lundi 18 avril 2016

Voyage au bout de la nuit



Au rassemblement Nuit Debout, samedi soir, Alain Finkielkraut a été traité de fasciste, on lui a craché dessus, il s'est fait expulser. Nul doute que s'il était resté, il aurait été frappé. Est-ce un regrettable dérapage à mettre sur le compte d'une bande d'excités ? A voir la bande-vidéo, je ne crois pas. Personne n'a pris la défense du philosophe et les responsables du bon déroulement de la soirée l'ont prié de quitter les lieux sans en rajouter. Finkielkraut, dont je ne partage pas les idées, n'est pas un fasciste, mais un penseur réactionnaire et la place de la République à Paris n'est pas une zone de non droit : chacun est encore libre de se rendre pacifiquement dans cet espace public.

Pour qualifier Nuit Debout, un adjectif revient souvient, surtout à gauche : sympathique. Ca ne veut rien dire et ce n'est pas une catégorie politique. Depuis samedi soir, peut-être bien que ce mouvement nous apparaît moins sympathique. L'incident avec Finkielkraut n'est pas mineur, mais révélateur d'un phénomène dont je pointe quatre caractéristiques préoccupantes :

- Refus de la représentation, de la délégation : Nuit Debout est sans visage et sans responsable. C'est une mouvance anonyme, qui rejette toute forme d'incarnation. On ne peut lui demander aucun compte, ne lui adresser aucun reproche puisque rien ni personne n'assume dans ce mouvement une quelconque autorité.

- Refus de l'individualité : l'intellectuel est rejeté, mais l'ex-ministre grec de l'économie, reçu et écouté, n'est pas pour autant distingué. Il est ramené au régime commun, quelques minutes de parole. Sa qualité ne l'élève pas. Nuit Debout, c'est l'indistinction, l'égalitarisme jaloux, le collectivisme absolu. La personne est sommée de s'y noyer dans la masse. Aucun leader politique, même de la gauche radicale, ne s'y risque en ses grades et qualités, sinon il se ferait huer.

- Refus du politique, du pouvoir, des responsabilités : Nuit Debout parle entre elle, comme dans un miroir, sans pluralisme véritable. Elle s'enivre de ses propres paroles. Citez-moi une seule proposition concrète qui soit sortie de ce happening : il n'y en a pas !

- Méfiance à l'égard des medias : à Nuit Debout, journalistes et photographes, quand ils sont repérés, suscitent au mieux l'indifférence, au pire une sourde hostilité. C'est la vieille haine recuite contre la presse, parce que celle-ci porte un regard extérieur, distancié, critique qui gêne ceux qui veulent rester entre eux.

Avec Nuit Debout, nous sommes très loin de la démocratie, sa culture, ses règles, ses principes. Nous sommes dans ce que Jean-Paul Sartre appelait "le groupe en fusion", un collectif qui jouit de lui-même, de sa propre existence, qui n'a pas d'autres objectifs, qui vit en s'opposant, qui ne crée rien. Sa seule conséquence ne peut être que la violence, dont l'affaire Finkielkraut n'est qu'un signe précurseur, tout comme le vandalisme alentours et les provocations envers la police. Le plus probable, c'est que Nuit Debout disparaitra en retournant contre elle sa propre violence, en s'auto-dissolvant.

Certains commentateurs ont rapproché Nuit Debout et En Marche d'Emmanuel Macron, y voyant une aspiration analogue à sortir du sentier balisé des partis politiques. Non, les deux démarches sont complètement différentes. Macron est dans la politique, la discussion, y compris avec la droite, en vue d'aboutir à des propositions, de passer des compromis, de se présenter aux élections le moment venu. Qu'on l'aime ou pas, Emmanuel Macron sera toujours là, longtemps après que Nuit Debout ne sera plus qu'un lointain souvenir.

6 commentaires:

Maxime a dit…

Tout à fait d'accord avec vous. Mais il serait temps que la police évacue la place pour de bon; ces petits c..s ont suffisamment fait parler d'eux.

Erwan Blesbois a dit…

Finkielkraut ne fait que défendre l'école, et une certaine idée de la France. Qu'est-ce qu'être réactionnaire ou progressiste ? Si être progressiste c'est dire oui au libéralisme, oui à ce que certains individus gagnent personnellement des milliards, oui à la disparition de la classe moyenne, oui à ce que les inégalités se creusent au niveau mondial, précisément depuis 1983 et le tournant libéral de la gauche socialiste française, qui a peut-être servi de modèle à d'autres gauches européennes. Alors je suis réactionnaire. Mais Finkielkraut ne tire pas toutes les conséquences de sa pensée. Il regrette le passé, le temps où les intellectuels avaient encore de l'influence sur la société civile, le temps où l'école formait des hommes de lettres et en même temps d'action politique. Il dénonce et il a raison, la disparition progressive de toute forme de littérature du champ politique bien sûr, mais aussi de la société civile, ce qui rend la société de plus en plus barbare, ce dont il a fait les frais. Mais lui, comme Zemmour, ne dénoncent pas assez explicitement la responsabilité du libéralisme dans cette évolution, et préfèrent condamner ces nouveaux "barbares" que sont selon eux les musulmans, en général ou en particulier, à chacun d'interpréter. Notamment lorsque ces mêmes musulmans ne se livrent pas au moins à une critique féroce de leur propre dogme. Finkielkraut compte sur la littérature pour amender les musulmans de leur propre croyance, de leur propre dogme, Zemmour est moins subtil encore.

Philippe a dit…

Ce n'est qu'une zone de non droit de plus ...
Les zones de non droit prolifèrent sous des formes diverses.
Zones de non droit des dealers et de leurs grossistes pour fournir des clients dont personne ne fait ou ne divulgue le portrait social et économique … pas d'études publiées … pas de rapport du Ministère concerné.
Après les émeutes de 2005 zones de non droit républicain mais possiblement de droit plus ou moins islamique.
Non droit des zones « zadistes » des écologistes activistes à Notre Dame des Landes et Sivens.
Maintenant le non droit de la place de la république où l'on commence à molester sans que les auteurs ne soient poursuivis alors que c'est filmé !
Toutes ces zones ont un point commun la violence physique dirigée contre ceux qui ne sont pas d'accord ou supposés tels …
Les motifs de non droit s'élargissent … et à chaque fois les pouvoirs publics et médiatiques et le chœur des « bonnes âmes » trouvent des justifications pour réagir mollement et avec retard.
Mais hélas, en général, le développement du chaos finit par engendrer un autre mouvement inverse tout aussi excessif et au final violent vers l'ordre.

T a dit…

Toutes ces zones ont un point commun la violence physique dirigée contre ceux qui ne sont pas d'accord ou supposés tels …
Si ce que vous avancez s'avérait exact, vrai, ce ne sont pas des zones de non droit comme vous essayez de le dire mais des zones où règne comme partout la loi des plus forts ou des plus nombreux...
Dans le 1er cas, vous direz que c'est la tyrannie ou la dictature et dans l'autre la démocratie.
Mais y a t-il tant de différence de conception ?

Philippe a dit…

T a dit :
Mais y a t-il tant de différence de conception ?

sur le fond ... pas vraiment

T a dit…

Un esseulé peut être dans le "vrai" devant une multitude qui serait dans l'erreur...
C'est l'évidence même.
La foule réunie sur un même désir n'est pas une preuve qu'elle a raison.
Et l'inverse aussi bien entendu.