vendredi 30 septembre 2011

Tous derrière et lui devant.

Vous vous souvenez de la jolie chanson de Georges Brassens, "Le petit cheval blanc" ? Elle se termine par ces mots : "Tous derrière et lui devant". Je me suis mis ce matin à la fredonner, en lisant le Courrier Picard. Pourquoi cette humeur guillerette ? Parce qu'en tombant sur la rubrique "Sous la plume de Maurice" (page 9), j'apprends que Freddy Grzeziczak est habile à "se glisser sur les photos susceptibles de paraître dans un journal local". Plus fort, beaucoup plus fort : être derrière Nicolas Dupont-Aignan de passage sur Canal+. Il paraît que Jérôme Lavrilleux dispose du même savoir faire, en fond cette fois-ci de Jean-François Copé. Le Courrier Picard avait déjà taclé Stéphane Lepoudère dans son édition du 23 septembre, en signalant sa propension à figurer (au sens propre du terme) derrière Xavier Bertrand.

A vrai dire, rien de bien méchant, juste un peu amusant : il est courant de voir, à la télévision, des personnalités interviewées et des anonymes s'agglutiner derrière, dans le but évident d'être vus à la télé. Pourquoi pas, mais personnellement, je n'aime pas : jouer les figurants, les seconds rôles, les faire valoir, les muets du sérail, les serviteurs attentionnés, les plantes vertes, non merci, ce n'est pas mon genre, et je ne suis pas loin de penser que ça fait légèrement mauvais genre que se poster de cette façon derrière un grand ou un demi-grand de ce monde.

Attention : vouloir avoir sa photo dans le journal est parfaitement légitime, et même recommandé, quand on est un personnage public, homme politique ou responsable quelconque. Mais il faut pour cela avoir quelque chose à dire ou à faire qui mérite qu'on en parle, qui ait quelque importance. Pour ma part, j'use systématiquement de la communication, et je regrette que la gauche locale ne suive pas mon exemple. Après, les journalistes sont libres de prendre ou de laisser. C'est leur métier de discerner ce qui fait partie ou non de l'actualité. Mais montrer ma tête par dessus l'épaule de qui que ce soit (même DSK !), non je ne le conçois pas.

En même temps, j'ai peut-être tort : "Tous derrière et lui devant", n'est-ce pas la loi universelle de la politique ? Faire allégeance à quelqu'un, plus puissant que soi, le lui faire savoir et l'afficher aux yeux de tous, en manifestant physiquement son soutien, sa fidélité, voilà ce qu'exprime la fameuse photo du chef écouté, regardé, respecté, admiré par ses partisans. Lui a besoin d'eux pour conserver son rang, eux ont besoin de lui pour espérer accéder un jour à ce rang.

Dans ce système, chacun est l'obligé d'un autre et le chef de quelqu'un, dans une sorte de mise en abîme : le chef a un chef qui a un chef etc ..., l'obligé a un obligé qui a un obligé etc ... C'est la file indienne, la queuleuleu, le je te tiens tu me tiens par la barbichette. Il n'y a donc pas servilité absolue et domination suprême, comme on pourrait le croire au premier abord. Pourquoi je ne rentre pas dans ce système, cette chaîne de solidarité ? Je ne sais pas, je ne suis pas né pour ça, ce n'est pas ma mentalité.

Au contraire, je me fais une autre et haute idée de l'engagement politique, qui est un service à la population. Pour moi, le comportement idéal serait celui d'un élu ou responsable ne se mettant pas en avant mais en arrière, poussant sur le devant de la scène et face à l'objectif des journalistes les anonymes dont le travail mérite cette mise à l'honneur. "Tous devant et lui derrière", oui ce serait beau, et certains le font.

jeudi 29 septembre 2011

Drôle de rêve.

Je n'ai pas vu hier soir le deuxième débat des primaires citoyennes, j'étais à la même heure en réunion à Amiens. Mais j'ai fait dans la nuit un drôle de rêve, que je veux aujourd'hui vous raconter. Il était question de primaires ... à Saint-Quentin. Eh oui ! Ce n'était pas la présidentielle mais une municipale, pour désigner la tête de liste. Il n'y avait pas six candidats mais trois (normal, il faut bien respecter à peu près la proportion), deux socialistes et un non socialiste. Qui étaient donc les Hollande, Aubry et Baylet saint-quentinois ? Je vous le donne en mille : moi, Anne Ferreira et Stéphane Monnoyer.

Comme dans les primaires réelles, nous étions interrogés par la presse locale, dans une émission de France 3, animée par Eric Leskiw (L'Aisne Nouvelle), Nicolas Totet (Le Courrier Picard) et Graziella Basile (L'Union). Les saint-quentinois, fort intéressés par notre compétition, affluaient en masse dans les bureaux de vote pour désigner l'adversaire de Xavier Bertrand, et peut-être le futur maire de Saint-Quentin.

La compétition était agréable, stimulante, respectueuse (je vous rappelle que c'est un rêve). Au moment de la proclamation des résultats, mon téléphone mobile a sonné, bien réel celui-ci, posé près de mon lit et programmé pour me réveiller : je devais me lever pour aller au lycée. Un rêve qui finit en cauchemar : je ne saurai jamais, de ces primaires saint-quentinoises, qui a gagné. Il ne me reste plus qu'à attendre que ce drôle de rêve soit dépassé un jour par la réalité.

mercredi 28 septembre 2011

Une certitude et un doute.

A douze jours du premier tour des primaires citoyennes, je n'ai aucun doute sur le résultat : Hollande va gagner. Je n'ai bien sûr aucun argument rationnel pour vous le démontrer. Je ne le sais pas, je le sens. Les sondages, non, je n'y ai jamais cru. Ce sont les témoignages personnels qui me donnent cette certitude. Des camarades, censés voter Aubry, vont choisir Hollande. Pourquoi ? Parce que celui-ci a la dynamique en sa faveur. En politique, on ne peut pas aller contre ça, pas plus que l'eau ne peut remonter le cours du fleuve.

Qu'est-ce qui va tuer Aubry ? Le fait qu'elle n'arrive pas vraiment à se distinguer d'Hollande. C'est chaque jour de plus en plus flagrant : elle est prisonnière d'un postulat de départ, celui du socialisme réaliste, dont Hollande a la tête et le projet. Aubry aurait pu jouer la carte de gauche, mais c'est trop tard. Même ses partisans ont du mal à s'y retrouver et ne peuvent, en toute cohérence, qu'être tentés par Montebourg. En politique, il faut creuser l'écart, forcer la différence avec le concurrent ; sinon on se fait bouffer par lui. Aubry en est là.

Et puis, il y a la procédure des primaires, une vraie révolution à laquelle Hollande s'est parfaitement adapté. Aubry joue encore trop l'appareil, les courants, alors que tout ça est fini : laisser les clés du parti aux sympathisants de gauche, c'est faire entrer le loup dans la bergerie, marginaliser les militants, qui n'auront plus qu'à ranger les chaises en fin de réunion, s'il y a encore des réunions. Au lieu de nous en attrister, réjouissons-nous : le parti va changer, se démocratiser, transformer ses pratiques, devenir beaucoup plus populaire, beaucoup plus ouvert, et certaines sections moins sectaires. Je fais le pari que tout le monde, l'UMP en premier, va nous copier !

J'ai cette certitude, mais j'ai aussi un doute : que nous puissions battre Sarkozy. Il est en baisse vertigineuse dans les sondages, mais je viens de vous dire que les sondages, on s'en fout ! La victoire de dimanche aux sénatoriales est un encouragement mais aussi un trompe-l'oeil. Qu'est-ce qui m'inquiète, qu'est-ce qui me fait douter ? Les idées de gauche ne sont pas tout à fait dans l'air du temps. Autour de moi, un peu partout, les réflexes de droite sont nombreux et puissants. Alors attention.

Que faire ? Mettre en avant un projet véritablement de gauche, mettant l'accent sur nos fondamentaux, proposant les grandes mesures sociales qui seules nous permettront de reconquérir l'électorat populaire. Sinon, gare au Front national ! Voilà ce que j'espère, voilà ce que j'attends. Avec Hollande si c'est lui, avec Aubry si c'est elle, car je peux bien sûr me planter dans mes prévisions. Au moins, le billet d'aujourd'hui en fera foi.

mardi 27 septembre 2011

Suis-je poperéniste ?


Hier soir, dans le cadre des primaires citoyennes, Alain Vidalies est venu à Saint-Quentin soutenir la candidature de Martine Aubry. Ce camarade, député des Landes et dirigeant national du parti socialiste, n'est pas vraiment connu du grand public. Pourquoi lui chez nous, et pas un autre ? Parce qu'Alain est l'un des derniers représentants de la sensibilité poperéniste, à laquelle appartient Anne Ferreira.

Pour mémoire, le poperénisme est un petit courant socialiste, actif dans les années 70-80, mais moins influent que le mitterrandisme, les rocardiens ou le CERES de Chevènement. Du nom de son fondateur Jean Poperen, cette tendance se caractérisait par sa grande rigueur doctrinale, son intransigeance en matière de laïcité, son hostilité à toute ouverture au centre, sa critique virulente de la "deuxième gauche".

C'était hier, mais l'empreinte demeure aujourd'hui, y compris à Saint-Quentin. Bien sûr, rien à voir hier soir avec tout ça ; Alain Vidalies était venu pour défendre Aubry. La première demi-heure de son intervention, j'ai été un peu déçu : rien sur les primaires et les candidats, mais un commentaire des dernières statistiques sur le chômage, connues le jour même. Je pense que c'est sa présence dans la ville du ministre du Travail qui a conduit Alain à ce laïus un peu hors-sujet.

Mais la deuxième partie de l'exposé a réveillé mon attention. Très honnêtement (ce que j'ai apprécié), Vidalies a comparé les mesures d'Aubry et Hollande en matière d'emploi : les emplois d'avenir pour l'une, le contrat de génération pour l'autre. Martine reprend en gros le dispositif des emplois-jeunes, propose 300 000 postes aux associations et collectivités, financés par les deux milliards affectés aujourd'hui aux paiements des heures supplémentaires. Elle compense la perte de celles-ci par l'augmentation de la prime pour l'emploi.

François, de son côté, a un plan plus ambitieux, plus coûteux (7 milliards) mais plus contestable, selon Alain Vidalies : un senior laisse son emploi au bénéfice d'un jeune, qu'il forme, l'entreprise bénéficiant alors d'une exonération de ses charges. Le contrat de génération est financé par la récupération des sommes perdues dans les exonérations massives, inefficaces et injustes accordées aux entreprises ces dernières années. Alain estime que ce dispositif est beaucoup trop complexe et seulement performant en temps de forte croissance.

En soulignant que le contrat de génération était critiqué par la CGT et FO et soutenu par l'UNSA, Vidalies fait ressortir la perspective réformiste dans laquelle la mesure s'inscrit : elle s'adresse au secteur privé, elle passe par la voie contractuelle, elle soutient les entreprises. Les emplois d'avenir d'Aubry sont plus conformes à la démarche socialiste traditionnelle : financement d'Etat, secteur public et associatif.

Les deux propositions ont certainement leurs avantages et leurs inconvénients. Je ne suis pas certain non plus qu'elles suffisent à différencier fondamentalement nos deux camarades concurrents. C'est là où le bât blesse : encore hier, je n'arrivais pas très bien à percevoir les lignes d'opposition entre les deux candidats, alors qu'elles sont flagrantes entre Valls et Montebourg. Bien sûr, je pourrais me réjouir de cette proximité. Mais comme il faut choisir et que ce ne sont pas les militants qui en décideront, il faut bien que nos sympathisants aient de quoi faire la distinction ...

La partie débat de la soirée a été également très instructive, et déroutante pour moi. Alain Vidalies a été questionné sur les retraites, principalement à propos des enseignants, sur des points techniques dont il n'avait manifestement pas le secret : décote, surcote, double décote ... Moi qui ne suis pas poperéniste, je me suis trouvé en phase avec lui sur ce dossier, alors que l'assistance, à lui pourtant acquise, s'est montrée sceptique, réticente, pour ne pas dire critique.

De quoi s'agit-il ? De ce qui me semble être ambigu depuis le début, le soutien socialiste à la retraite à 60 ans, avec quoi je suis d'accord, mais qui risque d'être mal compris par notre électorat. Pourquoi ? Parce que nous défendons un départ légal qui ne veut plus dire grand-chose à partir du moment où le nombre d'annuités à cet âge ne suffit pas à constituer une retraite "normale".

C'est le cas des enseignants, qui commencent à exercer assez tard et devront donc travailler après 60 ans s'ils veulent une pension correcte. En conservant les 60 ans, nous avons symboliquement raison, mais aux yeux de beaucoup, il y aura tromperie sur la marchandise, marché de dupes. A tout prendre, j'aurais préféré que mon parti ait le courage politique d'allonger légalement la durée de travail, pour les raisons démographiques que tout le monde connaît : au moins les choses auraient été plus claires et plus franches.

Ceci dit, et les choses étant ce qu'elles sont, j'approuve complètement l'argumentation d'Alain Vidalies (qui est d'ailleurs celle du projet socialiste) : il faut s'appuyer sur la notion de pénibilité pour bonifier les parcours de retraite les plus difficiles, en faveur des populations dont la durée de vie est inférieure à la moyenne, les salariés travaillant de nuit, au dehors, en trois-huit, soumis à des produits toxiques. Sauf que les enseignants sont évidemment exclus de ces critères-là, alors qu'ils estiment eux-aussi avoir un travail pénible.

Le problème est plus que financier, il est culturel : quelqu'un qui a suivi des études assez longues, qui a passé des concours difficiles, qui assure une fonction qui relève d'un éminent service public, dont l'image était autrefois très valorisante, accepte mal aujourd'hui d'être rétrogradé, "déclassé", de partir pour une longue retraite avec un niveau de vie très inférieur à celui qu'il avait en activité.

A vrai dire, le choix est politique, et c'est l'une de mes préoccupations en ce qui concerne l'avenir de la gauche : à quelles catégories devons-nous nous adresser en priorité, sachant qu'on ne peut pas tout promettre à toutes ? Ma réponse, qui était celle hier d'Alain Vidalies en matière de retraite, c'est de viser les classes populaires, ouvriers et employés. La réforme socialiste des retraites leur profite, en permettant pour eux de quitter le travail à 60 ans avec une retraite complète. Vidalies estime que 40% des salariés seraient concernés. Ce qui fera 60% d'insatisfaits ou de mécontents ! Mais il faut savoir ce qu'on veut, dire ce qu'on fera et qui on soutiendra. Vidalies là-dessus a été très clair, et c'est ce que j'ai aimé.

J'ai bu du petit lait, j'ai applaudi intérieurement quand il a répondu à la salle qu'il ne fallait pas se laisser influencer par l'extrême gauche, qui veut mettre le PS en difficulté dans cette affaire des retraites en brandissant le slogan des 60 ans à taux plein pour tout le monde ! (au fait, Alain Vidalies est-il au courant de nos alliances à Saint-Quentin ? ...). Une bonne soirée, instructive et inattendue dans les réactions qu'elle a suscitées en moi et chez les autres. En rentrant, je me suis même demandé, amusé, si je n'étais pas devenu poperéniste ...

En photo : debout à la tribune, Alain Vidalies, avec à ses côtés Jean-Pierre Balligand, partisan de Hollande mais venu en député voisin. De dos, Alain Reuter et Bernard Bronchain. Parmi la trentaine de personnes présentes, d'autres élus : Jean-Michel Wattier, Jean-Claude Capelle, Jean-Louis Bricout et une figure du poperénisme axonais, Georges Bouaziz, ancien maire de Villers-Cotterêts.

lundi 26 septembre 2011

La politique est tragique.

Pourquoi les gens n'aiment-ils pas la politique ? Elle leur est pourtant utile et indispensable, c'est évident. Et en démocratie, c'est le peuple qui décide. Pourquoi alors ce rejet ? J'ai ma réponse, après avoir hier soir regardé sur France 2 le documentaire de Patrick Rotman, "Les fauves", consacré à l'affrontement depuis plus de quinze ans entre Sarkozy et Villepin. L'essence de la politique est la tragédie, cadre de pensée qui remonte à l'Antiquité, mais qui s'est effacé à l'époque moderne, lui préférant le consensus, n'aimant pas les affrontements, valorisant les bons sentiments.

La première caractéristique de la tragédie, confirmée dans le documentaire, ce sont les déchirements fratricides. Le combat en soi n'est pas tragique, nous avons tous des ennemis. Mais les affrontements au sein d'un même parti, d'une même famille, sont de l'ordre de la tragédie, parce que rien ne les justifie, parce que leurs conséquences (la division) sont catastrophiques.

La deuxième caractéristique, c'est la violence inouïe du conflit, à mort, où tous les moyens sont légitimes pour abattre l'adversaire. Je ne connais que la politique qui aille aussi loin, qui pousse les individus à bout, à tous les sens du terme. L'idéal d'un débat rationnel, respectueux, fécond, qui devrait être celui de la politique, est balayé par la réalité d'une guerre sans merci ni pitié.

La dernière caractéristique qui constitue la tragédie, c'est qu'elle n'a ni solution, ni fin. Entre Sarkozy et Villepin, c'est la haine à jamais, l'éternelle lutte qui vise la disparition de l'autre, sans vraiment y parvenir. On pourrait croire qu'en politique les nombreux échecs des uns et des autres finissent par les lasser, les conduire à jeter l'éponge, à abandonner. Mais non, la rivalité reprend de plus belle, comme stimulée par les obstacles et les défaites.

Cet esprit tragique qui révulse tant de monde et qui les détourne de la politique, c'est ce qui m'en rapproche, c'est ce qui me séduit et me passionne ! Mais je reste lucide : la tragédie politique n'est sans doute pas ce que l'humanité a fait de mieux durant sa longue histoire. Mais elle existe, intéresse et motive, révèle aux hommes quelque chose sur eux-mêmes.

dimanche 25 septembre 2011

Le seigle et la châtaigne.

A l'heure où je rédige ce billet, nous ne savons pas encore si le Sénat va passer ce soir à gauche ou rester à droite. Pour le dire brutalement : je m'en moque ! Bien sûr, je souhaite le succès de mon parti, le PS, une victoire étant toujours bonne à prendre. Mais je m'en désintéresse parce que ça ne changera pas grand-chose. Pourtant, n'importe quel scrutin me passionne facilement, même celui des délégués d'élèves dans une classe ; mais pas celui-là.

D'abord parce que un Sénat à gauche ne modifiera pas la politique gouvernementale de droite. Tout juste la résistance sera-t-elle un peu plus forte. Un événement historique ? Non, ceux-là transforment l'histoire, pas celui-là, s'il advient. Mais un événement tout court, oui assurément, puisque le Sénat n'a jamais été de droite. Un événement médiatique essentiellement, ce qui n'est pas négligeable dans une société de la communication.

Au moins, n'annoncerait-il pas, ne préparerait-il pas une victoire de la gauche à la prochaine présidentielle, dans quelques mois ? J'en rêve, mais non, on ne peut pas raisonner ainsi. Il y a la distance entre les deux élections : dans la société actuelle, où un événement en efface très vite un autre, plusieurs mois c'est plusieurs siècles. Dans la mémoire de l'électeur, il n'en restera plus grand-chose.

Surtout, les sénatoriale n'ont absolument rien à voir avec les présidentielles. Les deux modes de scrutin sont si différents que l'un ne dit rien sur l'autre, ne peut pas l'anticiper. Enfin, les citoyens n'adhèrent pas au système sénatorial, quand ils ne l'ignorent pas, tellement il s'oppose à une élection ordinaire, tellement il est exotique :

Les électeurs sont des élus qui votent pour des élus, dont une partie ne sera appelée aux urnes que plus tard ; les candidats n'ont pas d'étiquettes partisanes ; les deux tours ont lieu le même jour ; une majorité de gauche pourrait fort bien se donner un président de droite. C'est à n'y rien comprendre pour un citoyen ordinaire.

C'est d'ailleurs pourquoi, sous la Vème République, le Sénat n'a pas cessé d'essuyer des quolibets et de sévères critiques, de la droite comme de la gauche, allant jusqu'à suggérer sa pure et simple suppression. Le général de Gaulle a sans doute été son plus fort contempteur, en le taxant de "France du seigle et de la châtaigne".

Pourtant, un champ de seigle c'est beau, et la châtaigne grillée c'est bon ! Ça vaut bien la France du béton et du hamburger ... Je ne suis pas de ceux qui ironisent sur le Sénat et les sénateurs. Cette chambre parlementaire fait partie de nos institutions et assure son équilibre. Un républicain ne peut pas décemment s'en moquer ; il doit au contraire la respecter. Et ce ne sont pas les défauts évidents du Sénat qui me feront changer d'avis : l'assemblée nationale n'en est pas non plus exempte, alors ...

Du point de vue de la philosophie politique, il me semble important que la démocratie soit un régime d'assemblées, au pluriel, palais Bourbon et palais du Luxembourg, et pas d'une seule et unique. La République, craignant comme le feu l'autoritarisme, divise autant qu'elle le peut les pouvoirs, y compris dans la sphère parlementaire, et c'est très bien ainsi.

Avec le Sénat, j'ai une autre proximité, non plus idéologique mais personnelle : depuis longtemps, quand je vais à Paris faire mes achats chez Gibert, je consacre quelques minutes à mon jardin préféré, le Luxembourg, où je m'assieds pour méditer sur tout et sur rien, en regardant les voiliers miniatures sur son grand bassin et le bel édifice du Sénat au fond. Il m'arrive de m'assoupir au soleil, de rêvasser en imaginant derrière les fenêtres, en cet instant, nos deux sénateurs axonais les plus célèbres, travaillant à leur bureau, Yves Daudigny et Pierre André ...

Si la gauche sénatoriale l'emporte ce soir, je ne prendrai pas une coupe de champagne mais un grand verre d'eau bien fraîche, très content en même temps que prudent : mon parti, depuis une décennie, gagne toutes les élections locales, y compris spectaculairement, mais rate tous les rendez-vous nationaux avec le suffrage universel. A tout prendre, je préférerai l'inverse, laisser cette année le Sénat à la droite et lui ravir l'an prochain l'Elysée. On n'a pas trop le choix en politique : il faut se faire aux victoires comme aux défaites. Mais je n'aimerais pas que le parti socialiste se transforme en autant de forteresses locales, repliées sur leurs conquêtes, représentées par le bastion sénatorial, mais sans prise réelle sur la politique de la France et l'avenir du monde.

Les élections sénatoriales sont moins nationales que locales, une addition d'élections particulières. Je ne suis pas devin, mais nous aurons ce soir une forte poussée de la gauche, c'est le seul pronostic sérieux qu'on puisse faire. La droite y aura contribué, par ses divisions et par la réforme sarkozienne des collectivités territoriales : on n'a jamais vu un pouvoir, là celui des élus locaux, renoncer volontairement à une part importante de son pouvoir.

Un signe sera donc envoyé à la droite par la droite, via une progression à peu près certaine de la gauche. Mais qu'est-ce qu'un signe en politique ? Une alerte qui n'aura qu'un temps, une fusée de détresse qu'on envoie mais qui n'est pas un boulet de canon, un avertissement sans frais qui menace mais n'atteint pas le pouvoir gouvernemental.

Tiens, si j'avais eu le temps cet après-midi, je me serai bien promené dans un champ de seigle, il faisait si beau. Et en rentrant, j'aurai bien dégusté quelques châtaignes grillées, si c'était la saison.

La politique et l'argent.

Cette "République des mallettes" qui fait en ce moment scandale, j'en parle avec beaucoup de réticences. Ces histoires-là regardent plus la justice que la politique, même s'il est question de politique. Et puis, celle-ci ne s'honore pas à donner d'elle-même une telle image. Electoralement, c'est catastrophique pour tout le monde, droite et gauche. Car les citoyens, dans ce genre d'affaire, ne discernent pas et mettent hélas tous les hommes politiques à la même enseigne. Et c'est l'extrême droite qui rafle la mise.

Le problème de fond, qui est celui que je voudrais retenir aujourd'hui, ce sont évidemment les rapports entre la politique et l'argent. Beaucoup de progrès ont été faits ces vingt dernières années pour clarifier la situation : Rocard a réglementé et plafonné les dépenses électorales, Jospin a interdit les fonds secrets. Mais on buttera toujours cette réalité : la politique coûte chère et ne rapporte pas d'argent. Alors on fait comment ?

Il faut rappeler quelques vérités de bon sens : je n'ai jamais rencontré quelqu'un adhérer au parti socialiste pour gagner de l'argent, encore moins y faire fortune. En même temps, le besoin d'argent pour financer l'activité politique est le grand refoulé, le non-dit qui expliquent pourtant pas mal de choses. Les indemnités n'enrichissent pas mais elles arrondissent les fins de mois.

On a beau se draper dans les grandes idées, les gros sous et la petite monnaie ont leur importance, plus qu'on ne croit. Rien de choquant d'ailleurs : c'est la vie, c'est même justice que les élus de la République soient correctement rémunérés, pour service rendu à la collectivité. Les rapports d'argent tissent aussi le lien social, sont à la base de la civilisation (mais pas nécessairement son sommet).

La corruption est la maladie naturelle de la politique, comme la rougeole chez les enfants. Elle vient très tôt, très jeune, très bas, inoffensive, sans grave conséquence et facilement guérissable : l'élu qui paye son coup, régale une tablée, distribue des invitations, réserve une place, favorise un dossier, pistonne, ferme les yeux, nous y sommes, un peu, très peu, presque pas, mais le mal est bien là, favoritisme, clientélisme, copinage, etc.

Rien d'illégal, tout pour la bonne cause, aucun enrichissement personnel, seulement des liens à entretenir, des amitiés à consolider, des allégeances à développer. Le ver est dans le fruit, pas encore et peut-être jamais serpent. Ce n'est même pas un système, plutôt un état d'esprit, des réflexes de survie. Sans eux, comment conquérir ou conserver le pouvoir ?

Vous me direz : nous sommes très loin des mallettes de billets. C'est vrai, mais vous connaissez l'histoire de l'oeuf et du boeuf ... La rougeole n'est pas le cancer, mais ce sont quand même deux maladies, dont on peut éventuellement mourir en cas de complications. La gauche, je parle d'elle puisque j'en suis, doit se montrer irréprochable et exemplaire en matière de morale publique, notamment dans ses rapports à l'argent :

Bilan de trésorerie, pièces comptables justificatives, dépenses sur reçus et factures, pas d'argent laissé à discrétion, règlement par chèque, pas de liquidités, traçabilité des rentrées, origine des biens, titre de propriété, contrat de location, rédaction de toutes les opérations, signature de conventions, acte des mises à disposition, transparence et publicité, je crois que la lutte contre la corruption se traite à la racine, très simplement, dans les bonnes habitudes, les saines pratiques, la conformité aux principes du droit. La corruption prospère dans l'ombre ; la lumière la dissuade autant que les vampires.

Une fois ces mesures appliquées, il faut se garder de toute illusion : je suis persuadé qu'il restera éternellement dans la nature humaine une tentation de corruption, à limiter plutôt qu'à vouloir vainement éradiquer. Nous ne serons jamais des saints avec des fleurs dans les bras, mais il suffit que nous ne devenions pas des salauds transportant des mallettes.

samedi 24 septembre 2011

Saint-Quentin multiculturel.




"Je n'ai rien contre l'immigration", c'est la formule que j'ai retenue, de Karim Saïdi, représentant parmi d'autres élus la municipalité, lors de l'inauguration du "Village interculturel", organisé toute cette journée au palais de Fervaques par l'ASTI de Saint-Quentin, dans le cadre de la politique de la ville. S'en est suivi un éloge de la différence et de l'enrichissement mutuel, qu'aurait pu prononcer dans les mêmes termes un élu de gauche. Sauf que l'équipe municipale est UMP et alliés !

Moi non plus, je n'ai rien contre l'immigration. Je suis même pour, depuis toujours, avec cependant un moment-clé : la fondation de SOS-Racisme, à laquelle j'ai participé. Pour une société multiculturelle, oui, sans hésiter : l'identité nationale conçue comme un tout homogène, assimilateur, monocolore me hérisse. Vive la diversité ! Saint-Quentin est une ville populaire ouverte sur le monde, constituée de nombreuses communautés : voilà ce que retenait le visiteur en déambulant au milieu de la vingtaine de stands.

Jocelyne Nardi, présidente de l'ASTI locale, a rappelé dans son allocution que l'association était indépendante des partis et des confessions, qu'elle travaillait à Saint-Quentin "dans la discrétion" et ne montait guère "sur les podiums". Bien sûr, bien sûr, mais l'ASTI est quand même un mouvement qui se reconnaît dans les valeurs progressistes, dont la ligne nationale n'est pas vraiment favorable à l'actuel gouvernement. Et puis, la "discrétion", non, non et non : je rêve d'une gauche locale flamboyante, extravertie, décomplexée, assumée, communiquante, médiatique mais surtout pas "discrète" ! Bon, voilà que je m'énerve, alors que ça ne sert à rien. Reprenons nos esprits :

J'étais chargé d'animer trois débats successifs, un marathon qui a duré trois heures ! Viviane Caron nous a d'abord entretenus de l'Afghanistan fort savamment. Puis j'ai reçu Pétula Line MBella, l'avocate de l'ASTI, pour débattre des droits et obligations des immigrés. Enfin, c'est la scolarisation des enfants qui a conclu nos réflexions, en présence de l'équipe d'alphabétisation de l'association.

Anecdote amusante et lapsus révélateur, que je livre à votre méditation : maître MBella, pour donner un exemple de politique restrictive en matière d'immigration, a cité la fameuse formule "La France ne peut pas accueillir toute la misère du monde", qu'elle a attribuée à un homme de droite ... sauf que c'est un homme de gauche qui l'a prononcée, Michel Rocard, Premier ministre, et que la phrase complète, rarement citée, se poursuit ainsi : " mais elle doit en prendre sa part, et elle le peut". Ce qui en change évidemment la signification.

En vignette, le lancement officiel du "village interculturel" : de gauche à droite, Claudette Lemire, Marcel Ouillon, Laurent Marzec, Jocelyne Nardi, Karim Saïdi, Alain Gibout, Roland Bourcier, Stéphane Lepoudère, Colette Blériot, Agnès Boutreux-Potel.

Un monde de dettes.

La campagne de la présidentielle ne portera pas sur le travail ou sur l'éducation mais sur la dette. C'est flagrant, à écouter les débats politiques de ces derniers mois, à gauche comme à droite. Le seul problème de notre époque semble être celui-là. Je ne dis pas que c'est bien, ni que c'est vrai : je constate. Dette de l'Etat, dette des ménages, dette des collectivités locales, il n'est question que de ça.

Jadis, on contestait, à gauche surtout, une société exploitée ou aliénée. A droite, on critiquait une société bureaucratisée, étatisée. Aujourd'hui, c'est la société endettée qui attire sur elle analyses, reproches et propositions. Ça change beaucoup de choses, un monde qui se perçoit d'abord et avant tout comme "criblé de dettes", à la façon d'un cadavre criblé de balles.

D'abord, c'est la confirmation d'un monde dont la valeur suprême est l'argent, bien au dessus du travail, de la morale ou de la religion. Nous aimons tellement l'argent que nous dépensons celui que nous n'avons pas. Ensuite, c'est le constat d'une perte d'indépendance généralisée. Il n'y a pas si longtemps, quelques décennies, avant que la société de consommation ne s'installe complètement, un individu, une famille, pouvaient vivre dans une relative autonomie, comptant sur eux-mêmes, avec un peu d'argent de côté et ne devant quasiment rien à personne. Désormais, nous sommes pieds et poings liés au crédit et aux banques, à notre plus grande, inconsciente et irresponsable satisfaction.

Et puis, l'endettement a plongé le monde dans l'irréalité. L'argent n'est plus vraiment un mètre-étalon, il ne renvoie à rien de précis, de tangible, il devient une abstraction qui ne signifie plus grand-chose, sinon qu'il faut en avoir pour vivre, et beaucoup pour bien vivre. Enfin, le système de la dette nous fait tirer un trait sur le passé, incite à nous détourner du présent pour ne plus considérer que l'avenir, sur le mode angoissé : qu'allons-nous devenir ? Que laisserons-nous à nos enfants ?

J'ignore totalement comment nous allons sortir de ce monde de dettes qui est une sorte de supplice chinois : ça fait mal mais c'est bon, on se met des dettes sur le dos mais nous en profitons largement. Il n'est pas impossible que cette société de la consommation et de l'endettement, qui se répand sur toute la planète, finisse un jour par s'écrouler, comme l'empire romain et d'autres, eux-aussi très puissants, ont sombré.

La droite raisonnait traditionnellement en termes de devoirs et la gauche en termes de droits. Toutes les deux sont maintenant obnubilées par la réalité de la dette, ce gouffre au dessous de nos pieds. Mais il faut inventer des solutions, qui ne peuvent pas être seulement gestionnaires ou comptables. Je ne vois qu'un autre modèle de société pour dépasser l'actuelle situation. L'humanité devrait se rassurer en constatant qu'elle est habituée : son histoire est faite de changements, comme la société d'Ancien Régime a été emportée par le monde démocratique. Nous sommes tous endettés mais nous vivons une époque passionnante.

vendredi 23 septembre 2011

Et s'il n'en reste qu'une ...

A quoi devons-nous être fidèles ? Ça pourrait être un beau sujet de philosophie, vous ne trouvez pas ? Beau mais terrible ... Fidèles à son conjoint, à ses origines, à ses convictions, fidèles à la parole donnée, à soi-même ... Compliquée, cette affaire. Ce qui semble certain, c'est que la fidélité, étymologiquement fideis, est une forme de foi. Elle n'est pas une contrainte, un devoir, mais un attachement volontaire et vivant à quelqu'un ou à quelque chose.

Pourquoi vous raconter ce soir tout ça ? Parce que j'ai sous les yeux un article de Jean-Michel Roustand intitulé "Claudine Doukhan fidèle à Royal", paru dans L'Union du 17 septembre. Claudine, je la connais comme on connaît quelqu'un qui vous a invité à dîner chez lui. Elle est devenue conseillère régionale, socialiste bien sûr, par la grâce d'appareil, qui en vaut bien une autre. Ségoléniste convaincue, fervente comme peut l'être une ségoléniste, elle l'est restée, jusqu'à devenir la mandataire de Royal dans l'Aisne pour les primaires citoyennes.

J'ai un sale défaut, et ce n'est pas hélas le seul, je juge trop vite : Claudine élue, pour moi elle était passée de l'autre côté du miroir, elle cessait d'être la militante naïve comme l'est tout militant. Ce qui signifie qu'elle allait, je le craignais, désormais "suivre". Eh bien non, je me suis planté, Claudine est, à ma grande surprise, d'une autre trempe : elle a bêtement été fidèle à ses convictions d'antan, qui n'est pas si loin.

La bêtise a parfois du bon. On ne réfléchit pas, on ne calcule pas, on reste cohérent. Évidemment, les malins prétendent que "seuls les imbéciles ne changent pas d'avis". Être malin ou imbécile, il faut choisir : moi aussi, j'ai fait le choix de Claudine, mais le mien porte sur un autre nom (voir mon billet de dimanche dernier, "Strauss le magnifique").

Mon parti, le parti socialiste, est un parti d'élus : la moitié de ses adhérents le sont et l'autre moitié rêvent de le devenir (la boutade n'est pas de mon invention). C'est ce qui fait sa grandeur et son efficacité : sans cela, jamais la gauche ne pourrait battre la droite, nous ne serions qu'un cercle de pensée, un parti de témoignage. Mais cet état de fait a des conséquences, qui n'ont rien de surprenant ou de choquant : les multiples allégeances, sans rapport direct avec des positions idéologiques. C'est pourquoi, pour les primaires citoyennes, la plupart des élus départementaux ont rallié Hollande et la plupart des élus régionaux Aubry (à l'exception notable de Claudine Doukhan), comme le fleuve se déverse dans l'océan et comme les branches de l'arbre montent vers le ciel.

Doukhan, à Roustand, tient des propos assez crânes, presque gonflés : "Je ne m'adresse pas aux élus, ceux qui le souhaitent sont cependant les bienvenus, mais aux gens. Le reste, ce n'est pas mon problème, je ne me situe pas dans une logique d'appareil". C'est presque du Mousset, version ségoléniste ! Et s'il n'en reste qu'une dans l'Aisne, ce sera celle-là, Claudine Doukhan.

A tu et à toi.

En lisant dans le Courrier Picard d'aujourd'hui le compte rendu de la visite du ministre Laurent Wauquiez à Saint-Quentin (voir mon billet d'hier, "Fabrice à Henri-Martin"), j'apprends que le maire et ministre Xavier Bertrand pratique généreusement le tutoiement avec son invité et appelle par son prénom la vice-présidente socialiste du conseil régional de Picardie. C'est une pratique généralisée parmi les élus, à tu et à toi, certains allant jusqu'à se faire la bise, y compris entre hommes !

A Saint-Quentin, élus de droite et de gauche se tutoient fréquemment. Je ne voudrais pas paraître mauvais coucheur, triste sire ou rabat-joie, mais je n'aime pas ça. Chacun bien sûr son style, et je les respecte tous, mais le mien n'est pas celui-là. Pourquoi ? D'abord parce que je réserve le tutoiement à ma famille, mes amis, mes collègues et mes camarades, ce qui fait déjà pas mal de monde, mais je ne vois pas pourquoi j'irais au-delà.

Ensuite et surtout, je crois que l'homme politique, quel que soit son niveau, est constamment en représentation et doit donc se surveiller. Dans une inauguration, une réunion ou n'importe quelle manifestation publique, il n'y a pas place pour les échanges privés, les apartés, tout s'entend et se voit. Le tutoiement est une marque de familiarité qui n'a pas sa place dans une rencontre qui n'a rien de familière. Il faut tenir son rang, aussi modeste soit-il, ne pas chercher à jouer les gars sympa.

De plus, tutoyer les uns, c'est vouvoyer les autres, fatalement : on ne peut pas quand même distribuer du "tu" à tout le monde ! Alors s'établit une distinction malheureuse entre ceux qui en sont et ceux qui n'en sont pas, qui se sentent par conséquent exclus. Le vouvoiement a deux vertus : il instaure le respect et l'égalité, en cultivant une certaine distance qui me semble de bon aloi.

Et puis, le tutoiement développe un vice mineur chez celui qui en est le bénéficiaire (et une petite ruse chez celui qui le pratique) : la vanité d'entrer dans l'intimité d'un puissant, de partager avec lui, grâce à lui, un peu de sa puissance. Le jour où Xavier Bertrand me tutoiera (ce qui par bonheur n'est jamais arrivé jusqu'à maintenant, mais je touche du bois !), je me sentirai vexé, contrarié, presque humilié.

L'image de la politique est aujourd'hui ternie, abîmée, pour des raisons souvent injustes. Mais le fait est là : classe politique, élus, droite et gauche sont l'objet d'un même calamiteux rejet, entretenu par l'idée fausse que nos dirigeants, grands et petits, seraient "tous les mêmes", foncièrement complices. Cette vision est calomnieuse mais présente dans bien des esprits : quand nos concitoyens regardent s'affronter durement des hommes politiques qui dans la coulisse se tutoient, se congratulent, font ami-ami, ils ne comprennent pas, ils soupçonnent la politique d'être un "cinéma". Ils ont tort, mais les apparences sont plus fortes que la réalité ; autant alors ne pas laisser prise aux soupçons et renoncer à se tutoyer.

J'ai pourtant conscience que le vouvoiement est mal perçu. Il donne l'image d'une supériorité, d'une froideur, même d'un mépris. Je préfère prendre ce risque-là à celui de la démagogie, de la flatterie, de l'hypocrisie du tutoiement. François Mitterrand ne tutoyait que ses amis et il avait raison. Au premier conseil des ministres de la gauche en 1981, il interdisait à ses camarades de se tutoyer à la table et de s'interpeller par les prénoms. Il avait également raison. Nicolas Sarkozy fait tout le contraire : il tutoie quasiment tout le monde. Entre les deux, j'ai depuis longtemps fait mon choix.

jeudi 22 septembre 2011

Blanc c'est nul, archinul.

Bruno Gaccio, le très populaire et médiatique inventeur des Guignols sur Canal+, se fait le défenseur très militant du vote blanc, dans un livre co-signé par Marie Naudet, "Blanc c'est pas nul", aux éditions Descartes&Cie. On ne va pas s'entendre : je suis, depuis toujours, un farouche adversaire de toute reconnaissance du vote blanc, comme d'ailleurs du vote obligatoire. Je vois dans l'une et l'autre de ces propositions des faux semblants, des échappatoires, des justifications à l'incivisme galopant et des mesures anti-républicaines.

Je m'explique : la République repose sur "l'expression du suffrage universel", selon la formule canonique. Or, le bulletin blanc n'exprime rien du tout, sauf à lui donner une interprétation forcément subjective et arbitraire. En revanche, quand je vote pour un parti, une liste, un candidat, un programme, c'est clair, net et précis.

Je ne peux même pas prétendre que le vote blanc signifierait le rejet ou la colère : voter FN ou NPA sont tout autant, et beaucoup plus sûrement, des votes anti-système, contestataires. Pas le vote blanc, qui n'est peut-être, mais nous n'en saurons jamais rien, que le signe d'une blanche indifférence. Le vote blanc, c'est le vote vide, nul, insignifiant, anti-citoyen par excellence.

Et ne me dites pas qu'on vote blanc par défaut, manque de choix ! Quand on voit généralement le nombre de candidats, c'est plutôt l'embarras auquel nous sommes confrontés. Bien sûr, il n'y a parfois, comme au second tour de l'élection présidentielle, que deux candidats. Et alors ? Voter, ce n'est pas adhérer aveuglément à une personnalité, c'est faire un choix, jamais parfait, rarement idéal, toujours relatif. Le vote blanc, c'est le refus de choisir, de s'impliquer, de prendre des risques et des responsabilités, d'assumer. Voter blanc c'est-à-dire voter rien, c'est tellement plus facile !

Le fondement de la République, c'est aussi la "volonté générale", l'assentiment du peuple, la loi majoritaire. Imaginons un seul instant que les votes blancs l'emportent, soient les plus nombreux : la démocratie serait empêchée, entravée, paralysée. Le vote blanc, c'est la négation de la démocratie. A la veille du tricentenaire de la naissance de Jean-Jacques Rousseau, philosophe du "Contrat social", l'adoption d'une loi reconnaissant officiellement le vote blanc, comme le souhaite ardemment Gaccio, serait désastreuse.

Le vote blanc, c'est la participation hypocrite à un scrutin dont on mine en même temps les assises. C'est vouloir passer pour un bon citoyen alors qu'on est un mauvais électeur, puisqu'on ne joue pas le jeu de l'élection. Décompter les bulletins blancs ne serviraient strictement à rien, ne modifierait pas du tout les résultats.

Le vote blanc ne serait-il pas cependant un avertissement lancé à la classe politique ? Non, le seul avertissement que je connaisse, le plus radical et le plus efficace, c'est l'abstention. Quand on n'est pas d'accord, quand personne ne vous convient (ce que je peux parfaitement concevoir, la République encourageant mais n'obligeant pas à être républicain), on ne vient pas, on reste chez soi.

Je sens que la campagne de Bruno Gaccio en faveur du vote blanc va prendre, parce qu'elle est dans l'air du temps. Il y a tant de gens qui ont à se faire pardonner de ne pas aller voter, de ne pas s'intéresser à la politique : avec la non reconnaissance actuelle du vote blanc, ils ont une excuse toute trouvée à leur faiblesse, le temps d'en trouver une autre quand le vote blanc sera admis. Car je ne crois absolument pas que sa prise en compte incitera beaucoup plus à retrouver le chemin des urnes.

Je ne vois qu'une seule circonstance dans laquelle le vote blanc regagne en légitimité : c'est lorsqu'il n'y a qu'un seul candidat à une élection et que le vote blanc est la seule façon de s'opposer à lui. Mais je ne connais pas d'élections nationales ou locales qui aient déjà présenté cette configuration. En revanche, dans mon parti, lors de votes de désignation, il est fréquent de n'avoir qu'un seul candidat, ce qui est une excellente chose quand celui-ci fait l'unanimité, et n'est pas rare ente camarades. Mais lorsque ça n'est pas le cas, le vote blanc est une forme de résistance, dont il m'est arrivé par deux fois, en dix ans, dans ma section, d'user. En dehors de ça, le vote blanc ne se justifie pas.

Mais je comprends parfaitement la logique qui anime Bruno Gaccio, qui est implacable : après avoir, avec les Guignols de l'Info, rendu dérisoire, ridicule, grotesque la scène politique française, après avoir corrompu en profondeur l'esprit public (mais c'est son droit, et son talent est grand, je salue l'humoriste), il est normal, cohérent qu'il cherche à nous vendre le vote blanc, aboutissement inévitable de son entreprise de subversion.

Le vote blanc est le degré zéro de la politique, qui se pare pourtant de toutes les vertus (blanc comme neige, c'est le symbole de l'innocence). C'est la manifestation d'une très douteuse pureté, d'une propreté inquiétante. Non, j'ai beau y réfléchir en tout sens, être aussi compréhensif et bienveillant qu'on voudra, voter blanc c'est nul, archinul.

Fabrice à Henri-Martin.

Vous connaissez le fameux épisode de Fabrice à Waterloo dans "La Chartreuse de Parme" de Stendhal : le héros est au milieu de l'historique bataille mais n'en retient que quelques banales coups de canons et cavaliers fuyant au loin. Ce matin, j'étais ce Fabrice, mais sans rien de guerrier. C'est en arrivant devant mon lycée, Henri-Martin à Saint-Quentin, que j'ai compris que ce jour n'était pas un jour comme les autres : plusieurs policiers en tenue surveillaient devant l'entrée, talkie-walkie à l'oreille.

Le beau portail de la cour d'honneur, qu'on n'ouvre que pour les grandes occasions, était ouvert. Je vous laisse la déduction. Pour renforcer le sentiment qu'un moment exceptionnel se préparait, une caméra à l'épaule se baladait et deux journalistes jouaient aux sentinelles : Nassera Lounassi, de L'Aisne Nouvelle, et Jean-Michel Roustand, de L'Union. Quand Roustand se déplace, c'est qu'il y a du sérieux dans l'air. Mais quoi exactement ? J'essaie de savoir, une bouche mystérieuse me répond que "quelqu'un d'important" s'apprête à être reçu par le lycée.

Très bien, mais c'est quoi, "quelqu'un d'important" ? Monsieur le sous-préfet arrive, parlant dans son portable tout en marchant, comme le font souvent les gens importants. Serait-ce lui ? Non, il a déjà visité l'établissement, sans la présence d'un tel déploiement policier et humain. "Quelqu'un de plus important", m'indique Nassera, pour me mettre sur la piste, sans que je suis beaucoup plus aidé. Monsieur le maire, Xavier Bertrand ? Tiens, voilà un de ses élus, qui vient en voisin, maître Vignon, conseiller municipal délégué, suivi de peu par Anne Ferreira, vice-présidente du conseil régional de Picardie. Mais je ne sais toujours pas quelle personnalité on attend.

C'est un homme de pouvoir, c'est certain. Je sens cette fébrilité autour de moi, qui gagne ceux qui sont présents, et qui annonce toujours l'approche d'un homme de pouvoir. On regarde, on s'inquiète, il faut être là, ne pas manquer l'événement, c'est-à-dire l'homme. Mais qui ? Je me rends à la loge du concierge, aux informations. Hegel le savait pertinemment : "Il n'y a pas de grand homme pour son valet de chambre". C'est du côté des domestiques qu'on apprend le plus de choses. Justement, un policier se précipite et annonce : "Monsieur le ministre est au péage de l'autoroute". Il s'agit de Laurent Wauquiez, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, venant au lycée Henri-Martin visiter le BTS audio-visuel, fleuron de l'établissement.

Mais je n'en saurai pas plus : la sonnerie m'appelle, je suis moi aussi, à ma façon, un domestique qu'on sonne, les cours vont commencer, je dois y aller. En traversant la cour, je croise Vincent Savelli, vice-président de l'agglomération, mais ici CPE (conseiller principal d'éducation). Voilà ce qui différencie celui qui a le pouvoir et celui qui ne l'a pas : l'un monte vers la cour d'honneur, l'autre descend dans sa salle de classe.

Comment s'est passée cette visite prestigieuse (ce n'est pas tous les jours qu'un ministre est dans nos murs !) ? Je n'en sais rien, toujours rien, je vous l'ai dit : j'étais ce matin Fabrice à Waterloo. J'en saurai plus demain, en lisant Jean-Michel Roustand et Nassera Lounassi. En attendant, j'ai assuré trois heures de philo, bien tenté de donner à mes élèves le sujet suivant : pourquoi l'homme de pouvoir fait-il nécessairement l'événement ? Mais mes lycéens sont trop jeunes pour s'intéresser à ça ... Nous avons disserté sur le bonheur et la liberté.

mercredi 21 septembre 2011

L'effet Montebourg.

Arnaud Montebourg progresse nettement dans les intentions de vote pour les primaires citoyennes ; il ravirait même, paraît-il, la troisième place à Ségolène Royal. Ça ne me surprend pas, je l'avais annoncé sur ce blog : Arnaud incarne désormais l'aile gauche du PS, dont la tradition est toujours vivante dans notre parti, dont l'espace politique ne se réduit pas à quelques points.

D'autre part, la ligne anti-mondialisation d'Arnaud Montebourg ne peut que recevoir un accueil positif dans une partie de notre électorat, et aussi au-delà, très hostile à la mondialisation économique et ses méfaits. Enfin, Arnaud est une personnalité charismatique, comme les aime le parti socialiste ; son lyrisme tranche sur le sérieux très convenu des autres candidats. On ne fait pas de politique sans enthousiasme.

Je reste évidemment partisan de François Hollande, le candidat idéologiquement le plus proche de l'héritage de DSK, comme l'a finement souligné Benoît Hamon. Mais je me réjouis des bons scores d'Arnaud dans l'opinion publique. D'abord parce que sa montée va favoriser le débat d'idées au sein des primaires, qui prenaient dangereusement ces derniers jours la tournure d'une querelle de personnes (Ségolène traitant Martine de "menteuse", ce n'est vraiment pas génial !).

Et puis, je vois d'un bon oeil la réactivation d'une aile gauche jeune, intelligente et dynamique. Elle fait partie de notre histoire commune. Au moment du rassemblement de tous les socialistes, on ne pourra pas s'en passer. Ce qu'il m'arrive parfois de déplorer, c'est l'existence d'une aile gauche archaïque, défensive et opportuniste (Guy Mollet en son temps l'a incarnée) mais Montebourg n'est pas sur ce registre-là. Depuis le départ de son représentant naturel Jean-Luc Mélenchon, la gauche du parti était orpheline d'idées et de leaders. Voilà qui est réglé, et c'est tant mieux pour la démocratie interne au parti.

Tout social-démocrate que je suis, j'estime que le parti socialiste est performant et attractif à partir du moment où sa vie idéologique est intense (voyez les années 70 !). Ce qui m'inquiétait dans les primaires jusqu'à maintenant, c'est la proximité politique des "grands" candidats : peu ou prou, Hollande, Aubry et Royal sont sur la même ligne, réformiste modérée. J'applaudis bien sûr, mais il nous faut du débat, et que les français le voient !

Arnaud fait bouger les lignes, c'est très bien. Il réinstaure le vrai clivage qui donne du sens aux confrontations entre socialistes : une ligne social-démocrate contre une ligne socialiste plus radicale, sachant qu'à l'heure de l'union, il faudra prendre en compte ce que les uns et les autres auront dit, car rien ne me répugne plus entre camarades que le jeu mortel des rapports de force qui conduit nécessairement à l'élimination des uns au seul profit des autres. C'est très mauvais, les conséquences sont désastreuses, j'en sais quelque chose ...

mardi 20 septembre 2011

Un nouveau blog à St-Quentin.

Un petit nouveau vient de naître dans la blogosphère politique saint-quentinoise, pas très développée : "Le blog d'Anne Ferreira", c'est son titre (http://anneferreira.ath.cx/Pages/Accueil.aspx). A vrai dire, c'est plus un site qu'un blog, puisqu'il n'y a pas de billets journaliers ni possibilité de laisser des commentaires.

La présentation est très agréable, belles photos parfois animées. Il y a un effort technique manifeste, une sophistication dans la maquette, à côté de quoi mon blog passe pour monacale, ascétique, épuré. Petit reproche : je trouve le blog d'Anne un peu chargé, notamment son partage en deux colonnes d'écritures, mais les goûts et les couleurs se discutent.

Anne relate son travail d'élue régionale, sa fonction de représentation, mais aussi son engagement militant, puisqu'il est question des primaires citoyennes, réunion et procédure, ainsi qu'une revue de presse locale. Anne avait déjà un blog, mais exclusivement en tant que vice-présidente du conseil régional de Picardie (http://web.me.com/anneferreira/Site/Bienvenue.html), qui a été alimenté jusqu'au 7 octobre 2009. Ce nouveau blog est beaucoup plus ouvert. A mon sens, c'est tout à fait le blog de la candidate aux législatives qu'elle s'apprête à être.

Un signe qui ne trompe pas : la multiplication des pronoms et adjectifs possessifs, qui en font un blog très personnel. Je suis allé voir les liens, qui sont souvent révélateurs de l'identité d'un site. On y trouve le conseil régional, la section de Saint-Quentin et ... Marie-Noëlle Lieneman (pour le courant).

Comme à chaque naissance d'un nouveau blog saint-quentinois, je me réjouis et je lui souhaite longue vie, moi qui fêterai le 30 septembre prochain mes cinq ans d'existence sur la toile. Comme à chaque fois, je me permets un seul et unique conseil : un blog ne vit et ne se développe que dans la durée, au fil des mois et des années, dans son renouvellement constant. Je vous invite dès ce soir à consulter le blog d'Anne Ferreira.

Les caniches et les perroquets.

J'aime les animaux, j'ai même sauvé cet été un martinet prisonnier sous mon toit (voir billet du 19 juillet). Mais il y a deux espèces que je déteste : les caniches et les perroquets. Ces petits chiens tout frisés qui aboient aigu et qui vous pincent insidieusement les mollets, ces oiseaux au bec ridicule, aux couleurs criardes, qui répètent stupidement ce qu'ils entendent, non je ne les aime pas, je vois en eux un mélange de bêtise et de méchanceté.

Parmi les êtres humains, il y a aussi, hélas, des caniches et des perroquets. C'est ce que je me suis dit en écoutant le flot de commentaires qui a suivi l'intervention de Dominique Strauss-Kahn dimanche dernier. Que de bêtise et de méchanceté ! Une flopée de perroquets qui rabâchent des mots sans réfléchir, une meute de caniches qui font du boucan et qui mordillent les plus grands. Mais c'est ainsi, il faut lutter, ne rien laisser passer. J'y vais, je me sacrifie, je passe en revue le florilège des idioties, j'y réponds une par une :

- Le coup de com' : dimanche, nous aurions assisté à une intervention préparée, répétée, "millimétrée". Et alors ? Vous voudriez un DSK arrivant les mains dans les poches et les doigts dans le nez, sans avoir sérieusement songé et travaillé à ce qu'il allait dire ? Les fainéants ont le droit de l'être, mais qu'ils n'entraînent pas les autres dans leur vice ! Oui, nous vivons dans une société de communication où il faut communiquer et s'entourer de communiquants, et c'est très bien comme ça.

- DSK n'a pas été spontané : qu'en savons-nous ? A part le Christ, personne ne peut sonder les coeurs et les reins. Pour ma part, j'ai trouvé que Strauss avait par moments, dimanche soir, une émotion retenue, et ça me suffit. Je n'aime pas trop le pathos. Pour le reste, c'est un homme qui sait, depuis toujours, maîtriser sa parole, et avant-hier à la perfection. Ça dérange qui ? Tous ceux qui ont besoin d'un papier pour s'exprimer, qui ne savent pas prononcer une phrase sans trébucher sur les mots, balbutier, hésiter, commettre des lapsus. Et vous croyez que ces imperfections sont des gages de sincérité ? Non, absolument pas. La vérité, c'est que les imparfaits détestent la perfection, comme les perroquets jalousent les aigles et les caniches envient les lévriers.

- Mains crispés et yeux fermés : c'est que DSK ne voulait pas se trahir à travers ses gestes, prétendent nos fins analystes, qui auraient dû pousser leur analyse jusqu'aux battements des cils et des paupières, et pourquoi pas la commissure des lèvres ! Quant aux yeux clos qui ont terminé l'entretien, que voulaient-ils donc signifier ? Le soulagement, la fatigue, la concentration, une prière ? Voilà à quoi pensent les caniches et les perroquets ...

- Le rapport du procureur, brandi à plusieurs reprises par DSK, c'était surjoué : ah bon ? Le seul document fiable, précis, objectif, instruit par celui chargé de l'accusation, ne méritait pas d'être ainsi montré ? Les caniches et les perroquets n'aiment décidément pas la vérité. C'est sans doute pourquoi ils ne voient que du mensonge, de l'artifice, du faux semblant autour d'eux, projection de leurs propres obsessions.

- DSK n'en a pas assez dit, on ne sait toujours pas ce qui s'est passé : je reconnais bien là l'obscénité, la lubricité des caniches et des perroquets, qui voudraient se délecter du moindre détail, et qui se plaignent qu'on leur cache la vérité. Mais c'est la vérité du voyeur qu'ils réclament.

- Mea culpa ou pas ? Les commentateurs sont partagés, les uns disent que oui, les autres que non, tous sont embarrassés. C'est qu'ils rêvaient d'un DSK plein de contrition, de repentance, d'humilité, avec des excuses dégoulinant de la bouche. Manque de pot, ils ont eu droit à un homme offensif, sûr de son bon droit, défendant son innocence, n'admettant aucune culpabilité, sinon une "faute morale" et une "légèreté" : c'en était trop pour les caniches et les perroquets, trouvant que DSK n'en faisait pas assez. Il aurait dû, selon eux, se présenter corde au cou et chemise blanche de condamné (rappelez-vous Ingrid Betancourt à sa libération, c'était la même réaction, la même déception, de semblables reproches). Eh non, ce n'est pas ce qui s'est passé ! Mea culpa ? Curieux qu'une société laïque et sécularisée en tienne pour une vieille notion chrétienne ... Mais telle est la morale des caniches et des perroquets.

- Chazal est amie de Sinclair, elle n'aurait pas dû interviewer Strauss : là aussi, on ne fait pas plus stupide comme remarque. L'amitié n'empêche pas le professionnalisme, et l'absence d'amitié ne garantit pas non plus l'objectivité. Il m'arrive d'avoir comme élève des enfants d'amis ou de collègues, ça ne m'empêche pas de faire mon travail en toute conscience. Il n'y a que les perroquets et les caniches qui fraient entre eux et qui se soutiennent mordicus. Qu'ils ne généralisent pas leur travers à l'ensemble des créatures !

- DSK a fait un cadeau empoisonné à Martine Aubry en la présentant comme son "ami" et en confirmant le "pacte" qui les liait : ni cadeau empoisonné, ni baiser qui tue, mais la simple vérité, avec laquelle, c'est une constante, caniches et perroquets ont tant de difficultés. Pas de poison puisque, de toute façon, DSK n'a accordé son soutien à aucun candidat aux primaires citoyennes.

Ai-je fait le tour des aboiements de caniches et des hurlements de perroquets, en réaction à l'émission de DSK ? Sûrement pas, tellement ils s'entraînent les uns les autres dans un infernal mimétisme. C'est qu'ils haïssent par dessus tout ce qui leur est supérieur, c'est-à-dire insupportable, c'est qu'ils apprécient par dessus tout qu'on leur demande pardon en se vautrant dans l'urine de leur cage ou caniveau. Ces bêtes-là ont des grilles ou une niche dans la tête, c'est pourquoi je ne les aime pas. Amis lecteurs, critiquez tant que vous voudrez Dominique Strauss-Kahn, son personnage et ses idées, mais ne vous rabaissez pas à rejoindre le troupeau des caniches et des perroquets.

lundi 19 septembre 2011

L'Huma, y aller ou pas ?

C'était ce week-end la fête de l'Humanité, à laquelle j'ai plusieurs fois participé, avec grand plaisir : c'est un rendez-vous populaire, festif, de gauche. Mais fallait-il que les candidats aux primaires citoyennes s'y rendent ? Candidat à la présidentielle, on n'est plus un citoyen tout à fait comme les autres. Je pense qu'il ne fallait pas.

Que le parti socialiste soit représenté auprès de nos partenaires communistes, à travers la présence de notre secrétaire national par intérim et notre porte-parole, Harlem Désir et Benoît Hamon, c'est normal. Mais nos candidats à la primaire, non ce n'est pas logique.

D'abord parce que cette fête de l'Huma n'était pas comme les autres : elle propulsait la candidature de Jean-Luc Mélenchon. Il était donc maladroit d'aller sur les terres d'un concurrent qui n'éprouve aucune tendresse pour son ancien parti et critique durement la procédure des primaires.

Aller à la "pêche aux voix" (l'expression est de Mélenchon, pas mécontent qu'on s'intéresse tant à lui) ? C'est maladroit aussi. Les communistes soutiendront et voteront pour le candidat des communistes, pas pour celui ou celle des primaires citoyennes. Il en va de même bien sûr pour les écologistes. Ne donnons pas l'impression de vouloir capter des électorats qui ne nous rejoindront qu'au second tour de la présidentielle. Des camarades du PCF ne s'y sont d'ailleurs pas trompés, qui ont hué par moments sur leur passage certains candidats socialistes, bien conscients qu'être ainsi dragués était contraire au respect.

Ségolène Royal a fait fort, vêtue de rouge, comme pour mieux séduire. Jean-Luc Mélenchon, lui, était visiblement rouge de plaisir puisqu'il a eu cette étrange phrase : "Elle commence à parler notre langue". Ah bon ? Comme s'il suffisait des mots pour faire les convictions et les actes ... Je ne comprends pas : Ségo incarne une variante moderniste du socialisme qui a peu de rapport avec les fondamentaux défendus par Méluche. Ne sait-il pas que l'habit fait aussi peu le révolutionnaire que le moine ?

Un seul candidat socialiste avait sa place à la fête de l'Humanité, en toute cohérence idéologique : c'est Arnaud Montebourg, dont la ligne politique est objectivement proche de Mélenchon et des communistes. Il a d'ailleurs eu cette formule très éclairante : "Nous nous battons sur les mêmes choses, moi depuis l'intérieur, lui [Mélenchon] depuis l'extérieur".

François Hollande, en ne parcourant pas les allées de la fête de l'Huma, a confirmé sa démarche présidentielle : s'adresser à l'ensemble du peuple de gauche, ne pas chercher à débaucher telle ou telle famille politique ou partie de l'électorat. Mitterrand lui non plus n'aurait jamais fait ça. D'ailleurs, mais ce serait à vérifier, je crois qu'il n'est pas venu une seule fois à la fête de l'Huma.

dimanche 18 septembre 2011

Strauss le magnifique.

Magnifique, DSK a été ce soir à la télévision magnifique, c'est le mot qui me vient spontanément à l'esprit après l'avoir à l'instant regardé. Magnifique de sincérité, mais c'est le moins qu'on pouvait attendre de lui en pareille occasion. Magnifique surtout dans l'assurance, la certitude, l'énergie. On aurait pu s'attendre à le voir abattu, expiant bêtement, se rabaissant à une stupide repentance, bredouillant de misérables excuses, cherchant à se faire pardonner des crimes imaginaires. Non, il a été magnifique de vérité, se reposant sur le seul rapport du procureur, texte canonique qu'il avait à ses côtés, qu'il brandissait comme l'inaltérable preuve de son innocence.

La vérité ? La voilà, que tout le monde attendait : son accusatrice est une menteuse, qui a agi pour l'argent, point final. Et Strauss va plus loin, très loin, en n'excluant pas la théorie du "piège" ou du "complot", en se promettant d'y revenir, ultérieurement. Strauss magnifique parce qu'offensif, un homme debout, comme je les aime, toujours dans le combat, ne cédant rien aux minables attaques des nabots contre les géants. D'ailleurs, dans la dernière partie de l'entretien, l'avez-vous remarqué ? DSK était redevenu l'homme politique, l'économiste engagé, presque le candidat à la présidentielle qui nous manque tant aujourd'hui.

Strauss magnifique aussi de responsabilité : il reconnaît la "faute morale", il renonce pour toujours à cette forme de "légèreté" de moeurs, mais il récuse l'image détestable qu'on a faussement construit de lui : il respecte les femmes, il n'use pas de son pouvoir contre elles, il est "tout le contraire", envers quiconque. Je peux personnellement en attester, et je l'ai déjà écrit : DSK n'est pas de ces frimeurs qui se prennent pour des supérieurs, comme il en existe à tous les étages de la politique. Quand on est magnifique, on ne se commet pas dans ce genre de bassesse, on n'en a nullement besoin.

Magnifique prestation dans la forme. Au début, le visage était grave, de marbre, les regard durci, sans ce sourire qui fait tout le charme de l'homme, sans cette malice dans les yeux. La voix était sèche. Et puis, la statue s'est animée, est revenue à la vie, la voix s'est posée, a trouvé le ton juste, la parole s'est imposée, claire, limpide, les arguments se sont enchaînés aux arguments, dans une stricte cohérence à laquelle on ne pouvait qu'adhérer.

Des moments de pause, de réflexion, à la recherche du mot précis, mais pas d'hésitation, de digression, de lapsus, comme c'est monnaie courante chez bien des personnages publics. L'intervention de Strauss a été magnifiquement maîtrisée, de bout en bout, de part en part. J'oserai jusqu'à dire que sa prestation était encore meilleure que les précédentes, avant l'affaire. Comme si l'homme frappé par le mensonge et l'injustice, interrompu dans son destin et brisé dans son honneur, retrouvait alors la force de se défendre, et même de passer à l'attaque. Magnifique !

Voilà ce que je peux vous dire ce soir, passant de mon écran de télévision à celui de mon ordinateur, sans attendre les commentaires des uns et des autres. J'ai un immense regret : celui qui aurait été à coup sûr le candidat des socialistes et le futur président de la République ne le sera pas. Mais aussi un immense espoir : Strauss-Kahn ne renonce à rien, n'abandonne pas la vie politique, continue comme "avant". En 2017, il aura 68 ans, un âge où il est encore possible de devenir président de tous les français. Ce soir, si je me laissais aller, je serais presque prêt à relancer mon blog "L'Aisne avec DSK" ! Six ans, c'est si vite passé ... Mais je ne me laisse jamais aller. C'est aussi ce que mon modèle en politique m'a appris.

Quelle soirée !

Quelle soirée ! Je veux parler de celle d'hier ... dans le cadre des journées du patrimoine à Saint-Quentin. D'habitude, je ne participe pas. Mais cette année, j'ai été entraîné par mon voisin, Bernard Delaire. A 21h50, devant le théâtre Jean-Vilar, j'étais donc prêt pour une visite guidée de l'hyper-centre, promettant des "surprises", des "révélations" et des "rencontres inattendues" (c'était écrit dans la brochure). Des surprises, oui j'en ai eues : quelle soirée !

D'abord, une invitée non prévue qui a failli tout gâcher : la pluie, et pas petite ni courte ! Nous avons tout de même suivi Bernard Delaire, enveloppé dans une grande cape noire, lanterne à la main, direction l'hôtel de ville. A l'intérieur, dans la salle des mariages, une parodie de cérémonie nous attendait, très amusante, puis, dans la salle du conseil municipal, des comédiens étaient figés en statues du musée Grévin. Parmi eux, j'ai reconnu notre maître en rigolothérapie locale, Jean Tribouilloy.

A la sortie, toujours la flotte ! La petite troupe de parapluies est passée devant le Carillon, allant vers la rue du Gouvernement. De là, nous avons emprunté la ruelle saint-Rémy, où nous attendait une véritable atmosphère de Moyen Âge, agrémentée par des poésies déclamées par des sortes de moines tout droit sortis du "Nom de la Rose", affublés de masques de carnaval. La basilique en fond et la pluie partout, l'effet était terrible !

Sur le parvis, en dessous de l'entrée, deux saints qui n'étaient pas de pierre sont venus nous raconter leurs histoires, rejoints par une Esmeralda qui n'était pas vraiment celle de Victor Hugo. Toujours sous l'eau, vaillamment, nous avons regagné notre point de départ, le théâtre, où un prêtre à la Don Camillo et des moines chantants nous ont interprété quelques tubes et danses du meilleur effet.

Découverte ensuite des sous-sol du bâtiment et leurs fantômes (mais oui !) et fin du parcours en passant par les coulisses et débouchant sur... scène, devant une salle remplie de spectateurs. Et là, j'ai senti le traquenard, mais trop tard ! Nous avons été sommés de jouer une courte pièce, ubuesque. Je me suis retrouvé avec une tapette à mouche entre les mains, mimant un assaut de chevalier brandissant sa dérisoire épée, genre Don Quichotte contre les moulins à vent, sous les yeux du public et de Stéphane Lepoudère, maire-adjoint à la culture ! Remarquez bien que la tapette était un moindre mal : j'aurais pu, comme certaines victimes consentantes, être coiffé d'un saladier ( le casque) ou, pire, avoir un tuyau d'aspirateur entre les jambes (le cheval).

Le ridicule n'a jamais tué personne, j'en suis donc sorti vivant et enchanté. Xavier Bertrand n'a-t-il pas commencé sa carrière politique sur ces planches, dans un accoutrement encore plus invraisemblable ? Tous les espoirs me sont donc permis. Quoi qu'il en soit, bravo et merci à toutes celles et ceux qui ont conçu et animé ce jubilatoire "patrimoine en délire", chapeau bas devant les compagnies de théâtre amateur saint-quentinoises, Manteau d'Arlequin, Tréteaux errants et Grim'Loup. Rideau et applaudissements !

Quatre hypothèses.

C'est donc ce soir que Dominique Strauss-Kahn va s'expliquer, pendant 20 minutes paraît-il, sur TF1, au journal de 20h00. Il est certain que des millions de français seront au rendez-vous. Comme tout le monde, je ne peux pas m'empêcher de supposer ce qui pourrait se passer. Je conçois quatre stratégies possibles pour DSK, quatre hypothèses : le déni, la repentance, la victimisation, le renoncement.

- Le déni : Strauss minimise, réduit sa rencontre dans le sofitel à une banale aventure d'un après-midi, consentie mais qui tourne mal, dont la dame veut tirer profit d'argent. En gros, il ne s'est rien passé qui méritait un tel scandale planétaire. Strauss pointe alors du doigt les médias qui en font trop et la culture puritaine américaine qui méconnaît le principe laïque français de séparation entre vie privée et vie publique. DSK réaffirme qu'il est libre de mener la vie qu'il veut, comme il va de soi en République, pourvu que les actes et comportements ne contreviennent pas à la loi, ce qui est le cas puisque la justice a abandonné ses poursuites.

Cette première stratégie est peut-être celle qui correspond le plus à ce que DSK pense au fond de lui. Mais elle est difficilement recevable pour l'opinion publique, qui a été marquée et même traumatisée par l'événement, qui accepterait mal son déni ou sa relativisation. Elle attend des explications précises, des justifications, pas un repli sur le secret et le respect de la vie intime. C'est sans doute déplorable mais c'est ainsi.

- La repentance : Strauss avoue tout, confesse ses fautes, reconnaît le mal qu'il a fait, demande pardon, en rajoute s'il le faut dans les excuses, bat sa coulpe, jure qu'il ne le refera plus, va peut-être jusqu'à admettre qu'il est malade, qu'il se fera soigner, qu'il veut repartir à zéro pour mieux renaître. C'est la repentance qui prépare la résurrection, corde au cou et cendres sur la tête afin qu'advienne l'homme neuf. C'est la stratégie morale, la plus efficace : tirer un trait et passer à autre chose. Elle permet aussi de laisser espérer que DSK sortira plus fort de l'épreuve : s'affronter au mal, le dénoncer après y avoir succombé ne peut que rendre meilleur. L'avenir de Strauss est donc préservé, en quelque sorte bonifié. La descente aux enfers est le prélude à la montée au ciel politique.

Cette stratégie, mâtinée de religiosité, est la plus étrangère à la psychologie de DSK. Pourtant, dans notre société telle qu'elle est devenue, c'est la plus recevable. Il est fréquent de voir des hommes publics s'excuser à tout bout de champ pour n'importe quoi. L'opinion prend plaisir à voir un puissant se rabaisser à ses pieds et réclamer son indulgence, sa pitié. En quelques mots, l'affaire est soldée, expurgée, dans une sorte de catharsis. On ne peut plus rien reprocher à quelqu'un qui s'accable lui-même.

- La victimisation : c'est le contraire de la stratégie précédente, c'est le passage de l'état de coupable à celui de victime, c'est la stratégie cette fois la plus politique. DSK révèle qu'il s'est fait piéger, qu'il ne voulait rien de ce qui est arrivé mais qu'il est tombé dans un traquenard, qu'un complot a été monté contre lui, pour l'empêcher d'accéder à la présidence de la République française. Au passage, il dénonce la dureté de la justice américaine. Il confirme ainsi le premier sentiment de bien des gens, stupéfaits, incrédules, sceptiques, et les premières rumeurs évoquant un coup tordu, tellement le scénario paraissait invraisemblable. Cette stratégie offensive redonne à DSK toute sa force d'initiative : il renverse à son profit les rôles, passe d'accusé à accusateur.

Du point de vue de l'opinion, cette stratégie serait fort bien admise : la victime est devenue une figure préférée de nos concitoyens, qui en abusent fréquemment pour eux-mêmes. L'innocent frappé par l'injustice est très bien porté, chacun s'identifiant aisément à son malheur. DSK s'en trouverait justifié à poursuivre sa carrière politique. Mais serait-il cru ? Le complotisme a ses limites, les preuves doivent être sérieuses et solides. Le doute des premiers jours n'enlève pas la part de responsabilité de Strauss, qui peut difficilement apparaître blanc comme neige. Et puis, il y a le risque d'un retournement : passer pour celui qui s'est fait avoir comme un gamin alors qu'il aspirait aux plus hautes destinées.

- Le renoncement : c'est la stratégie à la Jospin 2002, la plus simple, la plus rapide, la plus directe. Ne pas s'étendre inutilement sur l'événement, ne pas non plus tirer des traits sur la comète, mais reconnaître que le mal, quelles que soient ses causes, est fait et annoncer son retrait de la vie publique. Les questions alors s'arrêtent, le dossier se referme, DSK redevenant un citoyen comme un autre, un anonyme se repliant sur sa vie privée, répondant seulement aux rendez-vous judiciaires, dépolitisant totalement l'affaire. A la rigueur, Strauss accepterait de jouer le rôle de sage de la République, mais dépourvu d'activité et de responsabilité, consultant ou conférencier, c'est-à-dire retraité de la politique.

C'est la tentation de l'oubli, qui est peut-être aussi en lui, avec la fatigue de devoir porter une affaire qui ne le quittera plus jamais de sa vie, qu'il a les moyens de terminer plus doucement. Chez lui, le bonheur personnel peut l'emporter sur le désir de revanche et de gloire. Je ne sais pas si l'opinion publique en serait satisfaite. Une histoire aussi peu banale ne peut pas se terminer banalement. On attend de DSK qu'il se batte, se défende, rétablisse au moins une partie de son image et de son honneur, pas qu'il renonce.

Je ne sais pas laquelle de ces stratégies va l'emporter ce soir. Peut-être aucune, peut-être toutes à la fois. Et si un ultime rebondissement nous attendait ? Cette affaire est tellement hors-normes ... Nous en reparlerons après l'émission.

samedi 17 septembre 2011

Sarkozy ce héros.

Jeudi, Nicolas Sarkozy avait rendez-vous avec l'Histoire. C'est le rêve de tout chef d'Etat, surtout sous la Vème République : ne pas être simplement un président qu'on aura oublié avec le temps, mais devenir un personnage historique, "marquer l'Histoire", comme on dit. Ce n'est pas une tâche facile, la volonté personnelle ne suffit pas, il faut que les circonstances s'y prêtent. Une réforme est vite banalisée. Autrefois, on parlait de "gloire", mot qui a vieilli. Mais la réalité est là : il faut épouser l'événement si on veut se faire un nom dans les livres d'Histoire.

Pour Nicolas Sarkozy, l'occasion historique, c'était ce jeudi, où il a été accueilli en Libye comme un libérateur, un héros, soulevant l'enthousiasme du peuple. Lui, perçu en France comme "le président des riches", devenait tout à coup le défenseur des opprimés, le fondateur de démocratie, le chef des armées qui a chassé, avec ses alliés, un dictateur fou et sanguinaire. Quand Sarkozy a parlé, ce n'était plus Sarkozy, c'était, dans la voix et le verbe, de Gaulle en personne ! De son quinquennat, l'Histoire ne retiendra peut-être que ce moment-là, et ce n'est déjà pas si mal, tellement elle est oublieuse et ingrate ...

Pourtant, dans notre pays, qu'a-t-on retenu de ce moment historique ? Quelques images et gros titres, mais pas grand-chose, parce que les français avaient la tête ailleurs, en regardant leur petit écran : le débat des primaires, qui a fait ce jeudi l'événement. Si Sarkozy a choisi d'aller en Libye pour éclipser le débat entre socialistes, c'est raté, c'est même l'inverse qui s'est produit. Ses conseillers en communication auraient dû le prévenir et envisager pour ce rapide voyage une autre date.

Nicolas Sarkozy tirera-t-il un bénéfice électoral de son succès libyen ? Aucun ! Jamais la politique étrangère n'a eu une influence majeure sur la politique intérieure. Winston Churchill a sauvé son pays de l'hitlérisme et a été battu aux élections qui ont suivi ... Vouloir entrer dans l'Histoire se paie très cher, exige abnégation et sacrifice, oubli de soi, indifférence à son propre avenir. Les peuples sont eux aussi ingrats : ils ne pensent pas aux autres peuples, à l'heure des choix politiques. L'Histoire ne se répète pas : Sarkozy, héros d'un jour, aura l'éternité des manuels scolaires mais peut-être qu'un seul quinquennat.

vendredi 16 septembre 2011

Une leçon de démocratie.

Alors, ce débat des primaires, qu'est-ce que j'en ai pensé ? Que du bien ! Au départ, j'avais deux craintes, parfaitement opposées mais tout aussi redoutables : l'ennui soporifique ou la baston généralisée. Ni l'un ni l'autre, c'était passionnant et consensuel. Tant mieux. Le PS hier soir a marqué des points devant l'opinion, se montrant sous son meilleur jour : un parti de gouvernement constitué par de multiples talents. C'est ainsi que je l'aime, mon parti. Quel autre, à gauche, serait en capacité d'en faire autant ? Je n'en vois pas.

Évidemment, tout le monde se pose aujourd'hui la question : qui est sorti gagnant de cette belle leçon de démocratie ? Personne en particulier ! Je les ai trouvés tous très bon, chacun dans son registre, même Jean-François Baylet, assez baroque et surprenant dans sa très gauchiste revendication d'une légalisation du cannabis ... Tous très bon, mais tout de même de façon inégale. Les outsiders se sont particulièrement distingués, rivalisant de lyrisme et de sincérité, Arnaud Montebourg et Manuel Valls. Normal : quand on est minoritaire, qu'on n'a rien à perdre, on a intérêt à aller jusqu'au bout de ses convictions, d'affirmer sa singularité.

En revanche, Ségolène Royal m'a semblé en deçà d'elle-même, un peu en retrait par rapport à son personnage, presque effacée. Dommage : elle n'est jamais aussi bonne que lorsqu'elle joue à Ségolène Royal. Hier soir, il ne lui restait que son sourire, ce qui accentuait encore plus le décalage. Dès le début, elle s'est condamnée, en affirmant : "J'ai changé". Que n'a-t-elle suivi les leçons de François Mitterrand ? En politique, il ne faut jamais "changer", mais rester soi-même, creuser son sillon, demeurer tenace, tenir bon au milieu des critiques. Ségo telle qu'on l'aime aurait dû rester Ségo ! Dans ce premier débat, elle s'est volontairement banalisée, pour se faire accepter. Erreur ! Il ne faut surtout pas ...

Les deux challengers, Hollande et Aubry, jouaient gros dans l'affaire. L'un et l'autre ont tiré leur épingle du jeu, mais Martine a dévissé vers la fin, sans que la chute soit mortelle. Quand on veut être président, qu'on peut l'être, il faut se montrer présidentiel, rassembleur, au dessus de la mêlée. En s'en prenant à deux reprises à François Hollande, sur des sujets qui ont paru à l'opinion être des chicaillas, Martine Aubry est descendue de son piédestal, a montré qu'elle ne pouvait l'emporter qu'en cherchant à tout prix à se distinguer de François, au lieu d'affirmer tranquillement, souverainement son message.

Hollande, lui, n'a pas cédé sur la trajectoire qui est la sienne depuis plusieurs mois : l'homme déterminé, offensif à l'égard de Sarkozy, n'ayant nul besoin d'aller chercher des noises à ses petits camarades, le port de tête parfois impérial, avec juste ce qu'il faut de sourire et d'humour pour manifester sa distance à l'égard des événements et de lui-même. En un mot : mitterrandien, dans le geste, la voix, l'ironie et l'énergie.

Est-ce à dire que les résultats de la primaire seraient pliés ? Sûrement pas ! Ségolène peut se refaire, Aubry peut attaquer par sa gauche et Hollande commettre une bévue. Le premier tour, c'est dans trois semaines ; beaucoup de choses peuvent encore se passer. Et puis, personne n'est capable de dire qui et combien vont venir voter. Tout reste donc très ouvert. Ce que je souhaite, c'est qu'il n'y ait qu'un seul tour. Alors, notre candidat aura une forte légitimité et pas à entrer dans l'affrontement nécessairement lourd de conséquences d'un second tour, avec ses inévitables et contestables tractations en vue des reports de voix.

Je n'ai pas parlé du fond du débat, et pour cause : rien de nouveau, pas de différences fondamentales entre au moins cinq candidats, qui se retrouvent dans le projet socialiste, même le radical de gauche, quoi qu'il en dise. Il n'y a qu'Arnaud Montebourg qui ait laissé entendre une petite musique assez différente, celle de la gauche du parti. J'attends avec impatience le prochain débat, et des millions de français aussi, si j'en crois les scores d'audience.

jeudi 15 septembre 2011

Une émission cruciale.

Le débat de ce soir sur France 2 entre candidats aux primaires citoyennes sera crucial pour la suite des événements. Généralement, ce type de débat à la télévision n'est pas électoralement décisif. Il déplace assez peu de voix. Là, ce sera différent. Les primaires ne sont pas comparables à un scrutin national.

D'abord, il reste encore un mois de campagne, les lignes peuvent bouger. Les électeurs, peu habitués à cette procédure, sont inévitablement indécis. Ils n'ont pas une connaissance exacte de chaque candidat. La performance télévisuelle des uns et des autres sera donc primordiale.

Enfin, entre les deux candidats de tête, Hollande et Aubry, même si on y adjoint Royal, les différences idéologiques ne sont pas fondamentales. La dimension personnelle va l'emporter dans le choix des citoyens. A ce jeu, le petit écran est un terrible moment de vérité, qui peut promouvoir ou défaire une personnalité. Le gagnant sera celui qui parviendra à démontrer qu'il est à l'aise dans les vêtements présidentiels, qu'il est en capacité de succéder à Nicolas Sarkozy.

Les positions purement politiques seront secondaires (ce qui ne veut pas dire qu'elles ne seront pas importantes). Un mot malheureux, un geste maladroit, une humeur malvenue, une image déplacée seront fatales. Je ne sais pas s'il faut s'en désoler. La logique des primaires conduit à cette situation. Notre projet ayant été adopté, ce ne sont pas ses lectures différentes qui peuvent être clivantes, mais le profil des candidats, le charisme présidentiel qu'ils auront ou pas. Réponse ce soir.

mercredi 14 septembre 2011

Pèlerinage laïque.

Adhérent du parti socialiste, du SE-UNSA (ex-FEN) et de la Ligue de l'enseignement, je suis donc laïque patenté. Si j'étais maçon, j'aurais le kit complet, la totale comme disent les jeunes. Être laïque, ce n'est pas toujours très bien porté. Laïquard, le terme est souvent utilisé, plutôt négatif. Le comble, c'est que le laïque passe, dans ces conditions, pour sectaire, intolérant, agressif, alors qu'il est tout le contraire : ouvert, respectueux, pacifique.

Pour réhabiliter l'image des laïques, j'aimerais vous raconter une petite anecdote, plus révélatrice que bien des discours. J'ai reçu, pour la rentrée scolaire, le magazine de mon syndicat, "L'Enseignant", du très laïque SE-UNSA, avec à l'intérieur une alléchante proposition de "voyage culturel" en Turquie, au prix de 149 euros par personne pour une semaine, repas non compris. Et quel est le thème de ce voyage ? "Sur les traces des apôtres à travers la Cappadoce" (sic), avec évidemment un parcours d'églises anciennes et la visite d'un couvent musulman de Derviches tourneurs.

Imaginez un peu : un car de laïques allant en pèlerinage aux sources de la chrétienté ! Formidable, non ? Qui osera dire, après ça, que les laïques sont des sectaires, des bouffeurs de curés, des anticléricaux primaires ? Cette offre touristique, dans la plus laïque des revues françaises, prouve exactement le contraire. Et c'est très bien ainsi. Ceci dit, l'aurait-on imaginé il y a trente ou quarante ans ? Il ne me semble pas. Les temps ont bien changé. Tant mieux.

mardi 13 septembre 2011

De Gaulle et Jaurès.

Généralement, quand le Front national se réunit quelque part, il soulève à juste raison les protestations de la gauche et de l'extrême gauche, qui manifestent contre sa venue. J'ai plusieurs fois participé à ce genre de mobilisations, qui mériteraient d'être plus fréquentes et plus massives. Si tel était le cas, le FN n'en serait peut-être pas là où il est électoralement arrivé.

Ce week-end, à Nice, il y a bel et bien eu une manif contre Le Pen, mais sans banderoles, sans slogans, sans cris dans la rue ... et sans militants de gauche ! C'était un rassemblement anti-FN tout à fait inédit, puisque organisé par l'UMP, Copé-Bertrand-Estrosi en tête. Même si le meeting a aussi abordé d'autres sujets, le but était bien celui-là : contrer l'université d'été de Marine Le Pen.

Quand la droite fait quelque chose de bien, un socialiste doit-il dire que la droite fait quelque chose de bien ? Je pense que oui. Toute force politique qui s'oppose, évidemment à sa façon, à l'extrême droite doit être applaudie et encouragée. Quant aux arrières-pensées qui président à de tels rassemblements, quant aux contradictions de la droite à l'égard de son extrême droite, je les mets momentanément de côté, ils sont le pain quotidien de la vie politique, j'en reste à l'action politiquement utile de ce dimanche : le rappel des valeurs gaullistes de la droite et leur opposition à l'idéologie d'extrême droite.

Bravo donc à Xavier Bertrand et aux siens. Nous autres socialistes, nous devons aussi nous ressourcer à notre tradition politique pour soustraire les milieux populaires à l'influence délétère du Front national. Face à lui, pour le combattre, la droite doit brandir la nation et la gauche le social. C'est dans la fidélité de chacun à ce qu'il est que l'extrême droite sera démasquée et confondue. Droite républicaine et gauche républicaine contre le FN, de Gaulle et Jaurès main dans la main !

lundi 12 septembre 2011

Primaires citoyennes et avenir.

A la suite des questions sur les primaires qui m'ont été posées vendredi soir à Guise, je veux apporter quelques explications sur leur déroulement à Saint-Quentin, et encourager toute personne intéressée à venir voter, les 9 et 16 octobre prochains. Les modalités du scrutin peuvent paraître compliquées, il faut donc les rendre claires et simples.

D'abord, qui peut voter ? Tout citoyen dont la sensibilité est de gauche, ce dont il attestera en signant une déclaration et en versant un euro. C'est pourquoi il ne faut pas parler de primaires socialistes mais citoyennes. Un communiste, un écologiste, par exemple, peuvent tout à fait participer. D'ailleurs, parmi les six candidats, un n'est pas socialiste mais radical, Jean-Michel Baylet.

Ensuite, où voter ? C'est la question la plus courante et la plus délicate. Les saint-quentinois qui sont inscrits, aux élections locales et nationales, dans le canton nord iront voter le 9 octobre à l'Espace Matisse, un centre associatif bien connu, 3 rue Théophile Gautier. Pour le second tour, le 16 octobre, le bureau de vote ne sera pas à la même adresse, mais dans la maison de quartier d'Europe, rue Henri-Barbusse.

Les électeurs saint-quentinois du canton centre voteront pour les deux tours au cercle Jean-Jaurès, 20 rue de Théligny, et ceux du canton sud à la mairie annexe Saint-Martin, 132 rue de Ham. Tous les bureaux seront ouverts de 9h00 à 19h00.

Cette consultation inédite, véritable révolution au parti socialiste, n'aura pas pour seul objectif de désigner notre candidat à la présidentielle, mais aussi de mesurer la capacité de nos sections à mobiliser nos sympathisants. Sans un travail militant préalable, d'information de notre électorat, la participation ne saurait être importante. C'est pourtant un afflux massif dans les urnes citoyennes qu'il faut viser et encourager, sinon le vainqueur partira avec un handicap, sa faible légitimité.

A Saint-Quentin, le nombre de votants permettra de jauger notre influence, même si les médias nationaux auront leur part dans la participation. Les prochains scrutins locaux seront en partie conditionnés par ce résultat. Il faudra être également attentif aux scores réalisés par les différents candidats. Si François Hollande l'emporte localement alors que les élus de la section soutiennent Martine Aubry, si Arnaud Montebourg, le candidat le plus à gauche parmi les six, obtient un score modeste alors que la ligne politique locale est très à gauche et partenaire de l'extrême gauche, mon projet d'un socialisme recentré, modéré et réformiste retrouvera de la pertinence, la voie sera désormais ouverte pour les élections municipales.

Car je suis de ceux qui pensent que ce processus des primaires citoyennes est historique, qu'il bouleversera en profondeur le parti socialiste, qu'il fera entrer l'opinion dans nos choix futurs, y compris locaux, que plus rien ne pourra arrêter cette dynamique de la démocratisation. A Saint-Quentin, l'ancrage à l'extrême gauche n'est qu'un pur produit de l'appareil, accidentel et circonstanciel, qui ne survivra pas à l'avis de notre électorat.

L'évolution de la gauche saint-quentinoise est inéluctable. Elle se fera avec moi ou sans moi, peu importe, puisque ma démarche n'a jamais été guidée par l'ambition personnelle. Peut-être même que ceux qui aujourd'hui sont les plus chauds partisans d'une ligne radicale et d'alliances à l'extrême gauche tiendront un discours contraire et singeront mes propos d'aujourd'hui, tellement la politique est affaire d'opportunités. Je ne m'en formaliserai d'ailleurs pas, puisque ce qui compte pour moi est l'intérêt collectif et la victoire de la gauche. Mais je ne pourrai pas m'empêcher de laisser passer un léger sourire.

dimanche 11 septembre 2011

Le sens d'une tragédie.

Après vous avoir relaté ce matin le contexte dans lequel j'avais vécu le 11 septembre 2001, je veux cet après-midi évoquer l'événement en lui-même, les réflexions qu'il a provoquées en moi. Le choc, c'est bien sûr celui des images : il me semble que pour la première fois dans l'histoire de l'humanité, une tragédie de cette ampleur était regardée en direct, par le biais de la télévision, dans le monde entier.

Surtout, c'était aussi la première fois qu'un événement était reproduit en boucle sur nos écrans, avec une telle insistance, un effet de répétition et de miroir jusqu'au vertige (on a revu ça depuis, notamment lors de la récente affaire DSK). J'avoue mon malaise : la reprise obsessionnelle d'images identiques qui n'apportent absolument rien de nouveau à l'information du téléspectateur a quelque chose de pathologique, de névrotique. Inévitablement, à force d'être vues et revues, elles perdent de leur sens, de leur puissance, elles finissent par excéder et lasser.

Ce n'est pas l'image impressionnante de l'avion heurtant la tour qui m'a le plus impressionné, mais celles, atroces, des personnes se jetant dans le vide pour échapper aux flammes. On ne pouvait que s'identifier à ces pauvres gens livrés à la mort la plus cruelle, le saut dans le vide. Mais là aussi, quelle malaise de se reconnaître littéralement voyeurs d'une telle scène, la caméra suivant indécemment les corps dans leur chute. D'ailleurs, les autorités américaines ont compris que ces images étaient les plus taboues : aucun cadavre au sol n'a été montré.

Dernière image que je retiens, qui m'a marqué : à plusieurs milliers de kilomètres de la tragédie qui plongeait le monde entier dans l'horreur, des hommes et des femmes, dans certains pays arabes, se réjouissaient de ce qu'ils considéraient comme une défaite de leur pire ennemi, l'Amérique. Ce contraste entre la douleur des uns et la joie des autres était frappante, choquante, déroutante.

Choquant aussi, consternant, inexplicable, l'infecte rumeur partiellement née en France, amplifiée dans notre pays, selon laquelle le 11 septembre n'était qu'une manipulation, les attentats un montage, et les responsables pas ceux qu'on croyait. Ce négationnisme ahurissant est un symptôme mystérieuse de notre névrose nationale, s'exprimant par la fabulation, le fantasme.

Le 11 septembre a vraiment pris fin dix ans plus tard, à l'arrestation et à la mort de Ben Laden. Là aussi, qui aurait pu croire que la traque d'un terroriste par les services secrets les plus puissants au monde prendrait une décennie ? Dans les attentats de Manhattan et les réactions qu'ils ont suscitées, je crois que c'est toute notre époque qui se reflète, avec ses angoisses, ses contradictions et ses limites.

Mon 11 septembre 2001.

Que faisiez-vous le 11 septembre 2001 ? C'est la question à laquelle on n'échappe pas ces derniers jours. Dix ans ! Si j'avais imaginé que la décennie passerait si rapidement ... Il se trouve, moi qui n'ai pas très bonne mémoire (raison pour laquelle j'écris tout), que je me souviens exactement du déroulement de ma journée. J'avais cours au lycée Henri-Martin, la rentrée n'était passée que de quelques jours. En sortant de ma salle de classe, en milieu d'après-midi, j'ai croisé le CPE, Vincent Savelli, qui m'a dit, à peu de choses près : "Deux avions ont attaqué New-York", comme si la troisième guerre mondiale avait été déclarée !

New-York ! C'est une ville où je suis allé plusieurs fois, où j'ai habité quelques jours, au tournant des années 90, en un temps ou je ne connaissais ni Saint-Quentin, ni le métier d'enseignant, ni l'engagement socialiste. J'avais alors une amie qui m'hébergeait chaque été. Le World Trade Center, j'avais bien sûr visité, les tours les plus impressionnantes au monde, le symbole de l'Amérique avec, non loin, la statue de la Liberté. Leur dédoublement, la pureté de leur ligne étaient fascinants, surtout lorsqu'on regardait du pied de l'édifice. Si je m'attendais à leur destruction terroriste ...

Ce 11 septembre, j'avais programmé en fin d'après-midi une rencontre avec le journaliste de L'Aisne Nouvelle Eric Leskiw, pour le lancement d'une association, "Saint-Quentin Avenir", qui se donnait pour objectif de préparer les élections municipales de ... 2008. A la suite de l'échec de la gauche cette année 2001 (25% des voix au scrutin local) et devant l'immobilisme de la section, j'avais décidé (déjà !) de réagir.

La députée Odette Grzegrzulka l'a évidemment mal pris et mon parti m'a conseillé, après convocation devant la commission des conflits, de renoncer à ce projet. Mais ce 11 septembre, j'ignorais encore les conséquences de mon initiative. Toujours est-il que je me sentais passablement gêné devant Eric : alors que le monde s'interrogeait sur son sort, que la planète semblait rouler vers l'abîme, que des milliers de personnes étaient les victimes de la folie terroriste, j'exposais tranquillement, dans ma cuisine, les statuts et les buts d'une association en vue de reconquérir l'électorat de gauche saint-quentinois !

Nous avons heureusement trouvé un compromis : conserver l'interview politique en lui adjoignant un encadré apportant témoignage de mon expérience new-yorkaise et de mes réactions aux attentats du jour. L'idée était aussi de montrer que la vie continuait, que l'acte barbare n'interrompait pas la marche ordinaire du monde, comme finalement les fanatiques l'auraient souhaité.

En soirée, je recevais un coup de fil de Jacques Wattiez, conseiller municipal ex-socialiste mais ne siégeant plus en assemblée, pour m'inviter à une réunion "de toute la gauche" (sic) au cercle Jean-Jaurès, afin de commenter les tragiques événements. Il n'en était bien sûr pas question pour moi ni pour personne au PS : nous avions rompu avec ces "dissidents", exclus du parti et ne représentant qu'eux-mêmes, nous avions quitté le local rue de Théligny, ce n'était pas pour y revenir ! Là aussi, j'étais loin d'imaginer que la petite histoire prendrait une drôle d'allure dix ans après ...

Les suites du 11 septembre, je les ai également vécues au sein du CLRIF, un groupe anti-Charles Baur, constitué essentiellement de communistes. Même dans ce milieu très hostile aux Etats-Unis, l'émotion et l'indignation prévalaient au départ. Sauf qu'assez rapidement une évolution s'est fait jour : l'Amérique certes était plainte et soutenue, avec cette restriction d'une possible responsabilité de sa part, théorie du retour de bâton, de l'effet boomerang en quelque sorte, que je ne partageais bien sûr pas.

Chez mes collègues au lycée Henri-Martin, un autre sujet de discussion a relativisé la compassion initiale : fallait-il faire participer les élèves à la minute nationale de silence décrétée par le gouvernement ? Une polémique courait : pourquoi honorer ces victimes-là et pas d'autres ? Certains arguaient d'un 11 septembre oublié, 1973 celui-là, le coup d'Etat de Pinochet au Chili, avec le soutien des ... Etats-Unis, faisant lui aussi des milliers de victimes. La dialectique et la controverse idéologique s'en mêlaient, exercice alors fréquent dans la salle des profs, passé un peu de mode aujourd'hui.

Tout ça pour vous dire que mon 11 septembre 2001 a vu se mélanger la petite et la grande histoire et que cette journée, au début consensuelle, a vite laissé apparaître des perceptions différentes, des clivages d'opinions qu'il est bon de rappeler en cette journée de légitime commémoration.