mardi 6 décembre 2011

A chacun son ADN.

Lors de la séance du conseil municipal d'hier soir à Saint-Quentin consacrée au budget, son maire Xavier Bertrand a repris une expression qui lui est cher : "L'ADN de la gauche", qui consisterait selon lui à augmenter les impôts. Je n'aime pas trop les métaphores biologiques : la gauche est un état d'esprit, pas une structure génétique. Mais je suis prêt à assumer l'image : oui la gauche aime l'impôt, c'est en effet dans son ADN.

Et comme nous sommes dans la biologie, poursuivons : l'ADN est un programme ; on ne comprend les gènes que si on sait à quoi ils sont destinés. Augmenter les impôts oui, mais dans quel but ? La redistribution, la justice sociale, la réduction des inégalités. Alors oui, mille fois oui l'augmentation des impôts est dans l'ADN de la gauche. C'est ce qu'on appelle aussi le socialisme et c'est ce qui n'a pas trop mal fonctionné tout au long du XXème siècle dans les pays sociaux-démocrates européens, où une forte imposition fiscale a permis une meilleure égalité entre les citoyens en développant les services publics et le bien-être général.

Et l'ADN de la droite, quel est-il ? Tout simplement l'inverse de celui de la gauche : diminuer l'impôt. C'est la revendication constante du courant libéral : moins d'impôts, encore moins d'impôts, toujours moins d'impôts. Je sais bien que Xavier Bertrand n'est pas un pur libéral à la Madelin, comme moi je ne suis pas un pur socialiste à la Mélenchon. Je le qualifierais de social-libéral tout comme je me définis comme social-démocrate. Mais la distinction suffit à nous opposer politiquement : lui croit plus volontiers au marché et à l'entreprise, moi plus volontiers à l'Etat et aux services publics. Conclusion : nous n'avons pas les mêmes gènes. Les siens sont allergiques à l'impôt, les miens sont compatibles.

Revenons au conseil municipal d'hier soir : ce qui m'a surpris, c'est que le débat a tourné autour de la fiscalité, comme si le budget se réduisait à cet aspect. L'impôt n'a aucun sens en soi. Personne n'est heureux de laisser une part de son salaire à l'Etat ou aux collectivités, moi le premier. Mais toute la signification de l'impôt est dans sa finalité : qu'est-ce qu'on fait de notre argent ? A défaut de répondre à cette question, le débat est tronqué.

Que la majorité et l'opposition se rejettent, comme elles l'ont fait, la responsabilité de la hausse des impôts locaux, en remontant plus de trente ans en arrière, ça ne m'intéresse absolument pas, ce sont des échanges stériles ou des controverses de techniciens. Ce que je veux savoir, et je crois que la plupart des Saint-Quentinois réagissent comme moi, c'est où vont mes sous, à quoi servent-ils ?

C'est pourquoi j'ai vivement regretté que la séance ne porte pas beaucoup plus sur les projets (ceux-ci ont été évoqués, sans cependant susciter un véritable débat). Or un budget ne se juge qu'au vu de son aboutissement et non pas de sa source fiscale, du moins quand on a comme moi le gène de l'impôt. Je ne veux pas chercher de noises à Xavier Bertrand : dans son genre social-libéral, je suis certain qu'il est très compétent et qu'on ne peut rien lui reprocher. Mais dans mon genre social-démocrate (ou socialiste, c'est la même chose), je souhaite, y compris à Saint-Quentin, une démarche, une cohérence, un projet qui soient différents.

Qui a raison de nous deux ? Ni lui ni moi, ou les deux à la fois si vous voulez : chacun est dans sa logique, aussi respectables l'une que l'autre (il n'y a que les logiques antirépublicaines que je ne respecte pas). En démocratie, c'est le peuple et lui seul qui dit la vérité : nous sommes ses serviteurs, pas ses guides. A Saint-Quentin, j'espère qu'un jour, pas trop tard, la population décidera que la vérité (c'est à dire l'intérêt général) est à gauche. Et la venue de ce jour dépendra de la gauche.

Hier soir, la critique du budget a été essentiellement menée par Michel Aurigny, dans une analyse fine, fouillée, exhaustive mais sous l'angle principalement fiscal, et par de longs retours, parfois politiquement peu parlants, sur le passé. Sa conclusion a pu paraître surprenante : diminuer les taux, donc les impôts locaux, puisqu'ils sont "historiquement hauts". Surprenant en apparence puisqu'une telle revendication est dans l'ADN libéral, et sûrement pas dans celle d'un représentant du parti ouvrier indépendant, trotskiste lambertiste ! Aurions-nous affaire à ce type de mutations génétiques qui engendrent des monstres ?

J'ai trop de respect pour tous les courants d'idées pour me permettre un tel jugement désobligeant. Non, Michel Aurigny a simplement son ADN bien à lui, ni social-libéral comme Xavier Bertrand, ni social-démocrate comme moi : son système génétique est celui du marxisme orthodoxe (j'emploie l'adjectif au sens propre et non péjoratif : un marxisme rigoureux, chimiquement pur, à l'état originel). Son programme n'est pas de réformer la société à la façon des socialistes mais de changer radicalement de société, d'instaurer le communisme.

Dans cet objectif, il ne cherche pas à gérer localement ni nationalement (pas de ministres, pas de maires de grandes villes lambertistes) mais à préparer les conditions de la révolution. C'est ce que Karl Marx appelait un travail de taupe (à son époque, les métaphores étaient animalières plus que biologiques) : saper les fondements du capitalisme en faisant ressortir ses contradictions afin d'entraîner son effondrement. Même à Saint-Quentin ? Mais oui ! Un lambertiste est un moine-soldat de la révolution, qui agit au quotidien, qui se concentre sur les détails. Ce n'est pas un révolutionnaire romantique mais méthodique. Je n'invente rien : lisez Pierre Lambert ou Informations ouvrières.

Toutes ces considérations ne sont pas théoriques : elles éclairent parfaitement l'intervention savante et structurée de Michel Aurigny sur le budget. Mon ex-collègue ne propose pas une alternative à la politique de Xavier Bertrand, non par défaut d'imagination, encore moins par manque de réflexion, mais parce que son objectif est tout autre : démontrer mathématiquement qu'un libéral, adversaire de l'impôt dans le discours, se contredit dans les faits puisqu'il ne réduit pas les impôts pourtant "historiquement hauts". D'où sa satisfaction : "la baudruche s'est dégonflée", dixit Aurigny à la fin de son intervention. "Bien creusé, vieille taupe", c'est la mission que Marx attribuait au révolutionnaire communiste et ça revient au même.

Mon problème, c'est que mon ADN social-démocrate n'a pas plus d'atomes crochus avec l'ADN libéral qu'avec l'ADN révolutionnaire. Car si le conseiller municipal d'opposition allait jusqu'au bout de sa logique, il proposerait pour les élections municipales de 2014 de baisser les impôts locaux. Et ça je n'y crois guère : ce serait se priver des moyens financiers d'une politique d'investissement. En revanche, ce que je souhaite, c'est un projet de gauche qui affecte autrement le produit de l'impôt. Mais là, c'est Aurigny qui n'y croit pas, puisque son objectif, aussi honorable que le mien, est la révolution et pas la gestion.

Un dernier mot pour terminer, à propos cette fois de la fiscalité départementale, puisqu'il en a été beaucoup question hier : mon ADN s'y retrouve complètement. Quand il faut trouver de l'argent parce que l'Etat en donne moins et que la crise n'arrange rien, il faut bien augmenter les impôts (l'ADN libéral, lui, laisse le marché faire ce travail). Augmenter quel impôt ? Il y a l'impôt des propriétaires, la taxe foncière, et l'impôt des locataires, la taxe d'habitation. Le propriétaire a un bien, le locataire n'a rien : l'un est donc plus privilégié que l'autre ; c'est donc le premier qui doit voir sa taxe augmenter et le second la sienne diminuer.

C'est le choix du conseil général de l'Aisne, qui n'est sans doute pas sans défaut mais qui convient à mon ADN socialiste. Et qu'on ne me dise pas qu'il y a des locataires riches et des propriétaires pauvres ! L'exception ne fait pas la généralité. Pierre André me reprochera peut-être de ne pas avoir la compétence économique nécessaire au raisonnement, puisqu'il est intervenu hier en conseil municipal dans ce sens. Je le reconnais volontiers, mais nous sommes en démocratie, chaque citoyen essaie avec les moyens intellectuels qui sont les siens de se faire un point de vue personnel, poussé par ses intuitions, ses réflexions et ses gènes. A chacun son ADN.

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