dimanche 25 septembre 2011

Le seigle et la châtaigne.

A l'heure où je rédige ce billet, nous ne savons pas encore si le Sénat va passer ce soir à gauche ou rester à droite. Pour le dire brutalement : je m'en moque ! Bien sûr, je souhaite le succès de mon parti, le PS, une victoire étant toujours bonne à prendre. Mais je m'en désintéresse parce que ça ne changera pas grand-chose. Pourtant, n'importe quel scrutin me passionne facilement, même celui des délégués d'élèves dans une classe ; mais pas celui-là.

D'abord parce que un Sénat à gauche ne modifiera pas la politique gouvernementale de droite. Tout juste la résistance sera-t-elle un peu plus forte. Un événement historique ? Non, ceux-là transforment l'histoire, pas celui-là, s'il advient. Mais un événement tout court, oui assurément, puisque le Sénat n'a jamais été de droite. Un événement médiatique essentiellement, ce qui n'est pas négligeable dans une société de la communication.

Au moins, n'annoncerait-il pas, ne préparerait-il pas une victoire de la gauche à la prochaine présidentielle, dans quelques mois ? J'en rêve, mais non, on ne peut pas raisonner ainsi. Il y a la distance entre les deux élections : dans la société actuelle, où un événement en efface très vite un autre, plusieurs mois c'est plusieurs siècles. Dans la mémoire de l'électeur, il n'en restera plus grand-chose.

Surtout, les sénatoriale n'ont absolument rien à voir avec les présidentielles. Les deux modes de scrutin sont si différents que l'un ne dit rien sur l'autre, ne peut pas l'anticiper. Enfin, les citoyens n'adhèrent pas au système sénatorial, quand ils ne l'ignorent pas, tellement il s'oppose à une élection ordinaire, tellement il est exotique :

Les électeurs sont des élus qui votent pour des élus, dont une partie ne sera appelée aux urnes que plus tard ; les candidats n'ont pas d'étiquettes partisanes ; les deux tours ont lieu le même jour ; une majorité de gauche pourrait fort bien se donner un président de droite. C'est à n'y rien comprendre pour un citoyen ordinaire.

C'est d'ailleurs pourquoi, sous la Vème République, le Sénat n'a pas cessé d'essuyer des quolibets et de sévères critiques, de la droite comme de la gauche, allant jusqu'à suggérer sa pure et simple suppression. Le général de Gaulle a sans doute été son plus fort contempteur, en le taxant de "France du seigle et de la châtaigne".

Pourtant, un champ de seigle c'est beau, et la châtaigne grillée c'est bon ! Ça vaut bien la France du béton et du hamburger ... Je ne suis pas de ceux qui ironisent sur le Sénat et les sénateurs. Cette chambre parlementaire fait partie de nos institutions et assure son équilibre. Un républicain ne peut pas décemment s'en moquer ; il doit au contraire la respecter. Et ce ne sont pas les défauts évidents du Sénat qui me feront changer d'avis : l'assemblée nationale n'en est pas non plus exempte, alors ...

Du point de vue de la philosophie politique, il me semble important que la démocratie soit un régime d'assemblées, au pluriel, palais Bourbon et palais du Luxembourg, et pas d'une seule et unique. La République, craignant comme le feu l'autoritarisme, divise autant qu'elle le peut les pouvoirs, y compris dans la sphère parlementaire, et c'est très bien ainsi.

Avec le Sénat, j'ai une autre proximité, non plus idéologique mais personnelle : depuis longtemps, quand je vais à Paris faire mes achats chez Gibert, je consacre quelques minutes à mon jardin préféré, le Luxembourg, où je m'assieds pour méditer sur tout et sur rien, en regardant les voiliers miniatures sur son grand bassin et le bel édifice du Sénat au fond. Il m'arrive de m'assoupir au soleil, de rêvasser en imaginant derrière les fenêtres, en cet instant, nos deux sénateurs axonais les plus célèbres, travaillant à leur bureau, Yves Daudigny et Pierre André ...

Si la gauche sénatoriale l'emporte ce soir, je ne prendrai pas une coupe de champagne mais un grand verre d'eau bien fraîche, très content en même temps que prudent : mon parti, depuis une décennie, gagne toutes les élections locales, y compris spectaculairement, mais rate tous les rendez-vous nationaux avec le suffrage universel. A tout prendre, je préférerai l'inverse, laisser cette année le Sénat à la droite et lui ravir l'an prochain l'Elysée. On n'a pas trop le choix en politique : il faut se faire aux victoires comme aux défaites. Mais je n'aimerais pas que le parti socialiste se transforme en autant de forteresses locales, repliées sur leurs conquêtes, représentées par le bastion sénatorial, mais sans prise réelle sur la politique de la France et l'avenir du monde.

Les élections sénatoriales sont moins nationales que locales, une addition d'élections particulières. Je ne suis pas devin, mais nous aurons ce soir une forte poussée de la gauche, c'est le seul pronostic sérieux qu'on puisse faire. La droite y aura contribué, par ses divisions et par la réforme sarkozienne des collectivités territoriales : on n'a jamais vu un pouvoir, là celui des élus locaux, renoncer volontairement à une part importante de son pouvoir.

Un signe sera donc envoyé à la droite par la droite, via une progression à peu près certaine de la gauche. Mais qu'est-ce qu'un signe en politique ? Une alerte qui n'aura qu'un temps, une fusée de détresse qu'on envoie mais qui n'est pas un boulet de canon, un avertissement sans frais qui menace mais n'atteint pas le pouvoir gouvernemental.

Tiens, si j'avais eu le temps cet après-midi, je me serai bien promené dans un champ de seigle, il faisait si beau. Et en rentrant, j'aurai bien dégusté quelques châtaignes grillées, si c'était la saison.

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