lundi 4 mai 2015

XB dur dur



Xavier Bertrand, dans le Journal du Dimanche paru hier, a pris ou rappelé des positions assez dures, en matière de laïcité notamment. Ses amis les trouveront justes, je pense qu'elles sont excessives :

A propos des repas de substitution dans les cantines scolaires, Xavier Bertrand est contre, je suis pour. Cette possibilité a toujours existé, je ne vois pas pour quelle raison on la supprimerait. L'ancien ministre utilise le terme de "repas communautaire" : non, ce vocabulaire est biaisé, polémique, doctrinal. Il suffit simplement, de mon point de vue qui est celui de l'école laïque depuis toujours, de permettre à certains élèves de suivre les prescriptions alimentaires de leur foi. C'était autrefois le vendredi sans viande rouge pour les catholiques, par exemple. Ca ne posait aucun problème, à une époque où les chrétiens étaient beaucoup plus nombreux que les musulmans pratiquants d'aujourd'hui. Pourquoi en faire toute une histoire ?

"Je suis contre le voile à l'université, dit Xavier Bertrand. Il nous faudra aussi renforcer la laïcité dans les entreprises (...) Nous devons être intraitables". Non, je ne peux pas être d'accord avec ça. D'abord, les étudiants sont des majeurs, libres de leur façon de se vêtir. Ensuite, Xavier Bertrand vise un signe religieux en particulier, alors que le minimum laïque serait de les interdire tous. Enfin, en incluant l'entreprise, le maire de Saint-Quentin tend à élargir la loi de 2004 sur les signes religieux ostentatoires à l'ensemble de l'espace public, ce qui est à mes yeux une restriction des libertés et du droit d'expression. Ma position est à l'opposé : je souhaite une abrogation de cette loi qui crée tant de complications.

Pour régler ce genre de difficultés à l'école, Xavier Bertrand est favorable au retour à l'uniforme. J'imagine les réactions des élèves et des parents, sauf la petite minorité de nostalgiques : habiller tous les jeunes gens de la même façon, ce n'est vraiment pas dans l'air du temps, ce serait vécu comme une inutile régression. Car, au fond, avec ou sans uniforme, ça ne change pas grand chose, les différences sont là, un tissu les masque, mais personne n'est dupe et chacun sait très bien ce qu'il en est de l'autre.

"Je revendique une laïcité qui ne tolère plus aucun arrangement" : c'est le fil directeur de la pensée de Xavier Bertrand sur le sujet, et c'est tout le contraire de mon état d'esprit : fondamentalement, je suis pour les arrangements, parce que la foi est une chose délicate, personnelle, intime, à quoi les croyants, quelle que soit leur religion, tiennent, qu'il faut respecter, sans renoncer à la loi commune, mais en cherchant justement des arrangements pour que les conflits, très minoritaires, s'apaisent. Je n'ai jamais aimé les slogans droitiers tels que "tolérance zéro", qui durcissent des positions de principe, ne règlent rien mais au contraire attisent ou provoquent les contentieux.

Cette radicalisation de Xavier Bertrand se retrouve sur d'autres sujets. Pour combattre les caches d'armes ou le trafic de drogue en banlieue, il suggère de "sécuriser" la police en faisant intervenir l'armée. Non, ce n'est pas une bonne idée, aussi impressionnante soit-elle : en République, l'armée n'a pas à intervenir dans les affaires intérieures, hormis bien sûr la gendarmerie. C'est à la police de faire respecter la loi. Si on déroge à ce principe, je ne sais plus où l'on va, mais je m'en inquiète.

Sur Daech et les islamistes, son propos est là aussi excessif : "ils veulent nous faire baisser la tête, nous faire changer de mode de vie, que nous arrêtions de défendre nos valeurs et la liberté". Nous sommes tous d'accord que le terrorisme criminel est un danger de mort pour notre pays, mais il ne sert à rien de l'exagérer. Nous savons bien que ce n'est pas l'Etat islamiste qui mettra à genou une puissance nucléaire telle que la France. Il ne nous imposera jamais rien du tout, parce qu'il n'en a absolument pas les moyens. Les islamistes n'ont qu'un objectif : faire peur et faire mal. Nous ne devons pas céder à cette peur en exagérant les intentions et les capacités d'un pseudo-Etat. Ce serait faire trop d'honneur à des fanatiques et à des criminels. Il faut substituer à l'imprécation et à la dramatisation un langage de raison qui relativise et rassure.

Enfin, à propos des jeunes qui partent faire le djihad, Xavier Bertrand propose "l'enfermement" à leur retour. "Avec une telle mesure, soit ils ne reviendraient pas sur le territoire français, soit ils seraient condamnés à la clandestinité". L'argumentation justifie mon opposition à cette proposition : que de jeunes français radicalisés s'égarent dans une guerre étrangère, personne ne peut s'en réjouir, et l'objectif est de les voir revenir, en les faisant renoncer à leur idées criminelles, à partir des lois existantes. Quant à les condamner, sur notre territoire, à la clandestinité, ce serait la pire des choses, les renforcer dans leur terrorisme, en faire des individus prêts à tout puisque n'ayant plus rien à perdre.

On critiquera peut-être mon angélisme, par opposition au réalisme de Xavier Bertrand. Mais ma position n'est pas celle-là : je ne suis pas naïf ou idéaliste, seulement prudent, méfiant à l'égard d'une forme d'intransigeance qui ne me semble pas appropriée, qui va dans le sens de la surenchère, qui joue sur la corde sensible, qui fait suite à la médiatisation outrancière des événements, qui cherche à capter l'indignation légitime de l'opinion. La gauche elle-même, parfois, cède à cette facilité trompeuse. Ce n'est pas une raison d'être dur dur à mon tour.

6 commentaires:

Anonyme a dit…

Vous oubliez que nous sommes en guerre à l'extérieur contre ces fanatiques et aussi à l'intérieur, d'ailleurs l'armée est dans les villes , je pense que cela ne vous a pas échappé ...

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Emmanuel Mousset a dit…

Non, je suis contre l'idée d'un "ennemi de l'intérieur". Nous ne sommes pas en guerre civile.

Je suppose que vous faites référence au plan Vigipirate. Mais ce n'est pas un plan destiné à combattre la délinquance, qui doit rester du ressort exclusif de la police.

Anonyme a dit…

Délinquance et terrorisme sont liés, et c'est la triste évolution d'un milieu qui a fait de la violence un précepte quotidien dans le cadre de territoires urbains bien gardés ....

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Emmanuel Mousset a dit…

Non, il n'y a pas de lien automatique entre délinquance et terrorisme. L'écrasante majorité des délinquants ne sont pas des terroristes, et les terroristes peuvent appartenir à des milieux sociaux bien intégrés.

D. a dit…

Juste un petit mot concernant les repas :
s'il s'agit de restaurants scolaires ou autres, il est normal qu'il y ait possibilité de choisir ses mets... (je pense aussi aux gens devant suivre des régimes particuliers).
s'il s'agit de cantines scolaires ou autres, carte unique pour tout le monde...
Personne n'est forcé de manger à la cantine...
Le "problème" des repas n'est pas national, il est local. A chaque entité de savoir si elle veut mettre en place un restaurant ou une cantine, et évidemment pas pour les mêmes tarifs...

Emmanuel Mousset a dit…

Les parents envoient tout de même les enfants à la cantine parce qu'ils ne peuvent pas faire autrement. Le choix est purement théorique ; dans la réalité, non. L'idéal serait bien sûr que chacun vive sa foi de son côté.