samedi 9 mai 2015

Todd, génie ou salaud ?



Emmanuel Todd est un sociologue de renom, à la pensée originale, c'est-à-dire contestable. De plus, son style est direct, provocateur, iconoclaste. Bref, Todd est le modèle même de l'intellectuel français, qui suscite souvent étonnement et admiration à l'étranger, et qui fait la fierté de notre pays, depuis Voltaire, avec Sartre et bien d'autres, grands ou petits. Quoi qu'on pense d'Emmanuel Todd, il a, depuis 40 ans bientôt, le mérite de nous amener à la réflexion, par des travaux sérieux, reconnus et appréciés. C'est pourquoi j'ai trouvé malvenu que le Premier ministre, à l'occasion de la sortie du dernier livre du sociologue (en vignette), entre dans la polémique et porte un jugement sur ce qui doit rester dans la sphère du débat d'idées.

En République démocratique et laïque, le pouvoir politique n'a pas à se prononcer sur les ouvrages des intellectuels, encore moins à les condamner. Il doit les lire, éventuellement s'en inspirer, en faire son miel ou son vinaigre, mais sans porter de jugement public : l'Etat n'est pas une Eglise qui excommunie ou met à l'Index. Je n'ai pas non plus apprécié que Manuel Valls s'en prenne à Michel Houellebecq, l'un de nos plus grands écrivains du moment, ni même à Eric Zemmour, journaliste et essayiste libre de ses convictions, sur lesquelles un chef de gouvernement n'a pas à porter une appréciation. Bien sûr, Manuel Valls a raison de défendre l'esprit du 11 janvier. Mais nul besoin pour cela d'attaquer ceux qui le contestent.

Sur le fond, Emmanuel Todd me convainc dans son analyse purement sociologique : le mouvement Je suis Charlie a mobilisé les classes moyennes, pas les milieux populaires. J'étais dans la grande manifestation à Paris, c'était visible. Cette réaction de masse, parce qu'elle dépassait les catégories politiques habituelles, parce qu'elle était hors-norme, avait forcément ses ambiguïtés, ses limites et ses contradictions. Mais c'est inévitable dans ce genre d'événement.

A Saint-Quentin, entre le lycée privé Saint-Jean-La-Croix et le lycée public Henri-Martin, presque côte à côte, lequel a le plus ostensiblement manifesté sur sa façade son soutien à Charlie ? Pas celui qu'on pourrait croire ! C'est l'établissement catholique qui a été le plus démonstratif, alors que ce journal est allégrement athée, anticlérical et blasphémateur ! C'est ce que Todd appelle bizarrement le "catholicisme zombie", culturel plus que spirituel, réactif au vide actuel de la foi et à la présence d'une religion étrangère, l'Islam. Parmi les millions de Charlie, il est évident que très peu étaient vraiment Charlie, beaucoup ignoraient son existence et auraient sûrement été horrifiés à sa lecture !

Sur tout ça, je suis d'accord avec Emmanuel Todd. Là où je me sépare de lui, c'est sur l'interprétation politique. Un mouvement historique est largement dépassé par les forces sociales qui le constituent. Finalement, mon reproche essentiel à Todd, c'est sa méthode, la réduction de l'idéologie à la sociologie. On ne peut pas sérieusement soutenir que l'esprit du 11 janvier soit xénophobe et totalitaire : son message est à l'opposé ! Que sa base soit individualiste, petite-bourgeoise et ignorante de l'Islam, oui, je le crois aussi. Mais les valeurs qu'elle portait étaient pacifistes, tolérantes et démocratiques, et cela me suffit pour m'y reconnaître et continuer, envers et contre tout, à être Charlie (mais je le suis depuis les années 70, je ne suis donc pas représentatif du phénomène actuel).

Ceci dit, le livre d'Emmanuel Todd est intelligent et passionnant, et la gauche aurait tout intérêt à en faire une lecture critique, pour son propre compte, pour réfléchir à ce qu'elle est et à ce qu'est devenue notre société. En fait, le plus intéressant du bouquin n'est pas dans son titre mais dans son sous-titre : sociologie d'une crise religieuse. Nous avons tous aujourd'hui, et la gauche en premier lieu, un sacré problème (c'est le cas de le dire !) avec la religion. J'y reviendrai dans un prochain billet.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Je suis convaincu que le caractère dynastique du FN est ce qui le rend si attirant pour les Français. Mille ans de monarchie héréditaire laissent plus de traces qu'un siècle d'une pseudo république qui ne s'est jamais vraiment enracinée. Les Français ne sont pas républicains. Point barre!