vendredi 30 décembre 2011

Technologies cultes.

A l'heure du bilan annuel, on évoque les hommes, les événements et on oublie les objets, les techniques, alors que notre société en est très friande. Trois ont retenu mon attention en 2011 : la tablette tactile, le gyropode, la 3D.

Fini le smartphone pour frimer, le BlackBerry n'est plus l'apanage des gens aisés, des hommes de pouvoir ou qui veulent passer pour tels : les classes populaires s'en sont emparés, les ados ... Tripoter son mobile pendant une réunion ne suffit pas à se distinguer, à se faire remarquer, à laisser croire qu'on n'est pas n'importe qui. C'est désormais une vanité de plouc. Non, pour dominer, briller, c'est une tablette tactile qu'il faut, outil et sceptre à la fois, à quoi on reconnaît le personnage important, l'homme à forte responsabilité, qui à l'image de Napoléon fait plusieurs choses en même temps, travaille incessamment, a donc besoin d'une tablette tactile.

La tablette tactile est un instrument de roi : DSK à Pékin en avait une, tout comme Xavier Bertrand au conseil municipal de Saint-Quentin. Les simples élus en sont encore au smartphone pour vaincre l'ennui des séances. La tablette tactile est un corps qu'on caresse, des images qui apparaissent, une technologie très sensuelle, un appareil de séducteur, sophistiqué, bluffant. A côté, le smartphone est un jouet de gamin.

Le gyropode, c'est tout à fait autre chose, plus prolo, plus laborieux : ce sont de drôles de véhicules électriques, à deux roues, sur lesquels sont perchés des agents SNCF ou des policiers municipaux (j'en ai vus à Saint-Quentin), pour exercer leur métier. Les utilisateurs se penchent bizarrement pour faire avancer l'engin. L'objectif : aller vite sans se fatiguer (c'est la morale de notre société).

On peut faire l'hypothèse d'une extension prochaine du gyropode à d'autres corps de métiers où il y a nécessité à se déplacer. La généralisation à l'ensemble des citoyens pour des activités non professionnelles n'est pas à exclure : au lieu de marcher, ne serait-il pas plus économe en durée et en effort de filer en gyropode, plus facile et plus rapide ? L'efficacité, la rationalité, la performance vont dans ce sens. Nous allons peut-être vers la fin du piéton et l'hégémonie du gyropodeur. Les corps âgés y trouveront un soulagement.

La 3D a triomphé en 2011 au cinéma. Même Martin Scorsese l'a adoptée. Ce n'est pas une technologie de pouvoir (la tablette tactile) ou de travail (le gyropode) mais de divertissement, cependant en phase elle aussi avec l'esprit contemporain : en mettre plein la vue, abolir toute forme de distance, donner le sentiment qu'on participe au film. On soigne les apparences, on jubile aux prouesses techniques, le fond devient secondaire, tout le monde est ravi.

Ces trois technologies cultes de l'année 2011, qui seront sans doute détrônées par de nouvelles en 2012 (la logique de la technique est de toujours inventer, de ne jamais s'arrêter, d'où l'obsession actuelle pour la recherche et l'innovation), ont de forts points communs, aussi différentes soient-elles :

D'abord elles renvoient toutes les trois à un univers fantastique et merveilleux : la tablette tactile met la connaissance à portée de main, elle obéit au doigt (et à l'oeil), sa manipulation fait penser à l'ET de Spielberg pointant son index. Le gyropode nous donne des ailes, nous transforme en Eole. La 3D relève du conte de fée, du monde onirique, science-fiction ou bande-dessinée (un film un tant soit peu profond, grave est inimaginable en 3D).

Ensuite ces technologies bouleversent les rapports à notre corps, font de nous des sortes de mutants. La tablette tactile, mais aussi le clavier du téléphone et de l'ordinateur, développent la main. Le gyropode au contraire, mais déjà la voiture et l'escalier mécanique, neutralisent les jambes. La 3D aiguise la vue, exerce le regard. On nous prépare ainsi une société où l'on bougera de moins en moins par ses propres forces, où la vue et le toucher seront très sollicitées.

Enfin comment ne pas rapprocher ces hautes technologies du monde de l'enfance ? Aussi complexes soient-elles, elles renvoient à la naïveté, à la puérilité, au jeu. La tablette tactile fait penser à l'ardoise magique, le gyropode est une trottinette électrique, la 3D est un album en relief. La technologie avancée nous transforme en grands enfants, c'est sûrement son côté le plus sympathique.

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