jeudi 30 octobre 2014

Défense de Lepaon



Les attaques dont Thierry Lepaon a été la victime à propos de son appartement sont particulièrement odieuses, malhonnêtes et mensongères. Toute personne de gauche se doit de les repousser vigoureusement et de prendre la défense du secrétaire général de la CGT. Pour 6 raisons :

1- Rien dans cette affaire n'est illégal ou frauduleux : pas de détournement d'argent, aucune irrégularité, rien qui soit objectivement injuste, délictueux.

2- La décision d'acheter et de rénover l'appartement n'est même pas personnelle, ne relève pas de Thierry Lepaon lui-même, mais de son organisation, la CGT, qui lui a ainsi attribué un logement de fonction. On ne peut donc pas incriminer la personne.

3- Moralement, on ne peut pas critiquer ce choix immobilier, qui n'a rien de luxueux, de richissime : c'est un appartement tout au plus confortable et aisé. Le home cinéma et la cave à vins, c'est un fantasme de petit-bourgeois, dont les vrais riches n'ont rien à faire !

4- Quand on est le n°1 du premier syndicat de France, un certain standing est attendu et justifié. Allez voir du côté des équivalents, le chef de l'armée de terre ou le président de France 2, qui relèvent tous les deux du service public, et j'imagine assez facilement que leurs logements de fonction sont analogues, sinon supérieurs.

5- Dans cette affaire, je sens l'influence, désormais constante, de la morale puritaine, américaine, qui sous-entend qu'un leader ouvrier devrait vivre comme un ouvrier. Non, ma morale personnelle, qui n'est ni puritaine, ni américaine, pense exactement le contraire : un leader ouvrier doit vivre comme un leader, faire la nique aux bourgeois en s'appropriant leur mode d'existence. Il n'y a pas que les capitaines d'industrie, les grands manitous de la finance ou les hauts fonctionnaires qui auraient le privilège de l'aisance : un leader ouvrier, précisément parce qu'il est leader ouvrier, y a droit, le mérite. Je trouve même que Thierry Lepaon et sont organisation jouent les modestes. Il ne faut pas avoir de complexe social ! Je veux des chefs de gauche logés dans des hôtels particuliers, au milieu des plus beaux arrondissements de Paris (Vincennes, c'est encore trop populaire), avec chauffeurs et domestiques en livrée. Ma morale n'est pas celle qui estime que chacun doit rester chez soi, "et les vaches seront bien gardées". Ma morale à moi, c'est d'investir les quartiers et les moeurs bourgeois, et tant pis pour les puritains rabat-joie !

6- Derrière la prétendue exemplarité morale, qu'y a-t-il ? Une minable manipulation interne, à l'approche des élections professionnelles. On veut faire tomber Lepaon, on n'a rien trouvé dans sa vie sexuelle, il paie ses impôts comme tout le monde : ne reste plus que le logement, comme on a fait en son temps avec ce pauvre Bérégovoy, ce qui l'a mené où vous savez.

Cette polémique conforte le sentiment d'anti-syndicalisme primaire qui traverse toute une partie de l'opinion française. Son seul bénéficiaire, ce sera l'extrême droite, qui va forcément en rajouter sur l'air du "tous pourris", "tous enrichis". C'est lamentable.


Pas de billets vendredi, samedi et dimanche. Je retourne, en Ferrari, dans ma villa avec piscine, au coeur de mon Berry natal. Na !

mercredi 29 octobre 2014

La bavure des baveux



La polémique déclenchée par la mort de Rémi Fraisse prouve une fois de plus le délitement du débat public en France, qui se réduit désormais à des approximations, des images, des affects et des invectives. Preuve aura été faite aussi, s'il le fallait, que nos leaders écologistes nationaux n'ont aucune culture de gouvernement, empêchés qu'ils sont par un fond de radicalité qui nuit à leur crédibilité, qui les rend inaptes à la responsabilité d'Etat. Reprenons :

1- Le barrage : personne n'en avait entendu parler avant, nous le découvrons, et le problème qui semble aller avec. Mais un barrage, ce n'est pas une petite chose : la construction résulte d'un choix réfléchi, à l'issue d'études techniques. Et une manifestation qui dégénère tragiquement mettrait un terme à ces travaux ? Non, il n'y a rien de sérieux dans cette réaction-là, qui n'est d'ailleurs qu'une "réaction", sur l'instant, suscitée par l'émotion, la culpabilisation et la peur.

2- La grenade : elle fait partie des moyens utilisés par la police pour rétablir l'ordre quand il y a du désordre. C'est une arme légitime, contrôlée et qui n'est pas faite pour tuer. Son usage dissuasif a été attesté par l'expérience, qui est déjà ancienne. Et on va profiter de ce drame pour remettre en cause le travail indispensable des CRS, pour céder à un sentiment anti-flic qui est stupéfiant dans la bouche d'élus ou d'anciens ministres ? Non, c'est carrément malhonnête, manipulateur.

3- La violence : d'où vient-elle ? De l'Etat, de la police, des manifestants ? Non, elle vient de petits groupes d'anarchistes extrêmes, qui s'introduisent dans des protestations légitimes et légales pour casser, provoquer et viser l'Etat, leur ennemi absolu. Si ces individus n'avaient pas agi comme ils l'ont fait, comme ils le font partout où il y a ce type de conflit, Rémi Fraisse serait aujourd'hui encore en vie, les forces de l'ordre ne balançant pas des grenades pour l'esthétique du geste ou de la scène.

4- La vérité : c'est la justice, après enquête, qui la dira. Ceux qui s'en réclament ne profèrent que des mensonges : Duflot, Mamère, Bové, Batho et quelques autres. Le gouvernement a eu un comportement exemplaire : on ne joue pas avec la mort, on reste digne, silencieux, on attend les résultats de la procédure, on ne jette pas de l'huile sur le feu. Le ministre de l'Intérieur a été exemplaire dans sa défense des fonctionnaires de police, accusés sans preuves.

De "bavure", je ne sais pas s'il y a eu, et personne à l'heure qu'il est ne le sait. Mais des "baveux", ça oui, depuis quelques jours, on n'entend qu'eux, parler pour eux-mêmes, cracher sur le gouvernement et les autorités publiques. Quand on est anar, je le comprends : on a opté, non sans courage, pour une terrible philosophie de la rébellion, et les actes transgressifs qui en découlent. Mais quand on prétend appartenir à la gauche ou à l'écologie, on ne se range pas derrière les fauteurs de trouble, on ne discrédite pas la parole et les actes de l'Etat républicain.

mardi 28 octobre 2014

Déshonneur de la politique



Jusqu'où certains médias et certains politiques vont-ils rabaisser l'action publique ? L'émission annoncée sur D8, intitulée provisoirement "Monsieur et Madame Tout-le-Monde", semble toucher le fond de l'ignominie : des élus vont être grimés et déguisés pour s'immerger dans la "vraie vie" ! Ainsi, on pourra voir une ancienne ministre de la Défense en gardienne de la paix. D'autres feront les guignols en handicapé, brancardier, prof, mère divorcée. Et demain, pourquoi pas, en pute, en curé, en voleur ?

Finalement, ces personnalités n'échapperont qu'à un seul rôle : responsable politique, digne de ce nom, qu'elles sont incapables de jouer sérieusement, qui leur passe par dessus la tête. Quelle mascarade ! Honte à celles et ceux qui vont se prêter à cette bouffonnerie. Donnons les premiers noms : Mariani, Alliot-Marie, Dray, Accoyer, ... Retenez-les : ils auront des comptes à rendre, pour avoir dégradé de cette façon la fonction politique. Et mettons les choses au point, en cinq points exactement :

1- Monsieur ou Madame Tout-le-Monde, ça n'existe pas, c'est une facilité de langage, une fiction derrière laquelle on se retranche pour imposer son propre point de vue en le faisant porter par les autres, en ne l'assumant pas personnellement. Cette généralité est une imposture. Le réel, c'est la diversité des personnes et des situations. Les élus qui vont se livrer à cette pantalonnade ne vont rien apprendre, ni rien nous apprendre, sinon s'enfermer dans des cas particuliers dont ils ne pourront tirer aucune leçon universelle.

2- La vérité ne se trouve pas sur le terrain, mais dans la lecture des dossiers, la réflexion, la comparaison, la prospective, tout un travail intellectuel d'abstraction qui seul peut amener à la compréhension des problèmes et à l'élaboration de solutions. Je n'ai pas besoin de vivre dans la peau d'un chômeur pour savoir ce qu'est le chômage, ni pour y trouver des remèdes. Au contraire, le pur vécu empêche de prendre de la distance, d'envisager des alternatives : il soumet aux préjugés, aux réactions affectives, qui ne sont pas de bons conseillers en matière politique.

3- L'émission qu'on va nous proposer sera un monstre d'hypocrisie, de faux semblant. Les élus qui vont s'y compromettre n'ont pas besoin de caméras, s'ils veulent se livrer à ce genre d'expérience. Le tsar Alexandre se déguisait en simple voyageur pour mieux connaître son peuple. Mais là, sur D8, ce ne sera qu'un spectacle, fait pour ça, un simple divertissement, et non pas un souci de vérité. C'est donc une imposture sur toute la ligne. Les politiques impliqués sont des has been qui veulent retrouver à la télé une seconde jeunesse et une nouvelle carrière, en jouant les cabots. Pitoyable !

4- Un homme politique ne doit surtout pas être "Monsieur Tout-le-Monde" ! Il doit viser à une forme d'élévation, de grandeur, d'exception, et pour les plus grands, une sorte de génie. Parce que l'élu représente tout le monde, il ne peut pas être comme tout le monde : il faut qu'il soit au dessus de tout le monde pour qu'on puisse se reconnaître en lui.

5- Au-delà de la politique, il y a dans cette lamentable histoire bien de notre temps toute une morale de vie : vouloir ressembler à tout le monde, c'est le contraire de l'idée que je me fais de l'existence. Nous sommes sur cette terre pour ne ressembler à personne, mais pour être soi-même, ce qui est paradoxalement un objectif très difficile. C'est la différence, la singularité, l'originalité qui m'intéressent, pas la ressemblance, le mimétisme, la similitude, les grimaces de singe, les paroles de perroquet, les danses d'ours savant.

Une vague de clowns agressifs inquiète la France. Ce sont des fous, des voyous ou les deux à la fois, propulsés par l'usine à crétins qu'est Facebook, dont l'arrêt immédiat sur notre territoire national serait une oeuvre de salubrité publique et une réparation due à l'intelligence. Les politiques qui vont se prostituer sur D8 (ou ailleurs) sont eux aussi des clowns, certes pacifiques, mais non moins dangereux pour l'honneur même de la politique.

lundi 27 octobre 2014

Najat, bien et moins bien



Je ne regarde jamais l'émission de Ruquier le samedi soir, "on n'est pas couché" : trop long, trop tard, trop rigolard. Mais samedi dernier, j'ai regardé, à cause des vacances, peut-être. Et puis, l'invitée politique était Najat Vallaud-Belkacem : je voulais voir comment elle allait se débrouiller. Je n'ai pas été déçu : sa voix est aussi douce que sa peau, mais ses arguments sont percutants.

La journaliste à côté de Caron, dont j'ai oublié le nom, lui posait des questions idiotes (mais rien n'est plus difficile que d'apporter une réponse intelligente à une question idiote). La ministre s'en est très bien sortie. On lui demande à quoi sert d'apprendre la sécurité routière pendant les activités périscolaires ! Comme si ce n'était pas utile aux élèves ... On lui fait remarquer que depuis que la gauche est au pouvoir, il y a beaucoup de manifestations de rue ! Bin oui, un pouvoir de gauche remobilise l'électorat de droite, et vice-versa. Bref, vous voyez le genre ...

Sur les divisions internes au PS, Najat a été très bien aussi : solidarité, travail collectif, car à quoi bon appeler au rassemblement des Français si les socialistes eux-mêmes n'en sont pas capables. J'étais donc heureux de cette prestation télévisée de notre ministre de l'Education nationale, un très bon élément du gouvernement, l'un des meilleurs. Mais il y a eu la fin d'interview, par Aymeric Caron, pourtant de gauche, type écolo, journaliste cependant, c'est-à-dire curieux et questionneur.

Dès les premiers mots, j'ai senti qu'il préparait quelque chose : il a rappelé que Najat Vallaud-Belkacem était toujours conseillère générale et qu'elle émargeait à 3 000 euros par mois. Patatras ! Je me suis dit que la ministre allait s'en sortir, trouver une justification : non, elle s'est enferrée dans ses propres arguments, qui n'en étaient pas réellement.

Le cumul des mandats ? "Je suis contre en principe". Ce qui voulait dire qu'en pratique, elle n'était pas forcément contre (ah, la vieille distinction entre la théorie et la pratique !). Pour se défendre, elle a annoncé qu'elle remettrait son mandat dans quelques semaines : fort bien, mais pourquoi pas avant, pourquoi pas dès son entrée au gouvernement ? Réponse : la loi ne l'y oblige pas (il y a pourtant des tas de choses auxquelles la loi ne force pas, mais qu'il faut faire quand même, surtout quand on est un politique).

Et voilà, le tour (de Caron) était joué, le lacet s'est refermé autour du cou de la ministre : elle donnait une image fraîche et rajeunie de la politique, et elle termine en vieille roublarde de l'électoralisme, gardant au chaud un mandat parce que c'est la loi commune dans un parti d'élus, plus on dispose de mandats et plus on exerce d'influence, et mieux on est considéré. Najat n'y est pour rien, ce n'est pas elle qui a inventé le système. Et ça n'enlève rien à ses qualités et à son travail. Mais en termes d'image, pour ceux qui auront suivi l'émission, dans l'état actuel de l'opinion public, ça la fiche mal. Je le sais depuis bien longtemps : il ne faut pas que je regarde Ruquier le samedi soir.

dimanche 26 octobre 2014

Un échec honnête



Durant tout ce week-end, j'ai eu en tête la phrase prononcée par le ministre du Travail vendredi soir, à la suite de la publication des (mauvais) chiffres de l'emploi : "soyons honnêtes, c'est un échec". Echec, échec, échec, ça n'a pas cessé de résonner en moi. Et de raisonner aussi. En termes de communication, François Rebsamen aurait pu s'y prendre autrement, moins violemment. Dire, par exemple : "les chiffres ne sont pas bons, mais on essaiera de faire mieux la prochaine fois". C'aurait été tout aussi honnête, non ? Peut-être même plus honnête que sa déclaration, parce qu'une politique de l'emploi ne se juge pas sur un seul chiffre, un unique résultat, qu'il faut du temps pour l'évaluer honnêtement.

Pourquoi alors cet aveu d'échec ? Notre ministre ne serait-il pas un homme de contraste et d'excès ? Sur l'allocation-chômage, il avait tenu des propos très durs, imprudents, qui allaient trop loin. Là, c'est un peu pareil, mais dans un autre sens. Surtout, je crois qu'il a voulu contrebalancer l'échec par l'honnêteté. C'est un truc qui marche assez bien aujourd'hui : soyez francs, soyez honnêtes, et vous serez exonérés de tout ce que vous pourrez dire ou annoncer.

La rhétorique de l'aveu, venue de la culture puritaine d'Amérique, est très courue : peu importe la réussite ou l'échec, l'important est de dire les choses telles qu'elles sont, en toute vérité, honnêtement. Et quand c'est suivi d'un mea culpa, d'une confession publique de la faute, c'est encore mieux. Faites une connerie, excusez-vous juste après, et ça passe. Du coup, je me demande si l'honnêteté est bien honnête, si ce n'est pas un sentiment surjoué, du style : j'ai été honnête avec vous, ne venez pas me reprochez quoi que ce soit.

L'honnêteté, c'est une vertu essentiellement privée, de personne à personne. Ce n'est pas une vertu politique. Etre honnête, c'est une valeur morale de petit-bourgeois ; les grands seigneurs de la politique n'étaient pas spécialement honnêtes : Jules César, Louis XIV, Napoléon, De Gaulle, Mitterrand. Ce qui compte, ce sont les résultats, pas la vérité sur les résultats : on peut être fourbe, menteur ou corrompu, c'est secondaire, l'essentiel est de régler les problèmes d'une société, de diminuer les souffrances d'un peuple. Machiavel l'a dit, d'autres avant et après lui, c'est un constat historique, mais notre époque petite-bourgeoise, moralisatrice et oublieuse ne veut rien en savoir.

L'échec, donc. Et alors ? Je l'ai dit, on ne pourra en juger qu'à la fin. Et ce n'est ni vous ni moi, ni un socialiste, ni un UMP qui en jugeront : c'est le peuple appelé aux urnes, ayant à décider d'un choix entre plusieurs options possibles. A ce moment-là, on verra ce qu'on verra. En attendant, quand on est socialiste, fidélité absolue à François et à son gouvernement. C'est pourquoi je déteste Montebourg, Hamon, Filippetti, Batho, les "frondeurs" et tutti quanti, qui désertent le navire parce qu'ils en restent au présent échec, parce qu'ils refusent d'assumer le travail collectif, parce qu'ils se ménagent un petit avenir.

Pour ma part, plus Hollande et Valls échoueront, plus je leur serai fidèle. Masochisme ? Idiotie ? Non, principe de fidélité (l'honnêteté, on peut la tourner à toutes les sauces, surtout quand elle vous est avantageuse ; la fidélité, non). C'est dans l'échec qu'il faut être fidèle ; dans la réussite, c'est trop facile, ça ne demande aucun effort. Fanatisme aveugle ? Non, pas du tout : ma fidélité est raisonnée (l'honnêteté, elle, est plutôt calculée). Je suis persuadé que François Hollande au pouvoir fait de son mieux, fait tout son possible pour sortir notre pays de l'endettement et du chômage massifs, avec les idées qui sont les siennes, de gauche. Tout comme je n'ai jamais douté que Nicolas Sarkozy était animé par le même état d'esprit lorsqu'il était au pouvoir, mais avec des idées différentes, de droite. Je ne fais jamais de procès d'intention à nos hommes politiques, de quelque bord qu'ils soient.

Mais l'échec d'une politique ne vaut-elle pas tout de même condamnation ? Pour moi, non. Si Hollande, en 2017, n'a toujours pas fait reculer significativement le chômage (ce pour quoi il a été élu), je lui serai toujours fidèle, parce que je reste socialiste, pour l'éternité, quoi qu'il arrive, même dans l'échec. Parce que je crois que personne d'autres que lui n'aurait pu faire mieux, que d'autres au contraire auraient fait pire. C'est pourquoi la déception, l'insatisfaction, le regret sont des sentiments qui me sont complètement étrangers. Même en enfer, je continuerai à être socialiste, fidèle et heureux de l'être. Ceci dit, j'espère quand même que mes camarades au pouvoir vont nous apporter un petit coin de paradis, et de meilleurs chiffres de l'emploi dans les prochains mois, honnêtement ou pas.

samedi 25 octobre 2014

Zombis dans la ville



On a connu les processions religieuses, les défilés militaires, les manifestations syndicales, le carnaval ; il faut maintenant compter avec une nouvelle forme d'expression collective, de rassemblement de rue : la zombis walk. C'était cet après-midi, en centre-ville, 200 participants peut-être, beaucoup de jeunes, mais aussi des moins jeunes. Les films de zombis existent depuis la fin des années 60. Mais ce genre de démonstration, c'est inédit, la traduction d'une "culture zombi".

Les zombis saint-quentinois sont plutôt sages, pas très agressifs, relativement silencieux et ne font pas vraiment peur. Surtout, ils veillent à emprunter les passages piétons et à ne pas encombrer toute la chaussée. Il faut dire qu'ils étaient encadrés par Luc Dufour et Fabrice Leroy, qui ne sont pas eux-mêmes zombis, mais qui ont l'oeil. Devant la basilique, aucun sacrilège n'a été commis par cette troupe pourtant pas très catholique. Arrivés place de l'Hôtel-de-Ville, quelques zombis ont bien été attirés par les mariés sortant du bâtiment municipal, mais sans incident, comme s'ils étaient déjà repus.

Que signifie donc ce phénomène, qui n'est pas anodin ? Il y a un côté festif, ludique, c'est certain, mais ça ne me semble pas l'essentiel. L'influence du cinéma est secondaire, plus par prétexte. La zombis walk est sans doute une forme de transgression gentillette. Toute société en a besoin. La beauté, la religion, le mariage, la mort, la cruauté, l'épouvante, le sang, tout ça, très humain, est repris et subverti. En même temps, rien n'est sérieux : c'est un travestissement décalé, délirant et finalement bon enfant. Curieux, quand même.

Têtes de zombis



Les zombis sont affectés par des problèmes de santé, du côté de la dentition (vignette 4), de l'oeil (vignette 3) ou de la peau (vignette 1). Certains cumulent les trois (vignette 2), sans avoir l'air de s'en plaindre. Leur séjour chez les morts ne leur réussit pas.

Zombies sexy



Les adversaires des zombies dénoncent leur laideur. C'est faux ! J'ai croisé de charmantes créatures, qui ont leur beauté à elles, auquel je ne suis pas resté insensible, qu'elles soient blondes (vignette 1), rousses (vignette 2) ou brunes (vignettes 3 et 4).

Zombis à deux



Les zombis ne dédaignent pas la vie de couple. Ils sont même parfois très attachés l'un à l'autre (vignette 1). Parmi eux, j'ai eu la surprise de retrouver une ancienne élève, que j'ai probablement mal orientée (vignette 2). Une religieuse zombie, c'est assez rare, mais ça existe (vignette 3). Par deux aussi, les organisateurs de cette zombis walk, saluant les participants, des marches du théâtre (vignette 4).

Zombis entre amis



Contrairement au préjugé, les zombis ont bel et bien une vie sociale. Ce ne sont pas de pauvres hères solitaires et tourmentés. Le zombi a, la plupart du temps, un métier. J'ai ainsi rencontré un chirurgien (le sang, ça le connaît), dont l'assistant est un nain de jardin (ne me demandez pas pourquoi, vignette 1). Le zombi, lui aussi, se marie, mène une vie conjugale et invite à cette occasion tous ses amis zombis (vignette 2). Comme tout un chacun, à force de marcher, le zombi finit par se fatiguer, et donc par se reposer (vignette 3). Dans les grandes circonstances, comme cet après-midi à Saint-Quentin, le peuple zombi se rassemble (vignette 4, devant le théâtre Jean-Vilar). A l'an prochain !

vendredi 24 octobre 2014

Contrat unique de travail



J'ai retracé hier le projet de refondation idéologique que Manuel Valls propose à la gauche, en l'approuvant personnellement. Mais ce projet ne se contente pas de lignes générales, il avance quelques mesures précises et concrètes, comme le contrat unique de travail, que j'approuve aussi. Ce n'est que sur le terrain des propositions nouvelles, celle-ci ou d'autres, que le parti socialiste peut redevenir attractif et conquérant.

Aujourd'hui, que constatons-nous ? Que la multiplicité des contrats de travail, aussi complexes que les tarifs de la SNCF, rend illisible le lien entre le salarié et son employeur. Je sais bien que notre époque a tendance à tout compliquer, parfois par plaisir, rendant inextricables certains débats (voyez ce qui se passe avec la réforme des rythmes scolaires). Je suis de tempérament cartésien, je ne crois qu'à ce qui est simple et clair : ce n'est pas le cas dans l'actuelle législation entre employeurs et employés.

Il y a bien sûr la distinction de base entre CDD et CDI, contrat à durée déterminée et contrat à durée indéterminée. Mais c'est une vision essentiellement juridique : le droit du travail m'intéresse moins que la politique de l'emploi. Or, dans la situation économique qui est la nôtre (et il est à craindre que les chiffres de ce soir à nouveau ne soient pas très bons), le CDI n'est plus une garantie absolue : ce n'est plus lui qui protège du licenciement. Il faut donc relativiser la religion qu'on a organisée autour de ce contrat.

A l'inverse, l'emploi qu'on dit "précaire" ne mérite pas forcément l'opprobre. J'ai le sentiment que l'adjectif sert à discréditer n'importe quel emploi qui ne relève pas de la Fonction publique. Même dans l'emploi statutaire, j'entends parler de "précarité", ce qui est un comble. Bref, le terme a perdu de sa pertinence politique, pour devenir un objet de stigmatisation, appartenant plus à la psychologie qu'à l'économie (je discutais récemment avec un enseignant sous statuts, mais faisant des remplacements : il m'a dit, pour s'en plaindre, que son boulot était "précaire" ; j'en suis bien sûr tombé sur le cul, mais je n'ai pas fait de remarques désagréables, pour ne pas lui déplaire).

Face à un chômage durable et de masse, il faut, sans attendre sa diminution, réfléchir à un autre type de contractualisation du travail. D'abord, dans un souci de justice, d'égalité, qui va de pair avec l'exigence de clarté et de simplicité. Ensuite, parce qu'il faut mieux protéger l'emploi, et notamment ce fameux travail "précaire", même si le terme, comme je viens de le dire, ne me convient pas. On ne peut plus en rester au sentiment, qui correspond partiellement à la réalité, qu'il y aurait les chanceux du CDI et les laisser-pour-compte du CDD. Enfin, parce que l'économie a besoin d'une plus grande fluidité de l'emploi. Côté CDI, la législation est contraignante (je l'ai expérimenté à la tête de la FOL, quand il a fallu licencier), côté CDD, elle est insuffisante : je ne sais pas quelle est la bonne mesure, il y a toute une dimension technique au problème. Mais politiquement, on ne peut pas se satisfaire de ce qui existe. Qui d'ailleurs en est satisfait, à part dans les discours de pure rhétorique ? Cette législation date de l'époque du plein emploi, dont on peut toujours rêver, qu'il faut tenacement espérer : mais en attendant, travaillons sur les réalités.

L'idée de contrat unique de travail me semble donc bonne dans son intention, dont il reste maintenant à définir le contenu, ce qui ne peut être fait que par la négociation, entre partenaires sociaux. Et s'ils n'en veulent pas, il n'y en aura pas, c'est aussi simple que cela. A chacun, après, en retournant devant ses mandants, d'assumer et de justifier ses prises de position. C'est ce qu'on appelle la démocratie, et c'est aussi la démocratie sociale.

Tout ça est bien joli, me disent mes camarades, mais le contrat unique de travail, c'est une idée de la droite et du patronat. A vérifier, mais au fond, qu'est-ce que j'en ai à foutre ? Je ne me détermine pas par rapport à la droite ou au patronat, je ne me décide pas en fonction inverse de leurs choix : c'est par rapport à la gauche que je me définis, c'est à elle que je pense exclusivement. Les idées ne sont la propriété de personne, elles circulent dans les pensées. Ce qui compte, c'est de savoir si elle sont justes ou fausses. Et puis, ce ne serait pas la première fois qu'on assisterait à un jeu de ping-pong, une idée passant de droite à gauche, ou de gauche à droite. Enfin et surtout, une idée ne vaut pas grand chose, en politique, tant qu'on n'a pas dit ce qu'on en faisait. Le contrat unique de travail tel que le conçoit le MEDEF n'est sans doute pas le projet que Manuel Valls a en tête. A ce stade, la seule question est de savoir si la gauche doit ouvrir le débat : le Premier ministre l'a fait, je pense qu'il a eu raison.

jeudi 23 octobre 2014

48 heures de séisme



Pour un non socialiste, les dernières 48 heures n'ont été que querelles de personnes au sein du PS. Pour le socialiste que je suis, c'est un débat important, grave et même historique qui a fait surface, dont les conséquences sont immenses : il y aura, de ces deux jours, un avant et un après, j'en suis certain. Quelque chose, qui était latent et ancien, est devenu explicite et conditionne désormais notre avenir. Le parti socialiste, depuis, ne peut plus être le même.

Il y a d'abord eu cette abstention collective des "frondeurs" sur le budget de la France, une décision inouïe, inédite, transgressive : le vote du budget, c'est le partage des eaux en politique ; on est pour ou on est contre, le clivage entre majorité et opposition se fait à partir de là. 39 députés socialistes sont passés outre, ne se reconnaissent plus dans la majorité, rejoignent donc l'opposition, car il ne peut pas y avoir d'entre-deux. Stéphane Le Foll a été très clair, à son habitude : "Il y a des devoirs quand on est dans une majorité, et donc il y a manquement au devoir. Depuis le départ, (les frondeurs) se sont mis en marge, ils sont systématiquement contre ce qui a été voté. Qu'ils en tirent les conséquences". La conséquence principale, c'est qu'ils ne font plus partie de la majorité, quoi qu'ils disent.

Parmi ces "frondeurs", il y a des cas aggravants : Benoît Hamon et Aurélie Filippetti, qui se sont abstenus sur un budget auquel ils ont collaboré, en tant que récents anciens ministres. Ils sont donc doublement inconséquents : envers la discipline du groupe parlementaire, envers le gouvernement auquel ils ont appartenu. Benoît Hamon est même triplement fautif, puisqu'il a tenu, dans les médias, des propos hallucinants, hors de toute raison : la politique menée par le gouvernement "menace la République", elle conduit à un "immense désastre démocratique". Peut-être aurait-il dû ajouter que cette politique compromettait l'équilibre de la planète, entraînait vers une Troisième guerre mondiale, disloquait le système solaire, faisait basculer la galaxie dans un "trou noir" : quand on aime, on ne compte pas, mais quand on déteste, c'est pire. Le Foll a eu le mot de la fin : "il serait cohérent que Benoît Hamon quitte le PS".

Devant tant d'inconséquences, de contradictions et de comportements individualistes, le Premier ministre a donné au Nouvel Observateur une interview remarquable, qui fera date, qui elle aussi marque un avant et un après. C'est une véritable charte de refondation idéologique du socialisme français, dont je tire quelques points qui me semblent essentielles, identitaires :

1- "Il faut en finir avec la gauche passéiste, hantée par le surmoi marxiste et par le souvenir des Trente Glorieuses". Cette gauche est à l'intérieur du parti, c'est une gauche de pure opposition, qui est proche de Jean-Luc Mélenchon, qui s'en défend hypocritement, qui ne l'assume pas. "Gauche passéiste" : comment ne pas penser à Michel Rocard et sa dénonciation de la gauche "archaïque", il y a bien longtemps. Vieille histoire ! Il est temps d'en finir.

2- Il faut changer le nom du parti, c'est une évidence. Ce n'est d'ailleurs pas nouveau : la SFIO (Section française de l'internationale ouvrière), après 70 ans d'existence, s'est transformée en Parti socialiste, qui doit se transformer, après 45 ans d'existence, en Parti démocrate ou Parti social-démocrate, par exemple. Ce n'est pas une coquetterie mineure, c'est une identification majeure : pour qu'il n'y ait pas tromperie sur la marchandise. Ce changement de nom doit aller de pair avec un changement de structure : le nouveau parti doit être la "maison commune des progressistes", agréger en son sein toutes les formations politiques, réformistes, républicaines, centristes, qui ne se reconnaissent pas forcément dans le socialisme. Oui, de l'avis de Manuel Valls, j'avais écrit en son temps que c'était une erreur de ne pas s'ouvrir au MoDem, de ne pas accueillir François Bayrou, qui aujourd'hui est hélas repassé à droite.

3- "Le plus grand danger qui guette la gauche, c'est le sectarisme". En effet, et à tous les étages. Le sectarisme, c'est l'entre-soi, la fermeture, le repli, l'esprit d'opposition, l'instinct groupusculaire, le refus des responsabilités, le rejet des autres, la passivité, la méfiance envers les médias, la langue de bois, l'absence d'avenir, la suffisance, l'aveuglement et parfois la stupidité. Le sectarisme, c'est un sang pourri, une odeur mortifère qui empoisonnent certains secteurs du parti. Le sectarisme, ce n'est pas une attitude politique, c'est une psychologie : le contraire de la politique, la négation de la politique.

Les séismes en politique se font ressentir sur l'instant, mais surtout après, longtemps après. Ce qui s'est passé durant ces dernières 48 heures, nous en reparlerons encore, car les conséquences seront durables et pas totalement déterminables. Encore une fois, insistons bien, c'est tout autre chose qu'un vulgaire conflit de personnes.

mercredi 22 octobre 2014

Pitié pour Filoche



Gérard Filoche va-t-il être exclu du parti socialiste ? Il se pourrait bien. Après ses propos sur Christophe de Margerie, le Premier ministre l'a souhaité et un député socialiste, François Loncle, l'a demandé. L'exclusion, c'est une mesure grave, rare, statutairement définie. Elle frappe tout adhérent qui ne respecte pas les règles du parti, essentiellement en matière d'élections. Pour le reste, la parole est libre au parti socialiste, comme dans n'importe quelle organisation démocratique. Gérard Filoche, par ses déclarations et son comportement, tombe-t-il sous le coup de l'exclusion ? La réponse est simple, sans discussion possible : c'est non.

Pourquoi alors Manuel Valls l'a-t-il souhaitée ? Parce que c'est un homme de notre temps, marqué par le moralisme. Déjà, quand un magazine avait récemment titré "L'emmerdeuse" pour qualifier Ségolène Royal, il s'en était offusqué (pourtant, de fait, Ségo est une sacrée emmerdeuse !). Mais voilà : dans le monde d'aujourd'hui, on peut penser ce qu'on veut, mais on ne peut pas dire ce qu'on veut. C'est ce qu'on appelle le "politiquement correct", que je préfère appeler le conformisme ou le moralisme (qui culminent et se conjuguent dans le juridisme). C'est l'influence américaine, puritaine, qui a ainsi façonné nos moeurs politiques depuis quelques décennies. Sous la IIIe République, on s'insultait joyeusement et personne n'avait de compte à rendre devant un tribunal. Je ne dis pas que c'était mieux : je constate que le langage se sentait plus libre. Et pour un républicain, la liberté est le premier principe (voir mon billet d'hier, sur un autre sujet, "la liberté avant tout").

Jean-Christophe Cambadélis, n°1 du PS, a annoncé que Gérard Filoche allait être traduit devant la "commission d'éthique" du parti. Le mot veut tout dire : nous sommes bien dans un débat moral, portant sur la bienséance, la politesse, et pas dans un problème politique. La morale, c'est le jeu des apparences, l'hypocrisie établie, la normalisation de la parole et des comportements. C'est une affaire strictement privée, qui n'a pas sa place en politique ou dans l'activité publique. Chaque citoyen est libre de ses mots, de ses réactions, de ses valeurs personnelles.

La morale fait toujours semblant de ne pas comprendre : elle s'indigne des intentions qu'elle prête aux individus, mais ne se soucie nullement de leur vérité. Elle surjoue un scandale qu'elle invente, pour avoir ensuite tout loisir et facilité à le condamner. Qu'a dit Filoche ? Ceci, à propos de Margerie : "un hommage à l'humain ? Oui ! Au suceur de sang ? Non". C'est clair et ça n'a rien de répréhensible. Tout le monde comprend : Filoche s'incline devant la mort d'un homme, mais il critique son rôle de grand patron, à travers une métaphore. C'est l'anticapitaliste qui s'exprime, et c'est son droit.

Les moralisateurs, en laissant croire que Filoche est un salaud qui crache sur les morts, sont malhonnêtes, ne respectent pas la vérité des faits et des propos tenus. Mais la morale, purement formelle, sociale, et l'honnêteté, affaire de coeur et de conviction, ça fait deux ! Certes, la tradition veut qu'à une disparition, l'éloge intégral soit de rigueur. Mais Filoche intervient en politique, pas à titre privé. Il n'y a franchement pas de quoi monter sur ses grands chevaux (mais telle est la morale, qui se réjouit à donner des leçons).

Je ne partage pas les idées politiques de Filoche, qui est plus proche de Mélenchon que de Hollande. Ses amis et lui vivent dans une contradiction permanente, une sorte de schizophrénie : être socialiste comme on l'était autrefois, dans un parti qui a changé, qui est devenu social-démocrate à l'épreuve du pouvoir. Le personnage même de Filoche, son style, sont aux antipodes de ce qu'on attend d'un parti de gouvernement : c'est un contestataire, qui n'est pas, pour moi, en capacité d'exercer des responsabilités d'Etat. Il me fait penser, dans chaque famille, à cet oncle lointain, qu'on voit de temps en temps, qui est bavard, qui parle fort et qui tache sa chemise en mangeant. Filoche n'est pas un type présentable, pour le parti socialiste tel qu'il est devenu depuis au moins une vingtaine d'années. Mais combien sont-ils, dans nos sections et nos fédérations, les responsables de ce genre, plus proches de Filoche que de Macron, forts en gueule mais courts sur pattes, qui crient beaucoup mais n'avancent guère ! On ne va tout de même pas les exclure tous ... Pitié pour eux, pitié pour Filoche, ce n'est pas si grave.

mardi 21 octobre 2014

La liberté avant tout



Un rapport officiel, rendu public aujourd'hui, révèle ce chiffre accablant : 8 Français sur 10 sont pour l'interdiction des signes religieux dans les entreprises. Ce que je craignais se répand peu à peu : la réaction liberticide, l'intolérance à la religion, la normalisation des comportements. Tout a commencé avec la loi contre les signes religieux à l'école, il y a 10 ans, qui a donné le mauvais exemple, qui a ouvert la voie aux aspirations autoritaires. Faut-il rappeler (mais oui, manifestement il le faut) que la liberté religieuse est expressément inscrite dans la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 ? Nous sommes en train d'assister, depuis une décennie, dans l'opinion, à un affolant désir de restriction des libertés publiques, sous couvert de juridisme.

Cette mauvaise et terrible nouvelle justifie hélas mon dépôt d'une contribution sur ce sujet, dans le cadre des Etats Généraux du parti socialiste. En effet, le PS est historiquement le parti de la laïcité, qu'il doit définir, défendre et appliquer. "La laïcité, c'est la liberté", tel est le titre de mon texte, que j'ai publié sur ce blog il y a quelques jours. Contre toute religion qui prétend à l'hégémonie (ce qui a longtemps été le cas de l'Eglise catholique), la laïcité garantit la liberté à chacun de vivre sa foi ou son athéisme, de les manifester comme il l'entend, au même titre qu'une expression politique, syndicale ou philosophique. C'est ce point qui est aujourd'hui contesté par ceux qu'il faut bien appeler les ennemis de la liberté.

Ce qui se cache derrière tout ça, nous le savons bien : la xénophobie, le racisme, le rejet de nos compatriotes musulmans et des bouffées d'antisémitisme de temps en temps. L'extrême droite a récupéré, dénaturé et perverti la notion de laïcité, en lui faisant dire le contraire de ce qu'elle est, en la transformant en mot d'ordre contre la liberté, la tolérance et le droit à la différence. Une partie de l'opinion publique, y compris progressiste, tombe dans le panneau : la pulsion xénophobe au nom de la laïcité, il fallait l'inventer, le Front national l'a fait. Bientôt, dans la rue, si la tendance se poursuit, s'amplifie et se généralise, nous serons giflés ou agressés parce que nous portons une croix, une kippa ou un voile.

Le paradoxe, c'est que jamais la religion a été aussi peu présente et influente dans notre société. Pendant des millénaires, les hommes ont pratiqué des cultes de toute sorte, adoré des dieux variés, prié et cru en un autre monde, à des forces surnaturelles. Aujourd'hui, ce qui prime dans la civilisation moderne, c'est la science, la technologie, le bien-être, plus du tout la religion. A la radio, à la télévision, les préoccupations des auditeurs et des spectateurs vont à la santé, au sport, aux loisirs, rarement à la spiritualité ou à la théologie. Moins il y a de religion, plus il y a d'hostilité à la religion : l'apparent paradoxe est aussi une explication, les êtres humains respectent ce qui est fort, pas ce qui est faible.

A la racine, l'explication est plus profonde. Dans un monde hyper-rationalisé, ultra-technologique, la religion représente une forme de résistance, d'aspérité, d'anomalie, presque de monstruosité. Les croyants, de quelque religion que ce soit, apparaissent comme des extra-terrestres, venus d'un autre monde. Leur présence dérange et inquiète. D'un trouble purement personnel, sans doute partagé par beaucoup devant l'énigme de la foi, on fait surgir un imaginaire et périlleux "trouble à l'ordre public", qui découlerait du port de signes religieux, qu'on veut alors prohiber de la société. C'est hallucinant. Les républicains, laïques, athées, libres penseurs, qui ont souvent souffert par le passé des injonctions de la religion, doivent aussi se faire les meilleurs défenseurs de sa liberté d'expression, parce que celle-ci est au fondement de leur système de pensée.

lundi 20 octobre 2014

Un couteau en mousse



Martine Aubry était ce matin sur France-Inter. Après la charge d'hier, on allait voir ce qu'on allait voir. C'est ce qu'on appelle un "plan-médias" : l'entretien au JDD, la contribution au PS dans la foulée, l'émission radio ce matin. Sauf qu'on n'a rien vu. Aubry a baissé d'un ton, nettement. Est-ce parce que l'écrit est plus violent que la parole (phénomène que j'ai souvent constaté) ? Ou bien parce que les commentaires qui ont suivi ont fait beaucoup de mousse et un peu de bave ? Toujours est-il que le soufflé est retombé, la charge a fait plouf.

En quelques mots, qui ont le mérite de la clarté, Martine Aubry a tué l'espoir que certains avaient pu mettre en elle (ce dont je me réjouis). Les réformes ? Il faut les continuer, bien sûr. François Hollande ? Elle revoterait pour lui, encore aujourd'hui. Les économies budgétaires ? Elles sont nécessaires. Les "frondeurs" ? Elle n'aime pas ce mot, elle lui préfère "des hommes de bonne volonté" (c'est brave, ça ne mange pas de pain). Se présente-t-elle en recours, en opposante (comme j'avais cru le comprendre hier) ? Non, pas du tout, Aubry veut seulement "débattre". C'est bien, d'autant que tout socialiste, moi le premier, a toujours envie de débattre. Mais ça n'engage à rien : c'est combattre qui coûte, qui trace vraiment une perspective, une alternative. Manifestement, Martine Aubry n'a pas fait ce choix. Tant mieux.

Elle a certes des différences avec le gouvernement, mais qui n'en a pas ? (moi aussi, sûrement, si je cherche bien). Ce qu'elle veut, contrairement aux apparences d'hier, c'est des inflexions, des réajustements, des correctifs : un travail de mécano, pas un changement de locomotive ou de conducteur. Elle répète qu'elle est social-démocrate, qu'elle l'a toujours été, avant tout le monde, ce dont je n'ai jamais douté. Simplement, elle veut mettre un peu de beurre dans les épinards, épicer la sauce, rajouter de la garniture : elle propose un assaisonnement, pas un nouveau plat.

Un exemple frappant : elle ne conteste pas fondamentalement le pacte de responsabilité, qui est le socle de la politique économique du gouvernement, elle suggère seulement quelques réorientations. On est très loin des critiques et des propositions de certains frondeurs et surtout de l'aile gauche. Ceux-ci rêvent d'une majorité nouvelle, incluant les écologistes (qui ont pourtant quitté le gouvernement) et le Front de gauche (qui n'a jamais voulu y entrer). Aubry n'a pas ce genre de rêve.

Suis-je ce matin soulagé ? Oui et non. Oui parce que j'ai compris que Martine Aubry n'allait pas casser la baraque, mais seulement faire un peu de ménage, ce qui n'est pas bien dangereux. Non, parce qu'un couteau en mousse reste un couteau. Bien des adhérents vont se leurrer, se faire des illusions, s'exciter à croire qu'ils ont trouvé en Martine une alternative, alors que ce n'est pas ça. La vraie critique du gouvernement, l' "autre politique" de gauche, c'est à l'extérieur du PS qu'on la trouve. A l'intérieur, ce n'est que de la mousse et des bulles.

dimanche 19 octobre 2014

Le mauvais coup d'Aubry



En politique, il n'y a pas de milieu : on est pour on contre, d'accord ou pas, on soutient ou on combat. Aujourd'hui, dans le Journal du dimanche, Martine Aubry a fait son choix, elle a franchi le pas : elle est contre, pas d'accord, elle critique la politique du gouvernement. Dans les grandes lignes comme dans le détail, à quelques exceptions près, elle se désolidarise de ce que font François Hollande et Manuel Valls, il n'y a aucun doute là-dessus.

Pour enfoncer le clou, en toute cohérence, elle avance ses propres propositions économiques : mieux cibler les aides aux entreprises, soutenir autrement la croissance, créer davantage d'emplois aidés, soutenir le pouvoir d'achat. Même au plan idéologique, elle se différencie, opposant la "nouvelle social-démocratie" qui est la sienne, la société du "care, du share et du dare" (sic), au social-libéralisme, dont on sent bien qu'il est, pour elle, l'option du gouvernement.

Il n'y a pas de politique sans stratégie : Martine Aubry choisit de soutenir les "frondeurs", elle prend quasiment leur tête, se présente implicitement en leader, en recours. Pour que tout le monde comprenne bien, elle a déposé aujourd'hui même une "contribution" collective, dans le cadre des Etats Généraux du parti socialiste.

Voilà, j'ai essayé de vous restituer, aussi fidèlement et honnêtement que possible, l'intervention de Martine Aubry dans le JDD. Maintenant, ce que j'en pense, vous vous en doutez, je n'ai pas l'habitude de virevolter : c'est un coup de tonnerre à gauche, et un mauvais coup porté au PS et au gouvernement. Son seul mérite, c'est que ce n'est pas un coup de poignard dans le dos, exercice fréquent en politique. Non, le poignard est enfoncé dans le ventre, en face à face, les yeux grands ouverts, et bien profond. Mais la sincérité n'est pas une circonstance atténuante : un coup de poignard est un coup de poignard, qui fait mal.

Il y a deux ans, Martine Aubry a refusé d'entrer au gouvernement, de mettre les mains dans le cambouis, de prendre des risques, de participer au travail collectif des socialistes. Pendant deux ans, elle s'est murée dans un silence prudent, malin, ne soutenant pas activement ses camarades. Aujourd'hui, profitant de l'impopularité de l'exécutif, voyant qu'une "fronde" se lève au sein de la majorité, elle en profite, elle s'engouffre dans la faille, elle veut l'agrandir : elle attaque. Et ce n'est, je suppose, qu'un début !

En politique, je l'ai dit au début, on est pour ou contre, pas dans l'entre-deux : Aubry aujourd'hui est devenue une adversaire interne. Contre l'axe Aubry-Montebourg-Hamon, j'appelle à soutenir la ligne Hollande-Valls-Macron. C'est dit brutalement, mais quand on a un poignard fiché dans le ventre, on a ce genre de réaction. Elle est d'autant plus vive que Martine Aubry instrumentalise un beau débat lancé par le PS, celui des Etats Généraux, qu'elle transforme en champ de bataille des pro et des anti-gouvernementaux. Au lieu de déposer au pot commun une réflexion personnelle, elle lance une sorte de "motion" de congrès, les signataires qui vont avec ; elle joue non seulement du couteau mais aussi du rapport de force, selon une tradition bien ancrée chez certains camarades, et politiquement désastreuse (pas pour eux, mais pour le parti, la gauche et la France).

Où va Martine Aubry en faisant ça ? Nulle part, dans le mur. Elle nous refait le coup de Fabius en 2005, lors du référendum sur la Constitution européenne : le socialiste le plus moderniste, honni jusque-là par l'aile gauche, avait viré sa cuti pour prendre la tête des anti-européens, en contradiction avec tout son parcours politique. L'aile gauche, qui est pleine de petits chefs, était toute émoustillée d'avoir enfin son grand homme. Et ils ont gagné, le référendum a échoué, le couteau avait bien fonctionné, contre la direction du parti et la majorité de ses adhérents. Les "frondeurs" de l'époque ont alors cru tenir un leader de marque pour les présidentielles de 2007. Mais Laurent Fabius est vite retourné à ses premières amours : le couteau, c'est comme le feu, il ne faut pas trop jouer avec.

Martine Aubry, ce sera la même chose : les "frondeurs" seront au bout du compte les cocus de service, l'aile gauche les dindons de la farce. Et pourquoi ? Parce qu'en politique, on ne gagne pas très longtemps à des coalitions hétéroclites, baroques, inconséquentes. Au fond, qu'est-ce que les "frondeurs" et surtout l'aile gauche rejettent dans l'actuel gouvernement ? C'est son socle idéologique, c'est la social-démocratie. Or, que dit Aubry ? Qu'elle se réclame de la social-démocratie. Et ce n'est pas parce qu'elle lui accole un adjectif, social-démocratie "nouvelle", que ça change grand chose. Aubry est dans une trajectoire personnelle, à ce titre condamnée à l'échec. En attendant, que de dégâts ne s'apprête-t-elle pas à faire ! Ni le parti, ni le gouvernement, ni la gauche n'avaient besoin de ça. Oui, décidément, c'est un très mauvais coup que nous a porté aujourd'hui Martine Aubry.

samedi 18 octobre 2014

Les beaux jours des AMAP



Passionnant débat cet après-midi, autour du thème de l'agriculture et de l'alimentation, organisé par les AMAP (association pour le maintien de l'agriculture paysanne), introduit par Antoine, président de l'AMAP de Saint-Quentin (vignette 1). L'initiative a été saluée par Marie-Laurence Maître, adjointe au maire (vignette 2). Le public s'est manifesté à travers de nombreuses interventions (vignette 3). Elise, agricultrice bio, nous a donné un témoignage particulièrement éclairant (vignette 4).

Après des millénaires de civilisation rurale, nous voilà entrés dans une civilisation urbaine. Mais les hommes continuent à se nourrir, et le rapport que nous entretenons avec notre alimentation est fondamental. Doit-on poursuivre dans la voie de l'agriculture industrielle, avec ses fermes-usines, son obsession de la productivité, son éloignement progressif de la nature ? Ou bien faut-il développer une alternative biologique, plus centrée sur les besoins et les moyens locaux, soucieuse de qualité de vie, économe et sobre ?

Personnellement, je pense que la solution est entre les deux, ce qui ne la rend pas moins difficile. Le sujet est éminemment politique, doit être mis au débat et tranché par les citoyens. Bref, en matière de réflexions comme de pratiques, les AMAP ont encore de beaux jours devant elles.

vendredi 17 octobre 2014

J'aime ce gouvernement



J'aime ce gouvernement. Vous me direz que je n'ai pas de mérite, puisque je suis socialiste. C'est vrai et c'est faux : il y a des socialistes, j'en connais, qui n'aiment pas ce gouvernement. C'est camarade Schizo : carte du PS dans une poche, canif dans l'autre. Au niveau national, on les appelle les frondeurs. Leur vrai nom : les farceurs. Oui, en dépit d'eux, contre eux, j'aime ce gouvernement, parce que c'est le gouvernement de la réforme sociale. Les exemples ne manquent pas, j'en prends trois durant cette semaine :

1- La modulation des allocations familiales. Je la voulais, je l'espérais depuis longtemps, c'est (presque) fait. J'ai souvent évoqué cette réforme sur ce blog. Pure justice sociale : donner moins à ceux qui ont plus. Le principe d'universalité (dont, par ailleurs, je me contrefous mais qui plaît à beaucoup) est préservé : chaque famille touchera au moins un petit quelque chose. Eh bien, savez-vous que Benoît Hamon et les frondeurs sont contre ? Quand je vous disais que ce sont des farceurs ...

2- Le développement du transport par autocar. Les tarifs de la SNCF sont scandaleusement élevés. Et quand on pense que c'est un service public ! La solution ? L'autocar, dont le réseau est plus dense, la circulation plus souple. Pour les courts et moyens trajets, c'est un moyen excellent. Le ministre Macron a proposé d'assouplir sa réglementation, pour aider à son développement. La mesure est éminemment sociale, puisqu'elle bénéficiera aux plus pauvres, l'autocar étant 8 à 10 fois moins cher que le train.

Oups, qu'est-ce que je viens de dire là ? J'ai employé le mot de "pauvre". Pas bien, ça. Les "pauvres", il ne faut plus en parler, il faut les cacher, il faut décréter qu'ils n'existent plus. Mais quel mot employer, puisqu'il faut bien continuer à parler ? Les "démunis", est-ce que ça passe mieux ? Les "gens qui sont dans le besoin" ? Les "cas sociaux" ? Les "personnes économiquement faibles" ? Les "gens de peu" ? Les "familles modestes" ? C'est compliqué, comme on dit sur Facebook. Vous me permettrez donc d'utiliser le mot qu'on emploie depuis toujours, les "pauvres", même s'ils ne sont pas les seuls à prendre l'autocar. Ah, si Emmanuel Macron avait employé le terme sacro-saint de "classes moyennes", il aurait été encensé, puisque l'expression est répétée matin, midi et soir, par tous, partout, jusqu'au non sens, jusqu'à la nausée.

3- La généralisation du tiers payant. Quelle révolution en matière sociale ! Plus besoin d'avancer l'argent chez le médecin. Et là, ce n'est pas seulement les pauvres (je suis incorrigible) qui vont en profiter, mais les petits bourgeois aussi (qui ne prennent pas l'autocar mais vont chez le toubib). Les grands bourgeois, eux, ont suffisamment de moyens pour ne pas se poser ces questions de transport et de remboursement de soins (c'est pourquoi Benoît Hamon et les farceurs n'ont pas à pleurnicher parce qu'on leur sucre un peu leurs allocs).

J'aime ce gouvernement, socialiste et social. Mais pourquoi sommes-nous si peu à l'aimer ? D'abord, ne préjugeons de rien, attendons les prochaines élections, on verra bien. Mais il y a des explications objectives à ça :

- Dans une société individualiste, les gens ne pensent qu'à eux-mêmes, perdent le sens de l'intérêt général et, par dessus tout, ne veulent pas qu'on les embête avec les "pauvres" (je récidive, je serai bientôt bon pour le tribunal du politiquement correct).

- Dans un monde de l'image choc et du mot chic, ce qui compte, ce qu'on retient n'est pas ce qu'on fait, mais ce qu'on montre, ce qu'on dit et comment on le dit. D'où la police du langage, qui sévit grave depuis quelques années. Macron n'est pas allé à cette école. C'est un philosophe, il dit tout simplement les choses comme il les pense.

- Les premiers défenseurs du gouvernement, ce devrait être les socialistes, mais le job n'est pas fait. Je ne parle pas de la direction du parti, qui est offensive. Mais, à la base, bien des sections traînent de la patte, rasent les murs, ne sont pas les pédagogues de l'action gouvernementale qu'elles devraient pourtant être. Espérons que les Etats Généraux changeront un peu quelque chose à ça, feront bouger les lignes, dérangeront la confortable et prudente inertie, pour que chaque socialiste aime enfin ce gouvernement.

jeudi 16 octobre 2014

Ma contribution



Dans le cadre des Etats Généraux du parti socialiste, j'ai déposé une contribution sur un thème qui m'est cher, à plusieurs reprises abordé sur ce blog :


La laïcité, c'est la liberté


La laïcité est l'une des valeurs fondatrices du socialisme français. Trois constats obligent à la repenser :

a- La sécularisation et de la société et la crise des religions rendent inopérant l'anticléricalisme traditionnel.

b- La distinction espace public/espace privé, matrice de la doctrine laïque, s'est largement effacée avec la médiatisation à outrance.

c- Le concept de laïcité a été récupéré et dénaturé par l'extrême droite, au profit de la xénophobie et de la normalisation des comportements.


Les socialistes doivent répondre à ces trois problèmes par cinq perspectives :

1- Faire le bilan de la loi de 2004 sur les signes religieux à l'école. Proposée par la droite, cette loi a répandu le préjugé, dans l'opinion publique, que tout signe religieux, en l'occurrence musulman, devait être prohibé de la société, réaction évidemment liberticide.

2- Ouvrir une réflexion sur la loi de séparation de 1905, afin de remédier à l'inégalité qui persiste entre les cultes, la religion musulmane n'ayant pas ou mal les moyens d'exister matériellement.

3- Réaffirmer et garantir la liberté d'expression collective des religions, au même titre que celle des partis, des syndicats ou des associations.

4- Réaffirmer et garantir la liberté d'expression individuelle des religions, notamment par le droit de se vêtir à sa guise, dans le respect des lois de la République.

5- Revoir la notion stigmatisante de "communautarisme", pour lui donner une valeur positive, celle du droit, en démocratie, à ses origines, à ses traditions et à la différence.


C'est au terme de cette réflexion que la laïcité pourra se ressourcer et échapper à l'hideuse manipulation d'extrême droite.

mercredi 15 octobre 2014

Moati, vous et moi



J'aime beaucoup, depuis toujours, le documentariste Serge Moati. Dans son genre, il a inventé un style : intimiste, subjectif, décalé, qui tranche complètement avec le documentaire politique lourdingue, militant, pédagogue, barbant. Ce qui est formidable, génial même, c'est que Moati, tout en partant de sa propre sensibilité, nous fait ressentir une vérité, beaucoup plus que ne le ferait un film édifiant, professoral, historique. Et puis, c'est un homme de gauche, ce qui ne gâche rien.

Hier soir, la chaîne France 2 nous a gratifiés de la dernière oeuvre en date de Serge Moati, "Adieu Le Pen", sensationnelle ! Il nous livre des instants pris sur le vif, des rappels de discours, avec une forme d'empathie qui révèle la famille Le Pen, bien mieux que ne le ferait une dénonciation. Du coup, ma détestation de ces gens-là s'en trouve renforcée : à voir leur gueule, à entendre leur voix, à se souvenir de leur propos, tout me les rend odieux. Leur médiocrité, leur vulgarité, leur obscénité à mes yeux les condamnent sans appel. Le sourire de la fille qui montre ses petites dents de rongeur, sa tronche de femme alcoolique quand elle s'adresse à son public : qu'il est bon de les voir en gros plan, de pouvoir les haïr à son aise.

Les Le Pen sont de gentils fascistes, mais des fachos quand même. Historiquement, idéologiquement, ils se rapprochent de Mussolini, auquel le père physiquement ressemble (menton en avant, arrogance, trogne souvent hilare, grotesque, Le Pen c'est un Mussolini raté) : culte du chef, rejet de l'étranger, obsession de l'ordre, hystérie de la nation. Pas des nationalistes (Barrès, Péguy, Maurras, c'était quand même autre chose). Pas des populistes non plus (Poujade, c'est différent). Non, des fascistes, tout simplement. Et je regrette que la gauche n'ose plus le dire haut et fort, parce qu'elle craint les procès et surtout le jugement des électeurs (ceux qui votent Le Pen ne sont pas toujours fascistes, mais ils votent pour des fascistes).

Serge Moati ne fait pas que des films ; il écrit aussi des livres, mais là, avec son "Le Pen, vous et moi" (chez Flammarion), je suis moins enthousiaste, et un peu inquiet. Il nous confie la sympathie personnelle qu'il éprouve à la fréquentation du Mussolini français, le charme qui se dégage de l'homme, la culture dont il fait preuve, la bonhomie qui est la sienne. Non, je ne peux pas être d'accord. D'abord, parce que Le Pen ne me séduit pas, ni ne me fait rire. Surtout, parce que je connais la force terrible de la sympathie, de la rigolade : flatter quelqu'un dans le sens du poil, mettre les rieurs de son côté, jouer les braves types, c'est tellement facile, c'est tellement trompeur. Le Pen filmé par Moati, c'est une consécration : le facho a tout intérêt à l'amadouer, à le mettre dans sa poche.

En politique, je les repère vite, les marrants, les sympas, ceux qui vous tapent sur l'épaule en copain, qui vous paient un coup à boire en toute générosité, qui sont prêts à parler comme vous : démagogues, opportunistes, intéressés, qui vous trahissent dès que vous avez le dos tourné. Je crois que Serge Moati s'est laissé embobiner, qu'il n'a pas su retenir ses sentiments. Heureusement, son documentaire le sauve et rachète en quelque sorte le livre.

Il aurait dû pourtant se souvenir de ce que lui avait dit François Mitterrand en 1981, juste avant le débat avec Giscard à la télévision : ne pas serrer la main du président en exercice, ne pas discuter avec lui, pour ne pas entrer en empathie avec l'adversaire, ne pas succomber à l'admiration qu'il peut provoquer. En politique, ce n'est pas un mot violent qui tue : c'est un doux sourire, un regard complice, une main sur l'épaule. Pour ma part, je préfère être âpre, désagréable, crispant, mais vrai : poil à gratter, pas poil à caresser.

A ce propos, j'ai une anecdote. En 1998, pour les élections législatives, je suis assesseur dans un bureau de vote du XIXe arrondissement de Paris. Arrive, parmi l'équipe, un représentant du Front national. Les sourires se figent, les regards le fuient, les mains se détournent de lui. Mais le facho a tout prévu : il sort une petite boîte de chocolats, il en offre à tous les membres du bureau, qui n'osent pas le lui refuser. De fil en aiguille, le type parle, s'installe, sympathise, se fait accepter, certains même rient avec lui : il a gagné ! Une seule personne, dans son coin, refuse de prendre le chocolat, de lui parler et de rire, quelqu'un de pas sympa du tout, distant, renfrogné : moi.

mardi 14 octobre 2014

Macron a raison



J'ai toujours pensé que les vrais débats politiques avaient lieu au sein de la gauche, et pas entre la gauche et la droite. Que voulez-vous que je débatte avec un homme de droite ? Il a ses idées, j'ai les miennes, elles sont différentes, souvent inconciliables : il n'arrivera pas à me convaincre et je ne le persuaderai de rien. Le débat entre nous est impossible et inutile. C'est pourquoi, au passage, je critique depuis plusieurs années l'illusion qu'ont mes camarades, au conseil municipal de Saint-Quentin, de vouloir "débattre" avec Xavier Bertrand : comme si celui-ci allait les écouter et les suivre ! Naïveté, angélisme ou impuissance, qui de toute façon ne débouchent sur rien. En politique, entre la gauche et la droite, on ne débat pas, on se combat, pacifiquement, honnêtement, intelligemment, mais la confrontation reste un combat, tranché par les citoyens au moment des élections. En revanche, au sein de la gauche, les débats, les divergences d'opinions sont fréquents. C'est ce qui s'est passé ce week-end autour des déclarations d'Emmanuel Macron.

Qu'a dit le ministre de l'Economie sur l'assurance-chômage ? D'abord, qu'elle était en déficit de 4 milliards d'euros et que c'était pour le moins préoccupant. Ensuite, qu'une réforme du système était en cours mais insuffisante, qu'il fallait donc reprendre la réflexion. Enfin, que c'était aux partenaires sociaux, c'est-à-dire au patronat et aux syndicats, d'en décider. Voilà ce qu'a dit Macron, ni plus, ni moins. Et ce sont des vérités, avec lesquelles le gouvernement et le président de la République sont en parfait accord. Alors, pourquoi ces cris de gorets qu'on égorge, durant tout le week-end ?

J'ai entendu, sur BFM-TV, un député socialiste, François Kalfon, strauss-kahnien apostat, renégat et repenti, à la façon de Laurent Baumel, dire que 4 milliards de déficit, c'était très relatif, fluctuant, qu'un bon coup de croissance ne pouvait qu'éponger tout ça, un peu comme quand on passe la serpillière. Remarque irresponsable : le déficit est là, énorme, grandissant, il faut commencer à le régler maintenant, et pas prier Sainte Croissance pour qu'il disparaisse.

J'ai entendu aussi, ce week-end, Jean-Luc Mélenchon, socialiste de 30 ans, avant de tourner casaque et de se retrouver quasiment à la tête du PCF. Il dénonce "le banquier Macron". Pour lui, il ne faut toucher à rien dans l'assurance-chômage, pas même aux gros allocataires, qui ne vivraient pas plus mal en touchant un peu moins (voir mon billet de la semaine dernière, "Justice sociale"). Son raisonnement est simple : moins il y aura de chômeurs, moins il y aura besoin de verser d'indemnités et plus il y aura d'actifs qui cotiseront : résultat, les caisses seront pleines de sous et les régimes retrouveront leur équilibre. C'est tellement simple, magique, de jouer avec les chiffres et les raisonnements, comme font les enfants avec leurs joujoux. Mélenchon, lui, prie Saint Emploi.

Mais il va plus loin que ça : la suppression de la tranche d'imposition sur les foyers fiscaux les plus modestes, il devrait être pour, c'est du social, ça. Mais non, le grognon est contre ! (en vérité, il est contre tout ce que fait le gouvernement, même si demain, celui-ci doublait le SMIC ou instaurait la gratuité absolue dans les services publics !). Son argument : les pauvres ne vont plus verser, mais ce sont les classes moyennes qui vont casquer à leur place ! Bref, il ne faut rien faire en faveur des plus démunis, puisque à chaque fois ça va soi-disant se retourner contre ces sacrées classes moyennes ! Sa proposition : que tout le monde gagne suffisamment d'argent pour payer suffisamment d'impôts. Quel idiot ! Il est certain que tabler sur une situation idéale, c'est forcément régler tous les problèmes. Sauf que la situation n'est pas idéale, la réalité est imparfaite, il faut faire avec le monde tel qu'il est et affronter les difficultés telles qu'elles sont. C'est pourquoi Kalfon et Mélenchon ont tort et Macron raison.

lundi 13 octobre 2014

Au cinéma ce soir



En sortant du ciné philo, ce soir, avec Michelle Zann, Philippe Henry et Mylène Kokel. "Quand Otar est parti", très beau film. Prochain rendez-vous, le 17 novembre, avec le dernier Wim Wenders, "Le sel de la terre" : nous aurons comme invitée Christiane Gabrielle, passionnée par ce réalisateur et son oeuvre.

Nourrir ou mourir ?



J'ai le plaisir de vous inviter à une projection-débat, samedi prochain à 16h00, sur un sujet éminemment politique : comment nourrir la planète alors que nous serons 10 milliards d'humains au milieu de ce siècle ? D'un côté, l'agriculture s'industrialise de plus en plus, de l'autre, l'alimentation "bio" est en vogue. Le film d'Irja Martens, "Nourrir les villes : un enjeu pour demain", constituera la base de notre discussion. Cette rencontre est organisée par les AMAP (Association pour le Maintien de l'Agriculture Paysanne) du nord de l'Aisne et de l'est de la Somme. Venez nombreux, l'entrée est libre et gratuite (au Conservatoire de musique, 51 rue d'Isle, à Saint-Quentin).

dimanche 12 octobre 2014

Cela ne va plus sans dire



Le Conseil national du parti socialiste, qui se tient aujourd'hui à Paris, clôt la première période de ses Etats Généraux, où les militants et les sections sont invités à débattre de son projet et de son identité. Les médias se sont peu intéressés à ce travail, il est vrai très largement interne. Mais il montre comment fonctionne un parti moderne, ce qu'il fait, à quoi il sert ; et il en ressort une autre vision de la politique, plus positive que les habituelles bagarres entre courants ou les luttes pour le pouvoir.

J'ai souvent participé, par le passé, à ce genre d'opération. Pour cette fois, on pouvait remarquer trois nouveautés importantes :

- d'abord, les sympathisants étaient conviés à la réflexion. C'est l'esprit des primaires : ne pas rester entre soi, s'ouvrir à notre électorat. Et nous en avons bien besoin.

- ensuite, les contributions versées au débat (c'est-à-dire les textes rédigés) peuvent l'être à titre individuel. Les écrits qui sont issus de discussions collectives sont souvent des pensums où l'on s'est battu pour une virgule, ce qui n'apporte pas grand chose à la réflexion.

- enfin, même si ce n'est pas mon truc, des témoignages par vidéo, d'une durée de 15 secondes (définir ce qu'est un socialiste), peuvent être postés. C'est un bon exercice de synthèse et de concision, qui là aussi nous évite les tartines indigestes qu'on écoute en baillant ou qu'on parcourt d'un oeil.

En lisant la charte de participation des Etats Généraux, je suis tombé sur des précisions assez étonnantes, qu'on n'aurait pas imaginées il y a quelques années chez les socialistes :

- "La publication d'une contribution est faite à titre gracieux et ne peut donner droit à aucune rémunération de l'auteur". Imagine-t-on des militants socialistes passer à la caisse après avoir pondu leur texte ? Moi non, mais la preuve que oui, puisque la précaution est prise d'inscrire la remarque dans la charte.

- "Chaque contributeur peut choisir d'être publié sous son nom, d'un pseudonyme ou de façon anonyme". C'est le détestable effet internet, où les commentateurs n'assument plus ce qu'ils sont, se planquent derrière des pseudos. Là, franchement, je pense que le PS ne devrait pas autoriser ça : un militant doit dire qui il est.

- "Le parti socialiste se réserve le droit de ne pas publier des contenus discriminatoires, révisionnistes, négationnistes, sexistes ou faisant l'apologie des crimes contre l'humanité, incitant à la haine raciale ..." Cette mise au point est hallucinante : imagine-t-on de tels contenus chez des gens de gauche, dans un débat sur l'identité socialiste ? Que cette précaution soit motivée, je n'en doute pas, par des motifs d'ordre juridique n'enlève rien à la consternation qu'elle provoque en moi. "Cela va sans dire" : on ne peut plus utiliser désormais cette expression. "Cela va mieux en le disant" ? Non, car se sentir obligé d'énoncer des évidences, c'est que quelque chose ne va plus. Drôle d'époque, un peu folle, tout de même !

samedi 11 octobre 2014

Philo et science-fiction



Philippe Henry, professeur de philosophie au lycée Condorcet, nous a présenté cet après-midi une conférence sur le fameux écrivain de science-fiction Philippe K Dick, dont l'oeuvre a inspiré tant de films (Blade Runner, Total Recall, Minority Report). Après une enfance compliquée, il se lance dans la lecture des philosophes antiques et la littérature. Sa santé est fragile (il est accro aux amphétamines, qui l'aident à écrire), ses amours sont malheureuses, il finit en mystique chrétien qui a une grande croix sur la poitrine et des apparitions.

K Dick interroge le réel. Comme Platon, il doute des apparences, s'inquiète d'une humanité entrée dans l'ère des machines, considère que le temps n'est pas linéaire. A la façon du philosophe Leibniz, l'écrivain conçoit d'autres mondes possibles, parallèles, un enfer totalitaire et un jardin d'Eden. Les philosophes ne sont pas en reste en matière de fictions philosophiques : le mythe d'Er (Platon), le malin génie (Descartes), l'éternel retour (Nietzsche).

Est-ce à dire que la science-fiction serait l'avenir de la philosophie ? Pour Philippe Henry, non : elle stimule la réflexion en se plaçant au croisement du réel et de l'imaginaire, mais elle ne peut pas prendre le relais de la philosophie. Sur les rapports entre les deux, la lecture de Guy Lardreau, "Fictions philosophiques et science-fiction" (1988), est profitable.

Je vous retrouverai lundi soir, à 20h00, pour la séance de ciné philo dans le cadre du festival "Les Yeux ouverts sur l'immigration", organisé par la Ligue de l'enseignement de l'Oise. L'entrée sera exceptionnellement gratuite. Nous vous proposerons le film de Julie Bertuccelli, "Depuis qu'Otar est parti" (2004), suivi d'un débat que j'animerai en compagnie de Mylène Kokel, de la Ligue.


En vignette : Philippe Henry, à gauche, assis à la table, Valérie d'Amico, directrice de la bibliothèque, au milieu, et Pauline, stagiaire.

vendredi 10 octobre 2014

Justice sociale



Le débat sur l'indemnisation des chômeurs est-il légitime ? Oui, bien sûr : l'assurance-chômage est un élément essentiel dans le fonctionnement de notre société, c'est un sujet éminemment politique, il est donc loisible en République d'en débattre, d'approuver, de critiquer, de proposer, d'améliorer, de transformer.

Ce débat est-il actuellement mené de façon satisfaisante ? Non, pas du tout : il a même, pour tout dire, quelque chose de scandaleux. D'abord parce qu'il pointe du doigt, en bloc, l'ensemble des chômeurs, laissant plus ou moins croire que ce sont des glandeurs ou des fraudeurs, alors que les chômeurs, il faut le répéter en préambule de toute discussion, sont des victimes. La cause unique du chômage, c'est l'absence d'emploi (excusez ce truisme), pas la paresse, le découragement ou l'échec des chômeurs dans leur recherche d'emplois qui n'existent pas ou qui sont rares.

Ensuite, il faut arrêter d'employer le terme de "générosité" pour qualifier le système d'indemnisation. Aujourd'hui, presque tout le monde le répète pourtant, à la façon de Jacquot le perroquet. La "générosité" est un acte personnel, gratuit et non réciproque ; l'indemnisation-chômage est un système collectif, où des cotisants perçoivent des droits en cas de perte d'emploi : rien à voir avec la "générosité". Je pinaille ? Oui, sciemment : les hommes publics, politiques, journalistes, intellectuels, doivent employer les mots justes, car le langage est tout sauf innocent.

En revanche, il est légitime de s'interroger et de réfléchir aux montants de ces indemnités, et c'est la piste ouverte par Manuels Valls, avec raison. Disons-le brutalement : un cadre supérieur, par exemple, bénéficie d'une durée et d'un niveau d'indemnisation que le souci de justice sociale rend discutables. Sa situation financière le met à l'abri de ce genre d'aléas professionnels, il a une latitude suffisante pour retrouver assez facilement un emploi. Rien à voir avec l'ouvrier sans formation qui se fait licencier après vingt ans de boîte, qui n'a pratiquement aucune chance de retrouver du boulot et qui a du mal à nourrir sa famille.

Sur l'indemnisation-chômage comme sur les allocations familiales, on a vite fait de s'égarer dans des débats techniques qui politiquement ne débouchent pas, sinon qu'on ne peut rien faire et qu'on ne touche à rien parce que c'est trop compliqué. Là comme ailleurs, il faut partir de principes simples. Pour moi, c'est clair, toutes ces réformes doivent être guidées par une idée : celui qui n'a rien doit recevoir beaucoup, celui qui a beaucoup n'a besoin de rien.

Techniquement, je suis favorable au mécanisme de l'indexation systématique des indemnités et allocations de toute sorte : c'est sous conditions, à partir du niveau des revenus et des situations, qu'il faut verser toutes les prestations sociales. C'est aussi l'idée que j'ai trouvée hier dans l'éditorial de Samir Heddar, dans L'Aisne nouvelle, qui propose très justement d'appliquer l'indexation aux remboursements des soins de santé. Pour les socialistes, je crois qu'il y a là toute une pensée sociale à renouveler : être plus équitable qu'égalitaire, ne pas faire des économies pour faire des économies, mais en vue de la redistribution et de la justice sociale.

jeudi 9 octobre 2014

Quand Barto a failli pleurer



J'ai feuilleté en librairie le livre de Claude Bartolone, président de l'Assemblée nationale. Intéressant. Une page m'a cependant interpellé, un moment de sa vie où mon camarade a failli verser des larmes : "j'en aurais pleuré", écrit-il exactement. C'est rare, un homme politique qui se laisse ainsi gagner par l'émotion, et qui l'avoue publiquement. C'est un monde où l'on garde plutôt les yeux secs. Mais quel événement a donc provoqué chez Bartolone un tel état ? La disparition de Mandela, la défaite de la gauche en 2002, des licenciements massifs dans une grande entreprise, ... ? Les occasions de pleurer sont finalement assez nombreuses (et je ne parle que des larmes de souffrance, pas des larmes de joie).

En fait, vous n'y êtes pas : Barto a failli pleurer le 25 août dernier, en voyant à l'île de Sein, lors des commémorations du Débarquement, le président de la République sous la pluie. Voilà l'événement qui l'a touché, qui a remué sa sensibilité, qui l'a conduit au bord des larmes. On se souvient de la chanson de Georges Brassens : "un p'tit coin de paradis, contre un coin d'parapluie". Manifestement, pour Claude Bartolone, le parapluie, c'aurait été, en la circonstance, le paradis, un signe du ciel.

Mais pourquoi cette hyper-émotivité de notre président de l'Assemblée nationale ? Est-ce qu'il craignait pour le costume mouillé du chef de l'Etat ? Non, mais pour son "image" : il demande à François Hollande d'y être "plus attentif" (c'est dans le livre). Merci du conseil, mais depuis quand est-il humiliant, déshonorant, négatif d'être tête nue sous la pluie ? De Gaulle, Mitterrand et d'autres grands de ce monde y ont été confrontés plus d'une fois, et leur "image", loin d'être abaissée, en était relevée : l'homme qui affronte, stoïque, les éléments déchaînés est une beau symbole de force, de volonté et de noble indifférence. A voir cette crâne et virile attitude, on en éprouve un sentiment de fierté, on se dit que la France est dignement représentée, on mépriserait au contraire la venue d'un serviteur en gants blancs abritant peureusement le président sous un grand parapluie. Barto, lui, à l'inverse, a failli en chialer comme un gamin.

L'anecdote m'a frappé, presque troublé : comment le quatrième personnage de l'Etat dans l'ordre protocolaire peut-il en arriver là, réagir aussi puérilement ? L'explication est sûrement dans l'esprit de l'époque, d'autres personnes ayant réagi ainsi : nous avons peur de tout, même de la pluie, nous avons le culte de la sécurité, vive les parapluies !

Mais il y a aussi une explication plus personnelle : le livre de Claude Bartolone s'intitule "Je ne me tairai plus - plaidoyer pour un socialisme populaire". Pourquoi dit-il, un peu bizarrement, qu'il ne se taira plus ? Parce que Bartolone s'est tu toute sa vie : il fait partie de ces hommes politiques, très nombreux, qui se sont construits et qui ont réussi dans le sillage d'un autre, en l'occurrence Laurent Fabius. Une ombre, ça s'agite, mais ça ne parle pas. Barto a toujours collé à Fafa : "je lui apportais tout ce que je pouvais", confesse-t-il, désabusé après 30 ans d'ingratitude. En politique, les suiveurs, les n°2 finissent toujours mal, c'est ma petite théorie.

Aujourd'hui, Bartolone est orphelin, solitaire, écorché vif : un peu de vent chargé de pluie qui souffle sur le chef de l'Etat, et voilà que son coeur s'emballe et que ses yeux rougissent. "Je ne me tairai plus", dit-il rageusement. A 63 ans, il est bien temps.

mercredi 8 octobre 2014

Axel Kahn me déçoit



Axel Kahn était hier soir à Saint-Quentin, au palais de Fervaques, à l'invitation de la librairie Cognet. Il y avait beaucoup de monde pour cette conférence sur son dernier ouvrage, "Pensées en chemin", consacré à un périple à pied à travers la France. La moitié du premier étage était remplie. Mais que Cécile Jaffary et Monsieur Louis m'excusent : j'ai été déçu par l'intervenant.

Pourtant, au début, c'était alléchant. Quand Axel Kahn a expliqué que son projet avait été motivé par la lecture du livre de Jacques Lacarrière, "Chemin faisant", paru dans les années 70, j'ai accroché : adolescent, cet ouvrage d'un homme qui parcourt sac au dos le pays m'avait beaucoup plu. Mais la même expérience faite par le grand généticien, ça n'a plus du tout le même sens, je n'en retire pas grand chose.

Bien sûr, Axel Kahn est d'une élocution parfaite et il captive son public du début à la fin. Le propos est clair et agrémenté d'anecdotes amusantes. Ma déception vient d'ailleurs, du contenu, que je trouve faible, assez banal, pour tout dire pas très intéressant. Marcher, c'est l'occasion d'une épreuve unique, personnelle, qui peut donner lieu à des réflexions inédites sur soi-même, sur la vie, sur la nature. Souvent, il en résulte une dimension spirituelle, religieuse ou agnostique. Rien de tout ça chez Axel Kahn, mais des considérations à la croisée de la politique, de la philosophie et de la psychologie, qui ne donnent rien de très convaincant.

L'essentiel de son diagnostic, c'est que beaucoup de territoires de notre pays vivent en état de "sécession", ne croient plus en la politique, ni aux élites, souffrent principalement de la désindustrialisation. Quel besoin de faire des milliers de kilomètres en piéton pour faire ce constat-là, que n'importe qui peut faire en restant chez lui, dans son bureau ou devant sa télévision ?

Et puis, il y a certaines de ses interprétations qui sont discutables. Axel Kahn réduit le vote d'extrême droite à une réaction passéiste, à une nostalgie du bon vieux temps. Non, le ressort de ce vote est ailleurs, beaucoup moins avouable : c'est la xénophobie. Sur les régions, il affirment que celles qui s'en sortent le mieux sont celles qui ont une forte et fière identité collective, par exemple les Bretons. Non, les nordistes ont une identité aussi forte et fière, mais sont durement touchés par la crise économique.

Quant aux remèdes que propose Axel Kahn, je ne suis pas plus convaincu, ni séduit. Il défend le "patriotisme régional", l'identification à une histoire et à une culture pour affronter et vaincre la crise. Franchement, je n'y crois pas du tout. Lorsque le conseiller municipal Philippe Vignon, lors des questions de la salle, lui demande ce qu'il pense de la réforme des collectivités territoriales, il a une réponse mi-chèvre, mi-chou : oui à certains regroupements évidents, basse Normandie et haute Normandie, Alsace et Lorraine, mais non à d'autres plus contestables, sans véritable identité géographique, telle que la région Centre. Ok, je comprends, mais si la politique consistait à ne prendre que des décisions qui s'imposent, l'exercice serait facile. La réalité est autre. La réforme territoriale ne pouvait que concerner la totalité du territoire, pas des portions seulement. Partant, certains découpages ne pouvaient qu'être artificiels. Qu'importe, d'ailleurs : à la Révolution française, les départements ont été taillés de façon purement arbitraire, qui ne les a pas empêchés de fonctionner.

Le travail d'Axel Kahn me confirme dans une idée souvent vérifiée : on ne peut pas mélanger les genres (ou alors le résultat est insatisfaisant). Kahn est un grand scientifique, un généticien remarquable, mais un philosophe léger et un politologue convenu. Ce qui est sans importance et sans problème : on ne peut pas tout être, il est déjà beau d'exceller dans un domaine.

mardi 7 octobre 2014

Maxence and Co



Hier soir, salle de Vermand, dans le cadre du Bizz Art Festival, Maxence Tasserit et ses camarades de l'association Cicinénémama nous ont présenté six courts métrages décoiffant. Maxence a prévenu d'emblée : ça ne dure qu'une heure vingt, a-t-il répété pour que le public soit rassuré, et les sacs à vomi sont sous les chaises (sic). Il est vrai qu'il y a de quoi être déstabilisé par le flot d'images ou les décibels : comme si l'objectif, par moments, était de mettre mal à l'aise.

Je ne vous dirai pas ce que j'ai vu : c'est irracontable, il faut le voir. Justement, avec Maxence Tasserit et ses amis, le cinéma revient à ses origines : les images, rien que les images, sous toutes leurs formes et leurs couleurs. Les frères Lumière ne faisaient rien d'autre que montrer. Après eux, très vite, le cinéma a été colonisé par le récit et le message : les films se sont mis à raconter des histoires ou à vouloir faire passer des idées. Maxence Tasserit and Co refont du 7e art en quelque sorte un art brut (et brute !).

On peut utiliser si on veut l'expression de "cinéma expérimental", mais elle ne me plaît pas : ça fait trop souris de laboratoire. Les détracteurs du genre diront peut-être qu'on ne comprend pas grand chose à ces films-là. Mais lorsque l'on regarde pendant des heures l'océan sans se lasser et qu'on le trouve beau, fascinant, est-ce qu'on y comprend quelque chose, est-ce qu'on peut l'expliquer ?


Vignette 1 : Maxence Tasserit, à gauche au micro, et les deux autres réalisateurs.

Vignette 2 : une performance graff. Le festival dure toute cette semaine.

lundi 6 octobre 2014

La photo mystère



A la suite de mon billet de samedi, consacré à la visite du lycée Henri-Martin par ses anciens élèves, Jean-Claude, lecteur de ce blog, m'a transmis la photo ci-dessus, d'un ancien d'Henri-Martin, mais pas présent samedi. Qui est-il ?

Je n'ai pas la réponse, Jean-Claude nous la donnera quand il voudra. Mais j'ai beau réfléchir, je ne vois pas, ce visage ne me dit rien. Simplement, je crois reconnaître l'habit vert des académiciens. Après tout, pourquoi pas, le lycée a bien donné une Miss France !

Précision de Jean-Claude : c'est quelqu'un de vivant, qu'il nous suggère d'inviter pour une prochaine visite. A suggérer à Serge Dutfoy ! Je vous laisse chercher, vous serez peut-être plus perspicaces ou plus informés que moi.

dimanche 5 octobre 2014

Manif pour rien



Il arrive qu'on défile pour rien. J'en ai déjà fait l'expérience. Mais ce n'est pas une raison. Aujourd'hui, la "manif pour tous" va manifester pour rien : le mariage homo est dans la loi, même la droite n'y touchera pas ; la GPA, inutile de la refuser puisque le Premier ministre la refuse déjà. Alors, il reste quoi ? Des pauvres gens en désarroi parce que le monde change. Des manipulateurs aussi, qui n'hésitent pas à mettre en avant leurs propres enfants, à les exhiber, otages d'un conflit d'adultes, poussettes en tête de cortège.

De même, il y a manipulation des symboles et des slogans. Regardez ce tract, en vignette, trouvé dans Saint-Quentin : le drapeau flottant brandi par des poings rappelle l'esthétique soixante-huitarde, les affiches du PSU ou des maoïstes. Et les slogans, "l'humain n'est pas une marchandise", "l'enfant n'est pas un objet", "la femme ne peut être exploitée", auraient leur place dans une manifestation altermondialiste. Même la formule "abolition universelle de la gestation pour autrui" est inspirée d'un vieux slogan anarchiste du XIXe siècle : "abolition universelle du salariat". Récupération, confusion, manipulation.

Le paradoxe, c'est que les anti et les pro GPA ne sont pas des adversaires, encore moins des ennemis, mais des rivaux, des concurrents : tous sont des défenseurs de la famille, famille hétéro ou famille homo, laissée à la nature ou aidée par la science. C'est comme le "mariage pour tous" : l'institution contestée en Mai 68 au nom de l'amour libre est aujourd'hui revendiquée. La révolution par la tradition ! Drôle d'époque ...

Le fondement de la famille, ce n'est pas l'amour, c'est le désir d'enfant. Jésus a demandé de s'aimer les uns les autres, pas de faire des gosses ; Roméo et Juliette avec des gamins, c'est la fin de la grande passion. Ce désir d'enfant est éminemment problématique. Autrefois, il n'en était pas question : on avait un enfant par hasard ou par devoir, pas par désir. Pour les pauvres, c'était un malheur, une bouche de plus à nourrir, régulé par l'infanticide. Pour les puissants, c'était la garantie du maintien de l'héritage, politique (les aristocrates) ou économique (les bourgeois).

Le désir d'enfant, purement moderne, devait forcément déboucher sur cette folie qu'est la GPA. Logique : un désir qui veut absolument être satisfait bascule dans la folie. On veut un gosse mais on ne peut pas ? Alors, on va chercher un autre ventre, ou on se fait implanter un utérus, ou on va chercher du sperme ailleurs : c'est la génération des bébés Frankenstein. Et le délire monstrueux n'en est qu'à ses débuts ! Tout ça parce qu'on veut assouvir son désir d'enfant, qui n'a rien à voir ni avec l'amour, ni avec l'enfant, mais avec soi-même et son désir chéri.