vendredi 16 décembre 2011

Balligand, fin et suite.

Pour la Thiérache, pour l'Aisne, pour les socialistes c'est un événement politique, presque une tempête, autrement plus puissante que celle qui souffle en ce moment sur la France : Jean-Pierre Balligand s'en va, ne se représentera pas aux élections législatives, après trente ans de bons et loyaux services ! C'est à peine croyable : certes Jean-Pierre ne s'était pas porté candidat devant ses camarades, mais j'y voyais une forme de coquetterie coutumière en politique, le retrait pour mieux susciter le désir, peut-être une tactique pour dérouter d'éventuels rivaux.

Non, rien de tout ça : Balou tout simplement arrête, pose son sac, pense à autre chose. L'âge n'y est pour rien : "La vie commence à 60 ans" chantait Tino Rossi, qui n'était pas thiérachien ; Balligand en a 61, un jeune homme en politique ! René Dosière en a dix de plus et n'hésite pas à repartir au combat. Ce soir, une page de la vie politique axonaise se tourne et me rend un peu triste. Le seul qui doit être vraiment content, qui va peut-être s'endormir avec des rêves dans la tête, c'est Frédéric Meura.

Balligand ! Le nom colle à l'homme : un géant, un chêne, un rocher c'est à quoi j'ai pensé quand je l'ai vu pour la première fois il y a treize ans. Un costaud aux allures d'ours, se déplaçant dans une sorte de balancement des épaules, assez lentement : une bête oui, mais une bête politique, qui épate le socialiste saint-quentinois que je suis, habitué aux défaites à répétitions alors que le Thiérachien gagne sans discontinuer depuis 1981. Et puis, c'est un homme qui a quelque chose à dire, des réflexions et des propositions personnelles, une envergure nationale. Ce n'est pas si fréquent parmi les élus.

Balligand c'est un modèle, presque une icône : sa circonscription n'est pas spontanément de gauche, son monde rural n'est pas le plus facile à séduire pour un socialiste, mais Jean-Pierre en a fait un fief, un bastion du PS. Les séismes nationaux ne l'atteignent pas : en 1993, nos élus et candidats tombent comme des mouches, Balligand reste l'aigle de Thiérache. Au Moyen Âge, il aurait été seigneur ; au XIXème siècle, maréchal d'empire. J'aurais aimé qu'il devienne président de la région Picardie : c'était possible, souhaitable, ça ne s'est pas fait mais c'est souvent comme ça en politique.

Attention : si Jean-Pierre Balligand est mon modèle, ce n'est pas mon idole. Je n'est pas le tempérament idolâtre. Au début des années 2000, je me retrouvais sur sa ligne politique, contre le NPS et Nouveau Monde (ne cherchez plus ce que ces appellations signifient, elles n'existent plus, tout change sans cesse au parti socialiste). A l'époque, JPB était strauss-kahnien et invitait DSK à Guise. Nos chemins se sont séparés en 2005, lui rejoignant Fabius et les partisans du non au traité constitutionnel européen, moi continuant avec Strauss, Dosière et les partisans du oui. Je n'ai pas compris. Tout change en politique mais moi je ne change pas. On s'est retrouvé au congrès de Reims, en soutenant ensemble Aubry, puis lors des primaires citoyennes en rejoignant tous les deux Hollande.

Quoi qu'il en soit, Jean-Pierre Balligand termine sa vie de député en nous donnant une belle leçon de politique : oui on peut décrocher de cette drogue dure, oui on peut passer à autre chose, non un mandat ne doit pas trop durer, même si on est plébiscité par ses camarades et par ses électeurs. La décision de Balligand est d'autant plus admirable qu'il aurait pu continuer, se faire une fois de plus facilement réélire. Rien de sérieux ne le menaçait. Renoncer au pouvoir, c'est très rare quand on est un homme de pouvoir, où la tendance est forte d'accumuler fonctions, postes et responsabilités. L'opinion appréciera, qui ne supporte plus le cumul des mandats, en nombre et en durée.

Jean-Pierre Balligand a un héritage. Mais a-t-il un héritier, nommément désigné ? Non et c'est très bien ainsi, j'applaudis. Les socialistes qui pensent qu'un élu doit préparer sa succession en adoubant un dauphin sont de drôles de socialistes, tendance monarchiste : en République, un mandat n'est pas un blason à transmettre. Je n'aime pas les dynasties, même non héréditaires, même de gauche. C'est le parti qui décidera de la suite, par le choix de ses adhérents. Qui sera le futur candidat, le nouveau député de Thiérache ? Des noms courent, laissons-les courir, l'avenir finira par en rattraper un, très vite.

Jean-Pierre Balligand ne sera plus député. C'est la fin, mais qui connaît la suite ? Sa vie politique continue, peut-être va-t-elle renaître ? Pour conjurer ce soir la mélancolie de ce départ, je me paie un petit délire personnel : et si Balou nous jouait un coup à la Columbo, une fausse sortie en attendant un retour fracassant ? Sacré Balligand, il en serait bien capable, mais dans ma tête seulement ... Il n'y a pas que Meura qui rêve depuis hier.

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