jeudi 23 octobre 2014

48 heures de séisme



Pour un non socialiste, les dernières 48 heures n'ont été que querelles de personnes au sein du PS. Pour le socialiste que je suis, c'est un débat important, grave et même historique qui a fait surface, dont les conséquences sont immenses : il y aura, de ces deux jours, un avant et un après, j'en suis certain. Quelque chose, qui était latent et ancien, est devenu explicite et conditionne désormais notre avenir. Le parti socialiste, depuis, ne peut plus être le même.

Il y a d'abord eu cette abstention collective des "frondeurs" sur le budget de la France, une décision inouïe, inédite, transgressive : le vote du budget, c'est le partage des eaux en politique ; on est pour ou on est contre, le clivage entre majorité et opposition se fait à partir de là. 39 députés socialistes sont passés outre, ne se reconnaissent plus dans la majorité, rejoignent donc l'opposition, car il ne peut pas y avoir d'entre-deux. Stéphane Le Foll a été très clair, à son habitude : "Il y a des devoirs quand on est dans une majorité, et donc il y a manquement au devoir. Depuis le départ, (les frondeurs) se sont mis en marge, ils sont systématiquement contre ce qui a été voté. Qu'ils en tirent les conséquences". La conséquence principale, c'est qu'ils ne font plus partie de la majorité, quoi qu'ils disent.

Parmi ces "frondeurs", il y a des cas aggravants : Benoît Hamon et Aurélie Filippetti, qui se sont abstenus sur un budget auquel ils ont collaboré, en tant que récents anciens ministres. Ils sont donc doublement inconséquents : envers la discipline du groupe parlementaire, envers le gouvernement auquel ils ont appartenu. Benoît Hamon est même triplement fautif, puisqu'il a tenu, dans les médias, des propos hallucinants, hors de toute raison : la politique menée par le gouvernement "menace la République", elle conduit à un "immense désastre démocratique". Peut-être aurait-il dû ajouter que cette politique compromettait l'équilibre de la planète, entraînait vers une Troisième guerre mondiale, disloquait le système solaire, faisait basculer la galaxie dans un "trou noir" : quand on aime, on ne compte pas, mais quand on déteste, c'est pire. Le Foll a eu le mot de la fin : "il serait cohérent que Benoît Hamon quitte le PS".

Devant tant d'inconséquences, de contradictions et de comportements individualistes, le Premier ministre a donné au Nouvel Observateur une interview remarquable, qui fera date, qui elle aussi marque un avant et un après. C'est une véritable charte de refondation idéologique du socialisme français, dont je tire quelques points qui me semblent essentielles, identitaires :

1- "Il faut en finir avec la gauche passéiste, hantée par le surmoi marxiste et par le souvenir des Trente Glorieuses". Cette gauche est à l'intérieur du parti, c'est une gauche de pure opposition, qui est proche de Jean-Luc Mélenchon, qui s'en défend hypocritement, qui ne l'assume pas. "Gauche passéiste" : comment ne pas penser à Michel Rocard et sa dénonciation de la gauche "archaïque", il y a bien longtemps. Vieille histoire ! Il est temps d'en finir.

2- Il faut changer le nom du parti, c'est une évidence. Ce n'est d'ailleurs pas nouveau : la SFIO (Section française de l'internationale ouvrière), après 70 ans d'existence, s'est transformée en Parti socialiste, qui doit se transformer, après 45 ans d'existence, en Parti démocrate ou Parti social-démocrate, par exemple. Ce n'est pas une coquetterie mineure, c'est une identification majeure : pour qu'il n'y ait pas tromperie sur la marchandise. Ce changement de nom doit aller de pair avec un changement de structure : le nouveau parti doit être la "maison commune des progressistes", agréger en son sein toutes les formations politiques, réformistes, républicaines, centristes, qui ne se reconnaissent pas forcément dans le socialisme. Oui, de l'avis de Manuel Valls, j'avais écrit en son temps que c'était une erreur de ne pas s'ouvrir au MoDem, de ne pas accueillir François Bayrou, qui aujourd'hui est hélas repassé à droite.

3- "Le plus grand danger qui guette la gauche, c'est le sectarisme". En effet, et à tous les étages. Le sectarisme, c'est l'entre-soi, la fermeture, le repli, l'esprit d'opposition, l'instinct groupusculaire, le refus des responsabilités, le rejet des autres, la passivité, la méfiance envers les médias, la langue de bois, l'absence d'avenir, la suffisance, l'aveuglement et parfois la stupidité. Le sectarisme, c'est un sang pourri, une odeur mortifère qui empoisonnent certains secteurs du parti. Le sectarisme, ce n'est pas une attitude politique, c'est une psychologie : le contraire de la politique, la négation de la politique.

Les séismes en politique se font ressentir sur l'instant, mais surtout après, longtemps après. Ce qui s'est passé durant ces dernières 48 heures, nous en reparlerons encore, car les conséquences seront durables et pas totalement déterminables. Encore une fois, insistons bien, c'est tout autre chose qu'un vulgaire conflit de personnes.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Je ne suis pas vraiment d'accord avec vous. Tout cela est un épiphénomène dont on ne parlera plus dans 48h.

De plus j'ai vraiment l'impression que ça n'intéresse personne.

Enfin je crois que vous sur-interprétez les propos de B. HAMON qui a simplement voulu, en parlant de désastre démocratique, faire allusion à la gifle électorale(mais démocratique) qui se prépare pour le PS en 2017, et à la montée du FN.
C'est plutôt du bon-sens et tout le monde prévoit la même chose d'ailleurs.
Pas la peine d'aller chercher des propos hors de raison.

Emmanuel Mousset a dit…

"Ca n'intéresse personne", "tout le monde prévoit la même chose" : ne soyez pas si présomptueux, comptez plutôt sur votre propre réflexion (si vous en avez une) que sur les soi-disantes réactions qu'on prête aux autres. Quant à la "gifle", méfiez-vous : d'ici trois ans, il peut y avoir des retournements de baffe.