samedi 31 décembre 2011

Philosophie du renoncement.

En ces dernières heures de l'année, je pense à ce qui reste pour moi un mystère : le renoncement de Jean-Pierre Balligand à se représenter à la députation. Sa décision est politiquement contre-nature, presque monstrueuse : on a rarement vu un homme de pouvoir refuser le pouvoir, d'autant que Jean-Pierre était quasiment certain de se faire réélire. Ni l'âge, ni la santé, pour ce que j'en sais, ne justifient cet incompréhensible retrait. La lassitude ? Non, quand on s'appelle Balligand, on n'est pas las de politique.

Qu'on ne me dise pas non plus que Jean-Pierre Balligand n'a que faussement quitté la politique, qu'il demeure maire, conseiller général, président de ci et responsable de ça. Non, rien à voir avec le titre prestigieux en République de parlementaire : Balligand hors de l'Assemblée nationale ne fréquentera plus le coeur du pouvoir, ne croisera plus fréquemment les membres du gouvernement, ne pèsera plus dans les grands débats nationaux qui animent l'hémicycle.

Je n'ai pas, dans l'Aisne, d'exemple comparable, du moins aussi spectaculaire. Je ne connais que le conseiller général de Vic-sur-Aisne, Alain Sautillet, qui n'ait pas renouvelé son mandat alors que rien ne l'en empêchait. Mon expérience me fait constater que le pouvoir appelle le pouvoir, et pas sa vacance. Certains en jouissent même âgés, même malades, le pouvoir jusqu'à la lie, jusqu'à la civière. Mais c'est peut-être le devoir poussé à l'extrême, une admirable ascèse ...

Le plus étonnant qu'il m'ait été donné d'observer, c'est la lutte pour des places non éligibles ou dans des combats sans espoir, perdus d'avance. Comme si l'essentiel était de participer et pas de gagner, un peu comme dans le sport. C'est ce qui fait que la politique n'est jamais en manque de candidats, même lorsqu'il s'agit de kamikazes ou de figurants. Nous ne sommes pas loin d'une forme d'absurdité, en tout cas d'une pulsion irrationnelle que je ne retrouve pas ailleurs que dans l'activité politique.

Allez savoir si Jean-Pierre Balligand n'a pas fini par saisir dans toute son acuité cette dimension dérisoire, vaine, parfois mesquine de l'ambition politique, qui n'est belle que dans son idéal. Il reste à mon camarade encore beaucoup d'années à vivre, sans doute sous un autre soleil que celui, pâlichon, faiblard de la politique. La vraie vie est ailleurs. A tel point que je me demande, à quelques heures de la nouvelle année, si je ne devrais pas à mon tour m'inspirer de cette sagesse, devenir aussi philosophe que le philosophe Balligand.

Quand je vois les tonnes de lectures qui m'attendent, quand je constate les demandes croissantes d'animations philosophiques qui me parviennent, quand je mesure le travail que va représenter le deuxième volume de mon livre (et d'autres certainement qui suivront, dans d'autres domaines), je me dis qu'il est fou de continuer à avoir des prétentions politiques, surtout en restant à Saint-Quentin. Le fait que je défende une ligne politique pertinente, que les événements me donnent au fur et à mesure raison, que la situation parle pour moi ne sont pas des justifications valables et suffisantes. Il faudrait avoir le courage de renoncer, ne pas assimiler cet abandon à une lâcheté : ce n'est pas facile alors que c'est pourtant si simple. Il y a de l'orgueil à s'obstiner, sous couvert de ténacité et de persévérance.

Si la décision de Jean-Pierre Balligand m'incline à ces réflexions, j'en vois aussi la limite, car comparaison n'est pas nécessairement raison : Jean-Pierre part, mais en pleine gloire, fier de tout un héritage, avec un passé à son actif, trente ans de fidélité à sa circonscription. C'est un départ la tête haute, contraint par aucune défaite ni même risque de défaite. Dans mon cas, il faudrait peut-être que je fasse de nécessité vertu, que j'admette que la force des choses ne porte pas atteinte à l'honneur, que de toute façon personne à gauche pour l'instant ne fait mieux que moi. Faire en sorte de vouloir ce qui nous est imposé par les événements, c'est aussi la leçon du stoïcisme, philosophie du renoncement. Puisque qu'approche le moment des bonnes résolutions, je dois me résoudre à ce genre de pensée. L'exemple de Balligand m'y aide un peu.

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