mercredi 6 mai 2015

Misère de la statistique



Notre société est friande de statistiques : c'est le règne, un peu partout, des chiffres, des pourcentages, des courbes, des graphiques et des camemberts. Esthétiquement, c'est assez joli, et divertissant quand on s'ennuie en réunion. Les statistiques font intelligent et sérieux : avec elles, on donne l'impression de comprendre le monde. En vérité, les statistiques sont la partie la plus plate et la plus pauvre de la connaissance : elles nous font plaisir, mais n'apprennent pas grand chose. Elles sont purement descriptives, souvent inutilement détaillées, elles n'expliquent rien.

Deux exemples presque comiques confirment cette misère de la statistique, science mineure, vaine et prétentieuse. Il y a 15 jours, on nous annonce gravement que 100% des femmes ont déjà été victimes, au moins une fois dans leur vie, de harcèlement sexuel. Le chiffre est évidemment impressionnant, et surtout désespérant. Mais il est complètement pipé, il ne veut rien dire du tout, quand on sait qu'il mêle le sifflement grivois et la violence physique. La statistique perd de son sens, est inutile : nous n'avons pas besoin d'une coûteuse étude pour savoir que n'importe quelle femme est l'objet de comportements jugés condamnables, de la remarque la plus anodine à l'acte le plus criminel.

Autre exemple, connu d'aujourd'hui : 1 malade sur 2 frappé d'Alzheimer n'est pas dépisté. Mais comment le savoir, puisque le malade n'est pas dépisté ? On ne peut établir de statistiques que de ce qu'on a connaissance, pas de ce qu'on ignore. Explication des sondeurs : les médecins confondent vieillissement naturel et vieillissement pathologique et sous-estiment donc la maladie. Sauf que le vieillissement pathologique, ça ne veut rien dire : vieillir, pas plus que mourir, ne sont des maladies, mais des états de fait, dont on ne guérit pas.

Si la statistique est misérable, c'est qu'elle est le cache-sexe de l'idéologie : militantisme féministe dans le premier exemple, peur et refus de la vieillesse dans le second. Tout ça pour en venir à l'affaire du jour, le cas Robert Ménard et ses fameuses statistiques ethniques. Un adversaire, surtout lorsqu'il s'agit d'un extrémiste, il ne faut pas le censurer, il faut au contraire lui donner abondamment la parole. Ceux qui trouvent que les médias sollicitent trop les dirigeants du Front national ont tort : donner la plus grande publicité à leurs propos est la meilleure façon de les combattre. C'est le refoulé, le silence et la dissimulation qui sont dangereux.

Donc, le maire de Béziers, lundi, en direct à la télé, nous sort une très jolie statistique, précise à faire frémir : 64,9% des élèves de sa ville sont des musulmans. Autant dire que Béziers, c'est Marrakech, et la France, bientôt l'Algérie ! Comment est-il parvenu à ce fin comptage ? "Les prénoms disent les confessions", dixit Ménard. Ce type est con, il le porte sur lui, et je n'ai pas besoin d'une statistique pour le savoir. Une stupidité bien sûr en entraîne une autre : "je sais que je n'ai pas le droit de le faire". Non seulement il le fait quand même, mais ce ballot s'en vante !

Le lendemain, la connerie continue de faire des petits : "il n'y a pas de fichage des élèves à Béziers", déclare son premier magistrat, qui termine en beauté, s'accordant le mérite de "relancer le débat sur les statistiques ethniques". Quel débat ? Le président de la République a dit, il y a à peu près deux ans, qu'il n'y en aurait pas, que ces statistiques étaient parfaitement inutiles. Notez au passage que Robert Ménard, qui n'en est pas à une sottise près, confond statistiques ethniques et statistiques religieuses.

Cette misérable polémique confirme ce que nous savons depuis toujours : le Front national n'est pas un parti républicain, ses alliés non plus. En l'espèce, il viole la loi et conteste un principe républicain fondamental : il n'y a en France, aux yeux des institutions et des pouvoirs publics, que des citoyens ; les origines personnelles et familiales n'ont pas à être signalées ou prises en compte. Mais c'est un vieux fantasme totalitaire de vouloir mettre en fiches la population, surtout celle qui ne plait pas du tout à l'extrême droite.

Je regrette que dans les médias, on fasse fréquemment mention de l'origine des gens qui défraient l'actualité, en bien ou en mal. Ainsi, lors du meurtre de la petit Chloé, combien de fois ai-je entendu rappeler que le présumé coupable était "Polonais" ? Qu'est-ce que cette mention apporte à l'information ? Ce n'est pas un "Polonais" qui a tué, c'est un criminel, un malade, un pervers, et cela suffit. Mais l'extrême droite xénophobe fait son beurre rance de ce genre de précision.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Cette fois, avec cette "Misère de la statistique", vous êtes plutôt brillant ! Démonstration impeccable ! Décidément, vous êtes bien meilleur lorsque vous observez la droite bornée que quand vous vous essayez à parler des socialistes...
Parce qu'alors là, question socialisme, c'est vous qui semblez "borné"...
Ce que pourtant, à bien des égards, vous ne devez pas, vous ne pouvez pas être, référence à votre profession...

Emmanuel Mousset a dit…

Les Anglais disent : "Nobody is perfect". Mais je suis Berrichon.