dimanche 18 septembre 2011

Quatre hypothèses.

C'est donc ce soir que Dominique Strauss-Kahn va s'expliquer, pendant 20 minutes paraît-il, sur TF1, au journal de 20h00. Il est certain que des millions de français seront au rendez-vous. Comme tout le monde, je ne peux pas m'empêcher de supposer ce qui pourrait se passer. Je conçois quatre stratégies possibles pour DSK, quatre hypothèses : le déni, la repentance, la victimisation, le renoncement.

- Le déni : Strauss minimise, réduit sa rencontre dans le sofitel à une banale aventure d'un après-midi, consentie mais qui tourne mal, dont la dame veut tirer profit d'argent. En gros, il ne s'est rien passé qui méritait un tel scandale planétaire. Strauss pointe alors du doigt les médias qui en font trop et la culture puritaine américaine qui méconnaît le principe laïque français de séparation entre vie privée et vie publique. DSK réaffirme qu'il est libre de mener la vie qu'il veut, comme il va de soi en République, pourvu que les actes et comportements ne contreviennent pas à la loi, ce qui est le cas puisque la justice a abandonné ses poursuites.

Cette première stratégie est peut-être celle qui correspond le plus à ce que DSK pense au fond de lui. Mais elle est difficilement recevable pour l'opinion publique, qui a été marquée et même traumatisée par l'événement, qui accepterait mal son déni ou sa relativisation. Elle attend des explications précises, des justifications, pas un repli sur le secret et le respect de la vie intime. C'est sans doute déplorable mais c'est ainsi.

- La repentance : Strauss avoue tout, confesse ses fautes, reconnaît le mal qu'il a fait, demande pardon, en rajoute s'il le faut dans les excuses, bat sa coulpe, jure qu'il ne le refera plus, va peut-être jusqu'à admettre qu'il est malade, qu'il se fera soigner, qu'il veut repartir à zéro pour mieux renaître. C'est la repentance qui prépare la résurrection, corde au cou et cendres sur la tête afin qu'advienne l'homme neuf. C'est la stratégie morale, la plus efficace : tirer un trait et passer à autre chose. Elle permet aussi de laisser espérer que DSK sortira plus fort de l'épreuve : s'affronter au mal, le dénoncer après y avoir succombé ne peut que rendre meilleur. L'avenir de Strauss est donc préservé, en quelque sorte bonifié. La descente aux enfers est le prélude à la montée au ciel politique.

Cette stratégie, mâtinée de religiosité, est la plus étrangère à la psychologie de DSK. Pourtant, dans notre société telle qu'elle est devenue, c'est la plus recevable. Il est fréquent de voir des hommes publics s'excuser à tout bout de champ pour n'importe quoi. L'opinion prend plaisir à voir un puissant se rabaisser à ses pieds et réclamer son indulgence, sa pitié. En quelques mots, l'affaire est soldée, expurgée, dans une sorte de catharsis. On ne peut plus rien reprocher à quelqu'un qui s'accable lui-même.

- La victimisation : c'est le contraire de la stratégie précédente, c'est le passage de l'état de coupable à celui de victime, c'est la stratégie cette fois la plus politique. DSK révèle qu'il s'est fait piéger, qu'il ne voulait rien de ce qui est arrivé mais qu'il est tombé dans un traquenard, qu'un complot a été monté contre lui, pour l'empêcher d'accéder à la présidence de la République française. Au passage, il dénonce la dureté de la justice américaine. Il confirme ainsi le premier sentiment de bien des gens, stupéfaits, incrédules, sceptiques, et les premières rumeurs évoquant un coup tordu, tellement le scénario paraissait invraisemblable. Cette stratégie offensive redonne à DSK toute sa force d'initiative : il renverse à son profit les rôles, passe d'accusé à accusateur.

Du point de vue de l'opinion, cette stratégie serait fort bien admise : la victime est devenue une figure préférée de nos concitoyens, qui en abusent fréquemment pour eux-mêmes. L'innocent frappé par l'injustice est très bien porté, chacun s'identifiant aisément à son malheur. DSK s'en trouverait justifié à poursuivre sa carrière politique. Mais serait-il cru ? Le complotisme a ses limites, les preuves doivent être sérieuses et solides. Le doute des premiers jours n'enlève pas la part de responsabilité de Strauss, qui peut difficilement apparaître blanc comme neige. Et puis, il y a le risque d'un retournement : passer pour celui qui s'est fait avoir comme un gamin alors qu'il aspirait aux plus hautes destinées.

- Le renoncement : c'est la stratégie à la Jospin 2002, la plus simple, la plus rapide, la plus directe. Ne pas s'étendre inutilement sur l'événement, ne pas non plus tirer des traits sur la comète, mais reconnaître que le mal, quelles que soient ses causes, est fait et annoncer son retrait de la vie publique. Les questions alors s'arrêtent, le dossier se referme, DSK redevenant un citoyen comme un autre, un anonyme se repliant sur sa vie privée, répondant seulement aux rendez-vous judiciaires, dépolitisant totalement l'affaire. A la rigueur, Strauss accepterait de jouer le rôle de sage de la République, mais dépourvu d'activité et de responsabilité, consultant ou conférencier, c'est-à-dire retraité de la politique.

C'est la tentation de l'oubli, qui est peut-être aussi en lui, avec la fatigue de devoir porter une affaire qui ne le quittera plus jamais de sa vie, qu'il a les moyens de terminer plus doucement. Chez lui, le bonheur personnel peut l'emporter sur le désir de revanche et de gloire. Je ne sais pas si l'opinion publique en serait satisfaite. Une histoire aussi peu banale ne peut pas se terminer banalement. On attend de DSK qu'il se batte, se défende, rétablisse au moins une partie de son image et de son honneur, pas qu'il renonce.

Je ne sais pas laquelle de ces stratégies va l'emporter ce soir. Peut-être aucune, peut-être toutes à la fois. Et si un ultime rebondissement nous attendait ? Cette affaire est tellement hors-normes ... Nous en reparlerons après l'émission.

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