jeudi 2 octobre 2014

La famille n'est pas sacrée



Je suis atterré par l'actuel débat autour de la politique familiale et ses présupposés. Non, la famille n'est pas quelque chose de sacré, d'intouchable. Le culte du sang, de l'hérédité et de l'entre soi m'est étranger, me révulse. Je ne comprends pas. Que la famille puisse être un havre de paix, d'amour et de bonheur, je n'en disconviens pas. Mais elle n'en a pas le monopole, l'exclusivité. Surtout, la famille peut être aussi, et tout autant, un lieu d'enfermement, de violence et de névrose. Le "bon père de famille" est un mythe : un géniteur peut être un abruti et un irresponsable. Le repli contemporain sur les valeurs familiales est incontestablement un signe de décadence.

Quels sont les peuples qui ont beaucoup d'enfants, qui accordent beaucoup d'importance à la famille ? Les peuples pauvres, et on comprend bien pourquoi : ils n'ont que ça, c'est leur ultime espoir. Plus un pays est riche, développé, civilisé, moins il accorde de place à la famille. Je suis stupéfait d'entendre des responsables politiques se féliciter de la démographie française : nous sommes le peuple le plus déprimé de la terre et nous faisons des gosses ; ceci explique cela et n'a rien de réjouissant.

La famille est d'autant moins sacrée que l'idée que nous nous en faisons est récente, remonte au XIXe siècle, correspond à un schéma bourgeois. Les aristocrates d'Ancien Régime avaient le culte de l'honneur, des manières et du devoir, pas celui de la famille. Au Moyen Age, l'enfant était négligé et mourait la plupart du temps très jeune. La famille reine et l'enfant roi datent de l'époque moderne. Le paradoxe, c'est que la famille est d'autant plus vénérée aujourd'hui qu'elle est décomposée et recomposée : crise du mariage, explosion des divorces. Mais l'idéologie de la famille n'en est pas à une contradiction près.

Je m'amuse beaucoup à voir les cathos se revendiquer des valeurs familiales, alors que le christianisme les remet fortement en cause. Le Christ ne ménage pas sa propre famille (qui le lui rend bien), il invite ses disciples à le suivre en abandonnant femmes et enfants. L'Eglise est dirigée par des célibataires, les saints et les grands mystiques ignoraient la sexualité et la reproduction. Saint Paul explique que la famille est un pis aller, mais que l'idéal est de pouvoir s'en passer. Je n'hésite pas : fonder une famille, c'est creuser sa tombe, renoncer à sa liberté, se soumettre à la société.

Les mesures prises par le gouvernement sont bonnes : pourquoi tout le monde ferait-il des efforts, et pas les familles ? Au nom de quoi ? Mais je trouve que la vraie réforme n'est pas abordée : la mise sous conditions des allocations familiales, pour mettre fin au scandale de ces familles aisées qui les empochent sans en avoir besoin. Les allocs devraient être réservées aux familles pauvres : et pas parce que ce sont des familles, mais parce que ce sont des pauvres. Qui osera un jour en décider ainsi ?

J'ai voulu illustrer ce billet par un excellent hors-série du magazine Charlie hebdo, paru cet été, qui se charge de déconstruire, de désenchanter, de désacraliser la famille. Après sa lecture jubilatoire, on se sent mieux.

10 commentaires:

Anonyme a dit…

Verser des allocations à des familles aisées ,c est un scandale mais la gratuité de l'école pour les familles aisées c'est tout aussi choquant.
Pourquoi offrir ce service à des familles qui n'en ont pas besoin alors que les familles défavorisées peine à assurer des études universitaires à leurs enfants faute du financement suffisant de l'Etat ?

Emmanuel Mousset a dit…

Non, vous ne pouvez pas comparer le droit à l'éducation et le droit à une allocation. Tout enfant, quel que soit son milieu, a droit à une éducation : c'est le fondement de l'école laïque, c'est le creuset de la République. En revanche, toute famille ne devrait pas percevoir une allocation quand ses moyens financiers peuvent l'en dispenser.

Erwan Blesbois a dit…

On peut avoir des parents riches, ou même un peu moins riches, mais assez aisés, comme les miens par exemple et être totalement désinvestis par eux. Un enfant n'a pas à être la victime de son origine sociale qu'elle soit aisée ou modeste. Les enfants devraient être retirés à la parentalité (je dis ça même si j'ai des enfants), source de toutes les névroses et des psychoses. Le paradigme idéal, c'est le système du "meilleur des mondes"(Huxley) : les enfants doivent appartenir à la collectivité humaine ( village, région, nation, monde), et non pas appartenir à une famille. Une famille riche peut-être aussi toxique qu'une famille pauvre, tous les enfants riches ou pauvres doivent être au même titre les enfants de l’État. Cela suffit les discriminations par l'argent, dans un sens ou dans un autre : je suis personnellement pour l'égalité face aux allocations concernant les familles riches ou pauvres, et à terme je suis pour la dissolution de la notion de famille.

Erwan Blesbois a dit…

Ce qui doit être protégé ce n'est pas la famille c'est la classe moyenne. Cette dernière devrait presque être sacralisée et servir de modèle aux autres classes. En système libéral ce sont les riches et les très riches qui servent de moteur à l'économie, les classes moyennes tendent à disparaître, et ensuite il n'y a que des pauvres ou des très pauvres : voici le programme d'un Fillon ou d'un Sarkozy, voici le modèle de société qui nous est actuellement proposé avec la peopolisation des très riches (dont Sarkozy avec le couple qu'il forme avec Carla est un des avatars), dont personnellement je me fous. Non il faut au contraire imaginer un système où les classes moyennes soient majoritaires et servent de modèle aux autres classes. Ainsi les très riches auront-ils le désir d'être un peu moins riches, et les pauvres auront un modèle atteignable, puisque les classes moyennes devront rassembler environ 80% de la population : c'était encore le modèle de société sous Giscard. Pour cela il faut une Europe forte et unie, avec des droits sociaux élevés sur toute la zone, et un véritable marché protégé à l'abri de la concurrence des pays émergents : le coût du travail n'a pas à être baissé, la demande doit être plus forte que l'offre et l'attiser : comme cela on peut tenir encore un bout de temps, créer du désir de la part des riches anglo-saxons, et des pauvres des pays émergents pour notre système social européen, et dont la classe moyenne serait la vitrine. Avec le libéralisme, qui a commencé à faire ses ravages dans les années 80, on tient encore 20 ans, ensuite il n'y aura plus que 20% de riches et de très riches, et le reste qui vivotera, ou qui crèvera de misère comme au XIX ème siècle. Le modèle doit être les trente glorieuses, pas Germinal.

Emmanuel Mousset a dit…

Pour résumer, et si je comprends bien, tu te proposes toi-même comme modèle social, "moyen" que tu es. Mais c'est déjà fait : l'idéologie aujourd'hui dominante, c'est celle de la "middle class".

Emmanuel Mousset a dit…

Erwan, sur la famille, je suis moins radical que toi : comment peut-on demander la "dissolution" d'une réalité naturelle ? C'est un peu comme si tu demandais la dissolution du corps humain ...

Anonyme a dit…

GODIN , le sage de GUISE n' a jamais évoqué cette voie blesboyenne et hormis que cela est une bombe , on voit ce que cela donne dans les centres ou famille d'accueil .... Soyons réaliste l'état providence c'est une utopie de plus ....

Erwan Blesbois a dit…

Tout homme se vit comme le centre du monde, je crois que c'est Husserl qui dit quelque chose comme ça. Pour ce qui est de la dissolution de la famille c'est bien sûr de la science-fiction, comme l'a imaginé Huxley, on en a en tout cas les moyens scientifiques : c'est juste de l'idéal, comme imaginer au temps de Molière un voyage sur la lune, finalement ils l'ont fait. Je pense que finalement dans le futur se posera la question de l'interdiction de la parentalité pour la régulation nécessaire de l'espèce humaine.

Anonyme a dit…

Les modèles familliaux ont bien changé,fort heureusement.
Un parent devrait devenir "parent",c'est une activité que l'on n' apprend dans aucun livre et celà ne s'explique pas,ça se vit,bien ou mal.Il n'existe pas de diplôme de bon parent,il fait ce qu'il peut.Papa Freud a bien déterminé des rôles et si vous n'êtes pas dans ce schéma,gare à vous,parents ou enfants!
Quant aux autre incidences,c'est à dire les religieuses,elles conditionnent beaucoup les familles pauvres,tout simplement.Dans le débat républicain,on est foncièrement laïc(heureusement)Dans les débats,on semble que l'impact des croyances des uns et des autres bien présentes,mais jamais analysées.
Freud est étudié en terminale en philo et sert de référence à la famille (du XIXe),pas à celle d'aujourd'hui mais combien se culpabilisent de ne pas être dans "son" schéma.A 40-50ans,on devrait s'être affranchi de ses parents.
Qu'est-ce que la famille sans les femmes qui font les enfants,mais qui s'engagent aussi,mais elles doivent rentrer plus tôt des réunions,pour reprendre leur rejeton qui,après pourra faire de la politique.
Clin d'oeil à toi.

Anonyme a dit…

Comment oublier,vers 1970,le goûter du mercredi,dans un salon de thé connu,où d'autres lycéens dont on connaissait la famille aisée,qui remerciaient à haute voix les allocations familiales,servant à payer la profusion de gâteaux,toutes les semaines?...Politique familiale ou
inégalité?