lundi 25 avril 2016

Interruption



Interruption du blog. Reprise dimanche prochain.

dimanche 24 avril 2016

Soyons vivants avant d'être morts



Les indigènes de Mézières-sur-Oise étaient hier soir vaguement inquiets. Des étrangers déferlaient sur le village, des voitures campaient dans les rues habituellement vides. D'un chapiteau sortait un boucan d'enfer. Heureusement, le café Le Sportif était bourré : quand le commerce va, tout va ... A l'intérieur, c'était le régime bière et croque-monsieur.

Du jambon, il n'y en avait pas qu'entre les tranches de pain beurrées : sous la tente chauffée, Ze Jambons se défonçaient (vignette gauche). On ne pouvait pas les rater : c'est écrit sur leurs cravates noires, en lettres roses. Ce rock musette marie fort bien la guitare et la batterie avec le violon et l'accordéon. Les ex Jambons roulés macédoine (ils ont changé, le titre était trop long) amusent et interpellent : SDF, chômage, FN, c'est du rock engagé. Plus d'un électeur frontiste du bled a dû trembler en entendant crier contre "la grosse blonde" (dixit Ze Jambons).

Peu de djeun's, des tronches quadra et quinqua, la tranche d'âge ... et de jambon, poivre et sel. Voilà le public des Jambonos et des Jambonotes, avec ses slogans et son parler : banané, comprenez bonne année, qui vaut pour toutes les fêtes. Jambon de ta mère, lardon de ton père, ce n'est pas une insulte, c'est un signe de reconnaissance, comme chez les scouts. Un type torché gueulait sans cesse : Jouez Noir Désir ! Jouez Noir Désir ! Il avait dû se tromper de concert.

Ze Jambons n'étaient pas venus seuls : les Darons suivaient sur scène (vignette droite). Ce ne sont pas tout à fait des papys du rock, mais ils ont quand même trente ans de guitare et de batterie dans les pattes. Bon, vous avez compris : ce rock très festif prenait sa place dans le Festival des Bistrots, en vallée de l'Oise, afin d'animer les villages et de valoriser les groupes locaux. Le titre de ce billet ? C'est un private joke entre Jambonos et Jambonotes, un clin d'œil à Vincent, qui a rejoint le paradis des rockers.

samedi 23 avril 2016

Je te tiens, tu me tiens ...



Nous vivons dans une étrange société, où un simple mot peut provoquer tout un débat, interpeller ministres et responsables politiques, susciter analyses et commentaires, applaudissements et approbations. Plus nous parlons mal, plus notre langage devient approximatif, plus les mots gagnent en importance. Voilà un curieux paradoxe. Jeudi, c'est le mot "obligé" qui a tenu la vedette, prononcé par la vedette de ces dix derniers jours, Emmanuel Macron. Qu'a-t-il dit exactement à la presse régionale ? Ceci :

"J'ai une loyauté personnelle envers François Hollande. Je lui dois de m'avoir fait confiance et de m'avoir nommé au gouvernement. En même temps, lorsqu'un président nomme quelqu'un ministre, il le fait parce qu'il pense que c'est bon pour son pays, pas pour en faire son obligé".

C'est très clair, c'est très juste. Franchement, qu'y a-t-il à reprocher à Macron dans cette déclaration ? Fidélité, loyauté, confiance : c'est dit. Mais que seraient ces vertus, nécessaires à la politique comme à la vie, si elles étaient contraintes, forcées, intéressées, obligées ? Elles perdraient de leur valeur, elle deviendrait suspectes. Il n'y a de fidélité, de loyauté et de confiance que dans la liberté, la sincérité. L'expérience montre que les obligés, qui courbent l'échine parce qu'on leur passe la main dans le dos, sont les premiers à trahir, lorsque tourne le vent, et il tourne très vite en politique. C'est l'honneur de Macron de dire ce qu'il a dit. C'est la fierté d'Hollande d'avoir un tel ministre. Qu'est-ce qu'un obligé ? C'est un courtisan qui a réussi et qui continue ses courbettes, jusqu'à faire un croc-en-jambe au moment où les circonstances l'exigeront.

Et puis, un homme de gauche, par nature, par sensibilité, refuse d'être l'obligé de quiconque. Car cette attitude renvoie au comportement féodal, au rapport entre le vassal et son suzerain, à tout un système archaïque et réactionnaire de services rendus et de protection assurée. Au mieux, c'est la chevalerie ; au pire, c'est la mafia. Quel homme authentiquement de gauche peut le cautionner ou le pratiquer ? Pourtant, que des socialistes aient pu s'étrangler en entendant un mot, un simple mot dont ils auraient dû se féliciter, doit avoir un sens. Lequel ?

C'est assez simple : notre vie politique, y compris à gauche, est marquée par la mentalité féodale. On parle d'une circonscription comme d'un fief, d'un successeur comme d'un dauphin, d'une élection comme d'un sacre, d'un chef d'Etat comme d'un monarque, de l'entourage comme d'une cour, etc. Ce ne sont que des images, des métaphores ? Non, pas seulement. Le langage n'est jamais innocent, il est traversé par du sens. Ce qui est vrai au sommet de l'Etat l'est aussi dans un parti, jusqu'à son plus bas niveau.

La politique est souvent faite d'un côté par des personnes en quête de reconnaissance, n'existant pas par elles-mêmes, cherchant le soutien d'un plus puissant, espérant de lui une place, et peut-être sa place, le moment venu. D'un autre côté, la politique est constituée de gens, beaucoup moins nombreux, qui sont en place, qui ont besoin des autres, des premiers, pour être soutenus, défendus. C'est le jeu de la barbichette : je te tiens, tu me tiens ... Le succès en politique, surtout quand on est médiocre, qu'on ne peut pas briller par ses compétences propres, consiste à se rendre indispensable auprès de plus puissant que soi, à qui l'on devient redevable. Contrairement à la fable, on n'y a pas besoin d'un plus petit que soi, mais d'un plus grand. C'est un jeu de contrainte mutuelle, d'interdépendance, de service et de servitude.

A tous les niveaux de la politique, ce système féodal perdure. A droite, c'est normal, c'est en phase avec sa culture historique. Mais à gauche, plus républicaine, libre et égalitaire, cet état d'esprit ne devrait pas être. C'est à travers la banalité d'une formule, franche et honnête, qu'Emmanuel Macron a levé ce lièvre. Si certains ministres et responsables socialistes ont vivement réagi, c'est qu'ils se sont reconnus : ils ont derrière eux, en eux, toute une vie, toute une mentalité d'obligé, j'ai presque envie de dire d'assisté, qui fait ce qu'ils sont, sans laquelle ils ne seraient plus rien du tout, dont ils souffrent quand elle se rompt. Alors que Macron, au fond, s'en fout : qu'il réussisse, tant mieux ; qu'il échoue, tant pis. Le gaillard a suffisamment de talents pour passer à autre chose, sans s'en s'émouvoir beaucoup plus.

Emmanuel Macron sourit, lâche la barbichette et reçoit une tapette, parce que personne ne le tient. Et c'est le drame, le désespoir pour les féodaux, qui auraient sûrement rêvé d'être comme lui, des hommes libres et talentueux, et pas de médiocres et ternes obligés. Macron renverse la table et le trône : il soutient que le recrutement politique doit se faire à la compétence, et pas à l'allégeance. On comprend le scandale auprès de ceux dont la compétence est pauvre mais qui disposent de trésors d'allégeance.

D'un point de vue plus directement politique, le ministre, de Pologne, a visé juste dans son explication : on cherche à affaiblir le président, à attaquer Hollande, on passe par Macron, on retient un mot qu'on monte en épingle, on invente une division au sein du gouvernement. C'est une technique vieille comme le monde politique, dont on voit bien à qui elle profite. Le plus surprenant, c'est que des socialistes participent à cet affaiblissement de leur propre camp.

vendredi 22 avril 2016

Les nouveaux aventuriers




Le festival international Ciné-Jeune revient à Saint-Quentin, mais pour trois jours seulement, ce week-end : les autres rendez-vous sont répartis à travers le département. Hier soir, l'association Cinéma et Psychanalyse a inauguré la première séance, avec le film inédit Surfacing, de Lindsay Mackay. Le nouveau président du festival, François Turquin, qui a succédé à Robert Lefèvre, a souhaité la bienvenue à la nombreuse assistance (en vignette, au micro).

A droite, Bruno Bouchard, que vous pourrez retrouver aujourd'hui dans un atelier grattage sur pellicule, une performance à laquelle on peut participer à partir de 4 ans. A gauche, Joseph Rondeau, psychanalyste, était accompagné d'une psychologue clinicienne pour l'animation du débat qui a suivi la projection. Les multiples activités de ces trois journées sont essentiellement tournées vers les familles, autour du thème : Les nouveaux aventuriers.

A noter, demain à 15h00, un ciné-concert : le Conservatoire de Saint-Quentin illustrera en musique les courts métrages de Norman McLaren. Ce sera la 34ème édition du festival international Ciné-Jeune de l'Aisne !

jeudi 21 avril 2016

Emmanuel, comme un soleil



Le ministre de l'Economie et des Finances est au firmament. Les sondages le propulsent dans les étoiles. Libération d'aujourd'hui le place en tête des préférés pour devenir président de la République, autant chez les sympathisants de gauche que pour l'ensemble des Français. Mais attention aux fusées qui montent trop vite et explosent en vol : cela se voit régulièrement en politique. Peu importe d'ailleurs : ce qui compte, c'est le moteur, la propulsion, l'énergie. Celle de Macron est atomique. Un soleil se lève à gauche, de plusieurs mégatonnes : gare à ceux qui vont y brûler leurs ailes !

Dans l'édition d'hier du quotidien belge Le Soir, Emmanuel Macron continue à esquisser cette nouvelle culture politique qu'il a explicitée lors du lancement de son mouvement En Marche. Carriériste, il ne l'est pas. Nulle intention chez lui de prendre un ticket dans la file pour avoir un jour une bonne circo, une place au chaud pour la députation, pris en main par un ancien qui vous laisse le siège. Macron a une tête d'ange, pas de dauphin. Quand on est le soleil, on n'a pas besoin de se chercher une place au soleil.

Sur France 2, il y a une semaine, Emmanuel Macron s'est fait le défenseur de la bienveillance en politique, une vertu pas ordinaire dans le secteur, qu'il a résumée ainsi : "Je n'ai pas besoin de m'opposer aux autres pour exister". Et ce n'est pas parce que c'est dit par une gueule d'ange que c'est de l'angélisme : c'est au contraire réaliste, souhaitable, utile, ça nous change de la vieille gauche rhumatisante, cynique, jalouse et méchante. Macron est un personnage solaire, lumineux, positif, optimiste, qui tranche avec les affreux, les bourricots, les scrogneugneux.

Sa dernière sortie a torché le nez à l'ISF, impôt de solidarité sur la fortune, que paient les riches. Manuel Valls, de son air sombre, inquiet et inquisiteur, a dénoncé une "faute". Réfléchissons un peu : l'ISF a été créé en 1981, c'était une mesure symbolique pour montrer que les nantis devaient participer à l'effort collectif. Il y a 35 ans, c'était très bien. Mais quel est le bilan aujourd'hui ? Combien rapporte cet impôt dans les caisses de l'Etat (parce que c'est quand même pour ça qu'est d'abord fait un impôt) ? Toujours plus que s'il n'existait pas, c'est certain. Mais encore ? Pas grand chose en vérité.

Mais surtout, et un homme de gauche est sensible à ça, est-ce que l'ISF a réduit les inégalités en France ? Est-ce qu'avec lui les riches sont moins riches et les pauvres moins pauvres ? Réfléchissez à ça, faites un peu moins de morale punitive et un peu plus de politique, de justice sociale. Surtout, soyez honnêtes, engagez-vous dans la réflexion que lance Macron en prenant bien en compte deux éléments : le premier, c'est que la gauche promet depuis une éternité une grande réforme de la fiscalité qui ne vient jamais.

Le deuxième élément, c'est qu'une vraie réforme de gauche en matière d'impôts ne se focalise pas sur l'ISF, le revenu, mais sur l'héritage, la rente. Car l'inégalité criante, l'insupportable injustice vient de là : cet argent qui dort, comme disait François Mitterrand, qui ne s'investit pas, qui reste dans les familles, qui se transmet de génération en génération, qui gonfle les fortunes sans travail, sans mérite, sans intelligence. Quand on sait que les Etats-Unis, affreusement capitalistes, taxent beaucoup plus l'héritage que la France tellement sociale, mais encore marquée par son passé aristocratique, où l'héritage est sacré ...

Taxer l'héritage : est-ce libéral ? oui ; est-ce social ? oui aussi. Un peu de libéralisme conduit à beaucoup de socialisme : c'est finalement la philosophie du ministre présidentiable. La vraie sortie de Macron ne porte pas sur la suppression de l'ISF, mais sur la taxation de l'héritage. Même les Nuit Debout ne sont pas assez révolutionnaires pour proposer ça ! Mais c'est la lune qui éclaire leurs débats, pas le soleil.

mercredi 20 avril 2016

L'affiche rouge



Sur l'affiche de la CGT dénonçant les violences policières, que dire qui n'ait été dit ? Consternant, accablant, irresponsable, condamnable ... Le rejet a été quasiment unanime. Même le NPA n'aurait pas osé cette affiche-là, qui est violente dans sa dénonciation de la violence. Qu'est-ce qui a pris la CGT de faire ça ? Car le plus étonnant est là : cette affiche ne lui ressemble pas du tout. Ce grand et respectable syndicat a toujours pris soin de se démarquer, avec raison, de toute forme de gauchisme, se montrant souvent intraitable avec ses représentants. Alors, que se passe-t-il ? La CGT nous joue un très mauvais CRS-SS, qui n'est plus de notre temps.

L'explication est sans doute dans la radicalisation de la scène politique. Tout propos modéré aujourd'hui passe mal. De ce point de vue, la montée de l'extrême droite a radicalisé plus ou moins toutes les familles politiques. Nuit Debout est une illustration de cette radicalité. A l'intérieur même du PS, les frondeurs surfent sur la surenchère. Emmanuel Macron, qui n'est pourtant pas un jusqu'au-boutiste, a martelé plusieurs fois dans le discours de lancement de son mouvement qu'il était favorable à des réformes radicales. La CGT n'échappe pas à ce phénomène de radicalisation, d'autant qu'elle est concurrencée sur sa droite par la CFDT et sur sa gauche par SUD et qu'elle pourrait bien perdre son titre de premier syndicat de France aux prochaines élections professionnelles. Que l'affaire de l'affiche surgisse à l'ouverture de son congrès n'est pas indifférent.

Ce petit scandale l'est d'autant plus qu'il contraste avec l'image qu'on se fait de la police depuis les attentats de l'an dernier. Les temps ont bien changé : l'anarchiste Renaud chante qu'il a embrassé un flic et les manifestants du 11 janvier 2015 applaudissaient la police, du jamais vu dans notre histoire. Ce nouveau rapport à la police est d'ailleurs étrange et ambigu : pour ma part, présent dans le défilé parisien, je n'ai pas applaudi au passage des cars de CRS. Outre le fait que les applaudissements ont tendance à se généraliser dans notre société (on applaudit dans les églises, dans les cimetières, après les minutes de silence et à tout moment dans les émissions de télévision), je ne vois pas pourquoi on applaudirait des fonctionnaires qui ne font que leur métier. Est-ce que j'attends des élèves ou de leurs parents qu'ils m'applaudissent à la fin d'un cours ? L'applaudissement en faveur d'une police qui accomplit ses missions me semble inapproprié. A ce compte-là, qui ne va-t-on pas applaudir ?

Qu'est-ce qui explique ce comportement inédit de la part de nos concitoyens, maintenant si prompts à battre des mains ? Je crois que c'est ce sentiment de peur, d'un peu toute chose, qui a gagné l'opinion publique depuis quelques années, obsédée par sa propre sécurité. Nos nouveaux anges gardiens, ce sont les CRS et les flics ! Cette évolution de leur image est ambivalente. Nous aimons les policiers pour ce qu'ils ne sont pas : des protecteurs. Or, leur métier, c'est la répression. Et ça, nous avons du mal à l'accepter. Lors des récentes manifestations lycéennes, les réseaux sociaux se sont indignés d'images de CRS frappant des jeunes gens. Le maintien de l'ordre est à ce prix. Un CRS ne sera jamais ce que nous rêvons de lui, infirmier, éducateur ou assistante sociale. Comme un enseignant doit gueuler et punir si nécessaire, un CRS doit charger et matraquer quand il le faut.

A bien y réfléchir, l'affiche polémique de la CGT doit moins à un gauchisme passé de mode qu'à une sensibilité très actuelle : l'injonction au respect, qui interdit de crier ou de lever la main sur quiconque, sauf à provoquer un scandale. Si cette affiche est excessive, outrancière, hyperbolique, c'est qu'elle nous dit qu'on ne peut aujourd'hui toucher à personne, et surtout pas à nos chers petits. Total respect, comme disent les jeunes. Mais le respect n'est pas la vie, et encore moins la justice. Pour ma part, j'estime qu'on ne peut respecter que les gens respectables : aux autres le mépris, la paire de claques ou la matraque.

Il y a quelques semaines, j'ai accompagné mes classes au forum des carrières et des formations, au palais des Sports de Saint-Quentin. La police tenait un stand. Une de mes élèves s'est informée. La policière de service, pour connaître ses motivations, a demandé à l'élève quelle idée elle se faisait du travail de policier : "secourir les victimes", a-t-elle répondu. Non, a corrigé la policière : "pourchasser les coupables". Je n'ai pas applaudi, mais le cœur y était.

mardi 19 avril 2016

Macron à votre porte



Dring dring, toc toc, vous ouvrez, et qui voilà ? Non, ce n'est pas l'archange Gabriel, même s'il a une annonciation à faire ; c'est Emmanuel Macron. Lui ou bien l'un de ses marcheurs, membres du mouvement politique qu'il a fondé dernièrement, En Marche, et qui a décidé de se lancer, en mai, dans une vaste opération de porte-à-porte. L'initiative a pu faire sourire : normal, quand un ange passe ... Mais c'est que l'image de Macron est associée à des cercles de réflexion, des dorures ministérielles, pas à des cages d'escalier. Il faudra s'y faire, ça va changer.

L'idée n'est pas nouvelle ? Si, complètement ! Certes, le porte-à-porte est une technique ancienne, qui a même été redécouverte ces dernières années. Mais l'opération de Macron est inédite dans son genre. Jusqu'à présent, le porte-à-porte procédait d'une intention électorale : les militants vous souhaitaient le bonjour parce qu'ils avaient des voix à mendier. Aussitôt l'élection passée, plus de porte, plus de porte à porte, plus de militant : je me suis toujours opposé à cette façon de faire, désobligeante, intéressée et, au demeurant, inefficace.

A Saint-Quentin, la gauche peut s'essouffler à rabattre des voix en allant d'appartement en appartement, ça ne lui rapporte strictement rien. Ce n'est pas dans le court laps de temps d'une campagne électorale qu'on prend son bâton de pèlerin (ou qu'on fait semblant, car combien de ces porte-à-porte sont effectifs ?), c'est en dehors, dans le temps beaucoup plus long où l'on cherche sincèrement à se pencher sur les problèmes des gens, à aller à leur rencontre, à discuter avec eux. Les porte-à-porte d'Emmanuel Macron ne seront pas la mise sur pattes de vendeurs ambulants chargés de refourguer leur camelote électorale.

Non, il s'agit d'aller au devant des citoyens, de faire état de leurs revendications, de cerner leurs aspirations en vue de constituer un projet politique qui soit conforme à ce que souhaite l'opinion. On peut parler, si on veut, de cahiers de doléances, même si l'expression n'est pas très adaptée. Je crois que ce type d'initiative n'a jamais été pris dans notre vie politique. Sur quoi va-t-elle déboucher ? Va-t-elle réussir ? Je n'en sais rien, Macron non plus. Mais il n'est pas besoin d'espérer pour entreprendre. Et puis, nous n'avons pas d'autre issue que tenter quelque chose de neuf, tant les partis politiques classiques sont désertés et discrédités.

Alors, si vous entendez dring dring ou toc toc, allez ouvrir, vous me verrez peut-être , ou un autre marcheur (Emmanuel Macron, je ne vous promets pas, même s'il n'y a pas loin d'Amiens à Saint-Quentin). Nous ne referons pas le monde : la chose a déjà été essayée et a dramatiquement foiré. Nous ne resterons pas entre nous, comme place de la République à Paris. Mais nous essaierons, plus modestement, d'aller vers ceux qui ne partagent pas nos idées, qui en sont parfois très loin (je pense aux électeurs du FN), mais qui ont quelque chose à dire. Parce que c'est ça, en définitive, la politique : discuter avec ceux qui ont quelque chose à dire et voir après ce qu'on peut en faire. En marche !

lundi 18 avril 2016

Voyage au bout de la nuit



Au rassemblement Nuit Debout, samedi soir, Alain Finkielkraut a été traité de fasciste, on lui a craché dessus, il s'est fait expulser. Nul doute que s'il était resté, il aurait été frappé. Est-ce un regrettable dérapage à mettre sur le compte d'une bande d'excités ? A voir la bande-vidéo, je ne crois pas. Personne n'a pris la défense du philosophe et les responsables du bon déroulement de la soirée l'ont prié de quitter les lieux sans en rajouter. Finkielkraut, dont je ne partage pas les idées, n'est pas un fasciste, mais un penseur réactionnaire et la place de la République à Paris n'est pas une zone de non droit : chacun est encore libre de se rendre pacifiquement dans cet espace public.

Pour qualifier Nuit Debout, un adjectif revient souvient, surtout à gauche : sympathique. Ca ne veut rien dire et ce n'est pas une catégorie politique. Depuis samedi soir, peut-être bien que ce mouvement nous apparaît moins sympathique. L'incident avec Finkielkraut n'est pas mineur, mais révélateur d'un phénomène dont je pointe quatre caractéristiques préoccupantes :

- Refus de la représentation, de la délégation : Nuit Debout est sans visage et sans responsable. C'est une mouvance anonyme, qui rejette toute forme d'incarnation. On ne peut lui demander aucun compte, ne lui adresser aucun reproche puisque rien ni personne n'assume dans ce mouvement une quelconque autorité.

- Refus de l'individualité : l'intellectuel est rejeté, mais l'ex-ministre grec de l'économie, reçu et écouté, n'est pas pour autant distingué. Il est ramené au régime commun, quelques minutes de parole. Sa qualité ne l'élève pas. Nuit Debout, c'est l'indistinction, l'égalitarisme jaloux, le collectivisme absolu. La personne est sommée de s'y noyer dans la masse. Aucun leader politique, même de la gauche radicale, ne s'y risque en ses grades et qualités, sinon il se ferait huer.

- Refus du politique, du pouvoir, des responsabilités : Nuit Debout parle entre elle, comme dans un miroir, sans pluralisme véritable. Elle s'enivre de ses propres paroles. Citez-moi une seule proposition concrète qui soit sortie de ce happening : il n'y en a pas !

- Méfiance à l'égard des medias : à Nuit Debout, journalistes et photographes, quand ils sont repérés, suscitent au mieux l'indifférence, au pire une sourde hostilité. C'est la vieille haine recuite contre la presse, parce que celle-ci porte un regard extérieur, distancié, critique qui gêne ceux qui veulent rester entre eux.

Avec Nuit Debout, nous sommes très loin de la démocratie, sa culture, ses règles, ses principes. Nous sommes dans ce que Jean-Paul Sartre appelait "le groupe en fusion", un collectif qui jouit de lui-même, de sa propre existence, qui n'a pas d'autres objectifs, qui vit en s'opposant, qui ne crée rien. Sa seule conséquence ne peut être que la violence, dont l'affaire Finkielkraut n'est qu'un signe précurseur, tout comme le vandalisme alentours et les provocations envers la police. Le plus probable, c'est que Nuit Debout disparaitra en retournant contre elle sa propre violence, en s'auto-dissolvant.

Certains commentateurs ont rapproché Nuit Debout et En Marche d'Emmanuel Macron, y voyant une aspiration analogue à sortir du sentier balisé des partis politiques. Non, les deux démarches sont complètement différentes. Macron est dans la politique, la discussion, y compris avec la droite, en vue d'aboutir à des propositions, de passer des compromis, de se présenter aux élections le moment venu. Qu'on l'aime ou pas, Emmanuel Macron sera toujours là, longtemps après que Nuit Debout ne sera plus qu'un lointain souvenir.

dimanche 17 avril 2016

Nous sommes tous ...



Le pape qui revient de Lesbos avec trois familles de réfugiés, et qui déclare : "Nous sommes tous des migrants", oui il y a de quoi s'en inspirer, croyants ou pas. Et quand parmi ces familles, il y a des musulmanes qui portent le voile et qui ne dérangent pas plus que ça le chef de l'Eglise catholique, cela faire réfléchir : la République française serait-elle moins tolérante que l'Etat du Vatican ?

"Nous sommes tous des migrants" : la formule, depuis 50 ans, fait florès, déclinée autrement. Je crois bien que le premier à l'avoir employée a été Kennedy, à Berlin, en 1963 : Ich bin ein Berliner, "je suis un Berlinois", pour marquer son attachement à la liberté et à la démocratie, face au sinistre mur et au non moins sinistre totalitarisme derrière.

Et puis, il y a eu mai 68, à Paris, les étudiants s'écriant : "Nous sommes tous des juifs allemands", en soutien à Daniel Cohn-Bendit, que le secrétaire général du PCF de l'époque, Georges Marchais, avait qualifié ainsi, ce qui n'était pas un compliment dans sa bouche.

Dans les années 80, combien de fois ai-je hurlé dans les manifs, plus souvent qu'à mon tour, ce slogan en faveur d'une France ouverte, cosmopolite, fraternelle : "Première, deuxième, troisième générations, nous sommes tous des enfants d'immigrés !" Même si je suis berrichon de souche, dans un centre de la France qui ne voit ni la mer ni le large, la vérité me semblait, et encore aujourd'hui, du côté des grands espaces, des rencontres de civilisations et du métissage.

En septembre 2001, après les attaques contre le Word Trade Center, le quotidien Le Monde titrait : "Nous sommes tous américains". Yes, yes, yes ! Et puis, l'an dernier, il a fallu redescendre dans la rue pour dire "Je suis Charlie", et à la fin de ce tragique 2015, afficher sur fond tricolore "Je suis Paris".

Les causes sont multiples, sans rapport, mais un même ressort les anime, le fameux "Nous sommes tous ...", seulement nuancé aujourd'hui par un "Je suis ...", individualisme oblige. Mais le message demeure identique, plein d'espoir et d'énergie : c'est une reformulation de l'humanisme, qui fait que chacun s'identifie à l'autre et prend par conséquent sa défense, le soutient, puisqu'il s'y reconnaît comme en lui-même. "Nous sommes tous ..." : c'est un déclic, un réflexe républicain contre tous les fascismes et les totalitarismes, qui veulent écarter, soumettre ou broyer autrui qui ne leur ressemble pas, qui n'est pas eux.

En 1980, à la mort de Jean-Paul Sartre, le quotidien Libération citait à sa une la formule du philosophe, tirée de son ouvrage "Les mots" : Un homme, fait de tous les hommes et qui les vaut tous et que vaut n'importe qui. Chaque homme porte en lui l'humanité entière, dans ce qu'elle a de meilleure et de pire. Tout homme est égal à un autre. Nous sommes tous sartriens ?

samedi 16 avril 2016

Comment ça va ?



C'est une question qu'on nous pose souvent, dans la vie, une interrogation banale : comment ça va ? A quoi nous répondons poliment, spontanément : ça va. Même quand ça ne va pas, finalement. Mais que répondre d'autre ? Et puis, qu'est-ce que ça veut dire : comment ça va ? Il y a toujours quelque chose qui ne va pas, toujours motif à se plaindre. Pourtant, notre réponse, ça va, est quand même justifiée : pour beaucoup d'entre nous, en gros on peut dire que ça va, si nous n'avons pas l'esprit trop grognon. Il y a aussi cette intuition un peu bébête, mais vraie, que si notre situation pourrait être meilleure, elle a aussi la chance de ne pas être pire.

Où je veux en venir ? A la formule du président de la République qui a sans doute fait le plus réagir, en négatif, lors de sa dernière émission télévisée : ça va mieux, à propos de la France. Pour un individu, il est déjà difficile de dire si ça va ou pas ; pour un pays entier, imaginez ... Remarquez bien que François Hollande n'a pas dit : ça va, encore moins ça va bien, mais ça va mieux, nuance. Certains commentateurs auraient trouvé plus juste de dire : ça va un peu mieux ou ça va un peu moins mal. Là, c'est du pinaillage.

Quoi qu'il en soit, l'expression a été mal reçue. Serait-elle fausse, mensongère, exagérée ? Non, le chef de l'Etat l'a assortie d'exemples précis : la croissance commence à donner des signes positifs, le déficit est en voie de rééquilibrage, les impôts ont baissé et le gouvernement a pris de nombreuses mesures avantageuses aux Français (par exemple la généralisation du tiers-payant). Le ça va mieux est d'autant moins contestable que ce n'est pas une déclaration triomphaliste : ça va mieux implique qu'il reste encore beaucoup à faire, que c'est loin d'être parfait. Il y a à la fois du réalisme et de la modestie dans cette formule-là. Hollande n'a pas dit non plus : tout va mieux. Nous savons bien que le chômage ne baisse pas, même si la légère embellie économique peut laisser espérer des résultats dans les prochains mois.

Comment alors expliquer que le ça va mieux, constat relativement banal, formule assez indéterminée, ait suscité tant de critiques, et même d'indignations ? Parce que cette phrase, dans l'état actuel de l'opinion, ne peut qu'apparaitre provocatrice, indécente, obscène. Pourquoi ? Parce qu'à l'ère de l'individualisme-roi, personne ne s'intéresse au ça, mais au moi. Aux yeux de beaucoup, c'est leur propre sort qui les préoccupe, pas celui du voisin, encore moins celui de la France. Ils vivent le ça va mieux comme une offense à leur personne. Tant que ça ne va pas chez eux, ça ne peut aller mieux nulle part ailleurs. Et comme chacun d'entre nous trouve toujours de bonnes raisons d'être mécontent, la brève formule du président "choque", comme on dit aujourd'hui.

La population française, depuis de nombreuses années, vit dans un état dépressif, ne croit plus en rien, désespère de tout, doute de l'avenir, s'angoisse à la moindre réforme, craint le déclassement, la clochardisation. Que cette population mette en tête de ses intentions de vote un parti, le FN, moitié de fous et moitié de fachos, en dit long sur notre névrose collective. Allez dire à cette opinion publique malade dans sa tête, pessimiste pathologique, que ça va mieux, elle s'en scandalisera, car elle a besoin de se complaire dans l'idée que rien ne va. François Hollande a-t-il donc eu tort de lâcher cette phrase ? Non, il a eu mille fois raisons de dire la vérité, même si elle est irritante et contrariante. C'est par la vérité et la juste appréciation des résultats que la France guérira.

vendredi 15 avril 2016

Hollande et les braves gens



On les appelle "les vrais gens". Brassens les appelait "les braves gens". Eux-mêmes se qualifient de "simples citoyens". Les médias en sont très friands, surtout pour les confronter à quelqu'un qui n'est ni "vrai", ni "brave", ni "simple" : un homme politique. Et quand celui-ci est le premier d'entre eux, le président de la République, l'échange est très attendu. C'était hier soir, à la télévision, beau comme un titre de film de Claude Lelouch : François Hollande et les braves gens.

J'ai écouté, j'ai noté, j'ai jugé. Ces braves gens, ce sont des allégories vivantes : la cupidité, l'arrogance, le fanatisme et le mensonge, puisque les invités étaient au nombre de quatre, face à l'auguste personnage. C'était plus qu'une émission politique : une fable de La Fontaine, une leçon de vie. Car les braves gens sont la pure expression de la vraie vie, alors que le chef de l'Etat est dans les hauteurs célestes de la grandeur nationale. Passons-les en revue :

La cupidité : elle a pris la figure avenante et souriante d'une jeune femme, chef d'une petite entreprise, qui reproche à François Hollande d'utiliser le mot de "patron", "par idéologie" dit-elle. Après le registre lexical, la dame, toujours souriante, sûr d'elle-même, de son bon droit, accuse Hollande de ne rien faire pour faciliter l'embauche. Elle, femme vertueuse, est prête à recruter, des dizaines de gens, mais on ne l'aide pas, soutient-elle, sans se départir de ce sourire qui retient à peine son sentiment de supériorité. Mais pourquoi ? Parce qu'elle ne veut que des CDD et des stagiaires, à tire-larigot, au mépris de la législation sociale. L'intérêt des salariés ? Ce n'est pas son problème. La loi El Khomri ? Ca ne lui convient pas du tout, puisqu'elle facilite les CDI. Quand on entend ça, on comprend soudain pourquoi on est de gauche, et pourquoi Hollande l'est aussi.

L'arrogance : là aussi, le sourire est présent, qui fait mieux passer le sentiment qu'on porte en soi, le mépris qu'on éprouve envers l'Etat et son représentant. Cette femme pourtant souffre d'un grand malheur, dont elle devrait faire le deuil en privé, dans la douloureuse pudeur, sans l'exposer à des millions de personnes : son fils est mort au djihad. Sa tragédie est rare : quelques centaines de Français seulement partent en Syrie. Le sujet ne méritait absolument pas d'être abordé dans ce type d'émission. Mais il est émotif, dramatique, médiatique. Que fait cette femme ? Elle accuse les autorités publiques de n'avoir rien fait, mais on est très loin de Zola. A aucun moment, dans sa tragédie personnelle, elle ne se remet en cause, elle ne se sent, rien qu'un peu, responsable de quoi que ce soit. Pourtant, cet enfant, elle l'a mis au monde, elle l'a éduqué. Par quel outrecuidance vient-elle demander des comptes au chef de l'Etat ? Et puis, ce fils, cet homme qui a rejoint une armée de tueurs, qui est lui-même devenu un tueur, qu'elle ne compte pas sur moi pour que je le considère comme une victime, à la mode d'aujourd'hui. Ma compassion, je la réserve à des gens plus méritants, et je n'oublie pas Charlie et le Bataclan. La donneuse de leçons n'a aucun effet sur moi.

Le fanatisme : les braves gens qui sortent du peuple sont encore plus braves que les autres. C'est leur impunité spécifique, c'est le cas pour ce chauffeur de bus, qui travaille dans notre région et dont l'intervention aura fait chaud au cœur de Jean-Jacques Thomas, le maire d'Hirson, dont la petite ville aura été citée par deux fois dans cette grande émission nationale. Pour le reste, le gaillard n'est que le facho de service. Est-il de la gauche déçue et cocue ? On le présente ainsi, parce que ça fait bien, parce que c'est prévu au casting. En réalité, quelqu'un qui a voté Sarkozy en 2007 et Le Pen en 2012 ne répond pas exactement à l'idée que je me fais d'un homme de gauche. Que veut-il, celui-là ? Que l'on renvoie les migrants de Calais, qu'on arrête de les soigner, de les loger et surtout qu'on ne leur verse plus les 11 euros et quelques, journaliers. Cette somme-là, qui va aux malheureux, il l'a au travers de la gorge, elle ne passe pas, il la répète, il la voudrait pour lui, dans sa poche. Et comme si ça ne suffisait pas, il tente de nous faire pleurer sur sa pauvre mère, dont la situation exacte nous est inconnue, et qu'il garde bien de nous détailler. Pour finir, le facho prend la précaution d'usage : qu'on ne croit pas qu'il est raciste, il ne l'est pas, ab-so-lu-ment pas.

Le mensonge : c'est un jeune homme dans l'air du temps, un "Nuit Debout". Et lui, quelle est sa charge contre le président ? La jeunesse, forcément. François Hollande l'aurait trahie, en ne tenant pas ses promesses de campagne. On a beau être jeune, on peut parler comme un vieux, comme un disque rayé. Car c'est faux, entièrement faux. Hollande a eu raison de le dire, à la face de ses procureurs, de ses inquisiteurs : "La France va mieux", y compris pour la jeunesse. Et le chef de l'Etat a détaillé la liste des mesures et des premiers résultats qui confirment cette reprise. Et lui, le "Nuit Debout", si malin à faire des remontrances, que veut-il, que propose-t-il ? Rien. Plus tard, quand une journaliste lui demandera son vote pour l'an prochain, il répondra qu'il hésite entre le vote blanc et l'abstention, avec une légère préférence pour l'abstention. Ok, j'ai compris : c'est un mécontent intégral, qui ne se satisfait d'aucun candidat, qui ne prend pas ses responsabilités de citoyen, qui n'a même pas le courage d'aller au bout de sa révolte en se déclarant par exemple anarchiste.

Pour finir, il y a eu l'intervention de Léa Salamé, l'animatrice de chez Ruquier. Elle ne fait pas partie des vrais gens, mais elle est une brave fille, nous fait-elle comprendre, en se lançant dans une incroyable attaque envers le chef de l'Etat, au sujet du débat sur la déchéance de nationalité, qu'elle a osé qualifiée de "tache morale" sur son bilan, tentant de lui arracher un mea culpa, à la mode d'aujourd'hui. Il n'a rien cédé, il a bien fait. Je serais lui, je me serais calmement levé pour la gifler, comme on l'aurait fait au XVIIème, où l'honneur avait encore un sens et où les impudents n'en menaient pas large. La déchéance de nationalité, j'étais contre, mais je me souviens que le Parlement unanime l'a applaudie au Congrès de Versailles et que l'opinion publique très majoritairement la souhaitait. C'est la droite, par ses votes dans les deux Assemblées, qui l'a rendu impossible. Qu'on ne vienne pas faire grief à Hollande d'avoir vouloir répondre par un symbole fort à un massacre commis en plein Paris. Ne l'aurait-il pas fait qu'on l'aurait identiquement critiqué.

Savez-vous comment je suis sorti de l'émission d'hier soir ? Plus hollandiste que jamais, avec la rage de voir le président se porter à nouveau candidat et de l'emporter. Pourquoi, moi qui ai quand même quelques reproches à lui faire ? Parce que devant ce quarteron de braves gens, préoccupés par eux-mêmes, englués dans leur mauvaise foi, François Hollande apparaissait comme un modèle de vertu, de maîtrise de soi, de dévouement à la cause publique et, par dessus tout, de probité intellectuelle et de bonne volonté. Les braves gens voulaient le faire passer pour un pauvre type. Eh bien moi, je soutiens le pauvre type.

jeudi 14 avril 2016

Plus belle la gauche




3806 Envoyé: 13-avril-2016 14:45:15 C est parti Labellealliancepopulaire.fr syndicats, assos, intellos et politique. 10 mois de débat. Fondons le 3 décembre 1 nouv fédération qui réponde aux défis du pays


C'est le texto que j'ai reçu hier. Quelle semaine ! J'ai adhéré à un nouveau mouvement politique (En Marche, d'Emmanuel Macron) et signé un manifeste en faveur d'un rassemblement de la gauche (la BAP de Jean-Christophe Cambadélis). Les deux initiatives sont d'ailleurs complémentaires : elles visent toutes les deux à élargir l'audience de la gauche, en sortant des chemins battus, rebattus et de plus en plus désertés des partis politiques.

Cambadélis, à son habitude, a été très clair : "les jeux d'appareil politique, c'est fini. Nous allons changer de méthode. L'entre-soi, c'est terminé". Il s'agit rien moins, et l'idée est audacieuse, que, je le cite, "la substitution au PS d'une formation politique rassemblant tous ceux qui auront participé". Camba-Macron, même préoccupation : ouvrir les portes et les fenêtres, faire un grand ménage de printemps, s'adresser à la base, au terrain, aux citoyens, en finir avec les cénacles confidentiels et rancis des sections socialistes. Comment n'applaudirais-je pas à ce propos, que j'ai souvent tenu sur ce blog, et que nous étions nombreux à attendre ?

Ce qui a poussé Jean-Christophe Cambadélis à sauter le pas d'un dépassement du Parti socialiste dans une structure plus large, un pôle réformiste de centre gauche, c'est tout simplement un impératif de survie : si rien n'est fait, c'est la mort du PS à brève échéance. Le titre de l'éditorial de Camba dans L'hebdo des socialistes de cette semaine est éloquent : "S'unir ou disparaître". Le rapprochement qu'il fait avec la SFIO de 1905 est pertinent : oui, le PS actuel en est là, moribond lui aussi.

Cette rénovation, dont nous reparlerons, devrait trouver tout particulièrement un écho à Saint-Quentin, où la gauche depuis de nombreuses années est totalement divisée, va de défaite en défaite, éliminée dès le premier tour des élections, et voit ses effectifs réduits à peau de chagrin. Cette belle Alliance populaire qui vient de naître, il faut maintenant la faire vivre sur le terrain. Y'a du boulot, mais y'a de l'espoir !

mercredi 13 avril 2016

Elle c'est elle



Depuis quelques jours, la presse locale fait état de changements au sein du personnel municipal et communautaire, laissant supposer une rivalité entre Frédérique Macarez et Xavier Bertrand, chacun installant son "clan" respectif. Quelle lecture politique peut-on en faire ?

Je ne crois pas qu'il faille sur-interpréter des mouvements qui sont d'abord administratifs. Les véritables évolutions politiques, quand il y en a, passent par les élus, pas par les employés. Il y a des avancements de carrières, des fins de contrat et un jeu de chaises musicales qui sont dans l'ordre ordinaire des choses et n'ont pas de signification politique particulière.

Et puis, il y a la dimension psychologique, qui n'est pas non plus directement politique. Les humeurs, les tempéraments, les empathies ou les incompatibilités expliquent aussi les départs et les arrivées. Nous sommes plus dans l'humain que dans le politique. Quand le chef s'en va, ses affidés aiment à le suivre ; quand un nouveau chef arrive, ses proches se rapprochent. C'est naturel, on ne peut guère en tirer d'autres conclusions.

Bien sûr, derrière l'administratif et le psychologique, il y a toujours une question politique, très difficile, terrible même : à qui peut-on faire confiance ? En politique encore plus que dans la vie, les êtres humains sont prompts à se retourner, en vertu de leurs intérêts, passant d'un soutien à un autre au gré des circonstances très changeantes. Le pire, c'est le faux soutien, qui vous caresse le ventre et vous plante un poignard dans le dos.

Pour l'homme ou la femme politique, le problème est de savoir à qui ils peuvent se fier, sur qui ils peuvent compter, de qui ils peuvent s'entourer. Bertrand et Macarez y sont confrontés, comme n'importe qui exerçant une importante responsabilité. En politique comme dans la vie, les vrais amis se comptent sur les doigts d'une main. Ceux-là, il faut les avoir à ses côtés. Tous les autres, il faut s'en méfier. Ce n'est pas du pessimisme, c'est de la prudence. Surtout, la confiance est un gage d'efficacité dans l'action publique.

La presse locale fait aussi remarquer, à juste titre, que les changements de personnes s'accompagnent de changements de mesures. C'est que tout pouvoir a besoin d'affirmer son autorité et son autonomie. Il y a une formule canonique qui résume ce fait : "lui c'est lui, moi c'est moi", répondait Laurent Fabius, Premier ministre, à propos de ses relations avec François Mitterrand, président de la République. Pourtant, Fabius était un mitterrandiste absolu, ancien collaborateur de Mitterrand, qui l'avait choisi comme dauphin, pour sa fidélité irréprochable. Il n'empêche que Fabius, une fois à la tête du gouvernement, s'est distingué de son mentor, parce que les choses ne pouvaient pas en être autrement. Quand on devient chef, on n'a pas d'autre choix que de se comporter en chef, c'est-à-dire de se montrer libre. Qui pouvait croire que Frédérique Macarez, une fois devenue maire, resterait, dans l'état d'esprit, la directrice de cabinet de Xavier Bertrand ?

Je ne suis pas dans les secrets de la droite locale, j'ai simplement l'œil, et bonne mémoire : la gauche a toujours rêvé à une droite divisée, parce qu'incapable de gagner par ses propres vertus, elle compte sur les vices de l'adversaire pour le voir échouer. Combien de fois ai-je entendu, il y a bien longtemps, qu'entre Pierre André et Xavier Bertrand, ça n'allait pas, que c'était le début de la fin ! Résultat : la droite triomphe depuis 20 ans dans Saint-Quentin ! On peut toujours prendre ses désirs pour des réalités : on appelle ça l'espoir ; mais ça ne change pas les réalités.

L'intelligence politique commande de s'entendre, d'être unis, quelles que soient les différences, les divergences et les difficultés. Divisés, il ne faut même pas y penser : c'est foutu ! La droite locale, bien sûr, a ses conflits, ses jalousies, ses ambitions personnelles, mais elle a toujours su les gérer, d'abord en ne les rendant pas publics, alors qu'à gauche, c'est la joyeuse pagaille. Ce n'est pas que nous soyons moins vertueux que la droite : c'est que, contrairement à elle, nous n'avons pas, depuis une dizaine d'années, de chef. Car seul un chef peut manager, arbitrer, imposer.

Frédérique Macarez a besoin de Xavier Bertrand, et Xavier Bertrand a besoin de Frédérique Macarez. Pour maintenir leur succès politique, ils sont condamnés à s'entendre, quelles que soient l'humeur et l'opinion de chacun. Le premier qui tirera contre l'autre sera mort. Leur rivalité serait destructrice. Bien sûr, Macarez et Bertrand peuvent perdre toute intelligence politique et s'affronter, ouvertement ou en coulisses. Ce serait un très beau cadeau fait à la gauche. Je ne pense pas qu'ils tomberont dans cette bêtise-là.

mardi 12 avril 2016

La longue marche de Macron



Le lancement du mouvement politique d'Emmanuel Macron, la semaine passée, a suscité de multiples réactions, comme il fallait s'y attendre. Manuel Valls a twitté qu'il n'était pas bon d' "effacer" les distinctions entre la gauche et la droite, en réponse à l'ouverture d' "En Marche" à des citoyens de droite. Je suis d'accord avec lui, puisque Macron n'a jamais eu cette intention, mais seulement d'envisager un travail commun entre des personnes de sensibilités différentes, sans pour autant "effacer" celles-ci.

Le "ni droite ni gauche" n'est pas mon principe. Je suis socialiste, pas centriste. Mais c'est un constat que les clivages idéologiques sont moins forts qu'autrefois et qu'un processus de recomposition du paysage politique est à l'œuvre. Macron a parlé de "majorités d'action" pour faire avancer certaines réformes, dont la défense ne recoupe plus vraiment l'opposition droite-gauche. Ni plus ni moins. Dans son discours fondateur d'Amiens, le ministre a rendu hommage aux partis, aux élus et aux militants. Il n'est pas question pour lui d'en finir avec tout ça, même si son objectif est d'incarner aussi une nouvelle culture politique.

Emmanuel Macron a insisté sur les "valeurs" qu'il tenait à porter, que je résumerais par ce triptyque : optimisme, liberté, Europe. La France crève d'un pessimisme total et systématique. On ne peut rien faire avec ça, ni dans la vie, ni en politique. Macron veut nous donner des raisons d'espérer : on a envie d'y croire, de le suivre. La liberté, c'est sa valeur fondamentale, qui fait de lui un libéral, au sens plein et progressiste du terme. Et je crois que c'est une valeur à laquelle nos contemporains, qui ne croient plus en grand chose, croient encore. Macron veut en tirer toutes les conséquences politiques. Enfin, il y a l'Europe, tant détestée, un peu partout, en France, qui est pourtant notre destin, notre dernière aventure collective, que Macron veut ré-enchanter.

L'initiative d'Emmanuel Macron n'est que le début d'une longue marche, à l'issue incertaine. Lui-même en convient : "Je ne sais pas si ça va réussir. Mais il faut prendre le risque". Les pesanteurs politiques sont telles que la prime va à l'immobilité, pas à l'innovation. Mais les évolutions ne sont pas non plus impossibles. Ce qui est intéressant dans la démarche du ministre, c'est qu'elle encourage les "initiatives locales", qu'elle se veut "une refondation par le bas".

A Saint-Quentin, où la gauche est en plein désarroi, le projet peut trouver un écho, peut-être un impact. En tout cas, il faudrait que celles et ceux, quelque soit leur sensibilité, qui se retrouvent dans le mouvement "En Marche" puissent se rencontrer, échanger et préparer l'avenir. Je lance l'idée, vous pouvez y répondre, pour discuter de ce que nous pouvons faire ensemble : emmanuel.mousset@wanadoo.fr

lundi 11 avril 2016

Nuit debout en plein jour (1)




Hier soir, vers 17h00, il y avait bien un petit millier de personnes place de la République, à Paris, chez les Nuit debout (vignette 1). Assez peu d'enfants, beaucoup de trentenaires, des look souvent étudiant. Pas mal de curieux aussi, des passants, et même des sceptiques : "ça ne va pas aboutir", entend-t-on. Aucun visage connu, sauf celui de Noël Mamère, discret. Les badges ou les tracts politiques sont absents.

Boulevard Magenta, plusieurs commerces sont tagués de slogans. Pas l'ombre d'un policier ou d'un CRS. Pas non plus de Croix rouge ou de toilettes publiques. La première impression est celle d'une grande anarchie. Au second coup d'œil, c'est différent : comme sous les pavés la plage, sous le désordre l'organisation. Les Nuit debout ont leur cantine, leur infirmerie, un espace dédié à la logistique et même un média, TV debout. Des visages sont fatigués d'avoir passé la nuit ici, les matelas l'attestent. Les photographes ne sont pas forcément les bienvenus.

La statue de la République est devenue un patchwork où se mêlent les revendications de Nuit debout et les hommages aux victimes du Bataclan, tout proche : fleurs, bougies, drapeaux tricolores (vignette 2). Sont-ce les mêmes qui pleuraient nos morts en novembre et qui espèrent aujourd'hui changer le monde ? En haut de la statue, un pendu, que je n'arrive pas à discerner : El Khomri ? Valls ? Gattaz ? Ces tentes, ces bâches, cette foule, ces débats, ces slogans partout : je me retrouve en octobre 1979, quand je découvrais pour la première fois la fac de Vincennes et son atmosphère soixante-huitarde (vignette 3). 1968 en 2016 ? Pas sûr ...

Nuit debout en plein jour (2)





Le maître-mot du mouvement, c'est debout, décliné de multiples façons, correspondant à des stands ou des lieux d'échange : féminisme debout, artiste debout, debout éducation populaire et même un jardin debout où l'on apprend à cultiver des fleurs, qui remporte un franc succès (vignette 5). Pas autant cependant que la commission culture et éducation, qui fait le plein (vignette 3). Un tableau informe des débats et actions du jour.

Des murs d'expression sont ouverts à tous. Une concession à la mode : des massages de détente sont proposés. Les assemblées peuvent être nombreuses (vignette 1, pas de micro, ni de sono mais un porte-voix) ou restreintes (vignette 2, la commission poésie !). Parmi d'autres, je découvre un stand emploi et un stand d'informations juridiques. Des palettes sont utilisées pour des tables improvisées : seule incursion dans le système électoral, la défense du vote blanc (vignette 4).

Les groupes de parole sont souvent spontanés. Si les interventions sont libres, la majorité écoute et les orateurs maîtrisent bien leur propos. La tonalité générale est à la critique, visant la classe politique, l'économie capitaliste. Assez peu de propositions, des finalités qui m'échappent, mais une ferme détermination à rester sur place et à poursuivre le mouvement. Jusqu'à quand et pour déboucher sur quoi ? A suivre ...

dimanche 10 avril 2016

Vive la primaire !



En politique, je change rarement d'avis. C'est peut-être un défaut, en tout cas pour réussir. Pourtant, cela m'arrive, par exemple pas plus tard qu'hier. Jusque-là, j'étais hostile à une primaire pour la désignation du candidat socialiste à la présidentielle de l'an prochain. Mon argument, c'était qu'un parti au pouvoir à un candidat naturel, contrairement à ce même parti dans l'opposition. Mais j'ai changé, je me suis rendu aux raisons des partisans de la primaire. Pourquoi ?

D'abord parce que le Parti socialiste a adopté hier, à l'unanimité, ce principe des primaires, en fixant même le rendez-vous pour décembre prochain. Or, l'unanimité est rarissime au PS, ce qui est normal dans une organisation démocratique, où il y a toujours des opposants. L'existence même de cette unanimité m'a conduit à réfléchir : il faut forcément que l'idée des primaires soit bonne pour que tout le monde s'y rallie. N'y aurait-il que cet argument-là, il justifierait mon changement d'opinion. Mais il n'y a pas que celui-là.

Pour qu'une primaire à gauche soit efficace et cohérente, il faut que tous les partis de gauche acceptent son principe. En l'état actuel, c'est loin d'être le cas, puisque Mélenchon a déjà dit non, et les écologistes n'ont pas encore dit oui. Dans ces conditions, il me convient assez d'être en accord avec une idée que je désapprouve mais qui, de toute façon, ne sera jamais appliquée. Il sera alors toujours temps et facile de faire porter la responsabilité aux autres.

Et puis, en supposant que la primaire se tienne malgré tout, chaque parti reste libre d'y envoyer ou non un candidat. Laissons donc communistes, écologistes et autres se départager entre eux, choisir le meilleur, alors que François Hollande, au dessus du lot en tant que chef de l'Etat, pourra toujours concourir de son côté, en se déclarant bien après que les primaires aient désigné leur candidat. Le bénéfice pour Hollande ? Réduire le nombre de "petits" candidats sur sa gauche, ne pas retomber dans la dispersion des candidatures de 2002, qui avait entraîné la défaite de Lionel Jospin. Les primaires ne seront profitables à Hollande que s'il n'y participe pas, tout en les encourageant vivement.

Enfin, dernière hypothèse, à ne pas négliger : François Hollande ne se représente pas, faute d'avoir réussi à inverser la courbe du chômage, sa condition sine qua non. Alors, le PS n'a plus de candidat naturel, il lui revient donc de participer à la primaire, dont il ne peut ressortir que vainqueur, en toute logique électorale. Dans cette perspective, j'imagine facilement Emmanuel Macron, l'homme le plus populaire à gauche, rafler la mise à l'issue de la primaire et se voir soutenu à l'élection présidentielle par le PCF, les Verts et autres formations de la gauche radicale. Oui, ce serait plaisant à voir. Qu'est-ce que j'ai été bête, sur ce blog, à plusieurs reprises, depuis quelques mois, à dire que les primaires étaient une mauvaise idée pour cette présidentielle-ci : c'est une excellente idée. Vive la primaire !

samedi 9 avril 2016

Que valent nos valeurs ?



Depuis quelques années, la déploration d'une "perte des valeurs" est fréquente dans le débat public. Certains commentateurs annoncent une prochaine campagne présidentielle qui serait axée sur le thème des valeurs, plutôt que sur l'économie, où l'on a l'impression de ne plus pouvoir grand chose. A Saint-Quentin, lors de la récente législative partielle, un candidat avait pris pour slogan : "Défendons nos valeurs". Le sujet est de mode. La bibliothèque municipale m'a demandé cet après-midi de faire une conférence philosophique sur le thème des valeurs, que j'ai intitulée : Que valent nos valeurs ?

Il fallait commencer par une définition de la valeur : c'est quelque chose à quoi on accorde de l'importance, à quoi on attribue un sens particulier. La valeur est synonyme de bien. Dans le monde matériel, elle correspond à un prix. Mais c'est la valeur humaine qui m'intéressait. Si l'on reprend la distinction classique entre nature et culture, je crois que la valeur est à ranger dans la seconde : il n'y a pas de valeur qui soit strictement naturelle, spontanée, innée. Toute valeur est une création des hommes. La famille est une réalité biologique, pas en soi une valeur ; mais la représentation qu'on s'en fait relève de la valeur, par exemple la Manif pour tous, qui a soutenu la valeur, la norme, le modèle du couple hétérosexuel.

L'origine d'une valeur n'est pas rationnelle. Ce n'est pas un produit de l'intelligence, mais plutôt une croyance, un sentiment, une adhésion intuitive qu'on doit beaucoup à l'éducation, qui est le lieu de transmission des valeurs. Je pense aussi qu'une valeur est extérieure à soi, à ses intérêts, à son plaisir : le courage n'est pas une valeur quand on prend plaisir à ce qu'on fait. Il n'y a de valeur absolue, unique, totale, incontestable : une valeur est toujours relative. La fidélité est une valeur magnifique, qui devient lamentable lorsqu'on est fidèle à un salaud.

A quoi une valeur est-elle relative ? A une ou plusieurs valeurs, qui lui donnent tout son sens. Une valeur n'existe qu'à travers un système de valeurs, qu'on peut appeler morale. Exemple : liberté, égalité, fraternité ou bien travail, famille, patrie sont des systèmes de valeurs largement opposés. Nous rêverions à des valeurs éternelles, immuables, logées dans le cœur humain ou la conscience universelle. Mais j'en doute : parce qu'elles sont créées, les valeurs évoluent, changent, se renouvellent.

A quoi servent-elles ? A rapprocher et unir les hommes, qui se retrouvent ainsi autour de mêmes valeurs. Sauf que le lien devient difficile à l'ère de l'individualisme, où chacun est à lui-même sa propre valeur. Mais rien ne peut effacer la nécessité de valeurs collectives. Au contraire : plus l'individualisme est puissant, plus le collectif est indispensable. Inversement, les valeurs sont un moyen de distinction sociale. On se souvient d'une publicité pour une marque de rillettes : "Nous n'avons pas les mêmes valeurs", prononcé avec une aristocratique condescendance. Alors, les valeurs sont un instrument de domination des classes dirigeantes. Au lieu d'une "perte des valeurs", c'est plutôt d'une confrontation entre les valeurs qu'il faudrait évoquer.

Bien sûr, des valeurs disparaissent : honneur, fidélité, sacrifice appartiennent à un autre temps, féodal et chrétien. D'autres sont dévalorisées. Pourtant, je les apprécie, mais elles sont devenues de petites valeurs : prudence, discrétion, gentillesse, modestie. En creusant un peu, pas trop, elles sont considérées comme des défauts. Et puis, de nouvelles valeurs surgissent : la sincérité, le respect, l'empathie, très répandues aujourd'hui. Le plus étonnant, c'est la réactivation de certaines valeurs chrétiennes, mais sécularisées, notamment la contrition, le mea culpa, désormais très bien porté, mais en dehors des confessionnaux, et généralement appliqué aux hommes publics.

Pour ma part, je n'ai aucun problème de valeurs. Les miennes sont anciennes et bien ancrées. Mais la société dans laquelle je vis craint manifestement de perdre les siennes. Crise d'identité, mouvement de décadence ou bien phase d'évolution ? Nous verrons.

vendredi 8 avril 2016

Prêtres, pécheurs, pédophiles



Une étrange et surréaliste polémique a retenu mon attention ces derniers jours, à la suite d'une intervention de l'évêque de Pontoise, qualifiant la pédophilie de "mal" mais hésitant à la qualifier de "péché". Cette nuance est toute théologique. Le "mal", c'est l'état du monde après la Chute. Le "péché", c'est la faute humaine commise en toute conscience et liberté. Pour le prélat, la pédophilie est condamnable en tant que "mal" incontestable, mais ne sachant pas si le pédophile a la pleine conscience de ce qu'il fait, ni la totale liberté de ses actes (qu'on peut ramener à la mécanique pulsion), l'évêque hésite à utiliser le terme de "péché", se réservant l'examen au cas par cas, refusant de généraliser.

Ce point de vue est purement de philosophie religieuse. Humainement, moralement, l'essentiel est que l'autorité catholique range sans ambiguïté la pédophilie du côté du "mal". Or, la ministre de l'Education nationale n'a pas apprécié cette position et a demandé à l'évêque de revenir sur ses propos, c'est-à-dire de nommer la pédophilie en tant que "péché". C'est étrange parce que la République n'a pas à se servir du vocabulaire religieux pour désigner un acte condamné. En régime de laïcité, les seuls mots qui prévalent sont ceux du droit, du Code pénal : la pédophilie est très exactement un crime, un viol, une agression sexuelle. Les psychologues et les psychiatres ajouteront éventuellement que c'est une névrose, une perversion. L'opinion publique actuelle (la doxa, comme disent les philosophes) utilise volontiers le mot de "prédateur". Mais la notion de "péché" et même de "mal" appartiennent à la sphère religieuse, dans laquelle l'Etat n'a pas à intervenir ni donner des leçons à ses clercs en ce qui concerne le bon usage du langage théologique.

L'Eglise et la pédophilie, quand on veut bien sortir ce débat de la polémique et y réfléchir sérieusement, c'est tout de même quelque chose de stupéfiant. Pendant des siècles, l'institution catholique a eu une image de répression sexuelle, qu'elle tirait de l'Evangile, qui condamne débauche et adultère. Le Christ va jusqu'à dire qu'on a déjà "péché" rien qu'en désirant, en regardant, sans même un passage à l'acte. En quelques années, cette image s'est totalement inversée : l'Eglise abriterait et absoudrait des criminels sexuels, et du pire des crimes sexuels qui soit, abuser d'un enfant innocent. Les répressifs apparaissent maintenant comme des laxistes. Comment a-t-on pu en arriver là ? L'autre paradoxe, c'est que cette critique qu'on adresse à l'Eglise catholique est faite par une société de grande licence sexuelle, depuis une quarantaine d'années, ce que confirme un rapide coup d'œil sur internet.

Mon explication, c'est que l'Eglise n'est pas de ce monde, que son message est moins compris que jamais, avec l'extrême sécularisation de notre société. Que dit l'Evangile, qui nous parait, aujourd'hui encore plus qu'hier, scandaleux ? Qu'il ne faut pas juger son prochain, qu'il faut aimer son ennemi, qu'il faut pardonner à ceux qui font du mal. Au nom de ces trois principes, je crois que l'évêque de Pontoise se refuse à juger, continue à aimer et s'apprête à pardonner au prêtre pédophile, sachant que le pardon chrétien s'accompagne d'une sévère pénitence, qui est même la condition du rachat. Qui aujourd'hui est apte à comprendre ce langage ? Je ne suis même pas sûr que tous les catholiques y adhèrent, influencés qu'ils sont par l'esprit du monde.

Si le prêtre est devenu suspect, c'est que son célibat dérange et inquiète. Pourtant, les statistiques sont formelles : la pédophilie, dans 9 cas sur 10, est une histoire de famille. Mais qui ose s'en prendre à cette institution, jugée "naturelle" ? Il y a quelques jours, l'émission "C dans l'air" titrait malhonnêtement : "Pédophilie : l'école et l'Eglise", surfant ainsi sur la mode anti-institutionnelle, dédouanant le simple citoyen et le bon père de famille. Incriminer l'instituteur ou le curé, c'est plus expéditif : "C dans l'air du temps", voilà comment il faudrait rebaptiser la populaire émission de Calvi.

Le tort de l'Eglise, c'est de ne pas être elle-même, de prendre des prudences à l'égard du monde. Autrefois, le prêtre pédophile aurait été qualifié de "possédé", de "démon", peut-être conduit au bûcher. Le Christ ne dit-il pas que ceux qui touchent à n'importe lequel de ses petits sera jeté à la mer, une meule autour du cou ? Au moins, là les choses sont claires. A l'évêque de Pontoise, je reprocherais aussi sa notion du "péché", car les prières de l'Eglise affirment sans ambiguïté que celui-ci est "volontaire" comme "involontaire". Faire le mal sans le savoir, ou pire en croyant faire le bien n'atténuent absolument pas la gravité ni la nature du "péché". A moins que l'évêque ne soit influencé par le jésuitisme, prompt à relativiser et à amoindrir la portée des "péchés", jusqu'à parfois les effacer. La Compagnie de Jésus n'a pas toujours œuvré à la pureté de la foi, Pascal était le premier à le lui reprocher.

jeudi 7 avril 2016

EM



En marche (EM) : Macron a osé, il a lancé hier soir son parti, quelques semaines après la création du think tank La Gauche Libre. Le lieu de l'annonce n'est pas anodin : sa ville natale d'Amiens. C'est bien une ambition personnelle qui se dessine, et un espoir pour la gauche social-démocrate. Il y avait beaucoup de monde hier soir pour l'écouter, des élus, des militants, des sympathisants, des curieux. J'ai retenu trois orientations :

En marche pour une gauche moderne : ce devrait être une banalité, c'est pourtant une exigence. Une bonne partie de la gauche est engluée dans des discours archaïques. Rocard l'a dit avant tout le monde, il y a 40 ans. Ne forçons pas le trait : beaucoup de choses ont changé au PS, mais beaucoup reste encore à faire. La modernité, c'est une revendication naturelle à la gauche, qui a toujours cherché à incarner une avant-garde, contre le vieux monde. Emmanuel Macron en est aujourd'hui le meilleur représentant.

En marche pour une gauche positive : par cet adjectif, je qualifie une gauche qui propose, qui se dote d'un projet. La gauche demeure trop souvent marquée par une culture de la contestation, où l'on n'existe politiquement qu'en se désignant un adversaire et en se définissant par rapport à lui. Il faut en finir avec ce jeu mortifère, qui n'avait de sens qu'à l'époque révolue des grandes idéologies.

En marche pour une gauche ouverte : c'est sans doute la prise de position de Macron qui fera le plus débat. Son mouvement politique est ouvert aussi bien aussi bien à des personnes de gauche que de ... droite. Et pourtant, ce choix est pertinent. On voit bien que l'adhésion à plusieurs grandes réformes dépasse largement le clivage droite-gauche. Ce qu'on appelle "union de la gauche" est un mythe qui a éclaté il y a 40 ans, lorsque Georges Marchais a rompu les négociations autour de l'actualisation du Programme commun. Il y a environ 30 ans, François Mitterrand ouvrait son gouvernement de la Gauche unie à des personnalités de droite. Aurait-on si peu de mémoire pour l'avoir oublié ? Ne serait-il pas temps de remettre les pendules à l'heure ? Emmanuel Macron est notre horloger ... Je n'ai jamais cru que la gauche et la droite disparaitraient. Pour ma part, je reste foncièrement de gauche. Mais je pense que la gauche et la droite peuvent travailler ensemble.

En marche a vocation à créer des antennes locales. Je souhaite bien sûr que Saint-Quentin se sente concerné, qu'une structure se mette en place, que les prochaines échéances électorales soient aussi abordées.

mercredi 6 avril 2016

La maladie infantile de la gauche



Profession oblige, j'ai plusieurs ouvrages de Marx dans ma bibliothèque, mais un seul de Lénine : "Le gauchisme, maladie infantile du communisme", que je relis régulièrement, surtout quand l'actualité m'y pousse. Tout n'est pas bon à prendre dans ce court livre paru en 1920, mais l'inspiration générale est intéressante, à condition de la retranscrire dans le contexte contemporain. Le communisme en particulier, mais aussi la gauche en général, sont victimes d'une maladie régressive et dégénérative : le gauchisme, qui conduit à l'impuissance et à la mort, parvenu à son stade final. La thèse s'applique parfaitement au mouvement qui se déploie en ce moment sur la place de la République à Paris, appelé "Nuit debout", et amplifié par le succès du film "Merci patron".

Qu'est-ce que le gauchisme ? Un état d'esprit, une forme de culture, à distinguer de l'extrême gauche organisée et idéologique. Il présente trois caractéristiques :

- Le spontanéisme : rien n'est prévu, anticipé, finalisé, rationalisé. Ce sont les réactions de la foule qui prévale. Le gauchisme fonctionne au sentiment, au coup de gueule. D'où le succès de l'indignation dans ses rangs. Ce primat de l'émotion colle complètement à notre époque.

- Le basisme : c'est le règne des simples citoyens. Les étiquettes partisanes ou syndicales sont mal vues. On est prié de les laisser au vestiaire. La colère est jugée ici bonne conseillère. Là encore, un élan qui est censé contester la société se trouve en réalité en phase avec son individualisme profond.

- L'autonomie : partis, organisations, élus, tous ne sont pas bien considérés. A peine accepte-t-on les associations. Le gauchisme campe aux marges de la République, qu'il ne considère pas comme démocratique. Il vit sa propre vie.

Face au gauchisme, un socialiste ordinaire, y compris social-démocrate, estime que ce mouvement est sympathique, parce qu'il y reconnaît des valeurs qui sont les siennes, mais surtout parce que ça ne mange pas de pain. C'est un léger tort : il faut se montrer plus critique, plus rigoureux. Lénine attaquait durement le gauchisme de son temps ; soyons à notre tour sévère avec le gauchisme de notre époque. Pour ma part, j'ai trois reproches à lui faire :

- Il n'est pas représentatif de la société, contrairement à l'expression du suffrage universel. Il se prétend populaire alors qu'il ne l'est pas. Si j'avais la méchanceté de Lénine, je le qualifierais de phénomène petit-bourgeois. En tout cas, les quelques centaines de débatteurs place de la République, c'est une tête d'épingle, comparées à la masse des citoyens électeurs.

- Le gauchisme n'est pas démocratique parce qu'il n'est pas contradictoire, malgré les apparences et les intentions. En gros, les membres de "Nuit debout" partagent les mêmes convictions, même s'ils peuvent diverger sur les solutions. Le vote à mains levés n'est pas lui non plus démocratique. Les choix qui résultent de ces pseudo-assemblées n'en sont pas véritablement. Contre ce semblant de démocratie, je défends mordicus le système parlementaire, les élections nationales, les campagnes pluralistes, les partis politiques qui constituent, seuls, la véritable démocratie.

- Enfin, et c'est peut-être le reproche le plus fort, le gauchisme ne débouche sur rien, n'accouche d'aucun projet, ne change pas la situation. O rage, ô désespoir : c'est son unique issue. C'est pourquoi le gouvernement aurait tort de s'en inquiéter. C'est tout au plus une force de nuisance à la marge, mais rien de révolutionnaire (c'est pourquoi Lénine et l'extrême gauche ne s'y retrouvent pas). Au pire, il ne peut que se terminer dans la violence.

Avec "Nuit debout", nous sommes très loin d'un soulèvement à l'image de Podemos en Espagne. Les médias lui donnent une certaine existence, qui ne durera pas. C'est une resucée qui n'a pas forcément bon goût. En même temps, c'est une maladie inévitable de la gauche, comme la varicelle ou les oreillons chez les enfants. Une partie de la gauche, déboussolée, retombe en enfance, est en quête de pureté, de virginité, d'innocence. L'histoire de la gauche est parsemée de ces séquences régressives, qui donnent l'occasion à certains d'un bain de jouvence pour leurs vieux os. Mais la gauche adulte, qui assume sa croissance et n'a pas peur de bien vieillir, s'en passe facilement.

mardi 5 avril 2016

Mains sales et tête friquée



Quand le quotidien "Le Monde" a annoncé hier qu'un parti politique français était impliqué dans le scandale "Panama Papers", qui pouvait douter qu'une organisation était concernée au premier chef ? Le Front national, évidemment. Pourtant, l'extrême droite n'a jamais cessé de s'en prendre à ce qu'elle appelle le système, sous le slogan "mains propres et tête haute". Il faut toujours se méfier des donneurs de leçons de morale, qui s'abstiennent souvent de se les appliquer. Historiquement, l'extrême droite a du sang sur les mains, mais aussi de la saleté. Tous pourris, disent-ils : oui, en parlant d'abord d'eux-mêmes.

Est-ce contradictoire avec leur dénonciation de la finance, de la mondialisation, de l'ultralibéralisme ? Non, car la marque de fabrique de l'extrême droite, c'est de faire de l'anticapitalisme un discours manipulé, un paravent pour cacher et légitimer sa xénophobie, pour capter une partie de l'électorat de gauche qui se laisse abuser. Le nazisme déjà opérait ainsi. Demain, si l'intérêt électoral l'exige, le FN redeviendra thatchérien, comme il l'était il y a une vingtaine d'années. Sa ligne directrice, c'est l'anti-République : tout chez lui est instrumentalisé dans cet objectif.

Ne croyons pas que la corruption du FN soit une question de personnes. Tout parti, comme tout groupe humain, contient des individus qui tombent dans les malversations, notamment financières. Avec le Front national, c'est autre chose : un rapport très particulier à l'argent. La famille Le Pen est richissime, ne s'en cache pas, affiche un mode de vie de parvenus. Aucun homme du peuple ne peut se reconnaître en elle. Si encore cette fortune était le fruit de leur travail ... Mais qui sait ce qu'est réellement le travail dans ce clan familial, qui a fait de la politique son fromage ? C'est un héritage qui l'a rendu milliardaire, doté d'un joli patrimoine immobilier, acquis dans des conditions contestables, sinon frauduleuses.

Le FN est un parti d'argent, obsédé par l'argent, faisant payer l'entrée de certains de ses meetings, ce qui est contraire à tout esprit républicain. Allant aussi jusqu'à faire payer ses candidats aux élections. Il n'y a pas de petits profits pour lui. Quand le FN dénonce l'immigration, c'est en agitant le tiroir-caisse, c'est en accusant les immigrés de voler les allocs de toute sorte, c'est en excitant la jalousie sociale, le ressentiment populaire. Le FN ramène tout à l'argent, parce que c'est sa propre obsession.

Aujourd'hui, des enquêtes sont lancées, des mises en examen ont été effectuées visant des proches de Marine Le Pen, à propos du financement de ses campagnes présidentielles et législatives et des assistants parlementaires européens du parti. Avec l'affaire "Panama Papers", est-ce que l'image du FN sera atteinte, est-ce que ses résultats électoraux en subiront le contrecoup ? Ce serait souhaitable, ce ne serait que justice. Mais le ressort du vote FN, ce n'est pas l'anticapitalisme, ce n'est même pas le rejet du système, contrairement à ce qu'on prétend complaisamment : c'est le racisme et la xénophobie. Et ça, aucun scandale financier hélas ne le changera.

lundi 4 avril 2016

On ira tous au paradis



Depuis que la religion a reflué de notre société, le seul paradis auquel on croit encore est fiscal. Ce sont généralement des îles merveilleuses qui échappent aux législations nationales. Un vocabulaire mystérieux décrit ces lieux du bout du monde : société-écrans, finance offshore, prête-noms, blanchiment d'argent ... C'est illégal ? Pas forcément : ce qui n'est pas soumis à la loi ne va pas contre la loi. Mais la liberté encourage les malversations et les placements frauduleux. N'est-ce pas aussi ça le paradis ? Faire ce qu'on veut, à notre profit ...

L'affaire du jour, Panama papers, m'invite bien sûr à cette réflexion. Quel nom, d'ailleurs ! On pense forcément au scandale de Panama, qui ébranla la IIIème République. Sauf que maintenant, c'est au niveau mondial. Que faut-il en penser ? Que la transparence dans l'univers de la finance est une illusion. Au plus bas degré, nous ne savons même pas combien gagne notre voisin. L'argent se cache. Le secret bancaire est à la base du système. Les livres des comptes sont fermés à jamais ou réservés aux initiés. L'économie et ses flux monétaires, c'est un enfer pour les hommes qui a besoin d'un paradis pour les sous.

Panama papers, ce sont des millions de documents, impliquant des milliers de personnalités sur une quarantaine d'années, le tout distribué à des centaines de journalistes à travers la planète. Enorme, délirant mais aussi inquiétant : politiques, sportifs, chefs d'Etat, patrons, hauts fonctionnaires, l'establishment est à nouveau discrédité, les élites, sur l'air du tous pourris, qui me préoccupe à chaque fois que je l'entends. Car où on va comme ça ? Et à qui la révélation profite-t-elle ? La "fuite", ça n'existe pas, sauf en robinetterie : Panama papers a été décidé et organisé par quelqu'un, dans je ne sais quel but. On devrait déjà commencer par s'interroger là-dessus, avant d'aller tous voir ce qui se passe au paradis.

dimanche 3 avril 2016

Ma réponse est NON



C'est une réforme dont vous n'avez pas entendu parler sur BFMTV. Pas assez spectaculaire. C'est pourtant un progrès social. Mais une certain gauche, y compris à l'intérieur du Parti socialiste, dénie cette qualité à la politique gouvernementale. Vous n'en entendrez donc pas parler. Et puis, c'est une réforme qui a été décidée il y a trois ans, expérimentée depuis et généralisée aujourd'hui : il faut à l'opinion publique, qui a une mémoire de poisson rouge, du neuf. Mais est-on obligé de la suivre ? Non. Je vais donc vous parler, moi, de la réforme des pensions alimentaires.

C'est concret, utile, social : 40% des femmes divorcées ne reçoivent pas de leur ex la pension à laquelle elles ont droit pour élever leurs enfants, avec les conséquences qu'on imagine. C'est un vrai problème, qui n'avait pas trouvé de solution jusqu'à présent. C'est fait maintenant, grâce au gouvernement, qui a décidé que le versement serait assuré par l'Etat, les CAF (Caisses d'allocations familiales), en attendant que le mauvais payeur soit sanctionné. Voilà qui va dans le bon sens, et tout le monde ne peut qu'applaudir à cette mesure, qui n'a pas été si facile que ça à concevoir techniquement.

Vendredi dernier, sur RTL, radio très populaire, au journal de 7h30 du matin, heure de grande écoute, une dame divorcée, avec deux enfants, dont l'ancien mari ne verse plus la pension alimentaire depuis quelques mois, est interrogée. Je m'attendais à ce qu'elle se réjouisse de la réforme dont elle va être la bénéficiaire, qu'elle félicite éventuellement le président, son Premier ministre et le gouvernement : eh bien non !

Au début, elle a tout de même reconnu que l'idée était bonne, qu'elle en profitait mais, tenez-vous bien, que faire payer les pensions par les contribuables et non par les récalcitrants était ... INJUSTE. Patatras ! Une mesure juste devenait injuste, une préoccupation sociale devenait critiquable, Hollande, Valls et consorts avaient de nouveau tout faux. Vendredi, c'était le Premier avril : j'aurais pu croire à une plaisanterie. Mais non, c'était bien vrai : les êtres humains sont bouffons par nature, et l'époque les y encourage. Me vient à l'esprit cette boutade de Woody Allen, qui résume à peu près la tare actuelle : "Je ne sais pas quelle est votre question, mais ma réponse est non".

Certes, pour une mécontente, combien de satisfaites ? En tout cas, ce sont les grognons qu'on interroge, qu'on retient et qui influencent. L'impopularité du gouvernement ne me surprend pas : c'est un phénomène de société, personne n'est jamais content de rien, de Sarkozy hier, d'Hollande aujourd'hui et d'un autre demain. Je n'exposerais pas dans ce billet les causes profondes, sociologiques et psychologiques, d'un mécontentement systématique, généralisé, contradictoire et finalement irrationnel. Je me borne à le constater ici, à souligner combien il est devenu difficilement de gouverner, autant pour la gauche que pour la droite, dans ces conditions.

D'autres exemples pourraient être donnés, comme la généralisation du tiers-payant, qui devrait normalement satisfaire tout le monde, sauf les médecins. Eh bien là aussi, un fort pourcentage de patients, attesté par sondages, se révèlent hostiles à cette mesure. Si le sujet n'était pas sérieux, on pourrait presque parler de masochisme.

Y a-t-il un remède à cette maladie qu'on a du mal à discerner ? Je n'en vois qu'un, rappelé par Manuel Valls ce matin dans le Journal du Dimanche, à propos des réformes gouvernementales dans leur ensemble : EXPLIQUER. Car il n'est pas normal que des dispositions socialement incontestables soient contestées. J'ajouterais que c'est au Parti socialiste, au premier chef, de se faire le pédagogue de la réforme, de mobiliser ses sections en vue de convaincre l'opinion. Dans l'impopularité du chef de l'Etat, chacun a sa part de responsabilité.

samedi 2 avril 2016

L'argent a une odeur



Le blé, le flouze, le fric, l'oseille, le pèze, le pognon, la thune, la fraîche, la galette, les pépettes, les ronds, les patates, les radis, les balles, les briques ... c'est fou les termes pour désigner l'argent. Et encore je ne cite ici que ceux que je connais ... On dit que l'argent n'a pas d'odeur : rien de plus faux ! Ceux qui l'aiment le respirent à pleins poumons, en mangeraient s'ils le pouvaient, comme oncle Picsou nageant dans les dollars et dans le bonheur, à l'intérieur de son coffre-fort géant. Ceux qui ne l'aiment pas se bouchent le nez, trouvent que l'argent pue.

Et moi ? Je suis assez pudique sur ce sujet, je n'aime pas trop parler argent, je suis resté vieille France. Encore aujourd'hui, chez beaucoup, l'argent est plus tabou que le sexe : certains montreraient volontiers leur bite, sans gêne, mais hésiteraient à dévoiler leur compte en banque. Sans compter que nous avons tous des problèmes d'argent, soit d'en avoir trop, soit d'en avoir pas assez. Mais ceux-ci ont quand même plus de problèmes que ceux-là.

Ce petit préambule ne sert qu'à introduire l'affaire du jour : la rémunération de Xavier Bertrand à la tête de la Région et de l'Agglomération, 6 700 euros nets. Vous trouvez ça élevé ? Pas moi. C'est le salaire moyen d'un chirurgien-dentiste, d'un directeur d'une moyenne entreprise ou du maire d'une très grande ville. Si vous me poussez un peu (mais je ne voudrais pas vous "choquer", comme on dit facilement aujourd'hui), je trouve même que ce n'est pas si élevé que ça, quand on rapporte la somme à la responsabilité, gérer un territoire de 6 millions d'habitants, en préparer l'avenir. Et si vous comparez avec la rétribution d'un animateur télé qui passe son temps à se marrer, d'un gars qui tape dans une balle ou d'un chanteur de variétoche, les 6 700 euros ne sont plus grand chose.

Evidemment, quand on jongle avec les chiffres, le gogo est impressionné : 4 000 euros d'augmentation de salaire, qui n'en rêverait pas, moi le premier ! Ballot, c'est une compensation ! Bertrand perd ses indemnités de député-maire, il rattrape la perte en augmentant ce qu'il touche à l'agglo. Tout ça est légal, voté en assemblée et ne coûte rien de plus aux contribuables, puisque la somme est prélevée sur les indemnités des vice-présidents, réduites de 200 euros. Il faut d'ailleurs saluer la lucidité de ces élus, leur courage, leur désintéressement, leur esprit de sacrifice, leur sens de l'intérêt général ou plus simplement leur amabilité envers leur président de conseil d'agglomération.

Bien sûr, on peut toujours critiquer, parce qu'on peut toujours tout critiquer. Mais il faut faire attention : c'est de la démocratie dont il s'agit. Autant je reproche à nos élus de vouloir cumuler les mandats, de ne pas savoir décrocher à temps, autant je souhaite qu'ils soient bien payés, parce qu'ils représentent la population, administrent difficilement des collectivités complexes, s'investissent souvent à fond dans ce qu'ils font (et je ne fais pas de distinction, ici, entre la droite et la gauche). Une République qui rétribuerait mal ses élus du peuple ne porterait aucune estime à elle-même.

Xavier Bertrand n'est pas mon copain. Je dis de lui ce que je dirais de n'importe qui d'autre dans la même situation. Oui, il faut s'opposer à lui, parce que nous sommes en démocratie, que la vie politique est équilibrée que s'il existe une opposition vivante, combative et compétente. Mais pas comme ça, pas sur des histoires trop faciles de fric. Désormais, Xavier Bertrand n'a plus qu'une seule opposition républicaine face à lui : celle de la gauche au sein du conseil d'agglomération. L'agglo, c'est un échelon, un territoire important, qui le sera de plus en plus dans les prochaines années. C'est à ce niveau que l'opposition doit fourbir ses armes, faire des critiques, exercer son contrôle et surtout avancer des propositions. C'est de cette manière que la politique prend du relief ; pas dans des polémiques au ras du portefeuille. Que l'opposition actuelle en prenne de la graine (mais pas du blé !).

vendredi 1 avril 2016

Beauté islamique



J'ai souvent dénoncé, sur ce blog, la loi de 2004 sur les signes religieux à l'école, qui vise implicitement le voile dit islamique (son port n'est pas une prescription du Coran, mais une tradition musulmane, qu'on retrouve d'ailleurs dans d'autres sensibilités religieuses, y compris chrétienne). Sous couvert de laïcité, on bafoue et dénature la laïcité historique, républicaine, on crée un monstre dont se nourrit l'extrême droite, elle qui a toujours été anti-laïque. Au lieu de défendre la liberté, on pratique la répression. Au lieu de prôner la tolérance, on stigmatise. Au lieu de s'en tenir à la neutralité, on vise une religion, l'islam. Au lieu d'encourager l'intégration, on débouche sur l'exclusion. Au lieu de contribuer à l'ouverture et à la fraternité, on engendre la xénophobie. Voilà le travail.

Interdire le voile à l'école (car voilà comment a été comprise la loi), c'était laisser se répandre l'idée que ce tissu condamné comme ostentatoire, prosélyte et discriminant n'était pas non plus le bienvenu dans tout le reste de la société. La logique liberticide était ainsi en marche. Nous en avons eu cette semaine une nouvelle manifestation fâcheuse : le tollé déclenché par une marque de vêtements estampillée islamique. Mais au nom de quoi empêcherait-on un magasin, une entreprise de lancer ce produit ? C'est de toute façon juridiquement impossible. Liberté de s'habiller comme on veut, et d'aller voir ailleurs si ça ne vous plait pas : j'en reste à ce principe-là.

La secrétaire d'Etat aux Femmes, Laurence Rossignol, pour justifier l'opprobre, s'est commise en des propos tellement maladroits qu'ils discréditent sa démonstration, sans que j'ai trop à argumenter. Comparer les jeunes femmes qui portent un voile aux "nègres américains" (sic) qui étaient favorables à l'esclavage, il fallait la faire, celle-là ! Et c'est un drôle de discours pour une femme de gauche ... Je ne suis pas historien, mais j'imagine que les esclaves noirs, dans leur immense majorité, souffraient de leur condition et ne s'en satisfaisaient guère.

Les exploités sont les premiers à prendre conscience de leur exploitation. Ce n'est pas à d'autres de penser, de parler et de décider à leur place. Laurence Rossignol n'a pas à présupposer ce qui se passe dans la tête de ces jeunes filles. Au nom de quoi la ministre présume-t-elle de sa supériorité en matière d'émancipation ? En quoi une jeune fille qui montre son cul et ses nichons est-elle moins soumise à la pression sociale d'une société hyper-consumériste ? Et que dire de ceux qui pointent du doigt ces fameux quartiers où règnerait une prétendue loi d'Allah ? J'y vois surtout des lieux de chômage, de misère et d'insécurité. Le préjugé social à l'égard de certains milieux populaires ne cesse pas, même s'il prend des formes nouvelles.

Pour en finir avec cette lamentable histoire, je vous confierais que j'aime beaucoup, esthétiquement, le voile islamique. Je n'y vois pas du tout la marque d'une religion, encore moins d'une oppression. Il dessine fort bien le visage d'une femme, qu'il met en valeur. La chevelure détourne l'attention. Loin d'être nié, ce visage est renforcé, les yeux, le nez, la bouche, le maquillage. Les traits de la féminité sont soulignés. Avec le voile se déploie un doux et subtil érotisme, qui laisse toute sa liberté à l'imagination, ce que ne permet pas ou beaucoup moins la femme semi-dénudée. Les couleurs sont seyantes. Oui, j'aime les beautés islamiques, je les préfère aux poupées occidentales.

Evidemment, si vous m'apportiez la preuve que ces femmes ne portent le voile que sous l'autorité et la contrainte de leur mari, je condamnerais immédiatement. Mais je ne crois pas que ce soit le cas (même s'il y a toujours des exceptions, qu'une plainte en justice est là pour sanctionner). Paradoxalement, le voile ne cache rien. Au contraire, il montre et il suggère, beaucoup plus que si passait devant nous une fille à poil. Il n'y a pas plus anti-érotique qu'un camp de naturistes. En la matière, la République laïque ne doit rien préconiser ni interdire, mais garantir à chacun la liberté de mener la vie qu'il veut et de se vêtir comme il le souhaite.