mardi 27 septembre 2011

Suis-je poperéniste ?


Hier soir, dans le cadre des primaires citoyennes, Alain Vidalies est venu à Saint-Quentin soutenir la candidature de Martine Aubry. Ce camarade, député des Landes et dirigeant national du parti socialiste, n'est pas vraiment connu du grand public. Pourquoi lui chez nous, et pas un autre ? Parce qu'Alain est l'un des derniers représentants de la sensibilité poperéniste, à laquelle appartient Anne Ferreira.

Pour mémoire, le poperénisme est un petit courant socialiste, actif dans les années 70-80, mais moins influent que le mitterrandisme, les rocardiens ou le CERES de Chevènement. Du nom de son fondateur Jean Poperen, cette tendance se caractérisait par sa grande rigueur doctrinale, son intransigeance en matière de laïcité, son hostilité à toute ouverture au centre, sa critique virulente de la "deuxième gauche".

C'était hier, mais l'empreinte demeure aujourd'hui, y compris à Saint-Quentin. Bien sûr, rien à voir hier soir avec tout ça ; Alain Vidalies était venu pour défendre Aubry. La première demi-heure de son intervention, j'ai été un peu déçu : rien sur les primaires et les candidats, mais un commentaire des dernières statistiques sur le chômage, connues le jour même. Je pense que c'est sa présence dans la ville du ministre du Travail qui a conduit Alain à ce laïus un peu hors-sujet.

Mais la deuxième partie de l'exposé a réveillé mon attention. Très honnêtement (ce que j'ai apprécié), Vidalies a comparé les mesures d'Aubry et Hollande en matière d'emploi : les emplois d'avenir pour l'une, le contrat de génération pour l'autre. Martine reprend en gros le dispositif des emplois-jeunes, propose 300 000 postes aux associations et collectivités, financés par les deux milliards affectés aujourd'hui aux paiements des heures supplémentaires. Elle compense la perte de celles-ci par l'augmentation de la prime pour l'emploi.

François, de son côté, a un plan plus ambitieux, plus coûteux (7 milliards) mais plus contestable, selon Alain Vidalies : un senior laisse son emploi au bénéfice d'un jeune, qu'il forme, l'entreprise bénéficiant alors d'une exonération de ses charges. Le contrat de génération est financé par la récupération des sommes perdues dans les exonérations massives, inefficaces et injustes accordées aux entreprises ces dernières années. Alain estime que ce dispositif est beaucoup trop complexe et seulement performant en temps de forte croissance.

En soulignant que le contrat de génération était critiqué par la CGT et FO et soutenu par l'UNSA, Vidalies fait ressortir la perspective réformiste dans laquelle la mesure s'inscrit : elle s'adresse au secteur privé, elle passe par la voie contractuelle, elle soutient les entreprises. Les emplois d'avenir d'Aubry sont plus conformes à la démarche socialiste traditionnelle : financement d'Etat, secteur public et associatif.

Les deux propositions ont certainement leurs avantages et leurs inconvénients. Je ne suis pas certain non plus qu'elles suffisent à différencier fondamentalement nos deux camarades concurrents. C'est là où le bât blesse : encore hier, je n'arrivais pas très bien à percevoir les lignes d'opposition entre les deux candidats, alors qu'elles sont flagrantes entre Valls et Montebourg. Bien sûr, je pourrais me réjouir de cette proximité. Mais comme il faut choisir et que ce ne sont pas les militants qui en décideront, il faut bien que nos sympathisants aient de quoi faire la distinction ...

La partie débat de la soirée a été également très instructive, et déroutante pour moi. Alain Vidalies a été questionné sur les retraites, principalement à propos des enseignants, sur des points techniques dont il n'avait manifestement pas le secret : décote, surcote, double décote ... Moi qui ne suis pas poperéniste, je me suis trouvé en phase avec lui sur ce dossier, alors que l'assistance, à lui pourtant acquise, s'est montrée sceptique, réticente, pour ne pas dire critique.

De quoi s'agit-il ? De ce qui me semble être ambigu depuis le début, le soutien socialiste à la retraite à 60 ans, avec quoi je suis d'accord, mais qui risque d'être mal compris par notre électorat. Pourquoi ? Parce que nous défendons un départ légal qui ne veut plus dire grand-chose à partir du moment où le nombre d'annuités à cet âge ne suffit pas à constituer une retraite "normale".

C'est le cas des enseignants, qui commencent à exercer assez tard et devront donc travailler après 60 ans s'ils veulent une pension correcte. En conservant les 60 ans, nous avons symboliquement raison, mais aux yeux de beaucoup, il y aura tromperie sur la marchandise, marché de dupes. A tout prendre, j'aurais préféré que mon parti ait le courage politique d'allonger légalement la durée de travail, pour les raisons démographiques que tout le monde connaît : au moins les choses auraient été plus claires et plus franches.

Ceci dit, et les choses étant ce qu'elles sont, j'approuve complètement l'argumentation d'Alain Vidalies (qui est d'ailleurs celle du projet socialiste) : il faut s'appuyer sur la notion de pénibilité pour bonifier les parcours de retraite les plus difficiles, en faveur des populations dont la durée de vie est inférieure à la moyenne, les salariés travaillant de nuit, au dehors, en trois-huit, soumis à des produits toxiques. Sauf que les enseignants sont évidemment exclus de ces critères-là, alors qu'ils estiment eux-aussi avoir un travail pénible.

Le problème est plus que financier, il est culturel : quelqu'un qui a suivi des études assez longues, qui a passé des concours difficiles, qui assure une fonction qui relève d'un éminent service public, dont l'image était autrefois très valorisante, accepte mal aujourd'hui d'être rétrogradé, "déclassé", de partir pour une longue retraite avec un niveau de vie très inférieur à celui qu'il avait en activité.

A vrai dire, le choix est politique, et c'est l'une de mes préoccupations en ce qui concerne l'avenir de la gauche : à quelles catégories devons-nous nous adresser en priorité, sachant qu'on ne peut pas tout promettre à toutes ? Ma réponse, qui était celle hier d'Alain Vidalies en matière de retraite, c'est de viser les classes populaires, ouvriers et employés. La réforme socialiste des retraites leur profite, en permettant pour eux de quitter le travail à 60 ans avec une retraite complète. Vidalies estime que 40% des salariés seraient concernés. Ce qui fera 60% d'insatisfaits ou de mécontents ! Mais il faut savoir ce qu'on veut, dire ce qu'on fera et qui on soutiendra. Vidalies là-dessus a été très clair, et c'est ce que j'ai aimé.

J'ai bu du petit lait, j'ai applaudi intérieurement quand il a répondu à la salle qu'il ne fallait pas se laisser influencer par l'extrême gauche, qui veut mettre le PS en difficulté dans cette affaire des retraites en brandissant le slogan des 60 ans à taux plein pour tout le monde ! (au fait, Alain Vidalies est-il au courant de nos alliances à Saint-Quentin ? ...). Une bonne soirée, instructive et inattendue dans les réactions qu'elle a suscitées en moi et chez les autres. En rentrant, je me suis même demandé, amusé, si je n'étais pas devenu poperéniste ...

En photo : debout à la tribune, Alain Vidalies, avec à ses côtés Jean-Pierre Balligand, partisan de Hollande mais venu en député voisin. De dos, Alain Reuter et Bernard Bronchain. Parmi la trentaine de personnes présentes, d'autres élus : Jean-Michel Wattier, Jean-Claude Capelle, Jean-Louis Bricout et une figure du poperénisme axonais, Georges Bouaziz, ancien maire de Villers-Cotterêts.

Aucun commentaire: