jeudi 22 septembre 2011

Fabrice à Henri-Martin.

Vous connaissez le fameux épisode de Fabrice à Waterloo dans "La Chartreuse de Parme" de Stendhal : le héros est au milieu de l'historique bataille mais n'en retient que quelques banales coups de canons et cavaliers fuyant au loin. Ce matin, j'étais ce Fabrice, mais sans rien de guerrier. C'est en arrivant devant mon lycée, Henri-Martin à Saint-Quentin, que j'ai compris que ce jour n'était pas un jour comme les autres : plusieurs policiers en tenue surveillaient devant l'entrée, talkie-walkie à l'oreille.

Le beau portail de la cour d'honneur, qu'on n'ouvre que pour les grandes occasions, était ouvert. Je vous laisse la déduction. Pour renforcer le sentiment qu'un moment exceptionnel se préparait, une caméra à l'épaule se baladait et deux journalistes jouaient aux sentinelles : Nassera Lounassi, de L'Aisne Nouvelle, et Jean-Michel Roustand, de L'Union. Quand Roustand se déplace, c'est qu'il y a du sérieux dans l'air. Mais quoi exactement ? J'essaie de savoir, une bouche mystérieuse me répond que "quelqu'un d'important" s'apprête à être reçu par le lycée.

Très bien, mais c'est quoi, "quelqu'un d'important" ? Monsieur le sous-préfet arrive, parlant dans son portable tout en marchant, comme le font souvent les gens importants. Serait-ce lui ? Non, il a déjà visité l'établissement, sans la présence d'un tel déploiement policier et humain. "Quelqu'un de plus important", m'indique Nassera, pour me mettre sur la piste, sans que je suis beaucoup plus aidé. Monsieur le maire, Xavier Bertrand ? Tiens, voilà un de ses élus, qui vient en voisin, maître Vignon, conseiller municipal délégué, suivi de peu par Anne Ferreira, vice-présidente du conseil régional de Picardie. Mais je ne sais toujours pas quelle personnalité on attend.

C'est un homme de pouvoir, c'est certain. Je sens cette fébrilité autour de moi, qui gagne ceux qui sont présents, et qui annonce toujours l'approche d'un homme de pouvoir. On regarde, on s'inquiète, il faut être là, ne pas manquer l'événement, c'est-à-dire l'homme. Mais qui ? Je me rends à la loge du concierge, aux informations. Hegel le savait pertinemment : "Il n'y a pas de grand homme pour son valet de chambre". C'est du côté des domestiques qu'on apprend le plus de choses. Justement, un policier se précipite et annonce : "Monsieur le ministre est au péage de l'autoroute". Il s'agit de Laurent Wauquiez, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, venant au lycée Henri-Martin visiter le BTS audio-visuel, fleuron de l'établissement.

Mais je n'en saurai pas plus : la sonnerie m'appelle, je suis moi aussi, à ma façon, un domestique qu'on sonne, les cours vont commencer, je dois y aller. En traversant la cour, je croise Vincent Savelli, vice-président de l'agglomération, mais ici CPE (conseiller principal d'éducation). Voilà ce qui différencie celui qui a le pouvoir et celui qui ne l'a pas : l'un monte vers la cour d'honneur, l'autre descend dans sa salle de classe.

Comment s'est passée cette visite prestigieuse (ce n'est pas tous les jours qu'un ministre est dans nos murs !) ? Je n'en sais rien, toujours rien, je vous l'ai dit : j'étais ce matin Fabrice à Waterloo. J'en saurai plus demain, en lisant Jean-Michel Roustand et Nassera Lounassi. En attendant, j'ai assuré trois heures de philo, bien tenté de donner à mes élèves le sujet suivant : pourquoi l'homme de pouvoir fait-il nécessairement l'événement ? Mais mes lycéens sont trop jeunes pour s'intéresser à ça ... Nous avons disserté sur le bonheur et la liberté.

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