jeudi 15 décembre 2011

Leçon de parachutisme.

Il y a des mots qui ne font pas partie de mon vocabulaire personnel, que je n'emploie jamais, par exemple "parachutage" dans son sens politique. C'est la possible venue de Jack Lang en Picardie, à Amiens, pour les prochaines élections législatives, à la place de mon copain Borgel, qui me conduit à cette réflexion. La métaphore du "parachuté" est inexacte (il faut toujours utiliser avec précaution les métaphores) : elle appartient au domaine militaire, je la trouve inadaptée à qualifier une candidature qui n'est pas du cru. Surtout, elle se veut péjorative et là je ne suis plus du tout d'accord : le parachutage politique ne me dérange absolument pas, malgré l'ironie ou la désapprobation qu'il suscite.

Remarquons que l'usage fréquent de cette métaphore et sa critique sont relativement récentes. Il y a quelques décennies, pas si lointaines, le parachutage n'émouvait pas ou beaucoup moins. Au contraire, la population était flattée de voir une personnalité s'intéresser à elle, briguer la circonscription ou la mairie. Et puis l'électeur en espérait un gain en matière d'emploi, de subvention et de notoriété. Un monsieur venu de Paris et passant à la télé, qui s'installait dans l'ingrate province, ce n'était pas un parachuté mais une aubaine, presque un miracle. Plus aujourd'hui.

Au nom de quoi ? D'un localisme idiot, d'un esprit de clocher, de ces "imbéciles heureux qui sont nés quelque part" brocardés par Georges Brassens. La gauche, normalement internationaliste, ne devrait pas céder à ce particularisme qui postule qu'un bon candidat doit naître, vivre, travailler et habiter là où il se présente (et pourquoi pas s'engager à mourir et à être enterré dans sa terre d'élection ?). Quant à la connaissance du terrain, elle n'est pas mieux garantie chez un indigène que chez un parachuté. L'homme politique efficace apprend vite et la buse ne donne rien, tout issue du terroir qu'elle est.

Mais l'argument le plus puissant est encore ailleurs : il relève du principe républicain. La République est une et indivisible. Elle n'est pas une mosaïque de territoires, elle s'oppose au féodalisme. Les circonscriptions évidemment existent, par nécessité administrative, par procédure électorale. Mais elles n'ont aucune réalité politique. Un parlementaire ne représente pas un bout de terre ou de population mais le peuple français dans sa totalité. Et quand cela n'est pas, c'est une erreur, une déviance, une imperfection qu'il n'est pas recommandé de suivre, qui n'a pas valeur d'exemple.

Vive le parachutisme donc, mais à trois conditions : d'abord un parachutage ne doit pas être imposé mais demandé, si l'on veut que le parachute s'ouvre correctement (c'est ce qui s'est passé en 1997 à Saint-Quentin, où la section socialiste souhaitait une candidature extérieure). J'y vois bien un inconvénient : cette demande prouve qu'on n'a en son sein personne de valable. Mais si c'est la vérité, autant l'admettre et en tirer les conséquences.

Ensuite le vote des adhérents est indispensable. Un candidat parachuté doit commencer par convaincre ceux qui vont militer pour lui, sinon il n'arrivera pas à convaincre ses électeurs. Enfin le parachutage, même politique, est un sport qui ne se juge pas au départ mais à l'arrivée, à l'instant de l'atterrissage, sa phase la plus délicate, la plus difficile. C'est dans la durée de son mandat que le parachuté prouve ou non sa réussite. Un parachutage n'a lieu qu'une fois : après, c'est à l'élu de s'enraciner, de se faire adopter et réélire.

Le must du parachutage politique, hélas extrêmement rare, c'est le largage au dessus d'un bastion imprenable, en territoire ennemi, avec la DCA qui canarde pendant la descente et le terrain truffé de mines qui vous attend au sol. Là oui, le parachutage politique prend tout son sens guerrier, la métaphore devient légitime. Dommage que les hommes politiques soient si peu à le pratiquer dans de telles conditions.

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