dimanche 31 mai 2015

Sarkozy ne change pas Sarkozy



Le week-end a été important pour un homme de droite. Pour un homme de gauche aussi, puisque les adversaires sont autant préoccupés à se connaitre qu'à se combattre. La droite a changé de nom, mais pas de visages : tous ceux qui se sont succédés à la tribune nous sont familiers, souvent depuis longtemps. Quant à l'appellation, c'est dans la tradition de la droite, gaulliste ou libérale, d'en changer régulièrement : six fois depuis la Libération, alors que dans le même temps les socialistes n'ont changé qu'une fois. Ce constat est paradoxal mais pas anodin : le parti de l'ordre et de la continuité est instable dans ses désignations, comme s'il avait du mal à se définir. C'est que sa dimension électoraliste est forte, et que la variété des étiquettes doit rendre plus alléchant le produit. A gauche, la dimension idéologique est plus forte (le PCF, qui fêtera dans quelques années son 100e anniversaire, n'a jamais modifié son nom). Quant à la petite querelle sur la récupération du terme "Républicains", elle m'a paru secondaire et vaine : chacun s'appelle comme il veut, les mots ne sont la propriété de personne et l'électorat n'est jamais dupe (Les Républicains, c'est la droite anciennement gaulliste, c'est le parti qu'on appelle conservateur dans les autres pays européens, point).

Il a été question d'un discours fondateur ou refondateur, à propos de l'intervention du président du nouveau Les Républicains. Je l'ai plutôt entendue comme un discours continuateur : Nicolas Sarkozy a repris ses grands thèmes, il s'en est pris très classiquement aux socialistes. Qui pourrait citer une seule idée nouvelle et forte dans ses propos ? Personne ! C'est la différence notable avec les précédentes reformulations de la droite, qui correspondaient toutes à un tournant politique : le RPF, c'est le gaullisme d'opposition ; l'UNR, c'est le gaullisme fondateur d'une nouvelle République ; l'UDR, c'est le gaullisme de gouvernement ; le RPF, c'est le travaillisme à la française ; l'UMP, c'est l'union des gaullistes avec le centre. Mais Les Républicains, c'est quoi ? Sarkozy, le retour, la confirmation et la mise sur orbite présidentielle de Sarkozy, tel qu'en lui-même le temps ne l'a pas changé.

Bien sûr, il y a un culte et une culture du chef, à droite, qu'on retrouve beaucoup moins à gauche. Autrefois, le parti gaulliste a eu De Gaulle, puis Chirac ; aujourd'hui, c'est rebelote avec Sarkozy. C'est assez incroyable : cet homme battu, qu'on aurait pu croire fini, qui avait annoncé son départ, revient comme si de rien n'était et est prêt à rejouer le film, en se réservant le premier rôle. Aucune autre démocratie occidentale n'oserait imaginer un tel scénario : quand le peuple tourne la page, l'homme politique n'insiste pas. La droite change de nom, mais Nicolas Sarkozy ne change pas d'ambition : redevenir ce qu'il a été. C'est assez étrange : l'ambition se donne des défis nouveaux, part à la conquête de cimes inexplorées. Viser un poste qu'on a déjà occupé, est-ce encore une ambition ? Mais il y a bien un défi : un président battu qui veut redevenir président, ça ne s'est jamais vu, c'est gonflé.

En politique, on n'est jamais si mal servi que par les siens : les militants, qui n'en manquent pas une, ont hué devant les caméras Fillon et Juppé, ce qui était du plus mauvais effet médiatique et politique. Les deux victimes ont dû être satisfaites, pouvant tirer tout leur profit de l'incident. Finalement, le seul petit intérêt de ce congrès, pour un observateur de gauche, aura été celui-là.

samedi 30 mai 2015

Vers l'alliance populaire



Jean-Christophe Cambadélis a réservé sa première intervention politique, après son élection à la tête du Parti socialiste, au journal Le Monde. L'entretien ne porte pas essentiellement sur la ligne idéologique : elle est social-démocrate et forcément pro-gouvernementale. Non, l'intérêt est ailleurs, dans quelque chose de plus fondamental, que Cambadélis maîtrise très bien, en ancien lambertiste (voir le billet d'hier) : l'organisation et les alliances. Il sait, depuis longtemps, que le parti ne peut pas rester en l'état, c'est-à-dire en quasi coma. Il veut le transformer en l'ouvrant : "dépasser le PS et les partis pour en faire une grande alliance populaire". C'est le modèle classique du "parti" qui est remis en question.

Pour "construire un mouvement progressiste assez large", il faut évidemment s'élargir aux autres partis de gauche et de centre-gauche. Mais jusqu'où ? C'est là où, mine de rien, Jean-Christophe Cambadélis reprend une tentation ancienne et brise un tabou. Car à la question de savoir si les centristes seront concernés par cette "alliance populaire", le patron du PS répond : "si certains s'y trouvent bien, je ne vais pas les repousser à coup de pied". C'est encore assez timide, mais on y va petit à petit.

Concrètement, la mise en place de cette nouvelle formation commencera à la fin août, dès la prochaine université d'été de La Rochelle, qui ne se tiendra plus sous la seule responsabilité du Parti socialiste, mais co-organisée avec d'autres partis de gauche. A la rentrée de septembre, des collectifs départementaux se réuniront, eux aussi constitués par les forces progressistes qui le souhaiteront. Ce ne sera évidemment pas facile, il faudra une forte volonté politique, qui ne pourra venir que des socialistes, initiateurs du projet. Nous verrons bien comment l'idée évoluera dans chaque département, avec une attention particulière pour le nôtre, l'Aisne, où la mobilisation de toute la gauche face au Front national est urgente.

En ce week-end, l'UMP change de nom. Mais le véritable changement, c'est au PS qu'il est en train de se préparer, pas dans le nom mais dans les structures. C'est une révolution silencieuse que masquait jusqu'à présent le conflit entre la majorité gouvernementale et les frondeurs. Les votes ayant mis un terme à la querelle, place maintenant au travail de fond, vers la constitution d'une alliance populaire.

vendredi 29 mai 2015

Camba 1er, lamberto-socialiste



Jean-Christophe Cambadélis a été hier soir élu premier secrétaire du Parti socialiste, par l'ensemble des adhérents (auparavant, il avait été simplement désigné par les instances nationales, parce qu'il fallait bien remplacer Harlem Désir au plus vite). Camba, quel parcours ! En 1986, ce n'est encore qu'un militant trotskiste, alors que la gauche a déjà connu ses heures de gloire (la victoire de 1981) et ses métamorphoses irréversibles (le tournant de la rigueur en 1983). C'est le moment où il choisit d'adhérer au PS, avec quelques centaines de ses camarades, tous lambertistes, une version hard du trotskisme. Pourquoi lui, pourquoi là ? Allez savoir ce qui se passe dans la tête d'un lambertiste !

Camba, je l'ai personnellement connu en deux temps : de 1995 à 1998, où nous sommes tous les deux membres de la même section, celle du XIXe arrondissement de Paris. Christophe Borgel, qui s'occupe aujourd'hui des fédérations à la direction du parti, est déjà à ses côtés, son plus proche. En 1997, je fais la campagne législative de Cambadélis, qui est le député sortant (il est monté très vite dans l'appareil, parce que c'est un pur homme d'appareil, désormais à son sommet, comme c'est logique). Je le retrouve dans les années 2000, au sein du courant strauss-kahnien : l'ancien trotskiste devenu lieutenant du futur patron du FMI, ça ne manque pas de sel !

Camba, ce n'est pas un type particulièrement sympa. Mais est-ce qu'on vous demande d'être sympa en politique ? Comme partout, il faut surtout être efficace. De ce côté-là, Camba n'est pas un manchot. Sa spécialité ? Les alliances impossibles. Son secret ? L'école lambertiste, la meilleure formation en matière de tactique, et le syndicalisme étudiant pour les travaux pratiques. Camba, ce sont des yeux qui se plissent et une voix grave : le gars qui comprend tout avant tout le monde et qui dit à chacun ce qu'il a envie d'entendre. Quand le Grec se met à sourire, ce qui n'est pas vraiment sa spécialité, c'est que vous êtes perdu.

Le lambertisme est un bon produit à l'importation pour le PS, éprouvé depuis longtemps à FO. Premier fait d'armes de Camba : il est l'inventeur de la gauche plurielle en 1997, il ramène les communistes dans le sillage des socialistes, alors que le PS, depuis plus de 10 ans, s'était converti à la politique de rigueur. A la fin des années 2000, nouveau coup politique de Cambadélis, en interne : il scelle la réconciliation entre fabiusiens, strauss-kahniens et rocardiens, qui se détestaient cordialement, les bombarde "reconstructeurs" et va chercher Martine Aubry comme dénominateur commun. Lors du présent congrès, il ramène Martine dans le camp majoritaire, alors que tout la destinait à prendre la tête des frondeurs. Un type qui est capable de ça a de l'or dans les mains et devient forcément le patron.

Une blague court depuis longtemps Solférino sur Cambadélis : "c'est le gars qui, pour vous unir, vous rassemble dans une salle, ferme la porte et garde la clé". Au bureau national, il a gardé la bonne vieille méthode de Mitterrand : laisser les chefs de courant parler et s'écouter eux-mêmes, faire autre chose pendant ce temps-là (Mitterrand en profitait pour rédiger des cartes postales, les militants aiment bien ça) et conclure comme on a commencé, sans rien changer, mais tout le monde est content d'avoir pu démocratiquement s'exprimer.

Dans L'Obs du 13 mai, Jean-Christophe Cambadélis se lâche, ce qui n'est pas son genre. Il donne son accord pour un congrès en mai, parce que c'est le mois des vacances et des jours fériés, que les minoritaires auront donc plus de mal à mobiliser. Il fallait y penser ! Quant à la rédaction de sa motion, c'est du cousu main : de Collomb à Aubry, tout le monde peut s'y reconnaitre, la tournure des phrases est un modèle en la matière. En politique, il suffit d'entendre les mots qui plaisent à l'oreille et le tour est joué. Camba le sait plus que n'importe qui, il excelle dans l'exercice. Un lambertiste peut faire signer n'importe quoi à n'importe qui, on l'a vu à Saint-Quentin en 2008.

J'ai confiance en Jean-Christophe Cambadélis, nouveau secrétaire général : le parti est mal en point, il va le remettre au travail. Les lambertistes, anciens ou actuels, sont des bosseurs. Camba va faire se bouger des sections ou des fédérations souvent amorphes, aux activités réduites aux obligations statutaires et administratives. Le sommet ne sera pas épargné : "les permanents ne sont pas au maximum de leur capacité de travail", "la production des secrétaires nationaux se réduit souvent aux communiqués de presse", c'est du Camba dans le texte ! Car le pire ennemi du PS, ce n'est pas la défaite, c'est la fainéantise.

jeudi 28 mai 2015

Yes or no, oui ou non



David Cameron, qui vient récemment d'être réélu en Grande-Bretagne, est un habile politique. En proposant un référendum sur le maintien de son pays dans l'Union européenne, il répond aux attentes de son peuple, qu'il met devant ses responsabilités. Il est bien beau de critiquer l'Europe, tout d'ailleurs est critiquable. Mais il y a un moment où il faut assumer, faire des choix, aller au bout de ce qu'on pense et de ce qu'on croit vouloir : oui ou non, les Anglais veulent-ils continuer de participer à la construction européenne, ou bien s'en détacher et vivre leur propre vie, de leur côté ? Habile politique aussi, parce que Cameron en profite pour s'adresser aux Européens, faire pression sur eux, exercer un petit chantage : nous restons, à condition que vous changiez. Et pour le libéral Cameron, l'Europe est trop socialiste, elle doit devenir plus libérale.

Au moins, les choses sont claires. L'initiative de Cameron a le mérite, involontaire, de la pédagogie : L'Union européenne, contrairement à ce que prétendent les anti-européens, n'est pas la prison des peuples ; ses institutions ne surplombent pas les nations, ne leur imposent rien que celles-ci au préalable n'aient accepté. Les Anglais veulent partir ? Qu'ils partent, si tel est leur choix, même si je ne le souhaite pas. Mais au moins la situation aura été clarifiée. La surprise n'est pas totale : les Anglais, à la différence des Français et des Allemands, n'ont jamais été fondamentalement européens. Culturellement, historiquement et géographiquement, ils sont tournés vers l'Amérique. Tant mieux pour eux. Mais qu'ils ne comptent pas sur nous pour déconstruire l'Europe, la réduire à une zone de libre-échange, revenir sur les transferts de souveraineté. Je suis bien sûr pour une Europe fédérale et socialiste.

Parce que l'Europe est démocratique, qu'elle impose rien à ses Etats-membres, je suis favorable à ce que les Français, comme les Anglais, soient mis au pied du mur, qu'à leur tour ils disent clairement oui ou non à l'Europe. Car nous aussi, si nous le voulons, nous pouvons rompre avec l'Union. Politiquement, ce référendum serait le bienvenu. Jusqu'à présent, nous défendons l'Europe par ses causes (la paix, l'unité) : il faudrait aborder la question européenne par ses conséquences, dans la perspective de la rupture. Les forces politiques seraient amenées à se déterminer précisément, à cesser toute ambiguïté ou hypocrisie sur l'Europe : les soi-disant eurosceptiques de droite et les partisans de gauche d'une prétendue autre Europe seraient bien obligés de se prononcer sur l'Europe telle qu'elle existe (parce qu'on ne fait pas de politique sur des ressentiments ou des rêves).

Le référendum de 2005 sur le traité constitutionnel européen a donné lieu à l'un des débats les plus équivoques et les plus malhonnêtes auxquels j'ai pu assister dans la vie politique. La seule vraie question européenne, c'est celle du malin Cameron : l'Europe, on y reste ou on en sort. Tant que le peuple français ne se sera pas prononcé là-dessus, le débat sera pipé, l'avenir de l'Europe incertain. En être sans en être, c'est-à-dire faire semblant, c'est la pire des positions en politique. Les pseudo-européens sont nombreux ; il faut les faire sortir du bois. Après, la France pourra suivre son destin, égoïstement national ou généreusement européen.

mercredi 27 mai 2015

Retour au Panthéon



C'est l'un de mes monuments de Paris, et même de toute la France, préférés. Quand je remonte la rue Soufflot pour m'y rendre, je fais parfois des rencontres inattendues, qui n'ont rien à voir avec les morts, mais avec les vivants (voir mon billet du 8 mai : J'aime Paris au mois de Mai). Régulièrement, je fais visiter à des groupes le Panthéon, à travers une déambulation historique, esthétique et philosophique. Cet après-midi, François Hollande va y accueillir solennellement quatre grands Résistants.

La gauche et le Panthéon sont intimement liés. La droite bien sûr peut y célébrer, mais c'est toute de même plutôt la famille et la tradition de l'autre camp. La Réaction et l'Eglise n'ont jamais vu d'un très bon oeil cet ancien édifice religieux transformé en temple laïque de la République et de ses Grands Hommes. Tout au long du XIXe siècle, droite et gauche, monarchistes et républicains se sont disputés le bâtiment, dans lequel cohabitent aujourd'hui plusieurs traditions, dans un ensemble assez baroque.

Le Panthéon, beaucoup d'entre nous l'ont découvert ou redécouvert en 1981, lorsqu'un autre socialiste, un autre François s'y est fait littéralement couronner. Même en République, l'élection ne suffit pas : il faut le sacre. C'est bien joli d'être mandaté par le peuple, mais il faut aussi recevoir l'onction suprême des Grands Ancêtres. Je me souviens bien sûr de cette remontée de la rue Soufflot par les leaders socialistes, bras dessus bras dessous, de la peur des patrons et du petit peuple de droite, qui n'en menaient pas large, qui croyaient leur fin venue. Il n'y avait pas de quoi, pourtant !

Je commence toujours mes visites du Panthéon en me faisant une gueule et une voix à la Malraux, en récitant, sur les marches, son discours à Jean Moulin, lors du transfert de ses cendres. Si l'on veut comprendre le Panthéon, il faut lire ce texte, et mieux encore, l'entendre. André Malraux a été communiste puis gaulliste : on ne saurait mieux résumer l'esprit du Panthéon en un seul homme. J'espère que cet après-midi, mon cher François, dans son discours, sera à la hauteur de l'événement. Je n'en doute pas.

mardi 26 mai 2015

Une gauche alternative et citoyenne



La progression de Podemos et des Indignés aux élections locales de dimanche en Espagne, tout comme la victoire de Syriza il y a quelques semaines en Grèce, interrogent la gauche française. Dans les deux cas, nous n'avons pas affaire à la résurgence de l'extrême gauche traditionnelle, du courant communiste ou révolutionnaire : c'est bien à une nouvelle forme de mobilisation, progressiste, à laquelle nous assistons. Notre gauche nationale, y compris et surtout social-démocrate, doit en tirer des leçons pour son propre compte.

D'abord, je ne crois pas que nous assistions, en Espagne ou en Grèce, à une poussée à proprement parler radicale. Il s'agit plutôt de l'aspiration à quelque chose de nouveau, à quoi ne répondent pas ou plus les partis de gauche traditionnels. C'est l'opposition entre la gauche des citoyens et la gauche des appareils. En Europe, la gauche classique qui résiste encore, qui demeure assez bien implantée, qui est beaucoup moins contestée, c'est la social-démocratie historique.

PS en France, PASOK en Grèce et PSOE en Espagne ont longtemps défendu un socialisme traditionnel et se trouvent aujourd'hui débordés par une gauche alternative, qui remet en cause le bipartisme réformistes/conservateurs. Sauf en France, où le parti socialiste rencontre certes des difficultés à exister sur le terrain, à être représentatif de la population, notamment des jeunes et des classes populaires ; mais, à la différence de l'Espagne et de la Grèce, aucune force importante à sa gauche ne le menace, ne lui fait concurrence : le Front de gauche a fait long feu, Jean-Luc Mélenchon ne parvient pas à capitaliser ses succès électoraux, le PCF continue tout doucement de s'éteindre. C'est que le PS a su chez nous opter pour une ligne clairement social-démocrate, qui gouverne le pays et garde sa capacité d'attraction et sa crédibilité politique. En Angleterre, la gauche a perdu récemment les élections en se battant sur une ligne assez proche de l'ancien travaillisme, s'écartant du social-libéralisme de Tony Blair (qui avait pourtant en son temps assuré son succès).

Ce qu'il faut retenir, c'est que les vieux partis socialistes sont à bout de souffle (le PASOK grec ne représente plus que 5% des électeurs !). Le parti socialiste français n'en est heureusement pas là, mais il doit transformer ses structures s'il ne veut pas progressivement devenir la SFIO de notre temps, vieillissante, sclérosée, renfermée. La direction nationale en a parfaitement conscience et tente de réformer. En tout cas, la social-démocratie doit favoriser le rajeunissement et le renouvellement de ses cadres, personnel et organisation, en s'inspirant de ce qui se passe ailleurs en Europe. Après tout, Podemos et Syriza sont des mouvements assez comparables, toutes choses égalent par ailleurs, à ce qu'était en France le PSU dans les années 60, auquel le PS a su s'ouvrir dans les années 70. C'est aussi le rôle que pourraient jouer aujourd'hui les écologistes, s'ils n'étaient pas si divisés, s'ils ne reproduisaient pas en pire les vieilles structures partisanes. L'avenir de la gauche dépendra de l'émergence de cette gauche alternative et citoyenne, qui existe sociologiquement en France, comme en Espagne et en Grèce, mais qui n'a pas encore trouvé sa formulation politique. J'espère qu'elle se fera avec le PS, si possible dans le PS, mais surtout pas contre le PS.

lundi 25 mai 2015

Référendum et mariage




Une fois n'est pas coutume, je laisse le billet d'aujourd'hui à Michel Magniez, délégué régional de l'association SOS homophobie, qui m'a fait parvenir une réaction, ci-dessous, à mon billet d'hier, d'un avis différent au mien, même si la finalité est identique.
J'en profite pour rappeler qu'il animera demain soir un débat à l'occasion de la journée mondiale de lutte contre l'homophobie, au cinéma de Saint-Quentin, à la suite de la projection du film de Michael Mayer, Alata (affiche en vignette). Il aura pour invité Jean-François Birebent, professeur agrégé d'histoire-géographie. La séance commencera à 20h00.


1 - Je ne pense pas que "la réforme du mariage aurait sans nul doute été majoritairement approuvée" par voie référendaire en 2012-2013 : la Manif pour Tous n'aurait eu de cesse d'accumuler les mensonges et d'attiser les craintes, comme elle l'a fait durant un an, et je pense que la majorité en faveur du mariage pour tous aurait vraisemblablement été plutôt courte. Les sondages de l'époque tendent d'ailleurs à accréditer cette hypothèse, si l'on considère que l'organisation d'un référendum aurait sans doute clivé encore davantage les deux camps.

2 - Il est même possible que le référendum ait été gagné par les opposants, à une courte majorité, ce qui aurait été désastreux moralement pour les couples concernés, et politiquement pour le gouvernement. En effet, il est plus facile de mobiliser des gens contre une réforme, même pour de mauvaises raisons, que de les faire se déplacer pour cette réforme. De plus, la manif pour tous avait les moyens financiers et les réseaux nécessaires pour développer une vaste campagne de dénigrement contre les droits LGBT, alors que les partisans de ces droits n'avaient pas de moyens comparables pour mener campagne.

3 - La promesse de campagne de Hollande était claire : l'ouverture du mariage était de fait promise aux couples de même sexe, et il n'était pas question de soumettre cette promesse à un référendum pour la valider. Là encore, politiquement et moralement, il aurait été catastrophique de remplacer la mise en oeuvre de l'action promise par l'organisation d'un référendum qui aurait conditionné la réalisation de cette action.

4 - La constitution française ne permet de toute façon pas d'organiser un référendum sur des questions comme celle du mariage pour tous.

5 - D'une manière plus générale, on peut contester qu'il soit bon d'organiser un référendum sur les droits d'une minorité, en subordonnant l'octroi de ces droits au bon vouloir de la majorité. Le droit de vote des femmes aurait-il dû être décidé par référendum dans les pays où il n'existait pas ? La fin de l'apartheid, l'ouverture des droits civiques aux USA, la mise en place de la Halde puis du Défenseur des Droits en France... auraient-elles dû être soumises à l'approbation des majorités qui exerçaient elles-mêmes l'oppression ou les discriminations ?

6 - Enfin, la Manif pour Tous aurait elle-même souhaité l'organisation d'un référendum : c'était sa grande idée que de retarder au maximum l'application de la promesse de F. Hollande. Elle pensait ainsi pouvoir mobiliser encore davantage de personnes contre ce projet, et faire croire que Hollande n'avait aucune crédibilité. Le référendum, en France, était clairement un piège tendu, et je suis heureux que ni Hollande, ni Ayrault, ni Taubira, ni Bertinotti, ne soient tombés dans ce piège tendu par les opposants.

Au final, je me réjouis bien évidemment du succès du référendum organisé en Irlande, mais aussi de la réforme du mariage mise en place en France. Je pense qu'il ne faut pas regretter que la France ne soit pas passé par voie référendaire : et d'ailleurs, l'Irlande est le seul pays à avoir choisi cette voie - la France ne fait donc pas figure d'exception en ayant réalisé le choix de la procédure législative. L'engagement de l'exécutif et d'un certain nombre de responsables PS/MRC aurait cependant pu être plus grand encore : rappelons d'une part que le gouvernement a choisi de passer par la voie de la proposition de loi, alors qu'il aurait pu en faire directement un projet de loi. D'autre part, il est significatif que dans l'Aisne par exemple, la députée MRC Marie-Françoise Bechtel ait préféré s'abstenir sur ce texte, en s'appuyant indirectement sur certains des arguments avancés par la Manif pour Tous. Ces divisions au sein du camp de la gauche sont à mon avis plus regrettables que le refus justifié, par le gouvernement, du recours au référendum sur cette question.

dimanche 24 mai 2015

Aggiornamento sur le référendum



Tout le monde a noté le paradoxe irlandais : un pays catholique et conservateur, où l'Eglise est encore très influente, adopte largement le mariage homosexuel, à l'issue d'un référendum, le premier du genre en Europe, alors que la France de la Grande Révolution et des Droits de l'Homme, historiquement en pointe dans les combats progressistes, s'est offerte un psychodrame autour du sujet, dont les plaies ne semblent pas encore cicatrisées. Du coup, j'en viens à regretter que le gouvernement ne soit pas passé par la procédure référendaire : la réforme du mariage aurait sans nul doute été majoritairement approuvée, en faisant l'économie d'une crise qui a inutilement mobilisé une masse de citoyens hostiles et depuis meurtris.

Comme toute la gauche, j'ai beaucoup de mal, non sans raisons, avec l'idée de référendum, qui n'appartient pas à notre tradition, qui est d'essence populiste et bonapartiste : l'appel au peuple par un homme. Je lui préfère l'élection en bonne et due forme, la démocratie représentative, où l'on choisit entre des projets, sans la brutalité du oui et du non à une question souvent d'opportunité, à des fins partisanes. Et puis, le résultat d'un référendum sur le fil du rasoir, moitié-moitié, n'est pas non plus satisfaisant. Mais, aujourd'hui, je crois que la gauche doit faire son aggiornamento sur le référendum et lui redonner un sens nouveau. Ce n'est pas une réaction conjoncturelle, mais une réponse de fond à la crise de la politique que nous traversons depuis quelques années.

L'idée de réforme est complètement discréditée. Nous avons l'impression que n'importe laquelle, proposée par un gouvernement de gauche ou de droite, soulève des résistances, une opposition multiple et massive qui rendent notre pays irréformable. La gauche qui se veut réformiste ne peut plus rester sans réagir. Ou alors on décide de ne plus rien changer ! Il y a plus grave : c'est l'idée même de démocratie qui est remise en cause par une majorité de Français, jugeant la classe politique corrompue et incompétente. Je ne partage pas ce point de vue, mais je dois bien reconnaitre qu'il est très répandu. La seule solution, je n'en vois pas d'autres, c'est le référendum, qui permettrait de légitimer les grandes réformes et de renvoyer le peuple à ses responsabilités.

Si la gauche veut sauver la réforme et la démocratie, elle doit reprendre et renouveler la pratique du référendum, éventuellement en redéfinissant ses règles. En un quinquennat, nous pourrions aisément imaginer deux ou trois consultations des citoyens sur des sujets majeurs (la refondation de l'école, l'avenir des retraites, l'évolution du code du travail, les problèmes éthiques, par exemple). Sinon, c'est l'extrême droite qui tirera profit, toujours plus, de la crise de la politique. Elle a récupéré la question sociale, apparaissant (faussement) comme le meilleur défenseur des catégories populaires. Elle s'est emparée de la laïcité, en la mettant scandaleusement au profit de la xénophobie. Si l'on ne veut pas qu'à son tour la démocratie soit revendiquée par l'extrême droite, il faut s'ouvrir beaucoup plus largement à la pratique du référendum. Les maux de la démocratie française ne pourront être guéris que par plus de démocratie, et pas moins de démocratie. Au final, le choix est bien celui-là : une démocratie renforcée par le recours au référendum ou bien la solution autoritaire, qui n'est pas conforme à notre tradition républicaine.

samedi 23 mai 2015

Les larbins de la République



Je ne fais pas partie de ceux, hélas nombreux, qui critiquent nos parlementaires, députés et sénateurs, à propos du montant de leurs indemnités, du régime de leur retraite, des avantages matériels afférant à leurs fonctions. Derrière des critiques qui se veulent moralisatrices se cache en réalité le plus pur et le plus détestable antiparlementarisme, un poison pour la démocratie. Au nom d'une soi-disant justice, on se livre alors sans vergogne à de terribles injustices, souvent dans l'ignorance la plus totale, quand ce n'est pas la désinformation ou la mauvaise foi. Je ne mange donc pas de ce pain-là, le plus mauvais qui soit. Au contraire, je défends l'idée que nos parlementaires, parce qu'ils sont les représentants du peuple, parce qu'ils exercent en République une tâche en quelque sorte sacrée, doivent être bien payés, dans les meilleures conditions de travail possibles et un honnête confort, à l'abri des pressions extérieures et des vicissitudes de l'existence.

Mais parce que cette tâche est sacrée, ses dépositaires doivent être exemplaires. J'aime beaucoup nos parlementaires, je reconnais leur entier dévouement à la chose publique, j'admire le sacrifice qu'ils font d'une partie de leur vie, car leur travail prend énormément de temps. Cependant, quelque chose me révulse, me scandalise chez eux (je parle d'un point de vue général, je n'entre pas dans les situations particulières, qu'il faudrait bien sûr distinguer) : c'est le traitement qu'ils font subir à leurs assistants parlementaires, une ombre sur le Parlement, qui reste bien souvent dans l'ombre, tellement les petits mains que constitue ce personnel ne semblent pas mériter l'attention. C'est un article dans le quotidien Le Monde, daté du vendredi 15 mai, qui me rappelle ce scandale dans la République, à la tête de la République.

La démocratie athénienne avait ses esclaves, le système féodal avait ses serfs, la monarchie avait ses laquais, la bourgeoisie avait ses domestiques, la République a ses larbins. Ils sont certes beaucoup moins nombreux que les corvéables à merci des temps jadis, 2 000 pour 557 députés. Mais c'est une question de principe, pas de quantité. D'abord les faits : les assistants parlementaires sont des salariés qui ne disposent d'aucune convention collective, ni de statuts. Connaissez-vous beaucoup de secteurs d'activité qui soient dans ce cas-là ? Spontanément, je n'ai pas d'exemples qui me viennent à l'esprit (dans un pays moderne comme la France, évidemment). Il faut attendre 2013 (2013 !) pour que soit créé le premier syndicat d'assistants parlementaires. Mais pas de délégués du personnel, pas d'élections professionnelles chez ceux qui travaillent pour les élus ! C'est un système à la limite de la légalité, dans l'enceinte d'où sont issues les lois ! Voilà le scandale absolu.

Un assistant parlementaire est une contradiction vivante : c'est souvent un militant bien formé, pris dans le vivier du parti, mais qui cesse de l'être dès qu'il est rémunéré. Il devient alors un obligé de l'élu, qui devient maître de son temps. Il doit lui être dévoué corps et âme, sans états d'âme, mettant fin à tout esprit critique, devant renoncer à ses convictions personnelles, si elles divergent, même faiblement, de celles de son patron. Le militant se transforme en militaire, simple soldat bien sûr, le petit doigt sur la couture du pantalon, avec un seul droit qui lui soit reconnu : celui de fermer sa gueule et d'obéir. C'est une moitié de citoyen, qui doit voter dans le même sens que son patron.

Dans un parti comme le PS, qui a toute une tradition de débats, on comprend la monstruosité de cette situation. Les assistants parlementaires n'ont pas de week-end (c'est le moment de la semaine où le député a le plus de travail dans sa circonscription), pas d'heures supplémentaires. Leur nuit, comme leur jour, peut être sollicitée. Ils ne peuvent compter que sur la bonté, l'indulgence et le sens de la justice de leur employeur, pour espérer ne pas s'en sortir trop mal. Mais la nature humaine, même socialiste, ne dispose pas forcément de ces vertus : c'est à la loi qu'il reviendrait d'y suppléer.

Lorsqu'un assistant parlementaire perd son boulot, parce qu'il ne convient plus à l'élu ou parce que celui-ci a été battu, bonjour pour retrouver un travail, une fois qu'on a été politiquement marqué ! Il existe, dans le milieu, une loi non écrite, une tradition de bon sens, une justice quand même élémentaire qui poussent le parlementaire à se démener pour recaser son assistant. Les plus honnêtes se plient à cette règle implicite, à quoi rien cependant ne les oblige. Et je ne parle même pas des assistants qui travaillent moins pour l'élu que pour le parti, au service de tel ou tel courant, emploi en quelque sorte fictif, pour la bonne cause bien sûr ...

Les choses à coup sûr changeront, elles ont déjà commencé. Les larbins de la République deviendront des salariés de droit commun, en quelque sorte, des citoyens à part entière, de libres militants, seulement soumis aux obligations professionnelles les plus ordinaires. Pour terminer, je vous pose une petite devinette : qu'y a-t-il de pire qu'un patron de droite ? Un patron de gauche ! Foi de socialiste !

vendredi 22 mai 2015

Le congrès est fini



Je l'avais écrit il y a quelques semaines : le congrès du Parti socialiste est clos avant même d'avoir commencé. Le vote sur les motions d'hier l'a confirmé. Quand la gauche est au pouvoir, le réflexe de soutien au gouvernement joue à plein. Et puis, l'aile gauche, avec Christian Paul, s'est donné un mauvais candidat, qui a permis à la motion majoritaire de faire un score plus important que prévu. Quand Martine Aubry a décidé de la rallier, c'en était terminé pour les minoritaires. Enfin, comme l'a répété Jean-Christophe Cambadélis aujourd'hui sur BFM-TV, "le Parti socialiste est social-démocrate", et ceux qui ne le sont pas ont été nombreux à le quitter ces trois dernières années.

Christian Paul, en bon battu, a soutenu qu'il était quand même un peu gagnant : "nous avons réveillé un PS en sommeil depuis trois ans". Et les Etats-Généraux du projet, qui ont eu lieu il y a quelques mois, c'était roupiller ? Si Paul a réveillé des socialistes, ce sont les sociaux-démocrates qui sont allés voter pour lui faire barrage. De ce point de vue, il aura été d'une redoutable efficacité. Ce matin sur RTL, il a tiré les leçons de son aventure : il faut "tourner la page de la fronde parlementaire". Il a joué, il n'a pas gagné, il rend les armes : c'est la bonne nouvelle de ce non événement qu'est le congrès. Mais ça n'empêchera pas Paul de se présenter au poste de premier secrétaire : en politique, les plus belles batailles sont celles qu'on a perdues d'avance.

Le seul désagrément du vote d'hier soir, c'est le taux de participation : près d'un adhérent sur deux ne s'est pas déplacé. Ce n'est pas un phénomène nouveau, mais c'est toujours stupéfiant : quand on cotise à un parti, c'est qu'on a une conscience politique supérieure à la moyenne des citoyens. Quand on vous donne la parole, vous la prenez, vous vous exprimez. Sinon, à quoi bon appartenir à un parti politique ? Autant rester simple sympathisant. Comment les responsables politiques peuvent-ils se plaindre de l'abstention aux élections locales et nationales, appeler à lutter contre elle, lorsque leurs propres troupes, dans un scrutin interne, ne les suivent pas ? La moindre des choses quand on est membre volontaire et motivé d'une organisation politique, c'est d'aller voter. Si les militants ne donnent pas l'exemple, qui le fera ?

Oui, le congrès socialiste est terminé, son patron est connu, sa ligne est fixée. Mais tout n'est pas tout à fait terminé : il reste à se partager les postes et fonctions du haut en bas de l'appareil, des structures nationales au bureau des sections, en passant par les instances fédérales. Politiquement, ça ne changera rien. Mais les uns et les autres y trouveront une multitude de niches qui sont autant de petits pouvoirs qui pèseront le jour où il faudra décider des investitures personnelles aux prochaines élections. C'est la parabole des miettes lancées sous la table aux petits chiens, dans l'Evangile selon saint Matthieu, 15, 26-27.

jeudi 21 mai 2015

Et si on essayait la droite ?



Dans le débat autour de la réforme du collège, ce qui est bien, c'est qu'un contre-projet a été proposé par la droite : une comparaison est donc possible, le choix est permis. Si le projet de gauche ne plaît pas, on peut toujours se tourner vers celui de la droite, présenté par Bruno Le Maire, très en pointe dans la contestation de la réforme. Il tient en trois points principaux :

1- La fin du collège unique. C'est en tout cas Le Maire qui le dit. Mais dans la réalité, ce n'est pas ça du tout : son collège reste bel et bien unique, on ne retourne pas à la situation d'avant 1975, où coexistaient plusieurs types d'établissements. Simplement, Bruno Le Maire apporte plus de diversité à l'intérieur de ce collège unique. Commençons donc par rétablir la vérité : la droite ne remet pas en cause ce que Giscard a instauré en 1975. Mais elle se sert du collège unique comme d'un épouvantail, un bouc émissaire, un souffre-douleur, en laissant croire qu'elle veut sa disparition : il n'en est rien.

D'ailleurs, je me réjouis que le collège unique ne soit pas remis en cause, sinon dans les apparences et pour la frime : car c'est un grand progrès de notre société et de l'Education nationale que d'avoir unifier le second degré et rassembler les enfants dans une même structure jusqu'à la classe de 3è. Le précédent système était incohérent et profondément inégalitaire (oui, je suis de gauche, l'égalité est donc une valeur qui m'est chère).

2- La multiplication des options. Elles concerneront de multiples enseignements, sport, informatique et même la deuxième langue vivante. Elles couvriront 6 à 8 heures par semaine. L'enseignement commun sera d'une vingtaine d'heures, avec maths, français, langue et histoire. Je suis radicalement contre. Quand on a entre 10 et 14 ans, on ne choisit pas ses options (même au lycée, ce n'est pas évident pour les élèves) : ce sont les parents ou l'air du temps qui choisit pour vous. Les options, surtout à forte dose, c'est une machine à fabriquer des inégalités, à vider le collège unique de sa substance (oui, je suis toujours de gauche, je raisonne avec un souci d'égalité ou d'égalitarisme, comme vous voudrez ; mais vous avez le droit d'être de droite et de voir les choses autrement).

3- Un corps unique d'enseignants polyvalents, du CP à la 3è. Je souhaite bien du plaisir à la droite pour mettre en place cette réforme statutaire. A côté, la réforme des programmes ou des horaires, c'est du gâteau ! Le gouvernement qui se lancera là-dedans aura très vite un demi-million de personnes dans la rue, les enseignants du secondaire n'acceptant pas d'être alignés sur ceux du primaire. Les professeurs des lycées entreront dans la danse, craignant à coup sûr que leur tour ne vienne un jour. Les syndicats majoritaires s'opposeront violemment ; il n'y a que les organisations réformistes qui soutiendront, CGEN-CFDT et SE-UNSA. Ce qui est paradoxal, c'est que Bruno Le Maire, inégalitaire lorsqu'il s'agit des enseignements au sein du collège, devient égalitaire en ce qui concerne le statut des enseignants.

Je vous passe les interventions plus ponctuelles de deux autres hommes de droite, Benoît Apparu (UMP) qui défend l'autonomie totale des collèges, et Jean-Christophe Lagarde (UDI) qui est pour le retour de l'apprentissage dès 14 ans. Vous n'aimez pas le collège de gauche ? Vous détesterez le collège de droite !

mercredi 20 mai 2015

La réforme impossible ?



Pourquoi est-il impossible de réformer l'école ? Pourquoi un gouvernement de gauche est-il, sur ce sujet, contesté par des forces de gauche ? A chaque fois, le débat est mal engagé, désinformé, partisan, hystérique. Aborder la question scolaire en termes de matières, de programmes ou d'horaires, c'est se condamner à l'impasse, à l'échec, à des controverses surréalistes. Je crois qu'il faut partir du commencement, qui est la pédagogie. Je vais essayer de le faire à partir de trois propositions qui concernent trois points essentiels, sur la discipline, l'excellence et l'ennui.

1- Une discipline n'est pas une fin mais un moyen
. Je répète régulièrement à mes élèves que la philosophie que je leur enseigne n'est pas un but en soi, qu'une fois le bac en poche ils n'entendront peut-être plus jamais parler de leur vie de cette matière, que plus jamais ils n'ouvriront un bouquin de philo. Et j'ajoute aussitôt que ce n'est pas grave du tout, qu'ils ne sont pas en philo pour la philo, mais pour développer un certain nombre de qualités intellectuelles (curiosité, critique, argumentation, etc) qui leur seront utiles et nécessaires dans leur vie professionnelle, peut-être même dans leur vie tout court.

La philosophie n'est donc pas un objectif (sauf pour ceux qui veulent devenir prof de philo, mais je n'en connais pas beaucoup ...), mais plutôt une occasion. Ces qualités intellectuelles développées par la philosophie ne sont pas propres à cette matière : on les retrouve dans toutes les autres, chacune les traitant à sa façon particulière. C'est pourquoi le débat sur l'école ne doit pas tourner aux comptes d'apothicaire entre le latin, l'histoire ou je ne sais quelle autre discipline, chacune défendant son pré carré. C'est l'approche globale qui prévaut, la solidarité entre les disciplines et leur utilité. A part les philosophes, personne ne fait de la philosophie pour le plaisir de philosopher, mais parce que c'est utile à quelque chose, que ça prépare à l'avenir.

2- L'excellence est un non sens. C'est une notion qui m'irrite, qui me semble purement idéologique, qui ne correspond à aucune réalité du terrain et du métier. Je ne cherche pas à ce que mes élèves soient excellents, mais à les faire progresser. Les élèves excellents, il y en a quelques-uns, ils sont très rares, et ils ne sont pas excellents grâce à mon travail : ce sont des élèves doués, comme on dit. Ce ne sont pas eux qui m'intéressent, mais les mauvais élèves et la masse des élèves médiocres, parce que je sais que grâce à moi (et à eux !), ils peuvent s'améliorer. S'ils deviennent moyens, je suis satisfait. S'ils sont bons, je suis heureux. Mais je n'ai pas besoin d'espérer une chimérique excellence pour accomplir mon travail et apporter aux élèves.

3- L'ennui est un faux problème. La réforme du collège est souvent justifiée par cet objectif, lutter contre l'ennui des élèves. Mais l'ennui est un état naturel : on impose à l'élève des disciplines qu'il ne choisit pas, qui a priori ne l'intéressent pas, qui exigent tout un travail de sa part : l'ennui est donc une réaction normale, à laquelle on peut donner un autre nom, moins avouable, la paresse. Un collégien qui s'ennuie, c'est comme un écolier qui se plaint d'être fatigué en rentrant chez lui : c'est normal, c'est logique, mais ça ne doit pas devenir un prétexte pour ne rien faire.

Dans une classe, l'ennui mène à beaucoup de choses, à condition d'en sortir, par le travail de l'élève et par l'enseignement du professeur. Ce n'est pas une question de programmes, de leur contenu, mais de pédagogie : il n'y a pas de programmes ennuyeux, parce que tout peut être rendu utile et intéressant ; en revanche, il y a des profs très ennuyeux, parce qu'ils ne savent pas faire, parce qu'ils n'ont pas été préparés à ça, parce qu'ils se font des idées fausses sur le métier, parce qu'ils se laissent guider par leur propre nostalgie d'anciens élèves. S'il y a une réforme à faire, c'est moins sur les programmes que sur la formation des enseignants.

Et puis, en matière de pédagogie, le maître-mot est de laisser la liberté à l'enseignant, à partir des objectifs qui sont ceux de sa discipline : ce n'est pas avec des programmes qu'on enseigne, mais avec un savoir faire, de la souplesse, un sens de l'adaptation aux élèves qu'on a devant soi, un mélange d'autorité et de passion. Un enseignant qui ne s'ennuie pas en faisant cours n'ennuiera pas ses élèves.

mardi 19 mai 2015

10 ans de Courrier picard



Je lis chaque jour le Courrier picard, comme les autres journaux locaux. C'était hier la 10e année de sa création, édition de l'Aisne. Bon anniversaire et longue vie ! Le pluralisme de la presse locale est très important. Quand je suis arrivé à Saint-Quentin il y a 17 ans, trois journaux se partageaient le marché : L'Aisne nouvelle, La Voix de l'Aisne et L'Union. Le deuxième a disparu, le troisième ne couvre plus notre ville. Puis le Courrier picard s'est implanté, et depuis un an, un hebdomadaire gratuit, St-Quentin Mag. Oui, le pluralisme, c'est précieux.

Dans le petit milieu politique saint-quentinois, souvent plein de préjugés et de réticences, sinon d'hostilité, à l'égard de la presse locale, une idée fausse persiste : L'Aisne nouvelle serait de droite et pro-Municipalité, le Courrier picard de gauche et anti-Municipalité. Je ne comprends pas ce besoin de ramener un journal à une préférence partisane, alors qu'il n'a pas de ligne politique et que les journalistes ont des sensibilités personnelles très diverses. C'est sans doute un schéma facile et rassurant, mais complètement erroné.

Prenez les dernières élections municipales : j'ai relu et comparé récemment les articles des deux journaux consacrés à la campagne de la liste socialiste. Le Courrier picard, et pas L'Aisne nouvelle, est le plus sévère (et justifié dans sa sévérité). Cette vision d'un Courrier picard de gauche ne tient pas. En tant que socialiste, je me retrouve assez souvent en accord avec les éditoriaux politiques de Samir Heddar, rédacteur en chef de L'Aisne nouvelle. La polémique entre Nicolas Totet et Xavier Bertrand lors d'une émission de Public Sénat, devenue une affaire nationale, a certainement contribué à cette réputation du Courrier picard.

Au jeu des comparaisons, je vois dans le Courrier picard un petit côté Libération : des titres marrants, des sujets de société, une approche décalée de l'actualité (L'Aisne nouvelle, ce serait plutôt Le Parisien, et ce n'est pas un reproche : plus informatif, plus local). J'aime tout, je lis tout dans le Courrier picard, avec quand même une mention particulière pour la rubrique Décryptage, dans l'édition du dimanche. Et j'espère pouvoir encore longtemps poursuivre cette lecture.

lundi 18 mai 2015

L'heure de l'art



C'était samedi soir la Nuit des Musées, une très belle initiative qui met à la portée de tous les oeuvres d'art les plus diverses. Pour lui rendre hommage, je vous laisse deviner quel endroit j'ai tenu à honorer. Il faut regarder attentivement. Je vous donne un seul indice : ce n'est pas à Saint-Quentin !

dimanche 17 mai 2015

Un problème avec les autres



La France a un problème avec les autres, migrants, immigrés, étrangers, enfants d'étrangers. Elle s'interroge sur son identité, se replie, vote xénophobe. Nous ne devrions pas : nous sommes un grand pays, qui devrait être fier et sûr de lui, sans craindre la différence, sans redouter l'Europe et le monde. Cette semaine qui s'achève, nous avons hélas été servis :

L'ONU a rendu public un rapport accablant sur l'état de la France en matière de respect du droit des étrangers. Pour le pays des droits de l'homme, ça la fiche très mal ! Allons-nous dire que ce rapport ne vaut rien et que l'ONU n'a qu'à se mêler de ce qui la regarde ? Mais justement : c'est le rôle des Nations-Unis de faire ce genre de travail. Et que constate-t-il ? Que la xénophobie dans notre pays est véhiculée par les médias et la classe politique, que les Roms sont victimes de discriminations et de violences. Quand va-t-on y remédier ?

Eric Ciotti, secrétaire national de l'UMP, ne se pose pas cette question, puisqu'il a proposé de rétablir le droit du sang, à la logique très simple : est Français toute personne qui a du sang français dans les veines. C'est l'hérédité qui commande à la nationalité. Pour moi et pour n'importe qui, c'est la naissance et la présence sur le territoire, qu'on appelle le droit du sol, que Nicolas Sarkozy lui-même, il y a quelques années, refusait de remettre en cause, tant nos fondements républicains en seraient affectés.

Robert Chardon, autre UMP, maire et vice-président de communauté de communes, est allé encore plus loin, en demandant carrément d'interdire le culte musulman. C'est fou, mais c'est dans la logique d'une laïcité dénaturée, trahie, devenue folle (voir mon billet "Jules Ferry, réveille-toi !"). On commence par prohiber les signes religieux à l'école, on continue dans les structures éducatives privées, on passe ensuite à l'université, puis à l'entreprise, on élargit à l'ensemble des services publics et on termine, en toute cohérence, par l'interdiction du culte musulman dans tout le pays. La République française veut-elle encore rester ou non une République ?

Ciotti et Chardon sont des hommes de droite, minoritaires dans leur propre parti. Je condamne, mais je ne suis pas trop surpris. En revanche, je suis attristé par le refus des quotas migratoires par mon cher Manuel Valls, d'autant que je m'étais félicité, dans un récent billet ("L'honneur de l'Europe"), du soutien du ministre de l'Intérieur, Bernard Cazeneuve, à ce projet de la Commission européenne. Le Premier ministre argumente en défendant un choix qui ne devrait dépendre selon lui que de la souveraineté française. Mais est-on européen ou pas ? Un socialiste n'est pas un souverainiste. La tragédie des migrants en méditerranée ne peut se régler qu'au niveau européen, par la concertation et la décision unanime de toutes les nations, que les institutions européennes ne contraignent pas (mais quand un traité est signé, il faut le respecter).

Deuxième argument de Valls, plus sérieux : la France a déjà beaucoup fait pour les migrants, le calcul des quotas devrait être en quelque sorte rétroactif, en prenant en compte les efforts passés. Je ne suis pas convaincu : à raisonner ainsi, on ne fait rien. Ce qui compte, c'est le présent et l'urgence, pas ce qu'on a fait ou pas fait avant. La puissante et riche Europe est tout à fait en mesure d'accueillir plusieurs dizaines de milliers de migrants sur son sol. La Commission européenne a fait un travail remarquable pour déterminer des quotas par pays, selon des critères précis, qu'on ne va pas gâcher parce que le critère d'antériorité n'est pas enregistré. Ou bien, qu'on assume ce refus et qu'on ne donne plus de leçons de morale et d'humanitarisme au prochain drame, puisqu'on ne se sera pas donné les moyens politiques de l'éviter.

La France a un problème avec les autres, c'est un fait. Mais j'aimerais que la gauche française, elle, n'ait pas de problème avec les autres.

samedi 16 mai 2015

A Saint-Germain-des-Prés




Pas de billet aujourd'hui, mais deux questions, en prélude à une prochaine déambulation philosophique et littéraire dans Saint-Germain-des-Prés, en compagnie de mes étudiants de l'Université du Temps Libre de Cambrai : où se trouvent précisément, dans ce célèbre quartier parisien, cette magnifique façade (vignette 1) et cet amusant dessin (vignette 2) ?

vendredi 15 mai 2015

Faire un pont



Vous vous souvenez de la chanson de Dick Rivers, je ne sais plus en quelle année : Faire un pont / Pour de bon / Lui donner / Ton prénom / Le traverser / Pour t'embrasser / Faire un pont / Pour de bon. C'était une jolie chanson. Vous devinez pourquoi elle me revient à l'esprit : faites-vous ce vendredi le pont ? C'est aussi une jolie expression, faire le pont. Un pont, généralement, enjambe une rivière et évoque un paysage bucolique. Et puis, il y a faire, construire de ses propres mains un pont, comme les soldats britanniques dans le roman de Pierre Boulle construisent le pont sur la rivière Kwaï. Faire un pont, c'est courageux, c'est ingénieux et c'est très utile. Sauf que faire LE pont, c'est complètement différent, c'est même l'inverse : on ne fait rien du tout, on ne travaille pas, entre deux jours fériés.

Faire le pont, c'est sans doute une jolie expression, mais c'est aussi quelque chose de très contestable, d'un peu idiot même : pourquoi s'arrêter de travailler parce que deux journées de congés sont séparées par 24 heures ? Où sont la logique et la justice ? Si vous me dites qu'un jour, ce n'est pas beaucoup, que ce n'est donc pas la peine de retourner travailler pour un délai aussi court, je ne vous suis pas dans ce raisonnement-là : une journée de travail, ce n'est pas rien, on peut en faire, des choses, en un jour. D'ailleurs, dans les pays étrangers, est-ce qu'on fait le pont ? Je me demande si l'expression existe dans leurs langues ...

Non, le seul argument honnête et rationnel en faveur du pont revient aux adeptes de la civilisation des loisirs, du farniente et du divertissement : la vie n'est pas faite pour travailler mais pour se distraire, toutes les occasions sont bonnes à saisir, dont celle du fameux pont. Et puisque que la société entière, depuis les années 60, adhère à cette philosophie de l'existence, bien-être, confort, week-end, voyage, vacances, tous les Français sont favorables au pont, défendent son principe et souhaitent en bénéficier.

Au fait, vous devez vous demander si moi-même je fais aujourd'hui le pont ? Non, les enseignants ne font pas le pont. Et pourquoi donc, puisqu'ils ne vont pas dans leurs écoles, collèges ou lycées, qui sont fermés ? D'abord, parce que les cours ont été déplacés : dans mon établissement, nous travaillons deux mercredis matin, pour rattraper les deux demi-journées du vendredi. Ce n'est donc pas un pont rigoureusement parlant : le terme désigne un jour vaqué, un bénéfice brut en quelque sorte, qui n'est pas compensé à un autre moment.

Ensuite, ce n'est pas tant le pont des enseignants que des élèves : en effet, depuis plusieurs années, leur taux d'absentéisme est très élevé durant ces journées intercalées entre deux congés. Il ne servait à rien d'enseigner devant des classes au moins à moitié vides. Par efficacité, mieux vaut ne pas sacrifier ces heures de cours et les mettre ailleurs dans la semaine. Enfin, pour les enseignants autant que pour les élèves (c'est ce que j'ai rappelé aux miens mercredi), notre temps de travail ne se mesure pas uniquement à notre présence en classe. Aujourd'hui, chez moi, je vais corriger le dernier devoir de l'année, pendant que mes élèves vont réviser leurs épreuves du baccalauréat (en tout cas, je compte sur eux ...).

Tout ça pour vous dire aussi à quel point j'ai été désolé et irrité par la façon dont a été relatée la grève de mes collègues de l'académie de Toulouse et l'explication maladroite d'un responsable syndicale. Un fonctionnaire n'a pas à discuter : quand sa hiérarchie lui demander d'aller travailler, il y va, sans se poser de questions. Quant au droit sacré de grève, il est dévoyé quand on l'utilise pour faire un pont en quelque sorte sauvage, sans autorisation. La grève sert à revendiquer, pas à s'attribuer un congé. L'impression donnée est très fâcheuse aux yeux de l'opinion : le responsable syndical a mis en avant qu'une possibilité de pont avait été évoquée par le rectorat il y a quelques mois, puis abandonnée, qu'entre temps les enseignants avaient réservé leur week-end prolongé.

Et si on disait tout simplement la vérité, telle que je l'ai exposée dans le paragraphe précédent ? Le pont des enseignants n'est pas pour convenance personnelle, mais par nécessité scolaire et souvent à la demande des parents, qui sont les premiers consommateurs de temps libre. La ministre a bien fait de clore cette mini-polémique en instaurant pour l'an prochain le pont pour tous, mais qui ne sera toujours pas, avec le système de rattrapage des cours, "un pont pour de bon". Tant pis pour Dick Rivers.

jeudi 14 mai 2015

Jules Ferry, réveille-toi !



En adoptant hier une loi qui interdit les signes religieux dans les crèches privées à financement public, l'Assemblée nationale contrevient à l'idée que je me fais de la laïcité, qui est un principe de liberté, et pas un principe d'exclusion (seul le Front de gauche s'est abstenu, avec lequel pour une fois je suis d'accord). Cette dérive dangereuse est le résultat de la funeste loi de 2004, appliquée à l'école publique, que j'ai souvent dénoncée sur ce blog, dont je souhaite l'abrogation. Mais le climat de xénophobie et d'anti-islamisme qui souffle en France ne se prête hélas guère à cette décision.

Contraire à la laïcité à la française, cette loi étend au domaine privé ce que nos grands ancêtres, authentiquement laïques et républicains, réservaient au seul domaine des institutions : la séparation des églises et de l'Etat, la stricte neutralité religieuse de celui-ci. Depuis 2004, c'est une laïcité dénaturée, pervertie, liberticide qui s'est mise en place, en étendant son principe à toute la société, visant implicitement une communauté, les musulmans, les immigrés et leur descendants. Etonnez-vous que l'extrême droite applaudisse et se prétende à son tour furieusement laïque. Ma pauvre laïcité, qu'a-t-on fait de toi, en mettant dans ta bouche des paroles qui te sont étrangères !

Savez-vous que la loi adoptée hier était au programme départemental du Front national ? Savez-vous qu'elle a été initialement proposée par le PRG, à la suite de l'affaire Baby-Loup, et que ses dispositions premières frappaient n'importe quelle structure de jeunesse, à tel point que le mouvement scout lui-même se voyait menacé ? Mais qu'est-ce qui peut donc amener des hommes de gauche, de tradition républicaine, à se fourvoyer dans une caricature autoritaire, punitive et intégriste de la laïcité ? J'ai une réponse à proposer : la gauche française, en voie accélérée de social-démocratisation qu'une partie d'elle a du mal à assumer, se cherche un revival identitaire, qu'elle croit trouver dans une laïcité totalisante, sinon totalitaire. Nous avons déjà connu ce type de régression : dans les années 50, Guy Mollet renoue avec l'ouvriérisme (s'il ne l'avait jamais délaissé !) au moment où son gouvernement défend la colonisation. Sauf que la social-démocratie est une valeur de gauche, à la différence de l'Algérie française.

Dans ce débat, je me trouve en parfait accord avec un socialiste pour lequel j'éprouve, depuis longtemps, une vive estime : Jean-Louis Bianco, président de l'Observatoire de la Laïcité. Je vous renvoie à son remarquable entretien au quotidien La Croix, du 15 mars, dont je vous cite les dernières phrases : "On met le doigt dans un engrenage dramatique. On va ensuite légiférer sur les mamans qui accompagnent les sorties scolaires, sur l'université, sur les usagers des services publics, sur l'entreprise ... Certains veulent normer la société, ce qui est le contraire de la liberté et de la diversité dans le monde moderne".

Il y a quand même des socialistes de coeur, d'intelligence et de fidélité, qui nous sauvent de la honte à se dire laïque, quand on voit, effaré, ce qu'on fait de la laïcité, défigurée, méconnaissable, étrangère à elle-même. Oui, la laïcité est en danger, non plus comme autrefois à cause de ses adversaires déclarés, mais de ses partisans infidèles. En 1968, quand les chars soviétiques ont envahi la Tchécoslovaquie pour soi-disant défendre le socialisme, les murs ont vu s'afficher spontanément ce slogan : "Lénine, réveille-toi, ils sont devenus fous !" Devant les chars d'assaut de la pseudo-laïcité sectaire, j'ai envie aussi de m'écrier : Jules Ferry, Jean Macé, Ferdinand Buisson, réveillez-vous, ils sont devenus fous !

mercredi 13 mai 2015

Cas d'école



En politique, les avis individuels comptent pour peu de chose. Ce qui compte, ce sont les mouvements collectifs, les tendances générales. C'est pourquoi je ne vous donnerai pas ma position personnelle sur la réforme du collège, d'autant que les lecteurs de ce blog la déduiront facilement. En revanche, je crois utile de proposer quelques réflexions qui dépassent l'opposition des d'accord/pas d'accord et portent un regard plus global sur le problème :

1- Depuis 30 ans, toutes les réformes de l'école, quelles qu'elles soient, proposées par la gauche ou par la droite, sont systématiquement contestées par une grande partie de l'opinion, enseignants, parents, syndicats, spécialistes, politiques. Il semble impossible de parvenir à un consensus, même relatif, autour de n'importe quel projet. Les ministres de l'Education nationale les plus populaires sont ceux qui n'ont pas réformé. Nous sommes en démocratie, le peuple est souverain, on ne gouverne qu'en vue de l'intérêt général. La question se pose donc, brutale : faut-il continuer à vouloir changer l'école puisque nos concitoyens semblent refuser tout changement ? Les organisations syndicales et bien des enseignants réclament des moyens supplémentaires, mais ne souhaitent pas vraiment des réformes structurelles : alors, à quoi bon ?

2- Je ne comprends pas que les programmes scolaires, dont la conception relève de considérations pédagogiques et intellectuelles, deviennent l'objet d'un débat politique, dans lequel les partis s'engouffrent à des fins souvent polémiques. La question de leur réforme ou de leur refonte, qui est essentiellement technique, doit être réservée aux seuls professionnels. Les critiques sur le jargon dans lequel ces programmes sont exposés sont un peu faciles et forcent souvent la caricature. Moi aussi, je préfèrerais un style clair, dépouillé, compréhensible. Mais ce sont des tics de langage de toute notre société, depuis quelques années, de se complaire dans des vocabulaires technocratiques. L'école n'est pas seule en cause. Et puis, ce problème est de forme, pas de fond.

3- Le débat sur l'école reprend depuis 30 ans les mêmes formules paradoxales, qui ne font pas avancer le débat. D'un côté, il y aurait les partisans du "nivellement par le bas", expression qui est un pléonasme : un nivellement par le haut, ça n'existe pas. De l'autre, il y aurait les partisans de "l'élitisme pour tous", expression qui est un oxymore : l'élitisme ne concerne forcément qu'une minorité. Ces deux positions sont purement rhétoriques et ne débouchent sur rien.

4- L'unique question politique qui mérite d'être posée ne concerne ni les programmes, ni les horaires, ni aucun point purement scolaire, mais : quelles finalités notre société veut-elle attribuer à l'école ? Il y a deux réponses, tout aussi légitimes l'une que l'autre, entre lesquelles il faut choisir : une école qui se donne pour objectif de former l'ensemble des citoyens, qui les prépare à leur insertion professionnelle, qui s'adresse donc à la totalité d'une classe d'âge, qui s'adapte aux capacités et aux besoins des élèves ; ou bien une école qui se donne pour objectif de repérer et d'instruire les futurs cadres de la nation, les métiers à hautes responsabilités, à l'aide d'exigences élevées et sélectives. Veut-on une école où il suffit d'être bon ou une école où il faut être parmi les meilleurs ? Veut-on un collège qui s'inscrit dans le prolongement de l'école primaire ou bien un collège qui anticipe le lycée ? Entre ces deux perspectives, qui renvoient à des philosophies de l'école complètement différentes, j'ai fait depuis longtemps mon choix. Le vrai débat politique est là ; le reste est secondaire, accessoire, technique ou polémique.

mardi 12 mai 2015

Fidel, toute une histoire



A Cuba, François Hollande, qui n'a jamais été castriste, a voulu rencontrer Fidel Castro, pour avoir un "moment d'histoire". L'initiative m'a fait réfléchir : à La Havane, la gauche serait-elle en quête d'histoire, parce qu'elle ne fait plus l'histoire, depuis que la révolution n'est plus à l'ordre du jour ? Mais quelle histoire voulons-nous ? A bien des égards, Fidel Castro est un fantôme de l'histoire. Le régime qu'il a porté a été très vite contesté, le socialisme annoncé se transformant en dictature tropicale. Pourtant, il ne s'est pas effondré, son peuple ne s'est pas révolté, à la différence des pays de l'Est. Mais qu'est devenu ce régime castriste ? Aujourd'hui, il cède devant l'ennemi américain, il compose avec lui, il a perdu la guerre idéologique. Comme pour la Chine, nous devinons que Cuba va s'ouvrir au capitalisme. Avoir fait la révolution et fait rêver le monde entier et terminer comme ça ...

L'histoire cubaine et son aventure castriste posent à la gauche française la question de son modèle. Il y a d'abord eu l'Union soviétique, qui a tourné à l'insoutenable stalinisme. La Chine de Mao a pris la succession, mais elle était trop lointaine et trop radicale. Dans les années 70, la Yougoslavie autogestionnaire de Tito avait les faveurs d'une bonne partie de la gauche : qu'est-ce qu'on en retient aujourd'hui ? Plus rien, je crois bien. La Tchécoslovaquie, de son côté, nous promettait un "socialisme à visage humain". Ce lapsus m'a toujours fait sourire : la formule admettait qu'il existait un socialisme inhumain, ce qui est une contradiction dans les termes. L'Algérie du FLN a enthousiasmé juste après la décolonisation, mais nous avons rapidement désenchanté. Quand j'étais à la fac de Vincennes, un prof nous prodiguait des cours sur le régime marxiste-léniniste du Mozambique : j'étais dans ma période pseudo-gauchiste, je prenais note mais je restais sceptique. Plus tard, à la Sorbonne, un copain m'avait parlé de son prof de philo, fervent défenseur du régime albanais, le "socialisme des aigles", une découverte pour moi !

L'un des maux de la gauche, c'est de se chercher des modèles, qu'elle ne trouve évidemment pas ou qui la déçoivent. Ce n'est pas un défaut réservé à la gauche communiste : les sociaux-démocrates ont longtemps eu leur paradis, la Suède. Je n'ai jamais compris ce besoin d'aller voir ailleurs ce qu'on a chez soi : la tradition française de la gauche est grande et diverse, la Révolution, la Commune, le Front populaire, Mai 68. Pourquoi faire le voyage au bout du monde, qui se transforme si souvent en un voyage au bout de la nuit ? Moi aussi, j'ai eu le poster du Che punaisé dans ma chambre, mais j'étais ado et c'était plus par esthétisme que par politique. L'histoire du socialisme n'est pas finie, elle se poursuit. Je pense même qu'elle a encore de beaux jours devant elle. Mais sans Fidel et sans modèle.

lundi 11 mai 2015

L'honneur de l'Europe



Des milliers de migrants se noient en méditerranée, voulant rejoindre les côtes de l'Europe pour fuir la misère et la mort. Des dizaines de milliers se réfugient en Italie, débordée par cet afflux. Que font les pays européens, parmi les plus puissants du monde, aux moyens considérables ? Rien. Mais faire quoi ? Il n'y a pas 36 solutions : soit on rejette les migrants à la mer et on les laisse mourir, soit on les accueille chez nous. Il faut les accueillir.

On dit beaucoup mal, à tort, de la Commission européenne. Dans cette affaire, au milieu de l'inertie ambiante, de l'indifférence calculée des gouvernements, son président, Jean-Claude Juncker, a sauvé l'honneur de l'Europe, en proposant de mettre en place un système de quotas pour répartir les migrants dans les pays européens qui sont en capacité de les recevoir. C'est la seule solution qui soit à la fois juste et réaliste. Je suis heureux que le gouvernement français, par la voix de Bernard Cazeneuve, y souscrive.

Bien sûr, j'entends tout de suite les critiques : ce projet va créer un "appel d'air". Argument vulgaire et minable : les misérables sur leurs rafiots n'ont pas besoin d'un "appel d'air" pour tout quitter et risquer leur peau : ils n'ont pas le choix, il leur faut partir, c'est une question de mort ou de vie. Avec ou sans quotas, le mouvement se poursuivra, et si nous étions à la place de ces malheureux, nous ferions la même chose qu'eux.

Il y a enfin le petit argument politicien qui prétend que ce genre de mesure fait "monter" l'extrême droite. Vous croyez vraiment qu'elle a besoin de ça pour "monter" ? Hélas, le néo-fascisme n'est poussé par personne : il "monte" de lui-même. Les républicains ne doivent pas se déterminer par rapport à lui, céder à sa menace en se laissant influencer par ses idées. Au contraire, il faut banaliser les mécanismes d'immigration, montrer qu'ils ne sont pas périlleux pourvu qu'ils soient organisés. Sur ce coup, Jean-Claude Juncker est un grand monsieur. Et vive l'Europe !

dimanche 10 mai 2015

La gauche et la religion



A la suite du billet d'hier, j'aimerais revenir sur le débat de fond ouvert par Emmanuel Todd à propos de la crise religieuse que traverse notre société. Ce n'est pas un thème familier à la gauche, c'est pourtant le problème actuel : alors que la civilisation humaine, depuis des millénaires, vivait à travers des formules religieuses diverses et variées, le monde moderne, à partir du XVIIIe siècle, a décidé de s'en s'émanciper. Or, on peut penser que la religion est consubstantielle à l'humanité, au même titre que l'art d'ailleurs (voir mon billet récent sur la grotte préhistorique Chauvet). Un projet de société reposant sur un homme totalement rationnel, débarrassé de toute croyance, foi ou spiritualité est-il aujourd'hui encore défendable pour la gauche ? Je crois que c'est la question essentielle, qu'Emmanuel Todd aborde sous l'angle sociologique, puisque c'est sa partie, mais qu'il faut aussi envisager d'un point de vue philosophique (ou anthropologique, comme on dit plus souvent).

Historiquement, la gauche est très critique envers la religion, parce qu'elle l'assimile, au XVIIIe et au XIXe siècles, au régime qu'elle combat, monarchique et aristocratique. L'idée générale, c'est que le capitalisme opprime les corps et que la religion exploite les esprits. La fameuse formule de Marx sur "l'opium du peuple" est le catéchisme libre-penseur en vigueur sur le sujet, encore récité de nos jours. Sauf que l'Eglise a perdu en puissance et la religion en présence : 5% des Français seulement, pour ne parler que du catholicisme, vont à la messe. Notre société s'est entièrement sécularisée, à tel point que nous avons perdu le sens de la symbolique chrétienne, jusqu'à croire, exemple certes extrême mais révélateur, qu'un sapin de Noël dans le hall d'un collège serait une "atteinte à la laïcité" (formule convenue, qui ne veut plus dire grand chose, à une époque où, ô stupeur, c'est l'extrême droite qui se prétend furieusement laïque).

Dans ces conditions nouvelles, la gauche doit repenser ses positions face à la religion et ne peut plus, à mon avis, s'afficher en opposition. Le Parti socialiste, contrairement aux caricatures laïcardes qu'on en fait, a beaucoup évolué, depuis longtemps. Les chrétiens de gauche ont massivement rejoint le PS dans les années 70 et influé sur sa ligne politique. Surtout, la persistance de la religion s'est développée au sein même de la gauche socialiste, avec la présence fréquente de la franc-maçonnerie. Je regrette que ce courant spirituel soit communément traité de façon polémique, en le réduisant à un affairisme : c'est une véritable religion de substitution, avec ses temples, ses maîtres et ses rituels. Bien sûr, les maçons n'ont pas de prêtres, de dogmes ni d'Eglise. Il n'empêche qu'ils constituent bel et bien une forme de spiritualité, aussi rationnelle soit-elle.

J'ai esquissé brièvement, dans ce billet, quelques pistes de réflexion sur la gauche et la religion. J'y reviendrai, tellement la question est cruciale. Ne croyez pas que tout cela ne soit que pure théorie : il s'agit bien, finalement, de revoir nos positions sur la laïcité, l'Islam et la présence concrète des religions dans notre société. Si, lecteurs, vous avez des idées à me soumettre, sérieuses et sans polémique, je suis preneur.

samedi 9 mai 2015

Todd, génie ou salaud ?



Emmanuel Todd est un sociologue de renom, à la pensée originale, c'est-à-dire contestable. De plus, son style est direct, provocateur, iconoclaste. Bref, Todd est le modèle même de l'intellectuel français, qui suscite souvent étonnement et admiration à l'étranger, et qui fait la fierté de notre pays, depuis Voltaire, avec Sartre et bien d'autres, grands ou petits. Quoi qu'on pense d'Emmanuel Todd, il a, depuis 40 ans bientôt, le mérite de nous amener à la réflexion, par des travaux sérieux, reconnus et appréciés. C'est pourquoi j'ai trouvé malvenu que le Premier ministre, à l'occasion de la sortie du dernier livre du sociologue (en vignette), entre dans la polémique et porte un jugement sur ce qui doit rester dans la sphère du débat d'idées.

En République démocratique et laïque, le pouvoir politique n'a pas à se prononcer sur les ouvrages des intellectuels, encore moins à les condamner. Il doit les lire, éventuellement s'en inspirer, en faire son miel ou son vinaigre, mais sans porter de jugement public : l'Etat n'est pas une Eglise qui excommunie ou met à l'Index. Je n'ai pas non plus apprécié que Manuel Valls s'en prenne à Michel Houellebecq, l'un de nos plus grands écrivains du moment, ni même à Eric Zemmour, journaliste et essayiste libre de ses convictions, sur lesquelles un chef de gouvernement n'a pas à porter une appréciation. Bien sûr, Manuel Valls a raison de défendre l'esprit du 11 janvier. Mais nul besoin pour cela d'attaquer ceux qui le contestent.

Sur le fond, Emmanuel Todd me convainc dans son analyse purement sociologique : le mouvement Je suis Charlie a mobilisé les classes moyennes, pas les milieux populaires. J'étais dans la grande manifestation à Paris, c'était visible. Cette réaction de masse, parce qu'elle dépassait les catégories politiques habituelles, parce qu'elle était hors-norme, avait forcément ses ambiguïtés, ses limites et ses contradictions. Mais c'est inévitable dans ce genre d'événement.

A Saint-Quentin, entre le lycée privé Saint-Jean-La-Croix et le lycée public Henri-Martin, presque côte à côte, lequel a le plus ostensiblement manifesté sur sa façade son soutien à Charlie ? Pas celui qu'on pourrait croire ! C'est l'établissement catholique qui a été le plus démonstratif, alors que ce journal est allégrement athée, anticlérical et blasphémateur ! C'est ce que Todd appelle bizarrement le "catholicisme zombie", culturel plus que spirituel, réactif au vide actuel de la foi et à la présence d'une religion étrangère, l'Islam. Parmi les millions de Charlie, il est évident que très peu étaient vraiment Charlie, beaucoup ignoraient son existence et auraient sûrement été horrifiés à sa lecture !

Sur tout ça, je suis d'accord avec Emmanuel Todd. Là où je me sépare de lui, c'est sur l'interprétation politique. Un mouvement historique est largement dépassé par les forces sociales qui le constituent. Finalement, mon reproche essentiel à Todd, c'est sa méthode, la réduction de l'idéologie à la sociologie. On ne peut pas sérieusement soutenir que l'esprit du 11 janvier soit xénophobe et totalitaire : son message est à l'opposé ! Que sa base soit individualiste, petite-bourgeoise et ignorante de l'Islam, oui, je le crois aussi. Mais les valeurs qu'elle portait étaient pacifistes, tolérantes et démocratiques, et cela me suffit pour m'y reconnaître et continuer, envers et contre tout, à être Charlie (mais je le suis depuis les années 70, je ne suis donc pas représentatif du phénomène actuel).

Ceci dit, le livre d'Emmanuel Todd est intelligent et passionnant, et la gauche aurait tout intérêt à en faire une lecture critique, pour son propre compte, pour réfléchir à ce qu'elle est et à ce qu'est devenue notre société. En fait, le plus intéressant du bouquin n'est pas dans son titre mais dans son sous-titre : sociologie d'une crise religieuse. Nous avons tous aujourd'hui, et la gauche en premier lieu, un sacré problème (c'est le cas de le dire !) avec la religion. J'y reviendrai dans un prochain billet.

vendredi 8 mai 2015

J'aime Paris au mois de Mai



J'aime Paris au mois de Mai, comme dit la chanson. Surtout boulevard Saint-Michel, le quartier Saint-Germain-des-Prés et le jardin du Luxembourg. L'air est léger, on ne pense à rien et le hasard provoque parfois des rencontres formidables (en vignette, hier, à 14h43, rue Soufflot, près du Panthéon). Nous avons parlé de Saint-Quentin (il aimerait bien y faire un tour, en Picard), de socialisme et de philosophie (j'aimerais prolonger la conversation sur ce sujet, il m'a dit de le recontacter au ministère, par courriel). On se reverra peut-être ...

jeudi 7 mai 2015

Happy birthday, mister president !



Trois ans d'Hollande, avec Jean-Marc Ayrault, puis Manuel Valls : nous fêtons l'anniversaire cette semaine. Trois ans après, comment ça va ? Bien, très bien. Grosso modo, le programme exposé pendant la campagne présidentielle a été engagé. Pas de reniement, de réorientation, pas d'erreur majeure non plus : ce n'est déjà pas si mal. Trois lignes de force sont à souligner :

1- Les réformes économiques, qui ont pour but de réduire les déficits, de relancer l'économie et de faire reculer le chômage. La dégringolade a été freinée, la décrue est attendue dans les deux prochaines années. La direction est la bonne, il faut poursuivre dans cette voie.

2- Les réformes de société
, qui ont adapté notre pays au temps présent. On a beaucoup parlé du mariage pour tous, sur quoi personne ne reviendra. Mais il y a aussi la réforme territoriale, le non cumul des mandats, les rythmes scolaires et la fin de vie, par exemple. Le bilan est particulièrement riche.

3- La défense de notre modèle social : en matière de retraites, de protection sociale, de services publics, François Hollande a maintenu et parfois renforcé nos précieux acquis. Il a refusé d'appliquer une politique d'austérité (baisse des salaires, des retraites, suppression massive des emplois publics), telle qu'elle est menée dans plusieurs pays d'Europe, par des majorités de droite.

N'y aurait-il pas de bons résultats qu'il faudrait tout de même soutenir François Hollande, du moins quand on fait partie de ses partisans : par cohérence et par fidélité. Mais ses adversaires ne sont-ils pas très nombreux, et sa personne très impopulaire ? Oui, c'est un fait. Et alors ? En France, il y a une droite et une extrême gauche qui ont toujours été hostiles aux socialistes : ça fait déjà pas mal de monde, et ça ne doit pas nous impressionner. Quant à l'impopularité personnelle, elle ne doit pas nous étonner non plus : dans la société actuelle, il n'y a que les sportifs et les chanteurs qui sont populaires.

Hollande sera-t-il candidat en 2017 ? Je le souhaite. Peut-il gagner ? Je le crois. Les Français voudront-ils revenir en arrière avec un nouveau quinquennat Sarkozy ? Invraisemblable. Se laisseront-ils tenter par l'aventure Le Pen ? Ce serait une folie. Voilà pourquoi je pense que François Hollande garde toutes ses chances. Oui, un bien bel anniversaire ...

mercredi 6 mai 2015

Misère de la statistique



Notre société est friande de statistiques : c'est le règne, un peu partout, des chiffres, des pourcentages, des courbes, des graphiques et des camemberts. Esthétiquement, c'est assez joli, et divertissant quand on s'ennuie en réunion. Les statistiques font intelligent et sérieux : avec elles, on donne l'impression de comprendre le monde. En vérité, les statistiques sont la partie la plus plate et la plus pauvre de la connaissance : elles nous font plaisir, mais n'apprennent pas grand chose. Elles sont purement descriptives, souvent inutilement détaillées, elles n'expliquent rien.

Deux exemples presque comiques confirment cette misère de la statistique, science mineure, vaine et prétentieuse. Il y a 15 jours, on nous annonce gravement que 100% des femmes ont déjà été victimes, au moins une fois dans leur vie, de harcèlement sexuel. Le chiffre est évidemment impressionnant, et surtout désespérant. Mais il est complètement pipé, il ne veut rien dire du tout, quand on sait qu'il mêle le sifflement grivois et la violence physique. La statistique perd de son sens, est inutile : nous n'avons pas besoin d'une coûteuse étude pour savoir que n'importe quelle femme est l'objet de comportements jugés condamnables, de la remarque la plus anodine à l'acte le plus criminel.

Autre exemple, connu d'aujourd'hui : 1 malade sur 2 frappé d'Alzheimer n'est pas dépisté. Mais comment le savoir, puisque le malade n'est pas dépisté ? On ne peut établir de statistiques que de ce qu'on a connaissance, pas de ce qu'on ignore. Explication des sondeurs : les médecins confondent vieillissement naturel et vieillissement pathologique et sous-estiment donc la maladie. Sauf que le vieillissement pathologique, ça ne veut rien dire : vieillir, pas plus que mourir, ne sont des maladies, mais des états de fait, dont on ne guérit pas.

Si la statistique est misérable, c'est qu'elle est le cache-sexe de l'idéologie : militantisme féministe dans le premier exemple, peur et refus de la vieillesse dans le second. Tout ça pour en venir à l'affaire du jour, le cas Robert Ménard et ses fameuses statistiques ethniques. Un adversaire, surtout lorsqu'il s'agit d'un extrémiste, il ne faut pas le censurer, il faut au contraire lui donner abondamment la parole. Ceux qui trouvent que les médias sollicitent trop les dirigeants du Front national ont tort : donner la plus grande publicité à leurs propos est la meilleure façon de les combattre. C'est le refoulé, le silence et la dissimulation qui sont dangereux.

Donc, le maire de Béziers, lundi, en direct à la télé, nous sort une très jolie statistique, précise à faire frémir : 64,9% des élèves de sa ville sont des musulmans. Autant dire que Béziers, c'est Marrakech, et la France, bientôt l'Algérie ! Comment est-il parvenu à ce fin comptage ? "Les prénoms disent les confessions", dixit Ménard. Ce type est con, il le porte sur lui, et je n'ai pas besoin d'une statistique pour le savoir. Une stupidité bien sûr en entraîne une autre : "je sais que je n'ai pas le droit de le faire". Non seulement il le fait quand même, mais ce ballot s'en vante !

Le lendemain, la connerie continue de faire des petits : "il n'y a pas de fichage des élèves à Béziers", déclare son premier magistrat, qui termine en beauté, s'accordant le mérite de "relancer le débat sur les statistiques ethniques". Quel débat ? Le président de la République a dit, il y a à peu près deux ans, qu'il n'y en aurait pas, que ces statistiques étaient parfaitement inutiles. Notez au passage que Robert Ménard, qui n'en est pas à une sottise près, confond statistiques ethniques et statistiques religieuses.

Cette misérable polémique confirme ce que nous savons depuis toujours : le Front national n'est pas un parti républicain, ses alliés non plus. En l'espèce, il viole la loi et conteste un principe républicain fondamental : il n'y a en France, aux yeux des institutions et des pouvoirs publics, que des citoyens ; les origines personnelles et familiales n'ont pas à être signalées ou prises en compte. Mais c'est un vieux fantasme totalitaire de vouloir mettre en fiches la population, surtout celle qui ne plait pas du tout à l'extrême droite.

Je regrette que dans les médias, on fasse fréquemment mention de l'origine des gens qui défraient l'actualité, en bien ou en mal. Ainsi, lors du meurtre de la petit Chloé, combien de fois ai-je entendu rappeler que le présumé coupable était "Polonais" ? Qu'est-ce que cette mention apporte à l'information ? Ce n'est pas un "Polonais" qui a tué, c'est un criminel, un malade, un pervers, et cela suffit. Mais l'extrême droite xénophobe fait son beurre rance de ce genre de précision.

mardi 5 mai 2015

Le pire de la politique



Devant le spectacle que nous inflige le Front national, je pourrais me réjouir et ironiser à bon compte : depuis toujours, je hais ces gens-là, leur parti, leurs idées, je souhaite leur mort. Pourtant, c'est la tristesse et l'accablement qui me prennent. D'abord, l'extrême droite n'en ressortira pas affaiblie, contrairement à ce qu'on pourrait croire : Jean-Marie Le Pen mis à la porte, c'est une aubaine, une occasion de se débarrasser d'un passé encombrant, qui empêchait jusqu'alors au Front national d'élargir son électorat. Pourquoi voudriez-vous que j'en sois content ? D'autant que le FN n'a pas bougé d'un pouce : ce n'est pas un changement de programme, un débat idéologique, une réorientation stratégique qui provoquent la crise actuelle, mais un conflit de formes et de personnes. Les propos récents tenus par le père, ce sont ses propos de toujours, privés et publics : la fille en a été nourrie au biberon. Rien de neuf sous le soleil brûlant et fascisant de l'extrême droite.

Ma seule consolation, c'est de voir affichée une confirmation : ce parti, incapable de se diriger lui-même, est incapable de diriger la France. Mais, à part les crétins, qui ne le sait déjà, et depuis longtemps ? Le FN n'est pas un parti comme les autres, en effet : il est pire que les autres. Tout ce que la politique a de méprisable est condensé ici. D'abord, l'irresponsabilité affligeante : voilà un parti qui vole de victoire en victoire, à qui les sondages promettent un bel avenir, et qui n'en fait rien, ne profite pas de la perspective, se détruit lui-même. Il n'est même pas à la hauteur des événements que pourtant il suscite. Si ses succès futurs ne seront pas obérés, ce sera malgré lui. Ensuite, la division délétère, mesquine, morbide : le père répudie sa fille, veut lui retirer son nom, moque sa situation matrimoniale, souhaite sa défaite à la prochaine présidentielle. Humainement et moralement, c'est affligeant.

La politique est, en soi, une belle et utile activité. Mais, dans sa réalité, elle est souvent quelque chose de bas, de médiocre, de minable, que l'extrême droite, dans sa fureur et sa folie, exaspère. Le pire du pire, c'est que les frontistes vont tout gober. Les militants, en général, sont des veaux, qui marchent à la carotte et au bâton. Je parie que Jean-Marie Le Pen va se retrouver isolé dans toute cette histoire, à part quelques têtes brûlées qui vont le suivre dans sa chute finale. La politique, c'est l'école de l'adultère, l'art de la trahison, l'apprentissage de l'infidélité. Tous ceux qui ne juraient que par Jean-Marie, y compris depuis très longtemps, vont se retourner contre lui et rallier la fille. C'est une loi universelle de la politique, aussi certaine que la loi de gravitation des planètes ou l'ébullition de l'eau à 100°C : les militants vont toujours vers ceux qui disposent du pouvoir, effectif ou possible, grand ou petit. De ce point de vue, Jean-Marie Le Pen, c'est fini, sans espoir. La politique, ce n'est pas la confrontation des convictions, comme elle se présente idéalement : ce sont les rapports de forces, c'est-à-dire, au gré des circonstances favorables ou défavorables, le bal des reniements et des ralliements. Il faut beaucoup d'efforts sur soi, de foi en la politique pour continuer d'y croire. C'est aussi que le pire n'est jamais certain, parce que l'homme n'est pas totalement assimilable à l'eau ni aux planètes.

lundi 4 mai 2015

XB dur dur



Xavier Bertrand, dans le Journal du Dimanche paru hier, a pris ou rappelé des positions assez dures, en matière de laïcité notamment. Ses amis les trouveront justes, je pense qu'elles sont excessives :

A propos des repas de substitution dans les cantines scolaires, Xavier Bertrand est contre, je suis pour. Cette possibilité a toujours existé, je ne vois pas pour quelle raison on la supprimerait. L'ancien ministre utilise le terme de "repas communautaire" : non, ce vocabulaire est biaisé, polémique, doctrinal. Il suffit simplement, de mon point de vue qui est celui de l'école laïque depuis toujours, de permettre à certains élèves de suivre les prescriptions alimentaires de leur foi. C'était autrefois le vendredi sans viande rouge pour les catholiques, par exemple. Ca ne posait aucun problème, à une époque où les chrétiens étaient beaucoup plus nombreux que les musulmans pratiquants d'aujourd'hui. Pourquoi en faire toute une histoire ?

"Je suis contre le voile à l'université, dit Xavier Bertrand. Il nous faudra aussi renforcer la laïcité dans les entreprises (...) Nous devons être intraitables". Non, je ne peux pas être d'accord avec ça. D'abord, les étudiants sont des majeurs, libres de leur façon de se vêtir. Ensuite, Xavier Bertrand vise un signe religieux en particulier, alors que le minimum laïque serait de les interdire tous. Enfin, en incluant l'entreprise, le maire de Saint-Quentin tend à élargir la loi de 2004 sur les signes religieux ostentatoires à l'ensemble de l'espace public, ce qui est à mes yeux une restriction des libertés et du droit d'expression. Ma position est à l'opposé : je souhaite une abrogation de cette loi qui crée tant de complications.

Pour régler ce genre de difficultés à l'école, Xavier Bertrand est favorable au retour à l'uniforme. J'imagine les réactions des élèves et des parents, sauf la petite minorité de nostalgiques : habiller tous les jeunes gens de la même façon, ce n'est vraiment pas dans l'air du temps, ce serait vécu comme une inutile régression. Car, au fond, avec ou sans uniforme, ça ne change pas grand chose, les différences sont là, un tissu les masque, mais personne n'est dupe et chacun sait très bien ce qu'il en est de l'autre.

"Je revendique une laïcité qui ne tolère plus aucun arrangement" : c'est le fil directeur de la pensée de Xavier Bertrand sur le sujet, et c'est tout le contraire de mon état d'esprit : fondamentalement, je suis pour les arrangements, parce que la foi est une chose délicate, personnelle, intime, à quoi les croyants, quelle que soit leur religion, tiennent, qu'il faut respecter, sans renoncer à la loi commune, mais en cherchant justement des arrangements pour que les conflits, très minoritaires, s'apaisent. Je n'ai jamais aimé les slogans droitiers tels que "tolérance zéro", qui durcissent des positions de principe, ne règlent rien mais au contraire attisent ou provoquent les contentieux.

Cette radicalisation de Xavier Bertrand se retrouve sur d'autres sujets. Pour combattre les caches d'armes ou le trafic de drogue en banlieue, il suggère de "sécuriser" la police en faisant intervenir l'armée. Non, ce n'est pas une bonne idée, aussi impressionnante soit-elle : en République, l'armée n'a pas à intervenir dans les affaires intérieures, hormis bien sûr la gendarmerie. C'est à la police de faire respecter la loi. Si on déroge à ce principe, je ne sais plus où l'on va, mais je m'en inquiète.

Sur Daech et les islamistes, son propos est là aussi excessif : "ils veulent nous faire baisser la tête, nous faire changer de mode de vie, que nous arrêtions de défendre nos valeurs et la liberté". Nous sommes tous d'accord que le terrorisme criminel est un danger de mort pour notre pays, mais il ne sert à rien de l'exagérer. Nous savons bien que ce n'est pas l'Etat islamiste qui mettra à genou une puissance nucléaire telle que la France. Il ne nous imposera jamais rien du tout, parce qu'il n'en a absolument pas les moyens. Les islamistes n'ont qu'un objectif : faire peur et faire mal. Nous ne devons pas céder à cette peur en exagérant les intentions et les capacités d'un pseudo-Etat. Ce serait faire trop d'honneur à des fanatiques et à des criminels. Il faut substituer à l'imprécation et à la dramatisation un langage de raison qui relativise et rassure.

Enfin, à propos des jeunes qui partent faire le djihad, Xavier Bertrand propose "l'enfermement" à leur retour. "Avec une telle mesure, soit ils ne reviendraient pas sur le territoire français, soit ils seraient condamnés à la clandestinité". L'argumentation justifie mon opposition à cette proposition : que de jeunes français radicalisés s'égarent dans une guerre étrangère, personne ne peut s'en réjouir, et l'objectif est de les voir revenir, en les faisant renoncer à leur idées criminelles, à partir des lois existantes. Quant à les condamner, sur notre territoire, à la clandestinité, ce serait la pire des choses, les renforcer dans leur terrorisme, en faire des individus prêts à tout puisque n'ayant plus rien à perdre.

On critiquera peut-être mon angélisme, par opposition au réalisme de Xavier Bertrand. Mais ma position n'est pas celle-là : je ne suis pas naïf ou idéaliste, seulement prudent, méfiant à l'égard d'une forme d'intransigeance qui ne me semble pas appropriée, qui va dans le sens de la surenchère, qui joue sur la corde sensible, qui fait suite à la médiatisation outrancière des événements, qui cherche à capter l'indignation légitime de l'opinion. La gauche elle-même, parfois, cède à cette facilité trompeuse. Ce n'est pas une raison d'être dur dur à mon tour.

dimanche 3 mai 2015

Un droit au blasphème ?



L'émission de Laurent Ruquier "On n'est pas couché" est un bon divertissement, mais un mauvais débat d'idées. Elle cherche à faire le buzz, pas à faire réfléchir. C'est d'ailleurs très bien comme ça : la vie ne serait pas drôle s'il fallait sans cesse penser et renoncer à s'amuser. Mais le mélange des genres est impossible et fâcheux : on ne peut pas à la fois réfléchir et rigoler. Hier encore, la remarque s'est confirmée : l'essayiste Caroline Fourest était invitée, un clash monumental était annoncé avec l'animateur-vedette Aymeric Caron, il ne s'est en fait rien passé du tout, aucune confrontation digne de ce nom, simplement une basse et vulgaire polémique, comme notre société médiatique en déclenche toutes les 48 heures.

Dans cette affaire, je soutiens Fourest contre Caron. Celui-ci reproche à celle-là d'avoir des positions trop tranchées, de s'en prendre nommément à des personnalités, de critiquer une partie de la gauche antiraciste. C'est devenu désormais typique de notre société : avoir des convictions fortes, argumentées, se montrer déterminé, critique, combatif, c'est très mal vu, vous passez pour intolérant, agressif. Voilà ce qui irrite Aymeric Caron chez Caroline Fourest : plus une question de forme que de fond. Il est souriant, léger, cool ; elle est sérieuse, stricte, intransigeante : impossible de s'entendre. J'aime bien Caron parce qu'il est sympa, marrant, curieux, pas bête et de gauche. Mais je préfère, de très loin, Fourest, parce qu'elle est rigoureuse, engagée, indépendante, directe et de gauche.

Apprécier une personnalité, lui reconnaitre d'éminentes qualités intellectuelles, comme c'est le cas chez Caroline Fourest, ne signifie pas non plus qu'on est toujours d'accord avec elle, ni même qu'on partage l'essentiel de sa pensée. Je suis en désaccord total (oui, à mon tour d'être direct et critique !) avec le titre de son dernier ouvrage : "Le droit au blasphème". Un titre, ce n'est pas rien : c'est le concentré de ce qu'on veut dire, l'idée la plus importante, le message à transmettre. C'est quelque chose qu'on choisit avec soin, sur quoi on réfléchit longuement, qui doit être très clair, immédiatement compréhensible. Or, ce titre-là ne correspond pas à ce que je pense et à ce que je veux.

Le "blasphème" est une notion religieuse qui n'a de sens que pour les croyants : c'est une offense à Dieu, une profanation du sacré. Pour celui qui ne croit pas, il n'y a ni Dieu, ni sacré, donc pas de profanation ni de "blasphème". Il y a seulement la liberté d'expression, le droit de critiquer ou de rire comme on l'entend, parce qu'on est en République. Mais parler d'un "droit au blasphème" n'a aucun sens, ne peut être qu'incompris. C'est un peu comme si l'on défendait un invraisemblable "droit à l'anti-syndicalisme" au nom de la liberté: ça n'aurait aucun sens, ce serait très contestable. Le droit d'expression et la liberté de critiquer, moquer ou caricaturer sont universels : c'est ce qui fait leur force. Pour les religions, un "droit au blasphème" ne peut être perçu que comme une attaque les visant en propre, reprenant leur vocabulaire, le retournant contre elles. La laïcité n'entre pas dans ce jeu-là : elle est neutre, indépendante, rationnelle, elle ne reprend pas à son compte des concepts religieux.

Laissons à la religion ce qui revient à la religion, et que la laïcité repose sur ses propres valeurs, qui lui suffisent, sans qu'elle ait besoin d'aller chercher ailleurs ce qui est étranger à sa tradition. Bien sûr, je ne doute pas que Caroline Fourest emploie l'expression "droit au blasphème" avec d'invisibles guillemets, dans un second degré, récupérant et détournant un terme religieux qui limite la liberté d'expression, et que l'objectif de la journaliste est de mieux défendre celle-ci. Oui, je comprends, mais ce titre, tel quel, est équivoque, il prête à mésinterprétation. Quand on est, avec bonheur, du côté de la rigueur, de la justesse des mots, de l'argumentation, on ne choisit pas un titre ambigu, confus dans ce qu'il laisse entendre. En République, autoriser le blasphème est aussi inconséquent que l'interdire. Jamais nos anciens laïques, qu'il ne faut pas se lasser de citer, n'ont songé à cette incohérence, à cette petite monstruosité théorique et juridique que serait un "droit au blasphème". Mais contrairement à Aymeric Caron, je ne prends pas la mouche, je ne m'indigne pas : je respecte un point de vue et j'argumente un désaccord. Il est malheureux que nous devions, dans le débat public actuel, rappeler de telles évidences !

Un dernier mot : savez-vous qui est le plus grand blasphémateur de tous les temps, condamné à mort pour cette raison ? Un athée, un voltairien, un anticlérical, un bouffeur de curé, un libre-penseur ? Non, vous n'y êtes pas du tout : c'est Jésus-Christ, coupable devant les grands prêtres du judaïsme de se dire Fils de Dieu, le pire blasphème qui soit à leurs yeux.