samedi 31 décembre 2011

Philosophie du renoncement.

En ces dernières heures de l'année, je pense à ce qui reste pour moi un mystère : le renoncement de Jean-Pierre Balligand à se représenter à la députation. Sa décision est politiquement contre-nature, presque monstrueuse : on a rarement vu un homme de pouvoir refuser le pouvoir, d'autant que Jean-Pierre était quasiment certain de se faire réélire. Ni l'âge, ni la santé, pour ce que j'en sais, ne justifient cet incompréhensible retrait. La lassitude ? Non, quand on s'appelle Balligand, on n'est pas las de politique.

Qu'on ne me dise pas non plus que Jean-Pierre Balligand n'a que faussement quitté la politique, qu'il demeure maire, conseiller général, président de ci et responsable de ça. Non, rien à voir avec le titre prestigieux en République de parlementaire : Balligand hors de l'Assemblée nationale ne fréquentera plus le coeur du pouvoir, ne croisera plus fréquemment les membres du gouvernement, ne pèsera plus dans les grands débats nationaux qui animent l'hémicycle.

Je n'ai pas, dans l'Aisne, d'exemple comparable, du moins aussi spectaculaire. Je ne connais que le conseiller général de Vic-sur-Aisne, Alain Sautillet, qui n'ait pas renouvelé son mandat alors que rien ne l'en empêchait. Mon expérience me fait constater que le pouvoir appelle le pouvoir, et pas sa vacance. Certains en jouissent même âgés, même malades, le pouvoir jusqu'à la lie, jusqu'à la civière. Mais c'est peut-être le devoir poussé à l'extrême, une admirable ascèse ...

Le plus étonnant qu'il m'ait été donné d'observer, c'est la lutte pour des places non éligibles ou dans des combats sans espoir, perdus d'avance. Comme si l'essentiel était de participer et pas de gagner, un peu comme dans le sport. C'est ce qui fait que la politique n'est jamais en manque de candidats, même lorsqu'il s'agit de kamikazes ou de figurants. Nous ne sommes pas loin d'une forme d'absurdité, en tout cas d'une pulsion irrationnelle que je ne retrouve pas ailleurs que dans l'activité politique.

Allez savoir si Jean-Pierre Balligand n'a pas fini par saisir dans toute son acuité cette dimension dérisoire, vaine, parfois mesquine de l'ambition politique, qui n'est belle que dans son idéal. Il reste à mon camarade encore beaucoup d'années à vivre, sans doute sous un autre soleil que celui, pâlichon, faiblard de la politique. La vraie vie est ailleurs. A tel point que je me demande, à quelques heures de la nouvelle année, si je ne devrais pas à mon tour m'inspirer de cette sagesse, devenir aussi philosophe que le philosophe Balligand.

Quand je vois les tonnes de lectures qui m'attendent, quand je constate les demandes croissantes d'animations philosophiques qui me parviennent, quand je mesure le travail que va représenter le deuxième volume de mon livre (et d'autres certainement qui suivront, dans d'autres domaines), je me dis qu'il est fou de continuer à avoir des prétentions politiques, surtout en restant à Saint-Quentin. Le fait que je défende une ligne politique pertinente, que les événements me donnent au fur et à mesure raison, que la situation parle pour moi ne sont pas des justifications valables et suffisantes. Il faudrait avoir le courage de renoncer, ne pas assimiler cet abandon à une lâcheté : ce n'est pas facile alors que c'est pourtant si simple. Il y a de l'orgueil à s'obstiner, sous couvert de ténacité et de persévérance.

Si la décision de Jean-Pierre Balligand m'incline à ces réflexions, j'en vois aussi la limite, car comparaison n'est pas nécessairement raison : Jean-Pierre part, mais en pleine gloire, fier de tout un héritage, avec un passé à son actif, trente ans de fidélité à sa circonscription. C'est un départ la tête haute, contraint par aucune défaite ni même risque de défaite. Dans mon cas, il faudrait peut-être que je fasse de nécessité vertu, que j'admette que la force des choses ne porte pas atteinte à l'honneur, que de toute façon personne à gauche pour l'instant ne fait mieux que moi. Faire en sorte de vouloir ce qui nous est imposé par les événements, c'est aussi la leçon du stoïcisme, philosophie du renoncement. Puisque qu'approche le moment des bonnes résolutions, je dois me résoudre à ce genre de pensée. L'exemple de Balligand m'y aide un peu.

vendredi 30 décembre 2011

Technologies cultes.

A l'heure du bilan annuel, on évoque les hommes, les événements et on oublie les objets, les techniques, alors que notre société en est très friande. Trois ont retenu mon attention en 2011 : la tablette tactile, le gyropode, la 3D.

Fini le smartphone pour frimer, le BlackBerry n'est plus l'apanage des gens aisés, des hommes de pouvoir ou qui veulent passer pour tels : les classes populaires s'en sont emparés, les ados ... Tripoter son mobile pendant une réunion ne suffit pas à se distinguer, à se faire remarquer, à laisser croire qu'on n'est pas n'importe qui. C'est désormais une vanité de plouc. Non, pour dominer, briller, c'est une tablette tactile qu'il faut, outil et sceptre à la fois, à quoi on reconnaît le personnage important, l'homme à forte responsabilité, qui à l'image de Napoléon fait plusieurs choses en même temps, travaille incessamment, a donc besoin d'une tablette tactile.

La tablette tactile est un instrument de roi : DSK à Pékin en avait une, tout comme Xavier Bertrand au conseil municipal de Saint-Quentin. Les simples élus en sont encore au smartphone pour vaincre l'ennui des séances. La tablette tactile est un corps qu'on caresse, des images qui apparaissent, une technologie très sensuelle, un appareil de séducteur, sophistiqué, bluffant. A côté, le smartphone est un jouet de gamin.

Le gyropode, c'est tout à fait autre chose, plus prolo, plus laborieux : ce sont de drôles de véhicules électriques, à deux roues, sur lesquels sont perchés des agents SNCF ou des policiers municipaux (j'en ai vus à Saint-Quentin), pour exercer leur métier. Les utilisateurs se penchent bizarrement pour faire avancer l'engin. L'objectif : aller vite sans se fatiguer (c'est la morale de notre société).

On peut faire l'hypothèse d'une extension prochaine du gyropode à d'autres corps de métiers où il y a nécessité à se déplacer. La généralisation à l'ensemble des citoyens pour des activités non professionnelles n'est pas à exclure : au lieu de marcher, ne serait-il pas plus économe en durée et en effort de filer en gyropode, plus facile et plus rapide ? L'efficacité, la rationalité, la performance vont dans ce sens. Nous allons peut-être vers la fin du piéton et l'hégémonie du gyropodeur. Les corps âgés y trouveront un soulagement.

La 3D a triomphé en 2011 au cinéma. Même Martin Scorsese l'a adoptée. Ce n'est pas une technologie de pouvoir (la tablette tactile) ou de travail (le gyropode) mais de divertissement, cependant en phase elle aussi avec l'esprit contemporain : en mettre plein la vue, abolir toute forme de distance, donner le sentiment qu'on participe au film. On soigne les apparences, on jubile aux prouesses techniques, le fond devient secondaire, tout le monde est ravi.

Ces trois technologies cultes de l'année 2011, qui seront sans doute détrônées par de nouvelles en 2012 (la logique de la technique est de toujours inventer, de ne jamais s'arrêter, d'où l'obsession actuelle pour la recherche et l'innovation), ont de forts points communs, aussi différentes soient-elles :

D'abord elles renvoient toutes les trois à un univers fantastique et merveilleux : la tablette tactile met la connaissance à portée de main, elle obéit au doigt (et à l'oeil), sa manipulation fait penser à l'ET de Spielberg pointant son index. Le gyropode nous donne des ailes, nous transforme en Eole. La 3D relève du conte de fée, du monde onirique, science-fiction ou bande-dessinée (un film un tant soit peu profond, grave est inimaginable en 3D).

Ensuite ces technologies bouleversent les rapports à notre corps, font de nous des sortes de mutants. La tablette tactile, mais aussi le clavier du téléphone et de l'ordinateur, développent la main. Le gyropode au contraire, mais déjà la voiture et l'escalier mécanique, neutralisent les jambes. La 3D aiguise la vue, exerce le regard. On nous prépare ainsi une société où l'on bougera de moins en moins par ses propres forces, où la vue et le toucher seront très sollicitées.

Enfin comment ne pas rapprocher ces hautes technologies du monde de l'enfance ? Aussi complexes soient-elles, elles renvoient à la naïveté, à la puérilité, au jeu. La tablette tactile fait penser à l'ardoise magique, le gyropode est une trottinette électrique, la 3D est un album en relief. La technologie avancée nous transforme en grands enfants, c'est sûrement son côté le plus sympathique.

Rétro 2011.

La rétrospective politique de l'année écoulée est un exercice obligé. Je ne parlerai ici que de la gauche locale, plus particulièrement du parti socialiste. Cinq temps forts m'ont marqué, trois douloureux et deux prometteurs :

2011 a commencé pour moi en décembre 2010, où j'échoue à être de nouveau candidat dans le canton de Saint-Quentin nord. Qu'est-ce qui s'est passé ? Un choix tactique qui m'a été fatal : place à de "nouvelles têtes" ! Le fait d'être "connu" s'est révélé en la circonstance un critère discriminant à mon encontre.

Mars 2011, élections cantonales : le parti socialiste est battu dès le premier tour dans les deux cantons par le Front national, l'équivalent du 21 avril 2002 à l'échelle locale, le choc, l'humiliation. J'exhorte dans la presse mes camarades à réfléchir, s'ouvrir, changer.

Mai : la chute de DSK, en lequel je plaçais depuis longtemps tous mes espoirs, pour lequel je m'apprêtais à faire campagne. Du coup, je mets fin à mon blog "historique", L'Aisne avec DSK, à qui il aura manqué quatre mois pour fêter son cinquième anniversaire ! Pour moi, une page politique se tourne.

Septembre : un peu de soleil dans une année politiquement grise, plus de mille Saint-Quentinois participent aux primaires citoyennes organisées par le PS. Nous retrouvons enfin le peuple de gauche ! Et pour ne rien gâcher, c'est François Hollande, mon champion social-démocrate, qui arrive en tête à Saint-Quentin. L'espoir renaît.

Décembre : Anne Ferreira est désignée à la quasi unanimité par les socialistes pour les élections législatives. Sa candidature démarre sous le signe d'une certaine ouverture, par le choix de son suppléant, par son souci de rassemblement. Reste maintenant à trouver l'énergie pour entrer dans un dur combat. Mais ça, ce sera pour la rétro 2012, dans un an.

jeudi 29 décembre 2011

Mes étrennes politiques.

De retour du Berry, passant par Paris, j'en ai profité pour faire boutiques, librairies et brocantes. Mon objectif : les étrennes des hommes et des femmes politiques de Saint-Quentin. Mais oui, je ne les oublie pas ! Je suis revenu avec des cadeaux pour neuf d'entre eux, les plus en vue (les autres m'excuseront, mes moyens sont limités) :

Pour Xavier Bertrand : à tout seigneur tout honneur, l'ouvrage Comment devenir président de la République en dix-huit leçons, assorti d'exercices pratiques et d'un manuel de rattrapage en cas d'échec. Mais en a-t-il vraiment besoin ? Peu importe, comme dans tout cadeau c'est l'intention qui compte.

Pour Anne Ferreira : le Kit de survie en milieu hostile, accompagné d'ustensiles adéquats, poignard, lampe-torche et échelle de corde, un cadeau sans doute trop viril pour une dame mais fort précieux pour une camarade qui se lance dans le plus rude combat de sa vie, celui des prochaines élections législatives contre le redoutable ministre-maire.

Pour Pierre André : un séjour tous frais payés dans un lieu de villégiature qu'il apprécie, l'émirat de Dubaï, plus précisément dans l'hôtel Jumeirah Zabeel Saray, où officie mon frère en tant que executive assistant manager (c'est comme ça qu'on appelle là-bas un maître d'hôtel). Je lui devais bien ça, après l'ouverture d'esprit dont il a fait preuve à mon égard.

Pour Antonio Ribeiro : un magnifique siège éjectable, que j'ai acheté aux puces de Clignancourt et qui m'a donné un mal de chien à transporter dans le train. Il est multi-fonctions, inclinable à gauche autant qu'à droite, doté d'un accélérateur de vitesse et modulable selon l'usage. Attention : le maniement de l'appareil est fort délicat, il faut veiller à ne pas être propulsé dans le mur ou dans le vide lors d'une manipulation hasardeuse.

Pour Michel Aurigny : un très ancien Traité de pédagogie élémentaire, découvert dans la librairie Gibert, qui lui permettra des interventions plus claires et plus accessibles en conseil municipal. L'auteur déconseille fortement le recours immodéré et obscur aux chiffres dans les démonstrations politiques.

Pour Stéphane Monnoyer : une carte du Parti socialiste qu'il ne lui reste plus qu'à signer, puisqu'il est à Saint-Quentin, hors élus, l'opposant le plus virulent à Xavier Bertrand. Après le MPF, après l'UMP, après le MoDem, il n'est pas décent que Stéphane reste sans parti. Je lui en propose un, le mien tant qu'à faire.

Pour Daniel Wargnier : un gros bouquet de roses rouges, en signe de réconciliation. Mais je ne veux pas que Daniel m'embrasse en guise de remerciements !

Pour Corinne Bécourt et Olivier Tournay : j'ai pensé un instant à un portrait de feu Kim Jong-Il, mais je ne suis pas certain qu'ils auraient apprécié mon humour coréen. J'en suis donc resté à un poster de Georges Marchais, tout sourire et regard pétillant, pour leur porter bonheur dans la campagne législative.

Pour Eddy Tombois et Yannick Lejeune : rien du tout pour ces champions du FN et tombeurs des socialistes aux dernières cantonales.

A tous, sauf aux deux précédents, un exemplaire dédicacé de mon livre Les Saint-Quentinois sont formidables. A eux de l'être à leur tour, s'ils veulent nous épater de nouveau en 2012.

mercredi 28 décembre 2011

Des grilles qui divisent.

De quoi parle-t-on en ce moment à Saint-Amand-Montrond, chef-lieu berrichon de la France profonde et ma ville natale ? Encore de DSK ? Non, vous n'y êtes pas. Des prochaines présidentielles et de Marine Le Pen ? Oui un peu, mais ce n'est pas encore ça. Saint-Amand est divisé, depuis trois ans déjà, par une histoire de grilles qui met tout le monde en émoi, c'est à dire quelques personnes.

Mais quelles personnes ! Le prêtre de la paroisse, le maire UMP et un docteur en histoire de l'art. C'est donc du sérieux, du très lourd, une querelle de grilles comme il y a des querelles de clochers. De quoi s'agit-il exactement ? D'une belle grille en fer forgé qui a disparu de l'église du XIIè siècle : elle entourait le choeur, j'en sais quelque chose puisque j'ai servi en ce lieu la messe quand j'étais enfant (de choeur).

Généralement, quand un mur tombe, c'est la fête ( mur de Berlin, par exemple). Ici, une grille qu'on enlève et c'est la polémique. Pourquoi ? Pour des raisons à la fois juridique, esthétique, théologique et politique. Quand je vous disais que c'était du très lourd, aussi lourd que les grilles du scandale ! Bon, je vous explique :

Le conflit est d'abord juridique : le curé, Philippe Régnault de la Mothe, d'une vieille famille aristocratique berrichonne, avait-il le droit d'abattre les grilles de son église ? Il répond que oui, que le curé c'est lui ! Mais Julien Noblet, docteur en histoire de l'art, répond que non, que les monuments historiques, qui protègent selon lui l'église et la grille, n'ont pas donné l'autorisation.

Le conflit est ensuite esthétique : Noblet, dans le journal local "Le Berry républicain" accuse le pasteur de "vandalisme" et d' "agression contre le patrimoine". Le dit pasteur rétorque dans sa feuille paroissiale que "les églises ont été faites pour le culte divin et pour le peuple et non pour être des musées ou des salles de concert". C'est chaud bouillant, comme vous le constatez.

Le conflit est aussi théologique : là, c'est le curé qui passe à l'attaque, normal. Il affirme que le docteur est nul en droit canon et pastorale chrétienne, mésinterprétant l'usage des grilles, qui servent à la table de communion et pas à séparer fidèles et clergé, selon Régnault de la Mothe, s'appuyant sur le concile de Trente. Quant à l'enlèvement des grilles, c'est au concile de Vatican II qu'il fait référence : on a beau être aristo, les signes d'exclusion ne plaisent pas et c'est pourquoi les grilles ont été arrachées.

Le conflit est enfin politique : Noblet, qui n'est pas noble, accuse le maire UMP de collusion avec le curé et de se mettre "en dehors de la loi".

Voilà, vous savez tout, je vous laisse choisir votre camp. Ah si, une dernière chose : ce matin, je suis retourné dans un autre lieu de mon enfance, après l'église, le petit jardin public, que j'ai toujours connu entouré d'un simple muret. Devinez par quoi a-t-il été récemment surmonté ? Par des grilles ! La municipalité a sûrement voulu le sécuriser, comme on dit aujourd'hui. Grilles qu'on abat d'un côté, qu'on dresse de l'autre, qu'en penser ? Je serai à nouveau à Saint-Amand-Montrond à Pâques, je vous raconterai la suite ...

Gros seins, grotesques seins.

Je m'étonne de constater que le scandale des implants mammaires trafiqués, qui toucherait plusieurs dizaines de milliers de personnes, n'inspire aucune réflexion de fond sur la mode des grosses poitrines artificielles : pourquoi les femmes se font-elles gonfler ainsi les seins ? Quand des ethnologues se pencheront dans quelques siècles sur notre civilisation, ils s'étonneront sûrement de ce qui aujourd'hui ne nous étonne pas.

Désir de plaire à l'homme ou de se plaire à soi ? Société du regard ou du miroir ? Peut-être les deux à la fois, en tout cas la marque visible d'un incroyable égocentrisme. La pression sociale joue sans doute aussi, et le mimétisme qui en découle : on désire la grosse bagnole du voisin et les gros seins de la voisine. Jamais la société n'aura été autant présente dans nos têtes, dans nos vies, dans notre intimité, jusqu'à reconfigurer nos corps.

Mais ne faut-il pas prendre en compte le critère esthétique ? Il a bon dos celui-là, quand il est question de nichons. "Plus c'est gros plus c'est beau", voilà un canon de la beauté qui détonne mais qui est très contestable. Le concours de lolos tourne aux pis de vaches, comme dans mon Berry où je suis en ce moment (ce qui explique au passage que vous n'ayez pas eu de billets dimanche et lundi).

Et puis il y a l'érotisation du corps, puisque le sein n'est jamais très loin du sexe, si j'ose dire. L'influence du "cinéma" porno sur les mentalités et les comportements est tout de même surprenante. Un "art" au départ marginal et crade donne désormais le ton et les nénés. On devrait s'interroger sur la notion même, problématique et contradictoire, de chirurgie esthétique. La médecine est faite, depuis toujours, pour soulager, soigner, réparer, pas essentiellement pour parer, faire joli. Le concept de chirurgie esthétique est tout aussi absurde que celui par exemple de charcuterie esthétique.

Enfin, comment ne pas comprendre que cette histoire de gros seins est également une affaire de gros sous ? C'est d'ailleurs inéluctable : quand la médecine passe du métier au marché, quand la vocation se prolonge en commerce, la loi de l'économie reprend le dessus, y compris pour les dessous : coût de production minimum, profit maximum. Les poitrines augmentent en même temps que les rentrées d'argent.

Pourquoi donc ce grand silence sur ce grand scandale, réduit seulement à sa dimension juridique et médicale ? Parce que des femmes en souffrent et que la société se fait piéger par ses propres illusions. Cachez ces gros et grotesques seins que nous ne saurions voir ...

mardi 27 décembre 2011

Il n'y a plus de Noël.

Avez-vous remarqué ? Il n'y a plus de Noël. Je veux dire : les Noël d'autrefois, d'il n'y a pas si longtemps, trente ou quarante ans. On ne s'en rend même pas compte, tout change en quelques décennies. Avant, il fallait des siècles. Je constate quatre évolutions :

1- Le Père Noël n'est plus ce personnage unique qu'on voyait dans les villes, souvent à la sortie des grands magasins. Tout le monde aujourd'hui se déguise en Père Noël, du moins porte son bonnet rouge. A Cultura, où je dédicaçais samedi dernier, les vendeuses l'avaient sur leur tête. Les élèves aiment ça aussi. A quand les enseignants ?

2- Les illuminations ne sont plus réservées aux rues et à l'intérieur des maisons. Celles-ci exhibent sur leurs façades des guirlandes électriques. On a l'impression parfois d'une sorte de compétition, comme celle des maisons fleuries.

3- Le merveilleux de Noël n'est plus cantonné à la crèche dans l'église, souvent délaissée. Il a glissé de l'édifice religieux à la place du marché, où la moindre petite ville se sent obligée d'installer son "marché de Noël" avec ses chalets. La société est passée de la spiritualité au commerce. Chacun jugera s'il s'agit d'un progrès ou pas.

4- Il y a désormais confusion, assimilation entre le 25 décembre et le 1er janvier, qui ont un point commun : le réveillon. Quand la messe de minuit était incontournable, les agapes étaient plutôt pour le jour de l'an. Plus maintenant. Ainsi, samedi soir, ma boulangère, déguisée comme il se doit en Mère Noël, m'a crié aux oreilles un "joyeux Noël" suivi d'un aussi tonitruant "bon réveillon". Je me suis sauvé ...

Pourquoi n'y a-t-il plus de Noël ? Parce qu'il y a trop de Noël, de bouffe et de cadeaux, de lumières et de Pères Noël. Parce que cette fête n'avait de sens que chrétien, perdu pour une très large part aujourd'hui. En bien ou en mal ? A vous de vous prononcer ...

La grève paie.

J'ai suivi attentivement le conflit social dans les aéroports, qui a pris fin hier. J'ai été sept ans agent de sécurité, je connais le métier, même si agent de sûreté est un peu différent : salaires et conditions de travail sont les mêmes, c'est à dire médiocres. Ce mouvement au départ impopulaire auprès des usagers et des autorités (on comprend bien pourquoi) s'est terminé de façon exemplaire, à la grande satisfaction de tous. Comme quoi il faut attendre la fin avant de juger.

Exemplaire ne signifie pas idéal : les revendications initiales portaient sur une augmentation salariale de 200 euros mensuels, qui n'a pas été obtenue. Mais si une grève débouchait sur une réussite parfaite, ça se saurait et tout le monde débraierait. La négociation a joué son rôle, un compromis acceptable a été conclu par quatre syndicats sur cinq : une prime de 1OOO euros annuels sera versée à chaque salarié. Ce n'est pas une paille quand on gagne entre 1000 et 1600 euros par mois.

De plus, une nouvelle négociation sera ouverte en janvier sur les conditions de travail et la sécurité de l'emploi. A ce compte-là, vive la grève ! même s'il est malheureux d'en arriver à ce point, qui reste pour moi une extrémité, un ultime recours. Mais le monde social, répétons-le, n'est pas un monde idéal (de bisounours, comme disent les vrais et les faux jeunes d'aujourd'hui).

Mais la gêne occasionnée aux passagers ? Allons, allons, qui prend l'avion ? Pas les plus déshérités, pas les plus à plaindre. Les "victimes" s'en remettront, leur situation d' "otages" aura été perturbante mais plutôt douce. Beaucoup d'agents de sûreté se contenteraient des salaires "moyens" de ces classes "moyennes" qui voyagent dans les airs.

Le conflit a mis aussi à jour une césure qui pourtant s'estompe mais qui est encore présente entre un syndicalisme réformiste (CFDT, CFTC, FO, UNSA), dans lequel je me reconnais, et un syndicalisme contestataire, jusqu'au boutiste et finalement désespérant (incarné ici par la CGT).

Mon souhait : que d'autres mouvements se déclenchent, dans les secteurs les plus oubliés et les plus démunis de notre société, portant sur les rémunérations, les conditions de travail et sa protection. Car la grève paie quand le dialogue social, préférable, ne fonctionne pas.

samedi 24 décembre 2011

Que faire du FN ?

Entre socialistes, la stratégie à adopter à l'égard du Front national fait débat. Tout le monde s'attend à un fort score de Marine Le Pen, sans pouvoir dire bien sûr si on s'achemine vers un nouveau 21 avril. Les législatives aussi préoccupent. Jean-Pierre Balligand, dans L'Union d'il y a quelques jours, craint une défaite des candidats PS dès le premier tour devant l'extrême droite dans les circonscriptions de Soissons et Château-Thierry. Il aurait pu ajouter Saint-Quentin, où le danger est grand. Les dernières cantonales l'attestent. D'autant que le leader frontiste saint-quentinois, Yannick Lejeune, est un ouvrier du bâtiment bien implanté dans le quartier Saint-Jean, sympathique quoique extrémiste.

Mes camarades se divisent sur deux stratégies opposées. La première consiste à ignorer le Front national et à concentrer nos attaques sur l'UMP, en vertu des trois arguments suivants : plus on parle du FN, plus on le fait monter dans les intentions de vote. Ensuite, le critiquer c'est dissuader ses électeurs, d'origine populaire, ne nous rejoindre au second tour. Enfin, l'adversaire qu'il faut battre pour remporter l'élection c'est l'UMP, pas l'extrême droite. Je comprends le raisonnement, je ne le partage absolument pas.

Oui il faut que nous parlions du FN, matin, midi et soir. Pourquoi ? Parce que c'est un danger, pour les socialistes, pour les Français, pour la République. Ne rien en dire, se taire en vertu d'arguties tactiques, ce serait irresponsable. Au contraire, nous payons nos années de silence : oui il faut faire de la pub au FN, une sacrée pub, la plus négative qui soit. C'est le seul moyen, je n'en vois pas d'autres, pour stopper sa progression, pour ramener à gauche les électeurs égarés.

Le report de voix au second tour ? Encore faudrait-il qu'il y ait, lors d'une législative, un second tour ! A défaut de taper sur le FN, de le diaboliser comme il convient, les électeurs se sentent libres de le rejoindre. Voilà l'erreur. Ceux qui le soutiennent par idéologie ne reviendront plus jamais à gauche. Ceux qui l'adoptent par souci de protestation nous retrouveront non pas parce que nous aurons cessé de critiquer l'extrême droite mais parce que nous aurons enfin un projet mobilisateur en direction des classes populaires.

Car le vrai débat n'est pas dans notre positionnement vis à vis du FN mais des ouvriers et des employés. Je veux que mon parti, issu des classes moyennes, arrête de ne parler qu'aux classes moyennes. Sociologiquement ce n'est pas évident, puisque les ouvriers sont peu nombreux dans nos rangs. Mais il faut absolument que l'urgence aille aux classes populaires, par exemple en reparlant d'une augmentation de l'impôt sur le revenu des classes moyennes supérieures, comme on les appelle (ça fait quand même du monde, qui ont les moyens de payer, pas trop touchés par la crise).

J'attends un langage de gauche, des propositions de gauche, pas un alignement centriste, suffisamment représenté par Bayrou. Rien à voir évidemment avec une radicalisation, que je déteste : simplement un recentrage sur nos fondamentaux, le réformisme, la redistribution fiscale, l'ancrage dans les milieux populaires. Alors on ne parlera plus, ou beaucoup moins, du FN.

vendredi 23 décembre 2011

Autour d'un mot.

A propos de la grève des agents de sûreté dans les aéroports, le président de la République, dans une courte déclaration hier, a utilisé par trois fois l'expression "prise d'otages". Depuis le début de ce conflit social, il n'y a pas eu un seul ministre intervenant sur ce sujet qui n'emploie cette formule, généralement à répétition. Quand on est à ce niveau de représentation, on ne parle qu'à bon escient, en soupesant prudemment ce qu'on dit. A l'évidence, le gouvernement s'était donné le mot, celui-là : "prise d'otages".

La reprise systématique d'un terme est une très ancienne opération magique : conjurer la réalité par le langage en répétant à satiété la même formule. A force de ressasser que les grévistes sont des "preneurs d'otages", ils le deviennent, le point de vue se transforme en indiscutable vérité, en réaction de bon sens. Le mot est un réflexe, une évidence qui évite toute question, toute réflexion. C'est pratique, efficace mais c'est faux.

En effet, la prise d'otages renvoie à un acte délictueux, assassin, barbare, une méthode de gangsters ou de terroristes, pas de grévistes. Le droit de grève est constitutionnel, ce n'est pas un geste de haute délinquance. Vous me direz peut-être que la prise d'otages est une métaphore pour qualifier le blocage des usagers. Oui je sais, mais je conteste la pertinence de cette métaphore, pour les raisons que je viens de donner. L'expression est en vérité une insulte, une injure, une diffamation, pas une image juste.

Ou alors n'importe quelle grève est une prise d'otages : quand les cheminots font grève, ils prennent en otage les voyageurs ; quand les enseignants font grève, ils prennent en otage les élèves ; quand les ouvriers font grève, ils prennent en otage la production, etc ... Non, ça ne tient pas : la grève est un droit qui doit être intégralement respecté, d'abord par les plus hautes autorités de l'Etat, qui sont les garants du droit, ce qu'en l'occurrence elles ne font pas.

Vous m'objecterez peut-être que la grève des agents de sûreté des aéroports va trop loin, est trop dure, que la date est mal choisie, que les conséquences sont désastreuses. Je n'en disconviens pas, je reconnais que ça se discute, j'admets surtout qu'on peut fort bien contester le bien fondé de ce mouvement social (même si personnellement je le soutiens, étant donné les salaires et les conditions de travail de ces personnels, qui n'ont vraiment rien de mirobolant). Mais le droit reste le droit : quel que soit le motif ou le contenu, sa forme juridique est valable et son recours, permis par la loi, ne supporte pas qu'on le qualifie de prise d'otages. De même, le droit à l'avortement ne préjuge pas des raisons d'avorter. Un chef d'Etat ou un ministre, dont les convictions l'opposent à l'avortement, ne va pas traiter celui-ci d'assassinat, même s'il le pense en son for intérieur, puisque la loi autorise l'interruption volontaire de grossesse et pas le meurtre.

Mais voilà : la politique n'est pas exclusivement une affaire de droit mais de ruse, de rapports de forces, d'électoralisme. N'importe quel citoyen est furieux quand on l'empêche de librement circuler. Surfer sur ce mécontentement est donc payant, évoquer la prise d'otages est irresponsable mais permet de se faire comprendre, de parler comme beaucoup de gens, d'aller dans le sens du courant, de flatter l'opinion. Sauf qu'un homme d'Etat ne devrait pas se rabaisser à ça.

Rien ne l'empêche évidemment d'exprimer son désaccord avec les grévistes, d'en appeler à l'intérêt général, de mettre tout en oeuvre pour que la circulation des avions soit rétablie : c'est un choix politique, qui n'est pas le mien mais que je respecte, dont je reconnais la valeur. En revanche, ce que je n'admets pas et n'admettrai jamais, c'est cette facilité, cette démagogie et ce danger qui reviennent à assimiler des grévistes à des preneurs d'otages.

La droite n'est pas moins républicaine que la gauche mais elle a, dans les profondeurs de l'opinion qui la constitue, dans la mentalité qui est la sienne, une répulsion instinctive à l'idée de faire grève, un mot qui ne peut être pour elle qu'un gros mot, qu'il faut stigmatiser par un autre encore plus gros, prise d'otages. Dans l'imaginaire du peuple de droite, la grève est associée à un désordre, une perturbation de la production économique (ce qui est exact), que rien ne saurait vraiment justifier, sauf sans doute cas rares et exceptionnels. La droite éternelle s'identifie au parti de l'ordre, du travail, de l'autorité, que toute contestation heurte, interroge, scandalise. C'est pourquoi le droit de grève, même inscrit dans la Constitution, demeure pour elle une forme d'outrage, quelque chose d'inacceptable, autant que peut l'être une prise d'otages.

Certes, en tant que réformiste, social-démocrate, je ne suis pas un fanatique de la grève et je désapprouve le slogan stupide de "grève générale". Je préfère, et de loin, la négociation et son pendant, le compromis. La grève est toujours le signe d'un échec dont les protagonistes sortent souvent perdants. Mais je le répète : la grève est un droit, et pas n'importe lequel, un droit rattaché à l'existence même de la République, au même titre que le droit d'expression, dont il est d'ailleurs la déclinaison dans l'ordre social. Si je n'étais pas laïque, je parlerai d'une règle sacrée. Voilà pourquoi le rapprocher de la prise d'otages, même ponctuellement, m'est insupportable. Quand le simple citoyen s'y livre, on ne peut pas fondamentalement lui reprocher ce laisser aller langagier. Mais quand c'est le premier des Français et des membres de son équipe gouvernementale, chez moi ça ne passe pas.

jeudi 22 décembre 2011

C'est chié, non ?!

Jack Lang dans l'Aisne ? La rumeur court, la presse locale en parle, le parachutage se ferait au dessus de la Thiérache, orpheline de Jean-Pierre Balligand (pour Saint-Quentin, personne ne demande, personne ne se bat ...). Lang dans l'Aisne, au pays des vaches, j'ai envie de reprendre l'interjection de Laurent Gerra, plus Lang que nature : C'est chié, non ?!

J'avoue que l'hypothèse m'emballe : Jack est populaire, nul doute que les militants et les électeurs l'adopteraient affectueusement. Quelle affiche, quelle promotion pour notre département ! L'Aisne it's open, la géniale campagne décalée du conseil général, trouverait là un partenaire de choix. Notre territoire rural, pauvre, souvent oublié serait représenté par une personnalité nationale, de tempérament parisien, originale dans l'âme et de réputation internationale. Quel coup de pub ! L'énergie, la modernité et la notoriété de Jack nous feraient un bien fou, même si nous n'avons pas attendu après lui pour innover et nous développer.

J'imagine Lang et l'Aisne évoqués fréquemment dans les médias, devenant de quasi synonymes. J'imagine Jack débordant d'idées pour créer, bousculer les habitudes, faisant venir vedettes et stars françaises et mondiales dans nos campagnes. Socialistes et axonais, nous ne pourrions qu'en être fiers, flattés. D'autres certainement nous jalouseraient, paieraient chers pour avoir le Jack chez eux, avec eux. Cet homme-là est une valeur sûre, un investissement en or. Je suis persuadé qu'il attirerait sur sa circonscription et le département des financements qui sont toujours les bienvenus, quand ils ne sont pas indispensables.

Mais le contraste entre le Parisien et le Thiérachien n'est-il pas fâcheux ? Je ne le crois pas. Au contraire, c'est la différence qui est stimulante et en l'occurrence profitable. Et puis quel contraste ? Jack Lang est aimé, sympa, il a su nouer une histoire entre les Français et lui, on se souvient de son action culturelle, on sait de quoi il est capable : ce n'est pas si fréquent que ça en politique.

Qui est capable de citer un autre ministre de la Culture, à part Malraux ? Ne méprisons pas en laissant penser que certaines populations ne seraient pas en capacité de recevoir un personnage brillant, une sorte de dandy au bon sens du terme : à l'inverse je pense que le peuple apprécie les esprits hauts en couleur, qu'il est plus ouvert et plus avancé que ne le croient ceux qui n'en sont pas et s'en font une fausse idée.

Bien sûr, mon enthousiasme risque d'être contrarié puisque c'est loin d'être fait. Dans L'Aisne Nouvelle, Jack Lang met les choses au point : "Dans l'Aisne non, sauf si on m'y contraint de force (sic). C'est un très beau département, j'y ai de très bons amis. Mais la question ne m'a pas été posée ... " Sacré Jack, il est chié, vous ne trouvez pas ? Il nous la joue très politique, finement, en trois temps :

D'abord ce non hyperbolique qui, en politique comme en amour, veut souvent dire oui sans l'oser, repoussant les avances pour mieux les provoquer. Ensuite Jack entre-ouvre la porte pour ne pas décourager complètement le désir, il évoque très classiquement le "très beau département" et ses "bons amis", clin d'oeil complice, roucoulade comme il en existe tant en politique, quand on veut sans dire qu'on veut tout en montrant qu'on veut (pareil en amour, je vous dis !). Ce "non, sauf" de Jack Lang, il faut le décrypter comme un "oui, si".

Il y a cependant un os, levé par Eric Leskiw dans L'Aisne Nouvelle : la venue possible de Lang en Thiérache résulterait d'un "complot" de Jean-Pierre Balligand pour barrer la route à Jean-Jacques Thomas. J'avoue ne rien comprendre à ces prétendues rumeurs de brouille, fâcherie et désamour entre mes deux camarades. Les a-t-on déjà entendus publiquement se disputer entre eux, exprimer l'un envers l'autre la moindre réticence ? Non, jamais. En politique, il n'y a pas de mystère : les conflits de personnes sont des affrontements entre lignes politiques. Franchement, entre Thomas et Balligand, voyez-vous une différence politique fondamentale, comme il peut en exister entre certains socialistes et moi à Saint-Quentin ? Non, absolument pas. Alors laissons pisser le mérinos, comme on dit en Berry et en Thiérache aussi.

Lang dans l'Aisne, ça ne me suffit pas ! Dans trois jours c'est Noël, donc je rêve, j'ai une envie de cadeau : Jack Lang à Saint-Quentin, tête de liste aux municipales de 2014, pourquoi pas ? Si le parachutage se fait en douceur en Thiérache, il suffit d'une légère saute de vent pour pousser le Jack tout à côté, dans le Vermandois. A un camarade aussi mobile tout est permis, quelques kilomètres ne peuvent pas le dissuader. Jack Lang contre Xavier Bertrand, quel combat !

Car soyons réalistes : pour battre le maire de Saint-Quentin, il faudra une locomotive, quelqu'un qui boxe dans la même catégorie, très supérieure. Jack contre XB, c'est une annonce belle comme un match de catch ! Je suis convaincu que Jack Lang serait ravi de partir à la conquête d'une ville d'art, de culture et d'histoire. Quelle ironie du sort, quel signe du destin ! Lang, ancien maire de Blois, s'implanterait à Saint-Quentin dix-sept ans après son adjointe blésoise Odette Grzegrzulka ... Jack Lang maire de Saint-Quentin, et moi son adjoint à la culture (tant qu'à faire, autant poursuivre le conte de Noël et se faire un cadeau à soi-même), c'est chié, non ?!

mercredi 21 décembre 2011

2012 ou 1981 ?

La tentation est grande d'assimiler l'élection présidentielle de l'an prochain à celle d'il y a trente ans. François Hollande adopte un comportement très mitterrandien et Nicolas Sarkozy se giscardise en "président des riches" très impopulaire. Je pense cependant que la comparaison est trompeuse. Outre le fait que l'histoire se répète rarement, les mentalités ont complètement changé et la campagne qui s'annonce sera inédite car quatre axiomes politiques, pertinents en 1981, sont caducs en 2012 :

1- Les majoritaires défendent leur bilan et leur projet, les minoritaires critiquent et proposent une alternative : vrai en 1981, faux en 2012. Nicolas Sarkozy et l'UMP s'en prennent à François Hollande et au PS comme si les premiers étaient dans l'opposition et les seconds au gouvernement. Il y a inversion volontaire des rôles traditionnels. Il y a trente ans, s'attaquer aux minoritaires quand on était majoritaire était perçu comme une faiblesse et une maladresse. C'est maintenant une tactique qui se veut payante (voir aussi le positionnement de Xavier Bertrand à l'égard de l'opposition municipale à Saint-Quentin, en véritable chef de guerre).

2- Une bonne campagne présidentielle est courte, il faut entrer en mouvement le plus tard possible : vrai en 1981, faux en 2012. François Mitterrand, désigné candidat en novembre 1980, visite en janvier la Chine ! et n'entre vraiment en campagne qu'en février. Inimaginable aujourd'hui : Nicolas Sarkozy est déjà candidat, même si ce n'est pas officiel. C'est le quinquennat qui a tout changé : la campagne électorale devient quasi permanente. De plus, la tranquillité mitterrandienne ("laisser du temps au temps") est battue en brèche par une société qui vit dans l'urgence et dans l'instant, où tout passe très vite.

3- La constance est préférable à la nouveauté, on ne change d'image qu'à ses dépens : vrai en 1981, faux en 2012. Il y a trente ans, Giscard se mue de rénovateur ouvert en souverain méprisant : il perd. Mitterrand demeure fidèle à son image de rassembleur, façonnée en 1965 et 1974, face à un Michel Rocard qui veut donner une nouvelle image à la gauche : il gagne. Aujourd'hui, Nicolas Sarkozy affirme qu'il a changé et qu'une nouvelle rupture s'impose : nous ne sommes plus dans la continuité mais dans le renouvellement, face à une opinion publique moins attachée au passé qu'auparavant, plus friande d'innovation.

4- La télévision ne déplace pas un nombre significatif de voix, l'élection ne se joue pas fondamentalement dans les médias : vrai en 1981, faux en 2012. Nous sommes entrés dans l'ère des médias, sans comparaison possible avec 1981. La communication joue un rôle majeur dans les résultats d'un vote, alors qu'elle n'était que marginale et artisanale il y a trente ans. Les partis politiques ont été largement dépossédés de leur influence. Même les élus et les notables n'ont plus le poids d'autrefois. L'internet a bouleversé pas mal de choses.

Finalement, chaque campagne présidentielle a son originalité, et c'est avec passion, sur ce blog, que je commenterai la prochaine, comme je l'avais fait en 2007 sur mon précédent blog.

mardi 20 décembre 2011

Entre gens importants.

J'ai rencontré ce matin l'IA. C'est qui ? L'inspecteur d'académie, récemment nommé dans l'Aisne. Dans l'Education nationale, nous parlons par sigles, c'est une manie. Peut-être pour aller plus vite, pour dire plus de choses. Par exemple le pépé n'est pas chez les enseignants un grand-père mais le professeur principal (PP). Quand on parle de l'IA, c'est donc l'inspecteur d'académie. Et ainsi de suite ...

Contrairement à ce qu'on pourrait croire, l'IA n'inspecte pas l'académie d'Amiens puisqu'il séjourne dans l'Aisne. C'est peut-être aussi pourquoi on l'appelle l'IA et pas l'inspecteur d'académie. La personne qui gère l'académie (de Picardie) s'appelle le recteur. On ne dit pas pourtant le R. L'IA, lui, gère les écoles et les collèges du département. Le recteur aussi, mais avec les lycées. Bref c'est compliqué, aussi compliqué que le labyrinthe de couloirs et de bureaux du rectorat à Amiens.

Ce qui complique encore la situation, c'est que l'IA n'est pas le seul inspecteur dans l'Education nationale. Il y a les IEN (inspecteurs de l'Education nationale), dont le titre est évasif mais la mission administrative très précise : inspecter les enseignants des écoles dans une circonscription. Il y a les IPR (inspecteurs pédagogiques régionaux) qui inspectent les professeurs d'une discipline. Il y a les IG (inspecteurs généraux), l'équivalent des IPR mais au niveau national. Bref c'est compliqué.

Ce matin, je suis allé à la rencontre de ce monde compliqué avec des idées simples : présenter au nouvel IA les activités de la Ligue de l'enseignement (la FOL, puisqu'il faut s'exprimer en sigle), dont je suis dans l'Aisne le président. Pour se faire, j'ai mis mes habits de président : costume et cravate. Ce n'est pas trop mon style mais c'est mon devoir. Certes la cravate est surfaite depuis quelques années. Elle tient tout de même bon. Entre gens importants, c'est un signe de distinction. Quand on veut laisser croire qu'on est important, c'est une obligation. L'habit fait le moine.

J'étais donc fin prêt, costume repassé de la veille, pour cette rencontre au sommet, dans la froide cité administrative sur les hauteurs de Laon. Sauf que j'ai fait une connerie : sortant de ma voiture, j'enfile mon manteau et j'oublie ma veste. J'en prends conscience une fois dans le bureau de l'IA, enlevant mon manteau et me retrouvant en chemise à la BHL, comme un pingouin dont le noir du dos aurait été effacé par le blanc du ventre. Heureusement que je suis prof de philo, à qui on pardonne toutes les étourderies, qui font même partie de la panoplie !

Une connerie en annonce souvent une autre : quand l'IA est arrivé pour servir le café, j'ai senti le danger. Le sucre dans son emballage m'a résisté. Je veillais en même temps à ne pas faire trop de bruit en dépliant le papier. Opération risquée : un mauvais geste et c'est la tasse qui pouvait se renverser sur ma chemise blanche ou, pire, sur le pantalon de l'IA. J'ai anticipé le possible incident et j'ai bien joué.

A part ça, on s'est dit quoi ? Le nouvel IA est un homme sympathique, ouvert, attentif et plein de projets. J'en suis ressorti, ainsi que mes camarades de la Ligue, avec plusieurs idées : étendre l'expérimentation des ateliers philo dans les écoles, préparer des modules d'animation sur la laïcité, organiser la commémoration du 300ème anniversaire de la naissance de Jean-Jacques Rousseau, relancer les opération de lectures en direction des plus jeunes, faire mieux connaître les actions de la Ligue en faveur des enfants handicapés, ...

En sortant de l'entretien, retrouvant ma voiture, j'ai retrouvé ma veste, amoureusement repassée pendant une heure pour rien ! Sur le chemin du retour, je me suis posé cette question philosophique et pédagogique : un homme avec cravate mais sans veste est-il moins important que le même avec veste ?

lundi 19 décembre 2011

DSK toujours là.

Il aurait pu se cacher, se faire oublier, passer à autre chose. Mais il est toujours là. A cause de quoi ou de qui ? De nous, de lui ? Et qu'est à présent DSK, pour nous, pour lui ? Un espoir déçu, un destin contrarié, un rêve avorté, un acte manqué ... A jamais il est celui qui aurait pu et selon moi dû devenir président de la République. Le voilà maintenant conférencier de luxe. Ces trois lettres n'ont pas fini de nous hanter, de nous faire réfléchir : comment peut-on en arriver là ? DSK ne passe pas, jusqu'à oser lui prédire un possible avenir.

Aurait-il fait son retour public en Belgique que nous en aurions sans doute moins parlé. Mais en Chine, à l'autre bout du monde, dans la puissance qui préfigure le futur, qui fascine et qui inquiète ... Regardez bien DSK : il y a de l'asiatique en lui, pas très grand, yeux qui plissent, sourire charmeur, calme, pragmatique. Chinois ou Bouddha, au choix. Cette apparition de star, dans le monde de demain, est à la mesure du personnage. Ses affaires de sexe ? Elles glissent sur lui comme l'eau sur les plumes du canard. DSK ne pense qu'à ça, l'économie de la planète.

Comme tous les demi-dieux, médiatique celui-là, on cherche à le faire parler, à se réclamer de lui, à livrer des confidences. Jean-François Kahn est de ceux qui prétendent avoir reçu l'oracle : DSK aurait voté Bayrou au lieu de Royal ! De Chine, l'intéressé dément. Avait-il besoin ? Un vote ne se confie pas, et surtout pas à JFK, et surtout pas ce vote-là. Mais c'est plus fort que nous : DSK fait causer, pas seulement devant la machine à café. Peut-être parce que nous n'avons plus rien d'autres à dire ?

Son épouse aussi rend loquace : Anne Sinclair vient d'être désignée femme de l'année, contre l'avis d'Eva Joly. Il est vrai que cette distinction est étrange. Que signifie-t-elle ? Que récompense-t-elle ? Décidément, l'affaire DSK, qui n'en finit pas, est un hiéroglyphe, une énigme, un lapsus de la société française livrés à notre déchiffrage. DSK toujours là, jusqu'à quand ?

dimanche 18 décembre 2011

Vaclav Havel, liberté et vérité.

La disparition de Vaclav Havel m'attriste et me renvoie assez loin dans ma mémoire. Cet homme a été pour moi, dès le début, un exemple rare : le politique qui est à la fois un intellectuel, penseur, poète, dramaturge. Le militantisme n'est pas forcément synonyme de culture, hélas. Les hommes de pouvoir privilégient l'action et la gestion, c'est d'ailleurs tout à fait normal. Cherchez des intellos en politique, vous n'en trouverez pas énormément. Vaclav Havel était cette exception.

Vaclav Haval, c'est aussi pour moi l'homme de gauche qui lutte contre le communisme. Dans les années 70, vu de France et de mon adolescence, ça n'allait pas de soi : se montrer critique envers le communisme oui, mais le condamner comme foncièrement totalitaire non. On prenait alors le risque de passer pour être de droite, sinon d'extrême droite, dans les schématisations de l'époque. Le communisme continuait à séduire, malgré les faits historiques et les témoignages personnels. J'aurai pu succomber, par tropisme familial, à cet attrait : ce sont des personnages comme Vaclav Havev qui m'en ont dissuadé.

Il m'a appris que l'anticommunisme pouvait être de gauche, au nom des valeurs du socialisme. Dans ces années 70, se dire réformiste ou social-démocrate était mal vu. L'idéologie révolutionnaire écrasait tout, les peuples à l'est et les idées à l'ouest. N'oublions pas que le PCF a apporté jusqu'au bout son "soutien critique" (quelle expression hypocrite !) aux régimes communistes. Vaclav Havel m'a fait comprendre que le socialisme était indissociable de la liberté, que la dialectique révolutionnaire justifiant ou relativisant ses atteintes n'était que mensonge. Oui socialisme, liberté, vérité c'était l'équation politique de Vaclav Havel, et la mienne encore aujourd'hui.

Dans cette tragédie qu'a été le communisme, j'ai ma trinité personnelle : Vaclav Havel, Alexandre Soljenitsyne et Lech Walesa, le tchécoslovaque, le russe et le polonais. Le deuxième représentait la littérature contre le goulag, le coeur du totalitarisme soviétique. Le troisième symbolisait la révolte de la classe ouvrière contre un régime qui se prétendait "ouvrier". Ces trois-là étaient complètement dissemblables mais chacun apportait sa contribution originale dans la démolition d'un système qui affirmait émanciper l'humanité et qui ne faisait que l'asservir. Hommage ce soir à Vaclav Havel, à la liberté et à la vérité.

samedi 17 décembre 2011

Le fond de l'assiette.

Hervé Halle a ouvert aujourd'hui les portes de son Roule Galette, place de l'hôtel de ville. Le Burger Speed s'apprête à faire de même place du marché. La rumeur annonce Mac Do quai Gayant. Le Courrier Picard se demandait cette semaine s'il n'y avait pas trop de restau dans le centre de Saint-Quentin. Ce qui est certain c'est que la bouffe a pris dans notre société une importance qu'elle n'avait pas il y a quarante ou cinquante ans. Si les hommes ont toujours eu besoin de se nourrir, ils n'ont pas toujours mangé de la même façon. Nous devrions plus souvent regarder dans le fond de notre assiette : c'est un bon miroir de la civilisation.

Quand j'étais ado, dans les années 70, s'intéresser à la cuisine n'était pas très bien porté, à la limite réac : les fourneaux étaient considérés comme le bagne de la femme (à juste titre), parler bouffe faisait plouc, la gastronomie était un plaisir bourgeois, la faim dans le monde était la préoccupation (qui interdisait de réfléchir au bien manger), les nourritures intellectuelles étaient les seules vraiment valorisantes, faire la cuisine était une distraction de vieux, "La grande bouffe" de Marco Ferreri donnait le ton. A l'époque, la conserve et le surgelé symbolisaient l'émancipation de l'humanité. Qu'est-ce que j'ai pu en bouffer (surtout des boîtes de raviolis et du poisson à coins carrés) !

Voyez aujourd'hui : les émissions culinaires sont nombreuses à la télévision et font un carton, les magazines suivent la tendance, les maisons d'édition aussi. La bouffe n'est plus une affaire de beauf. Tout le monde s'y met, en parle ! Mais nos assiettes ont changé de décor en moins d'un demi-siècle. La table d'autrefois c'est terminé. Un véritable maniérisme culinaire se développe : bio, light, petites portions, grande diversité, buffet à volonté, plats exotiques, barbecue d'appartement, verrine, raclette, fondue, café gourmand, pierrade, tout ça n'existait pas ou n'était pas répandu quand j'étais gamin.

Même la forme de nos assiettes a changé ! Avant, elle était ronde comme l'auréole des saints chrétiens. Maintenant, les assiettes au restau ont une drôle de gueule, déformée, un peu comme les pendules de Dali. Les verres aussi font désormais des manières. Ce n'est pas beau mais ça fait style : c'est le comble du maniérisme.

Ce qui explique cette tendance lourde, c'est d'abord l'individualisme : fini les convives qui attendent autour de la table que la maîtresse de maison, prise dans ses aller et retour entre la cuisine et le salon, apporte les plats dans lesquels tous se servent. Depuis pas mal d'années, le must est de déposer les ingrédients au milieu de la table, chacun s'occupant de sa popote et de la cuisson. C'est libre, convivial et ludique, une sorte de dînette pour adultes, où l'on mange autant qu'on s'amuse à manger, comme les grands enfants que nous sommes de plus en plus.

Ce qui explique aussi cette évolution (qui ressemble à une révolution si l'on compare avec le sage et solennel repas de jadis) c'est l'irruption de la technologie sur la nappe, entre les couverts : les appareils sont nos invités, ils font la cuisine autant et aussi bien que la cuisinière, ils ne sont plus enfermés dans la cuisine. La fourchette et le couteau ont de sérieux concurrents électriques.

Mais ce nouveau rapport à l'assiette et à la nourriture est à la fois une réalité, une pratique et un discours, une forme d'idéologie culinaire. En marxiste que je suis un peu, je sais qu'il y a souvent un hiatus entre l'idéologie et le réel, entre ce qu'on dit et ce qu'on fait (hiatus ou lapsus chez Freud : le langage cache quelque chose qui se dévoile tout de même dans la parole et les actes). Je vois trois contradictions qui remettent en question le souci culinaire contemporain :

1- La cuisine exige d'y consacrer du temps, beaucoup de temps. Or nous en avons de moins en moins, sollicités que nous sommes par tous les attraits de la société contemporaine. La cuisine implique aussi effort et sacrifice. Ce n'est pas vraiment dans l'air du temps.

2- La sortie au restaurant est devenue fréquente, parfois banale alors qu'elle était autrefois réservée aux grandes occasions. On confie plus souvent la cuisine à d'autres qu'on ne la fait soi-même. La démocratisation de la restauration a aidé à ce mouvement.

3- Autrefois, dans une société largement rurale, devenue aujourd'hui largement urbaine, la cuisine était liée au jardin et à l'élevage, dans un petit circuit d'économie domestique : on cultivait fruits et légumes, on élevait poulets et lapins et tout ça terminait dans les fourneaux et sur la table. Plus question maintenant du travail ingrat de la terre. Les secrets et le savoir faire culinaires ont disparu. La cuisine de grand-mère n'existe plus (d'ailleurs les grands-mères ne ressemblent plus à des grands-mères depuis quelque temps déjà).

Bref, derrière la mode culinaire actuelle, je sens une hypocrisie de plus dans notre société, ou une frime sociale si vous préférez. Mais il n'y a pas de société sans hypocrisie ni frime ... Le fond de l'assiette est un miroir déformant auquelle nous demandons qu'il nous dise, comme celui du conte, que nous sommes les meilleurs et les plus beaux.

vendredi 16 décembre 2011

Balligand, fin et suite.

Pour la Thiérache, pour l'Aisne, pour les socialistes c'est un événement politique, presque une tempête, autrement plus puissante que celle qui souffle en ce moment sur la France : Jean-Pierre Balligand s'en va, ne se représentera pas aux élections législatives, après trente ans de bons et loyaux services ! C'est à peine croyable : certes Jean-Pierre ne s'était pas porté candidat devant ses camarades, mais j'y voyais une forme de coquetterie coutumière en politique, le retrait pour mieux susciter le désir, peut-être une tactique pour dérouter d'éventuels rivaux.

Non, rien de tout ça : Balou tout simplement arrête, pose son sac, pense à autre chose. L'âge n'y est pour rien : "La vie commence à 60 ans" chantait Tino Rossi, qui n'était pas thiérachien ; Balligand en a 61, un jeune homme en politique ! René Dosière en a dix de plus et n'hésite pas à repartir au combat. Ce soir, une page de la vie politique axonaise se tourne et me rend un peu triste. Le seul qui doit être vraiment content, qui va peut-être s'endormir avec des rêves dans la tête, c'est Frédéric Meura.

Balligand ! Le nom colle à l'homme : un géant, un chêne, un rocher c'est à quoi j'ai pensé quand je l'ai vu pour la première fois il y a treize ans. Un costaud aux allures d'ours, se déplaçant dans une sorte de balancement des épaules, assez lentement : une bête oui, mais une bête politique, qui épate le socialiste saint-quentinois que je suis, habitué aux défaites à répétitions alors que le Thiérachien gagne sans discontinuer depuis 1981. Et puis, c'est un homme qui a quelque chose à dire, des réflexions et des propositions personnelles, une envergure nationale. Ce n'est pas si fréquent parmi les élus.

Balligand c'est un modèle, presque une icône : sa circonscription n'est pas spontanément de gauche, son monde rural n'est pas le plus facile à séduire pour un socialiste, mais Jean-Pierre en a fait un fief, un bastion du PS. Les séismes nationaux ne l'atteignent pas : en 1993, nos élus et candidats tombent comme des mouches, Balligand reste l'aigle de Thiérache. Au Moyen Âge, il aurait été seigneur ; au XIXème siècle, maréchal d'empire. J'aurais aimé qu'il devienne président de la région Picardie : c'était possible, souhaitable, ça ne s'est pas fait mais c'est souvent comme ça en politique.

Attention : si Jean-Pierre Balligand est mon modèle, ce n'est pas mon idole. Je n'est pas le tempérament idolâtre. Au début des années 2000, je me retrouvais sur sa ligne politique, contre le NPS et Nouveau Monde (ne cherchez plus ce que ces appellations signifient, elles n'existent plus, tout change sans cesse au parti socialiste). A l'époque, JPB était strauss-kahnien et invitait DSK à Guise. Nos chemins se sont séparés en 2005, lui rejoignant Fabius et les partisans du non au traité constitutionnel européen, moi continuant avec Strauss, Dosière et les partisans du oui. Je n'ai pas compris. Tout change en politique mais moi je ne change pas. On s'est retrouvé au congrès de Reims, en soutenant ensemble Aubry, puis lors des primaires citoyennes en rejoignant tous les deux Hollande.

Quoi qu'il en soit, Jean-Pierre Balligand termine sa vie de député en nous donnant une belle leçon de politique : oui on peut décrocher de cette drogue dure, oui on peut passer à autre chose, non un mandat ne doit pas trop durer, même si on est plébiscité par ses camarades et par ses électeurs. La décision de Balligand est d'autant plus admirable qu'il aurait pu continuer, se faire une fois de plus facilement réélire. Rien de sérieux ne le menaçait. Renoncer au pouvoir, c'est très rare quand on est un homme de pouvoir, où la tendance est forte d'accumuler fonctions, postes et responsabilités. L'opinion appréciera, qui ne supporte plus le cumul des mandats, en nombre et en durée.

Jean-Pierre Balligand a un héritage. Mais a-t-il un héritier, nommément désigné ? Non et c'est très bien ainsi, j'applaudis. Les socialistes qui pensent qu'un élu doit préparer sa succession en adoubant un dauphin sont de drôles de socialistes, tendance monarchiste : en République, un mandat n'est pas un blason à transmettre. Je n'aime pas les dynasties, même non héréditaires, même de gauche. C'est le parti qui décidera de la suite, par le choix de ses adhérents. Qui sera le futur candidat, le nouveau député de Thiérache ? Des noms courent, laissons-les courir, l'avenir finira par en rattraper un, très vite.

Jean-Pierre Balligand ne sera plus député. C'est la fin, mais qui connaît la suite ? Sa vie politique continue, peut-être va-t-elle renaître ? Pour conjurer ce soir la mélancolie de ce départ, je me paie un petit délire personnel : et si Balou nous jouait un coup à la Columbo, une fausse sortie en attendant un retour fracassant ? Sacré Balligand, il en serait bien capable, mais dans ma tête seulement ... Il n'y a pas que Meura qui rêve depuis hier.

jeudi 15 décembre 2011

Leçon de parachutisme.

Il y a des mots qui ne font pas partie de mon vocabulaire personnel, que je n'emploie jamais, par exemple "parachutage" dans son sens politique. C'est la possible venue de Jack Lang en Picardie, à Amiens, pour les prochaines élections législatives, à la place de mon copain Borgel, qui me conduit à cette réflexion. La métaphore du "parachuté" est inexacte (il faut toujours utiliser avec précaution les métaphores) : elle appartient au domaine militaire, je la trouve inadaptée à qualifier une candidature qui n'est pas du cru. Surtout, elle se veut péjorative et là je ne suis plus du tout d'accord : le parachutage politique ne me dérange absolument pas, malgré l'ironie ou la désapprobation qu'il suscite.

Remarquons que l'usage fréquent de cette métaphore et sa critique sont relativement récentes. Il y a quelques décennies, pas si lointaines, le parachutage n'émouvait pas ou beaucoup moins. Au contraire, la population était flattée de voir une personnalité s'intéresser à elle, briguer la circonscription ou la mairie. Et puis l'électeur en espérait un gain en matière d'emploi, de subvention et de notoriété. Un monsieur venu de Paris et passant à la télé, qui s'installait dans l'ingrate province, ce n'était pas un parachuté mais une aubaine, presque un miracle. Plus aujourd'hui.

Au nom de quoi ? D'un localisme idiot, d'un esprit de clocher, de ces "imbéciles heureux qui sont nés quelque part" brocardés par Georges Brassens. La gauche, normalement internationaliste, ne devrait pas céder à ce particularisme qui postule qu'un bon candidat doit naître, vivre, travailler et habiter là où il se présente (et pourquoi pas s'engager à mourir et à être enterré dans sa terre d'élection ?). Quant à la connaissance du terrain, elle n'est pas mieux garantie chez un indigène que chez un parachuté. L'homme politique efficace apprend vite et la buse ne donne rien, tout issue du terroir qu'elle est.

Mais l'argument le plus puissant est encore ailleurs : il relève du principe républicain. La République est une et indivisible. Elle n'est pas une mosaïque de territoires, elle s'oppose au féodalisme. Les circonscriptions évidemment existent, par nécessité administrative, par procédure électorale. Mais elles n'ont aucune réalité politique. Un parlementaire ne représente pas un bout de terre ou de population mais le peuple français dans sa totalité. Et quand cela n'est pas, c'est une erreur, une déviance, une imperfection qu'il n'est pas recommandé de suivre, qui n'a pas valeur d'exemple.

Vive le parachutisme donc, mais à trois conditions : d'abord un parachutage ne doit pas être imposé mais demandé, si l'on veut que le parachute s'ouvre correctement (c'est ce qui s'est passé en 1997 à Saint-Quentin, où la section socialiste souhaitait une candidature extérieure). J'y vois bien un inconvénient : cette demande prouve qu'on n'a en son sein personne de valable. Mais si c'est la vérité, autant l'admettre et en tirer les conséquences.

Ensuite le vote des adhérents est indispensable. Un candidat parachuté doit commencer par convaincre ceux qui vont militer pour lui, sinon il n'arrivera pas à convaincre ses électeurs. Enfin le parachutage, même politique, est un sport qui ne se juge pas au départ mais à l'arrivée, à l'instant de l'atterrissage, sa phase la plus délicate, la plus difficile. C'est dans la durée de son mandat que le parachuté prouve ou non sa réussite. Un parachutage n'a lieu qu'une fois : après, c'est à l'élu de s'enraciner, de se faire adopter et réélire.

Le must du parachutage politique, hélas extrêmement rare, c'est le largage au dessus d'un bastion imprenable, en territoire ennemi, avec la DCA qui canarde pendant la descente et le terrain truffé de mines qui vous attend au sol. Là oui, le parachutage politique prend tout son sens guerrier, la métaphore devient légitime. Dommage que les hommes politiques soient si peu à le pratiquer dans de telles conditions.

mercredi 14 décembre 2011

Gentiment réac.

Des journaux américains fort sérieux qualifient de raciste le film français à succès "Intouchables". A première vue, c'est à n'y rien comprendre ! Chez nous, ce film passe plutôt pour antiraciste, favorable à la différence et à la solidarité. Qu'est-ce qui peut expliquer deux interprétations aussi opposées ? Le cinéma américain, dans sa lutte contre la discrimination, veille à donner aux minorités des rôles positifs, valorisants. "Intouchables", en faisant d'un blanc un aristocrate fortuné et d'un noir son factotum, ne peut susciter outre-atlantique que la réprobation.

Je réagis en français, pas en américain : je ne trouve donc pas "Intouchables" raciste. Mais gentiment réac, oui je crois. Tout film, même une comédie qui ne vise qu'au divertissement, est porteur d'une idéologie, volontairement ou pas. Surtout lorsqu'il devient un phénomène de société, un mouvement d'opinion. Il y a des films qui ont une saveur progressiste, d'autres un goût réactionnaire. "Intouchables" se range dans la seconde catégorie.

D'abord il aborde sur le mode du rire, de la légèreté, un sujet grave, ce qui est une façon de le dédramatiser, de le relativiser. Ce n'est pas dans les manières de la culture de gauche, qui joue au contraire plus volontiers du registre de l'indignation. Ensuite "Intouchables" file allégrement le cliché, riche blanc cultivé et jeune noir de banlieue. La réalité est bien sûr autrement plus complexe, plus contradictoire, moins caricaturale. La culture réactionnaire aime à ranger chacun dans des rôles convenus, à des places facilement repérables.

Et puis le film déborde de bons sentiments, laissant croire que l'émotion est finalement la grande solution à nos problèmes, dont celui de la discrimination. Pas de réflexion un peu dialectique, pas de revendication : le bien l'emporte au feeling. Enfin une morale sympatoche parcourt toute l'histoire (dont on se plaît à nous rappeler, dans la campagne de promotion, qu'elle est véridique, comme si sa mise en scène la rendait justement peu crédible). Elle nous dit que l'union des personnes de bonne volonté vient à bout des difficultés. Toute perspective de lutte collective est effacée. Le conflit est minoré ou rendu amusant.

Un film gentiment réac n'est pas inférieur à un film gentiment progressiste. Jean Yanne n'est pas moins bon que Jean-Pierre Mocky. "Intouchables" est plaisant et agréable à voir. Le reste est une question d'opinions personnelles. Ce qui est étonnant, c'est que le titre de ce film est une sorte de lapsus : "Intouchables" comme s'il devait échapper à la critique, être admis par tous, forcément bien. J'ai essayé de faire mentir ce lapsus, de toucher "Intouchables".

mardi 13 décembre 2011

Les cinq dernières minutes.

La presse locale évoque ce matin les candidatures socialistes dans l'Aisne, avec quelques nouvelles et plusieurs confirmations. En Thiérache, rien ne bouge, Jean-Pierre Balligand n'a encore rien dit : fumée blanche, fumée noire il faut attendre et voir. Côté écolo, c'est Claude Harmelle qui pourrait s'y coller, mais je croyais que mon camarade était socialiste. Décidément, la politique est une chose trop compliquée pour moi ...

Sur Saint-Quentin, Anne Ferreira semble avoir trouvé son suppléant, un membre d'IDG (initiative démocratique de gauche), Stephan Anthony. Quant à nos camarades communistes, ils auront deux candidats, un Front de gauche Guy Fontaine et une orthodoxe fondamentaliste Corinne Bécourt. A Laon, René Dosière est candidat mais Fawas Karimet aussi, parce que le suppléant doit représenter la "diversité" dans laquelle Fawas se reconnaît. A suivre. Dans la quatrième (Soissons), Patrick Day est encore un homme dans une circonscription réservée à une femme. A Château, Krabal, PRG, est sur les rails et se cherche un suppléant PS.

L'état de la situation pré-législative dans l'Aisne peut sembler passablement embrouillé aux yeux d'un néophyte. Et pourtant la politique est ainsi : elle a sa clarté, qu'il faut savoir décrypter. Pour bien comprendre tout ça, il faut avoir en tête un facteur-clé : la durée. On fait de la politique montre en main et calendrier devant soi. Au Moyen Âge, c'est le jugement de Dieu qui mettait un terme aux conflits sans solution. Aujourd'hui, c'est le jugement du temps. Je ne sais plus qui disait : "en politique, celui qui gagne c'est celui qui tient jusqu'au dernier quart d'heure". Exact !

Et j'irais encore plus loin : tout se décide dans les cinq dernières minutes. Vous m'avez compris ? Peut-être pas ... Je fais référence à la disparition récente du comédien Jacques Debary, alias le commissaire Cabrol, dans la série qui a enchanté mon adolescence, "Les cinq dernières minutes". La presse locale m'apprend qu'il était né à Saint-Quentin, instituteur en Picardie, avant de commencer une carrière au théâtre à Amiens, ce que j'ignorais totalement. Hommage à ce grand monsieur des planches et du petit écran. Et clin d'oeil à cette autre comédie qu'est la politique, souvent moins bien jouée, où là aussi le dénouement a lieu tout à la fin, mais heureusement sans crime ni assassin.

lundi 12 décembre 2011

Week-end chez Cognet.




Il y a un commencement à tout. Ce week-end, je me suis initié à l'art de la dédicace, dans la librairie Cognet. Mine de rien, c'est un métier. Les gens viennent vous voir pour que vous mettiez un petit mot gentil sur le livre qu'ils viennent d'acheter. Je suis gêné : dédicacer le livre, c'est beaucoup plus difficile que de l'écrire, même si c'est plus rapide. Il faut être spontané, bref, original, personnel : c'est trop pour moi.

Et puis j'ai une terrible crainte : ne plus me souvenir des noms et prénoms des gens que je connais bien, depuis longtemps, et qui me demandent une dédicace. J'ai une mémoire de poisson rouge et tant de visages en tête ! Oublier c'est vexer. Bon, je ne m'en suis pas mal tiré et mes visiteurs étaient tous sympa. Car mon autre crainte était celle-là : que les personnages enrôlés contre leur gré dans "Les Saint-Quentinois sont formidables" ne s'y reconnaissent pas et s'en plaignent. Mais non, pas de problèmes, que des félicitations ! A la limite, j'en serais presque déçu ...

J'ai eu droit au passage de quelques-uns de mes portraits : Maurice Dutel, Francis Crépin, André Triou, Jean-Claude Decroix mais aussi des parents d'élèves heureux d'offrir l'ouvrage à leurs enfants. Tous ont apprécié la lecture facile, le style agréable, les descriptions fouillées des lieux et des personnes. Mais les compliments m'intéressent moins que les critiques, qui seules font évoluer, puisque je compte bien écrire une suite.

Il y a d'abord les erreurs et les inexactitudes : p.66, je parle du pont de Roupy, qui n'existe pas, mais il s'agit du pont de Rouvroy ; p.136, Sylvie Robert est appelée Puissant, de son ancien nom. Il y a ensuite les mots qui choquent : ainsi, p.339, pour qualifier les médailles des anciens combattants, j'utilise l'image de la "quincaillerie", jugée désobligeante par un lecteur.

Enfin, il y a les critiques de fond : le chapitre XVII, intitulé "Nous irons tous à Auchan", est considéré par une lectrice comme une contestable ode à la société de consommation. Elle estime d'autre part que cette zone commerciale ne fait pas partie de la ville. Mais qu'y puis-je si cet hypermarché est bel et bien intégré à la civilisation locale ? Personnellement je ne vais pas à Auchan mais à part moi et quelques rebelles tout le monde s'y rend ! Il fallait donc en parler ...

Il y a les critiques de forme : ceux qui n'aiment pas la couverture parce qu'ils n'aiment pas la statue de Maurice-Quentin de La Tour qui est sur la couverture ; ceux qui s'interrogent sur le sens du titre de l'ouvrage, qui pressentent une ironie, peut-être une perfidie du Mousset, alors que c'est l'éditeur qui a trouvé ce titre !

Toutes ces remarques, toujours exposées avec beaucoup de bienveillance, pourront être reprises, augmentées et discutées à l'occasion de la lecture-débat de "Les Saint-Quentinois sont formidables", organisée par la librairie Cognet, le jeudi 02 février, de 18h00 à 20h00, ouverte à tous.

En vignette, en compagnie de Laure Saïdi, avec laquelle j'ai partagé la table des dédicaces ce dimanche, présente pour son livre "Suzon et son Octodon et autres histoires pour jeunes collégiens", Editions Publibook, 2011.

dimanche 11 décembre 2011

Le train de 14h55.

Pendant au moins trente-cinq ans, venant de Paris, du nord ou d'ailleurs pour redescendre vers mon doux Berry, j'ai pris à Austerlitz le train arrivant à Saint-Amand-Montrond à 14h55, via Les Aubrais, Vierzon et Bourges. Enfant, adolescent, adulte et commençant maintenant à vieillir, je ne connais que ce trajet-là, que cet horaire-là. Cette ligne ferroviaire, c'est ma ligne de vie. Je n'en ai jamais changée. Bien des événements les plus personnels de mon existence sont liés au train de 14h55.

Et j'apprends aujourd'hui qu'il y a une menace sur ce train, puisque 85% des horaires nationaux sont modifiés ! Mon 14h55, que va-t-il devenir ? Un décalage d'une demi-heure, dans un sens ou dans l'autre, et ce train me serait étranger. 14h55, c'est une lumière bien particulière qui tombe à cet instant-là sur le bois de Meillant et les premières maisons d'Orval, à quoi je reconnais que nous approchons de Saint-Amand. Et on veut me priver de ce moment singulier, incomparable ?

Descendu du train, traversant le pont qui enjambe le Cher, longeant les habitations, le 14h55 du dimanche me faisait entendre le bruit des couverts et de la télévision, dans les repas qui s'attardent et l'après-midi qui commence. Avant ou après, ce n'est plus pareil, les choses n'ont pas la même saveur. Bref, je suis affectivement attaché au train de 14h55 et sa possible disparition m'émeut. Rien ne sera plus comme avant, comme pendant trente-cinq ans.

Dans les médias, ce bouleversement des horaires de la SNCF a été qualifié de "big bang". Vous imaginez un peu : une déflagration qui aurait donné naissance à un nouvel univers, voilà ce qui s'est passé ce dimanche dans le monde ferroviaire ! J'ai appris que des "gilets rouges" (oui c'est ainsi qu'on appelle les personnes chargées d'informer les usagers) distribuaient des bonbons et des chocolats aux voyageurs pour les amadouer, à la façon des enfants à qui on promet une friandise s'ils prennent leurs médicaments.

Cette histoire de changement des heures de trains, qui mobilise l'actualité du week-end et sûrement de demain, nous dit à quel point nous tenons à nos habitudes. Certains voudraient nous faire faire la révolution alors qu'une révision administrative somme toute mineure suscite nos craintes et même notre désapprobation ! La perturbation me fait penser il y a treize ans à l'instauration des 35 heures, qui elle aussi bousculait pas mal d'habitudes.

Un doute me vient : le train de 14h55 arrivant à Saint-Amand-Montrond a-t-il toujours été fixé à cette heure ? Je me demande si un temps il ne s'arrêtait pas à 15h15. Comme quoi la nostalgie nous joue des tours ... Combien me faudra-t-il d'années pour que je me détache du train de 14h55 ? Peut-être plus vite que je ne le crois. Qui sait si à force je ne finirai pas par oublier cette heure, 14h55, adoptant la nouvelle comme si elle avait toujours existé, comme si elle était éternelle. Je vous dirai ça lorsque je retournerai pour les fêtes dans le Berry, débarquant à 14h55 ou pas.

samedi 10 décembre 2011

Un monde sans passion.

A quand remonte ma première rencontre avec des francs-maçons ? Au milieu des années 80, à Paris, quand j'allais au siège du Grand Orient, rue Cadet, assister à des conférences. A l'époque, le Grand Maître était Roger Leray, qui me faisait forte impression. Depuis, les maçons ont accompagné ma vie mais je n'ai jamais franchi le pas. Toujours intéressant, pas complètement convaincant, voilà ma position à l'égard de la maçonnerie.

C'est encore le sentiment que j'ai éprouvé hier soir, au théâtre Jean-Vilar, qui recevait Alain Noël Dubart, Grand Maître de la Grande Loge de France. La salle était pleine, beaucoup d'élus, de chefs d'entreprise, de commerçants, de responsables de quelque chose, une réunion publique et ouverte mais un public tout de même socialement choisi. "Frères et soeurs", voilà comment le Grand Maître a commencé, en se justifiant par la science et la mythologie. Je veux bien mais ça me fait tout drôle : je ne me sens pas particulièrement le "frère" des gens qui étaient là. "Citoyen" comme eux ok, mais "frère" ça va trop loin ...

Alain Noël Dubart a fait une conférence de haute volée, truffée de références philosophiques et historiques. J'ai beaucoup aimé. Mais surtout il y a sa voix, ce ton si spécifiquement maçonnique, très doux, calme, maître de soi, pas un mot plus haut que l'autre, sans aucun effet oratoire, sans volonté de séduction rhétorique. On se laisse bercer, on pourrait presque s'assoupir si le contenu n'était pas si riche, si la réflexion ne tenait pas en éveil par sa pertinence.

Il y a quelque chose de bourgeois, de libéral au bon sens de ces deux termes, dans l'intervention du Grand Maître. Au moment des questions, il ne s'emporte pas, ne pratique pas l'ironie, reste dans la clarté et la cohérence de ses convictions, renvoyant ses contradicteurs à leur responsabilité et à leur libre opinion. C'est Voltaire sur scène, mais assagi, lissé, tranquille. Dans ses paroles règne une forme de bon ton : on se croirait dans un salon littéraire et savant au temps des Lumières, élargi au public nombreux du théâtre Jean-Vilar, lui même étrangement calme, attentif, à tel point que les questions de la salle un peu vives en paraissaient déplacées, soulevant un murmure de désapprobation de l'assistance. Le monde des maçons est un monde rationnel, de respect mutuel, d'écoute réciproque, de vérité relative et jamais absolue. Un monde sans violence et sans passion. Dans l'idéal, le meilleur des mondes sûrement.

J'apprécie, j'admire même mais ce n'est pas mon style. Je crois en la passion, je pense que la vérité s'obtient au forceps, par la violence des mots, les ruses du langage, la dérision qui fait éclater les préjugés, la mauvaise foi volontaire qui débusque l'hypocrisie naturelle. Les maçons estiment qu'on ne peut bien réfléchir que dans la paix des loges, des symboles et des rites. Au contraire la pensée est pour moi une machine de guerre, un combat permanent contre la bêtise et l'ignorance.

Les concepts sont des armes. La vérité est absolue ou n'est pas. La tolérance ? Un mot qui ne veut rien dire : il y a plein de choses que je ne tolère pas, que j'exclus de ma vie. Quant à l'amélioration de soi, ça ne tient pas une seconde : pour le meilleur ou pour le pire, les gens restent les mêmes tout au long de leur existence, avec seulement des modifications à la marge. C'est la grande leçon que m'a enseignée la vie. Le reste est discours et illusion.

Et puis il y a la réalité, la dure réalité : que la loge soit un lieu où les consciences se développent, atteignent même par l'initiation un état supérieur, je n'en doute pas, et c'est la grandeur de la maçonnerie que d'aider à y parvenir. Mais quand les frères et soeurs reprennent leurs métaux et réinvestissent la vie profane, je ne vois guère la différence avec les non maçons. En politique c'est flagrant. Les passions reprennent le dessus. De mon point de vue je m'en réjouis. Mais c'est la preuve que la lumière se tamise quand elle sort de la loge pour se mêler aux ténèbres du monde. Et comment en serait-il autrement ?

Hier soir, Alain Noël Dubart m'a une fois de plus épaté, comme Alain Bauer, de l'autre obédience, en son temps, comme Roger Leray autrefois. Épaté mais pas emballé. Il y a ce fameux "J'ai dit" qui sonne bizarrement à mes oreilles de profane, qui ponctue ses interventions comme l'amen du prêtre ou le point barre du jeune actuel, qu'il m'arrive d'entendre autour de moi sur le mode du lapsus révélateur. Sur les planches du théâtre, les fils de la lumière étaient gênés par celle, trop puissante, des projecteurs. Leurs calomniateurs qui les présentent comme des hommes de l'ombre auront toujours tort : rien de caché, rien d'obscur chez les maçons, seulement une saine et pudique discrétion. J'ai dit, moi aussi !

vendredi 9 décembre 2011

L'art de la dédicace.

Après une semaine de présence en librairie de mon livre "Les Saint-Quentinois sont formidables", j'ai reçu plusieurs courriers et courriels de sympathie, de félicitations et d'encouragements. Ce que je craignais ne s'est pas pour le moment produit : des réactions négatives de la part de mes héros involontaires mais bien réels que j'enrôle dans ma chronique de la vie locale.

Bien au contraire, quelques-unes de mes "victimes" se sont amusées à lire le portrait que j'en ai fait. Tant mieux, c'était l'effet recherché, pas la méchanceté gratuite ou la provocation idiote. C'en est presque miraculeux : personne de froissé, vexé, heurté, c'est devenu rare dans un monde qui se choque pour un rien, un mot, une allusion. Pourvu que ça dure ...

J'ai eu tout de même droit à trois appréciations négatives de personnalités politiques qui se sont exprimées publiquement. D'abord Stéphane Monnoyer, du MoDem, futur candidat aux élections municipales, qui me reproche, mais gentiment, de l'avoir oublié dans mes pages alors qu'il est présent dans l'actualité locale depuis dix ans, me dit-il. Je veux bien le croire et l'oubli sera réparé dans le prochain volume. Mais j'hésite encore sur la technique du portrait : au pastel ou au vitriol ? Stéphane sans doute s'en moque : ce qui compte, c'est qu'on parle de lui. Promis juré, ce sera fait.

Ensuite Antonio Ribeiro, de la Gauche Moderne, m'accuse sur son blog d' "hypocrisie" parce que j'ai posé en photo avec Pierre André. Je suppose qu'il juge en expert, lui qui s'est fait élire avec des voix de gauche avant de passer à droite et maintenant qui crache dans la soupe. J'ai déjà répondu préventivement à ce genre de critique, je n'y reviens pas (voir mon précédent billet de dimanche dernier "Non au sectarisme").

Enfin Daniel Wargnier, de Génération écologie, est le plus virulent, non pas à l'égard de ce qui est dans mon livre mais de ce qui n'y est pas. C'est certainement son côté poète. Daniel trouve "honteux" mes propos sur lui, se plaint de n'y trouver aucun "humanisme" et menace de me traduire devant le tribunal correctionnel, selon le communiqué vengeur qu'il a adressé à L'Aisne Nouvelle. Encore heureux que j'échappe au peloton d'exécution ! Daniel veut bien faire le pitre mais pas qu'on rit à ses dépends. Tant pis pour lui. Et puis je crois que notre poète local est mal inspiré par sa muse, plutôt son âme damnée, l'affreux JR, qui n'est pas celui de Dallas (private joke).

Samedi de 14h à 16h et dimanche de 15h à 18h30, je ferai une séance de dédicaces à la librairie Cognet. J'aurai plaisir à vous y retrouver. Pour mes trois contempteurs, j'ai préparé la leur :

"A Stéphane Monnoyer, ce livre qui lui permettra peut-être de trouver sa place à force de la chercher et de ne pas la trouver"

" A Antonio Ribeiro, dont les jours politiques sont comptés, ce livre qui lui permettra de passer agréablement son temps quand il aura tout perdu"

"A Daniel Wargnier, ce livre pour son avocat et lui, afin de se divertir dans la salle d'attente du tribunal, en vue d'un procès qui n'aura jamais lieu"

jeudi 8 décembre 2011

Paix aux putes.

Deux députés, un UMP et un PS, qui s'associent pour rédiger un même texte que l'Assemblée nationale adopte à l'unanimité, c'est un événement rare. D'autant qu'il s'agit d'une question de société, du genre pourtant clivant : faut-il abolir ou encadrer la prostitution ? Le texte répond : abolition ! Qu'est-ce qu'on peut dire devant l'avis unanime de la représentation nationale ? Considérer ce vote comme le résultat d'un consensus éclairé ou du conformisme ambiant ?

La prostitution, personne n'est pour. Derrière le folklore bien français sur "le plus vieux métier du monde", les "dames de petite vertu" et les "filles de joie", il y a beaucoup de misère, de violence et d'exploitation. La prostitution est un mal, incontestablement. Mais la société peut-elle abolir le mal d'un trait de plume ? Je ne le pense pas. C'est pourquoi j'aurais préféré l'encadrement à l'abolition.

Avec le déclin de la religion et la déception de la politique, notre société s'accroche à la morale. Elle croit pouvoir faire triompher le bien, elle rêve d'un monde vertueux, propre, parfait, sans prostituées. Pénaliser les clients, c'est laisser espérer un désir dissuadé, normalisé, contrôlé et éventuellement puni. C'est une illusion : il y aura toujours des prostituées et des hommes qui iront voir des prostituées. C'est sans doute malheureux mais c'est ainsi, c'est la vie.

La morale veut remplacer la vie par l'idéal. Évidemment elle échouera. Réservons la morale à nos choix privés et abordons les questions de société seulement par la politique : qu'on cherche plutôt à améliorer les conditions de vie, à créer de l'emploi, à augmenter les salaires si l'on veut que diminue la prostitution, qui prospère surtout là où il y a de la pauvreté, matérielle et psychologique. Qu'on applique sévèrement la loi républicaine aux proxénètes, qui sont des délinquants, mais qu'on fiche la paix aux prostituées et à leurs clients.

mercredi 7 décembre 2011

Une semaine laïque.

L'Aisne est une vieille terre laïque, républicaine et franc-maçonne. Elle le démontrera une fois de plus cette semaine, puisque nous célébrerons vendredi prochain le jour de la laïcité, comme un peu partout en France. Je ne vous rappellerai pas toute l'importance que j'accorde à cette valeur, souvent abordée sur ce blog.

Pas plus tard qu'aujourd'hui, il a été question de laïcité en France puisque le Sénat a débattu de l'extension de son principe aux crèches, centres de loisirs et assistances maternelles (les employés ne pourraient plus porter de signes religieux ostensibles, comme dans les écoles).

Dans notre département, quatre manifestations auront lieu. D'abord demain soir à Vervins, de 18h30 à 20h00, au restaurant de l'Hôtel de Ville, j'animerai un café philo en partenariat avec la Loge du Grand Orient De France, sur le thème : "La République est-elle encore laïque ?" La question n'a d'autre but que de provoquer la réflexion ...

A 20h00, mais à Tergnier cette fois-ci, l'ARG (association des républicains de gauche) invite à une conférence-débat au Centre Culturel "François Mitterrand", animée par Guy Georges, ancien secrétaire du SNI (syndicat national des instituteurs), avec pour sujet : "L'Etat chez lui, l'Eglise chez elle, cette citation de Victor Hugo du 15 janvier 1850 reste-t-elle encore l'exigence laïque de la République ?" Jacques Desallangre, député, Frédéric Alliot, maire-adjoint de Soissons et Christian Crohem, maire de Tergnier, seront présents.

Le vendredi 9 décembre, à Saint-Quentin, la conférence publique à 19h00 au palais de Fervaques ne sera pas en rapport direct avec la journée nationale de la laïcité mais nous n'en serons pas loin puisque l'intervenant sera Alain Noël Dubart, Grand Maître de la Grande Loge de France, qui présentera les objectifs de son obédience.

Enfin le lendemain, de 17h30 à 19h00, dans la salle de musique, rue de l'Aude, à Villeneuve-Saint-Germain, j'animerai un dernier café philo, "La laïcité au XXIème siècle", en association avec le Phare Soissonnais, du GODF.

Avec toutes ces initiatives, je crois que nous pourrons dire que la laïcité aura été dignement célébrée dans l'Aisne !

mardi 6 décembre 2011

A chacun son ADN.

Lors de la séance du conseil municipal d'hier soir à Saint-Quentin consacrée au budget, son maire Xavier Bertrand a repris une expression qui lui est cher : "L'ADN de la gauche", qui consisterait selon lui à augmenter les impôts. Je n'aime pas trop les métaphores biologiques : la gauche est un état d'esprit, pas une structure génétique. Mais je suis prêt à assumer l'image : oui la gauche aime l'impôt, c'est en effet dans son ADN.

Et comme nous sommes dans la biologie, poursuivons : l'ADN est un programme ; on ne comprend les gènes que si on sait à quoi ils sont destinés. Augmenter les impôts oui, mais dans quel but ? La redistribution, la justice sociale, la réduction des inégalités. Alors oui, mille fois oui l'augmentation des impôts est dans l'ADN de la gauche. C'est ce qu'on appelle aussi le socialisme et c'est ce qui n'a pas trop mal fonctionné tout au long du XXème siècle dans les pays sociaux-démocrates européens, où une forte imposition fiscale a permis une meilleure égalité entre les citoyens en développant les services publics et le bien-être général.

Et l'ADN de la droite, quel est-il ? Tout simplement l'inverse de celui de la gauche : diminuer l'impôt. C'est la revendication constante du courant libéral : moins d'impôts, encore moins d'impôts, toujours moins d'impôts. Je sais bien que Xavier Bertrand n'est pas un pur libéral à la Madelin, comme moi je ne suis pas un pur socialiste à la Mélenchon. Je le qualifierais de social-libéral tout comme je me définis comme social-démocrate. Mais la distinction suffit à nous opposer politiquement : lui croit plus volontiers au marché et à l'entreprise, moi plus volontiers à l'Etat et aux services publics. Conclusion : nous n'avons pas les mêmes gènes. Les siens sont allergiques à l'impôt, les miens sont compatibles.

Revenons au conseil municipal d'hier soir : ce qui m'a surpris, c'est que le débat a tourné autour de la fiscalité, comme si le budget se réduisait à cet aspect. L'impôt n'a aucun sens en soi. Personne n'est heureux de laisser une part de son salaire à l'Etat ou aux collectivités, moi le premier. Mais toute la signification de l'impôt est dans sa finalité : qu'est-ce qu'on fait de notre argent ? A défaut de répondre à cette question, le débat est tronqué.

Que la majorité et l'opposition se rejettent, comme elles l'ont fait, la responsabilité de la hausse des impôts locaux, en remontant plus de trente ans en arrière, ça ne m'intéresse absolument pas, ce sont des échanges stériles ou des controverses de techniciens. Ce que je veux savoir, et je crois que la plupart des Saint-Quentinois réagissent comme moi, c'est où vont mes sous, à quoi servent-ils ?

C'est pourquoi j'ai vivement regretté que la séance ne porte pas beaucoup plus sur les projets (ceux-ci ont été évoqués, sans cependant susciter un véritable débat). Or un budget ne se juge qu'au vu de son aboutissement et non pas de sa source fiscale, du moins quand on a comme moi le gène de l'impôt. Je ne veux pas chercher de noises à Xavier Bertrand : dans son genre social-libéral, je suis certain qu'il est très compétent et qu'on ne peut rien lui reprocher. Mais dans mon genre social-démocrate (ou socialiste, c'est la même chose), je souhaite, y compris à Saint-Quentin, une démarche, une cohérence, un projet qui soient différents.

Qui a raison de nous deux ? Ni lui ni moi, ou les deux à la fois si vous voulez : chacun est dans sa logique, aussi respectables l'une que l'autre (il n'y a que les logiques antirépublicaines que je ne respecte pas). En démocratie, c'est le peuple et lui seul qui dit la vérité : nous sommes ses serviteurs, pas ses guides. A Saint-Quentin, j'espère qu'un jour, pas trop tard, la population décidera que la vérité (c'est à dire l'intérêt général) est à gauche. Et la venue de ce jour dépendra de la gauche.

Hier soir, la critique du budget a été essentiellement menée par Michel Aurigny, dans une analyse fine, fouillée, exhaustive mais sous l'angle principalement fiscal, et par de longs retours, parfois politiquement peu parlants, sur le passé. Sa conclusion a pu paraître surprenante : diminuer les taux, donc les impôts locaux, puisqu'ils sont "historiquement hauts". Surprenant en apparence puisqu'une telle revendication est dans l'ADN libéral, et sûrement pas dans celle d'un représentant du parti ouvrier indépendant, trotskiste lambertiste ! Aurions-nous affaire à ce type de mutations génétiques qui engendrent des monstres ?

J'ai trop de respect pour tous les courants d'idées pour me permettre un tel jugement désobligeant. Non, Michel Aurigny a simplement son ADN bien à lui, ni social-libéral comme Xavier Bertrand, ni social-démocrate comme moi : son système génétique est celui du marxisme orthodoxe (j'emploie l'adjectif au sens propre et non péjoratif : un marxisme rigoureux, chimiquement pur, à l'état originel). Son programme n'est pas de réformer la société à la façon des socialistes mais de changer radicalement de société, d'instaurer le communisme.

Dans cet objectif, il ne cherche pas à gérer localement ni nationalement (pas de ministres, pas de maires de grandes villes lambertistes) mais à préparer les conditions de la révolution. C'est ce que Karl Marx appelait un travail de taupe (à son époque, les métaphores étaient animalières plus que biologiques) : saper les fondements du capitalisme en faisant ressortir ses contradictions afin d'entraîner son effondrement. Même à Saint-Quentin ? Mais oui ! Un lambertiste est un moine-soldat de la révolution, qui agit au quotidien, qui se concentre sur les détails. Ce n'est pas un révolutionnaire romantique mais méthodique. Je n'invente rien : lisez Pierre Lambert ou Informations ouvrières.

Toutes ces considérations ne sont pas théoriques : elles éclairent parfaitement l'intervention savante et structurée de Michel Aurigny sur le budget. Mon ex-collègue ne propose pas une alternative à la politique de Xavier Bertrand, non par défaut d'imagination, encore moins par manque de réflexion, mais parce que son objectif est tout autre : démontrer mathématiquement qu'un libéral, adversaire de l'impôt dans le discours, se contredit dans les faits puisqu'il ne réduit pas les impôts pourtant "historiquement hauts". D'où sa satisfaction : "la baudruche s'est dégonflée", dixit Aurigny à la fin de son intervention. "Bien creusé, vieille taupe", c'est la mission que Marx attribuait au révolutionnaire communiste et ça revient au même.

Mon problème, c'est que mon ADN social-démocrate n'a pas plus d'atomes crochus avec l'ADN libéral qu'avec l'ADN révolutionnaire. Car si le conseiller municipal d'opposition allait jusqu'au bout de sa logique, il proposerait pour les élections municipales de 2014 de baisser les impôts locaux. Et ça je n'y crois guère : ce serait se priver des moyens financiers d'une politique d'investissement. En revanche, ce que je souhaite, c'est un projet de gauche qui affecte autrement le produit de l'impôt. Mais là, c'est Aurigny qui n'y croit pas, puisque son objectif, aussi honorable que le mien, est la révolution et pas la gestion.

Un dernier mot pour terminer, à propos cette fois de la fiscalité départementale, puisqu'il en a été beaucoup question hier : mon ADN s'y retrouve complètement. Quand il faut trouver de l'argent parce que l'Etat en donne moins et que la crise n'arrange rien, il faut bien augmenter les impôts (l'ADN libéral, lui, laisse le marché faire ce travail). Augmenter quel impôt ? Il y a l'impôt des propriétaires, la taxe foncière, et l'impôt des locataires, la taxe d'habitation. Le propriétaire a un bien, le locataire n'a rien : l'un est donc plus privilégié que l'autre ; c'est donc le premier qui doit voir sa taxe augmenter et le second la sienne diminuer.

C'est le choix du conseil général de l'Aisne, qui n'est sans doute pas sans défaut mais qui convient à mon ADN socialiste. Et qu'on ne me dise pas qu'il y a des locataires riches et des propriétaires pauvres ! L'exception ne fait pas la généralité. Pierre André me reprochera peut-être de ne pas avoir la compétence économique nécessaire au raisonnement, puisqu'il est intervenu hier en conseil municipal dans ce sens. Je le reconnais volontiers, mais nous sommes en démocratie, chaque citoyen essaie avec les moyens intellectuels qui sont les siens de se faire un point de vue personnel, poussé par ses intuitions, ses réflexions et ses gènes. A chacun son ADN.

lundi 5 décembre 2011

Dent pour dent.

Le conseil municipal de ce soir à Saint-Quentin a commencé, dans le brouhaha, par une rage de dent, celle d'Antonio Ribeiro, absent physiquement quoique bien présent dans le débat : au moment du vote du budget, il a été le seul élu de la majorité à s'abstenir, par pouvoir. La majorité a lancé des "reprenez-le" et l'opposition des "gardez-le". Ribeiro est devenu la patate chaude, servie par la gauche puis récupérée par la droite, et tous s'en brûlent aujourd'hui les doigts. C'est Xavier Bertrand qui conclut : Antonio Ribeiro a tenu "des propos inadmissibles dans la presse". Cette fois c'est sûr, le petit patron de la Gauche moderne va se faire engueuler.

A part ça, la séance a été marquée par le retour de Pierre André sur la scène municipale, d'abord en assumant les remarques de la Cour des comptes à propos de la gestion couvrant son mandat, puis en prenant longuement la défense du budget 2012, avec un appel solennel à l'adopter, ce qui lui a valu, chose rare en conseil municipal, les applaudissements de la majorité. Incontestablement, Pierre André ces derniers jours a retrouvé la pêche, allant jusqu'à lancer le départ de la grande bagarre des législatives.

C'est Michel Aurigny (POI) qui, pour l'opposition, a analysé dans le détail le budget pour justifier son rejet. Une bonne partie de sa démonstration a consisté à expliquer que la fiscalité locale n'avait pas plus augmenté sous la gauche que sous la droite (Xavier Bertrand affirme au contraire que seule la gauche a fortement augmenté les impôts, "parce que c'est dans son ADN"). Aurigny l'a fait à la façon lambertiste, précise, technique, mathématique. J'avoue que je n'ai pas tout compris. En revanche, sa conclusion purement politique était très claire : il faut diminuer les taux en les ramenant à la moyenne et augmenter les dotations d'Etat.

Ce qui était proprement stupéfiant dans ce conseil municipal consacré au budget primitif de la ville de Saint-Quentin, c'est qu'il a été surtout question de la fiscalité ... du conseil général de l'Aisne et du conseil régional de Picardie, vertement attaquées. Le chef de la majorité s'est comporté en opposant implacable. Anne Ferreira, dont le nom est rarement évoqué en ce genre d'endroit, en a pris cette fois pour son grade : Xavier Bertrand lui a reproché de défendre plus l'intérêt de son parti que l'intérêt de sa ville, allant jusqu'à faire remarquer les 51 petites voix qui se sont portées sur elle pour l'investiture. Conseil municipal ou campagne législative ? Pas de doute, c'est parti ! Bon courage à Anne, il lui en faudra car ça démarre très fort ...