vendredi 23 septembre 2011

A tu et à toi.

En lisant dans le Courrier Picard d'aujourd'hui le compte rendu de la visite du ministre Laurent Wauquiez à Saint-Quentin (voir mon billet d'hier, "Fabrice à Henri-Martin"), j'apprends que le maire et ministre Xavier Bertrand pratique généreusement le tutoiement avec son invité et appelle par son prénom la vice-présidente socialiste du conseil régional de Picardie. C'est une pratique généralisée parmi les élus, à tu et à toi, certains allant jusqu'à se faire la bise, y compris entre hommes !

A Saint-Quentin, élus de droite et de gauche se tutoient fréquemment. Je ne voudrais pas paraître mauvais coucheur, triste sire ou rabat-joie, mais je n'aime pas ça. Chacun bien sûr son style, et je les respecte tous, mais le mien n'est pas celui-là. Pourquoi ? D'abord parce que je réserve le tutoiement à ma famille, mes amis, mes collègues et mes camarades, ce qui fait déjà pas mal de monde, mais je ne vois pas pourquoi j'irais au-delà.

Ensuite et surtout, je crois que l'homme politique, quel que soit son niveau, est constamment en représentation et doit donc se surveiller. Dans une inauguration, une réunion ou n'importe quelle manifestation publique, il n'y a pas place pour les échanges privés, les apartés, tout s'entend et se voit. Le tutoiement est une marque de familiarité qui n'a pas sa place dans une rencontre qui n'a rien de familière. Il faut tenir son rang, aussi modeste soit-il, ne pas chercher à jouer les gars sympa.

De plus, tutoyer les uns, c'est vouvoyer les autres, fatalement : on ne peut pas quand même distribuer du "tu" à tout le monde ! Alors s'établit une distinction malheureuse entre ceux qui en sont et ceux qui n'en sont pas, qui se sentent par conséquent exclus. Le vouvoiement a deux vertus : il instaure le respect et l'égalité, en cultivant une certaine distance qui me semble de bon aloi.

Et puis, le tutoiement développe un vice mineur chez celui qui en est le bénéficiaire (et une petite ruse chez celui qui le pratique) : la vanité d'entrer dans l'intimité d'un puissant, de partager avec lui, grâce à lui, un peu de sa puissance. Le jour où Xavier Bertrand me tutoiera (ce qui par bonheur n'est jamais arrivé jusqu'à maintenant, mais je touche du bois !), je me sentirai vexé, contrarié, presque humilié.

L'image de la politique est aujourd'hui ternie, abîmée, pour des raisons souvent injustes. Mais le fait est là : classe politique, élus, droite et gauche sont l'objet d'un même calamiteux rejet, entretenu par l'idée fausse que nos dirigeants, grands et petits, seraient "tous les mêmes", foncièrement complices. Cette vision est calomnieuse mais présente dans bien des esprits : quand nos concitoyens regardent s'affronter durement des hommes politiques qui dans la coulisse se tutoient, se congratulent, font ami-ami, ils ne comprennent pas, ils soupçonnent la politique d'être un "cinéma". Ils ont tort, mais les apparences sont plus fortes que la réalité ; autant alors ne pas laisser prise aux soupçons et renoncer à se tutoyer.

J'ai pourtant conscience que le vouvoiement est mal perçu. Il donne l'image d'une supériorité, d'une froideur, même d'un mépris. Je préfère prendre ce risque-là à celui de la démagogie, de la flatterie, de l'hypocrisie du tutoiement. François Mitterrand ne tutoyait que ses amis et il avait raison. Au premier conseil des ministres de la gauche en 1981, il interdisait à ses camarades de se tutoyer à la table et de s'interpeller par les prénoms. Il avait également raison. Nicolas Sarkozy fait tout le contraire : il tutoie quasiment tout le monde. Entre les deux, j'ai depuis longtemps fait mon choix.

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