune du magazine Agir en Picardie, les gaillards ont ce lapsus révélateur : "le vote Front national apparait malheureusement à beaucoup de nos concitoyens comme une solution raisonnable". Drôle de phrase pour d'ex-socialistes ! La fin est du même tonneau : "nous ne nous interdisons rien pour l'avenir et nous nous déterminerons en notre âme et conscience". Que ces types ne s'interdisent rien, absolument rien, qu'ils soient prêts à tout, ça je n'en doute pas, et ils l'ont prouvé. Qu'ils aient une âme, je n'en doute pas non plus, nous en avons tous une. Mais qu'ils soit dotés de conscience, je n'irai pas jusque-là. Quand on perd le pouvoir, on perd aussi la boussole.

vendredi 17 avril 2015

Républicains et Démocrates



L'UMP va changer de nom et s'appeler Les Républicains. Tout de suite, une polémique s'est enclenchée (ainsi va notre société, atteinte de polémique aigüe) : les plaignants ont protesté d'une captation d'héritage, la République étant le bien de (presque) tous. Je comprends le raisonnement, mais je n'y adhère pas, parce qu'il est purement formel (le symptôme principal de la polémique aigüe est son formalisme) : le nom n'est pas à prendre au pied de la lettre, c'est le contenu qui importe.

Il y a une trentaine d'années, François Léotard dirigeait le Parti républicain et Michel Jobert le Mouvement des Démocrates. Personne alors ne leur faisait le procès de monopoliser, et l'un la République, et l'autre la démocratie. Qu'il faille aujourd'hui s'expliquer là-dessus, et même se défendre, est une nouvelle preuve que les querelles de mots ont remplacé les débats d'idées. A vrai dire, je me moque de savoir comment le premier parti de droite en France se nomme, et tout le monde devrait aussi s'en moquer : l'essentiel, c'est de connaître son programme, et quand on est de gauche, de l'étudier pour le combattre.

En revanche, je m'étonne que les commentateurs n'expliquent pas assez que ce changement de dénomination signe un échec politique de la droite : celui de son union. Quand l'UMP a été créée il y a une dizaine d'années, elle marquait une évolution historique : jusque-là, et depuis les débuts de la Ve République, la droite était divisée entre les gaullistes et les centristes, avec parfois des tensions extrêmement fortes entre les deux. L'Union pour un Mouvement Populaire avait pour objectif de mettre un terme à cette division, de constituer un grand parti rassemblant toutes les droites (républicaines). L'entreprise n'aura duré que quelques années. Sous le changement de nom, c'est surtout cet échec qui est à souligner.

Personnellement, vu de l'autre rive, ce nom de Républicains me convient plutôt, puisqu'il renvoie essentiellement aux Républicains américains : l'adversaire est ainsi idéologiquement défini, et la référence outre-atlantique est révélatrice du post-gaullisme (déjà ancien) de la droite française. Si l'UMP s'était désormais appelée Le Rassemblement, comme il en avait été question, j'aurais été plus embêté, parce que c'est un terme politiquement moins chargé, plus neutre, ou qui renvoie à l'héritage gaulliste, perçu positivement par une majorité de Français.

La droite fait peau neuve, très bien. Et si la gauche en profitait pour s'y mettre aussi ? Nous aurions quelques sérieuses raisons politiques de le faire. D'abord, le Parti socialiste ne peut plus rester en l'état, il doit changer de mode d'organisation : ses dirigeants le savent, mais la base renâcle et les courants, c'est-à-dire les clientèles, s'inquiètent. "L'élargissement" du parti, suggéré récemment par son premier secrétaire, oblige à un dépassement de sa forme actuelle. Il nous faut accueillir d'autres sensibilités que socialistes, devenir la maison de tous les réformistes. C'est pourquoi l'identité socialiste est insuffisante, restrictive.

Un autre nom est à trouver : parti social-démocrate serait idéologiquement le meilleur choix, le plus conforme à ce qu'est la gauche d'aujourd'hui. Mais on ne peut pas non plus la réduire à la social-démocratie (il y a aussi, par exemple, le courant écologiste). Dans l'idéal, pour la clarté des choses, j'aimerais que la vie politique nationale se calque sur ce qui se passe à peu prêt partout ailleurs en Europe : les conservateurs d'un côté, les progressistes de l'autre. Mais puisque c'est le modèle américain qui semble l'emporter, il serait bien qu'en face des Républicains, nous ayons les Démocrates.

Le Parti démocrate américain est sans doute, dans ses structures, le plus proche de ce que le PS français pourrait devenir : une fédération de plusieurs sensibilités. Il sera difficile, sinon impossible, de transformer le Parti socialiste en véritable organisation social-démocrate : l'histoire syndicale et politique de notre pays est un frein. Les Démocrates contre les Républicains, ça me va bien ! Manuel Valls, qui est en avance sur beaucoup de choses, n'avait-il pas souhaité un changement de nom du PS il y a quelques années ?

jeudi 16 avril 2015

Honte à tous



Le 30 octobre dernier, sur ce blog, j'intitulais mon billet : "Défense de Lepaon". Le secrétaire général de la CGT était traîné dans la boue, un peu partout et par tous, à base de rumeurs, de règlements de compte internes, de démagogie ambiante et d'anti-syndicalisme traditionnel. C'était la curée, le lynchage, une polémique comme notre société désormais en raffole : un mélange de vie privée, de haut dirigeant, d'argent et d'appartement soi-disant somptueux. Des incertitudes, des approximations, la présomption d'innocence bafouée, le respect des personnes ignoré, l'étalage médiatique : c'est monnaie courante et c'est détestable.

Dès le début, j'ai pris la défense de Thierry Lepaon, sans réserve. Non pas que je sois plus malin qu'un autre ou plus informé ; mais j'ai quelques idées simples qui guident ma réflexion : ce n'est pas à la CGT, ni à sa base, ni à son sommet, qu'on s'enrichit ; quand on est leader du premier syndicat de France, il est normal de bénéficier de la reconnaissance matérielle qui va avec. J'aurais aimé, il y a six mois, que toute la gauche soutienne, en bloc, Thierry Lepaon. Même mon héros, Manuel Valls, n'a pas eu la réaction qu'il fallait : il a botté en touche en rappelant le devoir d'exemplarité, sous-entendant ainsi que le cégétiste avait quelque chose à se reprocher.

Aujourd'hui, nous avons appris que ces accusations étaient infondées, que Lepaon ignorait le montant des travaux de son appartement, qu'il n'y a eu aucun abus personnel. Sauf que le mal est fait, que le secrétaire général a dû démissionner alors qu'il n'était pour rien dans cette affaire. C'est particulièrement scandaleux. Et tout ça au nom de quoi ? D'une prétendue morale, qui donne des leçons sur la vie qu'on doit mener et le logement qu'il faut habiter, sa taille, son prix, son quartier.

Autrefois, la morale était le travail des curés. Mais depuis que ceux-ci ont disparu, qu'il faut aller les chercher en Afrique, tout un chacun se sent un peu curé et sermonne à qui mieux mieux. Ce n'est pas Robespierre, mais c'est quand même la dictature de la vertu, le mensonge en plus. Honte à tous ceux qui ont chargé Thierry Lepaon, honte à tous ceux qui ont commis une vraie injustice au nom d'une fausse justice.

mercredi 15 avril 2015

Alors, ce congrès ?



Entre élections départementales et élections régionales, le Parti socialiste tiendra son traditionnel congrès, début juin, à Poitiers. Je me force un peu à vous en parler, parce qu'il ne s'y passera strictement rien. Il suffit de connaître son histoire : un congrès socialiste n'a jamais changé ni même simplement infléchi la ligne d'un gouvernement de gauche. C'est d'ailleurs normal et profondément républicain : le président et l'Assemblée ont été désignés par les électeurs, mandatés par eux ; ce ne sont pas les militants d'un parti qui peuvent interférer là-dedans. Ou alors on n'est plus en Ve République. De Gaulle disait que la politique de la France ne se faisait pas à la corbeille de la Bourse ; un socialiste respectueux des institutions pourrait ajouter, à son tour, qu'elle ne se décide pas non plus à la buvette d'un congrès.

Le ralliement de Martine Aubry à la motion majoritaire sera le seul et unique événement de ce congrès. La maire de Lille, qui est une fine politique, a compris qu'il n'y avait pas d'espace ni de crédibilité pour une éventuelle contestation interne. Pourtant, elle est plus proche des frondeurs que du gouvernement. Mais elle a senti, dans les circonstances actuelles, que la fronde n'avait aucun avenir. Quand les socialistes sont au gouvernement, tous les socialistes doivent les soutenir : cette chose-là ne se discute pas. Jean-Christophe Cambadélis a eu raison, samedi dernier, lors du Conseil national du parti, de dénoncer le "sectarisme" de ceux qui refusent le rassemblement, ceux qui préfèrent rester entre eux, ceux qui ne pensent ni à la gauche ni à la France, mais aux places à prendre dans l'organigramme du parti : le congrès est fait pour eux, et n'intéressera qu'eux.

Le premier secrétaire a évoqué une idée un peu surprenante, passée inaperçue, pourtant très féconde : celle d'un "dépassement" du PS, par l'organisation et l'alliance avec d'autres forces politiques, au sein d'une sorte de "fédération". Ce projet fait écho aux intentions des écologistes pro-gouvernementaux, réunis il y a 15 jours à Paris. Le problème du PS, c'est qu'il ne peut plus rester seul. L'alliance avec le PCF et le Front de gauche est terminée. Il lui faut chercher des partenaires ailleurs, au sein d'une structure durable, pas seulement un cartel électoral. S'il y a une réflexion qui mériterait d'être abordée durant le congrès, ce serait celle-là.

Une dernière chose : le congrès de Poitiers sera d'autant plus calme que les minoritaires, dont la finalité est de se compter, se sont donnés un curieux candidat en la personne du député Christian Paul. Ce n'est pas une figure historique de l'aile gauche, il n'est pas idéologiquement bien identifié, n'a pas l'allant indispensable quand on veut impulser une dynamique et conquérir des positions. Si le but est de rassembler derrière l'image du frondeur, c'est raté : les adhérents socialistes aiment le débat politique mais privilégient la solidarité avec le gouvernement en ces temps difficiles. Paul ressemble trop à un électron libre, qui joue son propre jeu avec quelques amis à lui, qui bafoue la discipline du groupe parlementaire, qui prend le risque de faire échouer la majorité socialiste. La base n'aime pas ces jeux-là et le fera savoir au congrès.

mardi 14 avril 2015

Valls, mon héros



J'ai passé hier, devant la télé, une soirée 100% socialiste (désolé pour mes lecteurs de droite) : d'abord en regardant, sur France 3, un documentaire sur le nouveau Premier ministre, "Manuel Valls : le matador", puis, sur la même chaîne, juste après, un docu sur l'ancien, "Mon père ce Ayrault". Je n'ai rien appris que je ne sache déjà, mais c'était agréable à regarder, comme boire une bière légère quand il fait bien chaud.

Je commence par la fin, le dernier, sur Jean-Marc Ayrault. Drôle d'idée, pour un ex-Premier, de se faire interviewer en jean, par sa fille, pour causer déménagement de Matignon et autres petites préoccupations. Un bon gars, sûrement, socialiste de souche, fidèle au président, sympa et honnête, mais pas mon genre politique : trop suiveur, pas assez bagarreur. Le voir en train de nettoyer au jet d'eau son camping-car, ça veut dire quoi ? Moi, en tout cas, ça ne m'inspire pas. "Mon père ce Ayrault" ? Quel jeu de mot ! (de mot laid, de mollet ou de Guy Mollet, à vous de choisir). En tout cas, Ayrault est tout sauf un héros, encore moins mon héros. Et c'est peut-être très bien comme ça : la vie politique a besoin de Don Quichotte, mais aussi de Sancho Pança.

Et puisque nous parlons Cervantès et Grands d'Espagne, venons-en au premier documentaire de la soirée, sur Valls, formidable, mon vrai héros, celui-là. Sa politique me plaît, mais plus encore son personnage. Je l'aime comme j'aimais Mitterrand : des énergiques, des chefs, qui avancent sans se soucier du reste, qui ne suivent que ce qu'ils croient être leur vérité. Voilà comment je comprends la politique ! Mitterrand était un aigle, Valls est un taureau (et pas un matador, mon seul désaccord avec le docu). Mais pour ces rares bêtes de combat, combien la politique est-elle peuplée de piafs et de caniches !

Deux éléments me semblent à retenir de ce portrait du beau ténébreux au visage grave et au regard vif : sa cohérence idéologique en lame d'épée, le rocardisme, de sa jeunesse à aujourd'hui, alors que tant d'autres ont des parcours aussi mous et sinueux qu'un spaghetti ; son souci constant de la communication, dans des milieux de gauche souvent fermés ou réticents à cet exercice.

Ayrault est un brave, et il y a une heure pour les braves. Mais Valls est un bon, un champion, un héros, et l'heure du grand combat sonnera pour lui, bientôt ou plus tard : ollé !

lundi 13 avril 2015

Une mauvaise nouvelle



C'est un lieu commun de prétendre que la division est le pire des maux en politique. L'histoire dément pourtant ce jugement hâtif : la gauche unie échoue aux présidentielles de 1965 et de 1974, mais l'emporte en 1981, alors qu'elle était divisée comme jamais. En 1995, le RPR gagne l'élection alors qu'il est déchiré entre deux candidats issus de ses rangs, Chirac et Balladur. En 1999, le Front national perd la moitié de ses cadres, emportés dans une scission par Bruno Mégret ; trois ans plus tard, Le Pen est qualifié pour le second tour des présidentielles et Mégret oublié. Je pourrais multiplier les exemples. Et puis, sur le fond, la division est parfaitement légitime : elle manifeste tout simplement des divergences d'opinions, qui sont normales en démocratie. C'est pourquoi il faut se méfier de la rhétorique autour de l'unité et du rassemblement.

Pourtant, la division est aussi un symptôme de crise, et nul en politique ne souhaite à loisir la cultiver. Car elle est un luxe qu'on peut s'autoriser quand on est fort. En 2002, la gauche plurielle était affaiblie et la division entre de multiples candidatures a contribué à la chute de Jospin. Dans un contexte de fragilité, un parti doit tout faire pour éviter la division. L'extrême droite aujourd'hui n'est pas dans une telle situation, mais dans une dynamique ascendante. La division affichée depuis une semaine dans la famille Le Pen ne va donc pas nuire au Front national ; au contraire, je pense qu'il va en tirer tout bénéfice.

D'abord parce que c'est une façon pour le FN de se libérer de son héritage le plus infâme, incarné par le père. Et pourtant, rien n'a changé : le programme du parti reste le même, imprégné de xénophobie, de nationalisme et d'autoritarisme. Fidèle à son slogan, Jean-Marie Le Pen n'a fait que dire tout haut ce qu'une bonne partie de ses troupes disent depuis longtemps tout bas. Mais la fille pourra continuer à laisser croire à un mensonger changement de cap.

Je vais dire quelque chose d'horrible mais de vrai (la vérité est rarement agréable) : sur TF1, la semaine dernière, Marine Le Pen a été bonne, elle a rendu convaincant son mensonge, elle s'est taillée une figure de femme politique crédible, indépendante. En termes d'image, son visage avait gagné en gravité, perdant ce sourire qu'elle a en commun avec son père, ses petites dents de rongeur, qui campent bien le facho dans l'imaginaire qu'on s'en fait, surtout à gauche. Terminé, le rire de bateleur d'estrade, qui disqualifie immédiatement tout prétendu responsable politique : le leader du FN montrait d'elle un visage posé et maîtrisé. Ca ne change rien à sa dangereuse idéologie, mais la politique est aussi faite d'images, et celle-là est redoutable d'efficacité électorale. C'est pourquoi la polémique qui agite le FN, loin de le discréditer, va sans doute le renforcer : cette affaire, contre toute apparence, est donc une très mauvaise nouvelle pour la gauche et la droite républicaine.

lundi 6 avril 2015

Interruption



Le blog sera interrompu durant cette semaine, pour raisons personnelles. Nous nous retrouverons le lundi 13 avril.

dimanche 5 avril 2015

Une bizarrerie française



L'excellent hebdomadaire Le un, original par sa pagination (une grande feuille pliée en quatre), au contenu toujours intéressant, fête son premier anniversaire, en s'interrogeant sur la gauche, ses origines, son identité, son avenir (en vignette). La tonalité est très social-démocrate : la parole est donnée, par exemple, à Michel Rocard et Pascal Lamy. La social-démocratie ! Refoulée, oubliée, interdite pendant un siècle dans la gauche française, alors qu'elle se répandait et se banalisait dans toute la gauche européenne. Même le mot de "social-démocrate" était tabou au sein du PS : ceux qui l'étaient n'osaient pas le dire ! Aujourd'hui, tout le monde l'utilise et s'en revendique, à l'exception de l'aile gauche.

L'historien Michel Winock revient sur cette bizarrerie française, ce tabou, ce non dit, dans une contribution qui est sans doute la meilleure du numéro. Il rappelle quelques paradoxes : Guy Mollet et la SFIO détestaient la social-démocratie, mais s'alliaient, sous la IVe République, aux démocrates-chrétiens ou à la droite libérale pour gouverner le pays. A côté, les sociaux-démocrates d'aujourd'hui sont beaucoup plus purs, plus exigeants, moins prompts à la compromission en matière d'alliances ! Comme quoi l'ouvriérisme et l'opportunisme se sont souvent accordés ...

Autre paradoxe énoncé par Michel Winock : "ce qui ressemblait le plus à une social-démocratie, c'était le Parti communiste [pourtant stalinien] qui, lui, formait avec la CGT et ses multiples organes associatifs, une contre-société à l'allemande". C'est que la social-démocratie est tout autant un type d'organisation qu'un discours idéologique. En France, depuis 30 ans, le PS est social-démocrate dans ses idées, mais pas dans ses structures. Tout le problème à résoudre est là, et pas dans un débat théorique entre réformistes et révolutionnaires, qui a été tranché depuis bien longtemps.

L'existence d'une aile gauche anti-social-démocrate n'y change rien : elle est condamnée à la minorité, au rôle de poil à gratter. Ce n'est pas avec ça qu'on fait une politique. C'est pourquoi, très souvent sur ce blog, j'aborde la question de l'organisation du parti, sa transformation, qui est pour moi la clé de tout, d'autant que le mouvement de rénovation est en marche depuis plusieurs années, mais ne va pas assez loin.

Michel Winock revient sur le cas personnel de François Mitterrand, père fondateur du Parti socialiste actuel (l'historien vient d'en publier une nouvelle biographie). S'il n'était pas social-démocrate, c'est par indifférence des questions idéologiques, tout concentré qu'il était sur les considérations tactiques et la prise de pouvoir. Mais, une fois parvenu à la tête de l'Etat, il s'est plié sans problème à la pratique social-démocrate. Disons qu'il faisait de la social-démocratie, mais sans sociaux-démocrates !

Ce qui a fait mal, encore aujourd'hui, ce sont certaines paroles trompeuses, opportunistes, tactiques, comme cette fameuse, prononcée le 11 juin 1971 à la tribune du congrès d'Epinay : "celui qui n'accepte pas la rupture avec la société capitaliste, celui-là, je le dis, il ne peut pas être adhérent du Parti socialiste". Pour mettre une salle dans sa poche, il n'y a pas mieux ; pour gouverner un pays, il n'y a pas pire (sauf quand on s'appelle Lénine, mais ce n'était ni le nom ni l'intention de Mitterrand). La radicalisation conduit forcément à la déception, puis à l'échec. Si on appliquait aujourd'hui la définition de Mitterrand, il n'y aurait plus grand monde au Parti socialiste ...

Même bad trip au Bourget, en 2012, lorsque François Hollande sort cette formule qu'on lui ressortira désormais toute sa vie : "mon véritable adversaire, c'est le monde de la finance", stupidité qu'un homme de gauche pouvait facilement éviter, en proclamant que son adversaire c'était le chômage, l'injustice, la pauvreté : il n'en aurait été pas moins homme de gauche pour autant, mais plus réaliste, plus crédible, moins démagogue.

Michel Winock termine l'entretien sur le qualificatif de social-libéral, qu'on adresse souvent à la politique du gouvernement, plus particulièrement à celle d'Emmanuel Macron. Il n'y voit pas de grande différence théorique avec la social-démocratie : dans les deux cas, c'est un socialisme qui s'accorde avec l'économie de marché. Ce que je pense, c'est que l'épithète social-démocrate, qui servait autrefois à insulter un socialiste français, a été remplacé aujourd'hui par social-libéral, depuis que la social-démocratie a cessé d'être un terme polémique et disqualifiant. Quand social-libéral aura reçu à son tour une acception positive, les adversaires des socialistes, de l'extérieur ou de l'intérieur du parti, auront d'autres expressions en réserve : social-traitre ou social-fasciste, par exemple. L'Histoire repasse les plats, même quand ils sont refroidis.

samedi 4 avril 2015

Une nouvelle maison pour la gauche réformiste



Vous souvenez-vous de l'état de la gauche socialiste à la fin des années 60 ? Simple : c'était l'état de la gauche aujourd'hui. Son premier parti, la SFIO, équivalent de notre PS, était un appareil d'élus, visant surtout à préserver des pouvoirs locaux. Il n'était plus trop en phase avec la société. L'extrême gauche était alors florissante, comme de nos jours l'extrême droite. En dehors du vieux parti socialiste incapable de se rénover, une multitude de clubs et de petites structures réfléchissaient à une modernisation et à une réorganisation de la gauche : le PSU de Rocard, la FGDS de Mitterrand, le club Jean-Moulin, etc. Il en est sorti, au début de la décennie suivante, un nouveau parti socialiste, en rupture avec l'ancienne SFIO.

C'est ce vers quoi nous allons aujourd'hui. C'est en tout cas mon souhait. On ne peut plus faire avec le PS tel qu'il est. C'est moins un problème d'idéologie que d'organisation, à la différence des années 60. Autre grosse différence : la gauche a désormais une culture de gouvernement qu'elle n'avait pas, ou très peu, il y a 50 ans. Enfin, dernière différence, et non des moindres : il n'y a plus un parti communiste puissant qui gèle une partie de l'espace politique à gauche. Tous ces éléments me font dire que la recomposition de la gauche sera plus facile et plus rapide aujourd'hui qu'autrefois.

Cette réflexion m'amène à me réjouir de la réunion qui s'est tenue cet après-midi à Paris et qui a rassemblé cinq formations écologistes : EELV, Génération écologie, Mouvement écologiste indépendant (Antoine Waechter), Cap 21 (Corinne Lepage), Front démocrate (Jean-Luc Bennahmias). Objectif : se rapprocher du gouvernement, réfléchir à une structure commune. Daniel Cohn-Bendit, au Parisien, va dans ce sens : ne pas multiplier les candidatures à gauche lors de la prochaine présidentielle, ne pas rééditer le 21 avril 2002 (pour l'instant, on y va).

Dans Libération, Placé regrette de ne pas avoir soutenu la candidature présidentielle de Nicolas Hulot, souhaite un retour des écolos au gouvernement, critique le rapprochement d'EELV et du Front de gauche, fustige la division à gauche. Enfin une écologie responsable et raisonnable ! Le sénateur Vert milite désormais pour la construction d'une fédération qui irait des communistes critiques (Robert Hue) aux centristes humanistes (Jean-Louis Borloo). La perspective est bien entendu très largement utopique. Mais nous avons besoin d'utopie pour avancer ! Et puis, ce qui compte, c'est la direction et le chemin, même si on n'arrive pas tout au bout. Jean-Luc Bennahmias est lui aussi partisan d'une nouvelle formation politique élargie, qui ne se limiterait pas à l'écologie. D'accord avec tout ça, depuis pas mal de temps !

J'ai noté cette phrase de Jean-Vincent Placé : "la forme parti est dépassée, décriée par les Français. A force de nous replier, nous nous retrouvons en opposition avec nos sympathisants". Le nerf du problème, pour toute la gauche, est précisément là : ses structures partisanes ne sont plus en phase avec la population, ni représentatives du peuple de gauche. Les militants sont peau de chagrin, à tous les sens du terme. Il faudrait se tourner vers le vivier des sympathisants, qui est vaste et riche. C'est à partir de lui qu'il faut recouvrer des forces et reconstruire la gauche. Du sang neuf, en quelque sorte. Le recrutement par exemple des futurs candidats aux élections et aux responsabilités devrait se faire à partir de cette base élargie. Mais c'est compliqué, parce que c'est inédit et surtout contraire à la tradition d'appareil de la gauche. Si celle-ci ne veut pas laisser sa place au Front national (c'est commencé), il faut bien qu'elle s'engage dans cette mutation, comme dans les années 60-70. La réunion des écolos aujourd'hui est une première pierre de cette nouvelle maison de la gauche réformiste.

vendredi 3 avril 2015

L'Aisne, otage du FN



L'assemblée départementale a élu hier son nouveau président, sans surprise : Nicolas Fricoteaux. J'ai souvent remarqué, en politique, que les meilleurs candidats étaient sans surprise. Leur nom est connu d'avance, ils ont déjà fait leurs preuves, la candidature fait consensus, elle devient naturelle. Quand on est obligé de chercher un candidat, de réfléchir à quelqu'un, c'est mal parti, ce sera généralement un mauvais candidat. Quand les ambitieux minaudent, quand les hésitants hésitent, quand tout le monde s'interroge ou fait semblant, quand un nom sort du chapeau au dernier moment, c'est fichu (c'est du vécu !). La droite axonaise n'a pas été soumise à ce genre de tourments : Nicolas Fricoteaux, depuis longtemps, par son enracinement local, par son positionnement politique (centriste) et surtout par ses interventions en séance (appréciées à leur valeur jusque dans les rangs de la gauche), était le seul président possible. Xavier Bertrand, pourtant de l'UMP, qui aurait pu pousser l'un des siens, l'a bien compris. Il est trop politique pour se livrer à une petite manoeuvre (Fricoteaux est UDI).

Le nouveau président n'a été élu qu'au 3e tour du scrutin, puisqu'il avait deux candidats contre lui (PS et FN). Sa majorité est relative et c'est, à mes yeux, ce qui assombrit ce début de mandat et rend fragile la suite. Le choix politique de Fricoteaux a été d'en rester à ses acquis électoraux, sans chercher à s'ouvrir, à élargir son assise. A mes yeux, il a eu tort. Yves Daudigny, avant même les résultats du second tour, avait proposé une majorité de gestion, autour des valeurs républicaines, qui aurait conduit à une entente entre droite et gauche, entre centristes et socialistes (dans l'ancienne opposition, centristes et UMP formaient des groupes distincts, actaient de leurs différences).

Avoir la majorité seulement relative, c'est ne pas avoir la majorité du tout. L'UMP pure et dure a dû renâcler à cette proposition. Je ne suis pas sûr non plus que tous les socialistes auraient été d'accord, surtout ceux qui fustigent, au niveau national, depuis toujours, tout rapprochement avec le centre, perçu (stupidement) comme une trahison. Moi, je suis pour, depuis longtemps aussi, tant au niveau local que national. Dans l'actuel contexte départemental, ce choix politique aurait été politiquement pertinent. En effet, l'extrême droite est désormais l'arbitre des grandes décisions. Elle pourra jouer des uns contre les autres, introduire du trouble dans les votes, de l'incertitude dans les résultats, obliger Fricoteaux à constamment consulter, négocier et, peut-être, se compromettre pour faire passer certains projets. Ce n'est vraiment pas la situation la plus confortable !

Le FN, qui est anti-républicain, va s'en donner à coeur-joie. Bien sûr, une majorité républicaine de gestion obligeait chaque parti à surmonter ses réticences légitimes et naturelles, de travailler avec l'adversaire, mais républicain comme lui. Et puis, cette communauté de travail existe déjà : le département n'est pas un échelon électoral aussi clivant que la région ou l'Assemblée nationale. Face au Front national, pour lui faire barrage, dans un département où l'extrême droite est à un niveau très élevé, cette majorité de gestion aurait été la bienvenue.

De toute façon, l'union entre les républicains se fera forcément, sur certains dossiers. Il aurait été préférable qu'elle soit notifiée par un contrat en bonne et due forme. A défaut, je vais employer un terme très fort, mais qui ne me semble pas non plus exagéré : l'Aisne est l'otage du FN ! Samir Heddar, dans son éditorial de L'Aisne nouvelle de lundi dernier, allait encore plus loin qu'une majorité de gestion, en préconisant une gouvernance de coalition, à la façon allemande, en ouvrant certaines vice-présidences à la gauche. Le social-démocrate que je suis ne peut qu'approuver. Mais Fricoteaux, tout centriste qu'il est, n'est pas social-démocrate ...

L'argument qu'on peut opposer, c'est qu'une majorité de gestion donnerait raison au slogan frontiste contre l'UMPS. Mais je ne me détermine pas par rapport au FN : sa formule doit se lire très exactement comme un rejet de la République et de ses deux grands partis de gouvernement. Voilà le sens à peine subliminal de l'UMPS. Pour le reste, chacun sait bien, objectivement, que Mitterrand et Giscard, Jospin et Chirac, Hollande et Sarkozy, la gauche et la droite, ce sont des lignes politiques différentes. Qu'il y ait des points communs, c'est normal, quand on dirige un même pays et qu'on est confronté aux mêmes difficultés : c'est même plutôt rassurant, on ne vit pas sur des planètes étrangères. Mais ça n'enlève pas les différences, qui sont très nettes. Que l'extrême droite les récuse et mette tout le monde dans le même sac pour le jeter à la rivière, c'est dans sa logique extrémiste. On ne va tout de même renoncer à une idée juste, la majorité de gestion, pour éviter de donner faussement raison au Front national !

La première décision de l'exécutif départemental a été de baisser de 10% les indemnités des élus et de réduire le nombre des vice-présidences. Pourquoi pas, ça ne mange pas de pain et ça économise un peu d'argent. Mais je me méfie de ces mesures symboliques, qui ne règlent rien au fond des problèmes de l'Aisne, qui donnent surtout raison à l'électorat le plus démagogue et le plus contestataire, car accréditant l'idée que les élus seraient trop payés. Curieusement, les conseillers départementaux du FN n'ont pas pris part au vote, qui s'est fait à l'unanimité. Il faudra s'en souvenir et le rappeler aux électeurs : la première réaction du Front national dans l'assemblée départementale aura été de se montrer indifférent à cette réduction des indemnités. Je crains que ce ne soit qu'un début, le mandat nous réservant bien d'autres surprises ...

jeudi 2 avril 2015

Le zigoto, l'infidèle, l'hypocrite et la vicieuse



Nous sommes en démocratie : on a tout à fait le droit de critiquer les socialistes, surtout quand on n'est pas socialiste. Quand on est de droite, c'est même plus qu'un droit : il y a un devoir d'opposition ! Mais quand on est socialiste, fidèle, discipliné, on défend son parti et ses convictions. Les jours de défaite, comme en ce moment, on manifeste tout particulièrement son soutien, pour ne pas rajouter de la difficulté à la difficulté.

Je suis accusé parfois d'être hollandolâtre ou gouvernementaliste : oui, je le suis, j'assume. Ca ne veut pas dire que je suis d'accord avec tout, que j'adhère aveuglement : bien sûr que non. Mais c'est une question de cohérence et d'honnêteté. Faire des risettes par devant et débiner par derrière, je n'aime pas. Ces derniers jours, nous avons eu quatre beaux exemples de faux culs :

Arnaud Montebourg : il a été ministre pendant deux ans, il critique maintenant ce qu'il a défendu et appliqué quand il était au gouvernement. Et il n'y va pas par le dos de la cuillère : la politique de Hollande est absurde, elle étouffe l'économie, elle est responsable de l'augmentation du chômage, la faute en revient aux choix faits depuis 2012. Voilà en substance ce que dit Montebourg aux Echos. Vous voyez la différence avec les critiques de l'opposition ? Moi pas (même si les solutions que propose l'ex-ministre ne sont pas les mêmes).

Il y a plus inquiétant dans ses propos, quand ils reprennent la thématique "anti-establishment" de l'extrême droite : "la classe politique est devenue dangereuse pour notre pays". Il parle aussi de "système néfaste et dangereux". Je savais qu'Arnaud Montebourg était un personnage extravagant et ridicule (le déguisement en marinière) : je sais aussi maintenant que c'est quelqu'un d'inquiétant, et même d'un peu idiot, jugez-en plutôt : "En 17 ans de vie politique, j'ai l'impression d'avoir perdu mon temps". Je crois surtout qu'il nous a fait perdre le nôtre.

Aurélie Filippetti : en août 2014, elle a quitté le gouvernement, après avoir refusé d'assumer la solidarité gouvernementale, qui est pourtant l'engagement de base quand on est ministre. Aujourd'hui, elle passe son temps médiatique à casser du sucre sur le dos de ses camarades : "le président de la République n'a pas respecté les engagements de la campagne de 2012. La ligne économique a échoué sur le plan de l'efficacité. Il faut en changer". C'est fort de café : celle qui ne tient pas ses engagements de ministre vient faire la leçon au chef de l'Etat ! Faites ce que je dis, ne faites pas ce que je fais ...

Christiane Taubira : elle flirte avec les frondeurs tout en restant au gouvernement. C'est la vieille tactique des deux fers au feu. Elle est beaucoup plus prudente, beaucoup plus maligne que Montebourg, qui est une tête brûlée : c'est qu'elle tient à garder sa place. Mais ça ne vaut guère mieux. Dans L'Obs de cette semaine, on sent qu'elle chicane, qu'elle cherche la petite bête. Les mots du gouvernement sont, selon elle, "les mots de la droite". Qu'elle aille au bout de sa pensée : derrière les mots, il y a des idées et des mesures. Si la gauche emploie les mots de la droite, c'est qu'elle est passée à droite ! Exemple donné par Taubira : le pragmatisme. Je ne savais pas que c'était un mot de droite, je l'apprends grâce à elle. Pourtant, je ne vois pas de contradiction entre le pragmatisme et l'idéal. Robespierre et Lénine étaient à la fois des idéalistes et des pragmatiques. Bref, Taubira fait une mauvaise querelle de mots. Sa seule excuse : elle est au PRG, pas au PS. Mais qui le sait ?

Martine Aubry : en 2012, elle a refusé d'assumer les responsabilités gouvernementales qu'on lui proposait. Libre à elle, même s'il est toujours mieux de participer à l'effort collectif. Mais maintenant, que veut-elle ? Elle aussi s'amuse au petit jeu du un pied dedans, un pied dehors. Mais c'est comme ça qu'on se casse la gueule ou qu'on fait des croche-pieds aux autres. Les attaques de Manuel Valls contre le FN ? "Une erreur profonde", affirme la maire de Lille. Ah bon ? Et pourquoi donc ? Qu'est-ce qui la dérange ? Moi, je pense plutôt que c'est ce qui a sauvé le PS de l'effondrement total. Mais le plus vicieux dans son petit jeu, c'est qu'elle pose un ultimatum au gouvernement : s'il n'infléchit pas sa politique, elle déposera une motion au congrès du PS, en juin. C'est consternant, indigne d'une femme d'Etat, de mélanger les affaires de la France et des manoeuvres de congrès. "La gauche passéiste, j'en suis fier", déclare Aubry, par bouffonnerie. Je ne lui fais pas dire ...

J'ai voulu dénoncer, dans ce billet, ces socialistes qui critiquent les socialistes et qui font mal au PS. Ils sont heureusement très minoritaires, nonobstant les quatre têtes d'affiche que je viens d'évoquer. Mais j'ai rendu hommage dans un précédent billet à la clairvoyance de Julien Dray, et j'ai écouté hier soir, sur RTL, le remarquable entretien avec Bertrand Delanoë, qui a eu ce mot étrange mais profond : "en ce moment, je veux être socialiste et gaulliste". Gaulliste, a-t-il expliqué, par hauteur de vue, pour ne pas réduire la politique à la baraque à frites d'un congrès (c'est moi qui rajoute). Complètement d'accord.

mercredi 1 avril 2015

Pain blanc, pain noir



Quand je me suis installé à Saint-Quentin il y a 17 ans, c'était la période faste pour le parti socialiste. L'année précédente, Odette Grzegrzulka devenait députée. Une parlementaire socialiste dans la circonscription, c'était quasiment une première (ou alors il fallait remonter très loin dans le passé). Pour le parti, localement, une ère nouvelle s'ouvrait : celle de la rénovation ! Fini les terribles divisions du passé, du sang neuf arrivait, la section recrutait à tour de bras. L'année de mon installation, en 1998, le Conseil général de l'Aisne passait à gauche, présidé par Jean-Pierre Balligand : autre tournant historique enthousiasmant ! Dans la foulée, Anne Ferreira était élue conseillère générale dans le canton centre et, un an après, devenait députée européenne. A l'époque, la section socialiste avait même un conseiller régional, en la personne de Maurice Vatin.

Certes, nous ne disposions d'aucun élu municipal, mais nous étions sûr et certain que cette anomalie de l'Histoire serait rapidement corrigée. Fréquemment, je m'entendais dire, moi qui étais un nouveau venu dans la ville : "à Saint-Quentin, c'est une fois la gauche, une fois la droite". Fort de cette logique de balancier, riche d'élus influents, je ne doutais de rien, et surtout pas de la prochaine victoire. Avec nos camarades communistes, à peu près les mêmes qu'aujourd'hui, Jean-Luc Tournay, Corinne Bécourt, tout allait bien, on se retrouvait sur la même liste pour les élections municipales. Moi aussi, j'allais bien, mieux qu'aujourd'hui en tout cas : quelques mois après avoir emménagé, j'étais désigné par mes camarades secrétaire de section, et réélu un an plus tard. La vie était belle, parce que l'espoir était grand, aussi parce que c'était la période des commencements. Quelques années plus tard, j'étais candidat socialiste dans le canton nord, contre un certain Jérôme Lavrilleux, que personne ne connaissait encore au plan national.

Les voilà donc, en résumé, mes belles années, mes jours heureux, qui l'étaient politiquement, mais aussi humainement. Bien sûr, le ciel bleu n'empêche pas les sombres nuages. Mais ils étaient, alors, si peu nombreux, en comparaison avec aujourd'hui ! Aurais-je, un seul instant, imaginé la suite, 17 ans plus tard ? Franchement non, même dans mes pires cauchemars : la perte progressive de nos élus, l'échec répété à toutes les élections locales, l'hégémonie impressionnante de la droite (qui accédait même à la notoriété nationale avec Xavier Bertrand), le retour de ce terrible passé de division que nous avions pourtant cru exorciser, la disqualification dès le premier tour, l'élimination par le Front national à trois reprises, non, ce cauchemar était inconcevable, aurait passé pour de la très mauvaise politique-fiction. Et je passe les "détails" : la perte des adhérents, les exclusions à répétition, les ralliements à la droite, les problèmes de communication, les réunions désertées, l'effacement de la vie publique ... et tout ce que par pudeur je ne révèle pas.

Au niveau départemental, fédéral dans notre jargon, la dégringolade n'a pas été aussi dramatique, mais au fil des années, j'ai vu s'éloigner, pour des raisons diverses, de fortes personnalités du parti : René Dosière, Jacques Krabal, Dominique Jourdain, qui n'ont plus leur carte. Même Jean-Pierre Balligand a perdu l'influence qu'il avait au départ. L'appareil politique s'est rétréci, resserré. Le renouvellement et le rajeunissement ont été trop limités. Il y a eu des occasions perdues, des rendez-vous manqués : je pense en particulier à Claire Le Flécher, dont la venue dans l'Aisne était pour nous tous une promesse d'avenir, même pour ceux, comme moi, qui ne partageait pas sa sensibilité. Mais elle représentait, en son temps, il y a quelques années, un espoir de rénovation, de redynamisation. Les courants, c'est bien joli, mais les personnes, leur volonté, leurs capacités, ça compte aussi, et je me demande maintenant si ça n'est pas plus important que le reste (alors que j'avais plutôt tendance jusqu'ici à privilégier l'engagement idéologique, déformation professionnelle sans doute).

Où en sommes-nous aujourd'hui ? Nous avons perdu l'Aisne et ces villes principales, nous avons un redoutable présidentiable de l'UMP dans nos murs, nous avons l'extrême droite qui nous bouffe la laine sur le dos, nous n'avons plus au Conseil général les élus qui avaient du coffre, du genre Jean-Jacques Thomas. Alors, on fait quoi ? On refait tout ! C'est la roue qui tourne, qui ne cesse pas de tourner. Après la pluie, le beau temps ; après l'hiver, le printemps : excusez-moi pour ces banalités, mais la vie en général est quelque chose de très banal.