jeudi 14 mai 2015

Jules Ferry, réveille-toi !



En adoptant hier une loi qui interdit les signes religieux dans les crèches privées à financement public, l'Assemblée nationale contrevient à l'idée que je me fais de la laïcité, qui est un principe de liberté, et pas un principe d'exclusion (seul le Front de gauche s'est abstenu, avec lequel pour une fois je suis d'accord). Cette dérive dangereuse est le résultat de la funeste loi de 2004, appliquée à l'école publique, que j'ai souvent dénoncée sur ce blog, dont je souhaite l'abrogation. Mais le climat de xénophobie et d'anti-islamisme qui souffle en France ne se prête hélas guère à cette décision.

Contraire à la laïcité à la française, cette loi étend au domaine privé ce que nos grands ancêtres, authentiquement laïques et républicains, réservaient au seul domaine des institutions : la séparation des églises et de l'Etat, la stricte neutralité religieuse de celui-ci. Depuis 2004, c'est une laïcité dénaturée, pervertie, liberticide qui s'est mise en place, en étendant son principe à toute la société, visant implicitement une communauté, les musulmans, les immigrés et leur descendants. Etonnez-vous que l'extrême droite applaudisse et se prétende à son tour furieusement laïque. Ma pauvre laïcité, qu'a-t-on fait de toi, en mettant dans ta bouche des paroles qui te sont étrangères !

Savez-vous que la loi adoptée hier était au programme départemental du Front national ? Savez-vous qu'elle a été initialement proposée par le PRG, à la suite de l'affaire Baby-Loup, et que ses dispositions premières frappaient n'importe quelle structure de jeunesse, à tel point que le mouvement scout lui-même se voyait menacé ? Mais qu'est-ce qui peut donc amener des hommes de gauche, de tradition républicaine, à se fourvoyer dans une caricature autoritaire, punitive et intégriste de la laïcité ? J'ai une réponse à proposer : la gauche française, en voie accélérée de social-démocratisation qu'une partie d'elle a du mal à assumer, se cherche un revival identitaire, qu'elle croit trouver dans une laïcité totalisante, sinon totalitaire. Nous avons déjà connu ce type de régression : dans les années 50, Guy Mollet renoue avec l'ouvriérisme (s'il ne l'avait jamais délaissé !) au moment où son gouvernement défend la colonisation. Sauf que la social-démocratie est une valeur de gauche, à la différence de l'Algérie française.

Dans ce débat, je me trouve en parfait accord avec un socialiste pour lequel j'éprouve, depuis longtemps, une vive estime : Jean-Louis Bianco, président de l'Observatoire de la Laïcité. Je vous renvoie à son remarquable entretien au quotidien La Croix, du 15 mars, dont je vous cite les dernières phrases : "On met le doigt dans un engrenage dramatique. On va ensuite légiférer sur les mamans qui accompagnent les sorties scolaires, sur l'université, sur les usagers des services publics, sur l'entreprise ... Certains veulent normer la société, ce qui est le contraire de la liberté et de la diversité dans le monde moderne".

Il y a quand même des socialistes de coeur, d'intelligence et de fidélité, qui nous sauvent de la honte à se dire laïque, quand on voit, effaré, ce qu'on fait de la laïcité, défigurée, méconnaissable, étrangère à elle-même. Oui, la laïcité est en danger, non plus comme autrefois à cause de ses adversaires déclarés, mais de ses partisans infidèles. En 1968, quand les chars soviétiques ont envahi la Tchécoslovaquie pour soi-disant défendre le socialisme, les murs ont vu s'afficher spontanément ce slogan : "Lénine, réveille-toi, ils sont devenus fous !" Devant les chars d'assaut de la pseudo-laïcité sectaire, j'ai envie aussi de m'écrier : Jules Ferry, Jean Macé, Ferdinand Buisson, réveillez-vous, ils sont devenus fous !

19 commentaires:

Anonyme a dit…

Euh à l'extérieur Jules Ferry était un tenant de l'inégalité des races justifiant ainsi le colonialisme.
Par ailleurs en interne "son" école publique généralisée tombait au bon moment pour donner aux grandes usines grandes consommatrices de main d'oeuvre des ouvriers susceptibles de lire le ordres simples.
Ces deux piliers politiques étaient très utilitaires et évoquent plutôt le "comment à aider les riches à être encore plus riches"

Emmanuel Mousset a dit…

Si je vous comprends bien, ce Jules Ferry était un vrai salaud ?

C a dit…

Jules Ferry, salaud ?
Personne n'a jamais été tout blanc non plus que tout noir...
Le Génie du christianisme lui-même, le Christ, en son parcours terrestre présumé fut-il toujours si exemplaire ?
Un mauvais sujet peut un jour faire une bonne action comme un saint homme d'église ou d'autre obédience peut un jour fauter...
Il faut considérer que l'oeuvre de Jules Ferry du point de vue scolaire aura été une avancée à parfaire pour notre nation et c'est déjà bien pour un seul homme et toute l'humanité donc...

Erwan Blesbois a dit…

Comment expliquer que le génie du christianisme, le christ, un quasi anarchiste, ennemi de toute forme d'autorité et de hiérarchie, qu'il dénonçait par le terme d'hypocrisie, ait pu enfanter une des religions les plus dogmatiques qui soit : le catholicisme, justifiant la hiérarchie et donc l'hypocrisie pour le monde temporel, rejetant le génie du christianisme dans une "vie après la mort", sans grande imagination d'ailleurs. C'est donc que le génie du christianisme était totalitaire avant l'heure et que la religion catholique fut son principe de réalité. Car l'hypocrisie est l'hommage du vice à la vertu, et vaut mieux que toute revendication de pureté de l'âme et de la société, qui de la pureté mène au cynisme, qui de Rousseau mène à Staline.
Le catholicisme dans le cas d'un vieux pays comme la France est plus prégnant que la jeune république arrogante. Autrement dit tous les chemins mènent à Rome, c'est-à-dire au Vatican, cependant les voies de dieu sont impénétrables : c'est le mystère de la religion. Ce qui nous amène à nous demander si la religion musulmane est vraiment compatible avec ce vieux mode de penser européen, si l'autre n'est pas parfois trop "autre" pour s'acclimater à une vieille civilisation. C'est alors que la civilisation "la plus jeune" demande que l'on s'acclimate à elle, renversant les données du problème, qu'on lui fasse bon accueil avant tout, qu'on s'adapte à elle plutôt que l'inverse. Et vue le passif de la vieille civilisation, il y a toujours moyen d'appuyer là où ça fait mal : la culpabilité.

Erwan Blesbois a dit…

Je tiens à apporter la précision suivante pour clarifier ma pensée, ma pauvre pensée : tous les chemins mènent à Rome, c'est-à-dire au Vatican, c'est-à-dire au père, au pape, à la notion la plus haute de la hiérarchie temporelle. Cependant les voies de dieu sont impénétrables : c'est le mystère de la religion; le plus vil rejeton de l'humanité peut être touché par la grâce et dépasser spirituellement le pape lui-même, la religion catholique le reconnait, quand elle a encore conscience que son vrai génie est effectivement le christ, faiseur de miracles.

Emmanuel Mousset a dit…

"Le plus vil rejeton de l'humanité" : c'est un autoportrait ?

Anonyme a dit…

C'est quoi tout ce délire religieux , vous y souscrivez avec délice , comme voie de l'obscurantisme et de la régression sociétale et de gouvernance .. Auriez vous aussi comme ERWAN perdu la tête et souscris à un avenir de chaos dans un monde sans culture , ni lois autre que celle des fous de DIEU et de la barbarie ...
Espérant que ce ne sont que fictions entre VOUS !!!

.

Emmanuel Mousset a dit…

Ne soyez pas si énervé.

Erwan Blesbois a dit…

Concours des grandes écoles, agrégation, Capes, école normale supérieure, maître de conférence, médecin : le produit de notre méritocratie ; tous ces titres ne sont qu'un fatras hypocrite et l'expression d'un pouvoir temporel qui en ayant l'air cool, opprime ; et ne reflètent pas les véritables qualités du cœur et du saint esprit, comme aurait pu le dire le christ. Difficile aujourd'hui de ne pas passer dans un moule pour être reconnu socialement sans être un voyou sans grâce et cynique, bien sûr il y a sans doute un tas d'autres voies de réussite. Mais je préférais les artistes des temps obscurs du christianisme : le Caravage, Cervantès, les artistes italiens de la renaissance ; souvent des mauvais garçons qui auraient mal tourné ou qui ont mal tourné et à qui la religion catholique, par les voies impénétrables de la grâce, laissait une chance de se racheter. L'archétype le plus moderne de ce genre d'artiste, le dernier en son genre qui nous fait sentir ce que la modernité nous a fait perdre, c'est Pasolini et dans sa lignée Abel Ferrara. Oui j'aime les artistes maudits et provocateurs que produisait le christianisme, des artistes à l'air libre, pas des artistes de salon ou de musée, pas des artistes existentialistes, cool, doux, modernes, mais des artistes plus durs qui mettaient en péril leur vie dans chaque œuvre.

Emmanuel Mousset a dit…

Je ne suis pas sûr que les artistes de la Renaissance aient vraiment rendu service au christianisme, avec leur peinture réaliste et humaniste qui évacue la dimension surnaturelle et divine des scènes religieuses. En la matière, la supériorité de l'art byzantin, en particulier les icônes, me semble indéniable.

Erwan Blesbois a dit…

Il fallait lire plus haut selon moi que le pape est la notion la plus haute de la hiérarchie spirituelle et non temporelle. Ce qui compte dans la religion du christ c'est l'esprit et non la lettre (la loi), l'inverse c'est-à-dire le monde factuel de la république est totalement non spirituel ; mais rien ne peut totalement tuer l'esprit, alors il vit encore.

Erwan Blesbois a dit…

Je n'aime pas trop l'art du moyen âge qui déforme les perspectives et la réalité en fonction de la place hiérarchique de chacun. Non l'art de la renaissance parce qu'il est réaliste, qu'il dit la vérité, se rapproche le plus du message du christ.

Erwan Blesbois a dit…

Arriver à représenter la réalité par delà les apparences trompeuses (celles de la hiérarchie et de l'hypocrisie) est bien plus "miraculeux" que les représentations du moyen-âge. D'ailleurs les papes ne s'y sont pas trompés, ils se sont arrêtées à la renaissance italienne pour orner le Vatican, leur trône terrestre, le plus haut sommet de l'art italien donc de l'art tout court. Puisqu'en matière d'art l'Italie peut donner des leçons au monde entier.

Emmanuel Mousset a dit…

L'art ne fait pas le pape : les souverains pontifes de la Renaissance ne sont pas des modèles de vie évangélique.

Erwan Blesbois a dit…

C'est le moins que l'on puisse dire, ils étaient totalement corrompus. De cette corruption est née la réforme de Luther.
Mais cela n'est pas contradictoire, je n'admire pas le pape. Pierre si , tel que le représente pasolini : un homme simple et fruste, un peu lâche, puisqu'il reniera le christ ; mais admirable puisqu'il servira de clef de voûte au formidable édifice qui se proposait de remplacer le pouvoir temporel romain par un royaume céleste. Œuvre qui perdure aujourd'hui puisque c'est à Rome que se trouve le trône terrestre du pape.

Emmanuel Mousset a dit…

Comme quoi les lâches et les faibles peuvent être aussi promis à un bel avenir. C'est rassurant ... pour eux.

Erwan Blesbois a dit…

L'important est d'être à la bonne place au bon moment. Tu ne manques pas de courage...mais ce qui te manque c'est l'occasion de le prouver, le "kairos" disaient les Grecs. "Passe, passe le temps, il n'y en a plus pour très longtemps" chantait Moustaki

D. a dit…

Le "bel avenir" de Simon Pierre ? Finir en croix ? Partir du Jules Ferry colonisateur pour en arriver au Vatican, pouvoir temporel quoi qu'on dise, fasse et se contorsionne... Cela peut se comprendre : l'un envoya coloniser les corps d'ébène ou jaunes de peau et l'autre enverrait toujours s'il le pouvait encore, coloniser les âmes...
Partir de l'école publique...
Arriver au principal réseau d'écoles privées sur notre sol...
Ce blog a au moins ce mérite là et c'est bien qu'il existe ainsi !

Emmanuel Mousset a dit…

Erwan, il n'y a pas de courage à faire ce qui plait et je n'ai aucune envie de prouver quoi que ce soit.