jeudi 23 avril 2015

Aurélie Châtelain, victime



L'actualité donne le tournis. Un événement tragique en chasse un autre, les morts succèdent aux morts. Il y a eu le crash de l'A320 et ses 150 morts : on ne parle plus du copilote, on n'en sait guère plus sur ce dépressif et le sens de son geste. Il y a eu l'assassinat horrible de la petite Chloé par un vagabond, enlevée devant sa mère. Et puis sont venues les noyades de masse des migrants en méditerranée. Aux dernières nouvelles, c'est la jeune femme de Caudry, tuée par un terroriste semble-t-il insoupçonnable, se préparant à attaquer des églises. Ajoutez-y les pédophiles dans l'Education nationale et vous avez un triste tableau, complaisamment exposé sur nos écrans et nos ondes. Comment notre sensibilité ne peut-elle pas s'émousser devant cette succession de drames, qui finissent par ne plus vouloir dire grande chose à force de se multiplier ?

Pourtant, ce n'est pas à défaut de chercher à nous émouvoir : les médias radio-télévisés mettent la gomme, étalent la misère humaine, donnent la parole aux sanglots. Ce n'est plus de l'information, c'est une sorte de roman populaire à base de réalité. Après les pleurs, l'indignation et la colère sont les bienvenues, radiophoniques et télégéniques, avec le soupçon systématique sur les institutions, pour ne pas avoir à remettre en cause la nature humaine et la responsabilité individuelle. Le crash ? La compagnie aérienne a eu tort de laisser voler le pilote. Les migrants ? C'est la faute à l'Europe qui ne fait rien. Chloé ? La justice ne fait pas son travail. Le terroriste de Villejuif ? Les services de renseignement sont défaillants. Le triptyque de base, invariable, c'est : incrédulité, indignation, accusation, le tout mâtiné de morale, de psychologie et de bons sentiments.

Et quel langage ! Je prends un exemple saisissant : la jeune femme de Caudry est qualifiée de "victime collatérale". L'expression doit beaucoup plaire, puisqu'elle est reprise un peu partout. Elle est en réalité fausse et injurieuse. On ne dit pas, par décence, par délicatesse, d'une personne qui vient de disparaitre qu'elle est une "victime collatérale". Sa mort n'est pas un à côté, un accident, une bavure : c'est un drame. Elle n'est pas une victime "collatérale", mais directe. Elle n'a pas été tuée par erreur, mais volontairement. "Collatérale" : le mot fait plaisir en bouche, c'est un bonbon, mais c'est en réalité un poison. En l'employant, on atténue la violence de l'acte, on dénature celui-ci.

Savez-vous d'où vient cet étrange adjectif, parfaitement déplacé, obscène lorsqu'il s'agit d'un crime ? De nos chers Etats-Unis, bien sûr. Que serions-nous, sans eux ? C'était il y 25 ans, lors de la première guerre du Golfe. L'armée américaine a alors popularisé la notion parfaitement hypocrite de "dommages collatéraux", pour qualifier ce qu'on appelait autrefois, dans un style plus lyrique et moins administratif, les "horreurs de la guerre". Par respect pour sa mémoire, sa famille et ses proches, arrêtons ce jargon insupportable de "victime collatérale" : la vérité, c'est qu'Aurélie Châtelain est victime d'un crime, qu'elle a été assassinée.

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