jeudi 22 septembre 2011

Blanc c'est nul, archinul.

Bruno Gaccio, le très populaire et médiatique inventeur des Guignols sur Canal+, se fait le défenseur très militant du vote blanc, dans un livre co-signé par Marie Naudet, "Blanc c'est pas nul", aux éditions Descartes&Cie. On ne va pas s'entendre : je suis, depuis toujours, un farouche adversaire de toute reconnaissance du vote blanc, comme d'ailleurs du vote obligatoire. Je vois dans l'une et l'autre de ces propositions des faux semblants, des échappatoires, des justifications à l'incivisme galopant et des mesures anti-républicaines.

Je m'explique : la République repose sur "l'expression du suffrage universel", selon la formule canonique. Or, le bulletin blanc n'exprime rien du tout, sauf à lui donner une interprétation forcément subjective et arbitraire. En revanche, quand je vote pour un parti, une liste, un candidat, un programme, c'est clair, net et précis.

Je ne peux même pas prétendre que le vote blanc signifierait le rejet ou la colère : voter FN ou NPA sont tout autant, et beaucoup plus sûrement, des votes anti-système, contestataires. Pas le vote blanc, qui n'est peut-être, mais nous n'en saurons jamais rien, que le signe d'une blanche indifférence. Le vote blanc, c'est le vote vide, nul, insignifiant, anti-citoyen par excellence.

Et ne me dites pas qu'on vote blanc par défaut, manque de choix ! Quand on voit généralement le nombre de candidats, c'est plutôt l'embarras auquel nous sommes confrontés. Bien sûr, il n'y a parfois, comme au second tour de l'élection présidentielle, que deux candidats. Et alors ? Voter, ce n'est pas adhérer aveuglément à une personnalité, c'est faire un choix, jamais parfait, rarement idéal, toujours relatif. Le vote blanc, c'est le refus de choisir, de s'impliquer, de prendre des risques et des responsabilités, d'assumer. Voter blanc c'est-à-dire voter rien, c'est tellement plus facile !

Le fondement de la République, c'est aussi la "volonté générale", l'assentiment du peuple, la loi majoritaire. Imaginons un seul instant que les votes blancs l'emportent, soient les plus nombreux : la démocratie serait empêchée, entravée, paralysée. Le vote blanc, c'est la négation de la démocratie. A la veille du tricentenaire de la naissance de Jean-Jacques Rousseau, philosophe du "Contrat social", l'adoption d'une loi reconnaissant officiellement le vote blanc, comme le souhaite ardemment Gaccio, serait désastreuse.

Le vote blanc, c'est la participation hypocrite à un scrutin dont on mine en même temps les assises. C'est vouloir passer pour un bon citoyen alors qu'on est un mauvais électeur, puisqu'on ne joue pas le jeu de l'élection. Décompter les bulletins blancs ne serviraient strictement à rien, ne modifierait pas du tout les résultats.

Le vote blanc ne serait-il pas cependant un avertissement lancé à la classe politique ? Non, le seul avertissement que je connaisse, le plus radical et le plus efficace, c'est l'abstention. Quand on n'est pas d'accord, quand personne ne vous convient (ce que je peux parfaitement concevoir, la République encourageant mais n'obligeant pas à être républicain), on ne vient pas, on reste chez soi.

Je sens que la campagne de Bruno Gaccio en faveur du vote blanc va prendre, parce qu'elle est dans l'air du temps. Il y a tant de gens qui ont à se faire pardonner de ne pas aller voter, de ne pas s'intéresser à la politique : avec la non reconnaissance actuelle du vote blanc, ils ont une excuse toute trouvée à leur faiblesse, le temps d'en trouver une autre quand le vote blanc sera admis. Car je ne crois absolument pas que sa prise en compte incitera beaucoup plus à retrouver le chemin des urnes.

Je ne vois qu'une seule circonstance dans laquelle le vote blanc regagne en légitimité : c'est lorsqu'il n'y a qu'un seul candidat à une élection et que le vote blanc est la seule façon de s'opposer à lui. Mais je ne connais pas d'élections nationales ou locales qui aient déjà présenté cette configuration. En revanche, dans mon parti, lors de votes de désignation, il est fréquent de n'avoir qu'un seul candidat, ce qui est une excellente chose quand celui-ci fait l'unanimité, et n'est pas rare ente camarades. Mais lorsque ça n'est pas le cas, le vote blanc est une forme de résistance, dont il m'est arrivé par deux fois, en dix ans, dans ma section, d'user. En dehors de ça, le vote blanc ne se justifie pas.

Mais je comprends parfaitement la logique qui anime Bruno Gaccio, qui est implacable : après avoir, avec les Guignols de l'Info, rendu dérisoire, ridicule, grotesque la scène politique française, après avoir corrompu en profondeur l'esprit public (mais c'est son droit, et son talent est grand, je salue l'humoriste), il est normal, cohérent qu'il cherche à nous vendre le vote blanc, aboutissement inévitable de son entreprise de subversion.

Le vote blanc est le degré zéro de la politique, qui se pare pourtant de toutes les vertus (blanc comme neige, c'est le symbole de l'innocence). C'est la manifestation d'une très douteuse pureté, d'une propreté inquiétante. Non, j'ai beau y réfléchir en tout sens, être aussi compréhensif et bienveillant qu'on voudra, voter blanc c'est nul, archinul.

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