mercredi 14 décembre 2011

Gentiment réac.

Des journaux américains fort sérieux qualifient de raciste le film français à succès "Intouchables". A première vue, c'est à n'y rien comprendre ! Chez nous, ce film passe plutôt pour antiraciste, favorable à la différence et à la solidarité. Qu'est-ce qui peut expliquer deux interprétations aussi opposées ? Le cinéma américain, dans sa lutte contre la discrimination, veille à donner aux minorités des rôles positifs, valorisants. "Intouchables", en faisant d'un blanc un aristocrate fortuné et d'un noir son factotum, ne peut susciter outre-atlantique que la réprobation.

Je réagis en français, pas en américain : je ne trouve donc pas "Intouchables" raciste. Mais gentiment réac, oui je crois. Tout film, même une comédie qui ne vise qu'au divertissement, est porteur d'une idéologie, volontairement ou pas. Surtout lorsqu'il devient un phénomène de société, un mouvement d'opinion. Il y a des films qui ont une saveur progressiste, d'autres un goût réactionnaire. "Intouchables" se range dans la seconde catégorie.

D'abord il aborde sur le mode du rire, de la légèreté, un sujet grave, ce qui est une façon de le dédramatiser, de le relativiser. Ce n'est pas dans les manières de la culture de gauche, qui joue au contraire plus volontiers du registre de l'indignation. Ensuite "Intouchables" file allégrement le cliché, riche blanc cultivé et jeune noir de banlieue. La réalité est bien sûr autrement plus complexe, plus contradictoire, moins caricaturale. La culture réactionnaire aime à ranger chacun dans des rôles convenus, à des places facilement repérables.

Et puis le film déborde de bons sentiments, laissant croire que l'émotion est finalement la grande solution à nos problèmes, dont celui de la discrimination. Pas de réflexion un peu dialectique, pas de revendication : le bien l'emporte au feeling. Enfin une morale sympatoche parcourt toute l'histoire (dont on se plaît à nous rappeler, dans la campagne de promotion, qu'elle est véridique, comme si sa mise en scène la rendait justement peu crédible). Elle nous dit que l'union des personnes de bonne volonté vient à bout des difficultés. Toute perspective de lutte collective est effacée. Le conflit est minoré ou rendu amusant.

Un film gentiment réac n'est pas inférieur à un film gentiment progressiste. Jean Yanne n'est pas moins bon que Jean-Pierre Mocky. "Intouchables" est plaisant et agréable à voir. Le reste est une question d'opinions personnelles. Ce qui est étonnant, c'est que le titre de ce film est une sorte de lapsus : "Intouchables" comme s'il devait échapper à la critique, être admis par tous, forcément bien. J'ai essayé de faire mentir ce lapsus, de toucher "Intouchables".

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